La gratuité des transports publics locaux : on en parle ?

Depuis le 21 décembre 2023, le réseau de tram et de bus de la métropole de Montpellier est gratuit pour ses habitants. Et c’est un réel mouvement de fond qui se met en œuvre pour assurer l’égalité d’accès des usagers au service de transports publics locaux. Ainsi, la gratuité des transports réguliers de personnes concerne aujourd’hui plus de 376 communes. Il s’agit de de ne pas faire payer l’usager pour le service rendu, ce qui, en matière de transports, peut être motivé par des préoccupations tant environnementales (limiter l’utilisation des voitures dans les villes) sociales (gratuité pour les titulaires du RSA) ou économiques (favoriser l’attractivité des centres villes) …

C’est donc tout naturellement que nous vous proposons, pour le premier focus « Mobilités » de la LAJEEM, de nous arrêter sur les conditions de mise en œuvre d’une telle gratuité.

A l’échelle du territoire de l’autorité organisatrice des mobilités (AOM), la gratuité des transports réguliers peut se matérialiser sous deux formes : la gratuité temporaire (de manière éphémère : pic de pollution, nuit du nouvel an …) et la gratuité permanente (transport public régulier de personnes).

En ce qui concerne la gratuité permanente, elle peut aller de la gratuité partielle (une ou plusieurs parties du réseau ou catégories de personnes : personnes à mobilité réduite ou usagers résidents de la collectivité comme au sein de la Métropole de Montpellier) à la gratuité totale (pour l’ensemble du réseau de l’AOM, pour tous les usagers et tous les jours, comme c’est le cas dans la communauté urbaine de Dunkerque).

 

Mais alors, quels financements ?

Ne nous y trompons pas : la gratuité n’est évidemment qu’apparente. Et si ce n’est pas l’usager, les collectivités doivent trouver d’autres leviers de financements. En effet, la perte des recettes issues de la vente des titres de transport (recettes commerciales) représente un coût (environ 17 % en 2019 et 11 % en 2020)[1]. Ces pertes de recettes ont pu être partiellement compensées. Ainsi, à Dunkerque, les recettes du délégataire sont assises sur les vélos en libre-service et les taxibus de nuit[2]. Et dans la Métropole de Montpellier, le délégataire du service public se rémunérera notamment sur les redevances des usagers non-résidents de la Métropole de Montpellier.

Mais le financement des coûts d’exploitation et d’investissement repose alors essentiellement sur le versement mobilité (anciennement versement transport : environ 47 % en 2019 et 46 % en 2020)[3], les contributions locales (environ 34 % en 2019 et 35 % en 2020), les dotations de l’Etat (environ 2 % en 2019 et 8 % en 2020), et plus marginalement les recettes liées à la publicité dans les transports ou aux contraventions[4]. S’agissant plus particulièrement du versement mobilité, rappelons que, conformément à l’article L. 1221-13 du Code des transports le financement des transports publics locaux est assuré par les autres bénéficiaires publics et privés qui, sans être usagers des services, en retirent un avantage direct ou indirect. Les employeurs publics et privés participent au financement des transports via le versement mobilité (47 % en 2019 et 46 % en 2020)[5].

Ce prélèvement correspond à un impôt[6] destiné à couvrir les dépenses de fonctionnement et d’investissement des transports en commun. Il prend la forme d’un pourcentage de la masse salariale des employeurs publics et privés en charges d’au moins 11 salariés et situés dans le ressort territorial de la collectivité organisatrice des transports (Articles L. 2333-64 et s. du Code général des collectivités territoriales)[7].

Les AOM ont la possibilité d’augmenter son montant dans la limite d’un plafond prévu à l’article L. 2333-67 du Code général des collectivités territoriales : 0,55 % des salaires (population entre 10 000 et 100 000 habitants), 2,95 % des salaires (Paris et alentours) ou encore 1,75 % des salaires (population supérieure à 100 000 habitants et réalisation d’une infrastructure de transport collectif routier ou guidé)[8]. A titre d’exemple, la Métropole de Montpellier (4 lignes de tramways et 41 lignes de bus) indique qu’elle comble le manque de recettes tarifaires (entre 20 % et 23 % en 2019)[9] grâce aux prélèvements issus du versement mobilité (dont le taux est fixé à 2 %)[10], la rationalisation des coûts, notamment grâce à la suppression des billetteries, et les contributions publiques.

Son taux de versement mobilité a pu atteindre jusqu’à 2 % (malgré le plafond fixé à 1,75 % en province) grâce à l’addition des majorations permises par l’article L. 2333-67 du Code général des collectivités territoriales, c’est-à-dire : le bonus communauté (+0,05 %) et le bonus « commune touristique » (+0,2 %). La communauté urbaine de Dunkerque (15 lignes de bus)[11], dont le réseau est moindre, a comblé le manque de recettes par l’augmentation du taux du versement mobilité (fixé à 2 %)[12].

 

La gratuité est-elle conforme au principe d’égalité de traitement entre les usagers ?

La gratuité n’apparaît pas contraire au principe d’égalité devant le service public. Evidemment, en ce qui concerne la gratuité permanente totale et l’exemple de Dunkerque, la question ne se pose pas : en supprimant la tarification pour tous les usagers indistinctement, l’administration leur permet de bénéficier d’un traitement égalitaire devant le service.

En ce qui concerne la gratuité permanente partielle et l’exemple de la Métropole de Montpellier, il est possible d’instaurer la gratuité pour les habitants dès lors que cette mesure est justifiée par le fait que leur domicile se trouve dans le ressort de l’AOM (CC, DC, 12 juillet 1979, Ponts à péage, n° 79-107 ; CE, 29 décembre 1997, Commune de Gennevilliers, n° 157425)[13].

 

La gratuité est-elle compatible avec le régime de service public des transports ?

Une partie de la doctrine considère que la suppression de la tarification en matière de transports publics aurait pour effet de faire reposer le financement essentiellement sur des ressources fiscales et de changer ainsi la nature du service public en contradiction avec l’article L. 1221-13 du Code des transports (selon lequel le financement est assuré par les usagers et par les autres bénéficiaires publics et privés qui, sans être usagers des services, en retirent un avantage direct ou indirect), ce qui nécessiterait l’intervention du législateur[14].

A contrario, certains estiment que la gratuité permanente et totale du service des transports est une faculté prévue par l’article L. 1221-5 du Code des transports lequel dispose que l’autorité organisatrice définit la politique tarifaire de manière à obtenir l’utilisation la meilleure, sur le plan économique et social, du système de transports correspondant. Ainsi, lorsque les AOM décident de mettre en œuvre ce principe de gratuité, il leur appartiendra d’en définir des conditions permettant de limiter les risques juridiques.

En tout état de cause, si le service de transport public est délégué, il conviendra de s’assurer que l’exploitant supporte un risque d’exploitation.

 

Compatibilité entre la gratuité et délégation de service public

Conformément à l’article L. 1121-1 du Code de la commande publique, le délégataire doit supporter un risque d’exploitation réel de sorte qu’il n’est pas assuré d’amortir les investissements ou les coûts, liés à l’exploitation de l’ouvrage ou du service, qu’il a supporté. A défaut, le contrat sera requalifié de marché public.

Cependant, la gratuité n’implique pas nécessairement une requalification en marché public. Ainsi, la Cour administrative de Marseille a pu considérer, à propos de la communauté d’agglomération du pays d’Aubagne, qu’un avenant instaurant la gratuité du réseau de transport public de voyageurs n’avait pas eu pour effet de supprimer tout risque d’exploitation pesant sur le délégataire (CAA de Marseille, 28 avril 2014, n° 12MA00238). En l’espèce, la rémunération du délégataire était fonction d’une contribution financière forfaitaire annuellement versée par l’AOM et égale à la différence entre l’engagement du délégataire sur les dépenses d’exploitation et son engagement sur la fréquentation des lignes. La Cour en a alors conclu qu’un risque d’exploitation demeurait à la charge du délégataire dès lors que la contribution ne couvrait qu’un résultat d’exploitation prévisionnel (et non pas l’ensemble des dépenses du délégataire) et était pondérée en fonction des résultats d’exploitation.

En conclusion, donc, ce modèle est séduisant. Mais il ne va pas sans poser de véritables questions juridiques. Et une fois encore, la gratuité pour les usagers passe également nécessairement par la perception d’autres recettes, au premier rang desquelles l’augmentation du versement mobilité. C’est donc un choix politique structurant que de décider d’une telle gratuité.

 

[1] Rapport d’information fait au nom de la commission des finances sur les modes de financement des autorités organisatrices de la mobilité, Hervé Maurey et Stéphane Sautarel, Sénat, 4 juillet 2023, n° 830, selon les chiffres sur l’année 2019-2020 et selon une moyenne faite des chiffres issus de collectivités de tailles disparates.

[2] Communauté urbaine de Dunkerque, Extrait du registre aux délibérations du Conseil de communauté, Séance du mercredi 30 septembre 2020 18h15

[3] Rapport d’information fait au nom de la commission des finances sur les modes de financement des autorités organisatrices de la mobilité, Hervé Maurey et Stéphane Sautarel,  Sénat, 4 juillet 2023, n° 830, selon les chiffres sur l’année 2019-2020 et selon une moyenne faite des chiffres issus de collectivités de tailles disparates.

[4] Rapport d’information fait au nom de la commission d’information sur le thème : « Gratuité des transports collectifs : fausse bonne idée ou révolution écologique et sociale des mobilités ? », Michèle Vullien et Guillaume Gontard, Sénat, 25 septembre 2019, n° 744.

[5] Ibid selon les chiffres sur l’année 2019-2020 et selon une moyenne faite des chiffres issus de collectivités de tailles disparates.

[6] Décision du Conseil constitutionnel du 16 janvier 1991, n° 90-287.

[7] Rapport d’information fait au nom de la mission d’information sur le thème : « Gratuité des transports collectifs : fausse bonne idée ou révolution écologique et sociale des mobilités ? », Michèle Vullien et Guillaume Gontard, Sénat, 25 septembre 2019, n° 744.

[8] Versement mobilité, Direction de l’information légale et administrative (Première ministre), site internet Entreprendre.Service-Public, 1 janvier 2024.

[9] Rapport d’information fait au nom de la commission des finances sur les modes de financement des autorités organisatrices de la mobilité, Hervé Maurey et Stéphane Sautarel,  Sénat, 4 juillet 2023, n° 830.

[10] Site de l’URSSAF, Bénéficiaire du versement mobilité : Montpellier Méditerranée Métropole, Taux en cours : 2.

[11] Rapport d’information fait au nom de la mission d’information sur le thème : « Gratuité des transports collectifs : fausse bonne idée ou révolution écologique et sociale des mobilités ? », Michèle Vullien et Guillaume Gontard, Sénat, 25 septembre 2019, n° 744

[12] Site de l’URSSAF, Bénéficiaire du versement mobilité : Communauté de Dunkerque, taux en cours : 2.

[13] La gratuité du service public des transports, Sébastien Martin, AJDA 2020. 999

[14] Contribution de Serge Pugeault, professeur agrégé de droit public à l’Université de Reims, Directeur du Centre de recherche droit et territoire, in Rapport d’information fait au nom de la mission d’information sur le thème : « Gratuité des transports collectifs : fausse bonne idée ou révolution écologique et sociale des mobilités ? », Michèle Vullien et Guillaume Gontard, Sénat, 25 septembre 2019, n° 744

Extinction du cuivre : la lumière au bout du fourreau ?

Le réseau cuivre correspond au réseau de téléphonie historique, essentiellement développé dans le courant des années 1970. Depuis de la privatisation de France télécom – devenu la société Orange -, ce réseau et les infrastructures qui le supportent (fourreaux, poteaux, armoires, jusqu’à la prise finale située dans le logement des usagers…) appartiennent à cette dernière.

Et les opérateurs, au premier rang desquels les grands opérateurs commerciaux d’envergure nationale que sont Bouygues Telecom, Free, Free et Orange, utilisent historiquement ce réseau pour offrir leurs offres de téléphonie fixe et d’internet.

Dans le programme de son premier quinquennat, le Président de la République avait promis de couvrir en très haut débit ou en fibre optique tout le territoire national. L’objectif n’a pas été atteint mais ce sont aujourd’hui plus de 80% des locaux du territoire national qui sont raccordables à la fibre optique.

Or, ces réseaux en fibre optique, souvent déployés dans les infrastructures de génie civil appartenant à Orange en parallèle du réseau cuivre, offrent des débits plus importants aux abonnés. Autrement dit, ces deux réseaux n’ont pas vocation à coexister.

Bien entendu, les opérateurs qui ont massivement investi dans les réseaux en fibre optique poussent à la fin du réseau cuivre. Et le premier de ces opérateurs n’est autre qu’Orange.

Cependant, comment mettre fin à ce réseau historique sans priver les abonnés de l’accès devenu aujourd’hui nécessaire aux services de communications électroniques, et en particulier à internet ?

Or, certes, l’Autorité de Régulation des Communications Électroniques, des Postes et de la distribution de la Presse (“ci-après, ARCEP”)[1] a fixé des cadres dans lesquels Orange peut éteindre son réseau. Il reste que le plan d’arrêt de ce réseau d’importance national n’a été décidé ni par le législateur, ni par le pouvoir règlementaire, ni même par l’ARCEP mais par Orange seule.

Nous vous en présentons les conditions et les enjeux.

 

Quelles échéances pour l’arrêt du cuivre ?

Orange a annoncé sa volonté de fermer techniquement le réseau de cuivre entre 2023 et 2030.

Et en effet, le processus a déjà commencé. Il débute par une fermeture des offres commerciales. Ainsi, à compter de 2026, aucune offre internet ou de téléphonie fixe ne sera proposée sur le réseau cuivre. Autrement dit, à compter de cette date, si un abonné souhaite bénéficier d’une offre internet ou de téléphonie fixe sur un réseau filaire, il devra impérativement faire déployer la fibre optique.

