Intercommunalité
le 15/02/2024
Margaux DAVRAINVILLE
Julie CAZOU

La compétence des intercommunalités en matière de règlementation du changement d’usage (Airbnb) est-elle suffisante ?

Pour faire face aux difficultés engendrées par la multiplication des locations de meublés de tourisme pour de courtes durées, plusieurs mécanismes ont été complétés, adaptés ou instaurés par la loi n° 2014-366 en date du 24 mars 2014 pour l’accès au logement et un urbanisme rénové, dite loi ALUR, aux articles L. 631-7 et suivants du Code de la construction et de l’habitation (CCH), afin précisément d’encadrer et de réguler les transformations de locaux destinés au logement en location de meublés de tourisme.

Ces dispositifs permettent de soumettre à autorisation le changement d’usage d’un local destiné à l’habitation et incluent notamment :

  • Un dispositif d’autorisation préalable de changement d’usage des locaux destinés à l’habitation, défini à l’article L. 631-7-1 du CCH, permet notamment de soumettre le changement d’usage à une obligation de compensation sous la forme de la transformation concomitante en habitation de locaux ayant un autre usage. Cela consiste donc à transformer un local ayant un usage autre que l’habitation, commercial par exemple, en local d’habitation pour compenser le changement d’usage d’un local d’habitation en meublé de tourisme ;
  • Un dispositif d’autorisation temporaire de changement d’usage, permettant à une personne physique de louer pour de courtes durées des locaux destinés à l’habitation à une clientèle de passage qui n’y élit pas domicile, défini à l’article L. 631-7-1 A du CCH.

L’autorisation de changement d’usage vise à protéger les propriétaires et les locataires, et à répondre à la dégradation des conditions d’accès au logement et à l’exacerbation des tensions sur le marché immobilier notamment en régulant ses dysfonctionnements. Ceci doit permettre l’accroissement de l’offre de logements dans des conditions respectueuses des équilibres des territoires, dans la mesure où le logement est un bien de première nécessité, que le droit à un logement décent constitue un objectif protégé par la Constitution française et que l’objectif poursuivi par l’instauration d’une autorisation de changement d’usage constitue une raison impérieuse d’intérêt général au sens du droit de l’Union européenne (CJUE, 22 septembre 2020, Cali Apartments SCI, n° C‑724/18, §65-66).

Les communes et certains établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) à fiscalité propre se partagent la mise en place de cette règlementation de sorte qu’il s’agira d’analyser la répartition des interventions entre les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) et les communes (I) avant de s’interroger sur les limites de cette répartition et des solutions pour y remédier (II).

I. Sur la répartition des interventions en matière de changement d’usage

La répartition des rôles entre communes et EPCI sera présentée pour la mise en œuvre de la règlementation du changement d’usage (A), pour l’instruction des demandes d’autorisation (B) ainsi que pour la mise en œuvre des contrôles et sanctions (C).

A. Sur la compétence pour mettre en œuvre cette règlementation

Conformément aux dispositions de l’article L. 631-9 du CCH, l’instauration d’un régime d’autorisation des changements d’usage est décidée par :

  • délibération de l’organe délibérant de l’établissement public de coopération intercommunale (EPCI) compétent en matière de plan local d’urbanisme pour les communes visées par l’article 232, I du Code général des impôts qui renvoie lui-même au décret n° 2023-822 du 25 août 2023 modifiant le décret n° 2013-392 du 10 mai 2013 relatif au champ d’application de la taxe annuelle sur les logements vacants instituée par l’article 232 du Code général des impôts ;
  • arrêté du préfet sur proposition du maire pour les autres communes ou parties de communes.

Il appartient ensuite à l’organe délibérant de l’EPCI compétent en matière de plan local d’urbanisme, ou au conseil municipal le cas échéant, de fixer les conditions dans lesquelles seront délivrées ces autorisations, en application des articles L. 631-7-1 A et L. 631-7-1 du CCH.

A ce stade on précisera que le législateur n’a pas justifié l’intervention des EPCI compétents en matière de plan local d’urbanisme (PLU) pour réglementer les conditions de délivrance des autorisations de changement d’usage. On peut néanmoins valablement considérer que la personne publique titulaire de la compétence PLU est la plus compétente pour exercer cette mission en tant qu’elle connait parfaitement le territoire et que cela permet une application uniforme des règles en matière de changement d’usage à l’ensemble des communes membres de l’EPCI.

Cette mission se traduit par l’adoption d’un règlement des autorisations de changement d’usage sur le périmètre des collectivités concernées qui fixe les conditions de délivrance des autorisations.

Ces règlements de changement d’usage font l’objet d’une « guerrila juridique et contentieuse » selon le rapport n° 1928 fait au nom de la commission des affaires économiques sur la proposition de loi n° 1176 visant à remédier aux déséquilibres du marché locatif en zone tendue élaboré par Monsieur Inaki Echaniz et Madame Annaïg Le Meur.

