Numérique et télécom
le 18/12/2023
Marion TERRAUX
Philippe GUELLIER

Extinction du cuivre : la lumière au bout du fourreau ?

Le réseau cuivre correspond au réseau de téléphonie historique, essentiellement développé dans le courant des années 1970. Depuis de la privatisation de France télécom – devenu la société Orange -, ce réseau et les infrastructures qui le supportent (fourreaux, poteaux, armoires, jusqu’à la prise finale située dans le logement des usagers…) appartiennent à cette dernière.

Et les opérateurs, au premier rang desquels les grands opérateurs commerciaux d’envergure nationale que sont Bouygues Telecom, Free, Free et Orange, utilisent historiquement ce réseau pour offrir leurs offres de téléphonie fixe et d’internet.

Dans le programme de son premier quinquennat, le Président de la République avait promis de couvrir en très haut débit ou en fibre optique tout le territoire national. L’objectif n’a pas été atteint mais ce sont aujourd’hui plus de 80% des locaux du territoire national qui sont raccordables à la fibre optique.

Or, ces réseaux en fibre optique, souvent déployés dans les infrastructures de génie civil appartenant à Orange en parallèle du réseau cuivre, offrent des débits plus importants aux abonnés. Autrement dit, ces deux réseaux n’ont pas vocation à coexister.

Bien entendu, les opérateurs qui ont massivement investi dans les réseaux en fibre optique poussent à la fin du réseau cuivre. Et le premier de ces opérateurs n’est autre qu’Orange.

Cependant, comment mettre fin à ce réseau historique sans priver les abonnés de l’accès devenu aujourd’hui nécessaire aux services de communications électroniques, et en particulier à internet ?

Or, certes, l’Autorité de Régulation des Communications Électroniques, des Postes et de la distribution de la Presse (“ci-après, ARCEP”)[1] a fixé des cadres dans lesquels Orange peut éteindre son réseau. Il reste que le plan d’arrêt de ce réseau d’importance national n’a été décidé ni par le législateur, ni par le pouvoir règlementaire, ni même par l’ARCEP mais par Orange seule.

Nous vous en présentons les conditions et les enjeux.

 

Quelles échéances pour l’arrêt du cuivre ?

Orange a annoncé sa volonté de fermer techniquement le réseau de cuivre entre 2023 et 2030.

Et en effet, le processus a déjà commencé. Il débute par une fermeture des offres commerciales. Ainsi, à compter de 2026, aucune offre internet ou de téléphonie fixe ne sera proposée sur le réseau cuivre. Autrement dit, à compter de cette date, si un abonné souhaite bénéficier d’une offre internet ou de téléphonie fixe sur un réseau filaire, il devra impérativement faire déployer la fibre optique.

Bien plus, Comme l’ARCEP le rappelle[2], “Depuis le 3 décembre 2020, il n’y a plus d’opérateur en charge du service universel pour les prestations de raccordement au réseau et de fourniture d’un service téléphonique.”  La société Orange s’est engagée auprès du Gouvernement à maintenir ses offres « abonnement principal » et « réduction sociale téléphonique » qui relevaient du périmètre du service universel jusqu’en 2023.

En revanche, elle refuse en principe de procéder à tout nouveau raccordement d’un logement ou local professionnel au réseau cuivre dès lors que celui-ci est situé dans une zone où un réseau en fibre optique est déployé.

Et en 2030, Orange éteindra définitivement le réseau cuivre, cessant de le faire fonctionner.

Cette extinction va être progressive.

En effet, Orange a défini des lots de fermeture. Les communes du premier lot verront la fin du réseau cuivre en janvier 2025, les communes du deuxième lot en janvier 2026 et les dernières entre 2026 et 2030.

Et ces arrêts pourraient être reporté sur les zones dans lesquelles le déploiement du réseau en fibre optique ne sera pas complet. Toute la question sera de définir ce que recouvre la notion de déploiement “complet”. L’ARCEP devrait prochainement apporter des précisions sur ce sujet.

Par ailleurs, Orange a déjà mené un certain nombre d’expérimentations sur plusieurs communes du territoire national.

 

Les Usagers et les entreprises doivent anticiper leurs besoins

Il est donc important, tant pour les entreprises que pour les particuliers, d’anticiper leurs besoins en matière d’accès à internet, afin d’identifier les offres de services sur fibre disponibles là où les offres sur cuivre ne le sont plus ou ne seront bientôt plus[3]. On précisera que, hors de la zone très dense qui englobe 106 grandes villes[4], les opérateurs et collectivités qui déploient la fibre optique doivent avoir achevé son déploiement dans la zone concernée dans un délai de 5 ans à compter de la pose de l’armoire technique (dite point de mutualisation de zone)[5].

Il est également nécessaire pour les entreprises et particuliers de veiller au respect des règles applicables lorsque leur demande de raccordement à un réseau concerne une maison, un immeuble ou un lotissement neuf, des obligations précises pesant sur le constructeur ou lotisseur.

