Précisions sur la détermination de la rémunération versée par l’administration dans le cas d’une reprise d’un salarié sur le fondement de l’article L. 1224-3 du Code du travail

Les besoins du service public peuvent exiger la reprise par une collectivité ou un de ses établissements publics d’une activité d’une entité économique employant des salariés.

En application de l’article L. 1224-3 du Code du travail, l’administration doit alors proposer aux salariés repris un contrat d’agent contractuel de droit public reprenant les clauses substantielles de leur contrat antérieur et en particulier celles qui concernent la rémunération, sauf si elles sont contraires aux dispositions légales ou aux conditions générales de rémunération et d’emploi de ses agents contractuels.

De jurisprudence constante ne peuvent être reprises dans le contrat de droit public proposé au salarié transféré, des clauses impliquant une rémunération dont le niveau, même corrigé de l’ancienneté, excèderait manifestement celui que prévoient les règles générales fixées, le cas échéant, pour la rémunération de ses agents non titulaires.

Pour l’application de ces dispositions, la rémunération antérieure et la rémunération proposée doivent être comparées en prenant en considération, pour leurs montants bruts, les salaires ainsi que les primes et indemnités éventuellement accordées à l’agent et liées à l’exercice normal de ses fonctions, dans le cadre de son ancien comme de son nouveau contrat.

Par un arrêt du 2 juillet 2022, le Conseil d’État est venu préciser les primes et indemnités qui doivent être prises en compte pour déterminer si la rémunération d’un agent repris en régie est équivalente à celle qu’il percevait en tant que salarié privé avant son transfert.

Il indique que « pour l’appréciation du montant de la rémunération résultant de l’ancien contrat de droit privé, le montant brut des primes accordées à l’agent et liées à l’exercice normal des fonctions comprend toutes les primes et indemnités qui, au moment de la reprise d’activité par une personne publique, lui étaient versées par son employeur à échéances régulières, y compris celles qui, à l’instar des primes d’ancienneté ou de déroulement de carrière, ne rémunèrent pas directement la prestation de travail. Pour l’appréciation du montant de la rémunération résultant du nouveau contrat de droit public, le montant brut des primes accordées à l’agent et liées à l’exercice normal des fonctions comprend toutes les primes et indemnités contractuellement prévues, qu’il s’agisse des primes fixes, comme l’indemnité de résidence, ou des primes variables que l’agent est susceptible de percevoir. S’agissant en particulier des primes variables, telles que l’indemnité d’exercice de missions des préfectures et l’indemnité d’administration et de technicité, elles doivent ainsi être prises en compte, eu égard aux modalités de leur détermination, pour leur montant de référence ou tout autre montant servant de base aux modulations individuelles, tel que ce montant est arrêté par la collectivité concernée dans le cadre du régime qui les détermine ».

La Haute Juridiction valide ainsi l’appréciation de la Cour administrative d’appel qui avait jugé qu’eu égard à leur nature de primes accordées à l’agent et liées à l’exercice normal des fonctions, les montants de l’indemnité d’exercice de missions des préfectures et de l’indemnité d’administration et de technicité, perçues par l’intéressée à compter de son recrutement par le centre communal d’action sociale, devaient être intégrés dans la rémunération résultant du nouveau contrat de droit public et qu’elle devait être regardée comme recevant une rémunération brute d’un montant équivalent à celle qu’elle percevait antérieurement dans son emploi privé.

La carence de logements en zones tendues justifie l’exclusion de l’appel à l’encontre de projets de constructions de logements collectifs dans ces zones

Par un décret en date du 24 juin 2022, les dispositions de l’actuel R. 811-1-1 du Code de justice administrative (CJA) ont été pérennisées et surtout étendues.

Pour mémoire, cet article disposait, dans sa version en vigueur depuis le 1er juillet 2001 :

« Les tribunaux administratifs statuent en premier et dernier ressort sur les recours contre les permis de construire ou de démolir un bâtiment à usage principal d’habitation ou contre les permis d’aménager un lotissement lorsque le bâtiment ou le lotissement est implanté en tout ou partie sur le territoire d’une des communes mentionnées à l’article 232 du code général des impôts et son décret d’application, à l’exception des permis afférents aux opérations d’urbanisme et d’aménagement des jeux Olympiques et Paralympiques de 2024 mentionnées au 5° de l’article R. 311-2

Les dispositions du présent article s’appliquent aux recours introduits entre le 1er décembre 2013 et le 31 décembre 2022 ».

Dans sa nouvelle version, l’article R. 811-1-1 CJA énoncera désormais :

« A l’exception des autorisations et actes afférents aux opérations d’urbanisme et d’aménagement des jeux Olympiques et Paralympiques de 2024 mentionnées au 5° de l’article R. 311-2, les tribunaux administratifs statuent en premier et dernier ressort sur les recours contre : 

1° Les permis de construire ou de démolir un bâtiment comportant plus de deux logements, les permis d’aménager un lotissement, les décisions de non-opposition à une déclaration préalable autorisant un lotissement ou les décisions portant refus de ces autorisations ou opposition à déclaration préalable lorsque le bâtiment ou le lotissement est implanté en tout ou partie sur le territoire d’une des communes mentionnées à l’article 232 du Code général des impôts et son décret d’application ;
2° Les actes de création ou de modification des zones d’aménagement concerté mentionnés aux articles
L. 311-1 et R. 311-3 du code de l’urbanisme, et l’acte approuvant le programme des équipements publics mentionné à l’article R. 311-8 du même code, lorsque la zone d’aménagement concerté à laquelle ils se rapportent porte principalement sur la réalisation de logements et qu’elle est située en tout ou partie sur le territoire d’une des communes mentionnées à l’article 232 du Code général des impôts et son décret d’application ; 