Bien plus, Comme l’ARCEP le rappelle[2], “Depuis le 3 décembre 2020, il n’y a plus d’opérateur en charge du service universel pour les prestations de raccordement au réseau et de fourniture d’un service téléphonique.”  La société Orange s’est engagée auprès du Gouvernement à maintenir ses offres « abonnement principal » et « réduction sociale téléphonique » qui relevaient du périmètre du service universel jusqu’en 2023.

En revanche, elle refuse en principe de procéder à tout nouveau raccordement d’un logement ou local professionnel au réseau cuivre dès lors que celui-ci est situé dans une zone où un réseau en fibre optique est déployé.

Et en 2030, Orange éteindra définitivement le réseau cuivre, cessant de le faire fonctionner.

Cette extinction va être progressive.

En effet, Orange a défini des lots de fermeture. Les communes du premier lot verront la fin du réseau cuivre en janvier 2025, les communes du deuxième lot en janvier 2026 et les dernières entre 2026 et 2030.

Et ces arrêts pourraient être reporté sur les zones dans lesquelles le déploiement du réseau en fibre optique ne sera pas complet. Toute la question sera de définir ce que recouvre la notion de déploiement “complet”. L’ARCEP devrait prochainement apporter des précisions sur ce sujet.

Par ailleurs, Orange a déjà mené un certain nombre d’expérimentations sur plusieurs communes du territoire national.

 

Les Usagers et les entreprises doivent anticiper leurs besoins

Il est donc important, tant pour les entreprises que pour les particuliers, d’anticiper leurs besoins en matière d’accès à internet, afin d’identifier les offres de services sur fibre disponibles là où les offres sur cuivre ne le sont plus ou ne seront bientôt plus[3]. On précisera que, hors de la zone très dense qui englobe 106 grandes villes[4], les opérateurs et collectivités qui déploient la fibre optique doivent avoir achevé son déploiement dans la zone concernée dans un délai de 5 ans à compter de la pose de l’armoire technique (dite point de mutualisation de zone)[5].

Il est également nécessaire pour les entreprises et particuliers de veiller au respect des règles applicables lorsque leur demande de raccordement à un réseau concerne une maison, un immeuble ou un lotissement neuf, des obligations précises pesant sur le constructeur ou lotisseur.

En effet, plusieurs lois ont successivement imposé, depuis 2009, le prééquipement en réseaux à très haut débit de ces constructions neuves.

Plus précisément :

  • Pour les immeubles neufs :
    • l’article D. 407-1 du Code des postes et des communications électroniques indique que les réseaux de communications électroniques intérieurs aux immeubles groupant plusieurs logements sont construits par les promoteurs jusqu’aux dispositifs de connexion placés dans chaque logement conformément à l’article R. 111-14 du code de la construction et de l’habitation (devenu article R. 113-4 dudit Code) ;
    • l’article R. 113-4 du Code de construction et de l’habitation précise que tous les bâtiments d’habitation doivent être équipés de lignes de communications électroniques à très haut débit en fibre optique desservant chacun des logements. De plus, le bâtiment doit disposer d’une adduction d’une taille suffisante pour permettre le passage des câbles de plusieurs opérateurs depuis la voie publique jusqu’au point de raccordement aux lignes de l’immeuble (généralement situé dans la cave ou le local technique de l’immeuble) ;
  • Pour les maisons individuelles neuves, l’article D. 407-2 du Code des postes et des communications électroniques indique que les lignes de communications électroniques intérieures à une propriété privée peuvent être construites par tout opérateur de réseau autorisé en application de l’article L. 33-1. Toutefois, l’opérateur n’y est tenu que s’il existe des gaines techniques et des passages horizontaux permettant la pose des câbles ;
  • Pour les lotissements neufs, l’article 118-II de la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques a exigé qu’ils soient pourvus des lignes de communications électroniques à très haut débit en fibre optique nécessaires à la desserte de chacun des lots par un réseau de communications électroniques à très haut débit en fibre optique ouvert au public. Un décret en Conseil d’État devait fixer les modalités d’application de cette disposition. Toutefois, une réponse ministérielle est venue indiquer que cette disposition était suffisamment claire pour ne pas recourir à un décret d’application[6].

 

Quels sont les premiers retours d’expérience ?

Invité à s’exprimer sur son retour d’expérience quant à la fermeture du réseau cuivre sur la commune de Provin, située sur son territoire, Monsieur Christophe Coulon, Président du Syndicat Mixte La Fibre 59/62[7], a indiqué que cette expérimentation s’était “trop bien passée”, en particulier parce que Orange avait mis beaucoup de moyens humains pour que l’expérimentation fonctionne mais également parce que les élus locaux ont été très présents pour assurer cette bascule.

Et pour que la migration fonctionne, il a insisté sur la nécessaire implication des élus locaux car c’est eux qui sauront gérer les usagers derrière le dernier kilomètre, pour s’assurer que chacun pourra continuer à avoir le téléphone et internet[8].

 

Que vont devenir le réseau cuivre et les infrastructures ?

En principe, Orange devrait se charger de démanteler le réseau cuivre. Cependant, en l’état, à notre connaissance, Orange n’a pas précisé les conditions de réalisation d’un démantèlement d’un réseau dont on rappellera qu’il entre dans chaque maison de chaque commune, ou presque. On rappellera également qu’il se situe à proximité immédiate des réseaux fibre. Il conviendra donc d’être particulièrement vigilant quant aux conditions de ce démantèlement.

Quant aux infrastructures, elles continueront d’être la propriété d’Orange mais la question d’une cession aux propriétaires des réseaux fibre serait légitime.

 

Quelles difficultés ?

Comme expliqué par Monsieur Christophe Coulon lors de la présentation de son retour d’expérience, la communication autour de l’extinction du réseau cuivre sera un élément majeur pour éviter les problèmes liés aux coupures de services qui pourraient ne pas avoir été anticipées, par exemple par des personnes âgées. En ce sens, bien qu’il ne s’agisse pas d’un réseau public, le rôle des communes et des élus paraît incontournable vis-à-vis de la communication.

On peut aussi craindre une ruée des abonnés du réseau cuivre pour solliciter leur raccordement à la fibre optique juste avant l’échéance de l’extinction des services sur cuivre. Compte-tenu des difficultés actuelles et persistantes de qualité des raccordements actuels (liées au mécanisme appelé « mode STOC »)[9], le risque est que celles-ci s’aggravent davantage à l’occasion du décommissionnement du réseau cuivre.

Enfin, un débat agite le secteur des télécom pour savoir si les obligations de pré-fibrage susvisées, condition pour assurer une migration vers le réseau fibre, s’étendent en dehors du terrain privé, en vue de financer et de réaliser les équipements propres à l’adduction de la maison, de l’immeuble ou du lotissement neuf sur la partie se trouvant au droit du terrain (sur le domaine public). En ce sens, l’ARCEP indique dans une fiche, en se fondant sur un guide, que[10] :

« Pendant les travaux, le maître d’ouvrage réalise ou fait réaliser :

–        l’installation de la totalité du réseau optique à l’intérieur du domaine privé, jusqu’au point de raccordement (« PR »), généralement situé à la limite du domaine privé (L.113-10, R.113-3, R.113-4 du code de la construction et de l’habitation) (…)

–        en général, la construction du génie civil d’adduction au droit du terrain jusqu’au « PAR » indiqué par l’opérateur d’infrastructure de la zone (article L. 332-15 du code de l’urbanisme) (…) »

Deux réponses ministérielles récentes adoptent une position inverse au motif qu’il n’existe pas d’obligation pour les collectivités qui délivrent les autorisations d’urbanisme de raccorder une maison, un immeuble ou un lotissement à un réseau en fibre optique et qu’elles ne peuvent donc pas fixer de prescriptions à ce sujet dans lesdites autorisations [11] :

Le réseau de fibre optique n’étant pas financé par le budget des collectivités locales, les dispositions de l’article L. 332-15 ne s’appliquent pas au réseau de fibre optique. »

Ce que l’on peut affirmer, au-delà du débat sur l’application de l’article L.332-15 du Code de l’urbanisme aux réseaux de communications électroniques, est que :

  • Cette disposition ne concerne que le branchement aux réseaux publics, et ne trouve donc pas à s’appliquer aux réseaux de communications électroniques privés[12], comme ceux déployés par les opérateurs dans les grandes villes et certaines métropoles ;
  • La réalisation et le financement d’équipements propres est une possibilité qui ne s’applique que si la prescription figure dans l’autorisation d’urbanisme[13];
  • La notion de « point au réseau» (PAR) évoquée par l’ARCEP n’existe plus dans le droit positif depuis la fin du service universel sur cuivre, puisqu’elle n’a été reprise ni dans le Code des postes et des communications électroniques, ni dans le Code de construction et de l’habitation.

Ainsi, l’absence de prescription dans l’autorisation d’urbanisme relative au branchement d’équipements propres à un réseau public de fibre optique suffit à écarter toute obligation pour les constructeurs de maisons ou d’immeubles et pour les lotisseurs de déployer des infrastructures au droit du terrain, en domaine public.

Ceci est cohérent avec le fait que l’occupation du domaine public par des particuliers ou des entreprises leur générerait des contraintes majeures (paiement des redevances d’occupation du domaine public, charges d’enfouissements et de dévoiements…)[14].

 

 

En conclusion donc, on ne peut que regretter que l’extinction d’un tel réseau ne se fasse pas sous une direction et un encadrement plus ferme de l’État ou de l’autorité de régulation (ARCEP), d’autant qu’elle conduira nécessairement une implication forte des élus locaux. Ce sont vers ces élus que les personnes concernées se retourneront lorsque l’extinction du réseau cuivre sera annoncée dans leur commune, comme c’est le cas aujourd’hui pour les problèmes de raccordement à la fibre.

[1] Décisions Arcep n° 2020-1446, n° 2020-1447 et n° 2020-1448, en date du 15 décembre 2020, ces décisions étant en cours d’actualisation

[2] www.arcep.fr/demarches-et-services/utilisateurs/le-service-universel-des-communications-electroniques.html

[3] https://cartefibre.arcep.fr/

[4] www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000021696769 ; www.arcep.fr/demarches-et-services/utilisateurs/fibre-optique-immeubles-ztd.html

[5] www.legifrance.gouv.fr/jorf/article_jo/JORFARTI000023443180

[6] www.senat.fr/questions/base/2018/qSEQ180706270.html

[7] Syndicat mixte en charge du déploiement du réseau de communications électroniques en fibre optique dans le Nord et le Pas de Calais et sur les zones ne faisant l’objet d’un déploiement par les opérateurs privés.

[8] Intervention de Christophe Coulon, TRIP de l’AVICCA, Novembre 2023,

[9] www.arcep.fr/la-regulation/grands-dossiers-reseaux-fixes/la-fibre/infrastructures-raccordements-processus-suivi-des-travaux-pour-ameliorer-la-qualite-des-reseaux-en-fibre-optique.html

[10] https://www.arcep.fr/demarches-et-services/utilisateurs/raccorder-batiment-neuf-fibre-optique-zone-moins-dense-demarches.html

[11] www.senat.fr/questions/base/2022/qSEQ220701893.html; voir aussi : https://questions.assemblee-nationale.fr/q16/16-9476QE.htm

[12] www.senat.fr/questions/base/2022/qSEQ220701893.html

[13] www.senat.fr/questions/base/2022/qSEQ220701185.html; CE, 1er avril 1981, n° 12882 ; CAA Lyon, 20 décembre 2022, n° 22LY00744

[14] Enfin, une disposition peu connue concerne l’obligation d’équiper en gaines techniques et en lignes de communications électroniques à très haut débit et à potentiel de débit d’une fibre optique les immeubles groupant plusieurs logements ou locaux à usage professionnel faisant l’objet de travaux de rénovation soumis à permis de construire. Il est toutefois prévu une exception « lorsque le coût des travaux d’équipement en lignes de communications électroniques à très haut débit en fibre optique, y compris les travaux induits, est supérieur à 5 % du coût des travaux faisant l’objet du permis de construire ».

Caractérisation d’un harcèlement sexuel malgré l’absence de demande expresse à caractère sexuel

Par un arrêt du 9 novembre 2023, la Cour administrative d’appel de Lyon a apporté une nouvelle illustration en matière de harcèlement sexuel.

Pour rappel, l’article L. 133-1 du Code général de la fonction publique (CGFP) définit désormais le harcèlement sexuel comme suit :

« Aucun agent public ne doit subir les faits :
1° De harcèlement sexuel, constitué par des propos ou comportements à connotation sexuelle répétés qui soit portent atteinte à sa dignité en raison de leur caractère dégradant ou humiliant, soit créent à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante ;
2° Ou assimilés au harcèlement sexuel, consistant en toute forme de pression grave, même non répétée, exercée dans le but réel ou apparent d’obtenir un acte de nature sexuelle, que celui-ci soit recherché au profit de l’auteur des faits ou au profit d’un tiers.
 ».

Si la définition ainsi retenue se rapproche sensiblement de celle prévue à l’article L. 1153‑1 du Code du travail, la jurisprudence administrative est cependant plus rare concernant le harcèlement sexuel. Les exemples qu’elle fournit sont donc toujours utiles pour approfondir la compréhension de cette question.

En l’espèce, un agent qui exerce les fonctions de maîtresse de maison au sein d’un foyer départemental avait sollicité la protection fonctionnelle le 25 mai 2020 en raison du harcèlement sexuel qu’elle estimait subir de la part d’un nouveau psychologue et contre lequel elle avait également porté plainte.

