Droit de la propriété publique
le 13/12/2023
Victoria GOACHET
Louis MALBETE

Requalification des cessions domaniales avec charges en contrat de la commande publique : la Cour de cassation s’aligne sur la jurisprudence administrative

Cass., Civ., 3ème, 26 octobre 2023, n° 22-19.444

Par un arrêt du 26 octobre 2023, la Cour de cassation fait sienne la jurisprudence déjà tracée par la Cour de justice de l’Union européenne et par le Conseil d’État quant aux critères de requalification des cessions domaniales en contrats de la commande publique.

Dans le cadre d’une affaire portant sur la cession de terrains à une société civile de construction-vente et deux promoteurs avec charge de réaliser entre autres 250 logements dont 40 % sociaux, des places de stationnement ainsi qu’un local « brut » destiné à être remis à la commune pour qu’elle y réalise une crèche, la Cour de cassation a en effet recherché si (i) les travaux présentaient un « intérêt économique direct » pour la commune, (ii) si la commune avait eu une influence déterminante sur la nature ou la conception de ces travaux et (iii) si les deux objets de la cession avec charge (la vente des terrains et la réalisation des travaux) formaient un tout indissociable.

Pour ce faire, la Cour de cassation a repris le faisceau d’indices généralement mis en œuvre par la jurisprudence européenne et administrative. Elle a ainsi notamment relevé que le cahier des charges était très peu prescriptif (liberté de détermination des catégories de logements et de leur mode d’acquisition, absence de prescription architecturale) et que l’équipement rétrocédé à la commune représentait une part très minoritaire du projet, tant d’un point de vue financier (27 % du prix) que d’un point de vue constructif (650 m2 sur 16 350 m2 au total). La Cour de cassation relève par ailleurs que si 40 % des logements devront être affectés à du logement social, cette proportion résulte uniquement de l’application stricte des documents d’urbanisme de la commune. Et elle en déduit, sans entrer toutefois dans le détail, qu’il résulte de ces éléments que l’ensemble forme un tout ; un tout dont l’objet principal n’est pas la réalisation de travaux.

La Cour de cassation s’inscrit ainsi pleinement dans la droite lignée de la jurisprudence européenne et administrative, qui considèrent classiquement qu’une cession foncière avec charges de travaux est un contrat mixte, dont les deux objets sont “objectivement indissociables”, pour reprendre la lettre de l’article L. 1312-1 du Code de la commande publique. Le régime applicable dépend alors de l’objet principal, objet dont la détermination commande une appréciation fine, au cas par cas.

Ce n’est certes pas la première fois que la Cour de cassation a l’occasion de se pencher sur ce type de montage[1], et elle avait déjà, alors, mobilisé les arrêts de principe de la Cour de justice de l’Union européenne pour motiver sa décision. Mais ces occasions demeurent rares, et face à une jurisprudence administrative de plus en plus évolutive, il est satisfaisant (et sécurisant pour les personnes publiques) que la Cour de cassation reprenne à son compte le chemin déjà balisé par les juridictions administratives et européennes concernant la requalification de ces cessions avec charges.

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[1] Cass. Com., 23 juin 2015, Société Passenaud Recyclage c/ SNCF, n° 14-12.419