3° Les décisions suivantes, afférentes à une action ou une opération d’aménagement, au sens de l’article L. 300-1 du Code de l’urbanisme, située en tout ou partie sur le territoire d’une des communes mentionnées à l’article 232 du Code général des impôts et son décret d’application, et dans le périmètre d’une opération d’intérêt national, au sens de l’article L. 102-12 du code de l’urbanisme, ou d’une grande opération d’urbanisme, au sens de l’article L. 312-3 du même Code : 

a) L’autorisation environnementale prévue à l’article L. 181-1 du Code de l’environnement et l’arrêté portant prescriptions complémentaires en application de l’article L. 181-14 du même Code ; 

b) L’absence d’opposition à la déclaration d’installations, ouvrages, travaux et activités et l’arrêté portant prescriptions particulières mentionnés au II de l’article L. 214-3 du Code de l’environnement ;

c) La dérogation mentionnée au 4° du I de l’article L. 411-2 du Code de l’environnement et l’arrêté portant prescriptions complémentaires en application de l’article R. 411-10-2 du même Code ; 

d) Le récépissé de déclaration ou l’enregistrement d’installations mentionnés aux articles L. 512-7 ou L. 512-8 du Code de l’environnement et les arrêtés portant prescriptions complémentaires ou spéciales mentionnés aux articles L. 512-7-5 ou L. 512-12 du même Code ;

e) L’autorisation de défrichement mentionnée à l’article L. 341-3 du Code forestier

Les dispositions du présent article s’appliquent aux recours introduits entre le 1er septembre 2022 et le 31 décembre 2027 ».

Ce décret du 24 juin 2022 a donc pour objet, tout d’abord, de modifier le Code de justice administrative afin de prolonger la durée de la suppression du degré d’appel pour certains contentieux en urbanisme concernant des permis de construire, de démolir et d’aménager, lorsque le projet est situé dans une zone tendue au regard du besoin de logements, tout en la circonscrivant aux permis comportant au moins trois logements.

 

Ensuite, ce décret étend cette suppression du degré d’appel pour les contentieux relatifs :

  • Aux actes de création et d’approbation du programme des équipements publics des zones d’aménagement concerté (ZAC) portant principalement sur la réalisation de logements et qui sont situées en tout ou partie en zone tendue ;
  • A certaines décisions prises en matière environnementale relatives à des actions ou opérations d’aménagement situées en tout ou partie en zone tendue et réalisées dans le cadre des grandes opérations d’urbanisme (GOU) ou d’opération d’intérêt national (OIN), et qui ont notamment pour finalité de favoriser le développement de l’offre de logements et le renouvellement urbain.

 

Enfin, ce décret modifie les dispositions du Code de l’urbanisme qui fixent à dix mois le délai de jugement des contentieux contre les permis de construire des logements collectifs (trois logements et plus) en étendant cette règle aux refus d’autorisation d’urbanisme.

 

Pour rappel, l’article R. 600-6 du Code de l’urbanisme disposait, dans sa version applicable depuis le 19 juillet 2018 :

« Le juge statue dans un délai de dix mois sur les recours contre les permis de construire un bâtiment comportant plus de deux logements ou contre les permis d’aménager un lotissement.

La cour administrative d’appel statue dans le même délai sur les jugements rendus sur les requêtes mentionnées au premier alinéa ».

Dans sa nouvelle version, cet article énoncera désormais :

« Le juge statue dans un délai de dix mois sur les recours contre les permis de construire un bâtiment comportant plus de deux logements ou contre les permis d’aménager un lotissement ou contre les décisions refusant la délivrance de ces autorisations.

La cour administrative d’appel statue dans le même délai sur les jugements rendus sur les requêtes mentionnées au premier alinéa » .

Précisons que ces dispositions entreront en vigueur au 1er septembre 2022 et jusqu’au 31 décembre 2027.

 

 

En conclusion, il est patent que ce décret entend donner, par les biais, d’une part, de la limitation temporelle du délai de traitement de ces contentieux par les juridictions et, d’autre part, de la fermeture d’un degré juridictionnel, un coup d’accélérateur à ces projets de constructions et ainsi de tenter de pallier la carence de logements.

 

Ce décret fait écho au tome II du rapport de 2021 de la Commission pour la relance durable de la construction de logements, dite Commission Rebsamen, qui a fait le constat d’une « crise de l’offre de logements, concentrée dans les zones tendues », et a émis des propositions afin d’accélérer les procédures contentieuses, considérées comme venant ralentir les projets de construction de logements.

En particulier, l’une des propositions était justement de « pérenniser, ou a minima prolonger, les dispositions de l’article R. 811-1-1 du Code de justice administrative qui permettent au tribunal administratif de se prononcer en premier et dernier ressort dans les zones tendues au sens de la taxe sur les logements vacants. » (https://www.vie-publique.fr/sites/default/files/rapports/fichiers_joints/281590_Tome%20II.pdf)

 

Mais, si l’on comprend la finalité de ce décret, à savoir de permettre l’exécution plus rapide de projets de constructions de logements collectifs, l’on ne peut que s’émouvoir de cette fermeture – ne serait-ce que temporaire – du prétoire des cours administratives d’appels à de plus en plus de contentieux et, surtout, à de plus en plus de requérants potentiels, qui se voient donc privés d’un double degré de juridiction.

L’entretien préalable au licenciement est-il obligatoire en cas de licenciement disciplinaire d’un agent contractuel de l’Etat ?

Par un arrêt récent en date du 18 mars 2022, n° 21PA01779 la Cour administrative d’appel de Paris a jugé que le licenciement d’un agent contractuel recruté dans la fonction publique d’Etat, dès lors qu’il revêt un caractère disciplinaire, n’a pas à être précédé d’un entretien préalable.

Pour rappel l’article 47 du décret n° 86-83 du 17 janvier 1986 relatif aux dispositions générales applicables aux agents contractuels de l’Etat impose la convocation de l’agent à l’encontre duquel il est envisagé d’engager une procédure de licenciement, à un entretien préalable. Il prévoit ainsi en son alinéa 1er que « le licenciement ne peut intervenir qu’à l’issue d’un entretien préalable ».

De prime abord, la lecture de ces dispositions aurait pu amener le juge administratif à considérer qu’une décision de licenciement pour motif disciplinaire ne saurait être légalement prise si l’agent contractuel n’a pas précédemment été convoqué à un entretien préalable.

