Contrats publics
le 16/11/2023
Thomas ROUVEYRAN
Yann-Gaël NICOLAS

Les marchés globaux de performance énergétique à paiement différé après le décret du 3 octobre 2023 : vers un déploiement enfin massif de la rénovation énergétique des bâtiments publics ?

Décret n° 2023-913 du 3 octobre 2023 relatif aux marchés globaux de performance énergétique à paiement différé

Rappelons que la loi n° 2023-222 en date du 30 mars 2023 visant à ouvrir le tiers financement à l’Etat, à ses établissements publics et aux collectivités territoriales pour favoriser les travaux de rénovation énergétique a autorisé, à titre expérimental et pour une durée de cinq ans, l’État, ses établissements publics, les collectivités territoriales, leurs établissements publics et leurs groupements à déroger aux articles L. 2191‑2 à L. 2191‑8 du Code de la commande publique (ci-après le « CCP ») – en particulier à l’interdiction de paiement différé – pour les contrats de performance énergétique conclus sous la forme d’un MGP pour la rénovation d’un ou plusieurs de leurs bâtiments.

Ce nouveau dispositif – avec ces marchés globaux de performance énergétique à paiement différé (ci-après les « MGPEPD ») – vise à contourner les insuffisances budgétaires de l’Etat et des collectivités territoriales en ajoutant le portage financier de la rénovation énergétique du bâtiment aux prestations de conception-réalisation et d’exploitation ou de maintenance mises à la charge du titulaire d’un contrat de performance énergétique. En effet, grâce à cette expérimentation, la personne publique bénéficiaire des travaux peut de différer le paiement des travaux, l’investissement financier initial reposant sur un tiers.

Le décret n° 2023-913 relatif aux marchés globaux de performance énergétique à paiement différé, publié le 3 octobre dernier en application des dispositions de la loi précitée, était particulièrement attendu afin de savoir si le MGPEPD devra être soumis aux mêmes contraintes de mise en œuvre que les marchés de partenariat, ce qui pourrait contribuer à freiner leur déploiement. En effet, il ressort de l’article 2 de la loi précitée que les MGPEPD sont également soumis à une étude préalable et à une étude de soutenabilité budgétaire, elles-mêmes soumises à avis.

L’analyse du niveau de complexité de la procédure de passation des MGPEPD est déterminante pour déterminer si les personnes publiques vont recourir massivement à ce nouveau dispositif, alors qu’en parallèle, des directives européennes ont imposé aux Etats membres d’éliminer toute entrave réglementaire ou non réglementaire qui dissuadent de recourir à des contrats de performance énergétique[1] et de veiller à ce qu’au moins 3 % de la surface au sol totale des bâtiments publics chauffés et/ou refroidis, ayant une surface au sol utile totale supérieure à 250 m2, soient rénovés chaque année[2].

A ce titre, si l’analyse du décret démontre que la passation des MGPEPD sera bien soumise à une procédure similaire aux marchés de partenariat (I), il conviendra d’être attentif, dans la pratique, aux modalités de passation des premiers MGPEPD, ainsi qu’à la méthodologie d’analyse de l’étude préalable que retiendra Fin Infra (II).

En tout état de cause, quelle que soit la complexité de leur mise en œuvre, la passation d’un MGPEPD pourrait toujours s’avérer pertinente pour autant que l’opération atteigne une taille critique (III).

 

I. La passation des MGPEPD soumise à une procédure analogue à celle des marchés de partenariat

L’analyse approfondie du décret d’application, qui avait pour objet principal de préciser la teneur de l’étude préalable et de l’étude de soutenabilité budgétaire requises pour recourir au MGPEPD confirme une grande similitude avec le régime des marchés de partenariat[3].

En premier lieu, s’agissant de l’étude préalable décrite à l’article 1er du décret, il est manifeste que son contenu s’apparente aux contenus conjoints du « bilan plus favorable » requis par les articles L. 2211-6 et R. 2211-4 du CCP et de « l’évaluation du mode de réalisation du projet » requise par les articles L. 2212-1 et R. 2212-4 du CCP dans le cadre du recours au marché de partenariat.

