L’action en démolition sur le fondement de la théorie des troubles anormaux du voisinage est indépendante de l’application des dispositions de l’article L. 480-13 du Code de l’urbanisme

Principe :
Sur le fondement du droit de propriété a été développée la théorie jurisprudentielle des troubles anormaux du voisinage selon laquelle nul ne doit occasionner à autrui de troubles qui excèdent les sujétions propres aux relations de voisinage.

 

 

Ainsi, lorsqu’il est démontré que le trouble dépasse le seuil des inconvénients normaux de voisinage, la victime peut prétendre à la réparation de son préjudice.

 

Afin d’apprécier l’anormalité du trouble, les critères environnementaux doivent être pris en considération. Ainsi et pour être réparable, le trouble doit excéder les inconvénients normaux du voisinage eu égard au secteur dans lequel sont édifiées les constructions litigieuses.

 

Selon une jurisprudence constante, le principe est que la réparation intégrale ne peut être obtenue par la victime qu’au moyen de la démolition de la construction irrégulière ou de la remise en état. Toutefois, la Cour de cassation procède, de plus en plus, à un contrôle de proportionnalité de la mesure de démolition ou remise en état.

 

L’action en démolition exercée sur le fondement de la théorie des troubles anormaux du voisinage doit être distinguée de l’action fondée sur l’article L. 480-13 du Code de l’urbanisme visant à obtenir la démolition des constructions réalisées en violation des règles d’urbanisme.

Clarification :
Aux termes de cet arrêt du 20 octobre 2021, des propriétaires ont construit une extension de leur maison, conformément à un permis de construire délivré, puis annulé par la juridiction administrative. Leurs voisins, se plaignant de ce que l’extension leur occasionnait un trouble excédant les inconvénients normaux du voisinage du fait d’une perte de vue et d’ensoleillement les ont assignés aux fins d’obtenir la démolition des constructions litigieuses.

 

La Cour d’appel a relevé que l’extension de la maison avait été construite en limite de propriété, dans une zone de faible densité urbaine, sur une longueur de 17 mètres, pour une emprise au sol de 70 m² et une hauteur de 4 mètres. Elle retient également que les voisins ont désormais une vue sur un mur de parpaings au lieu d’une vue dégagée sur les collines, caractérisant un trouble excédant les inconvénients normaux du voisinage, et ce, sans qu’il n’y ait besoin de rechercher si une faute avait été commise.

 

Les propriétaires de l’extension ont donc formé un pourvoi contre l’arrêt ayant ordonné la démolition de l’extension, en reprochant aux juges du fond de ne pas avoir fait application de l’article L. 480-13 du Code de l’urbanisme et constaté que la construction en cause ne se situait pas dans l’un des périmètres dans lesquels la destruction pouvait être prononcée par le Juge.

 

La Cour de cassation précise ainsi que les dispositions de l’article L. 480-13 1° du Code de l’urbanisme ne s’applique qu’aux demandes de démolition fondées sur la méconnaissance des règles d’urbanisme ou des servitudes d’utilité publique et n’a donc pas vocation à s’appliquer lorsque la demande est fondée sur la théorie des troubles anormaux du voisinage.

 

La Cour de cassation réaffirme, s’il le fallait, que l’action en démolition fondée sur la théorie des troubles anormaux du voisinage et celle fondée sur les dispositions de l’article L. 480-13 du Code de l’urbanisme, visant à sanctionner les violations aux règles d’urbanisme sont indépendantes et autonomes.

 

En effet, une construction, même édifiée conformément aux règles d’urbanisme, peut être de nature à occasionner un trouble anormal du voisinage justifiant sa démolition.

Myriam Dahmane

La garantie de conformité adaptée aux biens, contenus et services numériques

L’ordonnance n° 2021-1247 du 29 septembre 2021 vient transposer les directives européennes 2019/770 et 2019/771 et apporte ainsi diverses modifications aux dispositions du Code de la consommation.

Ces directives concernent les biens, le contenu et les services numériques, définis de la manière suivante :

  • « Contenu numérique » : données produites et fournies sous forme numérique ;

 

  • « Service numérique » :
    1.  service permettant au consommateur de créer, de traiter ou de stocker des données sous forme numérique, ou d’y accéder ; ou
    2.  service permettant le partage ou toute autre interaction avec des données sous forme numérique ;

 

Contenus et services numériques tels que les jeux vidéo en ligne ou encore toutes les applications et abonnements qui se retrouvent sur ces biens numériques comme Deezer ou Netflix ;

 

  • « Bien comportant des éléments numériques » : objet mobilier qui intègre un contenu numérique ou un service numérique ou est interconnecté avec un tel contenu ou un tel service ;

 

Tel que les smartphones ou les tablettes connectées

 

Les apports :

 

  1. Elargissement du champ d’application de la garantie légale de conformité

L’ordonnance du 29 septembre 2021 offre une protection renforcée au consommateur puisqu’à compter du 1er janvier 2022, la garantie légale de conformité ne concernera pas uniquement les biens mais s’étendra aux contenus et services numériques et biens comprenant des éléments numériques.

Ainsi, durant les 2 premières années suivant l’achat, le consommateur pourra solliciter le remplacement ou la réparation de ces produits dans un délai raisonnable (maximum 30 jours), ou bien obtenir une réduction ou un remboursement.

 

 

  1. Les nouveaux droits relatifs à ces biens, contenus et services numériques

De nouveaux droits sont inclus :

  • Le droit d’information et d’obtenir les mises à jour des logiciels nécessaires au bon fonctionnement des biens numériques ;

 

  • Le droit de refuser des modifications du contenu ou du service numérique après la signature du contrat lorsqu’elles dépassent le cadre de la mise à jour nécessaire au maintien de la conformité du bien ;

 

  • Le droit de récupérer les contenus utilisés en cas de résolution du contrat.

 

Les sanctions en cas de non-respect :

Dans le cadre d’une résolution de contrat, en l’absence de remboursement complet le montant des sommes versées au consommateur, cette somme est d’abord majorée de 10 % puis 20 % au-delà de 30 jours, et 50 % passé ce délai.

En plus d’une amende administrative, une amende civile pourra être prononcée par le juge sur demande du consommateur ou de la DGCCRF.

 

Les fabricants et distributeurs devront ainsi rapidement procéder à des vérifications, audits et changements de process afin d’assurer la mise en place de ces règles.

 

Lucile Martin

L’indemnité compensatrice de préavis en cas d’absence de cause réelle et sérieuse du licenciement est due, même dans l’hypothèse d’un arrêt maladie

Par un arrêt du 17 novembre 2021 (pourvoi n° 20-14.848) la chambre sociale de la Cour de cassation a rappelé un principe concernant l’indemnité compensatrice de préavis.

Au cas particulier, un salarié engagé en qualité de VRP exclusif par la société Wruth France a été placé en arrêt de travail à compter du 18 janvier 2014, prolongé de manière successive pendant 18 mois jusqu’au 31 août 2015.

Le 24 juillet 2015, soit pendant la période de suspension du contrat lié à l’arrêt de travail, l’employeur l’a licencié pour absences prolongées ayant entraîné une perturbation de l’entreprise et la nécessité d’un remplacement définitif.

Le 9 décembre 2015, le salarié a saisi la juridiction prud’homale pour contester son licenciement.

La Cour d’appel d’Aix-En-Provence a fait droit à sa demande et a, notamment, condamné l’employeur au paiement d’une indemnité compensatrice de préavis.

L’employeur s’est pourvu en cassation. Selon le deuxième moyen de son pourvoi, ce dernier a fait grief à l’arrêt de l’avoir condamné à payer une indemnité compensatrice de préavis puisque le salarié placé dans l’impossibilité d’exécuter son préavis ne saurait prétendre à une indemnité compensatrice de préavis et, qu’en retenant le contraire, la Cour d’appel aurait violé l’article L. 1234-5 du Code du travail.

Pour rappel, cet article dispose que le salarié n’exécutant pas son préavis bénéficie, en principe, à ce titre, d’une indemnité compensatrice.

Ce moyen aurait pu, de prime abord, perdurer dans la mesure où la chambre sociale de la Cour de cassation juge de manière constante que l’indemnité de compensatrice de préavis n’est pas due lorsque le salarié est dans l’impossibilité de l’effectuer (en ce sens : Cass. Soc., 23 novembre 2005, pourvoi n° 04-47.653).

La Cour de cassation a, en effet, eu l’occasion de rappeler ce principe dans plusieurs arrêts d’espèce, notamment en matière de congé sabbatique (Cass. Soc., 22 sept. 2016, pourvoi n° 14-26.359), ou encore en matière d’inaptitude non consécutive à un arrêt de travail (en ce sens : Cass. Soc., 3 juin 1997, pourvoi no 94-44.970 ; Cass. Soc., 28 sept. 2004, pourvoi no 02-40.471).

Il en va, cependant, autrement lorsque le licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse.

C’est justement sur ce terrain que la Cour de cassation a rejeté le moyen précité de l’employeur.

Visant l’article L. 1234-5 du Code du travail, la Cour de cassation énonce que :

« lorsque le licenciement, prononcé pour absence prolongée désorganisant l’entreprise et rendant nécessaire le remplacement définitif de l’intéressé, est dépourvu de cause réelle et sérieuse, le juge doit accorder au salarié, qui le demande, l’indemnité de préavis et les congés payés afférents ».

En l’espèce, la Cour de cassation énonce que les juges du fond ont constaté que l’existence d’une désorganisation d’un service essentiel de l’entreprise n’était pas établie.

Dès lors, la Haute juridiction précise que si le licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse, les juges doivent, nécessairement, en déduire que le salarié a droit à une indemnité compensatrice de préavis et aux congés payés afférents.

Cette décision confirme ce qu’avait déjà retenu la Cour de cassation à l’occasion de plusieurs espèces différentes, notamment en matière de licenciement pour inaptitude injustifié (en ce sens, notamment : Cass. Soc., 7 mars 2012, no 10-18.118 ; Cass. Soc., 6 mai 2015, no 13-17.229).