Néanmoins, telle n’est pas l’interprétation retenue par la Cour administrative d’appel de Paris qui dans l’arrêt commenté a regardé les dispositions de l’article 47 non applicables au licenciement disciplinaire de l’agent contractuel et estimé qu’en pareil cas seules les formalités prévues par l’article 44 du même décret devaient légalement être respectées :

« Si les dispositions précitées de l’article 44 du décret du 17 janvier 1986 prévoient le droit de l’agent non titulaire à l’encontre duquel une sanction disciplinaire est envisagée à la communication de l’intégralité de son dossier individuel et de tous documents annexes et à l’assistance par les défenseurs de son choix, elles ne mentionnent pas, parmi les formalités applicables à une sanction disciplinaire, l’exigence d’un entretien préalable. Celle-ci n’est prévue par l’article 47 du même décret que pour les mesures de licenciement prononcées à un titre autre que disciplinaire. Par suite, contrairement à ce que soutient le requérant, la décision attaquée n’avait pas à être précédée d’un entretien préalable ».

La Cour administrative d’appel de Paris a par cela confirmé la solution déjà dégagée par le Conseil d’Etat (dans une décision du 22 septembre 2017, n° 401364) en matière de fonction publique d’Etat, et qui avait été reprise par la suite par la Cour administrative d’appel de Lyon (12 juillet 2018, n° 16LY03879).

Précisons qu’une solution similaire avait également déjà été rendue par la Haute juridiction s’agissant des agents contractuels de la fonction publique hospitalière, sur le fondement du décret n° 91-155 du 6 février 1991 (Conseil d’Etat, 3 novembre 1999, n° 185474).

Cette solution jurisprudentielle, qui n’est donc pas inédite mais mérite d’être rappelée tant elle est surprenante s’explique par le fait que les dispositions relatives à l’entretien préalable figurent dans la partie du décret du 17 janvier 1986 relative à la fin du contrat et au licenciement (titre XI) et non dans celle qui traite exhaustivement de la procédure disciplinaire (titre X).

C’est donc le positionnement de l’article 47 au sein du décret qui justifie selon la jurisprudence administrative précitée, que la formalité de l’entretien préalable ne s’impose pas dans le cadre d’un licenciement pour motif disciplinaire.

Reste que les employeurs relevant de la fonction publique d’Etat ont néanmoins toujours la faculté de procéder à un entretien préalable lorsqu’ils envisagent de procéder à un licenciement disciplinaire d’un agent contractuel, mais ils seront alors tenus de respecter l’ensemble des formalités et règles procédurales afférentes à cet entretien préalable.

Indemnités des élus : précisions sur les modalités de calcul de l’enveloppe indemnitaire globale

Par une décision en date du 1er juillet 2022, le Conseil d’Etat a précisé les modalités de calcul de l’enveloppe indemnitaire globale applicable pour le calcul des indemnités des élus municipaux.

La Haute juridiction avait déjà précisé, dans une décision du 24 juillet 2019, qu’il résulte des articles L. 2123-20, L. 2123-20-1, L. 2123-22, L. 2123-23, L. 2123-24, L. 2123-24-1 et R. 2123-23 du Code général des collectivités territoriales (CGCT) que, dans les communes de moins de 100.000 habitants, lorsque le conseil municipal décide d’attribuer des indemnités à des conseillers municipaux pour l’exercice effectif de leurs fonctions ou à raison d’une délégation du maire – indemnités qui ne sont pas de droit –, la somme des indemnités fixées pour le maire, les adjoints et les conseillers municipaux concernés, avant majoration éventuelle des indemnités attribuées au maire et aux adjoints, ne doit pas excéder le plafond mentionné au II de l’article L. 2123-24, constitué du montant total des indemnités maximales, hors majoration, susceptibles d’être allouées au maire et aux adjoints, telles que mentionnées à l’article L. 2123-23 et au I de l’article L. 2123-24 (CE, 24 juillet 2019, Commune de La Chapelle Saint-Luc, n° 411004).

Dans sa décision du 1er juillet, le Conseil d’Etat a ajouté que le nombre d’adjoints devant être pris en compte dans le calcul du plafond, d’une part, correspond au nombre d’adjoints exerçant effectivement leurs fonctions et non au nombre d’adjoints désignés en début de mandat en application de l’article L. 2122-2 du CGCT et, d’autre part, ne peut inclure de conseillers municipaux, fussent-ils délégataires de fonctions précédemment exercées par un adjoint au maire.

 

Agathe Delescluse, avocate et Julia-Carla Foltzer, élève avocate

Caractère onéreux d’un service d’ordre excédant les obligations normales incombant à la puissance publique assuré par les forces de police ou de gendarmerie pour un événement privé

Le Conseil d’Etat a récemment pu se prononcer sur le caractère onéreux d’un service d’ordre excédant les obligations normales incombant à la puissance publique assuré par les forces de l’ordre pour un évènement privé.

L’association Moto-club de Nevers avait organisé un championnat du monde moto « superbike » sur un circuit. Elle a reçu, par la suite, une facture émise par la direction générale de la gendarmerie nationale relative au service d’ordre assuré lors de cette manifestation. La demande d’annulation du titre de perception a fait l’objet d’un pourvoi en cassation.

Pour rappel, l’article L. 211-1 du Code de la décuité intérieure (CSI) dispose que :

« Les organisateurs de manifestations sportives, récréatives ou culturelles à but lucratif peuvent être tenus d’y assurer un service d’ordre lorsque leur objet ou leur importance le justifie.

Les personnes physiques ou morales pour le compte desquelles sont mis en place par les forces de police ou de gendarmerie des services d’ordre qui ne peuvent être rattachés aux obligations normales incombant à la puissance publique en matière de maintien de l’ordre sont tenues de rembourser à l’Etat les dépenses supplémentaires qu’il a supportées dans leur intérêt. […] ».

L‘association faisait valoir que l’absence de caractère lucratif de la manifestation organisée faisait obstacle à ce que soient mis à sa charge les frais occasionnés par les missions de service d’ordre exécutées par les forces de gendarmerie à l’occasion de cet événement, directement imputables à celui-ci et excédant les obligations normales incombant à la puissance publique.