En effet, à l’instar de l’évaluation du mode de réalisation du projet d’un marché de partenariat, l’étude préalable du MGPEPD doit comprendre tout d’abord une présentation générale similaire à celle demandée pour les marchés de partenariat[4] :

  • des caractéristiques du projet, de son équilibre économique et de ses enjeux – sans que l’historique du projet et son contexte ne soient listés (à la différence des marchés de partenariat), ce qui n’aurait en tout état de cause que peu d’impact sur la complexité du traitement et l’appréciation de la pertinence du MGPEPD ;
  • des compétences de l’acheteur, de son statut et de ses capacités financières ;
  • de la consommation énergétique et des émissions de gaz à effet de serre de référence retenus pour apprécier la performance énergétique, ce qui diffère logiquement du marché de partenariat compte tenu de l’objet même du MGPEPD.

En sus, l’étude préalable comporte également une description des options de montages contractuels de la commande publique qui sont écartées, et des options qui sont envisagées pour mettre en œuvre le projet.

En première analyse, cette description des options de montages contractuels de la commande publique, laquelle, précisons-le, n’est pas demandée pour les marchés de partenariat[5], semble alourdir davantage l’étude préalable à laquelle l’acheteur doit procéder.

Ceci peut être toutefois relativisé dans la mesure où l’appréciation portant sur l’ensemble des avantages et inconvénients du marché par rapport aux options de montages contractuels écartées, également contenue dans l’étude préalable (et dans l’évaluation d’un marché de partenariat), suppose de connaître lesdits options de montages contractuels.

Néanmoins, cette appréciation requise dans le cadre du MGPEPD par le 3° de l’article 1er du décret se fonde sur au moins autant d’éléments que celle attendue dans le cadre du marché de partenariat.

En effet, cette appréciation doit tenir compte :

  • du périmètre des missions susceptibles d’être confiées au titulaire. A ce titre, il peut être relevé qu’à la différence du marché de partenariat, il n’est pas demandé de produire « les procédures et le calendrier pour chacune des phases de réalisation du projet, ainsi que la durée totale du contrat»[6] ;
  • des principaux risques du projet et de leur répartition entre l’acheteur et le titulaire. A cet égard, si l’article 1er du décret ne vise pas spécifiquement les « risques financiers» et la « valorisation financière des risques » comme pour les marchés de partenariat, sa rédaction semble suffisamment large pour que conduire Fin Infra à exiger leur présentation ;
  • de la structure de financement ainsi que de son incidence sur le coût du projet. A la différence du projet de décret qui prévoyait une appréciation des « modalités de financement», le décret publié semble avoir pris en compte la demande du Conseil supérieur de la construction et de l’efficacité énergétique (CSCEE) qui souhaitait une analyse du « coût optimum pour une rénovation énergétique « sans regret » » et « garantir une transparence sur le coût de financement pour la collectivité territoriale », de sorte que le détail de la structuration de financement a été ajouté, à l’instar des marchés de partenariat, à l’appréciation des avantages et inconvénients des différentes options contractuelles[7].

Cette comparaison avec les autres montages semble effectivement nécessaire dès lors qu’il n’est pas acquis que le tiers-financement demeure, au total, moins cher que l’emprunt bancaire classique auquel pourrait recourir une personne publique, puisque le tiers-financeur ne bénéficiera pas des mêmes conditions de crédit que l’État ou les collectivités territoriales et répercuterait, in fine, ce coût supplémentaire lors du remboursement de sa créance ;