Karim de Medeiros

Mise a jour du protocole sanitaire en entreprise au 8 décembre 2021

À la suite d’une conférence de presse du 6 décembre 2021, le Premier ministre et le Ministre des Solidarités et de la Santé ont présenté les nouvelles mesures destinées à freiner le rebond épidémique de la 5e vague.[1]

Dans ce contexte, le Ministère du travail de l’emploi et de l’insertion a publié, le 8 décembre 2021, une mise à jour du protocole sanitaire en entreprise.

Cette mise à jour porte sur les principaux éléments exposés ci-après.

  • Encore et toujours, le respect des gestes barrières

Comme pour ses précédentes versions, le protocole insiste sur la nécessité de respecter strictement les gestes barrières (p. 5 du protocole).

Selon le protocole, les employeurs doivent, ainsi, procéder régulièrement à un rappel de la nécessité du respect systématique des règles d’hygiène et de distanciation.

Ils doivent, de plus, prendre les mesures d’organisation nécessaires afin de limiter les risques d’affluence et de croisement des personnes (ex. les réunions doivent, autant que faire se peut, être organisées en visioconférence).  

  • Sur le télétravail

Le protocole recommande, désormais, une cible de 2 à 3 jours de télétravail par semaine, sous réserve des contraintes liées à l’organisation du travail et à la situation des salariés (p. 5 du protocole).

Lors de sa conférence de presse du 6 décembre 2021, le Premier ministre a appelé à une pleine mobilisation des entreprises à cet égard et a souligné l’éventualité de rendre cette mesure obligatoire si elle n’était pas respectée.

Pour l’heure, il s’agit de recommandations, aucun projet de loi ou de décret en ce sens n’ont encore été élaborés.

  • Sur la distanciation dans les restaurants d’entreprise

Le protocole durcit les mesures sanitaires dans les restaurants d’entreprise.

Il prévoit, désormais, qu’une distance de 2 mètres entre chaque personne doit être respectée à table, dès lors que le masque n’est pas porté (p. 10 du protocole).

  • Sur les moments de convivialité

Le protocole indique que les moments de convivialité entre salariés en présentiel, dans le cadre professionnel, tels que les repas de noël ou les pots de fin d’année, doivent être suspendus (p. 9 du protocole).

  • Les mesures d’aération

Le protocole insiste sur la nécessité d’assurer l’aération des lieux clos en prévention des situations à risque d’aérosolisation du virus (p. 6 du protocole).

Selon le protocole, cette aération doit être assurée :

  • « de préférence de façon naturelle: portes et/ou fenêtres ouvertes en permanence ou à défaut au moins 5 minutes toutes les heures, de façon à assurer la circulation de l’air et son renouvellement ;
  • à défaut, grâce à un système de ventilation mécanique conforme à la réglementation, en état de bon fonctionnement et vérifié assurant un apport d’air neuf adéquat ».

Par ailleurs, le protocole recommande de réaliser des mesures du dioxyde de carbone dans l’air, lors des périodes de pics de fréquentation d’endroits à forte affluence, notamment quand les préconisations d’aération naturelle ne peuvent être respectées.

Les mesures de dioxyde de carbone supérieures à 800ppm amènent à renforcer l’aération ou le renouvellement d’air et/ou à réduire le nombre de personnes pouvant fréquenter le lieu concerné.

Au-delà de 1000ppm, le local doit être évacué le temps nécessaire à ce que le taux de dioxyde de carbone dans l’air soit inférieur à 800ppm.

Benoît ROSEIRO

 

[1] Discours du Premier ministre Jean Castex – Conférence de presse sur les mesures contre la Covid 19 | Gouvernement.fr

Un nouvel outil de restructuration pour sortir de la crise sanitaire (décrets d’application de la loi n° 2021-689 du 31 mai 2021)

La crise sanitaire que la France vit depuis le mois de mars 2020 laissait craindre une vague d’ouverture de procédures collectives.

Or, force est de constater que les dispositifs d’aides aux entreprises ont permis, pour le moment, d’éviter une catastrophe économique et commerciale.

En effet, selon deux études récemment publiées par le Conseil national des administrateurs et des mandataires judiciaires (CNAJMJ), les procédures collectives sont en baisse de 19 % au 1er trimestre 2021.

S’agissant tout d’abord de l’Observatoire statistique sur les procédures collectives, il ressort de ses conclusions qu’au 1er trimestre 2021, la France compte 8. 045 procédures collectives, soit une baisse de 19 % par rapport à la même période l’an passé. La baisse la plus importante concerne les redressements judiciaires, dont le nombre d’ouvertures a été plus que divisé par deux.

Les secteurs qui recensent les volumes d’ouvertures de procédures collectives les plus élevés sont ceux qui ont été les plus directement touchés par la crise sanitaire, tels que la construction (21 %), le commerce (18 %) et l’hôtellerie/restauration (10 %). D’un point de vue géographiques, les régions les plus touchées sont l’Ile-de-France, avec 22 % d’ouvertures de procédures puis celles Auvergne Rhône-Alpes et PACA (11 %).

Enfin, la quasi-totalité des procédures collectives concernent toujours des entreprises de moins de 10 salariés et moins de 1 % concerne des entreprises de plus de 51 salariés.

Pour soutenir cet effort, la loi n° 2021-689 du 31 mai 2021 relative à la gestion de la sortie de crise sanitaire (article 13) a créé une procédure de traitement de sortie de crise, qui est une procédure judiciaire simplifiée destinée à traiter les difficultés causées ou aggravées par l’épidémie de Covid-19.

Cette loi a été complétée par deux décrets d’application.

Le premier (Décret n° 2021-1354 du 16-10-2021) fixe les règles générales applicables à la procédure, le second (Décret n° 2021-1355 du 16-10-2021), les seuils nécessaires à son ouverture.

L’objectif du législateur est de prévoir une procédure judiciaire pour les entreprises qui rencontrent un problème conjoncturel lié à la crise sanitaire et au financement de leur activité, ce qui exclut les entreprises structurellement en difficulté. Temporaire et spécifique, la procédure est entrée en vigueur le 18 octobre 2021 et s’appliquera jusqu’au 1er juin 2023 (Loi n° 2021-689 du 31 mai 2021, art. 13, VII).

Les conditions d’ouverture de la procédure de traitement de sortie de crise

L’initiative de la procédure de traitement de sortie de crise relève exclusivement du débiteur, personne physique ou morale.

Afin de bénéficier de cette procédure, l’entreprise doit avoir moins de vingt salariés et un bilan inférieur à 3. 000 000 € de total de passif hors capitaux propres (Loi n° 2021-689, art. 13, I-A et décret n° 2021-1355, art. 1).

Il s’agit ici de deux critères cumulatifs.

Doivent être pris en compte le nombre de salariés employés à la date de la demande d’ouverture de la procédure (Décret n° 2021-1355, art. 2) et le bilan apprécié à la date de clôture du dernier exercice comptable (art. 3).

Lors de la demande d’ouverture de la procédure, le débiteur doit préciser les modalités d’élaboration de l’inventaire de son patrimoine et des garanties qui le grèvent (Décret. n° 2021-1354, art. 1er).

Trois options s’offrent à lui : soit il s’engage à l’établir lui-même, soit il demande à en être dispensé, soit encore, il demande au tribunal la désignation d’un officier public ou un courtier de marchandises assermenté.

La demande doit notamment être accompagnée des pièces suivantes, datées, signées et certifiées sincères et véritables par l’entreprise (Décret n° 2021-1354, art. 1, al. 2 à 17) : comptes annuels du dernier exercice ; état du passif exigible et de l’actif disponible ; déclaration de cessation des paiements ; situation de trésorerie et compte de résultat prévisionnel ; nombre des salariés employés à la date de la demande ; bilan et chiffre d’affaires appréciés à la date de clôture du dernier exercice comptable ; état chiffré des créances et des dettes ; état actif et passif des sûretés ainsi que celui des engagements hors bilan ; inventaire sommaire des biens de l’entreprise.

A ces éléments, identiques à ceux exigés pour une demande d’ouverture de sauvegarde ou de redressement judiciaire (à l’exception de l’état du passif et de l’actif et de la déclaration de cessation des paiements pour la sauvegarde, et du compte de résultat prévisionnel pour le redressement), s’ajoutent la justification du paiement des créances salariales échues et l’état chiffré des créances salariales à échoir, spécifiques à la procédure de traitement de sortie de crise.

A défaut du justificatif concernant le règlement des créances salariales, l’entreprise doit attester sur l’honneur être à jour de ses obligations à l’égard de ses salariés (Décret n° 2021-1354, art. 1, 6°). Si un autre document ne peut pas être fourni, le motif qui en empêche la production doit figurer dans la demande (art. 1, dernier al.).

Déroulement de la procédure

Tout d’abord, l’entreprise doit établir la liste des créances de chaque créancier identifié dans ses documents comptables ou avec lequel elle est liée par un engagement dont elle peut justifier l’existence (Loi n° 2021-689, art. 13, II-B) et la déposer au greffe dans les dix jours du jugement ouvrant la procédure (Décret n° 2021-1354, art. 6, al. 1).

Cette liste doit contenir les informations détaillées sur les créances de l’article R. 622-5 du Code de commerce, auxquelles sont ajoutées les « modalités de calcul des intérêts dont le cours n’est pas arrêté ».

C’est une différence fondamentale avec les procédures de sauvegarde et de redressement judiciaire de droit commun, dans lesquelles les créances antérieures sont déclarées par les créanciers, vérifiées par le mandataire judiciaire puis admises ou non au passif par le juge-commissaire.

Le mandataire de la procédure de traitement de sortie de crise doit ainsi opérer une vérification de la conformité de la liste établie par le débiteur, avec les documents comptables de l’entreprise (Décret. n° 2021-1354, art. 6, al. 2).

La liste établie peut ainsi différer de la liste ayant permis au tribunal d’ouvrir la procédure de traitement de sortie de crise.

Sous huit jours, le mandataire doit communiquer aux créanciers les informations relatives à leurs créances telles qu’elles résultent de cette liste et les informer du droit qu’ils ont de demander l’actualisation de leurs créances ou d’en contester le montant et l’existence (Loi n° 2021-689, art. 13, II-C et décret n° 2021-1354, art. 7, al. 2). Les créanciers doivent se manifester dans le mois qui suit la publication du jugement d’ouverture au Bodacc ou la communication reçue du mandataire si elle est postérieure (Décret n° 2021-1354, art. 7, al. 1).