La requérante faisait notamment état du fait que cet agent, qui disposait d’un bureau, s’installait pour travailler dans la cuisine où elle exerçait ses missions, qu’il était en recherche constante de proximité avec elle, créant un climat de mal-être, et la rabaissait par le biais d’insultes.

Si la Cour a relevé que l’agent en cause n’avait jamais expressément fait de demande à caractère sexuel à l’intéressée, elle a cependant considéré que « les pièces du dossier établissent le comportement et les propos, déplacés et ambigus, et ce de façon répétée, de l’intéressé à son égard, durant le service, lesquels revêtent une connotation sexuelle. En outre, il ressort des pièces versées et n’est pas contesté en défense que Mme A s’est explicitement opposée à la venue de l’agent concerné au sein de la cuisine, qu’elle lui a demandé de cesser ces agissements sans qu’il n’en tienne compte, et a tenté d’obtenir de l’aide auprès de ses collègues lors des jours de présence de l’agent dans la structure. Il n’est pas enfin contesté que ces propos et comportement ont créé une situation intimidante pour Mme A la plaçant dans un climat d’insécurité au travail. ».

Ce faisant, et contrairement à la solution initialement retenue par Le Tribunal administratif de Lyon, la Cour a apprécié très concrètement les deux conditions nécessaires à caractériser le harcèlement sexuel tel que défini au 1° de l’article L. 133-1 du CGFP précité, à savoir, en l’espèce, des propos répétés à connotation sexuelle qui crée à l’encontre de l’agent qui en a été victime une situation intimidante.

Il existait dès lors une présomption de harcèlement sexuel qui, en l’absence de démonstration de l’existence de circonstances étrangères à tout harcèlement, justifiait qu’il soit accordé à la requérante la protection fonctionnelle.

Le rappel est donc important, alors que les obligations des employeurs publics ont été renforcées en la matière puisqu’elles sont tenues, depuis le 1er mai 2020, de mettre en place un dispositif ayant pour objet de recueillir les signalements d’agents qui estiment subir différents types d’atteintes, dont le harcèlement sexuel, mais aussi des personnes qui en sont témoins, afin d’orienter et d’apporter aux victimes l’accompagnement nécessaire.

Nécessité de publicité de la vacance d’emploi avant le recrutement d’un directeur de régie

La jurisprudence commentée illustre une nouvelle fois la difficulté à appréhender le cadre juridique applicable aux directeurs de services publics industriels et commerciaux, en venant confirmer l’annulation d’un recrutement d’un tel directeur, en l’occurrence contractuel, qui n’avait pas été précédé d’une publication de vacances préalable au recrutement.

On sait qu’à l’inverse des personnels employés par un tel service, il a la qualité d’agent public (CE, 26 janvier 1923, Robert Lafrégeyre, n° 62529).

Lorsque ces régies sont dotées de la personnalité morale, et donc sous la forme d’un établissement public industriel et commercial, il est classiquement considéré que cet emploi de directeur, malgré son caractère public, n’est pas un emploi permanent, relevant du statut de la fonction publique : les seuls emplois permanents sont en effet ceux créés par délibération d’une collectivité territoriale ou de leurs établissements publics administratifs (Cf. L. 313-1 et L. 4 du CGFP).

Il est dans ces cas bien difficile de déterminer quel statut appliquer aux agents nommés sur de tels emplois, puisqu’ils ne relèvent alors, ni du droit de la fonction publique (puisque l’emploi sur lequel ils sont nommés n’en fait pas partie), ni du droit du travail (puisqu’il s’agit d’un emploi public).

Plusieurs réponses ministérielles considéraient ainsi classiquement que « l’emploi de directeur d’une régie chargée de l’exploitation d’un service public industriel et commercial (SPIC) ne relève pas du statut de la fonction publique territoriale fixé par la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale. Le poste de directeur ne peut donc être assuré que par un contractuel de droit public ou par un fonctionnaire en position de détachement » (Rep. min. n° 37483 publiée au JOAN le 22 juin 2021 p.5058 ; Réponse du ministre en charge des collectivités territoriales au JO Sénat du 24 juin 2021, p. 3978 ; V. également rep. min. n° 23997 publiée au JO du Sénat le 2 novembre 2006 ; rep. min. à la question n° 353 publiée au JOAN le 30 juin 2003).

L’arrêt commenté remet en partie en question cette position, s’agissant des régies non personnalisées. Il est vrai que, pour ces dernières, l’emploi de directeur de régie est bien un emploi d’une collectivité ou d’un établissement public administratif, puisque le SPIC n’est institué que comme une activité autonome mais accomplie par la collectivité ou l’établissement lui-même. Il n’est donc pas exclu du champ défini par les dispositions des articles L. 313-1 et L. 4 du CGFP.

Selon le Conseil d’Etat, un tel emploi constitue bien un emploi permanent d’une collectivité territoriale, au sens de l’article L. 313-1 du CGFP, et est bien, contrairement à ce qu’affirmaient les réponses ministérielles précitées, un emploi qui relève de la fonction publique.

La Haute juridiction en déduit une conséquence : l’emploi doit être créé par l’organe délibérant de la collectivité ou de l’établissement, et, lorsqu’il l’a été et doit être pourvu, il doit faire l’objet de la publication d’une vacance préalable, à défaut de quoi, le recrutement de l’agent, contractuel ou non, sera illégal et par conséquent censuré.

Il n’est pas possible d’en déduire si cette obligation de forme s’imposera également aux directeurs de régie SPIC dotées de la personnalité morale (qui ne relèvent a priori pas du statut), mais, tant que la jurisprudence ne l’aura pas confirmé, la prudence impliquerait sans doute cette publication préalable.

L’encadrement des centres de santé spécialisés

Qu’ils soient municipaux, intercommunaux, associatifs ou privés, les centres de santé se sont multipliés ces dernières années pour désormais passer la barre des 3 000 structures. La plupart sont des centres de santé de proximité où la prise en charge se fait d’abord en médecine générale.

Mais, les derniers mois ont vu l’émergence rapide de centres de santé spécialisés en ophtalmologie ou en santé dentaire, à l’initiative de groupes privés. Quelques scandales retentissants ont d’ailleurs frappé certains centres de santé dentaire qui avaient tendance à multiplier les actes au détriment de la qualité des soins.

L’occasion pour nous de rappeler que le législateur s’est saisi de cette question de santé publique en adoptant la loi n° 2023-378 du 19 mai 2023 visant à améliorer l’encadrement des centres de santé, pour encadrer plus strictement la création et le fonctionnement des centres de santé dédiés à l’ophtalmologie, l’orthoptie et la santé dentaire.

Jusqu’à la publication de ce texte, tous les centres de santé étaient soumis à une procédure déclarative. La structure porteuse d’un centre devait ainsi remettre au directeur général de l’agence régionale de santé, préalablement à l’ouverture, un projet de santé portant sur l’accessibilité et la continuité des soins ainsi que sur la coordination des soins entre les professionnels de santé du centre et avec les professionnels de santé extérieurs au centre. Le porteur de projet devait, en outre, produire un engagement de conformité du centre aux obligations législatives et réglementaires régissant leur fonctionnement et notamment l’arrêté ministériel du 27 février 2018, relatif aux centres de santé.

Désormais, un agrément délivré par l’administration est nécessaire, tant pour l’ouverture d’un nouveau centre dans les trois spécialités mentionnées que pour les centres existants pratiquant dans ces trois spécialités.

Les centres existants disposaient d’un délai de six mois, à compter de la date de publication de la loi, pour se mettre en conformité avec les nouvelles dispositions de l’article L. 6323-1-11 du Code de la santé publique. Ce délai de six mois ayant expiré le 21 novembre 2023, tous les centres qui n’auront pas effectué cette demande d’agrément se verront notifier une interdiction de poursuivre leurs activités par l’agence régionale de santé, territorialement compétente.

Pour les nouveaux centres, l’obtention de l’agrément est désormais la condition sine qua non de leur ouverture. Le dossier de demande d’agrément comprend, outre le projet de santé déjà évoqué, une déclaration des liens d’intérêt de chacun des dirigeants du centre ainsi que les contrats liant l’organisme gestionnaire à des sociétés tierces. De surcroît, le directeur général de l’ARS ne peut délivrer son agrément que si la création du centre répond aux objectifs stratégiques du projet régional de santé, arrêté tous les cinq ans.

La loi du 19 mai 2023 a également fixé quelques règles supplémentaires qui s’imposent aux centres de santé dans les trois spécialités visées.

Existe désormais une règle d’incompatibilité entre les fonctions de dirigeant d’un centre de santé et celle de dirigeant de la structure gestionnaire. Il est à noter que cette règle, qui vise à prévenir les conflits d’intérêts, trouve également à s’appliquer aux centres existants.

Dans les centres employant plus d’un professionnel médical en soins dentaires ou en ophtalmologie, il y a l’obligation nouvelle de constituer un comité dentaire ou un comité médical qui est le responsable de la politique d’amélioration de la qualité, de la pertinence et de la sécurité des soins ainsi que de la formation continue des professionnels exerçant au sein du centre.

Pèse aussi sur ces centres l’obligation d’identifier les professionnels de santé intervenant, tant pour les patients que pour l’Assurance maladie ou l’agence régionale de santé.

Le centre de santé se voit aussi confier par la loi la conservation du dossier médical de chacun des patients.

Enfin, la loi commentée est venue renforcer les contrôles qui peuvent être diligentés par l’administration. S’il existait déjà une faculté de contrôle offerte à l’Assurance maladie, désormais les agences régionales de santé disposent de pouvoirs élargis.

Elles pourront ainsi, dans l’année qui suit la délivrance de l’agrément, effectuer un contrôle de conformité. Outre ces contrôles sur place, des contrôles sur pièces sont également exercés. En effet, les centres de santé ont l’obligation de communiquer tant à l’ARS qu’aux ordres compétents les copies des diplômes et des contrats de travail des professionnels intervenant au sein du centre. Tout avenant à un contrat de travail ou toute modification de l’organigramme du centre doit être également porté à la connaissance de l’ARS.

Ces contrôles ont pour corollaire un régime de sanctions qui peuvent être lourdes. Toute absence de conformité du centre constatée par l’ARS peut entraîner une suspension ou un retrait de l’agrément, ce qui se traduit par une fermeture du centre, provisoire ou définitive. Le Directeur général de l’ARS dispose de plus du pouvoir d’enjoindre un centre à se mettre en conformité, le non-respect de cette injonction pouvant entraîner une amende administrative de 500.000 € et une astreinte journalière de 5.000 €.

La loi est ainsi venue nettoyer les écuries d’Augias à un moment où la multiplication exponentielle du nombre de centres de santé privés ne permettait plus de garantir aux patients la qualité des soins et des prises en charge.

Requalification des cessions domaniales avec charges en contrat de la commande publique : la Cour de cassation s’aligne sur la jurisprudence administrative

Par un arrêt du 26 octobre 2023, la Cour de cassation fait sienne la jurisprudence déjà tracée par la Cour de justice de l’Union européenne et par le Conseil d’État quant aux critères de requalification des cessions domaniales en contrats de la commande publique.

Dans le cadre d’une affaire portant sur la cession de terrains à une société civile de construction-vente et deux promoteurs avec charge de réaliser entre autres 250 logements dont 40 % sociaux, des places de stationnement ainsi qu’un local « brut » destiné à être remis à la commune pour qu’elle y réalise une crèche, la Cour de cassation a en effet recherché si (i) les travaux présentaient un « intérêt économique direct » pour la commune, (ii) si la commune avait eu une influence déterminante sur la nature ou la conception de ces travaux et (iii) si les deux objets de la cession avec charge (la vente des terrains et la réalisation des travaux) formaient un tout indissociable.

Pour ce faire, la Cour de cassation a repris le faisceau d’indices généralement mis en œuvre par la jurisprudence européenne et administrative. Elle a ainsi notamment relevé que le cahier des charges était très peu prescriptif (liberté de détermination des catégories de logements et de leur mode d’acquisition, absence de prescription architecturale) et que l’équipement rétrocédé à la commune représentait une part très minoritaire du projet, tant d’un point de vue financier (27 % du prix) que d’un point de vue constructif (650 m2 sur 16 350 m2 au total). La Cour de cassation relève par ailleurs que si 40 % des logements devront être affectés à du logement social, cette proportion résulte uniquement de l’application stricte des documents d’urbanisme de la commune. Et elle en déduit, sans entrer toutefois dans le détail, qu’il résulte de ces éléments que l’ensemble forme un tout ; un tout dont l’objet principal n’est pas la réalisation de travaux.

La Cour de cassation s’inscrit ainsi pleinement dans la droite lignée de la jurisprudence européenne et administrative, qui considèrent classiquement qu’une cession foncière avec charges de travaux est un contrat mixte, dont les deux objets sont “objectivement indissociables”, pour reprendre la lettre de l’article L. 1312-1 du Code de la commande publique. Le régime applicable dépend alors de l’objet principal, objet dont la détermination commande une appréciation fine, au cas par cas.

Ce n’est certes pas la première fois que la Cour de cassation a l’occasion de se pencher sur ce type de montage[1], et elle avait déjà, alors, mobilisé les arrêts de principe de la Cour de justice de l’Union européenne pour motiver sa décision. Mais ces occasions demeurent rares, et face à une jurisprudence administrative de plus en plus évolutive, il est satisfaisant (et sécurisant pour les personnes publiques) que la Cour de cassation reprenne à son compte le chemin déjà balisé par les juridictions administratives et européennes concernant la requalification de ces cessions avec charges.

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[1] Cass. Com., 23 juin 2015, Société Passenaud Recyclage c/ SNCF, n° 14-12.419

Rejet d’un référé suspension portant sur la défusion d’une commune nouvelle

Le Tribunal administratif de Nantes a récemment été amené à se prononcer sur le cas assez particulier d’un arrêté préfectoral prononçant la défusion d’une commune nouvelle.

