Mobilité et transports
le 04/04/2024
Marion TERRAUX
Jennifer OBRERO

Ciel unique européen : ou l’art de la politique des petits pas au niveau européen ?

Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, Article 100, paragraphe 2

Le transport aérien est une composante importante et stratégique du marché intérieur de l’Union européenne. Il permet la mobilité des personnes et des biens et fait progresser la croissance économique. Or, bien que le principe du transport aérien soit de nature internationale, il a toujours été géré au niveau national. Ainsi, historiquement, l’espace aérien de l’Union européenne est organisé autour des frontières des Etats membres (27 actuellement). Chaque Etat membre est souverain de son espace aérien et a sa propre approche et organisation dans la gestion du trafic aérien.

Résultat : l’espace aérien européen est particulièrement fragmenté en ce que de nombreuses zones aériennes coexistent et cela n’est pas sans conséquences :

  • Les temps de vols sont allongés ou retardés car les avions n’empruntent pas les chemins aériens les plus courts pour arriver à destination ;
  • Ce rallongement engendre une consommation de carburant et des émissions de CO2 plus élevées ;
  • Cela engendre des surcoûts se comptant en milliards d’euros chaque année.

Pour tenter de résoudre ces problématiques, l’initiative « Ciel unique européen » a vu le jour.

1. Le Ciel unique européen : qu’est-ce que c’est ?

C’est en 1999 que la Commission Européenne a lancé l’initiative du Ciel unique européen (CUE) pour :

  • Réduire la fragmentation de l’espace aérien de l’Union européenne, en supprimant les frontières nationales afin de permettre la création de routes plus courtes, directes et moins énergivores ;
  • Rationnaliser la façon dont l’espace aérien est organisé et obtenir des améliorations en termes de sécurité, de capacité, de rentabilité et d’impact environnemental.

Pour ce faire, l’Union européenne a mis en place, dès 2004, deux paquets législatifs globaux relatifs à la gestion du trafic aérien appelés communément « CUE I » du 10 mars 2004, et « CUE II » du 21 octobre 2009 comportant quatre règlements[1]. Et ses objectifs étaient les suivants :

  • La mise en place de “blocs fonctionnels d’espace aérien” permettant au secteur aérien de s’affranchir, du point de vue du contrôle aérien, tant civil que militaire, des frontières entre Etats afin d’optimiser les flux de trafic aérien et d’augmenter l’efficacité de ces prestataires en Europe. Leur création nécessitait un accord mutuel entre les États membres et est un élément clé et une des conditions du succès dans la mise en place du Ciel Unique Européen ;
  • Le programme de recherche et de développement SESAR[2], qui a pour objectif d’harmoniser et à moderniser les systèmes et procédures de gestion du trafic aérien dans l’ensemble de l’Europe ;
  • La mise en place d’organismes nationaux de surveillance indépendants.

Cependant, depuis lors, la Commission n’a pu que constater que les objectifs n’étaient pas atteints.

  • En 2009, le Ciel Unique européen 2 est adopté mais les résultats restent limités.
  • En 2013, la Commission engage de nouvelles négociations pour un Ciel Unique 2+ (CUE 2+). Ces négociations n’aboutissent pas.
  • En 2020, la Commission propose l’adoption du Ciel Unique Européen 2+ refonte (CUE 2+ Refonte) … qui vient de faire l’objet d’un accord provisoire.

2.Le Ciel unique européen : où en sommes-nous ?

En septembre 2020, la Commission a présenté sa nouvelle proposition modifiée pour le règlement relatif à la mise en œuvre du ciel unique européen en reconnaissant qu’« Il est clair que les objectifs fixés lors de la création du ciel unique européen n’ont pas été pleinement atteints dans les délais prévus. » Cette nouvelle proposition tenait compte des évolutions politiques et technologiques :

  1. Le Brexit a supprimé l’obstacle qui bloquait les négociations au Conseil sur la proposition CUE 2+ de 2013 ;
  2. L’adoption de l’Accord de Paris et du Pacte vert pour l’Europe: le besoin de réduire les émissions de CO2 provenant de l’aviation est toujours plus pressant ;
  3. Des nouvelles législations et technologies pertinentes ont vu le jour depuis 2013, telle que l’utilisation plus large des aéronefs sans pilote.

Et le 6 mars 2024, un accord provisoire a été trouvé entre des représentants du Conseil et des représentants du Parlement européen mais attention il n’est pas encore adopté ! Après plusieurs années de négociations et de blocage, le Conseil et le Parlement sont parvenus à trouver un accord sur la proposition CUE 2 + afin de faire avancer et améliorer l’initiative du Ciel unique européen.

  • L’instauration de plans de performance pour améliorer la gestion de l’espace aérien par les services de navigation aérienne, avec l’instauration d’une instance de contrôle, le comité d’examen des performances, nommé et financé par la Commission européenne ;
  • Des objectifs de performance incluant des objectifs en matière d’environnement et de climat ;
  • Une ouverture à la concurrence des services de navigation aérienne.

L’accord informel sur le Ciel unique européen doit encore être approuvé par les représentants des États membres de l’UE, puis par le Parlement et le Conseil dans son ensemble. Mais surtout, les acteurs du secteur soulignent qu’il s’agit d’un accord a minima, bien loin de ceux qu’ils pourraient souhaiter pour obtenir de véritables avancées dans le secteur.  Autrement dit, le Ciel Unique Européen 2+ n’est pas encore adopté que les professionnels rêvent déjà d’un Ciel Européen 3 …

Espérons que la Commission Européenne saura faire sienne cette formule de Nicolas Boileau « Hâtez-vous lentement et, sans perdre courage, Vingt fois sur le métier remettez votre ouvrage » !

Marion Terraux et Jennifer Obrero

 

[1] Le « règlement-cadre » qui vise à renforcer les normes de sécurité et l’efficacité globale de la circulation aérienne générale en Europe, à optimiser la capacité, et à réduire au maximum les retards. (règlement (CE) nº 549/2004 fixant le cadre pour la réalisation du ciel unique européen) ;

[2] Single European Sky Air Traffic Management Research