Le mandataire doit également informer de l’ouverture de la procédure les coobligés et les garants (art. 8, al. 1).

Le délai de consultation des créanciers par le mandataire est en principe de trente jours, délai dans lequel, en cas de consultation par écrit, le défaut de réponse, dans le délai de trente jours à compter de la réception de la lettre du mandataire judiciaire, vaut acceptation (Décret n° 2021-1354, art. 26, II). Toutefois, ce délai peut être réduit à 15 jours, le décret reprenant ici les dispositions transitoires de l’article 4 de l’ordonnance n° 2020-596 du 20 mai 2020. La consultation par le mandataire répond aux exigences habituelles de l’article R. 626-7 du Code de commerce.

Lors de l’élaboration du plan, le mandataire peut soumettre aux créanciers des propositions portant sur des délais et remises de dettes ou sur une conversion en titres donnant accès au capital, et recueillir leur avis par consultation écrite. Ceux-ci doivent en principe répondre dans un délai de trente jours à compter de la réception de la lettre du mandataire (Code de commerce, art. L 626-5, al. 2 et 3).

Si la proposition porte sur des délais et remises de dettes, l’absence de réponse des créanciers à l’issue de ce délai vaut, on le rappelle, acceptation. Si elle porte sur une conversion de la dette en titres, leur silence vaut refus.

Ce délai peut être réduit à quinze jours par le Juge-commissaire (Décret n° 2021-1354, art. 26, II-al. 1), ainsi que le prévoyait, à titre transitoire, l’article 4 de l’ordonnance n° 2020-596 du 20 mai 2020 adaptant les règles relatives aux difficultés des entreprises aux conséquences de l’épidémie de Covid-19.

La consultation des créanciers par le mandataire obéit aux prescriptions de droit commun applicables aux procédures de sauvegarde et de redressement judiciaire, prévues aux articles R 626-7 et R 626-8 du Code de commerce (art. 26, II-al. 3).

Issues de la procédure

Le tribunal peut être saisi à tout moment pour statuer sur le projet de plan (Décret n° 2021-1354, art. 12, I). Lorsque le délai de trois mois prévus pour la période d’observation est écoulé, le tribunal doit mettre fin à la procédure de traitement de sortie de crise si aucun plan n’a été arrêté (art. 12, II). Il ouvre alors, sur requête de l’entreprise, du mandataire ou du ministère public, une procédure de redressement ou de liquidation judiciaire si les conditions sont réunies (Loi n° 2021-689, art. 13, IV-D et Décret n° 2021-1354, art. 12, III).

Le mandataire doit déposer au greffe un compte rendu de fin de mission soumis aux mêmes règles que celles applicables au compte rendu dressé par l’administrateur ou le mandataire judiciaire en sauvegarde ou en redressement judiciaire (Code du Commerce, art. R 626-39 et R 626-40) (Décret n° 2021-1354, art. 12, V-al. 4).

Si un plan de traitement de sortie de crise a été arrêté par le tribunal et qu’il est toujours en cours un an après la décision du tribunal, les mentions relatives à la procédure de traitement de sortie de crise sont radiées d’office du RCS et plus aucune mention intéressant l’exécution du plan ne peut y être faite, sauf si elle porte sur une mesure d’inaliénabilité décidée par le tribunal ou sur une décision prononçant la résolution du plan (Décret n° 2021-1354, art. 24, 3°).

Cet effacement, propice au rebond du dirigeant, reprend une mesure temporaire mise en place par l’ordonnance n° 2020-596 qui avait réduit à un an (au lieu de deux) le délai permettant, si un plan de sauvegarde ou de redressement judiciaire était toujours en cours, la radiation d’office des mentions relatives à ces procédures.

Les procédures de sauvegarde et de redressement ouvertes à compter du 18 juillet 2021 sont de nouveau soumises au délai de deux ans (Ordonnance n° 2020-596, art. 10, IV).

Si la présentation d’un projet de plan n’est pas possible dans le délai de trois mois, le ministère public, le mandataire unique ou le débiteur peut saisir le tribunal pour mettre fin à la procédure de traitement de sortie de crise, et ouvrir une procédure de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire par application de l’article n° 13, IV D de la loi du 31 mai 2021 (Décret n° 2021-1354, art. 12, 3°).

*****

In fine, sont surtout visées par ce dispositif les créances nées durant la période de crise sanitaire (loyers, dettes fiscales et sociales, emprunts, PGE, etc.).

En réalité, cette procédure ne vise qu’à restructurer les dettes de l’entreprise.

En cela, ce dispositif va beaucoup plus loin que la procédure de conciliation classique, laquelle permet également de poursuivre les mêmes objectifs mais en en étant beaucoup moins coercitive.

 

Hakim ZIANE et My-Kim YANG-PAYA

La lourde condamnation d’un DG d’OPH par l’ANCOLS

Nouvelle illustration des pouvoirs de sanction de l’ANCOLS après la révocation du Directeur général de l’Office public de l’habitat (ci-dessous « OPH ») de Saint-Claude par arrêté ministériel du 28 février 2020, la condamnation de l’ancien Directeur général de l’OPH Confluence Habitat (77), au versement de la somme de 174. 000 euros a été prononcée par arrêté du 26 mars 2021 de la Ministre de la Transition écologique.

En effet, l’ANCOLS dispose depuis quelques années du pouvoir de recommander au Ministre dont elle relève plusieurs mesures, dont la suspension ou la révocation d’un membre du conseil d’administration, l’interdiction d’y participer pour au plus 10 ans, la dissolution de l’organisme et la condamnation à une sanction pécuniaire ne pouvant excéder deux millions d’euros (article L. 342-14 du Code de la construction et de l’habitation, ci-dessous « CCH »).

Ces sanctions sont rares, et leur contestation devant le Conseil d’Etat, juge compétent et premier et dernier ressort, encore plus.

Pour autant, la lecture des quelques arrêts rendus permet d’avoir un premier aperçu de la doctrine dégagée par la Haute Juridiction sur ces décisions.

Il a ainsi été jugé par le Conseil d’Etat que la sanction de 20. 000 euros infligée à un OPAC en raison de l’absence de respect de la procédure permettant de loger 13 locataires dont les revenus dépassaient les plafonds des ressources autorisés, était fondée, les manquements étant établis[1].

De la même manière, la sanction pécuniaire d’un montant à visée clairement punitive d’un million d’euros infligée à l’OPH de Puteaux a été ramenée par le Conseil d’Etat à 81. 822 euros pour non-respect du droit de réservation de l’Etat et refus d’appliquer le supplément de loyer de solidarité, en raison de l’impossibilité de sanctionner à l’époque les fautes graves de gestion et en l’espèce l’aménagement d’un parking[2].

A propos plus précisément de cette sanction pécuniaire, l’article L. 342-16 du CCH prévoit que son montant est fixé en fonction « de la gravité des faits reprochés, de la situation financière et de la taille de l’organisme », et c’est à cet égard que la sanction infligée à l’ancien Directeur général de l’OPH Confluence Habitat (77) est lourde.

Le Conseil d’Etat mène en effet une analyse très concrète de l’évaluation du montant même de la sanction : ainsi, s’agissant d’un OPH qui avait attribué onze logements à des locataires ne respectant pas les plafonds de ressources autorisés, le Conseil d’Etat devait procéder à l’annulation de la décision sur le fondement d’une absence de prise en compte de divers critères pour apprécier le montant de la sanction pécuniaire : « le montant de cette sanction pécuniaire doit être fixé en tenant compte, non seulement de l’ampleur des dépassements, mais aussi, notamment, de leur fréquence, des raisons pour lesquelles ils sont intervenus, des conséquences de ces attributions irrégulières sur les objectifs fixés par les articles L. 441 et L. 441-1 du code de la construction et de l’habitation, de la taille de l’organisme ou de sa situation financière et, le cas échéant, des mesures prises par l’organisme pour les faire cesser »[3].

En l’espèce, la décision inflige à l’ancien Directeur général une sanction pécuniaire de 174 000 euros en détaillant clairement le calcul de la somme et en justifiant principalement que c’est en fonction des conséquences sur les finances de l’OPH, mais également au regard de la gravité des manquements et de leur caractère répétitif, que le montant a été défini.

Plus précisément, la Ministre a considéré, d’après le rapport de l’ANCOLS, que l’ancien Directeur général a plusieurs reprises s’était mis en position de commettre une prise illégale d’intérêts, d’une part en obtenant du conseil d’administration de l’Office, au cours d’une séance à laquelle il participait, l’octroi irrégulier d’un véhicule de fonction, des tickets restaurants, d’autre part qu’il avait signé une convention au nom de l’Office lui payant une formation en sophrologie et enfin en engageant un membre de sa famille.

En outre, il a octroyé des ruptures conventionnelles à une dizaine de salariés avec un montant maximal de 24 mois, quelle que soit leur ancienneté, y compris quand elle n’était que d’un an et ce en violation des normes encadrant ces ruptures. Ce dernier manquement est qualifié d’acte de gestion contraire aux intérêts financiers de l’Office et a du peser significativement dans l’appréciation du quantum de la sanction pécuniaire qui lui a été infligée.

Si le préjudice financier de l’Office n’est pas expressément chiffré dans la décision, aucune norme ne l’impose. Pour autant, il est surprenant de constater que la décision est davantage motivée dans un article du Parisien[4] que dans ses visas. Nul doute que l’ancien Directeur l’aura fait valoir si il a contesté la décision devant le Conseil d’Etat.

 

[1] Conseil d’Etat, 18 mai 2018, OPAC de l’Isère, req. 410031.

[2] Conseil d’Etat, 26 avril 2018, req. 409870.

[3] Conseil d’Etat, 16 juin 2021, req. 432682.

[4] Le Parisien, 9 décembre 2021 « Montereau : l’ex-directeur de l’office HLM condamné à 174 000 euros d’amende.

Passe sanitaire et données de santé : la CNIL persiste et signe.