En 2016, quatre communes avaient demandé et obtenu la création d’une commune nouvelle.

En 2019, un collectif citoyen composé notamment d’anciens élus de la commune nouvelle s’est constitué afin d’obtenir la scission de la commune nouvelle.

Ce collectif reprochait, en synthèse, à la commune nouvelle un manque d’investissements portés par la commune nouvelle sur le territoire des communes déléguées et alléguait du manque d’efficience des services publics ainsi qu’une perte d’identité et de proximité.

A titre liminaire on précisera que le législateur n’a pas prévu de procédure spécifique en matière de « défusion » ou de « scission » de commune nouvelle de sorte que lorsque cet objectif est recherché, la procédure alors applicable est celle de la modification, plus générale, des limites territoriales d’une commune et conduisant à la dissolution de la commune nouvelle initiale (articles L. 2112-2 et suivants Code général des collectivités territoriales (CGCT)).

Cette procédure prévoit en substance :

  • l’organisation d’une enquête publique lorsque la demande de modification des limites territoriales d’une commune est demandée par le tiers des électeurs inscrits de la commune ou de la portion de territoire en question (article L. 2112-2 du CGCT) ;
  • l’institution d’une commission dont le nombre de membres est fixé par arrêté du préfet et composée de personnes éligibles au conseil municipal de la commune qui rend un avis sur le projet de scission (article L. 2112-3 du CGCT) ;
  • l’avis du conseil municipal et du conseil départemental (articles L. 2112-4 et L. 2112-6 du CGCT) ;
  • l’arrêté du préfet prononçant la modification du territoire.

Aux termes de cette procédure, le préfet a finalement ordonné la défusion de la commune nouvelle au 1er janvier 2024.

Toutefois, la légalité de cet arrêté préfectoral interrogeait à plusieurs égards.

D’abord, le comité social territorial n’avait pas été saisi préalablement à la décision préfectorale en méconnaissance des dispositions de l’article L. 253-5 du Code général de la fonction publique.

Sur cette question, le Tribunal administratif de la Réunion a déjà eu l’occasion de juger que cette omission, qui prive les représentants du personnel d’une garantie, constituait une irrégularité de nature à entacher la légalité d’un arrêté portant défusion d’une commune nouvelle (TA de La Réunion, 7 décembre 2017, n° 1700424, 1700611).

Ensuite, aucune analyse approfondie n’avait été menée par le collectif citoyen ayant sollicité la défusion ou encore par l’Etat pour apprécier les conséquences de cette défusion notamment sur la viabilité financière des communes issues de la défusion ou encore l’organisation future des services publics. Alors qu’il est constant que ces éléments ont normalement vocation à être pris en compte par le préfet pour apprécier la pertinence d’une décision de défusion d’une commune nouvelle (CE, 30 avril 1997, n° 154083 ; CAA de Bordeaux, 8 octobre 2020, n° 18BX04361).

Enfin, certains éléments pris en compte par le préfet pour justifier son arrêté semblaient contestables dès lors qu’ils n’apparaissaient pas vraiment établis, en particulier la mise en exergue d’un « sentiment d’abandon » dont se prévalait le collectif citoyen vis-à-vis de la commune nouvelle ou encore les relations qu’entretenaient la commune nouvelle avec la communauté de communes dont elle était membre.

Aussi, la décision du juge des référés du Tribunal administratif aurait pu être l’occasion d’apporter des précisions sur cette procédure de défusion d’une commune nouvelle (obligation de saisir le CST ? éléments d’informations devant impérativement être communiqués aux personnes appelées à se prononcer sur le projet de défusion ? éléments susceptibles de justifier une décision préfectorale prononçant la défusion d’une commune nouvelle ?). En effet, la jurisprudence n’est pas très riche en la matière et encore moins s’agissant d’une demande de défusion portée, non pas par les communes déléguées, mais par un collectif citoyen habitant ces communes déléguées.

Toutefois, l’ensemble de ces questions est resté en suspens, le juge des référés s’étant contenté d’indiquer de manière assez surprenante qu’aucun des moyens invoqués n’était, en l’état de l’instruction, propre à créer un doute sérieux sur la légalité de la décision préfectorale.

Précisions sur le transfert de la compétence « eau » vers les intercommunalités

A l’occasion d’une question écrite, le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires a été interrogé sur les modalités de transfert de la compétence « eau » détenue par les communes vers les intercommunalités prévue au 1er janvier 2026.

Dans sa réponse écrite du 12 octobre 2023, le Secrétariat d’État auprès du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargé de la biodiversité a ainsi rappelé que, les compétences en matière d’eau et d’assainissement des eaux usées sont des compétences obligatoires des intercommunalités à fiscalité propre (EPCI-FP). L’exercice de ces compétences par les intercommunalités se justifie par le besoin de faciliter la création de regroupements au bénéfice de la qualité de l’eau, de l’entretien et de la modernisation des équipements.

La réponse ministérielle précise ensuite les différentes modalités prévues au moment du transfert des compétences en matière d’eau et d’assainissement des eaux usées :

  • La loi n° 2018-702 du 3 août 2018 relative à la mise en œuvre du transfert des compétences eau et assainissement aux communautés de communes (JORF n° 0179 du 5 août 2018) permet que le transfert des compétences en matière d’eau et d’assainissement puisse être reporté au sein des communautés de communes, au plus tard au 1er janvier 2026, dès lors qu’une minorité de blocage a été activée par les communes membres au plus tard avant fin 2019 ;
  • La loi n° 2019-1461 du 27 décembre 2019 relative à l’engagement dans la vie locale et à la proximité de l’action publique (JORF n° 0301 du 28 décembre 2019) permet à une communauté de communes ou d’agglomérations de déléguer tout ou partie des compétences relatives à l’eau, l’assainissement et la gestion des eaux pluviales urbaines à ses communes-membres qui en feraient la demande ou à un syndicat de communes infra-communautaires existant au 1er janvier 2019 ;
  • La loi n° 2022-217 du 21 février 2022 relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l’action publique locale (JORF n° 0044 du 22 février 2022) a prévu des mesures d’accompagnement pour faciliter le transfert des compétences en matière d’eau et d’assainissement aux EPCI-FP dont l’extension du maintien automatique des syndicats infra-communautaires compétents en matière d’eau, d’assainissement des eaux usées (et de gestion des eaux pluviales urbaines) par la voie de la délégation aux communautés de communes qui deviennent compétentes à titre obligatoire au 1er janvier 2026 (sauf délibération contraire de la communauté de communes).

Par ailleurs, il est également rappelé que ces mesures ne modifient pas les dispositions prévues aux articles L.5214-21 et L.5216-7 du Code général des collectivités territoriales (CGCT), ainsi :

  • Les syndicats supra-communautaires, tels que ceux dont le périmètre comprend au moins deux EPCI-FP, restent soumis aux dispositions de droit commun ;
  • En cas de chevauchements de périmètre et inclusion de la communauté de communes dans le périmètre syndical, la communauté de communes est automatiquement substituée à ses communes-membres au sein des syndicats de communes et des syndicats mixtes préexistants (article L. 5214-21 du CGCT).

Dans ce dernier cas, le syndicat reste compétent en matière d’eau et d’assainissement mais il devient un syndicat mixte puisque la communauté de communes y adhère à la place communes-membres.

Compétence « eau » et transfert de compétence

Interrogée par une sénatrice à l’occasion d’une question écrite, la ministre chargée des collectivités territoriales et de la ruralité déléguée auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, a eu l’occasion de rappeler les règles relatives à la gestion de la compétence « eau » par un syndicat dont plusieurs des communes sont rattachées à des intercommunalités différentes. La question portait également que les pouvoirs de police du maire en matière d’eau à la suite du transfert de la compétence à l’intercommunalité.

Il a ainsi été rappelé qu’en vertu des lois n° 2018-702 du 3 août 2018 relative à la mise en œuvre du transfert des compétences eau et assainissement aux communautés de communes (JORF n° 0179 du 5 août 2018) et n° 2019-1461 du 27 décembre 2019 relative à l’engagement dans la vie locale et à la proximité de l’action publique (JORF n° 0301 du 28 décembre 2019), la compétence « eau » est actuellement exercée à titre obligatoire par les établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre (EPCI-FP), à l’exception des communautés de communes pour lesquelles la date de transfert a été reportée au 1er janvier 2026.

Toutefois, il est possible pour les communes de transférer l’exercice de la compétence « eau », de manière anticipée, à leur communauté de communes de rattachement dans les conditions prévues à l’article 1er de la loi du 3 août 2018 précitée. Ce même article rappelle également que les EPCI-FP (tels que les communautés de communes) peuvent alors transférer l’exercice de la compétence eau à un syndicat supra-communautaire sur tout ou partie de son territoire ou à plusieurs syndicats situés chacun sur des parties distinctes de son territoire, en application de l’article L. 5211-61 du CGCT.

Le Ministère souligne alors que ce transfert de compétence entraine plusieurs conséquences bien connues :

  • D’une part, au regard du principe d’exclusivité, la commune est dessaisie de la compétence « eau » ;
  • D’autre part, au regard du principe de représentation-substitution, le transfert à l’EPCI-FP de la compétence « eau » qu’une commune avait antérieurement confiée à un syndicat dont le périmètre recouvre ou dépasse celui de l’EPCI-FP entraîne la substitution de ce dernier à la commune dans les conditions de l’article L. 5214-21 du CGCT pour les communautés de communes, du IV de l’article L. 5216-7 du CGCT pour les communautés d’agglomération, du IV de l’article L. 5215-22 du CGCT pour les communautés urbaines et du IV bis de l’article L. 5217-7 du CGCT pour les métropoles.

De même, l’EPCI-FP se substitue à la commune dans ses droits et obligations vis-à-vis du syndicat pour les missions liées à l’exercice de la compétence « eau ». De même, ce sont les conseillers communautaires (et non plus les représentants de la commune) qui siègent au comité syndical.

Enfin, le Ministère rappelle également que, si en vertu des articles L. 2212-1 et L. 2212-2 du CGCT, le maire de la commune demeure compétent pour faire usage de ses pouvoirs de police générale, celui-ci ne peut toutefois plus intervenir dans l’exercice de la police spéciale de l’eau sauf en cas de péril imminent. Cette police spéciale relève ainsi de la compétence du préfet conformément à l’article L. 211-5 du Code de l’environnement (CE, 2 décembre 2009, Commune de Rachecourt-sur-Marne, n° 309684).

Zéro artificialisation nette des sols, acte IV : Publications des décrets d’application de la loi du 20 juillet 2023

Décret n° 2023-1097 du 27 novembre 2023 relatif à la mise en œuvre de la territorialisation des objectifs de gestion économe de l’espace et de lutte contre l’artificialisation des sols

Décret n° 2023-1097 du 27 novembre 2023 relatif à la mise en œuvre de la territorialisation des objectifs de gestion économe de l’espace et de lutte contre l’artificialisation des sols

Le Gouvernement poursuit la mise en œuvre de son objectif de zéro artificialisation nette d’ici à 2050 avec la publication de trois nouveaux décrets, le 27 novembre dernier, venus préciser l’application des dispositions adoptées dans le cadre des lois dites « Climat et Résilience » du 22 août 2021 et loi « ZAN » du 20 juillet 2023, présentée ici lors de sa promulgation.

Très attendus, deux de ces trois décrets avaient été mis à la consultation du public l’été dernier. Le troisième décret tend à combler le vide juridique laissé par la censure partielle par le Conseil d’Etat du décret n° 2022-763 du 29 avril 2022 modifiant l’article R. 101-1 du Code de l’urbanisme relatif à la nomenclature des espaces artificialisés et non-artificialisés.

Destiné à corriger les effets de la censure partielle du décret n° 2022-763 du 29 avril 2022, le décret n° 2023-1096 définit la nomenclature permettant la distinction entre les sols artificialisés et les sols non-artificialisés qui sera déterminée en fonction de l’occupation effective d’un terrain mesurée à l’échelle d’un polygone dont la surface est définie par un tableau annexé à l’article R. 101-1 du Code de l’urbanisme :

Le nouvel article R. 101-1 du Code de l’urbanisme précise aussi que sont comptabilisés au sein des espaces non-artificialisés :

  • Les surfaces sur lesquelles sont implantés les panneaux photovoltaïques qui n’affectent pas « durablement les fonctions écologiques du sol, en particulier ses fonctions biologiques, hydriques et climatiques ainsi que son potentiel agronomique et, le cas échéant, que l’installation n’est pas incompatible avec l’exercice d’une activité agricole ou pastorale sur le terrain sur lequel elle est implantée» (6° du III de l’article 194 de la loi n° 2021-1104 du 22 août 2021)

Ces surfaces pourront être compatibilisées en fonction de leur usage dans la catégorie des sols nus (6° du tableau annexé à l’article R. 101-1), des surfaces à usage de cultures (7° du tableau) ou des autres sols végétalisés (10° du tableau).

  • Les jardins et parcs publics d’une surface minimale de 2.500 m² de terrain ou d’emprise au sol.

Ces surfaces pourront être compatibilisées comme surfaces végétalisées et qui constituent un habitat naturel (9° du tableau annexé à l’article R. 101-1) ou dans le cadre des autres sols végétalisés (10° du tableau annexé).

Pour rappel, cette nomenclature ne s’appliquera pas aux objectifs de la première tranche d’application de l’objectif ZAN. Cette tranche (2021-2031) vise uniquement la réduction de la consommation des espaces naturels, agricoles et forestiers.

