Assouplissement des règles d’octroi de MaPrimeRénov’ et limitation des crédits dédiés

Arrêté du 21 mars 2024 modifiant l’arrêté du 14 janvier 2020 modifié relatif à la prime de transition énergétique 

A la suite des annonces du Gouvernement du 15 février 2024 dernier sur la simplification du dispositif MaPrimeRénov’, le décret n° 2024-249 du 21 mars 2024 a modifié le décret n° 2020-26 du 14 janvier 2020 relatif à la prime de transition énergétique en prévoyant de :

  • prolonger l’accès au parcours par geste pour les maisons individuelles classées « F » et « G » jusqu’au 31 décembre 2024 en France métropolitaine ;
  • lever jusqu’à cette même date l’obligation de réaliser un geste de chauffage éligible à la prime pour accéder au parcours par geste, le cas échéant ;
  • conditionner l’éligibilité de l’installation d’un système de ventilation mécanique contrôlée double flux autoréglables ou hygroréglables à la réalisation concomitante d’un geste d’isolation éligible à la prime (isolation thermique des parois vitrées, des murs en façade ou pignon, des rampants de toitures et plafonds de combles ou encore des toitures terrasses).

Ces modifications sont directement issues d’échanges entre le Gouvernement et la Confédération de l’artisanat et des petites entreprises du bâtiment (CAPEB) et la Fédération française du bâtiment (FFB), ces derniers souhaitant assouplir – au moins jusqu’à la fin de l’année 2024 – les règles d’octroi des aides « par geste » de rénovations simples au-delà des travaux de rénovations visant à améliorer la performance globale du logement.

De plus, le décret précise que la prime est attribuée dans la limite des autorisations d’engagement annuelles inscrites au budget de l’ANAH. Autrement dit, si le décret vise à « soutenir la dynamique de rénovation énergétique des logements » par un assouplissement des règles d’octroi des aides MaPrimeRénov’, il prévoit également la limitation des crédits dédiés au dispositif. L’arrêté du 21 mars 2024 modifiant l’arrêté du 14 janvier 2020 modifié relatif à la prime de transition énergétique lève quant à lui jusqu’au 31 décembre 2024 l’obligation de fournir un diagnostic de performance énergétique pour toute demande de prime de transition énergétique par geste en France métropolitaine. De même, il autorise la fourniture d’une promesse synallagmatique de vente lors du dépôt d’une demande de prime, la production d’un justificatif de propriété restant requise pour obtenir le paiement de la prime.

Les dispositions du décret et de l’arrêté entrent en vigueur le 15 mai 2024 et s’appliquent aux demandes de primes déposées à compter de cette même date.

Nouveau dispositif d’appel à témoins : « En quête d’indices »

Un nouveau dispositif d’appel à témoins, « En quête d’indices », a été présenté par le ministère de l’Intérieur et des Outre-mer et le ministère de la Justice. Il s’agit de vidéos courtes retraçant des enquêtes à la suite de crimes sériels ou non élucidés suivies par le pôle national et pour lequel les enquêteurs et magistrats cherchent à recueillir des informations auprès du grand public.

Le Pôle national des crimes sériels ou non élucidés (PCSNE), va désormais pouvoir s’appuyer sur ce nouvel outil.

Ces capsules seront diffusées sur le site internet et les réseaux sociaux. Ces vidéos, retraçant les circonstances des faits auront vocation à recueillir de nouveaux témoignages auprès du grand public, dans le cadre d’affaires de crimes sériels ou non élucidés suivis par le PCSNE.

Retrouvez le premier appel à témoin du Pôle national dédié au traitement des crimes sériels ou non élucidés :

Nous nous félicitons de cette initiative qui devrait permettre de recueillir de nouveaux témoignages et de faire avancer les enquêtes.

Nous réitérons notre demande beaucoup plus large de création par la justice d’un site internet dédié aux affaires criminelles non élucidées ou toute personne pourrait apporter son témoignage à la justice.

Retrouvez notre équipe dédiée  à ces affaires  :
Didier Seban, avocat associé, Marine Allali, avocate directrice, Antoine Sauvestre-Vinci, avocat à la Cour, Olivier le Gall, chargé de missions et Maxellende Joulia, élève-avocate.

 

Desserte maritime Corse – continent : les compensations financières versées à Corsica Linéa et La Méridionale remises en cause par la Commission européenne

Le 23 février dernier, la Commission européenne a ouvert une enquête dite « formelle d’examen[1] » concernant la compatibilité au droit européen des aides d’Etat des compensations financières versées aux compagnies maritimes qui desservent la Corse depuis le continent dans le cadre de conventions de délégations de service public.

En décembre 2022, les autorisés corses ont attribué à Corsica Linéa et à La Méridionale cinq conventions de délégations de service public de transport de passagers et de marchandises entre le port de Marseille et les cinq ports corses (Bastia, Ajaccio, Propriano, L’Ile-Rousse et Porto-Vecchio). Ces conventions sont entrées en vigueur le 1er janvier 2023 et elles expirent le 31 décembre 2029. Corsica Linéa (anciennement SNCM) et La Méridionale sont les deux compagnies maritimes historiques qui desservent la Corse depuis le continent. Elles perçoivent à ce titre des compensations financières en contrepartie d’un certain nombre de sujétions particulières de service public qui leur sont imposées en matière de fréquence, d’horaires, de catégorie de passagers (motif médical, convoyeurs de fret tracté) ou de type de marchandises à transporter (matières dangereuses depuis l’Ile-Rousse). Ces obligations de service public (OSP) sont qualifiées de services d’intérêt économique générale (SIEG) au sens du droit européen[2]. Les compensations financières versées en contrepartie de l’exécution d’OSP ne constituent pas des aides d’Etat si elles respectent les 4 conditions cumulatives posées la Cour de justice des communautés européennes (devenue CJUE) dans son arrêt Altmark du 24 avril 2003[3] :

  • l’entreprise a été expressément chargée d’obligations de service public clairement définies ;
  • des paramètres objectifs de calcul de la compensation ont été établis avant son versement ;
  • il n’y a pas de surcompensation ;
  • la mission de service public a été confiée à l’entreprise à l’issue d’une procédure de marché public permettant de sélectionner celle capable de fournir ce service au moindre coût pour la collectivité ou, en l’absence d’une telle procédure, le niveau de la compensation repose sur une analyse des coûts que pourrait réaliser une « entreprise moyenne, bien gérée ».

En matière de transport maritime, le cadre juridique général applicable aux SIEG doit par ailleurs s’articuler avec le règlement cabotage du 7 décembre 1992 concernant l’application du principe de la libre circulation des services aux transports maritimes à l’intérieur des États membres. Ce règlement a libéralisé le transport maritime dans l’Union européenne mais il permet aux Etats membres d’instituer des obligations de service public en cas de carence du marché. Dès lors qu’il est démontré qu’il existe une demande / un besoin réel exprimé par les usagers pour la fourniture de services de transport maritime qui n’est pas satisfait par les opérateurs en libre marché (carence du marché), il est possible d’instituer des OSP unilatérales ou de conclure un contrat de service public. Le raisonnement est en trois temps :

  • en premier lieu et avant de conclure un contrat de service public de transport maritime impliquant des compensations financières versées par l’autorité délégante, il faut démontrer l’existence d’une demande exprimée par les usagers pour les services de transport maritime (passagers ou marchandises) ;
  • en deuxième lieu, il faut vérifier si le marché peut répondre, en tout ou en partie, à la demande des usagers préalablement identifiée. Si le marché ne peut pas répondre à la demande, il existe une carence de l’initiative privée caractérisant l’existence d’un besoin réel de service public ;
  • enfin, l’autorité publique doit choisir le mode d’intervention qui porte le moins atteinte au bon fonctionnement du marché intérieur pour répondre à ce besoin de service public, celui qui est le moins restrictif pour la concurrence entre un régime unilatéral d’OSP (sans compensation financière) et le contrat de service public (avec compensations financières).

Cette question avait déjà fait l’objet de deux arrêts du Tribunal de l’Union européen du 1er mars 2017 concernant la desserte maritime Corse – continent[4]. Aujourd’hui, il n’existe toujours pas de « marché totalement libre » dans le domaine des services maritimes entre la France continentale et la Corse. Les services maritimes sont fournis :

  • soit dans le cadre d’un régime d’obligations de service public sans compensations financières (« régime OSP » ou « OSP unilatérales », arts. 2 §4 et 4§2 du règlement cabotage) ;
  • soit dans le cadre d’un contrat de service public avec compensations financières (arts. 2§3 et 4§1 règlement cabotage).

Sur la base d’un « test de marché » et d’études techniques réalisées entre 2021 et 2023, les autorités corses ont conclu que des OSP unilatérales ne suffiraient pas pour satisfaire le besoin de service public identifié pour chaque segment de transport maritime de passagers et de marchandises. Dès lors, elles ont considéré que le recours à des contrats de service public est justifié. L’enquête approfondie ouverte par la Commission européenne le 23 février 2024 doit lui permettre d’apprécier dans quelle mesure les compensations financières qui sont versées à Corsica Linéa et à La Méridionale dans le cadre des cinq conventions de délégation de service public 2023 – 2029 sont compatibles avec les règles européennes en matière d’aides d’Etat (art. 108 Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne), notamment au regard du premier critère Altmark rappelés ci-avant.