Décret n° 2021-1584 du 7 Décembre 2021 modifiant le Décret n° 2020-650 du 29 Mai 2020 relatif au traitement des données dénommé « TousAntiCovid »

 

Nous avons déjà eu l’occasion d’évoquer les garanties exigées par la CNIL sur la préservation des données personnelles et de santé, dans le cadre de l’usage du passe sanitaire dans notre Lettre d’Actualités de Novembre.

Dans un avis n° 2021-143 du 2 Décembre 2021, la CNIL s’est, à nouveau, prononcée sur les dispositions du projet de décret modifiant le Décret n° 2020-650 du 29 Mai 2020 relatif au traitement des données dénommé « TousAntiCovid », désormais publié ; c’est le décret n° 2021-1584 du 7 Décembre 2021.

La modification apportée vise à permettre l’utilisation des données contenues dans le passe sanitaire lorsque l’utilisateur l’a enregistré dans l’application « TousAntiCovid », afin d’afficher aux utilisateurs des recommandations sanitaires personnalisées ou de les informer des mesures à prendre afin de bénéficier d’un passe sanitaire valide.

La CNIL souligne que cette utilisation de données constitue un changement important de la fonctionnalité de l’application « TousAntiCovid » qui ne permettait, jusqu’à lors, que le stockage du passe sanitaire. Cependant, la CNIL note que le dispositif proposé apporte plusieurs garanties sur l’utilisation proportionnée des données personnelles et de santé.

Elle rappelle, néanmoins, que les personnes qui utilisent l’application « TousAntiCovid » doivent être informées que leurs données personnelles sont utilisées pour l’affichage de notifications sanitaires personnalisées et pouvoir s’y opposer et ce conformément aux dispositions de la Loi n° 78-17 du 6 Janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés. Elle invite donc le Gouvernement à modifier l’application en ce sens.

Adoption de la loi permettant de nommer les enfants nés sans vie

Pour mémoire, le dispositif prévu par l’article 79-1 du Code civil avait amorcé la reconnaissance des enfants nés sans vie ou décédés peu de temps après leur naissance.

Il prévoyait en effet que les enfants nés vivants et viables mais décédés avant que leur naissance n’ait fait l’objet d’une déclaration à l’état civil font l’objet d’un acte de naissance et d’un acte de décès[1].

Et, selon ces mêmes dispositions, les enfants nés sans vie font quant à eux l’objet d’un acte d’enfant sans vie, lequel énonce les « jour, heure et lieu de l’accouchement, les prénoms et noms, dates et lieux de naissance, professions et domiciles des père et mère et, s’il y a lieu, ceux du déclarant ».

Mais, jusqu’alors, le Code civil ne prévoyait pas que cet acte puisse faire figurer le nom ainsi que le ou les prénoms de l’enfant né sans vie. C’est l’objet de la loi du 6 décembre 2021 ici commentée.

Cette évolution avait été amorcée par une instruction générale du 11 mai 1999[2], laquelle prévoyait, en son point 467-2, que : « L’enfant sans vie peut recevoir un ou des prénoms si les parents en expriment le désir. A défaut d’indication de prénom dans l’acte, et à la demande des parents, le parquet peut aussi, par voie de rectification, faire figurer ces prénoms sur l’acte déjà dressé ».

Cette possibilité avait ensuite été confirmée par une circulaire interministérielle de 2009[3], tout en excluant en revanche la possibilité de faire figurer dans l’acte d’enfant sans vie un nom de famille ou un lien de filiation, dès lors qu’ils sont les attributs de la personnalité juridique, réservée aux enfants nés vivants et viables.

Désormais, la loi n° 2021-1576 du 6 décembre 2021 complète l’article 79-1 du Code civil des dispositions suivantes : « Peuvent également y figurer [sur l’acte d’enfant né sans vie], à la demande des père et mère, le ou les prénoms de l’enfant ainsi qu’un nom qui peut être soit le nom du père, soit le nom de la mère, soit leurs deux noms accolés dans l’ordre choisi par eux dans la limite d’un nom de famille pour chacun d’eux. Cette inscription de prénoms et nom n’emporte aucun effet juridique ».

Il est à noter, que la volonté des parents est préservée dès lors que l’inscription du/des prénom(s) et nom(s) de l’enfant né sans vie dans l’acte idoine est une simple possibilité pour eux, de même que les modalités de choix du nom de famille.

Ensuite, on relèvera que, par sécurité juridique, tout effet juridique lié à cette inscription des noms et prénoms est exclu, levant ainsi l’obstacle précédemment relevé par la circulaire susvisée de 2009 relatif à la reconnaissance de la filiation et de la personnalité juridique.

Enfin, on notera que si le rapport de l’Assemblée Nationale sur ce projet de loi[4] affirme « qu’il n’existe aucune équivoque quant à l’intention du législateur : ce dispositif s’appliquera à toutes les familles, indépendamment de leur composition », c’est bien les termes de « père » et de « mère » qui sont employés, les deux devant se prononcer sur la demande effectuée, et non celui de « parents », ce qui pourrait amener à s’interroger sur l’étendue de cette loi.

 

[1] Sur production d’un certificat médical indiquant que l’enfant est né vivant et viable et précisant les jours et heures de sa naissance et de son décès.

[2] Instruction générale relative à l’état civil du 11 mai 1999 (Annexe)

[3] Circulaire interministérielle DGCL/DACS/DHOS/DGS du 19 juin 2009 relative à l’enregistrement à l’état civil des enfants décédés avant la déclaration de naissance et de ceux pouvant donner lieu à un acte d’enfant sans vie, à la délivrance du livret de famille, à la prise en charge des corps des enfants décédés, des enfants sans vie et des fœtus (Article 1.2.2).

[4] Rapport du 17 novembre 2021 sun°46992 sur le projet de loi visant à nommer les enfants nés sans vie.

Le conflit d’intérêts : vice d’une particulière gravité justifiant l’annulation d’un contrat

Par un arrêt en date du 25 novembre 2021 rendu dans le cadre d’un recours en contestation de la validité d’un contrat, le Conseil d’Etat a prononcé, pour la première fois, l’annulation d’un accord-cadre du fait d’un conflit d’intérêts et donc d’un manquement de l’acheteur au principe d’impartialité.

S’agissant du contexte, rappelons que la collectivité de Corse a engagé une procédure d’appel d’offres ouvert en vue de la passation d’un accord-cadre à bons de commande portant sur la conception, la mise en œuvre, l’administration et la maintenance d’un réseau régional à très haut débit pour les établissements d’enseignement et de recherche de Corse.

Informée par la collectivité de Corse du rejet de son offre et de l’attribution de l’accord-cadre à la société NXO France, la société la société Corsica Networks a saisi le Tribunal administratif de Bastia afin de demander, d’une part, l’annulation du contrat conclu entre la collectivité de Corse et la société NXO France et, d’autre part, la condamnation de cette collectivité à réparer le préjudice qu’elle estime avoir subi du fait de son éviction de la procédure. Précisons que la société requérante s’était essentiellement fondé sur l’existence d’un manquement au principe d’impartialité dû à un conflit d’intérêts.

Si le Tribunal administratif de Bastia a rejeté ses demandes par un jugement du 9 juin 2020, la Cour administrative d’appel de Marseille, saisie par la société requérante, a annulé ce jugement ainsi que le contrat avec effet différé à compter du 15 décembre 2021 et ordonné avant dire droit une expertise portant sur l’évaluation du manque à gagner subi par la société Corsica Networks.

Enfin, saisi d’un pourvoi de la collectivité de Corse, le Conseil d’Etat a confirmé l’annulation de l’accord-cadre.

A ce titre, rappelons que le Conseil d’Etat avait déjà eu l’occasion de prononcer l’annulation d’une procédure de passation d’un marché public, dans le cadre d’un référé précontractuel, en se fondant sur l’existence d’un conflit d’intérêts et donc sur un manquement au principe d’impartialité (CE, 14 octobre 2015, Région Nord-Pas-de-Calais, req. n° 390968).

Plus récemment, le Tribunal administratif de Cergy-Pontoise, saisi d’un recours en contestation de la validité d’un marché public, avait prononcé la résiliation de ce marché pour un manquement à ce même principe.

En revanche, le Conseil d’Etat ne s’était pas encore prononcé sur la sanction pouvant être appliquée, dans le cadre d’un recours en contestation de la validité du contrat, à l’encontre d’une marché dont la procédure est entachée d’un conflit d’intérêts.

C’est donc chose faite puisque le Conseil d’Etat a, dans l’affaire ici en cause, confirmé l’annulation de l’accord-cadre.

Précisément, le Conseil d’Etat a tout d’abord rappelé que :

« Au nombre des principes généraux du droit qui s’imposent au pouvoir adjudicateur comme à toute autorité administrative figure le principe d’impartialité, qui implique l’absence de situation de conflit d’intérêts au cours de la procédure de sélection du titulaire du contrat. Aux termes du 5° du I de l’article 48 de l’ordonnance du 23 juillet 2015 relative aux marchés publics, applicable au marché litigieux, désormais codifié à l’article L. 2141-10 du code de la commande publique : « Constitue une situation de conflit d’intérêts toute situation dans laquelle une personne qui participe au déroulement de la procédure de passation du marché public ou est susceptible d’en influencer l’issue a, directement ou indirectement, un intérêt financier, économique ou tout autre intérêt personnel qui pourrait compromettre son impartialité ou son indépendance dans le cadre de la procédure de passation du marché public ». L’existence d’une situation de conflit d’intérêts au cours de la procédure d’attribution du marché est constitutive d’un manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence susceptible d’entacher la validité du contrat ».