Le Conseil d’Etat a néanmoins décorrélé l’application des deux alinéas précités de l’article L. 211-1 du CSI en précisant que :

« Il résulte du premier alinéa de cet article que seuls les organisateurs de manifestations sportives, récréatives ou culturelles à but lucratif sont susceptibles de se voir imposer par l’autorité compétente de l’Etat la tenue d’un tel service d’ordre. En revanche, il résulte du second alinéa que toute personne physique ou morale pour le compte de laquelle un tel service d’ordre est assuré par les services de police ou de gendarmerie est tenue de rembourser à l’Etat les dépenses correspondantes ».

Ainsi, l’absence de caractère lucratif de la manifestation organisée par l’association ne permet pas de bénéficier d’un service d’ordre à titre gratuit.

Pour être complet, on relèvera que l’article L. 211-1 du CSI a récemment été jugé conforme à l’article 13 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen relatif à l’égalité devant les charges publiques dès lors qu’il ne prévoit pas d’obligation, pour les personnes physiques ou morales qu’il mentionne, de confier aux forces de police ou de gendarmerie les services d’ordre qu’elles mettent en place pour leurs propres besoins et ne prévoit, lorsqu’elles décident d’y avoir recours, le remboursement à l’Etat que des « seules dépenses correspondant aux missions qui, exercées dans leur intérêt, excèdent les besoins normaux de sécurité auxquels la collectivité est tenue de pourvoir dans l’intérêt général »(CE, 16 mars 2021, n° 448010, Société d’exploitation de l’Arena, Lebon).

Ensuite, après avoir rappelé les articles 2 et 4 du décret n° 97-199 du 5 mars 1997 relatif au remboursement de certaines dépenses supportées par les forces de police et de gendarmerie, qui prévoient la conclusion préalable d’une convention entre les forces de l’ordre et le bénéficiaire des prestations afin de fixer les conditions techniques et financières du concours ainsi apporté, le Conseil d’Etat rajoute que l’absence de signature d’une telle convention ne fait pas obstacle à ce que soient mis à la charge de l’organisateur de la manifestation les frais occasionnés par les missions de service d’ordre exécutées par les forces de police ou de gendarmerie.

Agathe Delescluse, avocate et Julia-Carla Foltzer, élève avocate

Transparence de la vie publique : entrée en vigueur de l’extension du répertoire des représentants d’intérêts au 1er juillet 2022

Le répertoire des représentants d’intérêts, créé par la loi Sapin 2 (loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique) et en vigueur depuis le 1er juillet 2017, assure l’information des citoyens sur les relations entre les représentants d’intérêts et les pouvoirs publics.

En somme, les lobbies doivent s’inscrire sur un répertoire tenu par la Haute Autorité pour la Transparence de la Vie Publique (HATVP) et préciser avec quels responsables publics ils ont été en contact.

La liste des responsables publics visés par les actions de communication devant être répertoriées a été élargie au 1er juillet 2022, et notamment aux élus locaux (article 25 IV de la loi Sapin 2).

Plus précisément, sont désormais concernés les présidents, vice-présidents ou conseillers délégués des conseils régionaux, départementaux, ainsi que des EPCI à fiscalité propre de plus de 100.000 habitants, les maires, adjoints ou conseillers délégués des communes de plus de 100.000 habitants, ainsi que leurs membres de cabinet (article 18-2 6° de la loi n° 2013-907 du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique).

Sur ce point, on relèvera que le législateur a, dans le cadre de la loi 3DS (loi n° 2022-217 du 21 février 2022 relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l’action publique locale), et conformément à une recommandation émise par la HATVP dans son rapport sur l’encadrement de la représentation d’intérêts, réduit le nombre de collectivités territoriales initialement concernées.

En effet, le seuil de 100.000 habitants susmentionné pour les communes et EPCI à fiscalité propre était auparavant fixé à 20 000 habitants, ce qui aurait eu pour effet d’accroître significativement les actions de lobbying devant être déclarées. Il s’agissait ainsi de simplifier la mise en pratique de cette mesure (42 communes et 127 EPCI sont concernés, contre 468 communes et 1.011 EPCI auparavant).

La liste des décideurs publics a également été élargie à de nouveaux agents publics. Il s’agit de ceux qui sont concernés par l’obligation de transmission d’une déclaration de situation patrimoniale (article 18-2 7 de la loi du 11 octobre 2013 ; pour la liste exhaustive v. le décret n° 2016-1968 du 28 décembre 2016).

S’agissant de la fonction publique territoriale, sont notamment concernés les directeurs généraux des services des régions, des départements ainsi que des communes et EPCI à fiscalité propre de plus de 150.000 habitants, de même que les DGS des EPCI à fiscalité propre et des syndicats mixtes ouverts restreints assimilés à une commune de plus de 150.000 habitants (article 3 du décret du 28 décembre 2016).

Ainsi, concrètement, au 1er juillet 2022, les représentants d’intérêts inscrits au répertoire devront commencer à recenser les entrées en communication qu’ils réalisent auprès des responsables publics qui entrent dans le champ de l’extension.

En outre, certaines entités qui n’étaient pas considérées comme des représentants d’intérêts jusqu’à présent devront s’inscrire au répertoire si elles remplissent les critères d’identification d’un représentant d’intérêts.

Intangibilité du décompte général et définitif : rappels et actualités des enjeux

Selon le considérant de principe, consacré à de multiples reprises par le juge administratif : « l’ensemble des opérations auxquelles donne lieu l’exécution d’un marché de travaux publics est compris dans un compte, dont aucun élément ne peut être isolé, et dont seul le solde arrêté lors de l’établissement du compte définitif détermine les droits et obligations définitifs des parties »[1].

Le décompte général définitif n’est autre que le document par lequel les cocontractants viennent définitivement clore le marché, sur le plan financier. Cette phase ultime de la relation contractuelle fige les droits et obligations des parties et revêt un enjeu crucial, en raison du caractère intangible du décompte définitif. Le caractère intangible du document, qui limite considérablement les possibilités de remise en compte de celui-ci après acceptation, justifie donc la mobilisation d’une vigilance toute particulière des parties au marché lors de son établissement.

 

Le caractère intangible du décompte général définitif.

Le décompte général, qui par principe est présenté par l’acheteur public au titulaire du marché, est accepté implicitement ou expressément par ce dernier. Lorsque l’acheteur public, après acceptation de son titulaire, arrête le décompte général ce dernier récapitule notamment les acomptes et le solde du marché. Le décompte acquiert, par suite, son caractère définitif du fait de sa régulière notification et de sa signature.