Enfin, le décret introduit un nouvel article R. 2231-1 au Code général des collectivités territoriales précisant le contenu du rapport relatif à l’artificialisation des sols prévu à l’article L. 2231-1 du même code qui doit comprendre :

  • La consommation des espaces naturels, agricoles et forestiers en différenciant ces espaces et, le cas échéant, les espaces renaturés durant cette même période ;
  • Le solde entre les surfaces artificialisées et non-artificialisées ;
  • La surface de sols rendus imperméables au sens des catégories 1° et 2° du tableau annexé à l’article R. 101-1 du code ;
  • L’évaluation du respect des objectifs de réduction de la consommation d’espaces naturels, agricoles et forestiers et de lutte contre l’artificialisation des sols fixés dans les documents de planification et d’urbanisme.

Un tel rapport est établi pour une ou plusieurs années civiles et au moins tous les 3 ans à partir des données issues de l’observatoire de l’artificialisation, mises à disposition des collectivités.

Avec ce décret, le pouvoir réglementaire vient compléter les dispositions du décret n° 2022-762 du 29 avril 2022 pris pour l’intégration et la déclinaison des objectifs de gestion économe de l’espace et de lutte contre l’artificialisation des sols, tout en prenant en compte les évolutions de la loi du 20 juillet 2023.

Ayant pris en compte certaines des propositions de l’Association des Maires de France (cf. les 20 propositions de l’AMF pour la mise en œuvre du ZAN), le décret prend en compte les efforts passés ainsi que les spécificités locales de certaines communes notamment littorales et de montagne.

C’est ainsi que l’article R. 4251-3 du CGCT mentionne désormais que « les objectifs en matière de gestion économe de l’espace et de lutte contre l’artificialisation des sols sont définis et sont territorialement déclinés en considérant les efforts de réduction déjà réalisés, évalués compte tenu du nombre d’emplois et de ménages accueillis par hectare consommé ou artificialisé ».

Par ailleurs, est supprimée l’obligation de prévoir une cible chiffrée d’artificialisation à l’échelle infrarégionale au sein du SRADDET (qui reste tout de même une possibilité offerte aux régions). Ainsi, toute règle prise pour contribuer à l’atteinte des objectifs ZAN pourra toujours être déclinée entre les différentes parties du territoire régional en tenant compte nécessairement des périmètres des SCOT existants, pour ne pas méconnaître les compétences des échelons infrarégionaux.

Ensuite, la déclinaison territoriale doit permettre de tenir compte de la surface minimale de consommation de l’espace garantie pour les communes qui ne disposeraient pas d’espaces à artificialiser disponibles en application de la première tranche d’application de la loi.

De même, la déclinaison territoriale doit permettre aux communes exposées au risque de recul du trait de côte de favoriser des projets de recomposition spatiale pour les relocalisations nécessaires du fait de ce recul du trait de côte. La déclinaison territoriale prendra en compte les caractéristiques géographiques locales, notamment environnementales et paysagères, et doit être proportionnée à la surface des terrains qui sont situés dans les espaces urbanisés des zones délimitées par le recul du trait de côte et qui ont vocation à être renaturés pendant la tranche de dix ans en cours.

En outre, le pouvoir réglementaire a souhaité introduire des dispositions concernant les espaces agricoles afin d’assurer un équilibre entre la lutte contre l’artificialisation des sols et la préservation des activités agricoles. A ce titre, est ajouté un critère de territorialisation pour le maintien et le développement des activités agricoles permettant de réserver une part de l’artificialisation des sols aux projets de création ou d’extension de constructions nécessaires aux exploitations agricoles, à partir de 2031.

Enfin, le décret est venu rappeler qu’une autorisation d’urbanisme conforme aux prescriptions d’un document d’urbanisme en vigueur et ayant fixé des objectifs chiffrés de lutte contre l’artificialisation des sols ne peut pas être refusée au motif qu’elle compromettrait le respect de cet objectif.

C’est en effet par le biais de la traduction des objectifs dans les documents d’urbanisme que les objectifs de lutte de l’artificialisation des sols est opposable. L’article 3 du décret précise par ailleurs qu’ « en particulier, afin de préserver les espaces affectés aux activités agricoles, une autorisation d’urbanisme relative à une construction ou installation nécessaire à une exploitation agricole ne saurait être refusée au seul motif que sa délivrance serait de nature à compromettre de tels objectifs ».

Avec ce dernier décret, le pouvoir réglementaire est venu encadrer la composition et le fonctionnement de la commission régionale de conciliation sur l’artificialisation des sols, consultée en cas de désaccord entre l’Etat et la Région sur le classement d’un projet au sein de la liste des projets d’envergure nationale ou européenne présentant un intérêt général majeur.

Pour rappel, l’article 3 de la loi du 20 juillet 2023 avait prévu une comptabilisation spécifique de l’artificialisation des sols pour ce type de projet avec un forfait de 12.500 hectares dont 10.000 hectares dédiés aux régions couvertes d’un SRADDET.

S’agissant de la composition de cette commission régionale de conciliation sur l’artificialisation des sols :

  • Elle est composée de trois représentants de la région (désignés par le président du conseil régional) ainsi que de trois représentants de l’Etat et est présidée par un magistrat administratif désigné par le président de la cour administrative d’appel dans le ressort de laquelle se situe le chef-lieu de région.
  • Le préfet de région et le directeur régional chargé de l’environnement et de l’aménagement sont membres de droit de cette commission.
  • Un représentant par commune ou EPCI compétent en matière de documents d’urbanisme et un représentant par établissement public mentionné à l’article L. 143-16 du Code de l’urbanisme sur le territoire desquels se situe un projet d’envergure nationale ou européenne peuvent être invités être conviés à siéger à titre consultatif au sein de cette commission.

La commission dispose de son propre règlement intérieur, se réunit sur convocation de son président et elle peut être saisie par le président du conseil régional en cas de désaccord sur l’identification d’un projet d’envergure nationale ou européenne.

Les propositions, formulées dans le délai d’un mois à compter de la saisine de la commission, sont affichées, tenues à disposition du public et transmises au ministre chargé de l’urbanisme. Lorsque le ministre décide de ne pas les suivre, sa décision doit être motivée et transmise aux membres de la commission.

Pas de lotissement sans construction : le Conseil d’Etat apporte une précision sur la notion de lotissement

Par un arrêt du Conseil d’Etat en date du 29 novembre 2023, le Conseil d’Etat est venu apporter des précisions quant à la qualification de lotissement au sens des dispositions des articles L. 442-1 du Code de l’urbanisme.

En l’espèce, le Maire de la commune de Maisons-Laffitte avait délivré le 9 août 2021 à la société Longueil Invest un permis d’aménager en vue de la division d’une parcelle en deux parcelles distinctes : l’une supportant déjà une construction et l’autre destinée à être bâtie, cette dernière constituant l’unique lot du périmètre du lotissement.

Par ailleurs, précédemment, le 9 juin 2021, le maire de la commune avait aussi délivré un permis de construire tenant lieu de déclaration préalable de lotissement pour l’extension d’une construction située sur une parcelle issue d’une division parcellaire. L’autre parcelle concernée par cette division supportait déjà une construction et n’était pas incluse dans le périmètre du lotissement ainsi créé.

Le Tribunal administratif de Versailles a rejeté les deux recours en excès de pouvoir de l’Association de défense de l’environnement du parc de Maisons-Laffitte, qui se pourvoit en cassation.

Le Conseil d’Etat se saisit de ces deux contentieux pour rappeler qu’un lotissement doit nécessairement comprendre un lot à bâtir (même unique). Précisant cette notion, le Conseil d’Etat affirme que ne peuvent être compris dans la notion de lotissement les détachements de terrains bâtis qui ne sont pas destinés à la démolition, y compris dans l’hypothèse d’une démolition partielle accompagnée d’une extension même significative :

« 3. Il résulte de ces dispositions que la division en propriété ou en jouissance d’une unité foncière constitue un lotissement dès lors que l’un au moins des terrains issus de cette division est destiné à être bâti. Le périmètre du lotissement peut ainsi, au choix du lotisseur, ne comprendre qu’un unique lot à bâtir ou comprendre, avec un ou des lots à bâtir, des parties déjà bâties de l’unité foncière. Il en résulte également que ne constitue pas un lotissement le détachement d’un terrain supportant un ou plusieurs bâtiments qui ne sont pas destinés à être démolis, y compris lorsqu’est envisagée l’extension, même significative, de l’un de ces bâtiments, le cas échéant après démolition d’une partie de celui-ci, ou la construction d’annexes à ces bâtiments ».

En l’espèce, le Conseil d’Etat rejette le pourvoi contre l’arrêté du 9 août 2021. En effet, il était loisible à la société Longueil Invest de limiter le périmètre du lotissement à la seule partie destinée à être bâtie si bien que la conformité des règles d’urbanisme n’avait pas à être vérifiée sur l’autre parcelle issue de la division, mais non-comprise dans le lotissement.

Également, en application de ces règles, le Conseil d’Etat rejette le pourvoi contre l’arrêté du 9 juin 2021. En effet, dans la mesure où le permis de construire visait la démolition d’une terrasse et d’une véranda pour la construction d’une extension, d’un garage et d’une piscine notamment sans démolition complète du bien, il ne pouvait pas être considéré comme constituant un lotissement soumis à déclaration préalable ou permis d’aménager. Le permis de construire ainsi délivré était donc légal.

Précisions sur la notion d’ « entreprise » dans l’application des règles relatives aux aides d’Etat

Une « entreprise » peut être qualifiée comme telle au sens du droit des aides d’Etat du seul fait qu’elle exerce une activité économique, y compris dans le cas où elle acquiert un bien public dans des conditions lui conférant un avantage économique mais ne l’utilise pas dans le cadre de son activité et, ce, malgré ce que pouvait (sembler) indiquer une décision de la Commission européenne faisant un lien entre exploitation des biens et qualification d’ « entreprise ».

Le présent arrêt a été rendu dans le cadre d’une affaire portant sur une opération de restitution, par la République de Bulgarie à leurs anciens propriétaires, de terres forestières qui avaient été nationalisées au cours de l’année 1947. Plus précisément, un amendement de la loi sur les forêts, entré en vigueur le 22 février 2002, a permis des échanges de terres forestières privatisées contre des terres forestières de cet l’Etat bulgare, les prix des terrains échangés étant déterminés sur la base de critères fixés par la réglementation bulgare.

La Commission européenne a considéré, par une décision en date du 5 septembre 2014, que certaines aides octroyées à des « entreprises » dans le cadre des opérations d’échange de terres forestières concernées au cours de la période comprise entre le 1er janvier 2007, date de l’adhésion de la République de Bulgarie à l’Union européenne, et le 27 janvier 2009, avaient été illégalement mises à exécution par cet Etat et qu’elles étaient incompatibles avec le marché intérieur, et qu’elles devaient être récupérées.

Les autorités bulgares ont, par un acte de constatation d’une créance publique, réclamé certaines sommes à une personne physique, bénéficiaire de terrains, et une société dont cette personne était actionnaire et qui s’était vu céder les terrains.

Celles-ci ont exercé un recours contre cet acte devant l’Administrativen sad – Varna (tribunal administratif de Varna), en soutenant notamment qu’elles ne pouvaient pas être considérées comme des « entreprises » au sens de l’article 107 § 1 TFUE, dès lors que les terrains acquis dans le cadre de l’échange litigieux n’ont finalement pas été utilisés à des fins économiques.

En effet, la décision de la Commission indiquait que « certains bénéficiaires des opérations d’échange contestées n’ont pas exercé d’activité économique avec les terres forestières échangées pendant la période considérée et n’exercent pas actuellement une telle activité », de telle sorte que « ces bénéficiaires ne peuvent pas être considérés comme des entreprises au sens de l’article 107, paragraphe 1, [TFUE] et qu’il est, par conséquent, considéré qu’il n’y a pas d’aide d’État dans les opérations d’échange qu’ils ont conclues avec l’État bulgare » (§ 127). Ainsi, si les requérantes admettaient avoir bénéficié d’un avantage économique, elles soutenaient ne pas en avoir bénéficié en tant qu’entreprises visées à l’article 107 TFUE dès lors que la décision de la Commission faisait le lien, certes dans un seul passage, entre exploitation des terres forestières échangées et qualification d’entreprise.

La juridiction bulgare a saisi, dans le cadre du litige, la Cour de justice de l’Union européenne de questions préjudicielles relatives à l’interprétation de l’article 107 TFUE et de deux actes de droit dérivé (le règlement 2015/1589 du Conseil du 13 juillet 2015 portant modalités d’application de l’article 108 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, et la décision de la Commission du 5 septembre 2014), dont une avait trait au fait de savoir si, au regard des termes de la décision de la Commission, la qualification d’« entreprise » dépendait de l’exploitation des terres forestières acquises dans le cadre des échanges de terres en cause.

La CJUE répond clairement de manière négative et exclut tout lien entre inexploitation des terres échangées et absence de qualification d’ « entreprise » en rappelant, d’une part, qu’il ne ressort aucunement que la qualification d’« entreprise », au sens de l’article 107 TFUE, serait subordonnée à la circonstance que l’activité économique concernée présente un lien avec des biens dont l’acquisition serait constitutive d’une aide d’État et, d’autre part, qu’il est de jurisprudence constante que, lorsqu’un texte du droit dérivé de l’Union est susceptible de faire l’objet de plusieurs interprétations, il convient de donner la préférence à celle qui rend la disposition conforme au traité plutôt qu’à celle conduisant à constater son incompatibilité avec celui-ci (CJUE, 4 mai 2016, Philip Morris Brands e.a., C‑547/14, point 70).

Sur la possibilité d’attribuer un contrat de délégation de service public sur la base des offres intermédiaires en cas de fuite d’informations confidentielles

Par une récente ordonnance[1], les Juges des référés précontractuels du Tribunal administratif de Paris statuant en formation collégiale ont eu l’occasion de rappeler que, dans des circonstances très particulières, l’autorité concédante peut décider de mettre un terme anticipé à la procédure de passation d’une délégation de service public, et d’attribuer le contrat sur la base des offres intermédiaires remises par les candidats, alors même qu’une étape de remise des offres finales était prévue par le règlement de consultation.