  • le cas échéant, des effets de la mutualisation du projet avec d’autres acheteurs. En effet, pour rappel, à la différence des marchés de partenariat, il est expressément prévu à l’article 1er de la loi n° 2023-222 du 30 mars 2023 que les MGPEPD peuvent être conclus en vertu du dernier alinéa de l’article L. 2224-34 du Code général des collectivités territoriales (ci-après le CGCT»). Ce dispositif expérimental peut ainsi permettre aux syndicats d’énergie, des EPCI ayant adopté un plan climat-air-énergie territorial mentionné à l’article L. 229-26 du Code de l’environnement, ou par la métropole de Lyon, de mutualiser la réalisation des études et de tout ou partie des travaux nécessaires pour améliorer la performance énergétique des bâtiments dont leurs membres sont propriétaires (comme le prévoit déjà le dernier alinéa de l’article L. 2224-34 du CGCT). Ces actions de mutualisation resteraient cependant soumises à l’accord des membres de ces groupements de collectivités, les travaux ne pouvant être initiés qu’après la signature de conventions entre toutes les parties ;
  • les objectifs de performance retenus par l’acheteur, notamment en matière de consommation énergétique et d’émissions de gaz à effet de serre, des délais fixés pour les atteindre ainsi que des mécanismes souhaités d’incitations, de garanties et de sanctions. L’ajout de cet élément, bien qu’alourdissant de nouveau le contenu de l’étude préalable, était attendu dès lors que l’objet même du MGPEPD est de garantir aux acheteurs publics, à la différence des marchés de partenariat, l’atteinte d’économies substantielles d’énergie, auquel cas des pénalités financières s’appliqueront. Par rapport au projet initial du décret, il peut aussi être relevé une définition plus large des objectifs de performance, qui portent également sur les émissions de gaz à effet de serre, ce qui n’était pourtant pas visé par la loi n° 2023-222 du 30 mars 2023.

En revanche, c’est de manière parfaitement logique que l’étude préalable n’inclut pas « l’étendue du transfert de la maîtrise d’ouvrage du projet au titulaire du marché » dès lors que, à la différence des marchés de partenariat, l’acheteur conserve dans le cadre d’un MGPEPD sa maîtrise d’ouvrage.

Pareillement, l’étude préalable ne doit pas contenir une « analyse de la compatibilité du projet avec les orientations de la politique immobilière de l’acheteur lorsque le marché de partenariat emporte occupation du domaine public ou privé », ce qui peut apparaître logique dans la mesure où le titulaire du MGPEPD n’a pas vocation a occupé les ouvrages, sa mission n’emportant pas – à la différence des marchés de partenariat – « la gestion d’une mission de service public ou des prestations de services concourant à l’exercice, par la personne publique, de la mission de service public dont elle est chargée »[8].

Il résulte de l’article 3 du décret que cette étude préalable sera ensuite soumise pour avis à Fin Infra qui devra se prononcer dans un délai d’un mois suivant sa saisine – comme pour les marchés de partenariat pour lesquels le délai est toutefois de six semaines[9].

Par conséquent, le recours au MGPEPD ne semble pas avoir été facilité au regard de la complexité administrative que représentera la préparation et la validation de l’étude préalable pour les acheteurs publics – qui est grandement similaire, à quelques exceptions près, au « bilan plus favorable » et à « l’évaluation préalable » imposés dans le cadre des marchés de partenariat.

En particulier, il est regrettable que les trois premiers éléments listés supra devant être inclus dans l’étude préalable soient demandés dans le cadre de l’appréciation comparative des avantages et inconvénients par rapport aux autres options contractuelles. Ceci alourdira nécessairement le contenu de l’étude préalable par rapport du bilan plus favorable requis pour les marchés de partenariat dès lors que ce dernier ne comporte aucune obligation de comparer ces éléments avec d’autres montages contractuels[10].

A ce titre, Fin Infra a néanmoins laissé entendre, de manière raisonnable, qu’elle n’envisage pas d’effectuer un contrôle approfondi de ladite étude[11], ce qui laisse espérer une souplesse d’appréciation que la rédaction du décret ne laisse pas présager en l’état.

En deuxième lieu, similairement au modèle du marché de partenariat, une étude de soutenabilité budgétaire « prenant en compte tous les aspects financiers du projet » de MGPEPD est également imposée.

A ce titre, non seulement il peut être relevé que l’article 4 décret n° 2023-913 n’a pas simplifié le contenu de cette étude mais qu’il l’a également renforcé en y ajoutant d’autres éléments. Plus précisément, comme pour les marchés de partenariat, il est demandé d’inclure :

  • le coût prévisionnel du contrat indiqué en moyenne annuel. Néanmoins, il requiert en outre que ce coût prévisionnel soit évalué « hors prise en compte des risques» – cette appréciation devant être distinctement effectuée – et que soit précisé la part des dépenses d’investissement, de financement et de fonctionnement.
  • la part que ce coût représente par rapport à la capacité d’autofinancement annuelle de l’acheteur, et son effet sur sa situation financière. Cependant, le décret ajoute, s’agissant des collectivités territoriales, de leurs établissements ou de leurs groupements qui souhaitent recourir au MGPEPD, que l’étude de soutenabilité budgétaire doit également comprendre l’indication de la part que les dépenses de fonctionnement (coûts d’entretien, de maintenance et de renouvellement des ouvrages et des équipements) et les dépenses de financement représentent par rapport aux recettes réelles de fonctionnement, ainsi que la part que les dépenses d’investissement (coûts d’étude et de conception, de construction, annexes à la construction et les frais financiers intercalaires) représentent par rapport à l’épargne brute de l’acheteur et son effet sur sa situation financière.

