Contrats publics
le 13/12/2023

Précisions sur la notion d’ « entreprise » dans l’application des règles relatives aux aides d’Etat

CJUE, 19 octobre 2023, TS et HI c. Ministar na zemedelieto, hranite i gorite, aff. C325-22

Une « entreprise » peut être qualifiée comme telle au sens du droit des aides d’Etat du seul fait qu’elle exerce une activité économique, y compris dans le cas où elle acquiert un bien public dans des conditions lui conférant un avantage économique mais ne l’utilise pas dans le cadre de son activité et, ce, malgré ce que pouvait (sembler) indiquer une décision de la Commission européenne faisant un lien entre exploitation des biens et qualification d’ « entreprise ».

Le présent arrêt a été rendu dans le cadre d’une affaire portant sur une opération de restitution, par la République de Bulgarie à leurs anciens propriétaires, de terres forestières qui avaient été nationalisées au cours de l’année 1947. Plus précisément, un amendement de la loi sur les forêts, entré en vigueur le 22 février 2002, a permis des échanges de terres forestières privatisées contre des terres forestières de cet l’Etat bulgare, les prix des terrains échangés étant déterminés sur la base de critères fixés par la réglementation bulgare.

La Commission européenne a considéré, par une décision en date du 5 septembre 2014, que certaines aides octroyées à des « entreprises » dans le cadre des opérations d’échange de terres forestières concernées au cours de la période comprise entre le 1er janvier 2007, date de l’adhésion de la République de Bulgarie à l’Union européenne, et le 27 janvier 2009, avaient été illégalement mises à exécution par cet Etat et qu’elles étaient incompatibles avec le marché intérieur, et qu’elles devaient être récupérées.

Les autorités bulgares ont, par un acte de constatation d’une créance publique, réclamé certaines sommes à une personne physique, bénéficiaire de terrains, et une société dont cette personne était actionnaire et qui s’était vu céder les terrains.

Celles-ci ont exercé un recours contre cet acte devant l’Administrativen sad – Varna (tribunal administratif de Varna), en soutenant notamment qu’elles ne pouvaient pas être considérées comme des « entreprises » au sens de l’article 107 § 1 TFUE, dès lors que les terrains acquis dans le cadre de l’échange litigieux n’ont finalement pas été utilisés à des fins économiques.

En effet, la décision de la Commission indiquait que « certains bénéficiaires des opérations d’échange contestées n’ont pas exercé d’activité économique avec les terres forestières échangées pendant la période considérée et n’exercent pas actuellement une telle activité », de telle sorte que « ces bénéficiaires ne peuvent pas être considérés comme des entreprises au sens de l’article 107, paragraphe 1, [TFUE] et qu’il est, par conséquent, considéré qu’il n’y a pas d’aide d’État dans les opérations d’échange qu’ils ont conclues avec l’État bulgare » (§ 127). Ainsi, si les requérantes admettaient avoir bénéficié d’un avantage économique, elles soutenaient ne pas en avoir bénéficié en tant qu’entreprises visées à l’article 107 TFUE dès lors que la décision de la Commission faisait le lien, certes dans un seul passage, entre exploitation des terres forestières échangées et qualification d’entreprise.

La juridiction bulgare a saisi, dans le cadre du litige, la Cour de justice de l’Union européenne de questions préjudicielles relatives à l’interprétation de l’article 107 TFUE et de deux actes de droit dérivé (le règlement 2015/1589 du Conseil du 13 juillet 2015 portant modalités d’application de l’article 108 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, et la décision de la Commission du 5 septembre 2014), dont une avait trait au fait de savoir si, au regard des termes de la décision de la Commission, la qualification d’« entreprise » dépendait de l’exploitation des terres forestières acquises dans le cadre des échanges de terres en cause.

La CJUE répond clairement de manière négative et exclut tout lien entre inexploitation des terres échangées et absence de qualification d’ « entreprise » en rappelant, d’une part, qu’il ne ressort aucunement que la qualification d’« entreprise », au sens de l’article 107 TFUE, serait subordonnée à la circonstance que l’activité économique concernée présente un lien avec des biens dont l’acquisition serait constitutive d’une aide d’État et, d’autre part, qu’il est de jurisprudence constante que, lorsqu’un texte du droit dérivé de l’Union est susceptible de faire l’objet de plusieurs interprétations, il convient de donner la préférence à celle qui rend la disposition conforme au traité plutôt qu’à celle conduisant à constater son incompatibilité avec celui-ci (CJUE, 4 mai 2016, Philip Morris Brands e.a., C‑547/14, point 70).