En effet, plusieurs lois ont successivement imposé, depuis 2009, le prééquipement en réseaux à très haut débit de ces constructions neuves.

Plus précisément :

  • Pour les immeubles neufs :
    • l’article D. 407-1 du Code des postes et des communications électroniques indique que les réseaux de communications électroniques intérieurs aux immeubles groupant plusieurs logements sont construits par les promoteurs jusqu’aux dispositifs de connexion placés dans chaque logement conformément à l’article R. 111-14 du code de la construction et de l’habitation (devenu article R. 113-4 dudit Code) ;
    • l’article R. 113-4 du Code de construction et de l’habitation précise que tous les bâtiments d’habitation doivent être équipés de lignes de communications électroniques à très haut débit en fibre optique desservant chacun des logements. De plus, le bâtiment doit disposer d’une adduction d’une taille suffisante pour permettre le passage des câbles de plusieurs opérateurs depuis la voie publique jusqu’au point de raccordement aux lignes de l’immeuble (généralement situé dans la cave ou le local technique de l’immeuble) ;
  • Pour les maisons individuelles neuves, l’article D. 407-2 du Code des postes et des communications électroniques indique que les lignes de communications électroniques intérieures à une propriété privée peuvent être construites par tout opérateur de réseau autorisé en application de l’article L. 33-1. Toutefois, l’opérateur n’y est tenu que s’il existe des gaines techniques et des passages horizontaux permettant la pose des câbles ;
  • Pour les lotissements neufs, l’article 118-II de la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques a exigé qu’ils soient pourvus des lignes de communications électroniques à très haut débit en fibre optique nécessaires à la desserte de chacun des lots par un réseau de communications électroniques à très haut débit en fibre optique ouvert au public. Un décret en Conseil d’État devait fixer les modalités d’application de cette disposition. Toutefois, une réponse ministérielle est venue indiquer que cette disposition était suffisamment claire pour ne pas recourir à un décret d’application[6].

 

Quels sont les premiers retours d’expérience ?

Invité à s’exprimer sur son retour d’expérience quant à la fermeture du réseau cuivre sur la commune de Provin, située sur son territoire, Monsieur Christophe Coulon, Président du Syndicat Mixte La Fibre 59/62[7], a indiqué que cette expérimentation s’était “trop bien passée”, en particulier parce que Orange avait mis beaucoup de moyens humains pour que l’expérimentation fonctionne mais également parce que les élus locaux ont été très présents pour assurer cette bascule.

Et pour que la migration fonctionne, il a insisté sur la nécessaire implication des élus locaux car c’est eux qui sauront gérer les usagers derrière le dernier kilomètre, pour s’assurer que chacun pourra continuer à avoir le téléphone et internet[8].

 

Que vont devenir le réseau cuivre et les infrastructures ?

En principe, Orange devrait se charger de démanteler le réseau cuivre. Cependant, en l’état, à notre connaissance, Orange n’a pas précisé les conditions de réalisation d’un démantèlement d’un réseau dont on rappellera qu’il entre dans chaque maison de chaque commune, ou presque. On rappellera également qu’il se situe à proximité immédiate des réseaux fibre. Il conviendra donc d’être particulièrement vigilant quant aux conditions de ce démantèlement.

Quant aux infrastructures, elles continueront d’être la propriété d’Orange mais la question d’une cession aux propriétaires des réseaux fibre serait légitime.

 

Quelles difficultés ?

Comme expliqué par Monsieur Christophe Coulon lors de la présentation de son retour d’expérience, la communication autour de l’extinction du réseau cuivre sera un élément majeur pour éviter les problèmes liés aux coupures de services qui pourraient ne pas avoir été anticipées, par exemple par des personnes âgées. En ce sens, bien qu’il ne s’agisse pas d’un réseau public, le rôle des communes et des élus paraît incontournable vis-à-vis de la communication.

On peut aussi craindre une ruée des abonnés du réseau cuivre pour solliciter leur raccordement à la fibre optique juste avant l’échéance de l’extinction des services sur cuivre. Compte-tenu des difficultés actuelles et persistantes de qualité des raccordements actuels (liées au mécanisme appelé « mode STOC »)[9], le risque est que celles-ci s’aggravent davantage à l’occasion du décommissionnement du réseau cuivre.

Enfin, un débat agite le secteur des télécom pour savoir si les obligations de pré-fibrage susvisées, condition pour assurer une migration vers le réseau fibre, s’étendent en dehors du terrain privé, en vue de financer et de réaliser les équipements propres à l’adduction de la maison, de l’immeuble ou du lotissement neuf sur la partie se trouvant au droit du terrain (sur le domaine public). En ce sens, l’ARCEP indique dans une fiche, en se fondant sur un guide, que[10] :

« Pendant les travaux, le maître d’ouvrage réalise ou fait réaliser :

–        l’installation de la totalité du réseau optique à l’intérieur du domaine privé, jusqu’au point de raccordement (« PR »), généralement situé à la limite du domaine privé (L.113-10, R.113-3, R.113-4 du code de la construction et de l’habitation) (…)