Puis, faisant application de ces règles au cas d’espèce, le Conseil d’Etat a retenu que :

« En premier lieu, il ressort des énonciations de l’arrêt attaqué que M. L…, désigné par le règlement de consultation du marché comme le « technicien en charge du dossier », chargé notamment de fournir des renseignements techniques aux candidats, a exercé des fonctions d’ingénieur-chef de projet en matière de nouvelles technologies de l’information et de la communication au sein de l’agence d’Ajaccio de la société NXO France. L’intéressé a occupé cet emploi immédiatement avant son recrutement par la collectivité de Corse et trois mois avant l’attribution du marché. Le procès-verbal d’ouverture des plis mentionne qu’il s’est vu remettre les plis  » en vue de leur analyse au regard des critères de sélection des candidatures et des offres « . Si M. L… n’était pas l’un des cadres dirigeants de la société NXO France, il occupait des fonctions de haut niveau au sein de la représentation locale de la société NXO France et ces fonctions avaient trait à un objet en relation directe avec le contenu du marché. Eu égard au niveau et à la nature des responsabilités confiées à M. L… au sein de la société NXO France puis des services de la collectivité de Corse et au caractère très récent de son appartenance à cette société et alors même qu’il n’a pas signé le rapport d’analyse des offres, la cour n’a ni inexactement qualifié les faits de l’espèce ni commis d’erreur de droit en jugeant que sa participation à la procédure de sélection des candidatures et des offres pouvait légitimement faire naître un doute sur la persistance d’intérêts le liant à la société NXO France et par voie de conséquence sur l’impartialité de la procédure suivie par la collectivité de Corse.

En second lieu, contrairement à ce que soutient la collectivité de Corse, la cour administrative d’appel, dont l’arrêt est suffisamment motivé, n’a ni inexactement qualifié les faits ni commis d’erreur de droit en jugeant, sans relever une intention de sa part de favoriser un candidat, qu’eu égard à sa nature, la méconnaissance de ce principe d’impartialité était par elle-même constitutive d’un vice d’une particulière gravité justifiant l’annulation du contrat à l’exclusion de toute autre mesure ».

Gestion du critère prix et réutilisation de la note technique lors de la passation d’un accord-cadre multi-attributaire pour la fourniture d’électricité

Dans une affaire concernant la procédure de passation d’un accord-cadre multi-attributaire et celle d’un marché subséquent pour la fourniture d’électricité, lesquelles connaissent des spécificités qui n’avaient pas encore fait l’objet d’un contrôle de la part du juge administratif, la Cour administrative d’appel de Bordeaux est venue préciser, dans un arrêt du 2 décembre, qu’un acheteur doit utiliser un critère prix lors de la passation de l’accord-cadre mais qu’il est en droit, pour juger les offres sur le critère de la valeur technique lors de la passation du marché subséquent, de réutiliser la note que les titulaires de l’accord-cadre ont obtenu sur ce critère lors de la passation de ce premier contrat.

A ce titre, il faut rappeler que la fourniture d’électricité, comme celle du gaz, connaît une spécificité liée à la forte volatilité des prix ; lesquels peuvent évoluer d’heure en heure. Tous les acheteurs sont d’ailleurs actuellement confrontés à une très forte hausse de ces prix.

Face à cette situation, les acheteurs avaient élaboré une pratique, depuis de nombreuses années, consistant à sélectionner les titulaires de l’accord-cadre uniquement sur des critères liés à la valeur technique afin de fixer le prix, dans de très courts délais – le plus souvent de quelques heures –, lors de la passation des marchés subséquents. Le critère prix était donc utilisé à ce stade avec, le plus souvent, une reprise de la note technique pour être en mesure de retenir l’offre économiquement la plus avantageuse, étant précisé qu’aucune modification n’était apportée dans le marché subséquent aux caractéristiques techniques définies dans l’accord-cadre. Rappelons aussi, à cet égard, que la Direction des affaires juridiques du ministère de l’économie et des finances avait recommandé cette pratique dans son Guide de l’achat d’énergie de mars 2015.

Toutefois, alors que l’article 53 du Code des marchés publics ne posait pas l’obligation d’utiliser un critère prix en cas d’utilisation de plusieurs critères, la réforme de la commande publique a inséré une telle obligation avec l’article R. 2152-7 du Code de la commande publique (CCP).

Compte tenu de ce changement, le Préfet de la Dordogne a formé un premier déféré préfectoral tendant à l’annulation d’un accord-cadre portant sur la fourniture d’électricité, qui avait été conclu par le Département de la Dordogne en sa qualité de coordonnateur d’un groupement de commandes avec plusieurs fournisseurs, au motif qu’aucun critère prix n’avait été utilisé lors de sa passation. Le Préfet a en outre formé un second déféré afin de solliciter l’annulation du marché subséquent conclu par le Département de la Dordogne en considérant que la méthode consistant à réutiliser la note technique serait illégale.

Par un jugement du 8 février 2021, le Tribunal administratif de Bordeaux a résilié cet accord-cadre en considérant, d’une manière surprenante, qu’un accord-cadre devait être qualifié de marché public et, partant, que sa passation devait être soumise à l’article R. 2152-7 du CCP et donc donner lieu à l’utilisation d’un critère prix.

Ensuite, le Tribunal a résilié le marché subséquent au motif que la méthode de notation consistant à réutiliser la note technique ferait obstacle à une remise en concurrence pleine et entière des titulaires de l’accord-cadre et conduirait à priver les critères de sélection de leur pleine portée.

La pratique a ainsi cherché en urgence à se conformer à cette décision pour leurs nouvelles consultations.

Toutefois, saisie d’un recours en appel contre ce jugement et d’un recours tendant au sursis à l’exécution de ce dernier de la part du Département ainsi que d’un recours en appel de la part de la société titulaire du marché subséquent, la Cour administrative d’appel a annulé ce jugement et rejeté l’intégralité des demandes du Préfet.

S’agissant du marché subséquent, la Cour a remis en cause le raisonnement du Tribunal. En effet, si elle n’a pas retenu que le jugement était empreint d’une erreur de droit, elle a quand même jugé que « la seule circonstance que la remise en concurrence, au stade de la passation du marché subséquent, s’effectue, de facto, sur le fondement du seul critère du prix, les notes obtenues par chacune des entreprises retenues à l’issue de l’accord-cadre leur étant conservées, ne contrevient pas en elle-même aux dispositions précitées de l’article R. 2162-10 du code de la commande publique et n’est pas davantage de nature à conduire au choix d’une offre qui ne serait pas économiquement la plus avantageuse, en l’absence, notamment, de toute variation des caractéristiques des prestations attendues entre l’étape de l’accord-cadre et celle du marché subséquent ».

La Cour a donc validé cette méthode de notation en posant toutefois la condition d’une absence de modification des caractéristiques des prestations lors de la passation du marché subséquent.

En revanche, et alors même que cela peut être discuté, la Cour a jugé qu’un critère prix doit être utilisé, en cas de pluralité de critères, lors de la passation de l’accord-cadre. Cependant, la décision est intéressante sur deux points.

D’une part, remettant en cause le raisonnement du Tribunal, la Cour n’a aucunement qualifié un accord-cadre de marché subséquent pour justifier l’application de l’article R. 2152-7 du CCP mais s’est fondée, pour ce faire, sur l’article L. 2125-1 du CCP selon lequel le recours à l’accord-cadre, comme aux autres techniques d’achat, doit respecter les procédures prévues pour la passation des marchés publics.

D’autre part, la Cour a relevé que le règlement de la consultation prévoyait que l’accord-cadre serait conclu avec quatre titulaires, que seulement trois opérateurs ont soumissionné et, que ces derniers ayant tous été désignés titulaires de l’accord-cadre, l’irrégularité liée à l’absence du critère prix « n’a pas eu d’effet sur le choix des attributaires et la conclusion de l’accord-cadre » de sorte que « la poursuite de l’exécution du contrat est possible ».

Au final, si la décision de la Cour administrative d’appel de Bordeaux a le mérite de valider la méthode consistant à réutiliser la note technique lors de la passation du marché subséquent, elle contraint toutefois les acheteurs à utiliser un critère prix lors de la passation de l’accord-cadre ce qui nécessite de la part de ces derniers de réfléchir à la manière dont ce critère pourra être utilisé en tenant compte, une nouvelle fois, des contraintes liées à la forte volatilité des prix de l’énergie.

Urbanisme : hameaux uniformément classés en zone agricole, le recadrage tout en nuance du Conseil d’Etat

Par une décision du 24 novembre 2021, le Conseil d’Etat recadre le recours au zonage agricole, pour l’envisager un peu plus strictement. Ainsi, le classement en zone agricole de hameaux habités, bien qu’entourés de vastes plaines agricoles, est susceptible d’être entaché d’erreur manifeste d’appréciation.

Pour mémoire, l’article R. 151-22 du Code de l’urbanisme considère les zones agricoles comme « les secteurs de la commune, équipés ou non, à protéger en raison du potentiel agronomique, biologique ou économique des terres agricoles ». Or, à l’occasion de récentes évolutions de PLU, et notamment depuis la loi ELAN, certains auteurs de PLU ont pu être tentés d’appliquer un zonage agricole uniforme aux hameaux limitrophes de secteurs cultivés et partant, sans nuance. Conséquence : de nombreuses maisons à usage d’habitation sont confrontées à l’impossibilité de réaliser des extensions, voire de densifier des parcelles interstitielles. Au reste, des jardins paysagers ont été classés en zone agricole, sans que leur potentiel agronomique, biologique ou économique relève de l’évidence.

Jusqu’à cette décision du 24 novembre 2021, il n’était plus tant demandé au juge de rechercher si les parcelles ont elles-mêmes un caractère agricole, mais si les abords de celles-ci ont un caractère agricole avéré, en cohérence avec les autres documents du PLU (PADD notamment). C’est ainsi que des sites industriels ont pu être classées en zone agricole (CE, 3 juin 2020, sociétés Inerta et Océane : n° 429515), si bien qu’à peu près tout pouvait être classé de la sorte, pourvu qu’un environnement bucolique jouxte les parcelles considérées. Raisonnant a fortiori, quelques Cours se sont d’ailleurs approprié cette position, confirmant le classement en zone agricole de hameau et/ou de parcelles insérés dans de tel groupement de maisons (CAA Bordeaux, 5e ch., 15 déc. 2020, n° 18BX04515 : « Au demeurant, dès lors qu’elle est située au sein d’un secteur ayant une vocation agricole, la circonstance que la parcelle ne présenterait pas elle-même un caractère de terre agricole est sans incidence sur la légalité de son classement » ; CAA Nantes, 2e ch., 18 juin 2021, n° 20NT02723 ; CAA Bordeaux, 5e ch., 6 juill. 2021, n° 19BX04949 : « la partie nord de la parcelle des requérants classée en zone agricole est située dans une zone à dominante naturelle et agricole, à l’écart du centre bourg et des zones urbanisées de la commune et qu’elle est bordée, sur ses côtés ouest, nord et est, par des parcelles cultivées ou boisées classées en zone agricole » ; CAA Bordeaux, 5e ch., 28 sept. 2021, n° 20BX02514 : pour une parcelle en limite d’un hameau excentré distant à la fois du centre-bourg et de la route départementale le long de laquelle s’est structuré le développement urbain toutefois ; voir également pour un classement en zone N : CAA Lyon, 30 juin 2020, n° 19LY02543 ; et a contrario, toutefois : CAA Nantes, 2e ch., 24 sept. 2021, n° 20NT02650).