A ce titre, cette distinction confirme bien que les dépenses de fonctionnement et de financement en lien avec le projet relèveront logiquement de la section de fonctionnement du budget, ce qui pourrait s’avérer problématique si elles sont importantes au regard de la difficulté d’équilibrer cette section pour les collectivités ;

  • l’impact du contrat sur l’évolution des dépenses obligatoires de l’acheteur, ses conséquences sur son endettement et ses engagements hors bilan ;
  • une analyse des coûts prévisionnels pouvant résulter d’une rupture anticipée du contrat ;
  • une appréciation des principaux risques du projets, ce qui s’ajoute à la liste des éléments d’une étude de soutenabilité budgétaire d’un marché de partenariat[12], afin de distinguer le coût du projet et celui des risques y afférent.

Notons que, selon l’article 6 du décret, le Ministre chargé du budget, auquel l’étude préalable sera également communiquée, dispose d’un délai d’un mois pour émettre un avis sur l’étude de soutenabilité budgétaire, contre six semaines dans le cadre du recours au marché de partenariat.

Il en résulte que le contenu de l’évaluation préalable ou de l’étude de soutenabilité budgétaire étant au moins similaire, sinon plus complexe pour les MGPEPD par rapport aux marchés de partenariat, il convient d’espérer que la légère accélération des délais prévue pour le nouveau dispositif contractuel induise un contrôle moins assidu des projets de MGPEPD.

En effet, comme indiqué ci-avant, la complexité de l’ensemble des démarches à réaliser pour passer un marché de partenariat constitue un frein majeur à leur déploiement, et le sera également pour les MGPEPD si l’intensité des contrôles par Fin Infra et par le ministre chargé du budget s’avère identique.

En troisième lieu, similairement à ce qui est prévu pour le marché de partenariat, pour les projets de l’Etat et de ses établissements publics[13], l’article 7 du décret exige que les Ministres chargés du budget et de l’économie autorisent le lancement de la procédure de passation d’un MGPEPD à paiement différé. Leur accord est réputé acquis à défaut de réponse expresse dans un délai d’un mois à compter de la date de réception, par chacun des Ministres précités, de l’étude préalable, de l’étude de soutenabilité budgétaire et des avis y afférents. Il en va de même s’agissant de la signature des MGPEPD qui ne peut intervenir qu’après accord des Ministres chargés du budget et de l’économie – ainsi que du Ministre de tutelle pour les établissements publics de l’Etat – qui devient tacite à compter d’un mois à la suite de la réception du contrat.

A ce titre, il est regrettable de constater que l’exemption prévue par le projet de décret, consistant à ne demander qu’un seul avis – celui du Ministre de l’économie – sous 15 jours pour lancer la passation du MGPEPD d’une valeur inférieure à 5 millions d’euros ainsi qu’un seul avis – celui du Ministre chargé de l’économie pour les projets de l’Etat et celui du Ministre de tutelle pour les projets de ses établissements publics – sous 15 jours pour signer ces mêmes marchés, n’a finalement pas été retenue.

 

II. Une méthodologie de l’étude préalable encore attendue

Au regard de ce qui précède, les éléments méthodologiques de Fin Infra sont particulièrement attendus pour mieux évaluer, dans la pratique, le niveau de précision de l’étude préalable soumise à son avis, ce qui confirmera ou infirmera la lourdeur de la procédure à mettre en œuvre pour passer des MGPEPD.

