Espèce protégées et énergie : consultation publique sur des projets de décrets relatifs au développement des énergies renouvelables et à la construction des nouvelles installations nucléaires

Deux projets de décrets ont récemment fait l’objet d’une consultation publique dans les conditions de l’article L. 123-19-1 du Code de l’environnement. Tous deux portent sur le bénéfice de la dérogation à l’obligation de protection des espèces protégées.

On rappellera qu’aux termes de l’article L. 411-2 4 du Code de l’environnement, il est en effet possible de déroger aux interdictions prévues par ce même code relatives à la protection des habitats naturels, des espèces animales non domestiques ou végétales non cultivées et des sites d’intérêt géologique pour des raisons impératives d’intérêt public majeur. L’obtention de la dérogation suppose que cette condition soit cumulée avec deux autres : l’absence de solution alternative de moindre impact et l’absence de nuisance au maintien dans un état de conservation favorable des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle.

L’article 19 de la loi n° 2023-175 en date du 10 mars 2023 relative à l’accélération de la production d’énergies renouvelables (ci-après, loi APER) a prévu que les projets d’installations de production d’énergie renouvelable ainsi que leurs ouvrages de raccordement aux réseaux de transport et de distribution d’énergie sont réputés répondre à une raison impérative d’intérêt public majeur dès lors qu’ils satisfont à des conditions définies par décret en Conseil d’Etat. Ces conditions, fixées par les projets de décrets commentés, tiennent compte du type de source d’énergie renouvelable, de la puissance prévisionnelle totale de l’installation projetée et de la contribution globale attendue des installations de puissance similaire à la réalisation des objectifs de la Programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE).

Ainsi, tout d’abord, un premier projet de décret propose de fixer, en matière d’hydroélectricité, des seuils de puissance au-delà desquels, tant que les objectifs de la PPE ne sont pas atteints, les installations seront automatiquement réputées répondre à une raison impérative d’intérêt public majeur. Ces seuils sont de 3 MW sur le territoire métropolitain et 1 MW dans les zones non interconnectées (ZNI). Ne sont néanmoins pas concernées les projets hydroélectriques situés sur les cours d’eau classés en liste 1 par l’article L. 214-17 du Code de l’environnement.

Ensuite, un second projet de décret fixe les seuils de puissance pour les autres types d’installations de production d’énergies renouvelables concernées qui, au-delà de ces seuils, et tant que les objectifs de la PPE fixés par filière ne seront pas atteints, bénéficieront automatiquement de la reconnaissance de la raison impérative d’intérêt public majeur. Mais, pour bénéficier de la dérogation « espèces protégées », ces installations devront également remplir les deux autres conditions sus rappelées et précisées par l’article L. 411-2 4 du Code de l’environnement.

Enfin, on notera que cette reconnaissance concerne également les projets liés à la construction de nouvelles installations nucléaires à proximité de sites nucléaires existants. En effet, l’article 12 de la loi n° 2023-491 du 22 juin 2013 relative à l’accélération des procédures liées à la construction de nouvelles installations nucléaires à proximité de sites nucléaires existants et au fonctionnement des installations existantes prévoit que ces projets sont réputés répondre à une raison impérative d’intérêt public majeur dès lors qu’ils satisfont à des conditions de puissance et de type de technologie précisées par le projet de décret.

La consultation publique sur ces projets de décrets s’est clôturée le 24 novembre 2023 et a suscité 1764 contributions.

Accessibilité des places de stationnement équipées ou pré-équipées de dispositifs de recharge de véhicules électriques aux personnes à mobilité réduite

La loi n° 2019-1428 du 24 décembre 2019 d’orientation des mobilités (ci-après, loi LOM) a introduit à l’article L. 2224-37 du Code Général des Collectivités Territoriales (ci-après, CGCT) l’obligation de garantir un pourcentage minimal de places de stationnement sur la voie communale équipées de dispositifs de recharge pour véhicules électriques aux personnes à mobilité réduite sans que ces places ne leur soient réservées.

L’arrêté du 27 octobre 2023 relatif à l’accessibilité des places de stationnement en voirie communale équipées ou pré-équipées de dispositif de recharge pris en application de l’article L. 2224-37 du Code général des collectivités territoriales a fixé ce pourcentage minimal. Ce pourcentage minimal dépend de la date d’équipement ou de pré-équipement des places de stationnement et du nombre de places équipées ou pré-équipées en bornes de recharges de véhicules électriques sur la voirie.

Ainsi, à titre d’illustration, lorsque la voirie communale compte jusqu’à 10 places maximum équipées ou pré-équipées entre le 1er janvier 2020 et le 31 décembre 2025, le taux minimal de places accessibles est fixé 30 %, et lorsque ce nombre de places est de 200 ce taux minimal est de 10 %. Le nombre de places accessibles ne doit bien évidemment pas être inférieur au nombre de places accessibles requises au titre de la tranche précédente.

Lorsque l’équipement ou le pré-équipement intervient à compter du 1er janvier 2026, le taux minimal de places accessibles est réévalué à la hausse comme l’indique le tableau en annexe de l’arrêté. L’arrêté prévoit en outre que des places plus longues, de 7 à 9 mètres seront dédiées à cette même catégorie de personnes pour permettre la recharge de véhicules plus volumineux.

Ces informations sont précisées en annexe 1 de l’arrêté du 27 octobre 2023.

Circulaire du 9 octobre 2023 : Donner au contentieux pénal environnemental une place à la hauteur des enjeux

Par cette circulaire en date du 9 octobre 2023, le ministère de la Justice entend préciser les moyens mis en œuvre en vue de permettre le développement du contentieux pénal environnemental.

La circulaire s’inscrit notamment dans le prolongement de la circulaire du 11 mai 2021 visant à consolider le rôle de la justice en matière environnementale qui établissait une étroite coordination entre les autorités judiciaires et administratives ainsi que le décret n° 2023-876 du 13 septembre 2023 institutionnalisant les Comités opérationnels de lutte contre la délinquance environnementale (COLDEN).

Elle est ainsi construite autour de 3 axes :

1. Le renforcement de la coordination de l’action administrative et judiciaire à travers le déploiement des COLDEN :

Les COLDEN ont vocation à traiter la délinquance environnementale au niveau départemental et « à recenser les problématiques environnementales propres à un territoire et à définir les réponses à y apporter – en orientant, en accompagnant et en structurant l’action des services d’enquête en conséquence ».

La traduction des travaux issus des COLDEN ainsi que le niveau d’activité des pôles régionaux environnementaux (PRE) – créés pour mémoire créés par la loi n° 2020-1672 du 24 décembre 2020 relative au Parquet européen, à la justice environnementale et à la justice pénale spécialisées, sont en cours de déploiement dans les juridictions– devront faire l’objet d’un rapport annuel.

2. Le renforcement de l’efficacité des enquêtes judiciaires traitant des atteintes à l’environnement :

La circulaire entend favoriser le recours à la co saisine entre les services d’enquête de police ou de gendarmerie et les fonctionnaires et agents habilités des administrations spécialisées, compte tenu de leur expertise environnementale. Pour mémoire, la loi du 24 décembre 2020 susvisée était venue autoriser ces fonctionnaires et agents à assister les officiers et agents de police judiciaire dans les actes que ces derniers réalisent (auditions en garde à vue, perquisitions…).

Le Garde des Sceaux donne, en outre, instruction aux procureurs de la République de relever, dès que possible, l’existence de circonstances aggravantes de bande organisée afin de renforcer les sanctions et insiste sur la nécessité de formation des magistrats, des fonctionnaires et agents des administrations spécialisées aux évolutions législatives et jurisprudentielles récentes de ce contentieux.

3. La mise en œuvre d’une réponse pénale ferme et adaptée en matière environnementale :

La circulaire encourage le recours à la Convention judiciaire d’intérêt public (CJIP) environnementale, chaque fois que les dommages environnementaux sont graves et irréversibles, rappelant que ce dispositif répressif permet de cumuler le versement d’une amende au Trésor public, la remise en état des lieux par la mise en place d’un programme de mise en conformité précis ainsi que la réparation du préjudice écologique et l’indemnisation de la victime.

Colonnes montantes électriques : nouvelles précisions du Médiateur National de l’Energie sur la répartition des travaux entre la copropriété et le gestionnaire du réseau de distribution d’électricité

Dans une recommandation du 18 octobre 2023 publiée le 27 novembre 2023, le Médiateur National de l’Energie (ci-après MNE) a eu l’occasion de repréciser la répartition des responsabilités entre le propriétaire ou la copropriété et le gestionnaire du réseau de distribution d’électricité s’agissant des travaux relatifs aux colonnes montantes électriques.

On rappellera que la Loi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique (dite loi ELAN) ayant introduit les articles L. 346-1 et suivants au sein du Code de l’énergie a mis fin à un débat ancien en posant le principe selon lequel les colonnes montantes électriques équipant les immeubles relèvent du réseau public de distribution d’électricité. En conséquence de quoi, ces colonnes constituent des biens de retour appartenant aux autorités concédantes de la distribution publique d’électricité et devant être gérés, entretenus et renouvelés par le Gestionnaire du Réseau public de Distribution (ci-après GRD) d’électricité, c’est-à-dire la société Enedis sur 95 % du territoire français.

Mais malgré cette clarification des débats sont ensuite nés sur le périmètre exact des travaux incombant au GRD, ce dernier refusant en particulier de réaliser et de prendre en charge les travaux dits de « génie civil » sur les éléments entourant ou jouxtant les colonnes montantes électriques.

La recommandation du 18 octobre 2023, qui s’inscrit dans le prolongement de précédentes délibérations statuant dans le même sens, est l’occasion pour le MNE de formuler de manière particulièrement claire sa position sur ce sujet.

Saisie par un usager ayant fait une demande de déplacement du compteur d’électricité de son appartement, déplacement nécessitant selon le distributeur le renouvellement de la colonne électrique de l’immeuble. Or, le distributeur avait d’abord accepté de prendre en charge le renouvellement pour finalement affirmer que certains travaux à réaliser sur les parties communes de l’immeuble avant son intervention sur les colonnes montantes incombaient à la copropriété, laquelle avait refusé de les prendre en charge.

Le distributeur avait alors adressé un courrier à la copropriété lui indiquant qu’en cas d’incident ou de dommage lié à l’état d’entretien de la colonne montante, la responsabilité civile et pénale de la copropriété pourrait être engagée.

Dans sa recommandation, le MNE rappelle d’abord que le GRD « ne peut, tout au plus, que demander la prise en charge par la copropriété que des travaux ʺdissociablesʺ de l’ancienne colonne et de la pose de la nouvelle », relayant ainsi une position du CORDIS (voir notamment notre commentaire).

Le MNE rappelle ensuite, pour faire écho a contenu du courrier adressé à la copropriété par le GRD, que ce dernier est tenu d’assurer l’entretien et la maintenance des réseaux, conformément à l’article L. 322-8 du Code de l’énergie et qu’il « ne peut donc en aucun cas se décharger de sa responsabilité ».

Le Médiateur poursuit en précisant que « lorsqu’il existe un risque pour la sécurité sur une colonne montante d’électricité, il incombe avant tout au distributeur A de procéder aux travaux nécessaires pour y remédier. Il doit le cas échéant, effectuer ces travaux sans attendre la décision d’une copropriété de prendre certains travaux à sa charge, quitte à demander par la suite, au syndicat de copropriétaire, si besoin en justice, le remboursement de la part des travaux qui lui revient ».