Ce même rapport identifie d’ailleurs les règles les plus fréquemment introduites dans les règlements de changement d’usage :

  • « à condition de ne pas dépasser 120 jours de location cumulée par année civile, le loueur est uniquement soumis à une obligation de déclaration électronique du logement afin d’obtenir un numéro d’enregistrement, qui doit apparaitre dans les annonces publiées ;
  • au-delà de cette limite, il ne s’agit plus d’une activité occasionnelle de location du logement pendant l’absence du résident : la règlementation relative aux résidences secondaires s’applique. Outre la déclaration d’enregistrement du meublé, il est dès lors nécessaire de solliciter une autorisation de changement d’usage auprès de la mairie ;
  • s’il s’agit du premier logement mis à la location meublée touristique, une autorisation temporaire de changement d’usage d’une durée d’un an, renouvelable cinq fois, peut être accordée par propriétaire. Cette autorisation est limitée à une résidence par foyer fiscal et est personnelle, donc incessible ;
  • si la période de location s’étend au-delà de la cinquième année, le propriétaire est alors soumis à changement d’usage définitif, et donc à une obligation de compensation ;
  • une compensation est également obligatoire dès la deuxième logement mis à la location meublée touristique pour un même loueur, ce qui obligera celui-ci à transformer en logements de surface équivalente des locaux non habitables, le plus souvent des commerces ou bureaux, de surface équivalente».

A toutes fins utiles, on précisera que la Cour administrative de Bordeaux s’est d’ailleurs prononcée sur les critères de la compensation dans un arrêt récent (CAA Bordeaux, 30 janvier 2024, Association des hôtes de Bordeaux Nouvelle-Aquitaine, n° 21BX04629).

B. Sur la compétence pour instruire les demandes et délivrer les autorisations

Une fois le régime de l’autorisation du changement d’usage mis en place, il est prévu que « l’autorisation préalable au changement d’usage est délivrée par le maire de la commune dans laquelle est situé l’immeuble, après avis, à Paris, Marseille et Lyon, du maire d’arrondissement concerné » (article L. 631-7-1). Le changement d’usage doit donc faire l’objet d’une autorisation du maire (de même pour les autorisations temporaires de l’article L. 631-7-1 A du CCH).

Aussi, on relèvera qu’en principe l’instruction d’une autorisation qu’il est habilité à délivrer relève des pouvoirs propres du maire (CE, 30 juillet 1997, Association Orcet environnement, n° 136958). Ainsi, il revient en principe au maire d’instruire la demande d’autorisation.

C. Sur le contrôle et la sanction des manquements

Plusieurs sanctions sont définies par le juge en cas de manquement aux exigences de la règlementation applicable au changement d’usage et sont définies à l’article L. 651-2 du CCH.

L’article L. 651-3 du CCH prévoit également des sanctions en matière pénale.

Ainsi, la commune sur le territoire de laquelle est situé le bien utilisé en méconnaissance de la règlementation sur le changement d’usage est l’autorité compétente pour assigner le contrevenant devant les juridictions judiciaires, qui pourront le condamner au versement d’une amende civile dont le montant est versé à la commune.

S’agissant des modalités de contrôle, on précisera dès à présent qu’aucune disposition de la section des articles L. 631-7 et suivants ne prévoient des modalités de contrôle.

Toutefois, sur le fondement de l’article L. 651-6 du CCH, qui s’inscrit dans un chapitre consacré de manière générale aux sanctions sur plusieurs dispositifs de protection du logement, il est prévu que les agents du service municipal du logement se voient reconnaitre, lorsqu’ils sont assermentés, une habilitation « à visiter les locaux à usage d’habitation situés dans le territoire relevant du service municipal du logement ». La procédure d’assermentation est également définie et les agents doivent donc être nommés par le maire, puis prêter serment devant le Tribunal judiciaire pour être considérés comme assermentés. Ils ne pourront toutefois visiter que les locaux situés dans le territoire relevant du service du logement, et donc de la commune pour le service municipal.

Si l’article L. 621-1 du CCH prévoit que « plusieurs communes peuvent s’associer pour demander l’institution à titre temporaire d’un service intercommunal du logement ». et ainsi, créée un service intercommunal du logement, il ressort toutefois de ce texte que la possibilité de création d’un service intercommunal ne correspond pas à un service d’un EPCI mais à l’association de plusieurs communes.

Partant, le contrôle du respect de la règlementation sur le changement d’usage dépendrait du service municipal du logement, rattachés donc à la commune et dont les agents assermentés sont nommés par le maire.

Par ailleurs, on mentionnera que, dans le but de faciliter les contrôles opérés par les communes, le Code du tourisme prévoit également un dispositif de déclaration des locations de meublés de tourisme. L’article L. 324-1-1 de ce Code prévoit en effet que toute personne qui offre à la location un meublé de tourisme doit en avoir préalablement fait la déclaration auprès du maire de la commune où est situé le meublé. En outre, les communes où la règlementation sur le changement d’usage a été introduite peuvent instaurer un dispositif d’enregistrement. Des mécanismes d’information auprès des plateformes et de sanction des contrevenants sont ainsi prévus.