Dans cette affaire, le Syndicat des Eaux d’Ile-de-France (SEDIF) a lancé une procédure de mise en concurrence en vue de l’attribution d’un contrat de concession portant sur le renouvellement de la délégation de la gestion du service public de l’eau potable pour une durée de douze ans, à compter du 1er janvier 2025.

Au cours de la procédure de négociations à laquelle la Société Suez Eau France et la Société Veolia avaient été admises à participer, la Société Véolia a été destinataire de documents confidentiels relatifs aux négociations de sa concurrente et de son projet d’offre.

Après en avoir été informé par la Société Véolia (sept jours plus tard !), le président du SEDIF a missionné un expert informatique pour analyser les causes et les conséquences du dysfonctionnement, et rechercher les mesures de remédiation qui pourraient être mises en œuvre pour reprendre les négociations avec les soumissionnaires dans le respect de l’égalité de traitement. Il en est notamment ressorti que cette fuite d’informations avait été causée par une erreur de programmation de la plateforme sécurisée de mise à disposition de documents, et que la Société Veolia avait téléchargé, pris connaissance, copié et imprimé les documents relatifs à l’offre de sa concurrente.

A l’issue de cette expertise, le président du SEDIF a donc estimé, par une décision en date du 17 octobre 2023, que les conditions d’une reprise des négociations n’étaient pas réunies, et qu’il convenait d’y mettre un terme pour l’attribution du contrat. Les soumissionnaires ont alors été informés qu’ils ne seraient pas invités à soumettre d’offre finale, que l’attribution du contrat de concession s’effectuerait au regard des offres intermédiaires d’ores et déjà remises par les soumissionnaires, et qu’il serait procédé à une « mise au point » avec chacun d’entre eux.

Non contente que le SEDIF n’ait pas plutôt fait le choix d’exclure la candidature de la Société Véolia, la Société Suez Eau France a introduit un référé précontractuel aux fins d’annulation de la procédure de passation de la concession au stade de cette décision.

A l’appui de sa requête, la Société Suez Eau France arguait d’abord que le SEDIF aurait dû exclure de la procédure de passation la Société Véolia, en s’appuyant sur l’article
L. 3123-8 du Code de la commande publique, repris à l’article 10 du règlement de consultation, qui dispose que :

« L’autorité concédante peut exclure de la procédure de passation d’un contrat de concession les personnes qui ont entrepris d’influer indûment le processus décisionnel de l’autorité concédante ou d’obtenir des informations confidentielles susceptibles de leur donner un avantage indu lors de la procédure de passation du contrat de concession, ou ont fourni des informations trompeuses susceptibles d’avoir une influence déterminante sur les décisions d’exclusion, de sélection ou d’attribution ».

Les Juges des référés ont toutefois écarté ce moyen, en considérant qu’en ayant averti le SEDIF de cette fuite d’information, la Société Veolia avait renoncé à tirer parti de ces éléments confidentiels dans le cadre de cette procédure.

Dans un second moyen, la Société Suez Eau France arguait également que le SEDIF avait remis en cause, au cours de la procédure, une étape essentielle de la procédure de négociation.

Pour rappel, en droit, en vertu de l’article L. 1411-58 du Code général des collectivités territoriales (CGCT) et de l’article L. 3124-1 du Code de la commande publique (CCP), l’autorité concédante dispose d’une liberté de négociation, et aucune disposition ne lui fait obligation de définir préalablement à l’engagement de la négociation les modalités de celle-ci, ni de prévoir un calendrier de ses différentes phases. Toutefois, il est de jurisprudence constante que, dans le cas où le règlement de consultation prévoit des modalités et un calendrier pour la remise des offres, le respect du principe de transparence des procédures exige, en principe, que l’autorité délégante ne puisse remettre en cause les « étapes essentielles » de la procédure et les conditions de la mise en concurrence. Cette interdiction vaut également s’agissant de l’étape de la remise d’une offre finale, qui constitue sans nul doute une étape essentielle de la procédure, en ce sens qu’elle doit permettre aux candidats d’ajuster leurs offres en fonction de leurs derniers échanges, et que cette étape fait partie intégrante de leur stratégie de négociation et de dévoilement.

Mais, pour écarter ce moyen tiré de la remise en cause d’une étape essentielle de la procédure, les Juges des référés ont pu très largement s’inspirer d’une solution qui avait été dégagée par le Conseil d’Etat en 2017, et qui avait été rendue dans des circonstances « très particulières »[2], relativement similaires au cas qui leur était soumis.

Dans cette affaire, la Haute juridiction avait en effet considéré, après avoir rappelé les principes précités, qu’il appartenait à l’autorité délégante « de veiller en toute hypothèse au respect des principes de la commande publique, en particulier à l’égalité entre les candidats et à la transparence des procédures », et que la décision consistant à figer l’état des offres à la date de la divulgation des informations confidentielles avait permis, dans les circonstances très particulières de l’espèce, de pallier une atteinte à l’égalité de traitement des candidats.

Au cas présent, les Juges ont donc, de la même manière, relevé que la décision prise par le SEDIF avait été prise précisément pour remédier à la transmission par erreur des documents confidentiels, et que les candidats avaient été mis en mesure de présenter une offre initiale et une offre améliorée, lesquelles étaient complètes et formalisées à l’issue d’échanges approfondis avec l’autorité concédante.

En substance, les Juges se sont attachés à constater que l’égalité entre les candidats avait été respectée :

« A supposer même que ces offres avaient vocation à évoluer et que l’offre finale était susceptible de comporter de nouveaux éléments, dès lors que les deux soumissionnaires, qui ont bénéficié des mêmes délais, des mêmes temps d’échanges avec l’autorité concédante et d’un volume comparable de questions, propositions d’amendements et commentaires de sa part, ont été traités dans le respect du principe d’égalité, tout au long de la procédure de négociation ».

Ils ont également noté qu’il existait un intérêt public à ce que le SEDIF demeure en mesure d’examiner des offres concurrentes en vue de la passation de la concession de la gestion du service public de l’eau potable, et que celui-ci justifie qu’il poursuive la procédure de passation de la concession de ce contrat, et ont précisé qu’il est loisible au SEDIF d’exclure la société Veolia à tout moment de la procédure jusqu’à l’attribution de la concession, sur le fondement de l’article 10 du règlement de consultation, ou de clore la procédure en la déclarant sans suite.

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[1] TA Paris, 29 novembre 2023, req. n° 2325466.

[2] CE, 8 novembre 2017, Société Transdev, req. n° 412859. Dans cette affaire, l’un des deux candidats avait été destinataire, par erreur, d’une clé USB contenant un certain nombre d’éléments qui portaient sur l’offre de son concurrent. L’autorité concédante avait alors décidé de supprimer la phase de remise des offres finales, et de procéder au choix du délégataire sur la base des offres intermédiaires d’ores et déjà remises par les candidats. La société qui avait été destinataire de ces documents avait ensuite saisi le juge des référés précontractuels d’une demande d’annulation de cette décision.

Loi SRU : Le Tribunal administratif de Versailles ramène de 250 % à 100 % le taux de majoration appliqué à la commune de l’Étang-la-Ville au titre de la triennale 2017-2019

Pour faire face à la pénurie de logements sociaux, l’article 55 de la loi no 2000-1208 du 13 décembre 2000 relative à la solidarité et au renouvellement urbain (dite « loi SRU ») impose à certaines communes[1] un seuil minimum de production de logements sociaux sur leur territoire.

Lorsqu’une commune n’a pas respecté ses objectifs de réalisation de logements sociaux, le préfet peut alors, en tenant compte de l’importance de l’écart entre les objectifs et les réalisations constatées au cours de la période triennale échue, des difficultés rencontrées le cas échéant par la commune et des projets de logements sociaux en cours de réalisation, prononcer la carence de la commune.

C’est ainsi que, par un arrêté du 28 décembre 2020, le préfet des Yvelines, après avoir constaté le non-respect par la Commune de l’Étang-la-Ville de ses objectifs de réalisation de logements sociaux sur la période triennale 2017-2019 a, d’une part, prononcé la carence de cette commune et, d’autre part, fixé à 250 % le taux de la majoration appliqué sur le montant du prélèvement par logement manquant pour une durée de trois ans à compter du 1er janvier 2021.

Saisi d’un recours en annulation de l’arrêté préfectoral, le tribunal, statuant comme juge de plein contentieux, était amené, d’une part, à déterminer si le prononcé de la carence procédait d’une erreur d’appréciation du préfet et, d’autre part, dans la négative, d’apprécier si, compte tenu des circonstances de l’espèce, la sanction retenue était proportionnée à la gravité de la carence.

Si le tribunal a écarté le moyen tiré de l’erreur d’appréciation, les circonstances de l’espèce ne permettant pas d’exclure le prononcé de la carence, il a, en revanche, retenu le caractère disproportionné du taux de majoration au regard de la situation particulière de la Commune et des efforts consentis par celle-ci.

En effet, la Commune justifiait d’une contrainte naturelle importante dès lors que la forêt domaniale de Marly occupe 65 % de son territoire, qui ne peut ainsi être entièrement mobilisé pour la réalisation de logements sociaux.

Elle avait par ailleurs développé, à partir de 2019, des outils pour faciliter l’atteinte des objectifs fixés par le préfet, avec notamment la révision de son plan local d’urbanisme et la signature du protocole « Prevention Carence » avec le conseil départemental des Yvelines.

Ainsi, le tribunal a considéré que le taux de majoration de 250 % appliqué par le préfet présentait un caractère disproportionné et l’a en conséquence ramené à 100 %.

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[1] Les communes d’au moins 1 500 habitants en IDF et 3 500 habitants sur le reste du territoire, qui sont comprises dans une agglomération ou un EPCI de plus de 50 000 habitants comprenant au moins une commune de plus de 15 000 habitants, et dans lesquelles le nombre total de logements locatifs sociaux représente, au 1er janvier de l’année précédente, moins de 25 % des résidences principales ; ce taux peut être ramené à 20 % pour les communes appartenant à des territoires dont la situation locale ne justifie pas un renforcement des obligations de production de logements sociaux (Art. L. 302-5 du code de la construction et de l’habitation).

Précisions sur les conséquences de la modification d’un projet objet d’une demande d’autorisation d’urbanisme en cours d’instruction

Rappel des faits et de la procédure :

Dans cette affaire, une société a sollicité, le 22 juillet 2016, un permis de construire portant sur deux immeubles à usage d’habitation sur le territoire de la commune de Gorbio.

Par une lettre en date du 19 août 2016, la Commune a demandé des pièces complémentaires à la société pétitionnaire.

Les pièces complémentaires ont été transmises à la Commune le 29 août 2023.

Le dossier était alors en état d’être instruit.

Plus précisément, le délai d’instruction, ici de trois mois, a donc commencé à courir à compter du 29 août 2023.

C’est ici bien comprendre que, sauf intervention préalable d’une décision expresse, un permis de construire tacite serait né le 29 novembre 2023.

Toutefois, le pétitionnaire a produit de nouvelles pièces – nullement sollicitées par la Commune – les 27 octobre et 25 novembre 2016. Ces éléments correspondaient à des modifications de la demande de permis de construire initiale portant, d’une part, sur l’implantation d’un ouvrage d’art et, d’autre part, sur l’insertion paysagère du parking.

Le maire a finalement rejeté la demande de permis de construire de la société le 26 décembre 2016.

Le pétitionnaire a exercé un recours pour excès de pouvoir à l’encontre de cette décision de refus devant Le Tribunal administratif de Nice, qui l’a annulée.

La Commune a interjeté appel mais la Cour administrative d’appel de Marseille a confirmé le jugement de Nice.

La Commune s’est donc pourvue en cassation.

 

Analyse de la décision du Conseil d’Etat :

D’abord, le Conseil d’Etat a rappelé les articles L. 423-1 et L. 424-2 du Code de l’urbanisme et également leur pendant réglementaires -, qui disposent, en substance les cas dans lesquels le service instructeur peut réduire ou prolonger les délais classiques d’instruction (considérants n° 2 et 3).

Pour rappel, le délai d’instruction d’une déclaration préalable est d’un mois à compter du dépôt du dossier de déclaration préalable complet.

De même, le délai d’instruction d’une demande de permis de construire classique est de deux mois. Ce délai peut être prolongé pour des projets plus techniques, et notamment lorsqu’il est nécessaire de saisir l’architecte des bâtiments de France pour avis.

Aussi, l’on rappelle que le dossier est réputé complet si l’autorité compétente n’a pas, dans le délai d’un mois à compter du dépôt du dossier en mairie, notifié au demandeur la liste des pièces manquantes. A l’inverse, dès réception d’une telle demande de pièces complémentaires, le demandeur aura trois mois pour transmettre les pièces sollicitées. A défaut, l’administration considérera que le demandeur a abandonné sa demande d’autorisation d’urbanisme.

Ensuite, le Conseil d’Etat a rappelé que les juges d’appel avaient rejeté l’appel de la Commune au motif que l’envoi par la société pétitionnaire, les 27 octobre et 25 novembre 2016, de pièces nouvelles au service instructeur de la Commune, n’était pas susceptible d’influer sur la date de naissance d’un permis tacite, le 29 novembre 2016, consécutif à l’expiration du délai d’instruction de trois mois.

Or, le Conseil d’Etat a considéré que, ce faisant, la Cour avait commis une erreur de droit car il appartenait au service instructeur de rechercher si des modifications intervenues en cours d’instruction par le pétitionnaire, compte tenu de leur objet, de leur importance ou de la date à laquelle elles ont été présentées, pouvaient être prises en compte dans le délai qui lui était imparti pour se prononcer sur la demande initiale ou, à défaut, d’informer le pétitionnaire qu’elles avaient pour effet d’ouvrir un nouveau délai d’instruction de la demande ainsi modifiée.