Ainsi, quand bien même des travaux dissociables de ceux concernant la colonne montante seraient effectivement nécessaires préalablement à l’intervention du GRD, en cas de risque d’atteinte à la sécurité, c’est au GRD qu’il incombe, sans attendre, de réaliser l’ensemble de ces travaux et d’en solliciter ensuite le remboursement, s’il s’y estime fondé auprès de la copropriété. Cette position du MNE est particulièrement intéressante car, si elle était suivie par les GRD, elle permettrait de surmonter les situations de blocage qui sont souvent rencontrées lorsque le GRD conditionne son intervention à la réalisation préalable par les copropriétés de travaux que ces dernières refusent, souvent logiquement, de réaliser.

De manière générale, enfin, le MNE demande au GRD « de cesser d’indiquer aux syndicats de copropriétaires qu’ils peuvent être tenus responsables des dommages résultant d’un défaut d’entretien d’une colonne montante », cette pratique ayant effectivement été constatée à de nombreuses reprises.

Consultation publique sur le niveau et la structure des tarifs réglementés de vente d’électricité pour 2024

A compter du 15 novembre 2023 et jusqu’au 15 décembre 2023, la Commission de Régulation de l’Energie (CRE) soumet à consultation publique le niveau et la structure des tarifs réglementés de vente d’électricité pour l’année 2024, afin d’adapter la méthodologie en vigueur issue d’une précédente délibération de la CRE.

Parmi les évolutions possibles envisagées par la CRE et donnant lieu à la consultation du public figure tout d’abord la question des modalités selon lesquelles l’option heures pleines – heures creuses, qui incite les consommateurs à moduler leurs consommations en fonction des besoins du système électrique, pourrait être rendue plus attractive pour les consommateurs.

Par ailleurs, la CRE rappelle qu’il existe un décalage structurel d’au moins un mois entre le calcul des tarifs réglementés de vente d’électricité (TRVE), qui prend en compte les coûts de fourniture d’électricité d’une année calendaire N, et l’entrée en vigueur de ces TRVE, qui intervient le 1er février de l’année N+1. Cet écart sur le coût de fourniture du mois de janvier fait l’objet d’un rattrapage dans le TRVE proposé par la CRE, habituellement lors du mouvement tarifaire de février de l’année N+1.

La CRE souhaite recueillir l’opinion des acteurs de marché sur sa proposition de supprimer ce décalage, en prenant en compte simultanément, dans sa proposition pour le mouvement tarifaire de février 2024, le rattrapage lié au décalage du mois de janvier 2023 calculé de manière ex-post et le rattrapage lié au décalage du moins de janvier 2024 calculé de manière ex-ante.

A ce titre, la CRE relève que « le niveau des TRVE pour 2024 devrait être fortement inférieur à celui calculé par la CRE pour 2023 », de sorte que le rattrapage anticipé au titre de janvier 2024 serait donc négatif, et viendrait compenser en grande partie le fort rattrapage positif au titre de janvier 2023.

Pérennisation du dispositif de réquisition des outils de production et de stockage d’électricité en période de tension

Après l’avis favorable donné par la Commission de Régulation de l’Energie par délibération du 14 septembre 2023 (voir notre commentaire dans la Lettre d’Actualité Juridique Energie et Environnement d’octobre 2023), le Gouvernement a adopté le 17 novembre 2023 un décret pérennisant l’application des dispositions règlementaires relatives aux modalités de mise à disposition de la puissance non utilisée et techniquement disponible d’installations de production ou de stockage d’électricité en application de l’article L. 321-17-2 du Code de l’énergie.

On rappellera que cette disposition impose aux sites de consommation qui utilisent « des installations de production ou de stockage d’électricité de plus d’un mégawatt en vue de leur fournir une alimentation de secours […] de mettre à la disposition du gestionnaire du réseau public de transport la totalité de la puissance non utilisée et techniquement disponible de ces installations » en période de forte tension sur le réseau électrique.

Alors que ce dispositif n’était initialement prévu que pour l’hiver 2022-2023, il est désormais inscrit dans le cadre juridique de manière pérenne.

Publication des nouveaux modèles de contrat d’obligation d’achat de biogaz

Par un arrêté en date du 8 novembre 2023, les nouveaux modèles de contrat d’achat de biogaz à conclure entre les producteurs de biogaz et les fournisseurs de gaz naturel ont été approuvés.

Ces trois contrats correspondants aux trois catégories tarifaires mentionnées dans l‘arrêté tarifaire du 10 juin 2023 sont disponibles sur la plate-forme informatique du ministère de la transition énergétique à l’adresse suivante : https://www.ecologie.gouv.fr/biogaz.

On rappellera en effet que, conformément aux dispositions de l’article L. 446-4 du Code de l’énergie « tout producteur de biogaz peut conclure avec un fournisseur de gaz naturel un contrat de vente de biogaz produit sur le territoire national suivant des modalités précisées par décret en Conseil d’Etat ».

Ces modèles de contrats, sont approuvés par les Ministres chargés de l’énergie et de l’économie après consultation des organisations représentatives des fournisseurs de gaz naturel au sens des articles L. 443-1 et suivants et des producteurs de biométhane et après avis de la Commission de régulation de l’énergie (art. D. 446-11 du Code de l’énergie).

Les marchés globaux de performance énergétique à paiement différé après le décret du 3 octobre 2023 : vers un déploiement enfin massif de la rénovation énergétique des bâtiments publics ?

Rappelons que la loi n° 2023-222 en date du 30 mars 2023 visant à ouvrir le tiers financement à l’Etat, à ses établissements publics et aux collectivités territoriales pour favoriser les travaux de rénovation énergétique a autorisé, à titre expérimental et pour une durée de cinq ans, l’État, ses établissements publics, les collectivités territoriales, leurs établissements publics et leurs groupements à déroger aux articles L. 2191‑2 à L. 2191‑8 du Code de la commande publique (ci-après le « CCP ») – en particulier à l’interdiction de paiement différé – pour les contrats de performance énergétique conclus sous la forme d’un MGP pour la rénovation d’un ou plusieurs de leurs bâtiments.

Ce nouveau dispositif – avec ces marchés globaux de performance énergétique à paiement différé (ci-après les « MGPEPD ») – vise à contourner les insuffisances budgétaires de l’Etat et des collectivités territoriales en ajoutant le portage financier de la rénovation énergétique du bâtiment aux prestations de conception-réalisation et d’exploitation ou de maintenance mises à la charge du titulaire d’un contrat de performance énergétique. En effet, grâce à cette expérimentation, la personne publique bénéficiaire des travaux peut de différer le paiement des travaux, l’investissement financier initial reposant sur un tiers.

Le décret n° 2023-913 relatif aux marchés globaux de performance énergétique à paiement différé, publié le 3 octobre dernier en application des dispositions de la loi précitée, était particulièrement attendu afin de savoir si le MGPEPD devra être soumis aux mêmes contraintes de mise en œuvre que les marchés de partenariat, ce qui pourrait contribuer à freiner leur déploiement. En effet, il ressort de l’article 2 de la loi précitée que les MGPEPD sont également soumis à une étude préalable et à une étude de soutenabilité budgétaire, elles-mêmes soumises à avis.

L’analyse du niveau de complexité de la procédure de passation des MGPEPD est déterminante pour déterminer si les personnes publiques vont recourir massivement à ce nouveau dispositif, alors qu’en parallèle, des directives européennes ont imposé aux Etats membres d’éliminer toute entrave réglementaire ou non réglementaire qui dissuadent de recourir à des contrats de performance énergétique[1] et de veiller à ce qu’au moins 3 % de la surface au sol totale des bâtiments publics chauffés et/ou refroidis, ayant une surface au sol utile totale supérieure à 250 m2, soient rénovés chaque année[2].

A ce titre, si l’analyse du décret démontre que la passation des MGPEPD sera bien soumise à une procédure similaire aux marchés de partenariat (I), il conviendra d’être attentif, dans la pratique, aux modalités de passation des premiers MGPEPD, ainsi qu’à la méthodologie d’analyse de l’étude préalable que retiendra Fin Infra (II).

En tout état de cause, quelle que soit la complexité de leur mise en œuvre, la passation d’un MGPEPD pourrait toujours s’avérer pertinente pour autant que l’opération atteigne une taille critique (III).

 

I. La passation des MGPEPD soumise à une procédure analogue à celle des marchés de partenariat

L’analyse approfondie du décret d’application, qui avait pour objet principal de préciser la teneur de l’étude préalable et de l’étude de soutenabilité budgétaire requises pour recourir au MGPEPD confirme une grande similitude avec le régime des marchés de partenariat[3].

En premier lieu, s’agissant de l’étude préalable décrite à l’article 1er du décret, il est manifeste que son contenu s’apparente aux contenus conjoints du « bilan plus favorable » requis par les articles L. 2211-6 et R. 2211-4 du CCP et de « l’évaluation du mode de réalisation du projet » requise par les articles L. 2212-1 et R. 2212-4 du CCP dans le cadre du recours au marché de partenariat.

En effet, à l’instar de l’évaluation du mode de réalisation du projet d’un marché de partenariat, l’étude préalable du MGPEPD doit comprendre tout d’abord une présentation générale similaire à celle demandée pour les marchés de partenariat[4] :

  • des caractéristiques du projet, de son équilibre économique et de ses enjeux – sans que l’historique du projet et son contexte ne soient listés (à la différence des marchés de partenariat), ce qui n’aurait en tout état de cause que peu d’impact sur la complexité du traitement et l’appréciation de la pertinence du MGPEPD ;
  • des compétences de l’acheteur, de son statut et de ses capacités financières ;
  • de la consommation énergétique et des émissions de gaz à effet de serre de référence retenus pour apprécier la performance énergétique, ce qui diffère logiquement du marché de partenariat compte tenu de l’objet même du MGPEPD.

En sus, l’étude préalable comporte également une description des options de montages contractuels de la commande publique qui sont écartées, et des options qui sont envisagées pour mettre en œuvre le projet.

En première analyse, cette description des options de montages contractuels de la commande publique, laquelle, précisons-le, n’est pas demandée pour les marchés de partenariat[5], semble alourdir davantage l’étude préalable à laquelle l’acheteur doit procéder.

Ceci peut être toutefois relativisé dans la mesure où l’appréciation portant sur l’ensemble des avantages et inconvénients du marché par rapport aux options de montages contractuels écartées, également contenue dans l’étude préalable (et dans l’évaluation d’un marché de partenariat), suppose de connaître lesdits options de montages contractuels.

Néanmoins, cette appréciation requise dans le cadre du MGPEPD par le 3° de l’article 1er du décret se fonde sur au moins autant d’éléments que celle attendue dans le cadre du marché de partenariat.

En effet, cette appréciation doit tenir compte :

  • du périmètre des missions susceptibles d’être confiées au titulaire. A ce titre, il peut être relevé qu’à la différence du marché de partenariat, il n’est pas demandé de produire « les procédures et le calendrier pour chacune des phases de réalisation du projet, ainsi que la durée totale du contrat»[6] ;
  • des principaux risques du projet et de leur répartition entre l’acheteur et le titulaire. A cet égard, si l’article 1er du décret ne vise pas spécifiquement les « risques financiers» et la « valorisation financière des risques » comme pour les marchés de partenariat, sa rédaction semble suffisamment large pour que conduire Fin Infra à exiger leur présentation ;
  • de la structure de financement ainsi que de son incidence sur le coût du projet. A la différence du projet de décret qui prévoyait une appréciation des « modalités de financement», le décret publié semble avoir pris en compte la demande du Conseil supérieur de la construction et de l’efficacité énergétique (CSCEE) qui souhaitait une analyse du « coût optimum pour une rénovation énergétique « sans regret » » et « garantir une transparence sur le coût de financement pour la collectivité territoriale », de sorte que le détail de la structuration de financement a été ajouté, à l’instar des marchés de partenariat, à l’appréciation des avantages et inconvénients des différentes options contractuelles[7].