–        en général, la construction du génie civil d’adduction au droit du terrain jusqu’au « PAR » indiqué par l’opérateur d’infrastructure de la zone (article L. 332-15 du code de l’urbanisme) (…) »

Deux réponses ministérielles récentes adoptent une position inverse au motif qu’il n’existe pas d’obligation pour les collectivités qui délivrent les autorisations d’urbanisme de raccorder une maison, un immeuble ou un lotissement à un réseau en fibre optique et qu’elles ne peuvent donc pas fixer de prescriptions à ce sujet dans lesdites autorisations [11] :

Le réseau de fibre optique n’étant pas financé par le budget des collectivités locales, les dispositions de l’article L. 332-15 ne s’appliquent pas au réseau de fibre optique. »

Ce que l’on peut affirmer, au-delà du débat sur l’application de l’article L.332-15 du Code de l’urbanisme aux réseaux de communications électroniques, est que :

  • Cette disposition ne concerne que le branchement aux réseaux publics, et ne trouve donc pas à s’appliquer aux réseaux de communications électroniques privés[12], comme ceux déployés par les opérateurs dans les grandes villes et certaines métropoles ;
  • La réalisation et le financement d’équipements propres est une possibilité qui ne s’applique que si la prescription figure dans l’autorisation d’urbanisme[13];
  • La notion de « point au réseau» (PAR) évoquée par l’ARCEP n’existe plus dans le droit positif depuis la fin du service universel sur cuivre, puisqu’elle n’a été reprise ni dans le Code des postes et des communications électroniques, ni dans le Code de construction et de l’habitation.

Ainsi, l’absence de prescription dans l’autorisation d’urbanisme relative au branchement d’équipements propres à un réseau public de fibre optique suffit à écarter toute obligation pour les constructeurs de maisons ou d’immeubles et pour les lotisseurs de déployer des infrastructures au droit du terrain, en domaine public.

Ceci est cohérent avec le fait que l’occupation du domaine public par des particuliers ou des entreprises leur générerait des contraintes majeures (paiement des redevances d’occupation du domaine public, charges d’enfouissements et de dévoiements…)[14].

 

 

En conclusion donc, on ne peut que regretter que l’extinction d’un tel réseau ne se fasse pas sous une direction et un encadrement plus ferme de l’État ou de l’autorité de régulation (ARCEP), d’autant qu’elle conduira nécessairement une implication forte des élus locaux. Ce sont vers ces élus que les personnes concernées se retourneront lorsque l’extinction du réseau cuivre sera annoncée dans leur commune, comme c’est le cas aujourd’hui pour les problèmes de raccordement à la fibre.

[1] Décisions Arcep n° 2020-1446, n° 2020-1447 et n° 2020-1448, en date du 15 décembre 2020, ces décisions étant en cours d’actualisation

[2] www.arcep.fr/demarches-et-services/utilisateurs/le-service-universel-des-communications-electroniques.html

[3] https://cartefibre.arcep.fr/

[4] www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000021696769 ; www.arcep.fr/demarches-et-services/utilisateurs/fibre-optique-immeubles-ztd.html

[5] www.legifrance.gouv.fr/jorf/article_jo/JORFARTI000023443180

[6] www.senat.fr/questions/base/2018/qSEQ180706270.html

[7] Syndicat mixte en charge du déploiement du réseau de communications électroniques en fibre optique dans le Nord et le Pas de Calais et sur les zones ne faisant l’objet d’un déploiement par les opérateurs privés.

[8] Intervention de Christophe Coulon, TRIP de l’AVICCA, Novembre 2023,

[9] www.arcep.fr/la-regulation/grands-dossiers-reseaux-fixes/la-fibre/infrastructures-raccordements-processus-suivi-des-travaux-pour-ameliorer-la-qualite-des-reseaux-en-fibre-optique.html

[10] https://www.arcep.fr/demarches-et-services/utilisateurs/raccorder-batiment-neuf-fibre-optique-zone-moins-dense-demarches.html

[11] www.senat.fr/questions/base/2022/qSEQ220701893.html; voir aussi : https://questions.assemblee-nationale.fr/q16/16-9476QE.htm

[12] www.senat.fr/questions/base/2022/qSEQ220701893.html

[13] www.senat.fr/questions/base/2022/qSEQ220701185.html; CE, 1er avril 1981, n° 12882 ; CAA Lyon, 20 décembre 2022, n° 22LY00744

[14] Enfin, une disposition peu connue concerne l’obligation d’équiper en gaines techniques et en lignes de communications électroniques à très haut débit et à potentiel de débit d’une fibre optique les immeubles groupant plusieurs logements ou locaux à usage professionnel faisant l’objet de travaux de rénovation soumis à permis de construire. Il est toutefois prévu une exception « lorsque le coût des travaux d’équipement en lignes de communications électroniques à très haut débit en fibre optique, y compris les travaux induits, est supérieur à 5 % du coût des travaux faisant l’objet du permis de construire ».