Le considérant de principe est le suivant :

  1. En l’absence de dispositions expresses du Code de l’urbanisme y faisant obstacle, il est loisible à l’auteur d’une demande de permis de construire d’apporter à son projet, pendant la phase d’instruction de sa demande et avant l’intervention d’une décision expresse ou tacite, des modifications qui n’en changent pas la nature, en adressant une demande en ce sens accompagnée de pièces nouvelles qui sont intégrées au dossier afin que la décision finale porte sur le projet ainsi modifié. Cette demande est en principe sans incidence sur la date de naissance d’un permis tacite déterminée en application des dispositions mentionnées ci-dessus. Toutefois, lorsque du fait de leur objet, de leur importance ou de la date à laquelle ces modifications sont présentées, leur examen ne peut être mené à bien dans le délai d’instruction, compte tenu notamment des nouvelles vérifications ou consultations qu’elles impliquent, l’autorité compétente en informe par tout moyen le pétitionnaire avant la date à laquelle serait normalement intervenue une décision tacite, en lui indiquant la date à compter de laquelle, à défaut de décision expresse, la demande modifiée sera réputée acceptée. L’administration est alors regardée comme saisie d’une nouvelle demande se substituant à la demande initiale à compter de la date de la réception par l’autorité compétente des pièces nouvelles et intégrant les modifications introduites par le pétitionnaire. Il appartient le cas échéant à l’administration d’indiquer au demandeur dans le délai d’un mois prévu par l’article R. 423-38 du Code de l’urbanisme les pièces manquantes nécessaire à l’examen du projet ainsi modifié.»

Il convient d’analyser précisément ce considérant en trois temps.

  • En premier lieu, ce considérant a pour intérêt d’indiquer que, dans la mesure où aucune disposition du Code de l’urbanisme ne l’interdit, le demandeur peut, pendant la phase d’instruction de sa demande d’autorisation d’urbanisme et avant l’intervention d’une décision expresse ou tacite, apporter des modifications à son projet dès lors que celles-ci ne changent pas la nature dudit projet. Pour ce faire, le demandeur devra adresser une demande en ce sens au service instructeur, accompagnée de ses nouvelles pièces.

Sous cette réserve, cette modification en cours d’instruction, à l’initiative du demandeur qui vient apporter de nouveaux éléments et pièces ne changeant toutefois pas la nature même du projet, n’aura en principe pas d’incidence sur la date de naissance d’un permis tacite.

  • En deuxième lieu, par exception, lorsque le service instructeur ne s’estimera pas en mesure d’instruire la demande selon les modifications du projet apportées en cours d’instruction par le demandeur, dans le cadre du délai initial, le service instructeur en informera par tout moyen le pétitionnaire avant la date à laquelle devait initialement intervenir la décision tacite, et lui indiquer la nouvelle date qui fera naître, à défaut de décision expresse, la délivrance d’un permis.

Cette prolongation pourra être justifiée par le fait que les modifications, du fait de leur objet, de leur importance ou de la date à laquelle elles sont présentées, notamment car les modifications et nouvelles pièces, impliquent de nouvelles vérifications et/ou consultations, de sorte que leur examen ne pourra être mené à bien dans le délai d’instruction découlant de la demande initiale.

  • En troisième lieu, le Conseil d’Etat considère que, lorsque le service instructeur reçoit une demande de modification du projet et de nouvelles pièces, par le demandeur lui-même, en cours d’instruction, cette action doit se regarder comme une nouvelle demande qui se substitue à la demande initiale.

Par conséquent, le Conseil d’Etat a considéré que la Commune était fondée à solliciter l’annulation de l’arrêt de la cour administrative d’appel confirmant le jugement du tribunal administratif de Nice. Le Conseil d’Etat a donc renvoyé l’affaire devant la Cour de Marseille.

Enfin, cette nouvelle décision peut, selon nous, être mise en parallèle avec deux autres décisions récentes du Conseil d’Etat, à savoir :

  • La décision en date du 9 décembre 2022 (n° 454521, publié au Recueil). Dans cette affaire, le Conseil d’Etat a jugé que la production, en cours d’instruction, d’une pièce demandée par l’administration, demande illégale en ce qu’elle n’est pas exigée par le Code de l’urbanisme, n’aura pas pour objet d’interrompre, ni de modifier le délai d’instruction.
  • La décision en date du 24 octobre 2023 (n° 462511, publié au Recueil). Par cette décision, le Conseil d’Etat a jugé que la modification du délai d’instruction notifiée après l’expiration du délai d’un mois prévu pour ce faire, ou qui, bien que notifié dans ce délai d’un mois, ne correspond à aucune des hypothèses permettant de majorer le délai d’instruction, n’a pas pour effet de modifier le délai d’instruction de droit commun à l’issue duquel nait un permis tacite ou une décision de non-opposition à déclaration préalable.

Loi Industrie verte : coup d’œil sur les quelques ajustements et assouplissements apportés au Code de la commande publique

Dans le prolongement de la loi dite Climat et résilience[1] – dont certaines des dispositions poursuivant l’objectif fixé de « verdissement » de la commande publique n’entreront en vigueur qu’à compter du 22 août 2026 – la loi Industrie verte publiée au JO du 24 octobre dernier, dont nous avons commenté ses apports en droit de l’environnement dans notre précédente Lettre d’actualité, comporte également des modifications en matière de commande publique.

Loin de porter des évolutions fondamentales permettant la prise en compte effective des enjeux environnementaux dans la commande publique, elle intègre des assouplissements et ajustement de dispositifs existants de nature à faciliter le verdissement de l’achat public pour certains d’entre eux.

  1. Les dérogations à certaines règles de la commande publique pour les entités adjudicatrices

Pour les entités adjudicatrices, exerçant notamment des activités d’opérateurs de réseaux dans lesquelles les enjeux environnementaux occupent une place centrale, la loi Industrie verte prévoit certaines exceptions aux règles de droit commun de la commande publique.

D’abord, la loi Industrie verte modifie l’article L. 21113-11 du Code de la commande publique (ci-après CCP) pour permettre de ne pas allotir un marché public « lorsque la dévolution en lots séparés risque de conduire à une procédure infructueuse » (article 26 de la loi).

Également, les entités adjudicatrices pourront prévoir pour leurs accords-cadres une durée supérieure à huit ans, lorsque cela est justifié « par un risque important de restriction de concurrence ou de procédure infructueuse dans le cadre de la procédure de passation d’un accord-cadre engagée par une entité adjudicatrice ». Il s’agit là d’une dérogation supplémentaire apportée au principe encadrant la durée des accords-cadres des entités adjudicatrices tel qu’il est fixé par l’article L. 2125-1 du CCP (article 27 de la loi).

Par ailleurs, celles-ci peuvent désormais, par exception au principe posé à l’article L. 2151-1 du CCP, autoriser les opérateurs économiques à présenter une offre variable selon le nombre de lot susceptibles d’être obtenus (article 28 de la loi).

Enfin, l’article 29 de la loi permet aux entités adjudicatrices de rejeter certaines offres présentées dans le cadre de la passation d’un marché de fournitures ou d’un marché de travaux de pose et d’installation de ces fournitures lorsqu’elles proposent des produits originaires d’un pays tiers à l’Union européenne avec lequel aucun des accords visés par cet article 29 n’a été conclu et qui représentent une part majoritaire de la valeur totale des produits contenus dans l’offre qui serait ainsi rejetée.

  1. Les nouvelles possibilités d’exclusion des procédures de mise en concurrence

Sur ce terrain, la loi Industrie verte habilite, d’une part, le Gouvernement à prendre par voie d’ordonnance les mesures permettant la mise en œuvre d’un dispositif d’exclusion des procédure de marchés publics et de concessions pour les opérateurs qui n’auraient pas procédé aux publications d’information en matière de durabilité telles qu’elles résulteront de la transposition de la directive du 14 décembre 2022 en la matière[2]. Cette transposition devant être effectuée dans les trois mois à compter de la promulgation de la loi Industrie verte (article 25 de la loi).

Et d’autre part, elle insère un article L. 2141-7-2 au sein du CCP permettant aux acheteurs d’exclure de la procédure de passation d’un marché « les personnes soumises à l’article L. 229-25 du Code de l’environnement qui ne satisfont pas à leur obligation d’établir un bilan de leurs émissions de gaz à effet de serre pour l’année qui précède l’année de publication de l’avis d’appel à la concurrence ou d’engagement de la consultation ». La même disposition est intégrée dans un nouvel article L. 3123-7 du CCP pour les contrats de concession.

  1. Le Schéma de promotion des achats publics socialement et écologiquement responsables (SPASER) étendu et étayé

Le SPASER, prévu par l’article L. 2111-3 du Code de la commande publique doit être établi par les acheteurs soumis au Code de la commande publique dont les achats sont supérieurs à un certain montant[3], et ce afin de déterminer leurs objectifs de politique d’achat en matière sociale et écologique par l’utilisation de certains indicateurs.

La loi Industrie verte vient préciser le contenu de ce schéma s’agissant des informations et objectifs qu’il expose au plan écologique.

Elle loi permet par ailleurs à plusieurs acheteurs de mettre en commun leur SPASER, y compris lorsqu’ils ne sont pas soumis à l’obligation de l’établir en raison du montant de leurs achats.

  1. L’insertion de la possibilité de fixer des critères environnementaux parmi les dispositions légales

Pour mémoire, ainsi que le prévoit loi Climat et Résilience précitée, les acheteurs publics auront l’obligation, à partir du 22 août 2026, et dès le 1er juillet 2024 s’agissant des contrats portant sur l’implantation ou l’exploitation d’installations de production ou de stockage d’énergies renouvelables au sens de l’article L. 211-2 du Code de l’énergie, de fixer au moins un critère de sélection des offres portant sur les caractéristiques environnementales de la prestation objet du contrat. Et ce, y compris lorsqu’un critère unique relatif au « coût » a été fixé (la possibilité de ne retenir qu’un seul critère de sélection fondé sur le « prix » de l’offre étant supprimée)[4].

D’ici là, la loi Industrie verte vient, sans instaurer d’obligation en ce sens, intégrer à l’article L. 2152-7 du Code de la commande publique la possibilité pour les acheteurs publics de prendre en compte les aspects qualitatifs, environnementaux ou sociaux de l’offre.

Et ce, alors que cette précision figurait déjà parmi les dispositions réglementaires du CCP (article R. 2152-7). A ce titre le Conseil d’Etat, dans son avis du 17 mars 2023 sur le projet de loi relatif à l’Industrie verte, avait pourtant considéré quant à cette disposition que « l’explicitation de cette notion d’offre économiquement la plus avantageuse a été inscrite jusqu’à présent dans la partie réglementaire du code de la commande publique et aucune raison valable ne conduit à revenir sur le partage entre loi et règlement auquel il a ainsi été procédé ».

Aucune évolution notable de la loi Industrie n’est donc pour l’heure à retenir au plan de l’intégration de la considération environnementale dans les critères de sélection des offres.

Toutefois, le communiqué de presse du Conseil des ministres du 16 mai 2023 sur loi Industrie verte ayant envisagé « l’accélération de la mise en œuvre obligatoire (dès juillet 2024 au lieu d’août 2026) de critères environnementaux dans les marchés publics pour des produits clés de la décarbonation », il convient de rester attentif à la parution d’un décret permettant l’entrée en vigueur anticipée de ce dispositif pour certains marchés publics.

Marie-Hélène Pachen-Lefèvre et Ana Nuytten

 

[1] Loi n° 2021-1104 du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets

[2] DIRECTIVE (UE) 2022/2464 DU PARLEMENT EUROPÉEN ET DU CONSEIL du 14 décembre 2022 modifiant le règlement (UE) no 537/2014 et les directives 2004/109/CE, 2006/43/CE et 2013/34/UE en ce qui concerne la publication d’informations en matière de durabilité par les entreprises.

[3] Fixé à cinquante millions d’euros hors taxes par l’article D. 2111-3 du Code de la commande publique.

[4] Pour plus de précision, voir notamment en ce sens Contrats Publics n° 243, Juin 2023, Favoriser l’utilisation des énergies renouvelables dans les marchés publics, Ana Nuytten et Alexandra Ouzar, avocates à la Cour, Cabinet Seban et Associés : https://www.seban-associes.avocat.fr/wp-content/uploads/2023/07/A.-Nuytten-et-A.-Ouzar-Favoriser-lutilisation-des-energies.pdf

SPECIALE 100ème : la LAJEE intègre les mobilités et devient la LAJEEM !

Pour répondre aux besoins d’information et d’analyse croissants et interdépendants de ses lecteurs, notre Lettre d’actualités juridiques Energie et Environnement (LAJEE) s’enrichit en s’ouvrant au secteur de la mobilité : à l’occasion de ce 100ème numéro, elle devient la Lettre d’actualités juridiques Energie, Environnement et Mobilité (LAJEEM).

Notre Cabinet a créé la LAJEE en 2014 avec la certitude que la transition écologique constituait un défi majeur pour le secteur public.

Aujourd’hui, le secteur des transports est, et de loin, le plus grand poste d’émissions de CO² en France. La révolution des mobilités sera donc une des clés de la transition écologique. Et les chantiers sont nombreux : développement des bornes de recharge de véhicules électriques et de toutes formes de mobilité douce, accroissement de l’intermodalité avec notamment le billet unique promis par le Gouvernement, développement du ferroviaire pour les transports publics de voyageurs (ouverture à la concurrence, mise en œuvre des services express régionaux métropolitains, développement des trains de nuit).