La Commission européenne a exprimé un doute sur le fait que les autorités corses ont pu commettre une erreur manifeste d’appréciation sur l’existence d’un véritable SIEG. Le périmètre de service public retenu dans les conventions de délégation de service public 2023-2029 pourrait ne pas être nécessaire et proportionné en tous points par rapport à un besoin réel de service public. Plus précisément, l’inclusion du transport de passagers commerciaux et du transport de marchandises par camions remorques et des convoyeurs dans les délégations de service public ne serait pas justifiée par un besoin de service public compte tenu de la présence sur le marché d’une offre commerciale développée depuis le port de Toulon. Par ailleurs, les OSP en matière de volume de fret (exprimé en mètres linéaires) imposées aux compagnies délégataires pourraient dépasser le besoin de service public.

Enfin, du point de vue des règles de l’Union européenne en matière de marchés publics (4ème critère Altmark), la Commission européenne invite les autorités françaises à clarifier si l’obligation de mobiliser des navires disposant d’une capacité minimale de transport de passagers et de cabines dans les délais de de la mise en concurrence est susceptible de constitue une rupture d’égalité de traitement, et pour clarifier le périmètre des exigences minimales et la conformité des offres retenues en ce qui concerne ces exigences ainsi que les rotations reprogrammables et les rotations supplémentaires. Les autorités françaises doivent à présent répondre aux observations formulées par la Commission européenne. A l’issue de cette phase d’échanges contradictoires entre les autorités françaises et la Commission européenne, cette dernière prendra une décision sur l’existence ou pas d’une aide d’Etat et, le cas échéant, sur sa compatibilité avec le droit européen. La Commission doit, en principe, adopter une décision dans un délai de dix-huit mois à compter de l’ouverture de la procédure.

 

[1] Au sens de l’article 4 § 4 du règlement de procédure (UE) n° 2015/1589 du Conseil du 13 juillet 2015 portant modalités d’application de l’article 108 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne.

[2] Encadrement SIEG constitué par plusieurs actes Communication de la Commission 2012/C8/02 du 20 décembre 2011 ; Communication de la Commission 2012/C 8/03 du 20 décembre 2011 sur les aides d’Etat sous forme de compensation de services public ; décision d’exemption 2012/21/UE du 20 décembre 2011 relative aux compensations accordées à certaines entreprises chargées de la gestion de SIEG ; règlement (UE) n° 2023/2832 relatif aux aides de minimis SIEG.

[3] CJCE, 24 juillet 2003, Altmark Trans GmbH, C-280/00.

[4] Arrêts du Tribunal, 1er mars 2017, SNCM I, T-366/13 et SNCM II, T-454/13.

Eoliennes : annulation du protocole de mesure de l’impact acoustique

Selon quelle procédure devaient être adoptées les normes régissant les contrôles acoustiques des parcs éoliens terrestres ? Il s’agit de la question tranchée par le Conseil d’Etat au sein d’un arrêt du 8 mars 2024. Plusieurs associations sollicitaient en effet l’annulation de divers instruments règlementaires encadrant l’exploitation des parcs éoliens terrestres.

1°) Il s’agissait notamment de deux arrêtés qui avaient pour objet de modifier les règles relatives à l’implantation, la construction, l’exploitation et le démantèlement des éoliennes, et portaient plus particulièrement sur l’instauration d’un contrôle acoustique systématique dès la mise en service du parc éolien, contrôle devant être conforme à un protocole de mesure acoustique.

Le Conseil d’Etat relève que cette règlementation déterminant les conditions dans lesquelles les projets concrets d’implantation et d’exploitation de sites éoliens terrestres peuvent être autorisés ou mis en œuvre doit être regardée comme constituant des plans et programmes devant être soumis à évaluation environnementale. Une telle évaluation n’ayant pas été menée, le Conseil d’Etat conclut à l’irrégularité de ces deux arrêtés.

2°) Etaient également contestées des décisions ministérielles approuvant le protocole de mesure de l’impact acoustique d’un parc éolien terrestre ainsi que le protocole en lui-même. Le juge expose tout d’abord que les décisions ministérielles approuvant ce protocole lui ont conféré un caractère règlementaire et qu’il s’agit donc d’une décision faisant grief susceptible d’être contestée par la voie de l’excès de pouvoir. Et dès lors qu’il régit des installations classées pour la protection de l’environnement, les décisions l’ayant approuvé doivent être regardées comme des plans et programmes devant être soumis à évaluation environnementale. En outre, le protocole ayant une incidence directe et significative sur l’environnement, les décisions l’ayant approuvé auraient dû être soumises à consultation du public préalablement à leur adoption.

De même que pour les arrêtés ci-avant, le Conseil d’Etat juge donc qu’à défaut d’une telle évaluation, ces décisions doivent être annulées.

Installations, ouvrages, travaux et aménagements (IOTA) : précisions sur l’interdiction du « saucissonnage » des projets

Le Conseil d’Etat a, par un arrêt en date du 8 mars 2024, apporté des précisions sur la notion de projet dans le cadre de la mise en œuvre de la règlementation des installations, ouvrages, travaux et aménagements (IOTA) prévue aux articles L. 214-1 et suivants du Code de l’environnement.

En l’espèce, un exploitant avait réalisé en octobre 2017 une vidange complète d’un étang puis, cette même année, des travaux présentant un caractère d’urgence devant en principe faire l’objet d’une déclaration IOTA. L’autorité administrative lui avait alors respectivement indiqué qu’une déclaration n’était pas nécessaire dès lors que la vidange n’est pas incluse dans la nomenclature IOTA et car il existait une situation d’urgence. En 2018, l’exploitant a déclaré des travaux visant à la destruction de la digue de l’étang, déclaration à laquelle l’autorité administrative ne s’est pas opposée. Une association sollicitait l’annulation de l’ensemble de ces décisions, soutenant que ces différents travaux et interventions auraient dû être réalisés sous la forme d’une procédure unique sur le fondement de l’article R. 214-42 du Code de l’environnement.

Le Conseil d’Etat expose alors que le pétitionnaire doit saisir l’administrative d’une demande unique pour les « projets qui forment ensemble une même opération » laquelle, prise dans son ensemble, doit faire l’objet d’une autorisation ou déclaration IOTA. Le juge rappelle le texte sur la notion d’opération : les projets doivent dépendre de la même personne, exploitation ou établissement et concerner le même milieu aquatique, même lorsque leur réalisation est étalée dans le temps et que les projets sont mis en œuvre successivement. Il précise ensuite que pour apprécier l’existence d’une opération devant faire l’objet d’une demande unique ainsi que le régime applicable (autorisation ou déclaration), l’administration « doit se fonder sur l’ensemble des caractéristiques des projets, en particulier la finalité des opérations envisagées et le calendrier prévu pour leur réalisation ».

Dans cette affaire, le juge relève que la vidange a été envisagée ab initio en vue de l’effacement de l’étang et que les autres travaux et interventions poursuivaient également ce même objectif. Il en déduit donc que l’ensemble de ces projets aurait dû être apprécié comme constituant une unique opération. Leur morcellement est donc considéré comme étant irrégulier.

Déchets et filières « responsabilité élargie du producteur » : précision sur l’obligation de consulter la commission inter-filières

Par un arrêt en date du 20 mars 2024, le Conseil d’Etat s’est prononcé sur les conséquences d’un défaut de consultation de la commission inter-filières de responsabilité élargie des producteurs (CIFREP).

Dans cette affaire en effet, le cahier des charges des éco-organismes de la filière de responsabilité élargie des producteurs pour certains déchets diffus spécifiques (DDS) avait été modifié par arrêté, la modification étant relative au dispositif de majoration des barèmes applicables dans les collectivités des territoires d’outre-mer, sans que la CIFREP ne soit véritablement consultée. En effet, si la CIFREP avait bien été saisie, il ne ressortait pas du compte-rendu de sa réunion qu’elle ait été véritablement consultée. Or, l’article L. 541-10 du Code de l’environnement prévoit que cette instance doit être consultée pour avis sur les projets d’arrêtés portant cahiers des charges impartis aux éco-organismes ou systèmes individuels de chaque filière.

Le Conseil d’Etat prononce donc l’annulation de l’arrêté contenant la modification litigieuse, mais diffère l’effet de l’annulation au 1er janvier 2022 pour la stabilité des situations qui ont pu se constituer et au regard de la précédente annulation ayant frappé le cahier des charges de cette filière (cf. notre brève sur le sujet).

Référé-liberté : le droit à un environnement sain justifie la suspension de travaux en zone naturelle protégée

Le juge des référés du Tribunal administratif de Montpellier a récemment prononcé la suspension d’une décision du préfet des Pyrénées-Orientales délivrant au syndicat mixte de gestion et d’aménagement Tech-Albères (SMIGATA) un récépissé de dépôt de dossier de déclaration pour un projet expérimental d’injection d’eaux brutes et de traitement partielle de la végétation dans une ancienne carrière. Le juge a également suspendu l’exécution des travaux prévus pour la réalisation du projet.

En l’espèce, l’association France Nature Environnement avait introduit une requête sur le fondement de l’article L. 521-2 du Code de justice administrative, selon la procédure dite du référé-liberté, afin d’obtenir la suspension de travaux devant se tenir du 4 au 15 mars 2024 de débroussaillage mécanisés de la végétation, de terrassement d’une zone humide puis de sa mise en eau sur une superficie de 3,5 hectares. Cet article permet au juge de prendre, dans des situations d’urgence et dans un délai de 48 heures, toute mesure nécessaire à la sauvegarde d’une liberté fondamentale en cas d’atteinte grave et manifestement illégale.