C’est précisément ce caractère définitif qui lui confère son intangibilité.

Cette intangibilité implique l’absence de modification du décompte définitif. En effet, seul un commun accord entre les parties permet de modifier le contenu de ce document, et ceci à supposer que ladite modification soit justifiée par un motif légitime[2]. En principe, sont également admis comme motif de modification, l’existence d’un dol ou de manœuvres frauduleuses[3]. Cependant, une telle situation reste très rarement admise dans la jurisprudence, et demeure donc anecdotique.

L’intangibilité du décompte a pour principale conséquence de rendre toute contestation impossible.

Ainsi, et en toute logique, le titulaire du contrat ne pourra plus contester le bienfondé d’une créance qui est l’objet d’un titre exécutoire régulièrement émis et résultant du décompte du marché[4].

Toutes les omissions qui auraient été faite à l’occasion de l’établissement du décompte ne pourront plus donner lieu à reconnaissance. Dans cette perspective, l’omission d’appliquer la clause de révision des prix est regardée comme un abandon de créance[5]. De même, le décompte général définitif ne peut être remis en cause en cas d’omission de pénalités.

L’émission d’un titre exécutoire en parallèle du décompte définitif ne saurait pallier les oublis. En effet, même à supposer qu’un titre de recette, portant la référence du décompte général du marché et relatif à des travaux de reprise, ait été émis, le maître d’ouvrage ne peut déduire une somme au titre desdits travaux de reprises du solde dû au titulaire dans la mesure ou ni les travaux de reprises ni leurs coûts n’ont été inscrits au décompte général signé par lui-même.[6]

Face à ce caractère définitif du décompte, un réflexe incontournable consiste à faire état, en son sein, des réserves qui ont été émises lors de la réception et qui n’ont pas été levées. En effet, si le maître d’ouvrage renonçait à faire état de telles réserves, le caractère définitif du décompte aurait pour effet de lui interdire toute réclamation des sommes qui correspondraient à ces réserves. Sur ce point, le Conseil d’Etat a récemment apporté d’utiles précisions en estimant que les réserves mentionnées au décompte pouvaient être chiffrées ou non et qu’en cas de mention des réserves dans le décompte sans chiffrage celui-ci ne devenait définitif que sur les éléments qui n’auraient pas l’objet de réserves. En revanche, lorsque le maître d’ouvrage chiffre le montant desdites réserves dans le décompte, et que celles-ci n’auraient pas fait l’objet d’une réclamation par le titulaire, le décompte devient définitif dans sa totalité et les sommes correspondant à ces réserves pourront être déduites du solde du marché dans l’hypothèse ou les travaux permettant la levée des réserves n’auraient pas été effectués[7].

Enfin, soulignons que si le caractère définitif est applicable au titulaire du marché il l’est également aux sous-traitants de ce dernier. Par suite, même si le sous-traitant est titulaire d’une créance à l’encontre du maître de l’ouvrage ce dernier ne peut valablement en réclamer le paiement, au titre du paiement direct, des lors que ladite créance n’apparait pas au décompte et que celui-ci a été notifié au titulaire par le maître d’ouvrage[8].

 

Les conséquences de l’intangibilité du décompte général définitif sur la mise en jeu de la responsabilité contractuelle du cocontractant.

Si le maître d’ouvrage estime que la responsabilité de son cocontractant est susceptible d’être engagée, il doit impérativement sursoir à l’établissement du décompte jusqu’à ce que sa créance y figure ou assortir le décompte de toutes les réserves utiles. En effet, en l’absence de telles précautions l’intangibilité du décompte risque de faire obstacle à ce que la responsabilité contractuelle du cocontractant soit engagée.

Une telle solution apparait logique dans la mesure ou le décompte retrace l’intégralité des dettes et des créances nées de l’exécution du marché. Or, une fois arrêté, le décompte met définitivement fin aux droits et obligations des parties entres elles et fait en principe obstacle à ce que à ce que soit mis en cause la responsabilité contractuelle.

Par conséquent, les collectivités locales sont recevables à demander la condamnation du titulaire du marché au paiement de dommage et intérêt, à raison de manquement dans l’exécution du contrat, en amont de l’établissement du décompte définitif [9]. Selon les termes du juge administratif, le maitre d’ouvrage peut ainsi demander à son cocontractant : « réparation sur un terrain contractuel, des conséquences financières de l’exécution des travaux […] au nombre desquels figurent notamment les coûts nés des retards et des travaux supplémentaires ».[10]

Une telle solution a récemment été réaffirmée, et ce avec d’autant plus de force qu’il s’agissait pour le juge administratif de se prononcer sur la responsabilité contractuelle du titulaire après que la résiliation du contrat ait été prononcée aux frais et risques de ce dernier.

En effet, le juge précise qu’en cas de résiliation, bien que la responsabilité des cocontractants ne puisse plus être engagée pour l’avenir, ces derniers doivent néanmoins répondre de leurs actes antérieurs tant qu’aucun décompte général et définitif de résiliation n’a été accepté par les parties. Dans cette espèce, la collectivité publique était donc fondée à demander au juge du contrat la condamnation de son cocontractant à des dommages et intérêts alors même que la résiliation du contrat avait été prononcée[11].

Cependant, il convient d’apporter deux tempéraments à ces propos :

  • D’une part, en ce qui concerne l’action en responsabilité au titre de la garantie de parfait achèvement. Pour sa part, une telle action, à supposer qu’elle ait bien été prévue au contrat, reste possible et ce malgré l’intervention du décompte définitif. Cependant, l’engagement de cette responsabilité restera conditionné au fait que la personne publique n’ait pas eu connaissance du litige avant d’établir le décompte général et qu’elle ne l’ait pas assorti de réserve sur ce point[12];
  • D’autre part, le maître d’ouvrage peut réclamer au titulaire du marché des sommes dont il n’a pas fait état dans le décompte si le titulaire à lui-même émis des réserves sur une partie des sommes inscrites au décompte général et qu’il existe un lien entre les sommes réclamées par le maître d’ouvrage et celles à l’égard desquelles le titulaire a émis des réserves.[13]

 

Eviter les écueils lors de la procédure l’adoption du décompte général définitif.