Cette comparaison avec les autres montages semble effectivement nécessaire dès lors qu’il n’est pas acquis que le tiers-financement demeure, au total, moins cher que l’emprunt bancaire classique auquel pourrait recourir une personne publique, puisque le tiers-financeur ne bénéficiera pas des mêmes conditions de crédit que l’État ou les collectivités territoriales et répercuterait, in fine, ce coût supplémentaire lors du remboursement de sa créance ;

  • le cas échéant, des effets de la mutualisation du projet avec d’autres acheteurs. En effet, pour rappel, à la différence des marchés de partenariat, il est expressément prévu à l’article 1er de la loi n° 2023-222 du 30 mars 2023 que les MGPEPD peuvent être conclus en vertu du dernier alinéa de l’article L. 2224-34 du Code général des collectivités territoriales (ci-après le CGCT»). Ce dispositif expérimental peut ainsi permettre aux syndicats d’énergie, des EPCI ayant adopté un plan climat-air-énergie territorial mentionné à l’article L. 229-26 du Code de l’environnement, ou par la métropole de Lyon, de mutualiser la réalisation des études et de tout ou partie des travaux nécessaires pour améliorer la performance énergétique des bâtiments dont leurs membres sont propriétaires (comme le prévoit déjà le dernier alinéa de l’article L. 2224-34 du CGCT). Ces actions de mutualisation resteraient cependant soumises à l’accord des membres de ces groupements de collectivités, les travaux ne pouvant être initiés qu’après la signature de conventions entre toutes les parties ;
  • les objectifs de performance retenus par l’acheteur, notamment en matière de consommation énergétique et d’émissions de gaz à effet de serre, des délais fixés pour les atteindre ainsi que des mécanismes souhaités d’incitations, de garanties et de sanctions. L’ajout de cet élément, bien qu’alourdissant de nouveau le contenu de l’étude préalable, était attendu dès lors que l’objet même du MGPEPD est de garantir aux acheteurs publics, à la différence des marchés de partenariat, l’atteinte d’économies substantielles d’énergie, auquel cas des pénalités financières s’appliqueront. Par rapport au projet initial du décret, il peut aussi être relevé une définition plus large des objectifs de performance, qui portent également sur les émissions de gaz à effet de serre, ce qui n’était pourtant pas visé par la loi n° 2023-222 du 30 mars 2023.

En revanche, c’est de manière parfaitement logique que l’étude préalable n’inclut pas « l’étendue du transfert de la maîtrise d’ouvrage du projet au titulaire du marché » dès lors que, à la différence des marchés de partenariat, l’acheteur conserve dans le cadre d’un MGPEPD sa maîtrise d’ouvrage.

Pareillement, l’étude préalable ne doit pas contenir une « analyse de la compatibilité du projet avec les orientations de la politique immobilière de l’acheteur lorsque le marché de partenariat emporte occupation du domaine public ou privé », ce qui peut apparaître logique dans la mesure où le titulaire du MGPEPD n’a pas vocation a occupé les ouvrages, sa mission n’emportant pas – à la différence des marchés de partenariat – « la gestion d’une mission de service public ou des prestations de services concourant à l’exercice, par la personne publique, de la mission de service public dont elle est chargée »[8].

Il résulte de l’article 3 du décret que cette étude préalable sera ensuite soumise pour avis à Fin Infra qui devra se prononcer dans un délai d’un mois suivant sa saisine – comme pour les marchés de partenariat pour lesquels le délai est toutefois de six semaines[9].

Par conséquent, le recours au MGPEPD ne semble pas avoir été facilité au regard de la complexité administrative que représentera la préparation et la validation de l’étude préalable pour les acheteurs publics – qui est grandement similaire, à quelques exceptions près, au « bilan plus favorable » et à « l’évaluation préalable » imposés dans le cadre des marchés de partenariat.

En particulier, il est regrettable que les trois premiers éléments listés supra devant être inclus dans l’étude préalable soient demandés dans le cadre de l’appréciation comparative des avantages et inconvénients par rapport aux autres options contractuelles. Ceci alourdira nécessairement le contenu de l’étude préalable par rapport du bilan plus favorable requis pour les marchés de partenariat dès lors que ce dernier ne comporte aucune obligation de comparer ces éléments avec d’autres montages contractuels[10].

A ce titre, Fin Infra a néanmoins laissé entendre, de manière raisonnable, qu’elle n’envisage pas d’effectuer un contrôle approfondi de ladite étude[11], ce qui laisse espérer une souplesse d’appréciation que la rédaction du décret ne laisse pas présager en l’état.

En deuxième lieu, similairement au modèle du marché de partenariat, une étude de soutenabilité budgétaire « prenant en compte tous les aspects financiers du projet » de MGPEPD est également imposée.

A ce titre, non seulement il peut être relevé que l’article 4 décret n° 2023-913 n’a pas simplifié le contenu de cette étude mais qu’il l’a également renforcé en y ajoutant d’autres éléments. Plus précisément, comme pour les marchés de partenariat, il est demandé d’inclure :

  • le coût prévisionnel du contrat indiqué en moyenne annuel. Néanmoins, il requiert en outre que ce coût prévisionnel soit évalué « hors prise en compte des risques» – cette appréciation devant être distinctement effectuée – et que soit précisé la part des dépenses d’investissement, de financement et de fonctionnement.
  • la part que ce coût représente par rapport à la capacité d’autofinancement annuelle de l’acheteur, et son effet sur sa situation financière. Cependant, le décret ajoute, s’agissant des collectivités territoriales, de leurs établissements ou de leurs groupements qui souhaitent recourir au MGPEPD, que l’étude de soutenabilité budgétaire doit également comprendre l’indication de la part que les dépenses de fonctionnement (coûts d’entretien, de maintenance et de renouvellement des ouvrages et des équipements) et les dépenses de financement représentent par rapport aux recettes réelles de fonctionnement, ainsi que la part que les dépenses d’investissement (coûts d’étude et de conception, de construction, annexes à la construction et les frais financiers intercalaires) représentent par rapport à l’épargne brute de l’acheteur et son effet sur sa situation financière.

A ce titre, cette distinction confirme bien que les dépenses de fonctionnement et de financement en lien avec le projet relèveront logiquement de la section de fonctionnement du budget, ce qui pourrait s’avérer problématique si elles sont importantes au regard de la difficulté d’équilibrer cette section pour les collectivités ;

  • l’impact du contrat sur l’évolution des dépenses obligatoires de l’acheteur, ses conséquences sur son endettement et ses engagements hors bilan ;
  • une analyse des coûts prévisionnels pouvant résulter d’une rupture anticipée du contrat ;
  • une appréciation des principaux risques du projets, ce qui s’ajoute à la liste des éléments d’une étude de soutenabilité budgétaire d’un marché de partenariat[12], afin de distinguer le coût du projet et celui des risques y afférent.

Notons que, selon l’article 6 du décret, le Ministre chargé du budget, auquel l’étude préalable sera également communiquée, dispose d’un délai d’un mois pour émettre un avis sur l’étude de soutenabilité budgétaire, contre six semaines dans le cadre du recours au marché de partenariat.

Il en résulte que le contenu de l’évaluation préalable ou de l’étude de soutenabilité budgétaire étant au moins similaire, sinon plus complexe pour les MGPEPD par rapport aux marchés de partenariat, il convient d’espérer que la légère accélération des délais prévue pour le nouveau dispositif contractuel induise un contrôle moins assidu des projets de MGPEPD.

En effet, comme indiqué ci-avant, la complexité de l’ensemble des démarches à réaliser pour passer un marché de partenariat constitue un frein majeur à leur déploiement, et le sera également pour les MGPEPD si l’intensité des contrôles par Fin Infra et par le ministre chargé du budget s’avère identique.

En troisième lieu, similairement à ce qui est prévu pour le marché de partenariat, pour les projets de l’Etat et de ses établissements publics[13], l’article 7 du décret exige que les Ministres chargés du budget et de l’économie autorisent le lancement de la procédure de passation d’un MGPEPD à paiement différé. Leur accord est réputé acquis à défaut de réponse expresse dans un délai d’un mois à compter de la date de réception, par chacun des Ministres précités, de l’étude préalable, de l’étude de soutenabilité budgétaire et des avis y afférents. Il en va de même s’agissant de la signature des MGPEPD qui ne peut intervenir qu’après accord des Ministres chargés du budget et de l’économie – ainsi que du Ministre de tutelle pour les établissements publics de l’Etat – qui devient tacite à compter d’un mois à la suite de la réception du contrat.

A ce titre, il est regrettable de constater que l’exemption prévue par le projet de décret, consistant à ne demander qu’un seul avis – celui du Ministre de l’économie – sous 15 jours pour lancer la passation du MGPEPD d’une valeur inférieure à 5 millions d’euros ainsi qu’un seul avis – celui du Ministre chargé de l’économie pour les projets de l’Etat et celui du Ministre de tutelle pour les projets de ses établissements publics – sous 15 jours pour signer ces mêmes marchés, n’a finalement pas été retenue.

 

II. Une méthodologie de l’étude préalable encore attendue

Au regard de ce qui précède, les éléments méthodologiques de Fin Infra sont particulièrement attendus pour mieux évaluer, dans la pratique, le niveau de précision de l’étude préalable soumise à son avis, ce qui confirmera ou infirmera la lourdeur de la procédure à mettre en œuvre pour passer des MGPEPD.

D’ores et déjà, lors de la consultation publique lancée par ce service sur le projet de décret, Fin Infra a souhaité recueillir l’avis des acteurs sur plusieurs questions relatives à sa future méthodologie, notamment sur :

  • Ia pertinence de reprendre les dispositions de l’arrêté du 24 juillet 2020 relatif aux contrats de performance énergétique pour l’établissement de l’étude préalable – plus particulièrement concernant la présentation de la situation de référence à comparer avec la situation après la réalisation des travaux s’agissant de la consommation énergétique et des émissions de gaz à effet de serre. Autrement dit, il conviendrait de tenir compte des consommations historiques des trois dernières années calendaires consécutives et récentes, corrigées de tout facteur externe ayant un impact significatif sur la consommation. La consommation énergétique devrait également être ajustée en fonction des opérations d’amélioration énergétique qui auraient été mises en œuvre entre la période de référence et la période du contrat, ou pendant la période du contrat et qui ne sont pas comprises dans celui-ci.

A ce titre, il peut d’ores et déjà être relevé qu’outre les consommations d’énergie, la rédaction finalement retenue pour le décret imposera nécessairement de mesurer, dans la méthodologie, les émissions de gaz à effet de serre lors de l’établissement de la situation de référence ;

  • les modalités de la mesure de la performance énergétique, notamment s’il est opportun de recourir à la méthodologie établie dans le cadre du Fonds Vert qui porte sur les consommations d’énergie, les émissions de gaz à effet de serre et le suivi des consommations[14]. En particulier, Fin Infra s’interrogeait sur la pertinence de mesurer d’autres éléments tels que le niveau d’isolation des éléments de l’enveloppe, l’étanchéité à l’air, le pilotage des installations/système de régulation, les consommations spécifiques d’électricité et l’intégration des énergies renouvelables. Ces éléments semblent effectivement importants pour apprécier la performance énergétique, notamment le pilotage du bâtiment, comme cela a été encore récemment rappelé par le rapport publié le 11 septembre 2023 par la Commission de régulation de l’énergie[15]. En effet, les solutions de pilotage pourraient représenter jusqu’à 6 GW en période de pointe pour les bâtiments tertiaires.