La décision rendue le 24 novembre 2021 reprend le principe posé par celle rendue en 2020. Selon cette décision, une zone agricole « a vocation à couvrir, en cohérence avec les orientations générales et les objectifs du projet d’aménagement et de développement durables (PADD), un secteur, équipé ou non, à protéger en raison du potentiel agronomique, biologique ou économique des terres agricoles ». Toutefois, elle fait une application plus nuancée de ce principe en l’amendant de manière inédite :

« Si, pour apprécier la légalité du classement d’une parcelle en zone A, le juge n’a pas à vérifier que la parcelle en cause présente, par elle-même, le caractère d’une terre agricole et peut se fonder sur la vocation du secteur auquel cette parcelle peut être rattachée, en tenant compte du parti urbanistique retenu ainsi que, le cas échéant, de la nature et de l’ampleur des aménagements ou constructions qu’elle supporte, ce classement doit cependant être justifié par la préservation du potentiel agronomique, biologique ou économique des terres agricoles de la collectivité concernée, à plus forte raison lorsque les parcelles en cause comportent des habitations voire présentent un caractère urbanisé ».

Appliquant le principe au hameau de la commune de Lapeyrouse-Mornay, le Conseil d’Etat censure le choix d’un classement uniforme en zone A du hameau :

« Pour juger que le classement en zone A de l’ensemble du secteur du hameau du Bois-Vieux, situé à environ un kilomètre du centre-bourg, dont il ressort de l’arrêt attaqué qu’il comporte notamment une trentaine d’habitations et présente un caractère urbanisé, n’était pas entaché d’une erreur manifeste d’appréciation, la cour, en relevant que les auteurs du PLU avaient entendu préserver les ressources agricoles de la commune et rechercher un équilibre entre le développement résidentiel et le maintien du « caractère rural » du hameau, situé au cœur d’une vaste plaine agricole de bonne valeur agronomique et facilement exploitable, alors qu’il ne ressort pas des pièces du dossier que ce classement permet d’assurer la préservation du potentiel agronomique, biologique ou économique des terres agricoles de cette commune, a dénaturé les pièces du dossier et les faits de l’espèce ».

En somme, il faut que le classement de parcelle contribue à la préservation du potentiel agronomique, biologique ou économique des terres agricoles. Les documents du PLU, et notamment le rapport de présentation, doivent en faire la démonstration. Une vue aérienne valant mieux qu’une longue description, voici ledit hameau, somme toute assez lâche et baignant dans une ambiance agraire :

Notons également ici la censure du Conseil d’Etat intervenue pour dénaturation, soit l’erreur flagrante. Le Conseil d’Etat confie donc toujours aux Cours d’appel le soin de qualifier juridiquement les faits dans le cadre de leur contrôle du choix des zonages. A cet égard, peu sûr que les arrêts de Cours cités auraient résisté à cette nouvelle interprétation de la zone A (voir notamment l’arrêt de la Cour Administrative d’Appel de bordeaux rendu en décembre 2020, s’attachant à relever que la parcelle est située au sein d’un secteur ayant une vocation agricole).

En synthèse, sans que la décision du 24 novembre 2021 ne puisse être qualifiée de revirement, elle reste rendue en formation de chambres réunies ce qui révèle son importance. Elle ajoute une nuance heureuse en matière de zonage agricole. Un peu de granularité en la matière ne peut être que la bienvenue.

Certificat d’urbanisme : La cristallisation des règles est prorogée en cas d’annulation d’un refus de permis de construire dont la demande avait été déposée dans le délai imparti

Par une décision en date du 24 novembre dernier, le Conseil d’Etat a considéré que le pétitionnaire bénéficiant d’un certificat d’urbanisme qui s’est vu opposer un refus irrégulier à sa demande de permis de construire, lequel a été annulé par le juge administratif, est en droit de voir sa demande de permis de construire initiale examinée au regard des dispositions d’urbanisme en vigueur à la date de délivrance du certificat d’urbanisme, quand bien même il aurait été délivré plus de 18 mois avant que l’autorité administrative compétente ne statue à nouveau sur cette demande.

 

Dans cette affaire, la société requérante, qui avait obtenu un certificat d’urbanisme pour la réalisation d’une opération mixte sur un terrain situé à Bagnolet (Seine-Saint-Denis) le 24 février 2014, a déposé, le 30 juillet suivant, une demande de permis de construire tendant à l’édification d’un ensemble immobilier de 4 589,65m², comprenant 941,95m² de surface commerciale et 51 logements.

Le Maire de la commune de Bagnolet a opposé un premier refus à la demande de permis de construire lequel a été annulé par un jugement du Tribunal administratif de Montreuil du 13 octobre 2016 qui a, en outre, enjoint au Maire de Bagnolet de réexaminer la demande de la société requérante dans un délai de trois mois. Après un nouvel examen, le maire a opposé un second refus de délivrer le permis de construire, lequel a de nouveau été annulé par un jugement du 18 janvier 2018, le Tribunal ayant par ailleurs jugé que la société était bénéficiaire d’un permis de construire tacite depuis le 15 janvier 2017, résultant de l’injonction prononcée dans son précédent jugement.

Par suite, Mme D. et autres ont saisi le Tribunal administratif de Montreuil d’une demande tendant à l’annulation de ce permis de construire tacite ainsi que de la décision par laquelle le maire de Bagnolet a refusé de retirer ce permis. La société requérante se pourvoit en cassation contre le jugement du 6 novembre 2019 par lequel le Tribunal administratif de Montreuil, faisant droit à leur demande, a annulé le permis de construire tacite et que le refus du Maire de le retirer.

C’est dans ce contexte que la Conseil d’Etat a été amené à se prononcer sur l’application des règles contenues dans les certificats d’urbanisme lorsqu’une demande de permis de construire a bien été déposée dans le délai de 18 mois imparti, mais qu’elle a été irrégulièrement refusée et que ce refus a été annulé par le juge administratif postérieurement à l’expiration du délai de 18 mois.

Il convient de rappeler qu’aux termes des dispositions de l’article L. 410-1 du Code de l’urbanisme :

« Le certificat d’urbanisme, en fonction de la demande présentée : / a) Indique les dispositions d’urbanisme, les limitations administratives au droit de propriété et la liste des taxes et participations d’urbanisme applicables à un terrain ; / b) Indique en outre, lorsque la demande a précisé la nature de l’opération envisagée ainsi que la localisation approximative et la destination des bâtiments projetés, si le terrain peut être utilisé pour la réalisation de cette opération ainsi que l’état des équipements publics existants ou prévus. / Lorsqu’une demande d’autorisation ou une déclaration préalable est déposée dans le délai de dix-huit mois à compter de la délivrance d’un certificat d’urbanisme, les dispositions d’urbanisme, le régime des taxes et participations d’urbanisme ainsi que les limitations administratives au droit de propriété tels qu’ils existaient à la date du certificat ne peuvent être remis en cause à l’exception des dispositions qui ont pour objet la préservation de la sécurité ou de la salubrité publique […] ».

Le Conseil d’Etat a rappelé que ces dispositions ont pour effet « de garantir à la personne à laquelle a été délivré un certificat d’urbanisme, quel que soit son contenu, un droit à voir sa demande de permis de construire déposée durant les dix-huit mois qui suivent examinée au regard des dispositions d’urbanisme applicables à la date de ce certificat, à la seule exception de celles qui ont pour objet la préservation de la sécurité ou de la salubrité publique ».

Par suite, il a considéré que les pétitionnaires étaient « en droit [de] voir [leur] demande examinée au regard des dispositions d’urbanisme en vigueur à la date [du] certificat » et alors même que le certificat d’urbanisme avait été délivré plus de 18 mois avant que l’autorité administrative compétente ne statue à nouveau sur cette demande dont elle demeure saisie.

Le Conseil d’Etat a précisé qu’« il en va ainsi alors même que le demandeur n’est susceptible de bénéficier d’un permis tacite qu’à la condition d’avoir confirmé sa demande ».

Par suite, en jugeant que la société pétitionnaire ne pouvait bénéficier du maintien des règles d’urbanisme applicables à cette date, faute d’avoir demandé la prorogation du certificat d’urbanisme obtenu le 24 février 2014, la Cour administrative d’appel de Marseille a commis une erreur de droit dès lors que la demande initiale avait été déposé dans le délai de 18 mois prévu par l’article L. 410-1 du Code de l’urbanisme.

Parution du décret d’application relatif à la vente de logements appartenant à des organises d’habitations à loyer modéré à des personnes physiques avec application différée du statut de la copropriété

Pour rappel, l’ordonnance n° 2019-418 du 7 mai 2019 relative à la vente de logements appartenant à des organismes d’habitations à loyer modéré à des personnes physiques avec application différée du statut de la copropriété a été prise en application de la Loi ELAN et vise à permettre l’aménagement de l’application du statut de la copropriété des immeubles bâtis, dans le cadre de la vente de logements sociaux.

L’article L. 443-15-5-1 a été inséré dans le Code de la construction et de l’habitation, aux termes duquel le contrat de vente d’un logement situé dans un immeuble destiné à être soumis au statut de la copropriété conclu entre un organisme d’habitation à loyer modéré et une personne privée peut prévoir un transfert différé de la propriété de la quote-part des parties communes.

Il s’agit d’un régime dérogatoire au statut de la copropriété des immeubles bâtis, pendant une période transitoire qui ne peut excéder dix ans.

Dans l’attente du transfert de propriété de la quote-part des parties communes, il est prévu que l’organisme d’habitations à loyer modéré entretient les parties communes et les équipements communs et veille à leur conservation.