D’ores et déjà, lors de la consultation publique lancée par ce service sur le projet de décret, Fin Infra a souhaité recueillir l’avis des acteurs sur plusieurs questions relatives à sa future méthodologie, notamment sur :

  • Ia pertinence de reprendre les dispositions de l’arrêté du 24 juillet 2020 relatif aux contrats de performance énergétique pour l’établissement de l’étude préalable – plus particulièrement concernant la présentation de la situation de référence à comparer avec la situation après la réalisation des travaux s’agissant de la consommation énergétique et des émissions de gaz à effet de serre. Autrement dit, il conviendrait de tenir compte des consommations historiques des trois dernières années calendaires consécutives et récentes, corrigées de tout facteur externe ayant un impact significatif sur la consommation. La consommation énergétique devrait également être ajustée en fonction des opérations d’amélioration énergétique qui auraient été mises en œuvre entre la période de référence et la période du contrat, ou pendant la période du contrat et qui ne sont pas comprises dans celui-ci.

A ce titre, il peut d’ores et déjà être relevé qu’outre les consommations d’énergie, la rédaction finalement retenue pour le décret imposera nécessairement de mesurer, dans la méthodologie, les émissions de gaz à effet de serre lors de l’établissement de la situation de référence ;

  • les modalités de la mesure de la performance énergétique, notamment s’il est opportun de recourir à la méthodologie établie dans le cadre du Fonds Vert qui porte sur les consommations d’énergie, les émissions de gaz à effet de serre et le suivi des consommations[14]. En particulier, Fin Infra s’interrogeait sur la pertinence de mesurer d’autres éléments tels que le niveau d’isolation des éléments de l’enveloppe, l’étanchéité à l’air, le pilotage des installations/système de régulation, les consommations spécifiques d’électricité et l’intégration des énergies renouvelables. Ces éléments semblent effectivement importants pour apprécier la performance énergétique, notamment le pilotage du bâtiment, comme cela a été encore récemment rappelé par le rapport publié le 11 septembre 2023 par la Commission de régulation de l’énergie[15]. En effet, les solutions de pilotage pourraient représenter jusqu’à 6 GW en période de pointe pour les bâtiments tertiaires.

De même, Fin Infra s’interrogeait sur l’opportunité d’intégrer dans sa méthodologie une analyse de l’empreinte carbone des matériaux utilisés pour la rénovation en kg de CO2 par m2 rénové. Or, ce critère serait cohérent avec la réglementation RE 2020 qui requiert un changement de méthode dans la conception des constructions visant à limiter l’empreinte carbone du bâtiment : les constructeurs doivent désormais prendre en considération l’impact carbone de tous les matériaux et équipements utilisés, à partir de données environnementales fournies par les fabricants[16] ;

  • la mesure des gains financiers associés à la performance énergétique, afin de savoir quelle méthodologie de détermination des hypothèses sous-jacentes appliquer, notamment en matière de prix de l’énergie ;
  • les modalités d’évaluation des risques, Fin Infra ayant demandé aux acteurs d’identifier une liste de risques pour le porteur du projet et ayant établi à ce titre une matrice des risques standards reposant sur l’impact et la probabilité d’occurrence de chaque risque. En particulier, Fin Infra a interrogé les acteurs sur les risques associés à la mutualisation des projets, en raison de la multiplication des donneurs d’ordres ;
  • les critères de performance (par exemple économiques, relatifs au calendrier ou à la qualité des travaux) permettant de prendre en compte les gains associés à une rénovation globale par rapport à une rénovation légère mais en cascade, ou à une mutualisation des travaux. Ceci est notamment à mettre dans la perspective du récent rapport parlementaire de la mission d’information commune sur la rénovation énergétique des bâtiments qui propose de viser prioritairement le financement des travaux de rénovation globale et non des rénovations légères dans la mesure où « pour qu’une rénovation globale soit performante du point de vue des objectifs nationaux, il faut viser une réduction de la consommation d’énergie primaire de l’ordre de 75 %»[17] ;

Ainsi, si la méthodologie que Fin Infra semble vouloir appliquer apparaît extrêmement précise, elle n’en est pas moins pertinente et en phase avec les développements récents de la réflexion sur les moyens de parvenir à une meilleure performance lors d’opérations de rénovation énergétique des bâtiments.