De même, Fin Infra s’interrogeait sur l’opportunité d’intégrer dans sa méthodologie une analyse de l’empreinte carbone des matériaux utilisés pour la rénovation en kg de CO2 par m2 rénové. Or, ce critère serait cohérent avec la réglementation RE 2020 qui requiert un changement de méthode dans la conception des constructions visant à limiter l’empreinte carbone du bâtiment : les constructeurs doivent désormais prendre en considération l’impact carbone de tous les matériaux et équipements utilisés, à partir de données environnementales fournies par les fabricants[16] ;

  • la mesure des gains financiers associés à la performance énergétique, afin de savoir quelle méthodologie de détermination des hypothèses sous-jacentes appliquer, notamment en matière de prix de l’énergie ;
  • les modalités d’évaluation des risques, Fin Infra ayant demandé aux acteurs d’identifier une liste de risques pour le porteur du projet et ayant établi à ce titre une matrice des risques standards reposant sur l’impact et la probabilité d’occurrence de chaque risque. En particulier, Fin Infra a interrogé les acteurs sur les risques associés à la mutualisation des projets, en raison de la multiplication des donneurs d’ordres ;
  • les critères de performance (par exemple économiques, relatifs au calendrier ou à la qualité des travaux) permettant de prendre en compte les gains associés à une rénovation globale par rapport à une rénovation légère mais en cascade, ou à une mutualisation des travaux. Ceci est notamment à mettre dans la perspective du récent rapport parlementaire de la mission d’information commune sur la rénovation énergétique des bâtiments qui propose de viser prioritairement le financement des travaux de rénovation globale et non des rénovations légères dans la mesure où « pour qu’une rénovation globale soit performante du point de vue des objectifs nationaux, il faut viser une réduction de la consommation d’énergie primaire de l’ordre de 75 %»[17] ;

Ainsi, si la méthodologie que Fin Infra semble vouloir appliquer apparaît extrêmement précise, elle n’en est pas moins pertinente et en phase avec les développements récents de la réflexion sur les moyens de parvenir à une meilleure performance lors d’opérations de rénovation énergétique des bâtiments.

 

III. Une mutualisation des projets pertinente en cas de complexité de la passation des MGPEPD

En tout état de cause, si les MGPEPD, dans la pratique, devaient s’avérer longs et délicats à mettre en œuvre en raison, d’une part, de la complexité accrue de l’étude préalable ou de l’étude de soutenabilité budgétaire et, d’autre part, d’un contrôle trop rigoureux de Fin Infra et du Ministre du budget – ce qui n’est ni souhaitable ni encore acquis -, la passation d’un MGPEPD pourrait toujours s’avérer pertinente pour autant que l’opération atteigne une taille critique[18].

A ce titre, il est donc opportun que la loi n° 2023-222 en date du 30 mars 2023 et son décret d’application prévoient en partie – notamment dans le cadre de l’étude préalable, comme il a été précisé supra – les modalités de mutualisation des opérations qui permettront d’atteindre cette taille critique.

En effet, les articles 2 et 5 du décret précisent que lorsque le MGPEPD permet d’opérer une mutualisation des besoins en application des dispositions du III de l’article 2 de la loi du 30 mars 2023 susvisée ou du dernier alinéa de l’article L. 2224-34 du CGCT, l’étude préalable et l’étude de soutenabilité sont réalisées par l’acheteur chargé de conduire le projet pour le compte des autres acheteurs avec lesquels celui-ci est mutualisé.

Ceci semble confirmer l’analyse selon laquelle :

  • à travers le II de l’article 2 de la loi du 30 mars 2023, qui mentionnait le MGPEPD « conclu pour la réalisation d’une opération répondant aux besoins d’une autre personne morale de droit public ou de droit privé en vue de l’exercice de ses missions», le législateur a bien visé la prise en charge des études et des travaux par des syndicats d’énergie, des EPCI ayant adopté un plan climat-air-énergie territorial mentionné à l’article L. 229-26 du Code de l’environnement, ou par la métropole de Lyon, pour le compte de leurs collectivités membres (comme le prévoit déjà le dernier alinéa de l’article L. 2224-34 du CGCT).
  • à travers le III de l’article 2 de la loi du 30 mars 2023 – qui mentionnait que lorsque « la réalisation d’un projet relève simultanément de la compétence de plusieurs acheteurs, ces derniers peuvent désigner par convention celui d’entre eux qui conduira la procédure de passation et, éventuellement, signera le contrat et en suivra l’exécution» – le législateur a visé la possibilité pour les acheteurs de procéder à un nouveau type de transfert de maîtrise d’ouvrage, à l’instar de celui prévu à l’article L. 2422-12 du CCP.

Si les conditions de mutualisation des opérations de rénovation énergétique ne sont pas précisées dans ce décret, notamment les modalités pratiques de mise en œuvre des dispositions du dernier alinéa de l’article L. 2224-34 du CGCT, il est possible d’envisager que la personne publique qui opère la mutualisation se constitue en coordonnateur de groupement de commandes ou en centrale d’achats[19].

En conclusion, dès lors que le régime juridique du MGPEPD reprend de nombreux garde-fous du marché de partenariat visant à limiter les risques de surendettement, parfois renforcés par le biais d’exigences supplémentaires dans l’étude préalable et l’étude de soutenabilité budgétaire, Fin Infra ne peut être qu’incité à définir une méthodologie suffisamment souple. Il en va pareillement du ministre du budget dans le cadre de son avis relatif à l’étude de soutenabilité budgétaire.

En effet, cet organisme et ce ministère n’ignorent pas que le déploiement massif des MGPEPD permettrait aux personnes publiques, de manière complémentaire avec d’autres outils à leur disposition, de se fixer des objectifs ambitieux de rénovation énergétique des bâtiments publics, tout en soumettant le titulaire du marché à une obligation de résultat s’agissant des objectifs de performance énergétique et en lui faisant supporter le préfinancement des travaux.

Thomas ROUVEYRAN et Yann-Gaël NICOLAS

 

[1] L’article 7 de la directive 2023/1791 en date du 13 septembre 2023 relative à l’efficacité énergétique et modifiant le règlement (UE) 2023/955 a invité les pouvoirs adjudicateurs et entités adjudicatrices à se saisir du modèle de contrat de performance énergétique, et a imposé aux Etats membres d’éliminer toute entrave réglementaire ou non réglementaire qui dissuadent d’effectuer des investissements visant à améliorer l’efficacité énergétique et de recourir à des contrats de performance énergétique, ainsi qu’à des instruments de financement par des tiers sur une base contractuelle de longue durée.

[2] L’article 6 de la directive 2023/1791 du Parlement Européen et du Conseil du 13 septembre 2023 relative à l’efficacité énergétique et modifiant le règlement (UE) 2023/955 a conféré un rôle exemplaire aux bâtiments des organismes publics en imposant aux Etats membres de veiller à ce qu’au moins 3 % de la surface au sol totale des bâtiments publics chauffés et/ou refroidis, ayant une surface au sol utile totale supérieure à 250 m2, soient rénovés chaque année, de sorte qu’ils soient transformés en bâtiments à émissions nulles, ou, à défaut, en bâtiments dont la consommation d’énergie est quasi nulle.

[3] Comme l’a relevé le Conseil supérieur de la construction et de l’efficacité énergétique, « le décret reprend le régime applicable au marché de partenariat » (Avis du Conseil supérieur de la construction et de l’efficacité énergétique – Projet de décret portant application de la loi n°2023-222 du 30 mars 2023 visant à ouvrir le tiers-financement à l’État, à ses établissements publics et aux collectivités territoriales pour favoriser les travaux de rénovation énergétique : https://www.cscee.fr/IMG/pdf/avis_tiers_financement_vf.pdf).

[4] Voir sur ce point l’article R. 2212-5 du CCP pour les marchés de partenariat.

[5] Voir sur ce point l’article R. 2212-4 du CCP pour les marchés de partenariat.

[6] Voir sur ce point l’article R. 2212-6 du CCP pour les marchés de partenariat.

[7] Voir sur ce point l’article R. 2211-4 du CCP pour les marchés de partenariat.

[8] Voir sur ce point l’article L. 1112-1 du CCP pour les marchés de partenariat.

[9] Voir sur ce point l’article R. 2212-7 du CCP pour les marchés de partenariat.

[10] Cet élément est effectivement requis au titre de l’article R. 2212-4 du CCP, de manière distincte de l’analyse comparative des différentes options de montages contractuels et institutionnels de la commande publique envisageables pour mettre en œuvre le projet.

[11] M. LAUGIER, « Le MGP énergétique à tiers financement, pour accélérer la rénovation énergétique partout en France », octobre 2023, achatpublic.info : « Fin Infra n’est pas plus attaché à cette étude préalable ; c’est la loi qui l’impose quand un acheteur public recourt à un montage qui déroge au modèle classique des marchés publics. Cette dérogation doit être justifiée. Mais il n’y a aucune volonté de contrôle de la part de Fin Infra ».

[12] En cohérence avec le premier élément demandé qui exclut du coût prévisionnel la « prise en compte des risques ».

[13] Voir sur ce point les articles L. 2221-1 et R. 2221-1 et suivants du CCP pour les marchés de partenariat.

[14] A cet égard, il semble que cette méthodologie soit reprise dans l’annexe 2 du « Cahier d’accompagnement des porteurs de projet et des services instructeurs » du Ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoires – mars 2023.

[15] Voir notre article « Rapport de la Commission de Régulation de l’Energie sur le pilotage des bâtiments tertiaires : recommandations pour réduire et moduler leur consommation énergétique » :

[16] Nous renvoyons à cet égard à notre article intitulé « RE 2020 et constitutionnalité : l’enjeu sur les mesures fixant des résultats minimaux à atteindre concernant l’impact de la construction sur le changement climatique »

[17] Nous renvoyons à notre article intitulé « Rapport parlementaire sur la rénovation énergétique des bâtiments : Quelles préconisations pour une rénovation énergétique efficiente ? Financement de la rénovation – MaPrimeRénovMon accompagnateur Rénov » :

[18] Alors même que le recours au MGPEPD n’est pas conditionné par le dépassement d’un seuil minimal, à la différence des marchés de partenariat (article R. 2211-1 du code de la commande publique).

[19] Nous renvoyons à ce titre à notre article intitulé « Rénovation énergétique des bâtiments publics : la mutualisation des besoins des collectivités au soutien de la sobriété énergétique » :  https://www.seban-associes.avocat.fr/renovation-energetique-des-batiments-publics-la-mutualisation-des-besoins-des-collectivites-au-soutien-de-la-sobriete-energetique/

La question de la constitutionnalité du dispositif de récupération des métaux issus de la crémation prévu par la loi 3DS renvoyée au Conseil Constitutionnel

Voilà un peu plus d’un an que le décret n° 2022-1127 du 5 août 2022, alors commenté dans notre lettre d’actualité juridique, est venu préciser les modalités d’application de la loi n° 2022-217 du 21 février 2022 relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l’action publique locale, dite loi 3DS, en matière funéraire.

Ce décret a ainsi intégré un article R. 2223-103-1 au sein du CGCT en vue de la mise en œuvre du dispositif issu de la ladite loi 3DS codifié à l’article 2223-18-1-1 du CGCT, permettant la récupération par les gestionnaires des crématoriums des métaux issus de la crémation des défunts en vue de leur cession à titre gratuit ou onéreux.

Certes, ce dispositif est encadré. Le produit éventuel de cette cession ne peut être fléché que vers la prise en charge des obsèques de personnes dépourvues de ressources suffisantes ou un don à une association d’intérêt général ou fondation reconnue d’utilité publique. Il est par ailleurs soumis à de nombreuses obligations d’affichage et d’information permettant sa traçabilité.