Au regard des nombreuses conséquences qu’emportent le décompte général définitif, il est recommandé d’adopter une attitude de vigilance au moment de l’élaboration de ce document.

Ainsi, une attention toute particulière doit donc être portée aux délais prévus par la procédure d’adoption du décompte définitif, que celle-ci soit prévue par le CCAG ou le CCAP. A ce titre, il a pu être jugé que l’opposition expresse de l’acheteur public antérieurement à la notification du projet de décompte final et au mémoire en réclamation qui l’accompagnait ne pouvait empêcher l’intervention tacite du décompte général définitif en l’absence de décompte général adressé dans le délai imparti par ses soins[14].

Par ailleurs, en l’absence de réponse du pouvoir adjudicateur dans le délai prescrit, le titulaire du marché peut se prévaloir d’un décompte général et définitif tacite, et ce indépendamment du fait que les parties aient signé un avenant au marché ayant eu pour effet de prolonger le délai d’exécution des travaux des lorsque cet avenant n’avait pas pour objet de déroger aux stipulations du CCAG concernant l’adoption du décompte définitif[15].

Également, un autre point d’attention consiste à ne pas considérer que la réception des travaux avec réserve fasse obstacle au déclenchement des délais donnant naissance à un décompte tacite[16]. A ce titre, il faudra d’ailleurs veiller à maîtriser la distinction entre les notions de « réceptions avec réserves » et « réceptions sous réserve » dans la mesure où ces dernières entrainent des conséquences distinctes. En effet, si le titulaire du marché dispose bien d’un délai de trente jours à compter de la notification du procès-verbal de réception des travaux avec réserves pour adresser au maître d’ouvrage, avec copie au maître d’œuvre, le projet de décompte final, dans le cadre de la réception sous réserve, il ne peut en revanche se prévaloir du même délai pour transmettre lesdits documents qu’à partir de la date du procès-verbal de levée des réserves[17].

Enfin, en ce qui concerne le titulaire, le défaut de réclamation régulière de ce dernier entrainera l’adoption définitive du décompte. Le titulaire devra donc rester rigoureux dans l’établissement du contenu de cette réclamation préalable dans la mesure où son contenu cristallisera, le cas échéant, sa demande contentieuse devant le juge administratif[18]. Cependant, le Conseil d’Etat a récemment estimé que le titulaire qui ne s’était pas conformé à son obligation de dresser le projet de décompte final conservait tout de même la possibilité de former une réclamation contre le décompte général établi d’office par le maître d’ouvrage, dans un délai de quarante-cinq jours[19].

Léa GIRARD

 

[1] CE, 8 décembre 1961, Société Nouvelle Compagnie générale des travaux ; CE, 20 mars 2013, Centre Hospitalier de Versailles n° 357636

[2] CE, 13 juillet 1961, Compagnie havraise de navigation à vapeur ; CAA Lyon, 4 juillet 2013, Société BRB Construction, n° 12LY02398

[3] CE, Section, 22 octobre 1965, Commune de Saint-Lary, n° 58876

[4] CAA Lyon, 31 janvier 2013, Société Axe Isolation, n° 12LY00172

[5] CAA Douai, 2 avril 2020, Société ICP, n° 18DA01228

[6] CAA Douai, 1er février 2022, n° 20DA00174

[7]  CE, 28 mars 2022, Commune de Sainte-Flaive-des-Loups, n° 450477

[8] CE, 2 décembre 2019, Société FIDES, n° 425204 ; CAA Marseille, 15 juin 2020, n° 18MA02292

[9] CAA Paris, 21 mai 2021, n° 20PA02305

[10] CE, 6 avril 2007, Centre hospitalier général Boulogne-sur-Mer, n° 264490

[11] CAA Nantes, 11 mars 2022, n° 21NT01481

[12] CE, 6 mai 2019, Société Icade Production, n° 420765

[13] CE, 6 novembre 2013, Région Auvergne, n° 361837

[14] CAA Nantes, 30 mars 2020, Communauté d’agglomération du Pays de Dreux, n° 19NT03454

[15] CE, 25 janvier 2019, Société Self Saint-Pierre-et-Miquelon, n° 423331

[16] CAA Versailles, 27 février 2020, Société Ateliers Bois, n° 19VE01401

[17] CAA Bordeaux, 1er juin 2022, n° 22BX00102

[18] CAA Nantes, 14 novembre 1991, SEM du Centre de la France, n° 89NT00283

[19] CE, 19 mai 2022, Société Eiffage travaux publics Nord et autres c/ SIMOUV, n° 455134

Questionnements autour de l’ordonnance de référé du Conseil d’Etat sur le règlement intérieur des piscines municipales de Grenoble (port du burkini)

Le Conseil d’Etat s’est prononcé par une ordonnance en date du 21 juin 2022 prise dans le cadre du « déféré laïcité », introduit par la loi du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République et prévu au cinquième alinéa de l’article L. 2131-6 du CGCT, sur le règlement intérieur des piscines municipales de la Commune de Grenoble modifié le 16 mai dernier par le conseil municipal (CE, 21 juin 2022, Commune de Grenoble, n° 464648).

La disposition en litige portait sur la règlementation des tenues de bain et permettait, à la suite de sa modification, le port d’un burkini, cette tenue de baignade couvrant entièrement le corps à l’exception du visage, des mains et des pieds. Les tenues devaient en effet seulement être « faites d’un tissu spécifiquement conçu pour la baignade » et « ajustées près du corps », alors qu’étaient uniquement interdites « les tenues non près du corps plus longues que la mi-cuisse » (le burkini étant notamment composé d’une tunique descendant à mi-cuisses et ressemblant, pour le reste, à une combinaison de bain).

Cette disposition avait été suspendue par le Tribunal administratif de Grenoble le 25 mai 2022 à la demande du Préfet de l’Isère et la Commune avait interjeté appel devant le Conseil d’Etat.

