Energie
le 07/12/2023
Marie-Hélène PACHEN-LEFÈVRE
Ana NUYTTEN

Loi Industrie verte : coup d’œil sur les quelques ajustements et assouplissements apportés au Code de la commande publique

Loi n° 2023-973 du 23 octobre 2023 relative à l'industrie verte :

Dans le prolongement de la loi dite Climat et résilience[1] – dont certaines des dispositions poursuivant l’objectif fixé de « verdissement » de la commande publique n’entreront en vigueur qu’à compter du 22 août 2026 – la loi Industrie verte publiée au JO du 24 octobre dernier, dont nous avons commenté ses apports en droit de l’environnement dans notre précédente Lettre d’actualité, comporte également des modifications en matière de commande publique.

Loin de porter des évolutions fondamentales permettant la prise en compte effective des enjeux environnementaux dans la commande publique, elle intègre des assouplissements et ajustement de dispositifs existants de nature à faciliter le verdissement de l’achat public pour certains d’entre eux.

  1. Les dérogations à certaines règles de la commande publique pour les entités adjudicatrices

Pour les entités adjudicatrices, exerçant notamment des activités d’opérateurs de réseaux dans lesquelles les enjeux environnementaux occupent une place centrale, la loi Industrie verte prévoit certaines exceptions aux règles de droit commun de la commande publique.

D’abord, la loi Industrie verte modifie l’article L. 21113-11 du Code de la commande publique (ci-après CCP) pour permettre de ne pas allotir un marché public « lorsque la dévolution en lots séparés risque de conduire à une procédure infructueuse » (article 26 de la loi).

Également, les entités adjudicatrices pourront prévoir pour leurs accords-cadres une durée supérieure à huit ans, lorsque cela est justifié « par un risque important de restriction de concurrence ou de procédure infructueuse dans le cadre de la procédure de passation d’un accord-cadre engagée par une entité adjudicatrice ». Il s’agit là d’une dérogation supplémentaire apportée au principe encadrant la durée des accords-cadres des entités adjudicatrices tel qu’il est fixé par l’article L. 2125-1 du CCP (article 27 de la loi).

Par ailleurs, celles-ci peuvent désormais, par exception au principe posé à l’article L. 2151-1 du CCP, autoriser les opérateurs économiques à présenter une offre variable selon le nombre de lot susceptibles d’être obtenus (article 28 de la loi).

Enfin, l’article 29 de la loi permet aux entités adjudicatrices de rejeter certaines offres présentées dans le cadre de la passation d’un marché de fournitures ou d’un marché de travaux de pose et d’installation de ces fournitures lorsqu’elles proposent des produits originaires d’un pays tiers à l’Union européenne avec lequel aucun des accords visés par cet article 29 n’a été conclu et qui représentent une part majoritaire de la valeur totale des produits contenus dans l’offre qui serait ainsi rejetée.

  1. Les nouvelles possibilités d’exclusion des procédures de mise en concurrence

Sur ce terrain, la loi Industrie verte habilite, d’une part, le Gouvernement à prendre par voie d’ordonnance les mesures permettant la mise en œuvre d’un dispositif d’exclusion des procédure de marchés publics et de concessions pour les opérateurs qui n’auraient pas procédé aux publications d’information en matière de durabilité telles qu’elles résulteront de la transposition de la directive du 14 décembre 2022 en la matière[2]. Cette transposition devant être effectuée dans les trois mois à compter de la promulgation de la loi Industrie verte (article 25 de la loi).

Et d’autre part, elle insère un article L. 2141-7-2 au sein du CCP permettant aux acheteurs d’exclure de la procédure de passation d’un marché « les personnes soumises à l’article L. 229-25 du Code de l’environnement qui ne satisfont pas à leur obligation d’établir un bilan de leurs émissions de gaz à effet de serre pour l’année qui précède l’année de publication de l’avis d’appel à la concurrence ou d’engagement de la consultation ». La même disposition est intégrée dans un nouvel article L. 3123-7 du CCP pour les contrats de concession.