Si le caractère opérationnel de cet encadrement méritera d’être observé, c’est surtout en son principe même, sur le plan éthique et des libertés constitutionnellement protégées, que le dispositif peut interroger tant il touche aux morts ainsi qu’à leurs biens.

En ce sens, et à l’appui d’un recours pour excès de pouvoir contre la décision implicite du Premier ministre rejetant sa demande d’abrogation du décret du 5 août 2022 devant le Conseil d’Etat[1], la société Europe Métal a soulevé la question de la conformité à la Constitution des dispositions de l’article L. 2223-18-1-1 du CGCT susvisées.

La requérante soutenait, dans une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) que ces dispositions méconnaissaient, d’une part, le principe à valeur constitutionnelle de sauvegarde de la dignité de la personne humaine contre toute forme d’asservissement et de dégradation ainsi que, d’autre part, le droit de propriété.

Par l’arrêt ici commenté du 11 octobre 2023, après avoir constaté que cette question n’avait pas déjà été déclarée conforme à la constitution par le Conseil constitutionnel et qu’elle présentait un caractère sérieux, a décidé de son renvoi au Conseil constitutionnel, pour qu’il se prononce sur la conformité du dispositif de récupération des métaux issus de la crémation à la Constitution.

Le Conseil constitutionnel dispose de trois mois, soit jusqu’au 18 janvier prochain[2], pour se prononcer sur la question.

Un arrêt à surveiller que nous ne manquerons pas de commenter dans une prochaine lettre d’actualité.

 

[1] Compétent en premier et dernier ressort en vertu des dispositions de l’article R.311-1 du Code de justice administrative

[2] En application de l’article Ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel précitée, la saisine du Conseil Constitutionnel ayant été enregistrée le 18 octobre 2023 (cf. page dédiée du site conseil constitutionnel)

Hospitalisation sous contrainte : avant l’heure c’est pas l’heure, et après l’heure non plus

Avant la crise de la Covid-19, la Caisse nationale d’assurance maladie (CNAM) dénombrait 12,5 millions de Français soignés pour des troubles mentaux ou psychiatriques. Et chacun s’accorde à reconnaître que l’un des effets les plus directs de la crise sanitaire a été de voir ce chiffre croître de manière exponentielle. Les statistiques de la CNAM ne sont pas, à ce jour, actualisées mais il est plus que probable que ce soit désormais près de 20 millions de Français qui souffrent de pathologies mentales ou psychiatriques, à des degrés divers.

C’est dire si les pouvoirs publics et les autorités sanitaires vont être de plus en plus souvent confrontés aux troubles à l’ordre public que peuvent générer certains malades, pas ou mal pris en charge.

En cette circonstances, ce sont les dispositions de l’article L. 3213-2 alinéa 1er du Code de la santé publique qui trouvent à s’appliquer. Aux termes de cet article, en cas de danger imminent pour la sûreté des personnes, dûment attesté par un avis médical, le maire peut prendre toutes les mesures nécessaires visant à assurer la sécurité de la personne en cause ainsi que, s’il y a lieu, la sécurité publique.

Pèse alors sur le maire l’obligation d’en référer dans les 24 heures au préfet, à charge pour ce dernier, soit de prononcer la mainlevée des mesures prises par le maire, soit de prendre un arrêté d’admission en soins psychiatriques, dans les formes fixées par les dispositions de l’article L. 3213-1 du Code de la santé publique. Faute de décision du préfet dans les 48 heures de sa saisine, les mesures provisoires prises par le maire deviennent caduques de plein droit.

Ces dispositions présentaient une difficulté pratique de mise en œuvre. En effet, l’article L. 3213-2 du Code de la santé publique précise que « les mesures provisoires sont caduques en l’absence d’une décision du Préfet au terme d’une durée de 48 heures ». Doit-on considérer que le préfet dispose d’un délai de 48 heures pour prendre dans l’intervalle sa décision, ou doit-on considérer qu’il doit prendre sa décision au terme (à l’échéance) d’un délai de 48 heures ? Ce même article précisant par ailleurs que le préfet se prononce « sans délai », ce qui renforce la difficulté d’interprétation.

L’ambiguïté était suffisamment forte et prégnante pour que la Cour de cassation soit amenée à trancher cette question, à éclaircir cette interprétation et, partant, à sécuriser ces procédures d’admission en soins psychiatriques, par nature attentatoires aux libertés individuelles.

Dans un arrêt de la première chambre civile, du 18 octobre 2023 (Cass. Civ., 1ère, n° 562, 18 octobre 2023, pourvoi n° 22-17.752), la Cour vient préciser qu’aux termes de l’article L. 3213-2 du Code de la santé publique, le préfet doit prendre une décision avant l’extinction du délai de 48 heures, après lequel les mesures provisoires du maire sont frappées de caducité.

Dans le cas d’espèce, un maire avait transmis au Préfet du Jura un arrêté fixant des mesures provisoires d’hospitalisation relatives à un individu, le 26 mars 2022 à 16h15, l’arrêté municipal étant horodaté. En suite de cette transmission, le Préfet a pris un arrêté le 28 mars 2022, transmis par courriel à l’établissement où la personne a été placée, à 15h51.

Le Premier président de la Cour d’appel de Besançon va rendre une ordonnance aux termes de laquelle il va considérer que le préfet ne dispose pas librement du délai de 48 heures mais qu’il doit, au contraire, et sur le fondement de l’article L. 3213-2 du Code de la santé publique, statuer sans délai.

L’ordonnance rappelait que, s’agissant d’une hospitalisation sous contrainte, le préfet n’ayant pas justifié de la durée nécessaire à sa prise de décision, la mainlevée de son arrêté devait être prononcée.

La Cour de cassation, dans l’arrêt précité, ne retient pas cette interprétation des dispositions du Code de la santé publique et estime que le préfet dispose bien et librement d’un délai maximum de 48 heures pour prendre sa décision, peu important qu’il ne la rende que dans les dernières minutes de ce délai, et peu important aussi qu’il ne justifie pas du temps nécessaire à sa prise de décision.

Cette clarification était devenue nécessaire et vient donc trancher un contentieux d’interprétation qui risquait de devenir préjudiciable à la sécurité juridique de ces mesures d’hospitalisation sous contrainte.

Simplification de l’instruction des demandes de certificat ou d’autorisations d’urbanisme : fin de l’obligation de transmission au préfet du dossier de demande

Par un décret en date du 10 novembre 2023 publié au Journal officiel le 14 novembre dernier, le pouvoir réglementaire a mis fin à l’obligation générale pesant sur le maire de la commune, au stade de l’instruction, de transmission des dossiers de demandes de certificats ou d’autorisation d’urbanisme au préfet :

  • Tout d’abord, le décret supprime l’obligation de l’article R. 423-7 du Code de l’urbanisme pesant sur le maire de la commune, lorsqu’il est compétent pour délivrer l’autorisation, de transmission au préfet du dossier de demande dans la semaine qui suit le dépôt du dossier par le pétitionnaire.
  • Lorsque le président de l’EPCI est compétent pour délivrer l’autorisation ou se prononcer sur un projet, le maire sera désormais soumis à l’obligation de conservation d’un exemplaire de la demande et de transmission des autres exemplaires au président dudit établissement, sans transmettre concomitamment le dossier au préfet (modification de l’article R. 423-8 en ce sens).
  • Par ailleurs, il est maintenu l’obligation de transmission au préfet par le maire du dossier de demande (et non plus d’un exemplaire supplémentaire) pour les projets situés dans des sites classés ou en instance de classement et les réserves naturelles.
  • Enfin, la notification de la modification du délai d’instruction de droit commun des demandes de permis et de déclaration n’aura plus à être transmise au préfet en vertu d’une modification de l’article R. 423-42 du Code de l’urbanisme.

Une suppression analogue est aussi prévue pour les notifications de prolongation exceptionnelle ou de suspension du délai d’instruction (prises sur le fondement des articles R. 423-34 à R. 423-37-3 du Code de l’urbanisme).

En outre, le pouvoir réglementaire a spécialement rappelé dans la notice du décret que ces modifications ne remettaient pas en cause les règles de transmission au contrôle de légalité des actes des collectivités territoriales et de leurs groupements.

Ainsi, précise la notice, « conformément aux règles définies par le code général des collectivités territoriales, le dossier complet de demande sera transmis au préfet au titre du contrôle de légalité au moment de la naissance de la décision, qu’elle soit expresse ou tacite ».

Ces nouvelles dispositions seront applicables pour toute demande d’autorisation et de certificat d’urbanisme et aux déclarations préalables déposées à compter du 1er janvier 2024.

Précisions sur la décision de prorogation du délai d’instruction d’une demande d’autorisation d’urbanisme

Il aura fallu moins d’un an au Conseil d’Etat pour se prononcer sur l’application de son arrêt Commune de Saint-Herblain du 9 décembre 2022 (n° 454521) aux décisions de majoration de délais d’instruction des demandes d’autorisations d’urbanisme. Pour rappel, le Conseil d’Etat avait jugé qu’une demande illégale de pièces complémentaires ne pouvait proroger le délai d’instruction d’une demande, si bien qu’une décision tacite, et donc favorable, naissait à l’expiration du délai de droit commun. Par un arrêt en date du 24 octobre 2023, la Haute Juridiction a étendu cette solution aux décisions de prorogation de délais d’instruction notifiée sur le fondement des articles R. 423-18 et suivants du Code de l’urbanisme.

En l’espèce, après le dépôt d’une demande de permis de construire régularisation la construction d’une serre agricole, le pétitionnaire s’est vu notifié dans le mois qui suivait la décision de prorogation du délai d’instruction de sa demande en application du point a) de l’article R. 423-24 du Code de l’urbanisme (correspondant à l’hypothèse de la nécessité d’une autre autorisation ou prescriptions prévues par une autre législation que celle de l’urbanisme). Le délai d’instruction était donc prorogé d’un mois, ce qu’indiquait explicitement la notification mentionnant la date à laquelle un permis de construire tacite interviendrait.

Toutefois, quelques jours avant l’expiration de ce délai et l’intervention d’un permis tacite, le Maire d’Aix-en-Provence a refusé la délivrance de ce permis de construire. Soulevant l’exception d’illégalité de cette majoration de délai, le contentieux a été porté devant le Conseil d’Etat, qui a décidé de neutraliser les effets d’une décision illégale de prorogation des délais, à l’instar des décisions illégales de demandes de pièces complémentaires :

« Il résulte de ces dispositions qu’à l’expiration du délai d’instruction tel qu’il résulte de l’application des dispositions du chapitre III du titre II du livre IV du Code de l’urbanisme relatives à l’instruction des déclarations préalables, des demandes de permis de construire, d’aménager ou de démolir, naît une décision de non-opposition à déclaration préalable ou un permis tacite. Une modification du délai d’instruction notifiée après l’expiration du délai d’un mois prévu à l’article R*423-18 de ce code ou qui, bien que notifiée dans ce délai, ne serait pas motivée par l’une des hypothèses de majoration prévues aux articles R*423-24 à R*423-33 du même code, n’a pas pour effet de modifier le délai d’instruction de droit commun à l’issue duquel naît un permis tacite ou une décision de non-opposition à déclaration préalable. S’il appartient à l’autorité compétente, le cas échéant, d’établir qu’elle a procédé à la consultation ou mis en œuvre la procédure ayant motivé la prolongation du délai d’instruction, le bien-fondé de cette prolongation est sans incidence sur la légalité de la décision attaquée ».