Ce dernier a d’abord rappelé que le gestionnaire d’un service public n’est pas, en principe, tenu de prendre en compte les convictions religieuses des usagers lorsqu’il définit ou redéfinit les règles d’organisation et de fonctionnement de ce service, mais qu’il lui est loisible de le faire, dès lors que les principes de laïcité et de neutralité du service public n’y font pas obstacle, par eux-mêmes (v. en ce sens, s’agissant du service public de la restauration scolaire : CE, 11 décembre 2020, Commune de Châlons-sur-Saône, n° 426483).

Dans une telle hypothèse, il est précisé que le gestionnaire du service public doit alors veiller à ce que les adaptations ne portent pas atteinte à l’ordre public ni ne nuisent au bon fonctionnement du service, ce qui est parfaitement cohérent.

Le Conseil d’Etat précise ensuite que le bon fonctionnement d’un service public peut être affecté « notamment en ce que, par leur caractère fortement dérogatoire par rapport aux règles de droit commun et sans réelle justification, [les adaptations] rendraient plus difficile le respect de ces règles par les usagers ne bénéficiant pas de la dérogation ou se traduiraient par une rupture caractérisée de l’égalité de traitement des usagers, et donc méconnaîtraient l’obligation de neutralité du service public ».

Ce considérant de principe, c’est-à-dire de portée générale et transposable à de multiples hypothèses, est source d’interrogations et méritera d’être explicité, en doctrine et par des applications jurisprudentielles ultérieures.

La notion de justification « réelle » tout d’abord risque de remettre en cause le principe énuméré plus haut, selon lequel il est possible de tenir compte des convictions religieuses des usagers. En effet, en dehors du motif tiré de cette prise en compte, il n’y aura probablement pas de justification « réelle » à la dérogation.

Ensuite, la première hypothèse est difficile à cerner. Dans quels cas faut-il en effet considérer que les adaptations susceptibles d’être prévues afin de permettre à des usagers d’accéder aux services publics tout en respectant leurs convictions religieuses pourraient rendre « difficile » le respect des règles de droit commun, c’est-à-dire applicables au reste des usagers ? La difficulté évoquée correspond-t-elle à une difficulté pratique ou à l’illégitimité de la règle de droit commun au vu de la dérogation envisagée ?

S’agissant de la seconde hypothèse, on comprend mal en quoi les adaptations pourraient introduire une rupture caractérisée de l’égalité de traitement des usagers, sauf à ce qu’un droit réellement dérogatoire soit expressément, voire implicitement, réservé à une catégorie d’usagers en raison de leur religion. Ce serait par exemple le cas si la distribution de repas végétariens dans les cantines scolaires était réservée aux seuls enfants de confession juive ou musulmane, à l’exclusion des enfants végétariens en raison des convictions environnementales ou animalistes de leurs parents. Mais une telle réglementation relève davantage de la fiction.

L’application de ce considérant de principe au cas d’espèce interroge également.

Le Conseil d’Etat affirme en effet que l’adaptation de la tenue de bain décidée par la Commune de Grenoble, est « fortement dérogatoire à la règle commune » et « sans réelle justification ». Il en conclut « qu’elle est de nature à affecter tant le respect par les autres usagers de règles de droit commun trop différentes, et ainsi le bon fonctionnement du service public, que l’égalité de traitement des usagers ».

D’un point de vue strictement juridique, les présents développements n’ayant pas vocation à débattre du caractère positif ou négatif de l’accès aux piscines municipales de femmes revêtues d’un burkini, il semble possible de s’étonner des conclusions du juge des référés de la Haute juridiction, réuni pour l’occasion en formation collégiale.

En effet, on voit mal où est la dérogation forte au droit commun, le burkini étant fait d’un tissu spécifiquement conçu pour la baignade et étant près du corps, à l’exception de la tunique.

A cet égard, on relèvera que la règle tenant au port d’une tenue de bain près du corps est justifiée par des considérations d’hygiène et de sécurité, qui sont des composantes de l’ordre public.

Or ce n’est pas sur ce terrain qu’est allé le Conseil d’Etat, qui avait en outre déjà jugé que le port d’un burkini sur la plage n’était pas de nature à porter atteinte à l’ordre public (CE, 26 août 2016, n° 402742).

La conclusion selon laquelle la règle ainsi posée est de nature à affecter le respect du droit commun par les autres usagers laisse également perplexe car, précisément, le règlement intérieur voté était assez libéral et permettait également, par exemple, le topless pour les femmes ou le port d’un cuissard de bain pour un homme (pourvu qu’il soit près du corps).

Quant à la rupture d’égalité de traitement, les mêmes règles étant applicables à tous, on ne l’identifie aucunement.

Pour finir, on relèvera que, selon les règles du « déféré laïcité », l’acte attaqué doit « porter gravement atteinte aux principes de laïcité et de neutralité ». Or le Conseil d’Etat n’a pas consacré de développements spécifiques à la qualification de l’atteinte qu’il identifie, de sorte que la seule existence de celle-ci semble suffire pour conclure à sa gravité.

Outre l’avis des commentateurs et les jurisprudences internes futures, une décision sur ce point de la CEDH serait intéressante.

A cet égard, il convient de relever que la CEDH a récemment été saisie d’une requête dirigée contre la Belgique portant sur l’interdiction faite aux requérantes, deux femmes de confession musulmane, sur le fondement du règlement de police de la Ville d’Anvers, d’accéder à une piscine de la ville, revêtues d’un maillot de bain intégral (Requête n°54795/21, Cour Européenne des Droits de l’Homme).

Décision n° 01-40-20 du Comité de règlement des différends et des sanctions de la Commission de régulation de l’énergie en date du 19 mai 2022 portant sanction à l’encontre de la société Engie

La société Engie a été condamnée à une sanction pécuniaire de 80.000 euros pour violation de l’article 3 du Règlement (UE) n° 1227/2011 du Parlement européen et du Conseil du 25 octobre 2011 concernant l’intégrité et la transparence du marché de gros de l’énergie.

Il était reproché à Engie d’avoir réalisé des transactions par utilisation d’une information privilégiée portant sur la disponibilité et la capacité de production de la centrale de production de Combigolfe.