A cela on ajoutera que ces mêmes agents disposent également de prérogatives pour le contrôle des manquements aux obligations de déclaration et d’enregistrement définies par le Code du tourisme (article L. 324-2-1, IV de ce Code tourisme)

En outre, les prérogatives de contrôle du respect de la règlementation du changement d’usage sont ainsi exercées par ce service dont les agents sont assermentés par le maire. Et c’est la commune qui peut assigner les contrevenants aux obligations découlant de cette règlementation. A ce stade, aucun rôle n’est donc a priori confié par les textes à l’EPCI ayant adopté le règlement sur le changement d’usage.

II. Identification des limites de cette répartition et des solutions pour y remédiées

On l’a vu, l’instruction et le contrôle des autorisations de changement d’usage sont confiées par les textes à l’échelon communal.

Or, dans le cadre de la mise en œuvre des opérations d’instruction et de contrôle du respect de la règlementation des locations de meublés pour de courtes durées applicable sur leur territoire, certains EPCI, compétents en matière de PLU, souhaiteraient procéder eux-mêmes à l’instruction et au contrôle de la réglementation qu’ils ont eux-mêmes élaborés.

Leurs objectifs sont entendables, il s’agirait d’assurer une application uniforme des règlements de changement d’usage sur leurs territoires et éventuellement pallier le manque de moyens de certaines communes en la matière.

Si l’on peut envisager de mettre en œuvre des outils de mutualisation entre les communes et les ECPI compétent en matière de PLU, au moins sur la question de l’instruction, il n’en reste pas moins qu’il ne s’agit pas d’une solution pérenne dès lors ces outils reposent essentiellement sur la volonté des acteurs concernés.

La proposition de loi visant à remédier aux déséquilibres du marché locatif en zone tendue qui est actuellement en cours de discussion devant le parlement prévoit que de nouvelles prérogatives soient attribuées aux EPCI en matière de règlementation du changement d’usage sans pour autant proposer que l’instruction et le contrôle de la réglementation en matière de changement d’usage relèvent exclusivement de l’EPCI compétent en matière de PLU.

Plus exactement, à l’heure où nous écrivons ces lignes, les propositions de modifications suivantes sont en cours d’analyse par le Sénat :

  • L’article L 651-2 du CCH permettrait à l’autorité organisatrice de l’habitat ou l’EPCI compétent en matière d’urbanisme d’assigner en justice la personne qui enfreint les dispositions de l’article L. 631-7 précité, à des fins d’application de l’amende administrative :

« Toute personne qui enfreint les dispositions de l’article L. 631-7 ou qui ne se conforme pas aux conditions ou obligations imposées en application dudit article est condamnée à une amende civile dont le montant ne peut excéder 50 000 € par local irrégulièrement transformé.

Cette amende est prononcée par le président du tribunal judiciaire statuant selon la procédure accélérée au fond, sur assignation de la commune dans laquelle est situé le local irrégulièrement transformé, de l’autorité organisatrice de l’habitat, de l’établissement public de coopération intercommunale compétent en matière d’urbanisme ou de l’Agence nationale de l’habitat. Le produit de l’amende est intégralement versé à la commune dans laquelle est situé ce local. Le tribunal judiciaire compétent est celui dans le ressort duquel est situé le local. […]. »

  • Introduction d’un nouvel article L. 151-14-1 au sein du Code de l’urbanisme qui donne la faculté à l’autorité compétente en matière de PLU d’instituer, dans le règlement de ce document, des secteurs où les constructions nouvelles à destination d’habitations soumises à une obligation d’usage au titre de résidence principale. Cette capacité ne sera ouverte qu’aux seules collectivités qui connaissent un taux de résidences secondaires supérieur à 20 % :

« Le règlement [du PLU] peut délimiter, dans les zones urbaines ou à urbaniser, des secteurs dans lesquels toutes les constructions nouvelles de logements sont à usage exclusif de résidence principale, au sens de l’article 2 de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989 tendant à améliorer les rapports locatifs et portant modification de la loi n 86-1290 du 23 décembre 1986 ».

On précisera néanmoins que pour le contrôle de cette mesure, le législateur a introduit un nouvel article (article L.481-4 du Code de l’urbanisme) en application duquel « en cas d’occupation d’un logement en méconnaissance de l’obligation prévue à l’article L. 151-14-1, constatée par l’agent d’une collectivité publique commissionné par le maire en application de l’article L. 480-1, le maire, après avoir invité l’intéressé à présenter ses observations, met en demeure le propriétaire du logement de régulariser la situation ».

Dans ces conditions, la question se pose de créer une compétence relative au marché locatif en zone tendue qui pourrait le cas échéant être transférée aux EPCI compétents en matière de PLU et qui pourrait être accompagnée du transfert des pouvoirs de police comme c’est le cas pour d’autres compétences (article L. 5211-9-2 du Code général des collectivités territoriales).