Désormais, les pétitionnaires pourront donc se prévaloir d’une autorisation de travaux tacite à l’expiration du délai de droit commun même en cas de prorogation de délai d’instruction dans deux hypothèses :

  • Si la notification de la décision de prorogation de délai est intervenue postérieurement à l’expiration du délai d’un mois ;
  • Si la décision de majoration des délais d’instruction n’est pas motivée sur l’un des motifs prévus par le Code. Sur ce point, le juge administratif rappelle que le bien-fondé de ce motif n’a pas d’incidence sur la légalité de cette décision.

Le Conseil d’Etat donne donc toute sa force juridique aux dispositions encadrant les prolongations de délais d’instruction, en sanctionnant leur illégalité par l’octroi d’une autorisation tacite.

Le Conseil d’Etat profite de cette décision pour revenir sur sa jurisprudence Sobeprim de 1992 et apporter une deuxième précision sur la décision de prorogation : une telle décision ne fait pas grief au pétitionnaire et n’est donc pas susceptible de recours pour excès de pouvoir.

Contentieux d’urbanisme : La médiation n’interrompt pas tous les délais de recours !

Par une décision en date du 13 novembre 2023 (req. n° 471898), le Conseil d’Etat a précisé que la médiation initiée par une juridiction administrative n’avait pas pour effet d’interrompre le délai fixé par l’article L. 600-3 du Code de l’urbanisme – relatif à la cristallisation des moyens en matière d’autorisation d’urbanisme – pour saisir le juge des référés sur le fondement de l’article L 521-1 du Code de justice administrative.

Dans cette affaire, par une ordonnance du Tribunal administratif de Nîmes du 17 février 2023, le Juge des référés a rejeté une requête tendant, sur le fondement de l’article L. 521-1 du Code de justice administrative, à la suspension de l’exécution de l’arrêté en date du 7 juillet 2022 par lequel le maire de Rasteau (Vaucluse) a délivré un permis d’aménager à la commune pour la réalisation de terrains de sport et d’un local technique et sanitaire.

Saisi dans le cadre d’un pourvoi en cassation, le Conseil d’Etat a eu l’occasion de se prononcer sur la computation des délais pour l’introduction d’un référé suspension dirigée contre une décision d’occupation ou d’utilisation du sol, en cas d’intervention d’une médiation initiée par la juridiction.

1. D’une part, le Conseil d’Etat a rappelé que, conformément aux dispositions de l’article L. 213-1 du Code de justice administrative, la médiation « s’entend de tout processus structuré, quelle qu’en soit la dénomination, par lequel deux ou plusieurs parties tentent de parvenir à un accord en vue de la résolution amiable de leurs différends, avec l’aide d’un tiers, le médiateur, choisi par elles ou désigné, avec leur accord, par la juridiction».

Lorsqu’une médiation intervient à l’initiative des parties, les délais de recours contentieux sont interrompus et les prescriptions sont suspendues (articles L. 213-5 et L. 213-6 du Code de justice administrative).

A contrario, l’interruption des délais de recours et la suspension des prescriptions ne sont pas prévues lorsque la médiation est initiée par la juridiction administrative (article L. 213-7 du Code de justice administrative). L’article R. 213-8 du Code de justice administrative précise, uniquement, que la médiation ne dessaisit en aucun cas le juge qui peut prendre, à tout moment, les mesures d’instruction qui lui paraissent nécessaires.

2. D’autre part, le Conseil d’Etat a rappelé que les dispositions de l’article R. 600-5 du Code de l’urbanisme, créées par le décret n° 2018-617 du 17 juillet 2018 portant modification du code de justice administrative et du code de l’urbanisme, prévoient un mécanisme de cristallisation des moyens pour les contentieux d’urbanisme :

«  Par dérogation à l’article R. 611-7-1 du code de justice administrative, et sans préjudice de l’application de l’article R. 613-1 du même code, lorsque la juridiction est saisie d’une requête relative à une décision d’occupation ou d’utilisation du sol régie par le présent code, ou d’une demande tendant à l’annulation ou à la réformation d’une décision juridictionnelle concernant une telle décision, les parties ne peuvent plus invoquer de moyens nouveaux passé un délai de deux mois à compter de la communication aux parties du premier mémoire en défense. Cette communication s’effectue dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article R. 611-3 du code de justice administrative […] ».

Renvoyant à ce mécanisme, l’article L. 600-3 du Code de l’urbanisme prévoit que les requêtes en référé suspension dirigées contre une autorisation d’urbanisme ne sont plus recevables à l’expiration du délai fixé pour la cristallisation des moyens soulevés devant le juge saisi en premier ressort.

3. Dans ces conditions, compte tenu des dispositions relatives à la médiation d’une part et à la cristallisation des moyens en matière de contentieux de l’urbanisme d’autre part, le Conseil d’Etat a considéré que la médiation organisée à l’initiative du juge n’avait pas d’effet interruptif du délai fixé par l’article L. 600-3 du Code de l’urbanisme :

« Il résulte de la lecture combinée des dispositions citées aux points 3 et 4 que le législateur n’a pas entendu conférer à la médiation organisée à l’initiative du juge un effet interruptif du délai fixé par l’article L. 600-3 du code de l’urbanisme pour saisir le juge des référés sur le fondement de l’article L 521-1 du code de justice administrative. Il s’ensuit qu’en jugeant que la mise en œuvre, à l’initiative du juge, d’une médiation n’avait pu avoir pour effet, ni sur le fondement de l’article L. 213-6 du code de justice administrative, ni sur celui d’aucun principe général du droit, d’interrompre le délai institué par l’article L. 600-3 du code de l’urbanisme pour la saisine du juge du référé afin d’obtenir la suspension de l’exécution du permis d’aménager contesté, le juge des référés du tribunal administratif de Nîmes n’a pas entaché son ordonnance d’erreur de droit ».

Autrement dit, dans le cadre d’un contentieux relatif à une autorisation d’urbanisme, à l’expiration d’un délai de deux mois suivant l’enregistrement du premier mémoire en défense, le requérant n’est plus recevable pour introduire un recours en référé suspension sans que l’intervention d’une médiation initiée par le juge ne puisse y faire obstacle.

Refus de permis de construire : Le sursis à statuer est exclu du mécanisme de la substitution de motifs.

Par un jugement en date du 9 octobre 2023 (req. n° 2004260), le Tribunal administratif de Grenoble a, pour la première fois, considéré que le sursis à statuer pour tenir compte d’un plan local d’urbanisme intercommunal en cours d’élaboration n’était pas un motif susceptible d’entrer dans le champ d’application du mécanisme de substitution de motifs ayant pour effet de régulariser une décision de refus de permis de construire.

Dans cette affaire, la SAS Modulhabitat a sollicité la délivrance d’un permis de construire valant division pour la construction de 7 maisons et 19 places de stationnement sur un terrain situé sur le territoire de la commune de Bons-en-Chablais (Haute-Savoie). Par un arrêté en date du 25 février 2020, le maire de la commune a refusé de faire droit à cette demande au motif que le projet méconnaissait les dispositions de l’article 10 de la zone 1AUc2 du plan local d’urbanisme alors en vigueur.

A la suite du rejet, par la commune, du recours gracieux formé le 6 juillet 2020, visant au retrait de cette décision de refus, la société requérante a introduit un recours pour excès de pouvoir devant le tribunal administratif de Grenoble et sollicité l’annulation de l’arrêté du 25 février 2020 par lequel le Maire de la commune de Bons-en-Chablais a refusé de lui délivrer un permis de construire.

Dans ce contexte, après avoir constaté que le motif de l’arrêté de refus de permis de construire était mal fondé, le Tribunal administratif de Grenoble a eu l’opportunité de se prononcer, pour la première fois, sur l’opportunité pour une commune de solliciter une substitution de motifs en opposant un sursis à statuer sur la demande de permis de construire pour tenir compte d’un plan local d’urbanisme intercommunal en cours d’élaboration.

Rappelons, en effet, que l’administration a la possibilité en première instance comme en appel, de faire valoir devant le juge de l’excès de pouvoir que la décision dont l’annulation est demandée est légalement justifiée par un motif, de droit ou de fait, autre que celui initialement indiqué, au regard de la situation existant à la date de cette décision. Dans un tel cas, il appartient au juge administratif, après avoir mis les parties à même de présenter des observations sur le nouveau motif invoqué, de rechercher s’il est de nature à fonder légalement la décision, puis d’apprécier s’il résulte de l’instruction que l’administration aurait pris la même décision si elle s’était fondée initialement sur ce motif (voir en ce sens : CE 12 janvier 2005, req. n° 252408 ; CE 19 mai 2021, req. n° 435109).

Cela étant précisé, dans le cadre de son jugement du 9 octobre 2023, le Tribunal administratif de Grenoble a considéré que le sursis à statuer, qui constitue une décision administrative distincte du refus de permis de construire, n’entre pas dans le mécanisme de la substitution de motifs :

« 6. Un sursis à statuer constitue une décision administrative d’une nature juridique différente d’un refus de permis de construire et ne constitue donc pas un motif que la commune aurait pu opposer pour refuser le permis de construire sollicité par la SAS Modulhabitat. Ainsi, le sursis à statuer sollicité par la commune de Bons-en-Chablais ne peut entrer dans le champ d’application de la substitution de motifs et sa demande doit être écartée ».

Cette nouvelle jurisprudence rendue par le Tribunal administratif de Grenoble vient affiner les conditions d’application du mécanisme substitution de motifs, permettant à l’administration de régulariser, en cours d’instance, la motivation de ses décisions. Il sera, néanmoins, intéressant de voir si la position retenue par le Tribunal sera, à l’avenir, confirmée par les cours administratives d’appel et le Conseil d’Etat.

L’installation de panneaux solaires ou photovoltaïques doit respecter les dispositions du PLU relatives à l’aspect extérieur des constructions

Par une décision en date du 4 octobre 2023 (req. n° 467318), le Conseil d’Etat a précisé que l’article L. 111-16 du Code de l’urbanisme, relatif à l’utilisation de matériaux renouvelables ou de matériaux ou procédés de construction permettant d’éviter l’émission de gaz à effet de serre, à l’installation de dispositifs favorisant la retenue des eaux pluviales ou la production d’énergie renouvelable, n’ont ni pour objet, ni pour effet d’écarter l’application des dispositions réglementaires d’un plan local d’urbanisme relatives à l’aspect extérieur des constructions.

Dans cette affaire, par un arrêté en date du 9 octobre 2018, le Maire de la commune de Montbonnot-Saint-Martin (Isère) ne s’est pas opposé à la déclaration préalable de travaux déposée par M. et Mme B, régularisant la pose de panneaux solaires thermiques sur leur toit, mais l’a néanmoins assortie d’une prescription relative à l’insertion de ces panneaux dans la pente du toit.

Les pétitionnaires ont alors introduit un recours pour excès de pouvoir tendant à l’annulation de l’arrêté du 17 janvier 2018 en tant qu’il est assorti de cette prescription. Par un arrêt du 26 juillet 2022, la Cour administrative d’appel de Lyon, confirmant le jugement du Tribunal administratif de Grenoble du 7 juillet 2020, a rejeté leur requête. M. et Mme B. se sont donc pourvus en cassation.