Dans la continuité de la décision du Conseil d’Etat n° 451129 en date du 20 septembre 2022, le juge a d’abord rappelé que « le droit de chacun de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé, tel que proclamé par l’article premier de la Charte de l’environnement, présente le caractère d’une liberté fondamentale au sens de l’article L. 521-2 du Code de justice administrative ».

Puis, en premier lieu, il a considéré que l’exécution de la décision contestée était manifestement illégale et susceptible de porter des atteintes graves et irréversibles aux espèces protégées et à la destruction de leur habitat. Il a ainsi souligné que le projet « n’a fait l’objet que d’un dépôt de dossier de déclaration alors même que, compte tenu de son objet, il était soumis à autorisation » au titre de la règlementation des installations, ouvrages, travaux et aménagements (IOTA) et que l’injection d’eaux brutes ne pouvait être regardée « comme constituant une mesure de restauration des zones humides mais relève de la nomenclature relative à la mise en eau ». En outre, le juge a relevé que le projet est situé sur une zone boisée classée Natura 2000 et ZNIEFF types 1 et 2, accueillant de très nombreuses espèces protégées (dont la tortue Emyde Lépreuse) sans qu’aucun « recensement complet et détaillé » n’ait été réalisé au préalable ni d’ailleurs qu’une dérogation espèces protégées n’ait été obtenue. Et si le pétitionnaire fait mention de prescriptions visant à limiter ou réduire l’impact sur ces espèces, le juge estime qu’elles « ne sauraient à elles seules permettre de s’affranchir des obligations précitées prévues par le Code de l’environnement [d’obtenir une autorisation loi sur l’eau et une dérogation espèces protégées] aux fins de conservation d’habitats naturels et d’espèces animales ou végétales protégées ».

Dès lors, au regard des atteintes graves et irréversibles susceptibles d’être causées aux espèces protégées, le juge a en second lieu considéré que l’urgence à ordonner la suspension des travaux était caractérisée et a conclu que toutes les conditions de l’article L. 521-2 du CJA étaient réunies. Il a donc fait droit à la requête de l’association.

Pouvoirs du maire en matière de contrôle des dépôts sauvages sur des terrains privés

Par une décision rendue le 1er février 2024, la Cour de cassation a confirmé que le maire, en tant qu’autorité de police en matière de déchets, pouvait contrôler les dépôts sauvages de déchets situés sur des terrains privés. En l’espèce, le maire d’une commune avait demandé à un particulier de procéder à l’évacuation des déchets qui se trouvaient sur les parcelles dont il est propriétaire. Après l’avoir mis en demeure d’éliminer ses déchets, le maire avait ordonné par arrêté le versement d’une astreinte journalière et ce, jusqu’à ce qu’il y soit satisfait.

Le maire s’était ensuite fondé sur l’article L. 171-2 du Code de l’environnement pour contrôler ces parcelles et saisir le juge des libertés et de la détention à cette fin ; cet article précisant les conditions et modalités de contrôle de certains lieux et installations au titre du Code de l’environnement. Par une ordonnance en date du 22 octobre 2021, le juge avait ainsi autorisé le maire, le maire-adjoint et un responsable technique « à procéder à la visite des parcelles litigieuses ‘’aux fins de vérifier le respect des exigences posées par le Code de l’environnement et l’existence de dépôts de déchets’’ ».Si le requérant contestait cette ordonnance en faisant valoir que le maire ne serait pas un fonctionnaire ou agent habilité à pénétrer dans certains lieux sur autorisation du juge au titre de l’article L. 171-2 du Code de l’environnement, la Cour, elle, n’a pas retenu ce raisonnement. En effet, elle a au contraire considéré que le maire devait être considéré comme un agent pouvant être habilité à procéder à des visites sur le fondement de cette disposition dès lors qu’il est titulaire des pouvoirs de police et « à défaut de dispositions particulières désignant, en matière de police des déchets, les personnes habilitées à procéder aux contrôles administratifs ».

Le maire est donc autorisé à se rendre, sur autorisation du juge, sur une propriété privée pour y contrôler le dépôt de déchets.

Géothermie de minime importance : modification des procédures administratives

Décret n° 2024-232 du 15 mars 2024 portant modifications du dossier de demande d’autorisation environnementale des travaux miniers

Les activités de géothermie de minime importance ont fait l’objet de deux décrets en date du 15 mars 2024. Ils interviennent en application de l’ordonnance n° 2022-1423 du 10 novembre 2022, prise elle-même en application de l’article 81 de la loi du 22 août 2021 dite « Climat et Résilience »

1°) En premier lieu, le décret n° 2024-230 vient modifier le décret n° 2006-649 du 2 juin 2006 relatif aux travaux miniers, aux travaux de stockage souterrain et à la police des mines et des stockages souterrains. Notons dès à présent que des dispositions transitoires sont prévues pour l’entrée en vigueur des nouvelles dispositions. Le texte oblige désormais les exploitants qui réalisent des prestations de forages de géothermie de minime importance à les faire attester par une entreprise certifiée (et non plus « qualifiée » comme auparavant). Il apporte également des éléments de clarifications en ce qui concerne certaines procédures qui interviennent en amont, en aval ou pendant la phase d’exploitation de l’installation. Il adapte en outre les sanctions applicables au non-respect de certaines dispositions.

Notamment, le préfet peut dorénavant soumettre l’installation de géothermie à évaluation environnementale après un examen au cas par cas, conformément à l’article R. 122-2-1 du Code de l’environnement. Si un tel examen au cas par cas est prévu, l’article 1er du décret prévoit que les travaux ne pourront être mis en œuvre que si « une décision de ne pas prescrire d’évaluation environnementale » est intervenue ou, lorsque la décision prescrit une telle évaluation, si une autorisation a été prise par le préfet, « dans les formes prévues au deuxième alinéa du II de l’article L. 122-1-1 du même code ». Sinon l’exploitant pourra en principe engager les travaux 15 jours après la délivrance de la preuve de dépôt de la déclaration d’ouverture de travaux. En outre, le décret instaure la possibilité de procéder à des modifications de l’exploitation et précise qu’une modification de l’installations de forage « de nature à entraîner un changement notable des éléments du dossier initial de déclaration d’ouverture de travaux d’exploitation, sans toutefois avoir pour effet d’exclure cette installation ou ces travaux du régime applicable aux gîtes géothermiques de minime importance » doit être portée à la connaissance du préfet.

Enfin, dans un délai de deux mois suivant l’achèvement des travaux, l’entreprise de forage certifiée devra remettre à l’exploitant un rapport de fin de forage, dont le contenu doit être précisé par arrêté.

2°) En second lieu, le décret n° 2024-232 a pour objet de définir le contenu du dossier de demande d’autorisation environnementale devant être fourni quand les travaux réalisés sur des installations de géothermie de minime importance sont de nature à relever de ce régime. Le texte vient ainsi modifier le 15° de l’article D 181-15-3 bis du Code de l’environnement portant sur les pièces à joindre au dossier d’autorisation environnementale. Les exploitants concernés devront désormais transmettre, en plus du mémoire relatif aux méthodes de recherches ou d’exploitation envisagées, « la liste et la localisation des forages exploités sous le régime de la géothermie de minime importance destinés à un nouvel usage ».

La Commission de Régulation de l’Energie consulte les acteurs du marché sur les évolutions des prestations annexes des gestionnaires de réseaux de distribution de gaz

En sus de leur mission de service public d’acheminement du gaz naturel facturée par l’application des tarifs d’accès des tiers au réseau de distribution de gaz naturel (ATRD), entrent également dans le champ du monopole des gestionnaires du réseau public de distribution (GRD) de gaz naturel des prestations dites « annexes ». Prestations annexes dont il convient de déterminer précisément l’étendue (celles-ci ne pouvant empiéter sur le champ d’intervention d’opérateurs sur le marché concurrentiel), mais également les tarifs. Ainsi, les prestations annexes des GRD (en matière de gaz comme d’électricité) sont regroupées dans des catalogues et il revient à la Commission de régulation de l’énergie (CRE) d’en établir les méthodes de tarification et leur évolution tarifaire. A l’heure actuelle, ces prestations et leurs tarifs sont fixés par une délibération de la CRE du 7 juin 2023 commentée ici. Le Régulateur envisage désormais leur évolution et consulte à ce titre, jusqu’au 15 avril 2024, les acteurs du marché.

Ainsi que le précise cette consultation, les évolutions projetées à ce stade seraient notamment les suivantes :

  • l’adaptation de certaines prestations du GRD en lien avec la fin du déploiement massif du compteur évolué Gazpar : à ce titre, il est notamment envisagé de simplifier la collecte et la transmission au GRD des index autorelevés par les fournisseurs ou encore d’introduire une prestation de demande de pose de compteur Gazpar ;
  • l’introduction, à titre expérimental, de la prestation « passage au pas horaire » proposée par GRDF pour certains usagers ;
  • la prolongation d’un an de la prestation expérimentale « mise à jour des capacités d’injection sur demande » à la demande de GRDF.