Le développement de la mobilité propre comme l’évolution de tous les usages consommateurs d’énergie nécessitent plus que jamais que la production d’énergie renouvelable et l’alimentation en énergies soient au rendez-vous de la transition écologique. Ces sujets juridiques d’actualité se nourrissent les uns les autres et leur maitrise fait la force de SEBAN & ASSOCIES.

C’est donc tout naturellement que nous avons décidé d’ajouter un « M » à notre LAJEE.

Bonne lecture à toutes et tous

Marie-Hélène Pachen-Lefèvre, Marion Terraux, Didier Seban, Thomas Rouveyran et Guillaume Gauch

Marchés globaux de performance énergétique à paiement différé : Fin Infra publie la méthodologie de réalisation de l’étude préalable

Le décret n° 2023-913 relatif aux marchés globaux de performance énergétique à paiement différé, publié le 3 octobre dernier en application des dispositions de la loi n° 2023-222 en date du 30 mars 2023, a précisé les modalités selon lesquelles les avis de la Mission d’appui au financement des infrastructures (ci-après « Fin Infra ») et du Ministre chargé du budget seront rendus respectivement sur l’étude préalable qui a objet de démontrer l’intérêt du recours à un marché global de performance énergétique à paiement différé (ci-après « MGPEPD »), et sur l’étude de soutenabilité budgétaire qui apprécie notamment les conséquences du contrat sur les finances publiques et la disponibilité des crédits.

S’il ressort aujourd’hui une volonté manifeste de Fin Infra[1] de favoriser le déploiement des opérations de rénovation énergétique des bâtiments publics à l’occasion des avis que ce service aura à rendre sur les études préalables qui lui seront soumises, notre analyse du décret révèle une complexité non négligeable pour les collectivités territoriales et leurs groupements, et tout particulièrement dans l’élaboration des dossiers constitutifs de l’étude préalable et de l’étude de soutenabilité budgétaire.

A ce titre, les éléments méthodologiques de Fin Infra étaient particulièrement attendus pour mieux évaluer, dans la pratique, le niveau de précision de l’étude préalable qui est soumise à son avis, et pour évaluer globalement la lourdeur de la procédure à mettre en œuvre pour passer des MGPEPD.

Selon la méthodologie publiée par Fin Infra, les éléments que doit comprendre l’étude préalable du MGPEPD qui lui sera soumise pour avis, sont les suivants :

  1. Une présentation générale du projet à propos de laquelle il convient d’apprécier que, selon Fin Infra, les éléments qu’elle est censée inclure sont seulement utiles à l’acheteur sans constituer des données nécessaires afin qu’elle prononce un avis favorable[2].

Cette présentation devra inclure :

  • les caractéristiques du projet, son équilibre économique et ses enjeux.

Si les caractéristiques du projet qui doivent être développées au titre de l’étude préalable comportent en partie des éléments financiers, ces derniers ne semblent pas devoir être précisément détaillés. Il s’agit seulement d’indiquer la répartition des coûts prévisionnels du projet par grande typologie de coûts d’investissement et les paramètres de l’équilibre économique prévisionnel de l’opération (coût d’investissement, aides/subventions, projets de valorisation, économies d’énergie attendues).

Outre ces éléments, les caractéristiques du projet devront également rappeler son contexte (niveau de maturité, objectifs poursuivis, inscription dans un plan pluriannuel d’investissement ou dans une stratégie immobilière) ainsi que les modalités de mutualisation envisagées.

  • les compétences de l’acheteur, son statut et ses capacités financières.

A ces éléments visés par le décret du 3 octobre 2023, la méthodologie de Fin Infra a ajouté la présentation des capacités techniques de l’acheteur, notamment ses moyens techniques et humains – qui pourraient être mobilisés sur d’autres projets en cours –, son expérience à conduire le projet – au regard de projets comparables qu’il aurait conduit – et le recours à des compétences externes (techniques, financières, juridiques).

Ceci semble de nouveau confirmer que l’avis de Fin Infra portera essentiellement sur les éléments qualitatifs du projet – en l’espèce, la capacité du maître d’ouvrage à mettre en œuvre un MGPEPD – et non financiers.

  • un état de la consommation énergétique et des émissions de gaz à effet de serre de référence retenus pour apprécier la performance énergétique du projet.

Cette situation de référence sera appréciée bâtiment par bâtiment et inclura également une présentation de l’état initial (caractéristiques du bâti et notamment son isolation thermique, la liste des équipements de chauffages, la présence ou non de systèmes de gestion technique du bâtiment ou centralisée, la situation du ou des bâtiment(s) au regard des obligations relatives au décret tertiaire – à savoir la réduction du niveau de consommation d’énergie par paliers, la communication des données de consommation d’énergie sur la plateforme OPERAT).

  1. Une description des options de montages contractuels de la commande publique qui sont écartées, et des options qui sont envisagées pour mettre en œuvre le projet.

A ce titre, Fin Infra indique qu’il s’agira pour l’acheteur de présenter de façon synthétique les options de montage contractuel envisageables pour mettre en œuvre le projet et de vérifier juridiquement s’il peut y recourir, en précisant le cas échéant les motifs qui le conduisent à exclure tel ou tel montage.

  1. Une appréciation portant sur l’ensemble des avantages et inconvénients du marché par rapport aux options de montages contractuels écartées.

A ce titre, Fin Infra précise que les marchés de partenariat n’auront pas à être inclus dans cette analyse dans la mesure où ils autorisent également le paiement différé. Ceci est issu de la rédaction du décret n° 2023-913 du 3 octobre 2023 qui a indiqué que cette analyse comparative des avantages et inconvénients du MGPEPD devait être réalisée au regard des options qui n’autorisent pas le paiement différé, ce qu’autorise à titre dérogatoire le marché de partenariat.

Ceci étant relevé, l’analyse doit comparer les avantages et les inconvénients des différents montages sur la base d’une durée correspondant à la durée d’amortissement des investissements, au regard :

  • des objectifs de performance retenus par l’acheteur, étant précisé que le directeur de Fin Infra a pu indiquer que les objectifs que se fixe l’acheteur ne seront pas appréciés par son service[3].

En premier lieu, il conviendra de comparer les montages contractuels au regard des estimations du gain attendu – notamment de l’objectif attendu par rapport à la situation de référence – en matière de consommation énergétique exprimée en énergie finale et du gain attendu en matière d’émission de gaz à effet de serre.

En deuxième lieu, devront être comparés le calendrier comprenant la phase de consultation et la phase de conception et de réalisation des travaux, ainsi que la durée sur laquelle porte l’engagement d’exploitation et de performance énergétique.

En dernier lieu, l’acheteur devra comparer les différents mécanismes :

    • d’incitation créés par le calendrier de paiement des prestations ;
    • de garantie de paiement des pénalités (garanties ou mécanismes de compensation des pénalités sur les rémunérations) ;
    • et des sanctions pour chaque phase du projet (construction, exploitation).
  • du périmètre des missions susceptibles d’être confiées au titulaire.

A ce titre, Fin Infra précise qu’il s’agira notamment de comparer les missions restant à la charge de l’acheteur notamment au titre des missions d’exploitation-maintenance, ce qui sera notamment le cas, à la différence des MGPEPD, des marchés de travaux non accompagnés d’un marché d’exploitation-maintenance, ou des marchés de conception-réalisation.

  • des principaux risques du projet et de leur répartition entre l’acheteur et le titulaire.

A ce titre, Fin Infra identifie quatre risques que l’acheteur sera libre de modifier et de compléter, à savoir :

  • le risque lié à l’état du bâti initial, à la complétude et à l’exactitude des études préalables, ainsi qu’à la connaissance du patrimoine ;
  • les risques « construction » liés au choix des matériaux, aux approvisionnements en phase travaux, aux causes d’interruption de chantier, aux modifications demandées par l’acheteur, ainsi que les risques de défaillance du titulaire et liés à la maîtrise d’ouvrage ;
  • les risques « exploitation technique » liés aux usages du bâtiment, à la performance des installations techniques dans le temps, à la disponibilité de l’ouvrage et à la défaillance du titulaire ;
  • le risque financier lié à l’évolution des taux de financement et à l’évolution des indices de prix.

Pour chaque catégorie identifiée, l’acheteur devra ainsi apprécier le niveau du risque en fonction de leurs effets sur les coûts et les délais et de leur probabilité d’occurrence.

Enfin, l’acheteur portera une appréciation sur la pertinence du transfert de risque opéré en fonction du niveau du risque et de ses capacités.

  • de la structure de financement ainsi que de son incidence sur le coût du projet.

Fin Infra indique à cet égard que l’acheteur devra présenter pour chaque mode de réalisation et à titre prévisionnel :

  • les conditions de financement, en distinguant le coût de la dette et, le cas échéant, le coût des fonds propres, y compris du financement public ;
  • le coût moyen pondéré du capital (en %) ;
  • le coût du capital (dette et fonds propres en euros sur la durée du marché.
  • le cas échéant, des effets de la mutualisation du projet avec d’autres acheteurs, au titre de laquelle il peut être relevé de manière satisfaisante que le directeur de Fin Infra a confirmé que les projets mutualisés seront favorisés[4].

A ce titre, Fin Infra précise que l’analyse devra détailler les impacts de la mutualisation, notamment en matière d’économies d’échelle, et indiquer si ces derniers sont de nature à favoriser la réalisation du projet dans son ensemble ou s’ils génèrent des risques ou des contraintes supplémentaires.

Enfin, Fin Infra apporte d’autres précisions qui étaient attendues dans sa méthodologie, en particulier que :

  • le MGPEPD peut porter sur des prestations qui ont pour objet de réduire la consommation énergétique d’un ou plusieurs bâtiments, quelle que soit la nature de ces dernières, de sorte qu’il peut porter sur des travaux d’isolation, de remplacement d’équipements techniques (chauffages, traitement d’air, ventilation…), sur la mise en place d’outils de pilotage et de contrôle de la consommation, ou encore de sur l’installation d’unités de production d’électricité ou de chaleur renouvelable en autoconsommation ;
  • si l’objet principal des MGPEPD doit bien porter sur la rénovation énergétique d’un ou de plusieurs bâtiments ainsi que sur les travaux qui lui sont indissociablement liés, cela n’exclut pas d’autres travaux dans le périmètre de ces contrats pour autant que ces derniers ne remettent pas en cause cet objet principal (réaménagement des espaces, végétalisation, amélioration du confort des usagers…).

En définitive, si Fin Infra entend apprécier de manière conciliante les projets qui seront soumis à son avis, il ressort de ce qui précède que l’élaboration de l’étude préalable représentera une certaine complexité pour les collectivités territoriales et leurs groupements disposant de peu de moyens internes, et restreindra l’intérêt de recourir à des MGPEPD à des opérations atteignant une taille critique, notamment via les mécanismes de mutualisation.

 

[1] Commande publique : « Un outil plus simple, plus souple que le marché de partenariat », Jean Bensaïd – Le Moniteur – 27 novembre 2023.

[2] « Néanmoins, ces éléments ne contribuent pas directement à la comparaison entre les montages et peuvent donc être adaptés en fonction des données dont dispose l’acheteur » (Commande publique : « Un outil plus simple, plus souple que le marché de partenariat », Jean Bensaïd – Le Moniteur – 27 novembre 2023).

[3] Commande publique : « Un outil plus simple, plus souple que le marché de partenariat », Jean Bensaïd précité.

[4] « On va favoriser les opérations qui concernent plusieurs personnes publiques, plusieurs sites, plusieurs écoles par exemple, en même temps » (Commande publique : « Un outil plus simple, plus souple que le marché de partenariat », Jean Bensaïd – Le Moniteur – 27 novembre 2023).

Alstom, pas prête de voir le bout du tunnel …

Alors que son carnet de commandes est bien rempli, la situation d’Alstom interroge. Ainsi, elle a annoncé la suppression de 1500 emplois. Et ce n’est pas la décision de la Métropole de Lille qui va venir mettre du baume au cœur des dirigeants.

 

Rappelons en effet qu’en 2012, la MEL avait décidé de confier à Alstom l’implantation d’un nouveau pilote automatique et l’acquisition de plusieurs rames, pour une mise en service en 2016. Or, ce pilote n’est toujours pas efficient et selon la MEL, le délai serait aujourd’hui reporté à 2026, soit 10 ans de retard… une procédure de médiation avait été engagée. Et, dans un communiqué en date du 29 novembre dernier, la MEL a décidé de rompre les négociations et d’introduire un recours en référé devant le Tribunal administratif. Notons, pour être complet, que dans un communiqué en réponse, Alstom s’est étonnée de la décision de la MEL en considérant avoir fait la démonstration que le système de métro fonctionnait. Affaire à suivre, donc…

A69 : feu rouge pour la procédure de référé engagée par les associations.

L’A69 est le nouveau symbole du combat entre deux exigences inconciliables. D’un côté du ring, la lutte contre le réchauffement climatique, passant par une réduction de l’usage de la voiture et de l’artificialisation des sols, de l’autre côté, une région, celle de Castres, enclavée et qui verrait réduire de 12 minutes le trajet vers Toulouse.

 

Et, une nouvelle fois, le juge administratif comme arbitre. En effet, plusieurs syndicats et associations avaient contesté en référé la légalité de l’arrêté par lequel le Préfet de région Occitanie, le Préfet de la Haute-Garonne, et le Préfet du Tarn avaient délivré à la société concessionnaire de la future autoroute A69, l’autorisation environnementale octroyant notamment une dérogation à l’interdiction de destructions d’espèces protégées et de leur habitat. Par une ordonnance en date du 1er aout 2023, le Tribunal administratif de Toulouse avait rejeté leur recours en considérant qu’il n’y avait pas de doute sérieux quant à la légalité de cette décision. Et, par une décision en date du 29 novembre dernier, le Conseil d’Etat vient de rejeter leur pourvoi.