 

III. Une mutualisation des projets pertinente en cas de complexité de la passation des MGPEPD

En tout état de cause, si les MGPEPD, dans la pratique, devaient s’avérer longs et délicats à mettre en œuvre en raison, d’une part, de la complexité accrue de l’étude préalable ou de l’étude de soutenabilité budgétaire et, d’autre part, d’un contrôle trop rigoureux de Fin Infra et du Ministre du budget – ce qui n’est ni souhaitable ni encore acquis -, la passation d’un MGPEPD pourrait toujours s’avérer pertinente pour autant que l’opération atteigne une taille critique[18].

A ce titre, il est donc opportun que la loi n° 2023-222 en date du 30 mars 2023 et son décret d’application prévoient en partie – notamment dans le cadre de l’étude préalable, comme il a été précisé supra – les modalités de mutualisation des opérations qui permettront d’atteindre cette taille critique.

En effet, les articles 2 et 5 du décret précisent que lorsque le MGPEPD permet d’opérer une mutualisation des besoins en application des dispositions du III de l’article 2 de la loi du 30 mars 2023 susvisée ou du dernier alinéa de l’article L. 2224-34 du CGCT, l’étude préalable et l’étude de soutenabilité sont réalisées par l’acheteur chargé de conduire le projet pour le compte des autres acheteurs avec lesquels celui-ci est mutualisé.

Ceci semble confirmer l’analyse selon laquelle :

  • à travers le II de l’article 2 de la loi du 30 mars 2023, qui mentionnait le MGPEPD « conclu pour la réalisation d’une opération répondant aux besoins d’une autre personne morale de droit public ou de droit privé en vue de l’exercice de ses missions», le législateur a bien visé la prise en charge des études et des travaux par des syndicats d’énergie, des EPCI ayant adopté un plan climat-air-énergie territorial mentionné à l’article L. 229-26 du Code de l’environnement, ou par la métropole de Lyon, pour le compte de leurs collectivités membres (comme le prévoit déjà le dernier alinéa de l’article L. 2224-34 du CGCT).
  • à travers le III de l’article 2 de la loi du 30 mars 2023 – qui mentionnait que lorsque « la réalisation d’un projet relève simultanément de la compétence de plusieurs acheteurs, ces derniers peuvent désigner par convention celui d’entre eux qui conduira la procédure de passation et, éventuellement, signera le contrat et en suivra l’exécution» – le législateur a visé la possibilité pour les acheteurs de procéder à un nouveau type de transfert de maîtrise d’ouvrage, à l’instar de celui prévu à l’article L. 2422-12 du CCP.

Si les conditions de mutualisation des opérations de rénovation énergétique ne sont pas précisées dans ce décret, notamment les modalités pratiques de mise en œuvre des dispositions du dernier alinéa de l’article L. 2224-34 du CGCT, il est possible d’envisager que la personne publique qui opère la mutualisation se constitue en coordonnateur de groupement de commandes ou en centrale d’achats[19].

En conclusion, dès lors que le régime juridique du MGPEPD reprend de nombreux garde-fous du marché de partenariat visant à limiter les risques de surendettement, parfois renforcés par le biais d’exigences supplémentaires dans l’étude préalable et l’étude de soutenabilité budgétaire, Fin Infra ne peut être qu’incité à définir une méthodologie suffisamment souple. Il en va pareillement du ministre du budget dans le cadre de son avis relatif à l’étude de soutenabilité budgétaire.

En effet, cet organisme et ce ministère n’ignorent pas que le déploiement massif des MGPEPD permettrait aux personnes publiques, de manière complémentaire avec d’autres outils à leur disposition, de se fixer des objectifs ambitieux de rénovation énergétique des bâtiments publics, tout en soumettant le titulaire du marché à une obligation de résultat s’agissant des objectifs de performance énergétique et en lui faisant supporter le préfinancement des travaux.

Thomas ROUVEYRAN et Yann-Gaël NICOLAS

 

[1] L’article 7 de la directive 2023/1791 en date du 13 septembre 2023 relative à l’efficacité énergétique et modifiant le règlement (UE) 2023/955 a invité les pouvoirs adjudicateurs et entités adjudicatrices à se saisir du modèle de contrat de performance énergétique, et a imposé aux Etats membres d’éliminer toute entrave réglementaire ou non réglementaire qui dissuadent d’effectuer des investissements visant à améliorer l’efficacité énergétique et de recourir à des contrats de performance énergétique, ainsi qu’à des instruments de financement par des tiers sur une base contractuelle de longue durée.