De son côté, l’acquéreur bénéficie d’un droit d’usage réel des parties communes et des éléments d’équipements communs et verse à l’organisme vendeur une contribution aux charges en contrepartie des services rendus et des dépenses.

Le décret n° 2021-1534 du 26 novembre 2021 vient préciser et compléter ce dispositif en définissant les charges auxquelles l’acquéreur contribue en contrepartie de son droit d’usage réel sur les parties communes et équipements communs.

En effet, l’article R. 443-17-3.-I est inséré au Code de la construction et de l’habitation.

Ce décret détermine également les modalités de paiement de ces charges.

Enfin, l’article R. 443-17-5 est inséré au sein du Code de la construction et de l’habitation précisant les modalités d’information des occupants sur leur consommation, lorsque l’immeuble est équipé d’une installation centrale de chauffage, de froid ou d’eau chaude sanitaire et est muni des dispositifs d’individualisation des frais télé-relevables.

Le Code général de la fonction publique est (presque) arrivé

La loi n° 2019-828 du 6 août 2019 portant transformation de la fonction publique avait prévu dans son article 55 une habilitation du Gouvernement par voie d’ordonnance aux fins de création d’un Code de la fonction publique.

C’est donc à ce titre que le 24 novembre 2021 l’ordonnance, qui adopte la partie législative du Code général de la fonction publique (CGFP), a été signée : https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000044411525.

La partie règlementaire est, elle, attendue pour 2023.

Le but de la manœuvre est de réunir, en principe à droit constant, les dispositions constituant le statut des fonctionnaires, lesquelles sont effectivement éparses.

Pour commencer ce vaste chantier, le texte de l’ordonnance réunit donc dans la partie législative du Code les quatre lois statutaires que sont la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 relative à la fonction publique de l’Etat, la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 afférente à la fonction publique territoriale et, enfin, la loi n° 86-33 du 9 janvier 1986 régissant la fonction publique hospitalière. Leurs dispositions relatives aux agents contractuels de droit public sont également intégrées et désormais l’organisation répond à un plan thématique et non plus par fonction publique.

On recense au total un chapitre liminaire, huit livres, des articles numérotés L. 1 à L. 829-2, pour une entrée en vigueur le 1er mars 2022. Le classement est le suivant :

  • droits, obligations et protections (I),
  • droit syndical et dialogue social (II),
  • recrutement (III),
  • organisation et gestion des ressources humaines (IV),
  • carrière et parcours professionnels (V),
  • temps de travail et congés (VI),
  • rémunération et action sociale (VII),
  • prévention et protection en matière de santé et sécurité (VIII).

Et bien entendu, le tableau de concordance est déjà accessible : https://www.legifrance.gouv.fr/contenu/menu/autour-de-la-loi/codification/tables-de-concordance/code-general-de-la-fonction-publique

Publication du rapport public annuel de contrôle de l’ANCOLS

L’ANCOLS a rendu son – très attendu – rapport public annuel de contrôle, dans lequel sont exposées les principales conclusions de ses contrôles.

L’année 2020 correspondait à la fin d’un cycle sexennal (2015-2020) de contrôle des organismes de logement social par l’ANCOLS, permettant ainsi d’en tirer les conclusions suivantes sur cette période :

  • le taux de couverture du parc social par les contrôles est de 90 % ;
  • le taux de contrôle des organismes de logement social est de 79 % avec les contrôles en cours à la fin de l’année 2020 ;
  • ce taux de contrôle est de 91 % pour les organismes de plus de 12 000 logements et atteint 100 % pour ceux détenant 50 000 logements et plus.

Pour l’année 2020, les données importantes sont :

  • la réalisation de 99 contrôles d’organismes de logement social, dont 10 portaient sur des groupes d’organismes comptant chacun entre 2 et 8 organismes ;
  • l’examen par le Comité du contrôle et des suites (« CCS ») de l’ANCOLS de 87 contrôles, dont 74 ont fait l’objet de suites administratives ;
  • à la suite de l’examen des dossiers par le CCS, le Conseil d’administration de l’ANCOLS a proposé [au Ministre chargé du Logement] des sanctions pécuniaires à l’encontre de 22 organismes pour un montant de 761.000 €, la dissolution d’un organisme et cinq sanctions à l’encontre de dirigeants ou d’administrateurs.

Sur le formalisme de la renonciation au droit d’usage et d’habitation viager

Si l’acte de vente prévoit que le vendeur peut renoncer au droit d’usage et d’habitation viager par lettre recommandée avec avis de réception envoyée à l’acheteur 6 mois à l’avance, la renonciation ne peut pas avoir lieu de manière tacite.

En l’espèce, une maison a été mise en vente et le vendeur s’est réservé le droit d’usage et d’habitation viager. Huit ans après la vente, l’acheteur loue la maison au vendeur. Le vendeur assigne l’acheteur en annulation du bail, en remboursement des loyers versés et en indemnisation de son préjudice moral.

La Cour d’appel de Dijon rejette la demande du vendeur. Selon les juges du fond, le vendeur a renoncé de manière tacite au droit d’usage et d’habitation qu’il s’était réservé sur l’immeuble aux motifs qu’il a signé un contrat de bail, payé un loyer mensuel pendant 4 ans et avait sollicité par écrit un délai pour apurer l’arriéré locatif.

La Cour de cassation casse cet arrêt et estime que la renonciation n’est pas intervenue dans les formes prévues par l’acte de vente. Selon les termes de l’acte, le vendeur peut renoncer au droit d’usage et d’habitation par lettre recommandée avec avis de réception envoyée à l’acheteur 6 mois à l’avance : la renonciation ne pouvait donc pas avoir lieu de manière tacite.

Il est à noter que le crédirentier peut valablement renoncer à percevoir la rente, ou encore à son droit d’usage et d’habitation comme c’est le cas ici, et dispenser ainsi le débirentier du paiement des arrérages ultérieurs (Cass. 1e civ. 15 juin 1973, n° 72-12.811 : Bull. civ. I n° 205). Toutefois, cette renonciation ne se présume pas : en effet, le silence et l’inaction du crédirentier ne constituent pas des faits positifs et non équivoques témoignant d’une volonté manifeste de renoncer aux prestations définies dans l’acte de vente (Cass. 3e civ. 4 janvier1991, n° 89-14.858).

Sur la mise en pratique du droit de préférence en matière de bail commercial

Le droit de préférence n’interdit pas au propriétaire de mettre en vente son bien avant de le proposer en priorité au locataire et l’offre envoyée au preneur peut mentionner des honoraires d’agence, dès lors que le prix est clairement identifié.

En l’espèce, un bailleur commercial avait confié un mandat de vente à une agence immobilière le 3 mars 2018. Ayant trouvé un acquéreur potentiel, le bailleur avait transmis, par une lettre recommandée avec accusé de réception du 19 octobre 2018 puis par acte d’huissier du 24 octobre 2018, une offre de vente à son preneur qui mentionnait, en sus du prix principal proposé, des honoraires d’agence. Par une lettre du 29 octobre 2018, le preneur avait contesté la régularité de l’offre de vente. Malgré cette contestation, le bailleur avait consenti le 9 novembre 2018 une promesse unilatérale de vente à un tiers, sous la condition suspensive de non-exercice par le preneur de son droit de préférence. Le preneur n’ayant pas accepté l’offre transmise, le propriétaire l’avait fait assigner aux fins de constatation de la purge du droit de préférence de celui-ci, ce qui devait lui permettre de vendre le bien au tiers bénéficiaire de la promesse unilatérale de vente.

Par l’arrêt rapporté, la Cour de cassation a rejeté un pourvoi formé à l’encontre d’un arrêt de la Cour d’appel de Paris du 27 mai 2020 qui était venu préciser les modalités de mise en œuvre du droit de préférence légal instauré à l’article L. 145-46-1 du Code de commerce, disposition d’ordre public.

La position de la Cour de cassation est particulièrement claire : l’offre de vente notifiée par un propriétaire à son locataire est valable à la condition qu’elle soit antérieure à la vente avec un tiers. Par cette décision, la Cour de cassation s’assure que le locataire qui exerce son droit de préférence mettra le propriétaire dans la position dans laquelle il aurait été s’il avait vendu son bien à un tiers. Droit de préférence ne signifie pas droit à une réduction du prix ou à des conditions plus avantageuses pour le locataire.

Bien que l’arrêt ne le dise pas expressément, l’interprétation large de la Cour de cassation devrait permettre au propriétaire de faire tout acte préalable à la vente, et notamment de conclure une promesse unilatérale ou synallagmatique de vente avec un tiers. En effet, en cas de promesse unilatérale, la vente n’est formée qu’au jour de la levée de l’option par le bénéficiaire. Pour se conformer à l’article L. 145-46-1 du Code de commerce, il suffira donc que l’offre de vente soit transmise au locataire avant la levée de l’option.

Reconduction tacite du bail verbal

Une commune a sollicité le remboursement de frais de relogement d’un occupant auprès de propriétaires indivis dont l’immeuble a été frappé d’un arrêté de péril, puis les assigne en tierce opposition d’un jugement ayant constaté que l’occupant était sans droit ni titre.

Le premier juge rejette la demande de la commune tendant à voir reconnaître le caractère licite de l’occupation du logement au motif que si l’existence d’un bail verbal initial n’est pas contestée, sa reconduction tacite ou son renouvellement ne peut être supposé et n’était pas prouvé.

La Cour de cassation casse et annule le jugement au visa de l’article 10, alinéa 1 à 3 de la loi n°89-462 du 6 juillet 1989 qui dispose que :

« Le contrat de location est conclu pour une durée au moins égale à trois ans pour les bailleurs personnes physiques ainsi que pour les bailleurs définis à l’article 13 et à six ans pour les bailleurs personnes morales.

Si le bailleur ne donne pas congé dans les conditions de forme et de délai prévues à l’article 15, le contrat de location parvenu à son terme est soit reconduit tacitement, soit renouvelé.

En cas de reconduction tacite, la durée du contrat reconduit est de trois ans pour les bailleurs personnes physiques ainsi que pour les bailleurs définis à l’article 13, et de six ans pour les bailleurs personnes morales ».