Nous ne manquerons pas d’observer ici si ces évolutions sont finalement retenues dans la délibération prochaine de la CRE

Publication du prix repère de vente en gaz pour 2024

Avec la fin des tarifs réglementés de vente de gaz, intervenue 30 juin 2023, certains consommateurs se sont vus contraints de souscrire de nouvelles offres de fourniture de gaz :

  • les consommateurs n’ayant pas notifié leur décision de quitter ces tarifs réglementés ont été transférés vers une offre de bascule auprès de leur fournisseur historique ;
  • et les consommateurs qui avaient souscrit une offre de marché dont l’évolution était indexée sur lesdits tarifs ont reçu de nouvelles conditions tarifaires de la part de leur fournisseur.

Afin de permettre aux consommateurs de souscrire une offre de fourniture adéquate, le Médiateur National de l’énergie a mis à disposition un comparateur des offres d’énergie sur sa page internet. En parallèle, la CRE publie mensuellement, depuis le 1er juillet 2023, des prix de référence en gaz devant « servir de boussole aux consommateurs qui souhaitent comparer les offres de fourniture à partir de juin 2023 » (voir en ce sens son communiqué du 11 mars 2024). Pour le mois d’avril 2024, les prix repères de vente en gaz naturel pour la zone de desserte exclusive de GRDF, publié par la CRE dans ce communiqué du 11 mars 2024, sont les suivants :

On constatera que les prix repères des abonnements sont identiques à ceux de mars 2024. Les prix repères pour la vente de vente de gaz naturel sur les zones de desserte exclusive des entreprises locales de distribution sont précisés, pour chacune d’entre elles, en annexe dudit communiqué.

Ces prix de référence sont construits selon une méthodologie fixée par la CRE dans sa délibération du 12 avril 2023, commentée dans une de nos précédentes lettres d’actualité juridique.

Création d’une aide financière visant à compenser la hausse des coûts de l’électricité pour les entreprises grandes consommatrices d’énergie

Par un décret en date du 22 mars 2024, le Gouvernement a acté la mise en place d’une aide spécifique en faveur des entreprises de taille intermédiaire grandes consommatrices d’énergie qui sont particulièrement affectées par les conséquences économiques et financières de la guerre en Ukraine en raison de la hausse des coûts d’approvisionnement de l’électricité. En synthèse, l’aide correspond à 50 % des surcoûts d’électricité par rapport à 300 €/MWh sur le périmètre des contrats signés ou renouvelés avant le 30 juin 2023, dans la limite d’un critère d’excédent brut d’exploitation et dans le respect des plafonds d’aide de l’encadrement temporaire européen de crise et de transition. Elle correspond à la période du 1er janvier 2024 au 31 décembre 2024.

En premier lieu, aux termes de l’article 1er du décret commenté, l’aide instituée bénéficie « aux personnes morales de droit privé ou public suivantes exerçant une activité économique et particulièrement affectées par les conséquences de la guerre en Ukraine » et répondant aux conditions suivantes :

« 1° Elles sont résidentes fiscales françaises ;

2° Elles emploient moins de 5 000 personnes et ont un chiffre d’affaires n’excédant pas 1,5 milliard d’euros ou un total de bilan n’excédant pas 2 milliards d’euros ;

3° Si elles appartiennent à un groupe, celui-ci emploie moins de 5 000 personnes et a un chiffre d’affaires n’excédant pas 1,5 milliard d’euros ou un total de bilan n’excédant pas 2 milliards d’euros ;

4° Elles ne font pas partie des personnes visées au I de l’article 1 du décret n° 2023-1421 du 30 décembre 2023 susvisé ».

Ainsi, il convient de relever que l’aide instituée par le décret commenté n’est pas cumulable avec l’amortisseur électricité. L’aide vient en effet en parallèle de l’amortisseur électricité et les entreprises éligibles à ce dispositif, visé au I de l’article 1 du décret n° 2023-1421 du 30 décembre 2023, ne peuvent pas bénéficier de l’aide prévue par le décret du 22 mars 2024. Aux termes de l’article 2 de ce même nouveau décret, les entreprises éligibles à l’aide sont celles qui répondent aux critères suivants :

  • Elles ont été créées au plus tard le 30 juin 2023 ;
  • Lorsqu’elles sont constituées sous forme d’association, elles sont assujetties aux impôts commerciaux ou emploient au moins un salarié ;
  • Elles exercent une activité éligible, c’est-à-dire une activité que ne relève pas des secteurs suivants : énergie, établissement de crédit ou établissement financier ;
  • Elles disposent d’au moins un contrat de fourniture d’électricité en vigueur en 2024 signé ou renouvelé avant le 30 juin 2023
  • Elles n’ont pas déjà obtenu, au niveau du groupe, un montant d’aide supérieur aux seuils européens ;
  • Elles ne font pas l’objet de sanctions adoptées par l’Union européenne.

Pour être considérée comme grande consommatrice d’électricité, l’entreprise devra respecter les conditions fixées par le III. de l’article 2. On retiendra notamment que les charges liées à l’énergie doivent être supérieure à 3 % du chiffre d’affaires et que les énergies considérées sont, selon le cas, le gaz naturel, l’électricité, la chaleur ou le froid produits à partir de gaz naturel ou d’électricité, à l’exclusion de tout autre produit énergétique.

En deuxième lieu, l’article 3 du décret fixe la procédure à suivre pour bénéficier de l’aide. Les entreprises devront déposer une demande d’octroi de l’aide par voie dématérialisée au plus tard le 31 mai 2024. La direction générale des finances publiques notifiera alors, le 30 juin 2024 au plus tard, à l’entreprise éligible son droit à bénéficier de l’aide prévue en application du décret commenté, sous réserve qu’elle respecte les conditions fixées par le décret. Les entreprises considérées comme éligible par la direction générale des finances publiques devront déposer pour chacun des trimestres de l’année 2024 une demande de versement de l’aide si elles remplissent les critères d’éligibilité définis par le présent décret au titre du trimestre considéré. Les dates de dépôt des demandes de versement sont précisées par l’article 4 du décret.

En troisième lieu et dernier lieu, les articles 5, 6 et 7 du décret fixent des conditions supplémentaires à remplir pour les entreprises demandeuses.

Modification des objectifs de développement du photovoltaïque dans l’arrêté tarifaire S21

CRE, nouveaux tarifs et primes relatifs aux installations photovoltaïques implantées sur bâtiment, hangar, ou ombrière, d’une puissance crête installée inférieure ou égales à 500 kW

Par un arrêté en date du 5 mars 2024, le ministre de l’Economie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique a modifié l’arrêté du 6 octobre 2021 fixant les conditions d’achat de l’électricité produite par les installations implantées sur bâtiment, hangar ou ombrière utilisant l’énergie solaire photovoltaïque, dit « arrêté tarifaire S21 ». Le principal apport de l’arrêté est de réhausser les objectifs trimestriels de développement en MW soutenus de l’arrêté tarifaire S21 dans le but d’éviter à l’avenir une application trop brutale des coefficients de dégressivité.

Pour rappel, les tarifs d’achat de l’électricité dans les contrats d’obligation d’achat sont affectés d’un mécanisme de dégressivité. Le mécanisme de dégressivité se compose de deux coefficients d’évolution trimestriels calculés pour chaque segment de puissance : 0-9 kWc, 9-100 kWc et 100-500 kWc. Le premier coefficient de dégressivité, dit « coefficient de dégressivité normale », consiste en un pourcentage d’évolution tarifaire qui prend la forme d’une courbe dont les valeurs dépendent de l’atteinte des objectifs de développement d’un segment de puissance selon le développement effectivement constaté. Le second coefficient de dégressivité, dit « coefficient de dégressivité d’urgence », s’applique si les deux conditions cumulatives suivantes sont remplies :

  • la puissance cumulée de volumes développés sur le dernier trimestre civil complet (le 4ème trimestre 2023 pour le calcul de la dégressivité d’urgence applicable ou non au trimestre tarifaire n° 9 février-avril 2024) dépasse le quadruple des objectifs trimestriels ;
  • la puissance cumulée de volumes développés (CDR/DCR) depuis début 2023 dépasse les objectifs cumulés cibles sur cette même période.

Si les deux conditions sont remplies le coefficient d’urgence baisse de -10,2 % les tarifs d’achat en totalité et les primes à l’investissement. Or, le rythme de développement de projets photovoltaïques bénéficiant de l’arrêté tarifaire S21 avait augmenté de sorte que les deux conditions susvisées relatives au dépassement des objectifs de développement allaient être remplies et le coefficient de dégressivité d’urgence aurait été applicable au trimestre tarifaire n° 9. En augmentant les objectifs trimestriels de développement, le ministre assure que, pour les tranches 0-9 kWc et 100-500 kWc, la dégressivité tarifaire d’urgence ne sera pas appliquée pour le trimestre tarifaire n° 9 portant sur la période du 1er février 2024 au 30 avril 2024. Par ailleurs, il convient de noter que la Commission de régulation de l’énergie a à son tour communiqué les nouveaux tarifs. Ces tarifs sont disponibles en open data sur le site de la CRE.