  1. Le Schéma de promotion des achats publics socialement et écologiquement responsables (SPASER) étendu et étayé

Le SPASER, prévu par l’article L. 2111-3 du Code de la commande publique doit être établi par les acheteurs soumis au Code de la commande publique dont les achats sont supérieurs à un certain montant[3], et ce afin de déterminer leurs objectifs de politique d’achat en matière sociale et écologique par l’utilisation de certains indicateurs.

La loi Industrie verte vient préciser le contenu de ce schéma s’agissant des informations et objectifs qu’il expose au plan écologique.

Elle loi permet par ailleurs à plusieurs acheteurs de mettre en commun leur SPASER, y compris lorsqu’ils ne sont pas soumis à l’obligation de l’établir en raison du montant de leurs achats.

  1. L’insertion de la possibilité de fixer des critères environnementaux parmi les dispositions légales

Pour mémoire, ainsi que le prévoit loi Climat et Résilience précitée, les acheteurs publics auront l’obligation, à partir du 22 août 2026, et dès le 1er juillet 2024 s’agissant des contrats portant sur l’implantation ou l’exploitation d’installations de production ou de stockage d’énergies renouvelables au sens de l’article L. 211-2 du Code de l’énergie, de fixer au moins un critère de sélection des offres portant sur les caractéristiques environnementales de la prestation objet du contrat. Et ce, y compris lorsqu’un critère unique relatif au « coût » a été fixé (la possibilité de ne retenir qu’un seul critère de sélection fondé sur le « prix » de l’offre étant supprimée)[4].

D’ici là, la loi Industrie verte vient, sans instaurer d’obligation en ce sens, intégrer à l’article L. 2152-7 du Code de la commande publique la possibilité pour les acheteurs publics de prendre en compte les aspects qualitatifs, environnementaux ou sociaux de l’offre.

Et ce, alors que cette précision figurait déjà parmi les dispositions réglementaires du CCP (article R. 2152-7). A ce titre le Conseil d’Etat, dans son avis du 17 mars 2023 sur le projet de loi relatif à l’Industrie verte, avait pourtant considéré quant à cette disposition que « l’explicitation de cette notion d’offre économiquement la plus avantageuse a été inscrite jusqu’à présent dans la partie réglementaire du code de la commande publique et aucune raison valable ne conduit à revenir sur le partage entre loi et règlement auquel il a ainsi été procédé ».

Aucune évolution notable de la loi Industrie n’est donc pour l’heure à retenir au plan de l’intégration de la considération environnementale dans les critères de sélection des offres.

Toutefois, le communiqué de presse du Conseil des ministres du 16 mai 2023 sur loi Industrie verte ayant envisagé « l’accélération de la mise en œuvre obligatoire (dès juillet 2024 au lieu d’août 2026) de critères environnementaux dans les marchés publics pour des produits clés de la décarbonation », il convient de rester attentif à la parution d’un décret permettant l’entrée en vigueur anticipée de ce dispositif pour certains marchés publics.

Marie-Hélène Pachen-Lefèvre et Ana Nuytten

 

[1] Loi n° 2021-1104 du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets

[2] DIRECTIVE (UE) 2022/2464 DU PARLEMENT EUROPÉEN ET DU CONSEIL du 14 décembre 2022 modifiant le règlement (UE) no 537/2014 et les directives 2004/109/CE, 2006/43/CE et 2013/34/UE en ce qui concerne la publication d’informations en matière de durabilité par les entreprises.

[3] Fixé à cinquante millions d’euros hors taxes par l’article D. 2111-3 du Code de la commande publique.

[4] Pour plus de précision, voir notamment en ce sens Contrats Publics n° 243, Juin 2023, Favoriser l’utilisation des énergies renouvelables dans les marchés publics, Ana Nuytten et Alexandra Ouzar, avocates à la Cour, Cabinet Seban et Associés : https://www.seban-associes.avocat.fr/wp-content/uploads/2023/07/A.-Nuytten-et-A.-Ouzar-Favoriser-lutilisation-des-energies.pdf