Dans ce contexte, le Conseil d’Etat a, tout d’abord, rappelé que les dispositions de l’article L. 111-16 du Code de l’urbanisme, issues de l’article 12 de la loi du 12 juillet 2010 portant engagement national pour l’environnement, prévoient que :

« Nonobstant les règles relatives à l’aspect extérieur des constructions des plans locaux d’urbanisme, des plans d’occupation des sols, des plans d’aménagement de zone et des règlements des lotissements, le permis de construire ou d’aménager ou la décision prise sur une déclaration préalable ne peut s’opposer à l’utilisation de matériaux renouvelables ou de matériaux ou procédés de construction permettant d’éviter l’émission de gaz à effet de serre, à l’installation de dispositifs favorisant la retenue des eaux pluviales ou la production d’énergie renouvelable correspondant aux besoins de la consommation domestique des occupants de l’immeuble ou de la partie d’immeuble concernés. Le permis de construire ou d’aménager ou la décision prise sur une déclaration préalable peut néanmoins comporter des prescriptions destinées à assurer la bonne intégration architecturale du projet dans le bâti existant et dans le milieu environnant. La liste des dispositifs, procédés de construction et matériaux concernés est fixée par décret ».

Il a, ensuite, rappelé que la liste des procédés de construction et matériaux concernés est fixée par l’article R. 111-23 du Code de l’urbanisme, qui vise notamment les systèmes de production d’énergie à partir de sources renouvelables.

Cela étant précisé, le Conseil d’Etat a considéré que les dispositions de l’article L. 111-16, précitées, n’avaient ni pour objet, ni pour effet d’écarter les règles des plans locaux d’urbanisme relatives à l’aspect des constructions qui n’interdisent pas l’utilisation de ces matériaux et procédés mais imposent leur bonne insertion dans l’environnement :

« 3. Les dispositions de l’article L. 111-16 du Code de l’urbanisme n’ont ni pour objet, ni pour effet d’écarter l’application des dispositions réglementaires d’un plan local d’urbanisme relatives à l’aspect extérieur des constructions qui, sans interdire l’utilisation de matériaux ou procédés permettant d’éviter l’émission de gaz à effet de serre ou l’installation de dispositifs destinés à la production d’énergie renouvelable ou favorisant la retenue des eaux pluviales, imposent la bonne intégration des projets dans le bâti existant et le milieu environnant ».

Dans ces conditions, après avoir constaté que les dispositions de l’article UC 11.2.2 du plan local d’urbanisme de la commune de Montbonnot-Saint-Martin comportaient des prescriptions relatives à l’insertion des panneaux solaires ou photovoltaïques sans pour autant en interdire l’utilisation, le Conseil d’Etat a retenu que la Cour administrative d’appel de Lyon n’avait commis aucune erreur en considérant qu’elles n’étaient pas inopposables à la demande d’installation de panneaux solaires thermiques des requérants, et que le Maire de la commune de Montbonnot-Saint-Martin pouvait donc légalement se fonder sur ces dispositions pour imposer la prescription contestée.

Le non-respect par l’attributaire pressenti du délai de transmission des attestations sociales et fiscales prévu par le règlement de la consultation est sans incidence sur la régularité de la procédure avec négociation.

Dans le cadre de la passation d’un marché public, la vérification des candidatures (qui est imposée tant par l’article R. 2144-7 du Code de la commande publique que par l’article L. 8222-1 du Code du travail) est une étape importante qui ne doit en aucun cas être négligée : celle-ci permet à l’acheteur public de vérifier que l’opérateur avec lequel il s’apprête à contractualiser ne rentre pas dans un cas d’exclusion figurant aux articles L. 2141-1 à L. 2141-14 du Code de la commande publique et présente ainsi une candidature recevable.

Pour le candidat, cette étape consiste en la transmission à l’acheteur public d’un certain nombre de justificatifs, et notamment des attestations et certificats attestant de la régularité de sa situation sociale et fiscale. Sur la base de ces éléments, l’acheteur public procède ensuite à la vérification de la régularité de sa candidature.

A défaut, l’article R. 2144-7 du Code de la commande publique prévoit que le candidat est éliminé, et que l’acheteur public sollicite le candidat dont l’offre est classée immédiatement après la sienne :

« Si un candidat ou un soumissionnaire se trouve dans un cas d’exclusion, ne satisfait pas aux conditions de participation fixées par l’acheteur, produit, à l’appui de sa candidature, de faux renseignements ou documents, ou ne peut produire dans le délai imparti les documents justificatifs, les moyens de preuve, les compléments ou explications requis par l’acheteur, sa candidature est déclarée irrecevable et le candidat est éliminé.

Dans ce cas, lorsque la vérification des candidatures intervient après la sélection des candidats ou le classement des offres, le candidat ou le soumissionnaire dont la candidature ou l’offre a été classée immédiatement après la sienne est sollicité pour produire les documents nécessaires. Si nécessaire, cette procédure peut être reproduite tant qu’il subsiste des candidatures recevables ou des offres qui n’ont pas été écartées au motif qu’elles sont inappropriées, irrégulières ou inacceptables ».

S’agissant du moment où la transmission des justificatifs est requise, le Conseil d’Etat avait déjà admis que les preuves établissant qu’un candidat ne se trouve pas dans un cas d’interdiction de soumissionner pouvaient être remises postérieurement à la notification de l’attribution du contrat et avant sa signature (CE, 25 janvier 2019, Société Dauphin Télécom, req. n° 421844).

Celui-ci n’avait toutefois pas précisé que cela pouvait également être le cas lorsqu’un délai de transmission de ces attestations est fixé par le règlement de la consultation (ce qui est souvent le cas dans la pratique). Pour cette raison, certains Juges des référés avaient adopté une lecture excessivement rigoureuse et restrictive des dispositions précitées et de la jurisprudence relative au caractère obligatoire des mentions figurant dans un règlement de la consultation, et n’hésitaient pas à annuler des procédures de passation au seul motif que l’attributaire pressenti n’avait pas remis ses certificats et attestations dans le délai prévu par le règlement de consultation, et ce alors même que l’acheteur aurait été mis en mesure de vérifier la régularité de la situation sociale et fiscale de l’attributaire après l’écoulement de ce délai mais avant la signature du marché…

Tel avait été le cas du Juge des référés du Tribunal administratif de Strasbourg, qui avait annulé la procédure de passation d’un marché de maitrise d’œuvre au motif que la remise des attestations par le groupement attributaire pressenti n’était pas intervenue dans les conditions fixées par le règlement de consultation, qui prévoyait que le candidat retenu à titre provisoire avait un délai maximal de six jours pour remettre l’ensemble des attestations et certificats.

Saisi d’un pourvoi par l’acheteur, le Conseil d’Etat a annulé cette ordonnance en considérant que le non-respect du délai de transmission prévu par le règlement de la consultation était sans incidence sur la régularité de la procédure :

« Il ressort des pièces du dossier soumis au Juge des référés du tribunal administratif de Strasbourg que le groupement dont le mandataire est la société 1090 architectes a transmis l’ensemble des certificats et attestations prévus par les articles R. 2143-6 à R. 2143-10 du Code de la commande publique au stade de sa candidature puis a procédé à une nouvelle transmission entre le 1er mars et le 14 avril 2013 de ces mêmes certificats et attestations en cours de validité. Ces transmissions ont ainsi mis la commune à même de s’assurer que ce groupement était à jour de ses obligations tant lors du dépôt de sa candidature qu’avant la signature du marché, conformément à ce qui a été dit au point 5. Dès lors, la seule circonstance que ces certificats et attestations n’auraient pas été produits dans le délai imparti par les stipulations de l’article 8.2 du règlement de la consultation citées au point précédent est sans incidence sur la régularité de la procédure suivie. Par suite, en jugeant que cette circonstance constituait un manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence susceptible d’avoir lésé M. A.…, le Juge des référés du tribunal administratif de Strasbourg a commis une erreur de droit ».

Cette décision apparaît cohérente avec la jurisprudence rendue en matière de règlement de la consultation, puisqu’il est constant que le principe selon lequel le règlement de la consultation est obligatoire dans toutes ses mentions cède lorsque l’irrégularité au regard de ce règlement est formelle et dénuée de toute portée.

Dans la décision commentée, le Conseil d’Etat s’est donc très justement attaché à constater que ces attestations avaient été remises à l’acheteur public une première fois au stade de la candidature, et que celui-ci avait ensuite été mis à même de s’assurer que le groupement était toujours à jour de ses obligations, avant la signature du marché[1].

Si cette décision a été rendue s’agissant d’une procédure avec négociation, dans le cadre de laquelle les attestations devaient être remises dès le stade de la candidature, la même règle devrait trouver à s’appliquer dans le cadre d’une procédure ouverte étant précisé que, dans la pratique, la problématique se pose sensiblement dans les mêmes termes puisque les candidats remettent bien souvent spontanément ces documents au moment de leur candidature.

 

[1] La mise à jour de ces attestations est souvent nécessaire au cours d’une procédure de passation, en raison de la durée de validité relativement courte de ces attestations (six mois) par rapport aux délais de procédure.

Même irrégulière, la notification d’un décompte général empêche la naissance d’un décompte général définitif tacite

Il y a quelques mois, nous avions consacré un article sur les points de vigilance pour l’acheteur et le titulaire sur le décompte général définitif tacite.

La décision rendue par le Conseil d’Etat le 9 novembre dernier vient ajouter un nouveau point de vigilance sur ce sujet, à l’attention cette fois-ci des titulaires de marchés de travaux.

Pour rappel, aux termes du Cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés de travaux (CCAG Travaux), qu’il s’agisse de la version du 8 septembre 2009 modifiée par l’arrêté du 3 mars 2014 ou de celle du 30 mars 2021, l’élaboration du décompte du marché doit suivre plusieurs étapes :

  • Etape 1 : le titulaire doit transmettre au maître d’œuvre et au représentant du pouvoir adjudicateur son projet de décompte final, dans un délai de 30 jours à compter de la décision de réception des travaux ;
  • Etape 2 : le représentant du pouvoir adjudicateur doit notifier au titulaire le décompte général, dont le projet doit avoir été établi par le maître d’œuvre, dans un délai de 30 jours à compter de la réception du projet de décompte final par le maître d’œuvre et le représentant du pouvoir adjudicateur (la date à retenir étant la plus tardive des deux réceptions) ;
  • Etape 3 : deux hypothèses sont à distinguer :
    • Hypothèse 1 : le pouvoir adjudicateur a, de manière normale, effectivement notifié son décompte général dans le délai précité. Le titulaire dispose alors d’un délai de 30 jours à compter de la réception de ce décompte général pour exprimer ses éventuelles réserves au sein d’un mémoire en réclamation. A défaut, le décompte général notifié par le pouvoir adjudicateur est réputé accepté tacitement par le titulaire ;
    • Hypothèse 2 : le pouvoir adjudicateur n’a pas notifié son décompte général dans le délai précité. Le titulaire peut alors notifier au représentant du pouvoir adjudicateur, avec copie au maître d’œuvre, son propre projet de décompte général signé. Le pouvoir adjudicateur dispose ensuite d’un délai de 10 jours à compter de la réception de ce décompte pour notifier son propre décompte général au titulaire. A défaut, le décompte général élaboré par le titulaire est réputé accepté tacitement par le pouvoir adjudicateur et acquiert un caractère définitif.

Dans le cadre de cette procédure, il est donc prévu que le décompte général soit notifié au titulaire par le représentant du pouvoir adjudicateur (cf. étape 2).

Mais, que se passe-t-il lorsque ce décompte général n’est pas notifié par le représentant du pouvoir adjudicateur mais par le maître d’œuvre ?

C’est à cette question que le Conseil d’Etat apporte une réponse par sa décision en date du 9 novembre 2023, laquelle a été rendue dans le cadre d’un contentieux relatif à la fixation du solde d’un marché de travaux pour la réhabilitation d’un poste de livraison attribué par le Centre hospitalier intercommunal de Créteil à la Société Transport tertiaire industrie.