Publication de la loi visant à faciliter la mise à disposition aux régions du réseau national non concédé

La loi visant à faciliter la mise à disposition aux régions du réseau national non concédé a été publiée le 23 mars 2024 au Journal officiel. Pour mémoire, l’article 40 de la loi n° 2022-217 du 21 février 2022 dite « 3DS » prévoit que, les régions peuvent participer, à titre expérimental et pour une durée de huit ans, à la mise à disposition des autoroutes, routes et portions de voies non concédées relevant du domaine public routier national situées sur leur territoire. Les régions Auvergne-Rhône-Alpes, Grand Est et Occitanie se sont par suite portées volontaires et la liste des autoroutes, routes et portions de voies mises à leur disposition a été déterminée par une décision du ministre des Transports en date du 4 janvier 2023. La loi du 22 mars 2024 modifie et complète l’article 40 précité en prévision de la mise en œuvre de l’expérimentation.

En premier lieu, le texte précise que sur le domaine public routier mis à la disposition des régions le président du conseil régional exerce les attributions qu’il exerce sur le domaine régional, lesquelles recouvrent les procédures d’utilisation et de conservation du domaine public routier.

En deuxième lieu, afin de rendre l’expérimentation pleinement opérationnelle, l’article unique de la loi du 22 mars 2024 instaure la faculté pour l’exécutif régional de déléguer sa signature aux services routiers de l’Etat. Comme expliqué par le rapport de la commission des lois sur la proposition de loi visant à faciliter la mise à disposition aux régions du réseau routier national non concédé, les contraintes opérationnelles liées à la gestion des routes nationales rendent nécessaires d’instaurer une possibilité de délégation et de subdélégation de signature par l’exécutif régional aux agents de l’Etat mis à disposition des régions[1]. A ce titre, le dispositif prévu par la nouvelle loi prévoit une délégation de signature à trois niveaux :

  • D’abord, le président du conseil régional peut, pour l’exercice de ses attributions propres ou de celles qu’il a reçues par délégation du conseil régional, par arrêté, donner délégation de signature, sous sa surveillance et sous sa responsabilité, aux chefs des services ou des parties de services mis à disposition ainsi qu’aux agents de l’Etat qui exercent au sein de ces services des fonctions de responsabilité au niveau territorial ou fonctionnel ;
  • Ensuite, lorsque le président du conseil régional délègue une partie de ses fonctions aux vice-présidents ou à d’autres membres du conseil régional, le délégataire peut, sauf disposition contraire dans l’arrêté de délégation de fonction, subdéléguer la signature des actes relatifs à la fonction déléguée aux chefs des services ou des parties de services mis à disposition ainsi qu’aux agents de l’Etat qui exercent au sein de ces services des fonctions de responsabilité au niveau territorial ou fonctionnel ;
  • Enfin, les délégataires et subdélégataires peuvent, sauf disposition contraire dans l’acte de délégation ou de subdélégation, subdéléguer leur signature aux agents de l’Etat qui exercent au sein de leur service des fonctions de responsabilité au niveau territorial ou fonctionnel.

En dernier lieu, conformément aux dispositions de l’article 40 précité, les modalités de mise à disposition des routes doit faire l’objet d’une convention conclue entre l’Etat et chaque région volontaire. Le délai prévu pour la passation de ces conventions, auparavant fixé à huit mois, est étendu à seize mois par la loi du 22 mars 2024.

 

[1] Rapport fait au nom de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, sur la proposition de loi visant à faciliter la mise à disposition aux régions du réseau routier national non concédé, n° 1959, présenté par M. David Valence, le 22 janvier 2024.

Décret tertiaire : parution de l’arrêté « valeurs absolues 4 »

Un arrêté relatif aux modalités d’application des obligations d’actions de réduction des consommations d’énergie dans les bâtiments à usage tertiaire a été publié au Journal officiel le 14 mars 2024. Le texte fixe les objectifs en valeurs absolues pour l’horizon 2023 de nouvelles catégories d’activités tertiaires : logistique de température ambiante, blanchisserie dite « industrielle », centres hospitaliers, établissements pénitentiaires, établissements médico-sociaux, protection judiciaire de la jeunesse, sports. Pour rappel, le décret du 23 juillet 2019 n° 2019-771 dit « décret tertiaire », codifié aux articles R. 174-22 à R. 174-32 et R. 185-2 du Code de la construction et de l’habitation, instaure des obligations d’actions de réduction de la consommation d’énergie finale d’au moins 40 % en 2030, 50 % en 2040 et 60 % en 2050 par rapport à 2010, dans les bâtiments à usage tertiaire, dont la surface de plancher est supérieure ou égale à 1000m². Les modalités d’application de ces obligations sont précisées par un premier arrêté en date du 10 avril 2020, complété et modifié par l’arrêté du 20 février 2024 ici commenté.

En premier lieu, ce nouveau texte s’attache à définir les notions nécessaires à la mise en œuvre des obligations découlant du décret tertiaire telles que les notions d’année de référence, de surface de consommations énergétiques, de consommation énergétique de référence, de niveau de consommation exprimé en valeur relative (noté Crelat), de niveau de consommation exprimé en valeur absolue (noté Cabs), de dossier technique, de plateforme de recueil et de suivi (dont la dénomination est désormais uniformisée « plateforme OPERAT ») et d’étalon (article 2 de l’arrêté du 10 avril 2020 modifié par arrêté du 20 février 2024 – Art. 2).

En deuxième lieu, l’arrêté du 20 février 2024 précise les modalités de détermination de l’année de référence et de la consommation énergétique de référence. D’abord, l’année de référence, c’est-à-dire, les douze mois durant lesquels la consommation énergétique de référence est considérée (article 2 de l’arrêté du 10 avril 2020 modifié par arrêté du 20 février 2024 – Art. 2), est comprise entre 2010 et 2022, ou correspond à la première année pleine d’exploitation dont les consommations énergétiques sont remontées sur la plateforme OPERAT (article 3 de l’arrêté du 10 avril 2020 modifié par arrêté du 20 février 2024 – Art. 4). Ensuite, à défaut de renseignement portant sur l’année de référence avant le 30 septembre 2027, la consommation énergétique de référence, c’est-à-dire, la consommation d’énergie finale du bâtiment, de la partie de bâtiment ou de l’ensemble de bâtiments à usage tertiaire, constatée pour une année pleine d’exploitation et ajustée en fonction des variations climatiques selon une méthode définie par arrêté pris par les ministres chargés de la Construction, de l’énergie et des outre-mer (article R. 174-23 du Code de la construction et de l’habitation), correspond à la consommation de la première année pleine d’exploitation dont les consommations énergétiques sont remontées sur la plateforme OPERAT (article 3 de l’arrêté du 10 avril 2020 modifié par arrêté du 20 février 2024 – Art. 4).

En troisième lieu, l’article 4 de l’arrêté du 20 février 2024 indique les modalités de déclaration de la consommation de référence devant être effectuée afin de bénéficier de la prise en compte des consommations de l’année de référence lors d’un changement d’assujetti (nouveau contrat de bail, acquisition). A ce titre, les assujettis déclarent la ou les entités fonctionnelles assujetties auxquelles ils succèdent, appelées « EFA liées », en renseignant :

  • le numéro d’identification de ces entités fonctionnelles assujetties provenant de la plateforme OPERAT, fourni par les assujettis auxquels ils succèdent ;
  • les surfaces concernées pour chaque entité fonctionnelle assujettie à laquelle ils succèdent ;
  • le cas échéant, la date de début de propriété.

Le texte précise qu’à défaut, l’année de référence ne pourra être antérieure à la date de changement d’assujetti (article 3 de l’arrêté du 10 avril 2020 modifié par arrêté du 20 février 2024 – Art. 4).

En quatrième lieu, l’annexe de l’arrêté du 20 février 2024 introduit les valeurs absolues des nouvelles activités tertiaires. Ces valeurs absolues sont représentatives des bâtiments et reposent pour chaque catégorie d’activité sur deux sous-ensembles de valeurs qui sont : « CVC » (chauffage, ventilation, climatisation) et « USE » (autres postes de consommation dépendants de l’intensité d’usage du bâtiment) (arrêté du 20 février 2024 – Annexe). A cet égard, le niveau de consommation exprimé en valeur absolue (comme le niveau de consommation exprimé en valeur relative) est désormais exprimé en kWh/m2/an de surface de consommations énergétiques (article 3 de l’arrêté du 10 avril 2020 modifié par arrêté du 20 février 2024 – Art. 4) selon les sous-catégories des activités concernées et l’ensemble des usages énergétiques (arrêté du 20 février 2024 – Annexe).

En dernier lieu, le texte supprime les mesures particulières dérogeant aux principes méthodologiques généraux et introduites à l’occasion de la crise sanitaire (article 17 de l’arrêté du 10 avril 2020 modifié par arrêté du 20 février 2024 – Art. 9).

Aide publique : rejet du recours contre la mise en œuvre d’une aide exceptionnelle de 100 millions d’euros aux autorités organisatrices de la mobilité en tant qu’elle exclut les régions de son champ d’application

Par un arrêt en date du 21 mars 2024, le Conseil d’État rejette le recours intenté par la région Auvergne-Rhône-Alpes contre l’arrêté du ministre délégué aux Transports du 18 avril 2023 relatif à la mise en œuvre d’une aide exceptionnelle de 100 millions d’euros aux autorités organisatrices de la mobilité. Cet arrêt est l’occasion pour le Conseil d’État de rappeler le champ du pouvoir règlementaire des ministres.