Selon la Cour de cassation, « le bail verbal portant sur un logement à usage d’habitation principale conclu par des bailleurs personnes physiques, en SCI familiale ou en indivision, l’est pour une durée au moins égale à trois ans, et qu’en absence de congé valablement donné par les bailleurs, ce contrat parvenu à son terme est reconduit tacitement par périodes triennales ».

L’absence d’écrit n’est pas une condition de validité du bail qui, même verbal, est régi par la loi du 6 juillet 1989 et est reconduit tacitement, faute de congé.

Le régulateur des transports lance une consultation sur l’ouverture et la réutilisation des données de mobilité

L’autorité de régulation des transports (ART) lance une consultation sur l’ouverture et la réutilisation des données de mobilité. Celle-ci doit permettre de mesurer le degré de connaissance, d’appropriation et les éventuelles difficultés des acteurs concernés par le nouveau cadre juridique mis en place.

En effet, la directive 2010/40/UE du Parlement européen et du Conseil du 7 juillet 2010 met en place un cadre visant à soutenir le déploiement et l’utilisation de systèmes de transport intelligents dans l’Union européenne. Elle définit des actions prioritaires devant être menées à cette fin, dont la mise à disposition, dans l’ensemble de l’Union, de services d’information sur les déplacements multimodaux.

Ces services nécessitant un accès à des données théoriques et en temps réel, le règlement délégué (UE) 2017/1926 définit les conditions d’ouverture et de réutilisation des données relatives aux déplacements et à la circulation. En France, c’est l’article 25 de la loi n° 2019-1428 du 24 décembre 2019 d’orientation des mobilités (LOM) qui précise les dispositions de ce règlement et étend son application à d’autres catégories de données (articles L. 1115-1 à L. 1115-7 du Code des transports).

L’article 25 de la loi prévoit l’ouverture des données des services de transport et leur mise à disposition sur un canal unique, le point d’accès national (PAN), conformément à un règlement européen de 2017 sur les services multimodaux.

La consultation mise en place par l’ART est disponible du 10 novembre au 11 février 2021.

La CNIL publie 8 recommandations pour renforcer la protection des mineurs en ligne

Depuis 2020, les autorités de régulation sont confrontées à des outils numériques qui visent de plus en plus spécifiquement les mineurs. Fort du constat issu de ses études et de sa volonté de dépasser le régime juridique existant quant au statut des mineurs, la CNIL a publié 8 recommandations issues d’une réflexion menée avec l’ensemble des acteurs concernés.

 

I. Le statut du mineur en droit français

A titre de rappel, les mineurs sont sous tutelle de leurs parents : c’est l’autorité parentale. L’autorité parentale s’exerce sur la personne du mineur, en ce qui concerne les droits et devoirs relatifs à l’éducation de l’enfant, et sur ses biens, avec la possibilité de réaliser des actes conservatoires, d’administration ou de disposition.

L’exercice de l’autorité parentale est mis en œuvre par les deux parents, sauf interdiction judiciaire à l’encontre d’un des parents ou pour les actes usuels.

De plus, en droit français, les mineurs disposent de la capacité de jouissance de droits mais pas de la capacité d’exercice. Les mineurs sont des sujets de droit mais ils n’ont pas de capacité juridique, cette aptitude étant dévolue aux parents au travers de l’autorité parentale.

En conséquence, il existe une prohibition générale sur la capacité du mineur à conclure un contrat. L’article 1146 du Code civil disposant que « Sont incapables de contracter […], les mineurs non émancipés », un mineur ne peut donc pas conclure un contrat. On parle d’une incapacité d’exercice qui s’étend à toute la période de la minorité. Cette incapacité cesse à la majorité (à l’âge de 18 ans) ou avec l’émancipation.

 

II. Les mineurs et la règlementation relative aux données à caractère personnel

Le mineur est mentionné à plusieurs reprises au sein du Règlement général sur la protection des données (RGPD) et de la loi informatique et liberté (LIL).

Le RGPD évoque à plusieurs reprises les mineurs :

  • Considérant 38 : les mineurs doivent bénéficier d’une protection particulière ;
  • L’article 8 :

« Article 8 – Conditions applicables au consentement des enfants en ce qui concerne les services de la société de l’information

Lorsque l’article 6, paragraphe 1, point a), s’applique, en ce qui concerne l’offre directe de services de la société de l’information aux enfants, le traitement des données à caractère personnel relatives à un enfant est licite lorsque l’enfant est âgé d’au moins 16 ans. Lorsque l’enfant est âgé de moins de 16 ans, ce traitement n’est licite que si, et dans la mesure où, le consentement est donné ou autorisé par le titulaire de la responsabilité parentale à l’égard de l’enfant.

Les États membres peuvent prévoir par la loi un âge inférieur pour ces finalités pour autant que cet âge inférieur ne soit pas en-dessous de 13 ans.

Le responsable du traitement s’efforce raisonnablement de vérifier, en pareil cas, que le consentement est donné ou autorisé par le titulaire de la responsabilité parentale à l’égard de l’enfant, compte tenu des moyens technologiques disponibles ».

Avec son article 45, la LIL fixe l’âge de 15 ans à partir duquel un mineur peut consentir seul à un traitement de données à caractère personnel en ce qui concerne l’offre directe de services de la société de l’information. Il en résulte :

  • Mineur de 15 ans et plus : dispose de la capacité à consentir à un traitement de DCP en lien avec une offre directe de services liée à la société de l’information ;
  • Mineur de moins de 15 ans : partage la capacité à consentir à un traitement de DCP en lien avec une offre directe de services liée à la société de l’information.

 

III. Le constat de la CNIL

Sur son site internet[1], la CNIL indique que :

  • La navigation sur Internet sans intervention parentale est généralisée puisque 82 % des enfants de 10 à 14 ans indiquent aller régulièrement sur Internet sans leurs parents, contre 95 % pour les 15-17 ans ;
  • Les jeunes internautes se connectent de plus en plus tôt : selon la CNIL, la première inscription à un réseau social semble intervenir actuellement en moyenne vers 8 ans et demi.

Face à cela, la CNIL précise que 46 % des parents de jeunes âgés de 8 à 17 ans ont mis en place des solutions pour suivre l’activité de l’enfant sur Internet. La solution la plus utilisée est le système de contrôle parental, devant l’interdiction de parler aux inconnus.

IV. La consultation de la CNIL

Fort du constat, la CNIL a publié 8 recommandations issues d’une réflexion menée avec l’ensemble des acteurs concernés.

Les 8 recommandations de la CNIL :

1 – Encadrer la capacité d’agir des mineurs en ligne

2 – Encourager les mineurs à exercer leurs droits

3 – Accompagner les parents dans l’éducation au numérique

4 – Rechercher le consentement d’un parent pour les mineurs de moins de 15 ans

5 – Promouvoir des outils de contrôle parental respectueux de la vie privée et de l’intérêt de l’enfant

6 – Renforcer l’information et les droits des mineurs par le design

7 – Vérifier l’âge de l’enfant et l’accord des parents dans le respect de sa vie privée

8 – Prévoir des garanties spécifiques pour protéger l’intérêt de l’enfant

A titre de rappel, et comme cela est souligné par la CNIL, il n’est pas possible d’appréhender de la même manière l’autonomie, la protection, le consentement ou encore le rapport à l’autorité parentale d’un enfant de 6 ans et d’un adolescent de 16 ans.

Dans le cadre de cette brève, deux propositions seront évoquées : encadrer la capacité des mineurs d’agir en ligne et encourager les mineurs à exercer leurs droits.

 

V. La proposition de la CNIL d’encadrer la capacité des mineurs d’agir en ligne

Il existe un paradoxe à ne pas avoir reconnu une absence de « majorité numérique      globale » à 15 ans.

En effet, un mineur de plus de 15 ans peut décider seul :

  • d’accepter les cookies ;
  • d’opter pour un profil public ou privé sur un réseau social ;
  • d’activer une fonctionnalité optionnelle de géolocalisation sur une application.

Alors qu’un mineur de plus de 15 ans ne peut pas s’inscrire sur un réseau social.

Face à ce paradoxe, la CNIL a entamé une petite révolution. Elle permet dorénavant de conclure des contrats (en les qualifiant d’actes courants) ayant pour objet le traitement des données des mineurs dans le cadre de services en ligne (tels que l’inscription à un réseau social ou à un site de jeux en ligne), si et seulement si :

  • ces services sont adaptés aux publics mineurs qu’ils accueillent ;
  • ces traitements respectent strictement les règles de protection des données personnelles telles que fixées par le RGPD et la loi Informatique et Libertés (minimisation des données collectées, pour une finalité bien déterminée, une durée limitée et de manière sécurisée…) ;
  • le mineur est informé de façon claire et adaptée des conditions d’utilisation de ses données et de ses droits informatique et libertés, afin qu’il puisse comprendre le sens et la portée de son engagement ;
  • les parents disposent d’une voie de recours pour demander la suppression du compte de leur enfant s’ils l’estiment nécessaire afin de protéger son intérêt supérieur.

Aussi, il ressort de l’ensemble de ces éléments qu’il serait possible, pour un mineur, de conclure des contrats dans certaines conditions.

 

VI. La proposition de la CNIL d’encourager les mineurs à exercer leurs droits

En France, ce sont les parents (représentants légaux titulaires de l’autorité parentale) qui exercent, en principe, les droits du mineur ; les mineurs ne bénéficient pas de la capacité d’exercice de leurs droits avant leur majorité.

Face à cela, la CNIL encourage de nouveau une évolution des pratiques.

Tout d’abord, elle constate que cette évolution est induite par le RGPD et la LIL.

Ensuite, il qu’il s’agirait d’une demande formulée par les parents (sondage IFOP).

Enfin, cela s’inscrit dans l’accroissement de la protection des mineurs.

Aussi, la CNIL permet aujourd’hui aux mineurs d’exercer directement leurs droits sur leurs données personnelles lorsque cette démarche peut être regardée comme un acte courant, notamment si elle correspond à l’intérêt supérieur de l’enfant.

Cette capacité d’agir de manière autonome est sans préjudice de la possibilité pour les parents d’exercer les droits au nom de leur enfant et de l’accompagner dans cette démarche.

 

[1] https://www.cnil.fr/fr/droits-numeriques-des-mineurs-la-cnil-publie-les-resultats-du-sondage-et-de-la-consultation-publique