La Société Transport tertiaire industrie avait saisi la juridiction administrative d’une demande tendant à ce que le Centre hospitalier soit condamné lui verser les sommes de 32.596,02 € TTC au titre du solde du marché, ainsi que de 39.488,86 € TTC au titre de la prolongation des travaux ; à titre reconventionnel, le centre hospitalier a, quant à lui, demandé la condamnation de l’entreprise à lui verser une somme de 222.815 € au titre des préjudices causés par sa faute commise durant l’exécution des travaux.

Le 15 juillet 2020, le tribunal administratif de Melun a fixé le solde du marché à la somme négative de 334.441,43 € TTC. Ce jugement a ensuite été confirmé par la Cour administrative d’appel de Paris le 14 octobre 2022, contre lequel l’entreprise a formé un pourvoi en cassation.

Dans le cadre de son argumentation, la Société Transport tertiaire industrie soutenait notamment qu’aucun décompte général ne lui avait été notifié par le représentant du pouvoir adjudicateur, le seul décompte général qu’elle a reçu lui ayant été notifié par le maître d’œuvre. Elle en concluait qu’un décompte général et définitif tacite était né du silence gardé par le centre hospitalier sur son propre projet de décompte général qu’elle lui avait notifié le 14 avril 2017.

Cependant, le Conseil d’Etat commence par poser le principe suivant (qui justifie la mention de la décision aux tables du Recueil Lebon) :

« 5. Il résulte de ces stipulations que la notification au titulaire du marché d’un décompte général, même irrégulier, fait obstacle à l’établissement d’un décompte général et définitif tacite à l’initiative du titulaire dans les conditions prévues par l’article 13.4.4 de ce cahier ».

Ensuite, faisant application de ce principe au cas d’espèce, le Conseil d’Etat conclut, comme l’avait fait le juge d’appel, que la société ne pouvait se prévaloir d’aucun décompte général et définitif tacite, dès lors qu’un décompte général lui avait été notifié par le maître d’œuvre avant la naissance d’un décompte général et définitif tacite. A cet égard, la circonstance que le pouvoir adjudicateur se soit, par la suite, approprié ce décompte général est sans incidence sur l’effectivité de cette notification.

Ainsi, entre une application rigoureuse des stipulations du CCAG-Travaux et une application protectrice des intérêts de l’acheteur, le Conseil d’Etat a clairement opté pour la seconde option : même si la notification au titulaire du décompte général a été effectuée par la mauvaise personne au regard du CCAG-Travaux (maître d’œuvre au lieu du pouvoir adjudicateur), elle suffit à faire obstacle à la naissance par la suite d’un décompte général définitif tacite établi sur la base du projet du titulaire.

Pour abandonner son poste, encore faut-il avoir une affectation

Mise en lumière d’un préalable nécessaire à l’abandon de poste

Impossibilité de radier des cadres pour abandon de poste un fonctionnaire n’étant pas affecté

Par une décision récente en date du 11 octobre 2023, le Conseil d’Etat a précisé qu’il n’était pas possible de prononcer à l’encontre d’un fonctionnaire n’ayant pas reçu d’affectation correspondant à son grade une mesure de radiation des cadres pour un abandon de poste.

En l’espèce, un ingénieur en chef des ponts, des eaux et des forêts, a été affecté le 14 janvier 2015 à la Direction Générale de l’Enseignement et de la Recherche du Ministère chargé de l’agriculture. Estimant que cet agent se trouvait en situation d’absence injustifiée depuis le 11 juin 2020, la Secrétaire Générale du Ministère l’a mis en demeure de reprendre son service dans un délai de huit jours, sous peine de s’exposer à l’engagement d’une procédure de radiation pour abandon de poste. Cette mise en demeure a été réitérée le 21 janvier 2022 et le Président de la République a radié des cadres cet ingénieur en chef pour abandon de poste par un décret du 6 mai suivant.

Toutefois, le Conseil d’Etat a relevé que le service au sein duquel l’agent exerçait ses fonctions, avait été supprimée en mars 2019, sans que celui-ci ne soit affecté à l’entité ayant repris les activités de cette structure. Si des échanges sont intervenus entre l’intéressé et sa hiérarchie sur la suite de son parcours professionnel, il n’a fait l’objet d’aucune affectation.

Dès lors, après le droit pour tout fonctionnaire en activité de recevoir, dans un délai raisonnable, une affectation correspondant à son grade, le Conseil d’Etat a fait droit à la demande d’annulation de sa mesure de radiation au motif que « lorsqu’un agent n’a pas reçu une affectation correspondant à son grade, il ne peut être regardé comme ayant, faute d’avoir rejoint son poste ou repris son service, rompu de son fait le lien avec le service et ne peut dès lors faire l’objet d’une mesure de radiation des cadres pour abandon de poste ».

Aussi, « l’absence d’affectation de M.A… faisait obstacle à ce que puisse être légalement prononcée à son encontre une mesure de radiation des cadres pour abandon de poste, sans qu’ait d’incidence à cet égard la teneur des échanges sur les affectations envisagées intervenus entre l’intéressé et sa hiérarchie, à qui il appartenait en toute hypothèse de procéder à son affectation régulière. Il est dès lors fondé […] à demander l’annulation du décret qu’il attaque ».

L’arrêt attire donc, une nouvelle fois, l’attention des employeurs sur les précautions à prendre pour prononcer cette mesure délicate qu’est la radiation pour abandon de poste : elle doit toujours pouvoir être exclusivement imputable à la volonté de l’agent. En l’absence d’affectation, et quelle que soit par ailleurs la mauvaise volonté de ce dernier, la radiation sera exposée à un risque juridique important.

L’accident de trajet consécutif à une consommation excessive d’alcool sur le lieu de travail n’est pas imputable au service

Refus d’imputabilité au service de l’accident de trajet dont a été victime l’agent conduisant en état d’ivresse sur le trajet retour

La consommation volontaire d’alcool par un fonctionnaire lors d’un repas de service festif durant le temps de travail est un fait personnel détachant du service l’accident de trajet survenu sur le trajet retour.

Par une décision très récente en date du 3 novembre dernier, le Conseil d’Etat est venu préciser que l’accident de trajet dont a été victime un agent public, qui conduisait avec un taux d’alcool dans le sang supérieur au taux maximal autorisé, après avoir consommé de l’alcool lors d’un repas de service festif organisé pendant le temps de travail, ne saurait être reconnu imputable au service.

En l’espèce, la Haute juridiction était saisie d’un recours introduit par la veuve d’un agent public décédé à la suite d’un accident de la route survenu alors qu’il regagnait son domicile depuis son lieu de travail avec un scooter de service. La requérante contestait le refus de l’employeur public de son mari de reconnaître l’imputabilité au service dudit accident de trajet et par suite le refus de prendre en charge notamment l’indemnisation des préjudices en résultant.

Tour à tour le Tribunal administratif de Paris puis la Cour administrative de Paris (CAA, 5 octobre 2021, n° 20PA00835) avaient rejeté sa requête et confirmé la légalité du refus de reconnaissance de l’imputabilité au service de l’accident de trajet.

Saisi à son tour, le Conseil d’Etat, a rappelé la définition de l’accident de trajet (« est réputé constituer un accident de trajet tout accident dont est victime un agent public qui se produit sur le parcours habituel entre le lieu où s’accomplit son travail et sa résidence et pendant la durée normale pour l’effectuer, sauf si un fait personnel de cet agent ou toute autre circonstance particulière est de nature à détacher l’accident du service »), a confirmé l’arrêt de la Cour administrative d’appel sur la base des considérations suivantes :

  • D’une part, et dès lors qu’aucune autre cause de l’accident ne ressortait du dossier, le choix délibéré de l’agent de conduire sous imprégnation alcoolique était constitutif d’un fait personnel rendant l’accident détachable du service;
  • D’autre part, que la circonstance que l’alcool ait été consommé à l’occasion d’un évènement festif organisé pendant le temps de travail était sans incidence.

Le Conseil d’Etat en a déduit que, quand bien même l’accident s’était produit sur le parcours habituel et pendant la durée normale du trajet entre le lieu de travail et la résidence de l’agent, cet accident ne pouvait être regardé comme imputable au service.

Ce faisant, la Haute juridiction nous rappelle la nécessité de garder à l’esprit un critère relativement peu usité en la matière, notamment parce qu’il est peu pris en compte par les conseils médicaux, le fait personnel détachant l’accident du service, lequel n’a pas nécessairement à être constitutif d’une faute.

Congé pour invalidité temporaire imputable au service (CITIS) : la décision de placement provisoire doit préciser qu’elle pourra être retirée au-delà du délai de quatre mois.

Par un arrêt en date du 3 novembre 2023, le Conseil d’Etat a apporté une précision particulièrement importante s’agissant de la mise en œuvre de la procédure relative au bénéfice par un agent d’un congé pour invalidité temporaire imputable au service (CITIS).

1.    L’obligation de mentionner le caractère provisoire de la décision de placement en CITIS

Rappelons que ce nouveau congé institué par une ordonnance en date du 19 janvier 2017 est désormais encadré de façon très précise par le Code général de la fonction publique et son décret d’application, qui figure aux articles 37-1 et suivants du décret n° 87-602 du 30 juillet 1987.

En particulier, afin d’éviter que la longueur des procédures à suivre, notamment devant le conseil médical ne porte préjudice à l’agent qui a sollicité le bénéfice du CITIS, l’article 37-5 décret n° 87-602 du 30 juillet 1987 prévoit que s’il n’a pas été statué dans un délai d’un mois (pour les accidents du travail), ou deux mois (pour les maladies professionnelles), l’agent doit obligatoirement être placé, à titre provisoire, sous le régime de ce congé.

L’agent conserve pendant cette durée l’intégralité de son traitement.

En revanche, si, au terme de la procédure suivie devant le conseil médical, l’administration décide de refuser de reconnaitre l’imputabilité au service de l’accident ou de la maladie, et donc de ne pas attribuer le bénéfice d’un CITIS à l’agent, elle peut alors retirer sa décision provisoire, et placer rétroactivement l’agent en congé de maladie de droit commun.

Le même article 37-5 précise que, lorsqu’une décision provisoire de placement en CITIS, la décision doit explicitement indiquer qu’elle pourra être retirée, et que les pleins traitements versés sur son fondement feront dans ce cas l’objet d’un ordre de reversement. Cette exigence formelle est importante, car il faut évidemment que l’agent soit en mesure de prévenir financièrement cette éventualité, et ne pas être surpris par un titre de perception qui peut s’avérer d’un montant très important.

2.    Conséquence d’un défaut de mention du caractère provisoire

Par sa décision en date du 3 novembre, le Conseil d’Etat précise quelle est la conséquence d’un défaut de mention du caractère provisoire et retirable de la décision.

Il confirme d’abord que cette mesure provisoire peut être retirée au-delà du délai de quatre mois prévus par l’article L. 242-1 du Code des relations entre le public et l’administration, dès lors que cette procédure obéit à un régime spécial.

En revanche, il précise les conditions nécessaires pour permettre une telle mesure de retrait : la décision doit explicitement faire état de son caractère provisoire, et préciser qu’elle pourra être retirée dans les conditions prévues à l’article 37-9 du décret du 30 juillet 1987 précité.

Dans le cas contraire, elle ne peut être regardée que comme une décision créatrice de droit relevant du seul régime de l’article L. 242-1 précité, et donc ne peut être retirée que si elle est illégale, dans un délai de quatre mois.

Cette décision n’est pas surprenante, mais doit attirer l’attention des employeurs publics qui devront s’assurer que les décisions de placement temporaire en CITIS contiennent bien cette précision – à défaut de quoi elles pourraient avoir, malgré elle, reconnu de façon définitive l’imputabilité d’accidents ou de maladie.