En l’espèce, afin de permettre aux autorités organisatrices de la mobilité (ci-après, « AOM ») de faire face à la hausse des prix de l’énergie, le législateur a adopté un dispositif d’aide au profit de ces dernières. La loi n° 2022-1726 de finances pour 2023 a consacré une aide exceptionnelle prenant la forme d’une augmentation des crédits du programme « infrastructures et services de transports » d’une somme de 300 millions d’euros.

Par un arrêté en date du 18 avril 2023, le ministre délégué chargé des Transports a défini le champ et les conditions de versement de l’aide aux AOM hors Ile-de-France. Cet arrêté excluait toutefois les régions du champ d’application de cette aide exceptionnelle. La Région Auvergne-Rhône-Alpes a donc introduit un recours en excès de pouvoir pour demander l’annulation partielle de l’arrêté en tant qu’il n’étendait pas « le dispositif d’aide qu’il institue aux régions, d’une part, en qualité d’autorités organisatrices de la mobilité régionale au titre de l’article L. 1231-3 du Code des transports et, d’autre part, en qualité d’autorités organisatrices de la mobilité au titre du II de l’article L. 1231-1 du même code ». Cette demande a conduit le Conseil d’État à se saisir d’un moyen d’office relatif à la compétence même du ministre délégué chargé des Transports pour adopter un tel arrêté.

En effet, ce dernier agit sur délégation du ministre de la Transition Ecologique et de la cohésion des territoires et ledit ministre n’était tout simplement pas compétent pour définir les conditions et modalités d’attribution d’une aide aux autorités organisatrices de la mobilité. Ainsi que le rappelle le rapporteur public, Clément Malverti, dans ses conclusions sur cette affaire, la Constitution de 1958 ne reconnaît pas un pouvoir réglementaire autonome aux ministres. Un ministre « n’est susceptible d’édicter des normes générales et impersonnelles que dans deux d’hypothèses : soit en vertu d’une délégation, législative ou réglementaire, soit, sur le fondement du pouvoir [d’organisation du service], afin d’adopter des mesures nécessaires au bon fonctionnement de l’administration placée sous son autorité et dans la seule mesure où l’exige l’intérêt du service »[1]. Or, la définition du champ d’application de l’aide ne pouvait se rattacher à aucun de ces fondements.

Le Conseil d’État juge également que le ministre ne pouvait pas davantage fonder sa compétence sur les crédits qui lui ont été confiés par la loi de finances pour 2023 et de son décret de répartition du 30 décembre 2022. En effet, les « inscriptions budgétaires de dépenses des lois de finances et des décrets de répartition ont uniquement pour objet et pour effet d’ouvrir à l’administration les crédits nécessaires aux mesures qui relèvent de sa compétence, et non d’attribuer aux ministres une compétence pour prendre celles-ci »[2]. Confronté à cette incompétence du ministre de la Transition Ecologique et de la cohésion des territoires et par extension du ministre délégué, le Conseil d’État ne pouvait toutefois pas annuler l’arrêté querellé puisque cela l’aurait conduit à statuer ultra petita ; la requérante contestant uniquement l’arrêté en tant qu’il n’étendait pas le champ d’application de l’aide aux régions.

En outre, le Conseil d’État ne pouvait pas davantage faire droit à la demande de la requérante. En effet, en toute rigueur, elle ne pouvait utilement contester la décision ministérielle en tant qu’elle n’étendait pas le dispositif de l’aide. Ainsi qu’il a été exposé, le ministre ne disposait pas de la compétence pour définir le champ de cette aide, il n’était donc pas, a fortiori, compétent pour étendre le champ de cet aide aux régions. Partant, la critique de la requérante était nécessairement infondée et le Conseil d’État rejette le recours de la Région Auvergne-Rhône-Alpes.

 

[1] C. Malverti, Ccls. sous CE, 21 mars 2024, Région Auvergne-Rhône-Alpes, n° 475310.

[2] CE, 21 mars 2024, Région Auvergne-Rhône-Alpes, n° 475310.

Droit pénal de l’environnement : les enquêteurs de l’Office français de la biodiversité peuvent visiter les exploitations agricoles sans information préalable du Parquet de la République

Dans un arrêt rendu en formation plénière le 16 janvier 2024, la Chambre criminelle est venue préciser les contours des dispositions de l’article L. 172-5 du Code de l’environnement qui fixe les conditions de visite des lieux par les inspecteurs de l’environnement dans le cadre des enquêtes qui leur sont confiées. En l’espèce, des agents de l’Office français de la biodiversité (OFB) avaient procédé à une visite d’une exploitation agricole dans le cadre d’une enquête ouverte du chef de destruction d’espèces protégées – des tortues d’Hermann – à l’encontre de l’occupant des lieux qui leur faisait le grief d’y avoir procédé sans en informer préalablement le Parquet de la République. Il sera rappelé qu’une telle information est requise par les dispositions susvisées notamment pour l’accès aux locaux professionnels qui ne peut au demeurant intervenir en dehors des horaires de perquisition, savoir avant 6 heures et après 21 heures.

La Cour d’appel de Bastia avait écarté ce moyen de nullité, dans un arrêt en date du 12 janvier 2022, en faisant une interprétation très stricte de l’article L. 172-5 du Code de l’environnement, estimant que les terres agricoles ne constituent pas des « établissements, locaux professionnels et installations dans lesquels sont réalisées des activités de production, de fabrication, de transformation d’utilisation, de conditionnement, de stockage, de dépôt, de transport ou de commercialisation » ; dès lors, l’information préalable du ministère public n’était pas requise – ce que la Cour de cassation a confirmé. A l’occasion de cette décision, la Chambre criminelle a également précisé la définition de domicile – dont la visite doit également répondre à des strictes exigences procédurales – en retenant que « la seule circonstance qu’un terrain agricole est clos et raccordé à l’eau courante ne suffit pas à lui conférer le caractère d’un domicile ».

Enfin, cette décision rendue en plénière a également été l’occasion pour la Cour de rappeler la nécessité de respecter les formalités prévues pour les auditions et fixées par les dispositions de l’article L. 172-8 du Code de l’environnement (rédaction d’un procès-verbal, relecture du déposant, signature etc.), dans le cadre des enquêtes en droit pénal environnemental. Si le requérant n’a pas été suivi dans sa demande d’annulation d’un procès-verbal se contentant de retranscrire dans un style indirect les déclarations de son ouvrier – faute d’être en mesure de contester l’exactitude de la retranscription -, la Chambre criminelle a considéré qu’un tel recueil était soumis aux exigences procédurales de l’article susvisé.

Ciel unique européen : ou l’art de la politique des petits pas au niveau européen ?

Le transport aérien est une composante importante et stratégique du marché intérieur de l’Union européenne. Il permet la mobilité des personnes et des biens et fait progresser la croissance économique. Or, bien que le principe du transport aérien soit de nature internationale, il a toujours été géré au niveau national. Ainsi, historiquement, l’espace aérien de l’Union européenne est organisé autour des frontières des Etats membres (27 actuellement). Chaque Etat membre est souverain de son espace aérien et a sa propre approche et organisation dans la gestion du trafic aérien.

Résultat : l’espace aérien européen est particulièrement fragmenté en ce que de nombreuses zones aériennes coexistent et cela n’est pas sans conséquences :

  • Les temps de vols sont allongés ou retardés car les avions n’empruntent pas les chemins aériens les plus courts pour arriver à destination ;
  • Ce rallongement engendre une consommation de carburant et des émissions de CO2 plus élevées ;
  • Cela engendre des surcoûts se comptant en milliards d’euros chaque année.

Pour tenter de résoudre ces problématiques, l’initiative « Ciel unique européen » a vu le jour.

1. Le Ciel unique européen : qu’est-ce que c’est ?

C’est en 1999 que la Commission Européenne a lancé l’initiative du Ciel unique européen (CUE) pour :

  • Réduire la fragmentation de l’espace aérien de l’Union européenne, en supprimant les frontières nationales afin de permettre la création de routes plus courtes, directes et moins énergivores ;
  • Rationnaliser la façon dont l’espace aérien est organisé et obtenir des améliorations en termes de sécurité, de capacité, de rentabilité et d’impact environnemental.

Pour ce faire, l’Union européenne a mis en place, dès 2004, deux paquets législatifs globaux relatifs à la gestion du trafic aérien appelés communément « CUE I » du 10 mars 2004, et « CUE II » du 21 octobre 2009 comportant quatre règlements[1]. Et ses objectifs étaient les suivants :

  • La mise en place de “blocs fonctionnels d’espace aérien” permettant au secteur aérien de s’affranchir, du point de vue du contrôle aérien, tant civil que militaire, des frontières entre Etats afin d’optimiser les flux de trafic aérien et d’augmenter l’efficacité de ces prestataires en Europe. Leur création nécessitait un accord mutuel entre les États membres et est un élément clé et une des conditions du succès dans la mise en place du Ciel Unique Européen ;
  • Le programme de recherche et de développement SESAR[2], qui a pour objectif d’harmoniser et à moderniser les systèmes et procédures de gestion du trafic aérien dans l’ensemble de l’Europe ;
  • La mise en place d’organismes nationaux de surveillance indépendants.

Cependant, depuis lors, la Commission n’a pu que constater que les objectifs n’étaient pas atteints.

