le 13/07/2021

Insuffisance du cadre règlementaire relatif à la lutte contre les marées d’algues vertes en Bretagne

TA Rennes, 4 juin 2021, Association Eau et rivières de Bretagne, n° 1806391

Cour des comptes, 2 juillet 2021, La politique publique de lutte contre la prolifération des algues vertes en Bretagne

 

Amenés à se prononcer sur la question de la suffisance du cadre réglementaire relatif à la lutte sont les marées d’algues vertes en Bretagne, le Juge administratif et la Cour des comptes ont tous deux considérés que les actions menées par l’Etat en Bretagne en la matière n’étaient pas satisfaisantes.

Cette politique, et la réglementation qui en découle, s’inscrivent principalement dans la lutte contre la pollution par les nitrates, la forte concentration de ceux-ci favorisant la prolifération des algues vertes.

 

1 – Tout d’abord, le Tribunal administratif de Rennes s’est, par un jugement du 4 juin 2021, prononcé sur la légalité du refus du Préfet de la Région Bretagne de modifier son arrêté du 2 août 2018 définissant le 6ème programme d’actions régional concernant la protection des eaux contre la pollution par les nitrates à partir de sources agricoles. Le programme d’action régional (PAR) est défini aux articles R. 211-80 et suivants du Code de l’environnement. Il vise à assurer la maîtrise des fertilisants azotés et la gestion adaptée des terres agricoles afin de limiter les fuites de nitrates pouvant affecter la qualité des eaux, et complète le plan d’action national en la matière.

L’association requérante avait, dans ce cadre, sollicité le Préfet afin que celui-ci modifie son 6ème plan d’action, en y intégrant notamment des mesures à caractère règlementaire permettant de réduire les fuites d’azote vers les bassins versants soumis à des marées d’algues vertes. Le Préfet de la Région Bretagne n’avait pas fait droit à cette demande, ce qui est contesté par la requérante.

La juridiction devait donc déterminer si le refus du Préfet d’inclure des mesures complémentaires au sein de son programme d’actions constituait une erreur manifeste d’appréciation de sa part.

Le Tribunal administratif relève alors que, si une amélioration de la qualité de l’eau est observée sur certains territoires bretons, celle-ci reste dégradée sur d’autres. Dès lors, le 6ème programme d’action ne pouvait, comme il l’a fait, reprendre dans l’essentiel les mesures contenues au sein du 5ème programme d’actions dès lors « qu’un renforcement des actions mises en œuvre demeure nécessaire afin de restaurer durablement la qualité de l’eau en Bretagne » et de prévenir le phénomène des marées vertes (§15). Autrement dit, eu égard à l’efficacité relative du 5ème plan d’actions, le 6ème aurait dû fixer un cadre règlementaire plus contraignant. Or, « le 6ème programme d’actions régional n’impose aucune mesure nouvelle suffisante de limitation des apports azotés sur les bassins versants concernés par les algues vertes » (§16). Le Juge se fonde notamment sur un avis de l’Agence de l’eau Loire-Bretagne qui avait indiqué que des mesures règlementaires ambitieuses étaient nécessaires pour garantir une meilleure qualité de l’eau.

En outre, le juge se prononce sur l’articulation entre la mise en œuvre de mesures contraignantes et incitatives. La juridiction relève ainsi que le programme d’actions régional renvoie, par une simple mention, au « plan de lutte contre les algues vertes » (PLAV)[1], qui est un dispositif contractuel et volontaire incitant à l’adoption de mesures non contraignantes. Or, la requérante soutient qu’« a été constaté l’échec de la mise en œuvre de tels moyens » (§17). Selon le juge, qui se fonde sur l’arrêté du 23 octobre 2013 relatif aux PAR, si les mesures incitatives existantes doivent être prises en compte lors de l’élaboration du PAR, celles-ci doivent être complétées par des mesures contraignantes lorsque les résultats qu’elles ont permis d’obtenir sont insuffisants

Le PAR ne pouvait donc énoncer seulement qu’ « en cas d’échec d’un projet de territoire, des dispositions règlementaires particulières seront prises, sur les bassins concernés », les conditions dans lesquelles des mesures supplémentaires seront adoptées étant insuffisamment précises.

La décision de refus de modifier le PAR est donc annulée, et il est enjoint au Préfet de la région Bretagne de compléter le 6ème PAR pour la durée de ce programme restant à courir (un nouveau plan d’action devant être adopté au plus tard en septembre 2022), et dans un délai 4 mois, afin de :

  • renforcer les mesures règlementaires de ce programme, afin de pallier les insuffisances constatées ;
  • définir un mécanisme d’adoption de mesures supplémentaires en cas d’insuffisance des mesures volontaires du PLAV.

 

2-  Le 2 juillet 2021, la Cour des comptes a publié un rapport extrêmement critique relatif à la politique publique de lutte contre la prolifération des algues vertes en Bretagne, dans lequel elle interroge l’efficacité des PLAV : un premier PLAV avait été mis en œuvre sur la période 2010-2015 et un second pour 2017-2021.

La Cour fait en effet le constat que :

  • Ces plans ont des objectifs mal définis et des effets incertains sur la qualité des eaux. En outre, la Cour constate une diminution de l’ambition des objectifs entre le PLAV 1 et le PLAV 2 ;
  • Les soutiens publics étaient insuffisants. La Cour indique alors que les aides versées aux agriculteurs étaient insuffisantes de même que les obligations règlementaires pour inciter les agriculteurs à changer leurs pratiques agricoles ;
  • Il existe un manque de cohérence entre ces dispositifs et d’autres politiques. Notamment, la Cour relève une faible implication des filières agro-alimentaires, le caractère inadapté de la politique foncière ainsi que la faiblesse des contrôles des élevages.

Cinq recommandations sont alors formulées, celles- ci tenant à :

  • l’extension du périmètre des actions de lutte contre les algues vertes au-delà des huit baies bretonnes concernées par les PLAV. La Cour des comptes recommande alors de recourir au dispositif des contrats territoriaux pour la mise en œuvre des Schémas d’aménagement et de gestion des eaux (SAGE) ;
  • la définition d’objectifs pouvant être évalués et leur suivi ;
  • la redéfinition de leviers incitatifs dans le cadre de la programmation de la PAC pour le changement des systèmes et pratiques agricoles ;
  • la mobilisation du foncier agricole et des filières agroalimentaires ;
  • l’adaptation et la mise en œuvre effective de la règlementation.

[1] Le PAR énonçait ainsi, en son article 8-3 critiqué par la requérante que « sur les bassins connaissant d’importantes marées vertes sur les plages […] des programmes contractuels volontaires sont actuellement développés ».