[2] L’article 6 de la directive 2023/1791 du Parlement Européen et du Conseil du 13 septembre 2023 relative à l’efficacité énergétique et modifiant le règlement (UE) 2023/955 a conféré un rôle exemplaire aux bâtiments des organismes publics en imposant aux Etats membres de veiller à ce qu’au moins 3 % de la surface au sol totale des bâtiments publics chauffés et/ou refroidis, ayant une surface au sol utile totale supérieure à 250 m2, soient rénovés chaque année, de sorte qu’ils soient transformés en bâtiments à émissions nulles, ou, à défaut, en bâtiments dont la consommation d’énergie est quasi nulle.

[3] Comme l’a relevé le Conseil supérieur de la construction et de l’efficacité énergétique, « le décret reprend le régime applicable au marché de partenariat » (Avis du Conseil supérieur de la construction et de l’efficacité énergétique – Projet de décret portant application de la loi n°2023-222 du 30 mars 2023 visant à ouvrir le tiers-financement à l’État, à ses établissements publics et aux collectivités territoriales pour favoriser les travaux de rénovation énergétique : https://www.cscee.fr/IMG/pdf/avis_tiers_financement_vf.pdf).

[4] Voir sur ce point l’article R. 2212-5 du CCP pour les marchés de partenariat.

[5] Voir sur ce point l’article R. 2212-4 du CCP pour les marchés de partenariat.

[6] Voir sur ce point l’article R. 2212-6 du CCP pour les marchés de partenariat.

[7] Voir sur ce point l’article R. 2211-4 du CCP pour les marchés de partenariat.

[8] Voir sur ce point l’article L. 1112-1 du CCP pour les marchés de partenariat.

[9] Voir sur ce point l’article R. 2212-7 du CCP pour les marchés de partenariat.

[10] Cet élément est effectivement requis au titre de l’article R. 2212-4 du CCP, de manière distincte de l’analyse comparative des différentes options de montages contractuels et institutionnels de la commande publique envisageables pour mettre en œuvre le projet.

[11] M. LAUGIER, « Le MGP énergétique à tiers financement, pour accélérer la rénovation énergétique partout en France », octobre 2023, achatpublic.info : « Fin Infra n’est pas plus attaché à cette étude préalable ; c’est la loi qui l’impose quand un acheteur public recourt à un montage qui déroge au modèle classique des marchés publics. Cette dérogation doit être justifiée. Mais il n’y a aucune volonté de contrôle de la part de Fin Infra ».

[12] En cohérence avec le premier élément demandé qui exclut du coût prévisionnel la « prise en compte des risques ».

[13] Voir sur ce point les articles L. 2221-1 et R. 2221-1 et suivants du CCP pour les marchés de partenariat.

[14] A cet égard, il semble que cette méthodologie soit reprise dans l’annexe 2 du « Cahier d’accompagnement des porteurs de projet et des services instructeurs » du Ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoires – mars 2023.

[15] Voir notre article « Rapport de la Commission de Régulation de l’Energie sur le pilotage des bâtiments tertiaires : recommandations pour réduire et moduler leur consommation énergétique » :

[16] Nous renvoyons à cet égard à notre article intitulé « RE 2020 et constitutionnalité : l’enjeu sur les mesures fixant des résultats minimaux à atteindre concernant l’impact de la construction sur le changement climatique »

[17] Nous renvoyons à notre article intitulé « Rapport parlementaire sur la rénovation énergétique des bâtiments : Quelles préconisations pour une rénovation énergétique efficiente ? Financement de la rénovation – MaPrimeRénovMon accompagnateur Rénov » :

[18] Alors même que le recours au MGPEPD n’est pas conditionné par le dépassement d’un seuil minimal, à la différence des marchés de partenariat (article R. 2211-1 du code de la commande publique).

[19] Nous renvoyons à ce titre à notre article intitulé « Rénovation énergétique des bâtiments publics : la mutualisation des besoins des collectivités au soutien de la sobriété énergétique » :  https://www.seban-associes.avocat.fr/renovation-energetique-des-batiments-publics-la-mutualisation-des-besoins-des-collectivites-au-soutien-de-la-sobriete-energetique/