  • En 2009, le Ciel Unique européen 2 est adopté mais les résultats restent limités.
  • En 2013, la Commission engage de nouvelles négociations pour un Ciel Unique 2+ (CUE 2+). Ces négociations n’aboutissent pas.
  • En 2020, la Commission propose l’adoption du Ciel Unique Européen 2+ refonte (CUE 2+ Refonte) … qui vient de faire l’objet d’un accord provisoire.

2.Le Ciel unique européen : où en sommes-nous ?

En septembre 2020, la Commission a présenté sa nouvelle proposition modifiée pour le règlement relatif à la mise en œuvre du ciel unique européen en reconnaissant qu’« Il est clair que les objectifs fixés lors de la création du ciel unique européen n’ont pas été pleinement atteints dans les délais prévus. » Cette nouvelle proposition tenait compte des évolutions politiques et technologiques :

  1. Le Brexit a supprimé l’obstacle qui bloquait les négociations au Conseil sur la proposition CUE 2+ de 2013 ;
  2. L’adoption de l’Accord de Paris et du Pacte vert pour l’Europe: le besoin de réduire les émissions de CO2 provenant de l’aviation est toujours plus pressant ;
  3. Des nouvelles législations et technologies pertinentes ont vu le jour depuis 2013, telle que l’utilisation plus large des aéronefs sans pilote.

Et le 6 mars 2024, un accord provisoire a été trouvé entre des représentants du Conseil et des représentants du Parlement européen mais attention il n’est pas encore adopté ! Après plusieurs années de négociations et de blocage, le Conseil et le Parlement sont parvenus à trouver un accord sur la proposition CUE 2 + afin de faire avancer et améliorer l’initiative du Ciel unique européen.

  • L’instauration de plans de performance pour améliorer la gestion de l’espace aérien par les services de navigation aérienne, avec l’instauration d’une instance de contrôle, le comité d’examen des performances, nommé et financé par la Commission européenne ;
  • Des objectifs de performance incluant des objectifs en matière d’environnement et de climat ;
  • Une ouverture à la concurrence des services de navigation aérienne.

L’accord informel sur le Ciel unique européen doit encore être approuvé par les représentants des États membres de l’UE, puis par le Parlement et le Conseil dans son ensemble. Mais surtout, les acteurs du secteur soulignent qu’il s’agit d’un accord a minima, bien loin de ceux qu’ils pourraient souhaiter pour obtenir de véritables avancées dans le secteur.  Autrement dit, le Ciel Unique Européen 2+ n’est pas encore adopté que les professionnels rêvent déjà d’un Ciel Européen 3 …

Espérons que la Commission Européenne saura faire sienne cette formule de Nicolas Boileau « Hâtez-vous lentement et, sans perdre courage, Vingt fois sur le métier remettez votre ouvrage » !

Marion Terraux et Jennifer Obrero

 

[1] Le « règlement-cadre » qui vise à renforcer les normes de sécurité et l’efficacité globale de la circulation aérienne générale en Europe, à optimiser la capacité, et à réduire au maximum les retards. (règlement (CE) nº 549/2004 fixant le cadre pour la réalisation du ciel unique européen) ;

[2] Single European Sky Air Traffic Management Research

Le défaut de notification d’un mémoire préalablement à la saisine du juge des loyers commerciaux n’est pas régularisable

Par un arrêt récent rendu en date du 8 février 2024 et publié au Bulletin, la Cour de cassation a rappelé que le défaut de notification d’un mémoire préalablement à la saisine du juge des loyers constitue une fin de non-recevoir qui n’est pas régularisable.

En l’espèce, une société bailleresse avait donné un local à bail commercial à une locataire pour une durée de 9 ans. Après 24 ans d’occupation des locaux, la société bailleresse avait donné congé à la locataire avec offre de renouvellement à un nouveau loyer. Faute d’avoir trouvé un accord, la société bailleresse a finalement assigné la locataire 3 ans plus tard, sans lui avoir notifié de mémoire préalable. Sans surprise, la Cour d’appel de Nîmes a déclaré l’action en fixation du prix du bail renouvelé irrecevable à défaut de notification par la société bailleresse du mémoire préalable imposé par l’article R. 145-27 du Code de commerce. Cette dernière s’est donc pourvue en cassation en estimant que les deux mémoires notifiés postérieurement à son assignation avaient régularisé la procédure.

Toutefois, la Cour de cassation a rejeté ce pourvoi en réaffirmant une solution désormais bien établie : la notification de mémoires postérieurement à la saisine du juge des loyers ne peut régulariser la fin de non-recevoir tirée du défaut de notification préalable. Cette solution s’impose par la nature même de cette obligation. En effet, l’obligation de notification d’un mémoire préalable tient moins à la production d’un mémoire qu’à sa notification préalable. Admettre l’inverse reviendrait à priver cette obligation de toute substance.

Cette solution n’est pas sans rappeler le régime des clauses de médiation préalable dont la violation constitue une fin de non-recevoir qui ne peut être régularisée postérieurement à la saisine de la juridiction (Cass. Civ., 12 décembre 2014, n° 13-19.684). Elle est également redoutable puisque, outre l’obligation de réassigner après avoir notifié un mémoire préalable, elle prive l’assignation délivrée irrégulièrement de son caractère interruptif de prescription (article 2243 du Code civil). Or, la prescription biennale applicable en cette matière laisse peu de place à l’erreur (article L. 145-60 du Code de commerce).

La prudence s’impose donc doublement aux conseils dans le cadre de la fixation du loyer renouvelé.

Délaissement, ZAC, détournement de pouvoir… Un arrêt riche en enseignements

Le 31 janvier 2024, la Cour administrative de Versailles a rendu un arrêt intéressant à plusieurs titres en ce qu’il précise et illustre diverses notions juridiques : d’une part, la problématique du droit de délaissement en ZAC et la modification de son périmètre ; d’autre part, la procédure de préemption et l’avis du service des domaines estimant le prix du bien préempté.

Rappel des faits :

Dans cette affaire, il était question de la société Klécar, propriétaire de locaux commerciaux dans un centre commercial situé à la Madeleine à Chartres, dans lequel se situait également un hypermarché Carrefour. La société Klécar avait conclu, le 24 janvier 2014, une promesse de vente de ces locaux commerciaux sous la condition suspensive de purger le droit de préemption urbain. Et la société publique locale (SPL) Chartres Aménagement a décidé de préempter, après délégation du droit de préemption urbain par le maire de la commune de Chartres. La décision de préemption en date du 26 mars 2014 mentionnait un prix de 5.382.000 euros, selon l’estimation du service des domaines.

La décision de préemption de la SPL Chartres Aménagement était motivée par le projet de réalisation de l’opération d’aménagement dit du « Plateau Nord-Est » dont le périmètre – incluant le centre commercial de la Madeleine – devait correspondre au périmètre de la future ZAC du Plateau Nord-Est, créée quelques mois plus tard. En effet, la ZAC devait notamment permettre de transférer le centre commercial de la Madeleine, jugé vieillissant, au Nord de l’avenue Jean Mermoz où était envisagée la création d’un nouveau complexe commercial, ainsi que de remplacer le centre de la Madeleine par des logements. Toutefois, la préemption ayant été faite à un prix inférieur de 80 % par rapport au prix de la promesse de vente, la société Klécar a refusé de vendre ses locaux commerciaux à la SPL à ce prix, laquelle a donc saisi le juge de l’expropriation en juin 2014 en vue de faire fixer le prix du bien. En cours de procédure de fixation judiciaire du prix, la SPL a cependant notifié, le 8 février 2016, sa renonciation à la préemption. La procédure devant le juge de l’expropriation en fixation du prix n’a donc pas abouti. La procédure aurait donc pu s’en arrêter là, cependant, le 24 juillet 2017, la société Klécar a mis en œuvre son droit de délaissement, ses locaux commerciaux étant compris au sein de la ZAC, et a donc invité la commune à les acquérir.  Faute d’accord amiable dans le délai d’un an à compter de l’exercice du droit de délaissement, la société Klécar a saisi le juge de l’expropriation le 6 août 2018 afin qu’il prononce le transfert de propriété au profit de la Commune et fixe le prix de vente consécutif au délaissement.

Dans ce contexte, postérieurement à l’exercice par la société Klécar de son droit de délaissement, et avant la saisine du juge de l’expropriation, la commune a décidé de lancer une procédure de modification du périmètre de la ZAC pour en exclure le centre commercial de la Madeleine. Cette modification a été entérinée par délibération du 23 mai 2019. La société Klécar a alors exercé un recours pour excès de pouvoir à l’encontre de la délibération portant modification du périmètre de la ZAC devant le Tribunal administratif d’Orléans. En effet, cette délibération l’excluant de la ZAC, elle remettait en cause le principe même de son droit de délaissement. En parallèle, la société Klécar a sollicité du juge de l’expropriation qu’il prononce un sursis à statuer dans l’attente du jugement du Tribunal administratif. Plus encore, estimant illégale la décision de préemption, la société Klécar a également saisi le Tribunal administratif d’un recours indemnitaire à l’encontre de la SPL et la commune aux fins de l’indemniser de son manque à gagner. Enfin, la société Klécar a engagé devant ce même Tribunal la responsabilité de l’Etat en raison de la faute du service des domaines lors de l’estimation du prix du bien.

Par trois jugements du 7 décembre 2021, le Tribunal administratif d’Orléans a rejeté :

  • le recours en annulation de la société Klécar contre la délibération excluant le centre commercial – au sein duquel elle détient des locaux commerciaux – du périmètre de la ZAC (1.) ;
  • le recours indemnitaire de la société Klécar à l’encontre de la SPL et de la commune pour son manque à gagner (2.), ainsi que pour faute de l’Etat du fait de l’avis du service des domaines (3.), car le Tribunal a jugé que la société n’avait pas établi la réalité de ses préjudices.

La société Klécar a alors interjeté appel de ces trois jugements devant la Cour administrative d’appel de Versailles qui a rendu son arrêt le 31 janvier 2024. C’est l’arrêt ci-après commenté.

I. Sur l’annulation du jugement ayant rejeté la requête tendant à l’annulation de la délibération emportant modification du périmètre de la ZAC

En appel, la Cour a considéré que la modification du périmètre de la ZAC, quelques mois après la mise en œuvre par la société Klécar de son droit de délaissement auprès de la commune, avait pour objectif de faire obstacle au droit de délaissement de la société Klécar, car le prix du bien, qui devait être initialement fixé par le juge de l’expropriation selon la méthode de valorisation par capitalisation de revenu, méthode traditionnellement appliquée, allait vraisemblablement être bien supérieur de dix voire quinze millions par rapport à l’estimation de l’avis du service des domaines selon la méthode de comparaison réalisée, ayant justifié initialement la décision de préemption. Sur ce point, la Cour a rappelé que la commune faisait valoir que la modification du périmètre de la ZAC était justifiée par le fait que son projet aurait évolué compte tenu notamment de ce que le secteur fera l’objet d’une opération de renouvellement urbain (ORT) liée au dispositif « Action Cœur de Ville ».

Toutefois, la Cour relève qu’à la date de la délibération arrêtant le principe de la modification du périmètre de la ZAC, la commune n’avait réalisé aucune étude sur cette nouvelle opération d’aménagement, et que le dossier de création de la ZAC modifié ne comprenait pas davantage d’étude d’impact de la modification du périmètre envisagée, et la Cour a d’ailleurs relevé que ce dossier était particulièrement lapidaire sur les motifs justifiant la modification du périmètre excluant la Madeleine.

En outre, la Cour a jugé qu’il ne ressortait pas des pièces du dossier que le projet de transfert du centre commercial de la Madeleine dans le nouveau complexe prévu au Nord de l’avenue Jean Mermoz avait été abandonné à la date de la délibération litigieuse modifiant le périmètre. Et la Cour précise que la commune n’a jamais expliquée comment elle entendait procéder au transfert des commerces en excluant le centre commercial de la Madeleine de la ZAC, ni en quoi cette modification du périmètre était de nature à simplifier la réalisation de ce transfert des commerces ou de l’opération d’aménagement.

De plus, selon la Cour, aucun élément ne corrobore une quelconque modification du projet sur le centre commercial de la Madeleine qui devait être transformé en logements. Plus encore, la commune soutenait que la modification du périmètre de la ZAC avait été décidée en raison de l’abandon par la société liée par la promesse de vente avec la société Klécar de son projet de création d’un complexe commercial à la suite de l’avis défavorable de la commission nationale d’aménagement commercial (CNAC). Or, selon la Cour, ces déclarations du maire n’étaient pas corroborées par des pièces du dossier car la société qui devait acquérir les biens de la société Klécar n’avait abandonné son projet qu’en 2019, soit un an après le lancement de la modification du périmètre de la ZAC et trois ans après la décision de la CNAC.

Enfin, la Cour confirme qu’une modification du périmètre compte tenu de l’impossibilité pour une commune d’assurer le financement de l’opération, notamment en raison du décalage entre les sources de financement et la mise en œuvre du droit de délaissement par les propriétaires dont les biens sont compris au sein de la ZAC, est possible. Cependant, la Cour a remarqué, en l’espèce, d’une part, qu’un tel motif n’a jamais été évoqué par la Commune pour justifier la modification du périmètre de la ZAC, et, d’autre part, que le projet d’aménagement n’avait pas été modifié.

Par conséquent, pour toutes ces raisons, la Cour administrative d’appel de Versailles a jugé que la modification du périmètre de la ZAC a été décidée par la commune dans l’unique but de faire obstacle au droit de délaissement de la société Klécar et est donc entachée d’un détournement de pouvoir. Le jugement de première instance a donc été annulé. En conséquence, la délibération doit être considérée comme ayant toujours existé, de sorte que la société Klécar retrouve son droit de délaissement, et le juge de l’expropriation doit désormais constater le transfert de propriété des biens de la société Klécar vers la commune et doit en fixer le prix.

II. Sur l’annulation du jugement ayant rejeté le recours de plein contentieux tendant à l’engagement de la responsabilité de la commune et de la SPL pour la préemption

A tout préalable, la Cour rappelle que la circonstance qu’un requérant se serait désisté d’un recours en annulation à l’encontre d’une décision de préemption, lequel correspond à un simple désistement d’instance, n’empêche pas ledit requérant d’exercer un recours indemnitaire à l’encontre de l’auteur de la décision de préemption devant le juge administratif de plein contentieux. Au fond, la Cour rappelle que la circonstance que la décision de préemption était fondée sur un projet d’aménagement pour lequel la ZAC n’était pas encore créée à la date de la décision de préemption, mais a été actée trois mois plus tard, n’est pas de nature à remettre en cause la réalité du projet d’aménagement qui s’apprécie à la date de la décision de préemption.

Ensuite, la Cour considère que la décision de préemption n’avait pas pour objet de mettre fin à l’activité économique du centre commercial de la Madeleine mais de le transférer au Nord de l’avenue Jean Mermoz dans le cadre d’un projet de réaménagement de la ZAC, et remplacer le centre commercial de la Madeleine par des logements. A cet égard, la Cour estime qu’un tel objectif répond aux finalités de l’article L.300-1 du Code de l’urbanisme.

En outre, la Cour relève également que la circonstance que l’avis des Domaines était de 80 % inférieur au prix de la promesse de vente – et était manifestement sous-évalué – est, par elle-même, sans incidence sur la légalité de la décision de préemption et ne révèle pas l’absence d’intérêt général du projet.

Enfin, selon la Cour, l’objectif de la préemption n’était pas d’acquérir le bien mais d’empêcher la réalisation de la promesse de vente afin que l’hypermarché soit implanté dans le futur centre commercial souhaité par la commune a des conditions financières plus avantageuses. En particulier, la Cour rappelle ici le fait que la commune et la SPL ont disposé de deux évaluations des services des domaines particulièrement avantageuses selon la méthode de comparaison, méthode qui est pourtant rarement appliquée dans ce type de vente. Le prix de la préemption suivant l’avis des domaines correspondait en effet à 1/5ème du prix de la promesse de vente. Aussi, la Cour a relevé que la commune avait déjà acté avec Carrefour l’installation d’un hypermarché dans son nouveau centre commercial, de sorte que le transfert du centre commercial paraissait inéluctable.

Par conséquent, la Cour a jugé que la société Klécar était fondée à soutenir que la décision de préemption n’avait pas pour objet d’acquérir le bien mais de rompre la promesse de vente qu’elle avait conclue avec une autre société pour la vente de ses locaux commerciaux, de manière à pouvoir acquérir ultérieurement son bien à moindre coût et, de façon générale, à tirer vers le bas les prix de toutes les acquisitions à venir dans cette zone de la Madeleine.  La décision de préemption est donc entachée d’un détournement de pouvoir de nature à engager la responsabilité à la fois de la SPL et de la commune. La responsabilité solidaire de la SPL et de la commune pouvait donc être engagée.

III. Sur l’annulation du jugement ayant rejeté la requête en responsabilité pour faute de l’Etat du fait de la méthode d’évaluation retenue par le service des domaines

Pour rappel, le prix de la décision de préemption a été pris sur la base d’une estimation du service des domaines à 5,3 millions d’euros, conformément à la méthode d’évaluation par comparaison. Or, la Cour a relevé que cette méthode d’évaluation n’était pas pertinente en l’espèce car une telle vente est en réalité évaluée par application de la méthode de la valorisation par capitalisation du revenu. A ce titre, la Cour rappelle que les services des domaines avaient évalué le bien en 2018 selon la méthode par capitalisation de revenu pour aboutir à une évaluation de 15,3 millions d’euros, soit près de trois fois le prix découlant des avis de 2012 et 2014 fondés sur la méthode par comparaison, sans que la différence ne puisse s’expliquer par la seule date d’évaluation.

Au surplus, la Cour a relevé que les biens ayant servi de termes de comparaison n’étaient généralement pas appropriés car ne se situaient pour la plupart pas dans des galeries commerciales. Partant, la Cour a considéré qu’en s’abstenant d’évaluer les biens de la société Klécar selon la méthode de la valorisation par capitalisation du revenu ou, du moins, en s’abstenant de croiser l’évaluation réalisée selon la méthode par comparaison avec celle de la valorisation par capitalisation du revenu, le service des domaines avait commis une faute de nature à engager la responsabilité de l’Etat.

La Cour a retenu l’Etat, d’une part, la SPL et la commune, d’autre part, comme étant responsables à 50 % chacun du préjudice subi par la société Klécar. Quant à l’évaluation des préjudices de la société Klécar, la Cour administrative d’appel de Versailles a prononcé un sursis à statuer le temps que le juge de l’expropriation prononce le transfert de propriété et fixe le prix résultant de l’exercice du droit de délaissement.