Le CoRDiS relève que « compte tenu de l’importance de la centrale et de son rôle dans l’équilibre offre-demande et a fortiori dans le contexte extrêmement tendu de la demande d’un lundi en saison hivernale […], l’annonce de la prolongation de l’arrêt d’une centrale ayant la capacité importante de Combigolfe et la position fortement acheteuse d’Engie sur le marché infra-journalier qui en découle, sont sans nul doute susceptibles d’influencer à la hausse les prix infra-journaliers de l’électricité ».

Le CoRDiS estime ainsi que la détention de cette information était susceptible d’influencer de façon sensible les prix des produits énergétiques de gros en cause, conduisant à la sanction prononcée.

Décision n° 08-38-22 du Comité de règlement des différends et des sanctions de la Commission de régulation de l’énergie en date du 16 juin 2022 sur le différend qui oppose la société SELFEE à la société PRIMEO ENERGIE (mesures conservatoires)

La société Selfee, fournisseur, s’apprêtait à candidater à l’attribution d’un marché de fourniture d’électricité lancé par une communauté d’agglomération.

Pour que son offre soit recevable, la société Selfee devait produire des éléments concernant l’état de sa contractualisation avec les gestionnaires de réseaux de distribution (GRD).

La société Selfee avait donc sollicité le distributeur Primeo Energie pour conclure les contrats nécessaires mais n’y est pas parvenu, la société PRIMEO ENERGIE lui ayant indiqué des délais non compatibles avec la réponse à l’appel d’offres susvisé.

La société Selfee a donc saisi le Comité de Règlement des Différends et des Sanctions (CoRDiS) d’une demande de mesures conservatoires.

Le CoRDiS rappelle les conditions de recevabilité d’une demande de mesures conservatoires, qui est subordonnées à « une appréciation de l’immédiateté et de la gravité de l’atteinte aux règles qui régissent l’accès ou l’utilisation des réseaux, ouvrages et installations mentionnés à l’article L. 134-19 du Code de l’énergie, caractérisant une situation d’urgence qui justifie, sans attendre l’examen au fond de la demande de règlement de différend qui intervient en principe dans un délai de deux mois, que des mesures conservatoires soient prises afin de remédier à cette atteinte »

En l’espèce, le CoRDiS relève que les conditions de recevabilité requises pour le saisir sont ici remplies dès lors que :

  • la participation du fournisseur à la consultation est conditionnée à la production d’un mémoire technique exposant l’état des relations avec le gestionnaire de réseaux publics de distribution d’électricité PRIMEO ENERGIE notamment en vue de la conclusion des contrats dits GRD-RE, GRD-F et GRD AO ;
  • même si le différend ne concerne qu’un accès potentiel au réseau, ne pouvant en effet devenir définitif qu’en cas d’attribution du marché au fournisseur, il est relatif à la conclusion d’un des contrats mentionnés à l’article L. 111-92 du Code de l’énergie, susvisés ;
  • le défaut de signature de ces contrats serait susceptible de constituer une atteinte grave aux conditions d’accès aux réseaux ;
  • enfin, l’atteinte est également immédiate dans la mesure où cela affecte la recevabilité des offres présentées par la société Selfee et peut donc entraîner son exclusion.

Outre le fait que le CoRDiS estime que la demanderesse est en droit d’obtenir de la société PRIMEO ENERGIE les éléments nécessaires à la recevabilité de son offre, dans les faits, la société PRIMEO ENERGIE s’est engagée devant le CoRDiS à transmettre les éléments sollicités. Le CoRDiS en prend acte et autorise la requérante à se prévaloir de la présente décision auprès de la communauté d’agglomération au titre de la procédure de passation du marché d’achat d’électricité en cause.

Evolutions de plusieurs tarifs non péréqués d’utilisation des réseaux de distribution publique de gaz naturel

Délibération n° 2022-153 du 2 juin 2022 portant décision sur l’évolution des grilles tarifaires des tarifs non péréqués d’utilisation des réseaux de distribution de gaz naturel au 1er juillet 2022

Par deux délibérations en date du 2 juin dernier, la Commission de Régulation de l’Energie (CRE) a fixé les tarifs non péréqués d’accès des tiers à plusieurs réseaux publics de distribution de gaz naturel (ATRD).

Ces tarifs sont ceux pratiqués sur des réseaux de distribution publique de gaz naturel relevant du périmètre de contrats de concession attribués après mise en concurrence, et ne relevant donc pas du périmètre de desserte historique de GRDF (art. L. 432-6 du Code de l’énergie). En effet, pour ces nouveaux réseaux, le principe est celui de l’absence de péréquation tarifaire (art. L. 452-1-1 du Code de l’énergie) et de la détermination d’un tarif propre à chacun.

C’est néanmoins la CRE qui fixe les méthodes utilisées pour établir les tarifs de ces nouveaux réseaux (art. L. 452-2 du Code de l’énergie) et délibère sur « les évolutions tarifaires […] avec, le cas échéant, les modifications de niveau et de structure des tarifs qu’elle estime justifiées au vu notamment de l’analyse de la comptabilité des opérateurs et de l’évolution prévisible des charges de fonctionnement et d’investissement » (art. L. 452-3 du Code de l’énergie).

De plus, pour faciliter la comparaison des offres des gestionnaires de réseaux de distribution (GRD) par les autorités concédantes et simplifier les relations entre GRD et fournisseurs, il résulte de la délibération de la CRE n° 2018-028 du 7 février 2018 que les tarifs d’accès des tiers aux réseaux de distribution non péréqués sont exprimés sous la forme d’un coefficient de niveau tarifaire (dit « coefficient NIV »). Pour chaque tarif ATRD non péréqué, les termes de la grille tarifaire en vigueur résultent de l’application du coefficient NIV en vigueur pour ce nouveau réseau, à la grille du tarif ATRD péréqué de GRDF en vigueur à la même date (c’est-à-dire le tarif ATRD applicable sur la zone de desserte exclusive de GRDF).

Les tarifs non péréqués d’utilisation des réseaux publics de distribution de gaz naturel concédés à Antargaz, Caléo, Energis, Gaz de Barr, Gédia, GRDF, GreenAlp, R-GDS, Régaz-Bordeaux Séolis, SICAE de la Somme et du Cambraisis, Sorégies et Trois Frontières Distribution Gaz sont définis par des arrêtés approuvant les propositions tarifaires de la CRE ou, depuis 2011, par des délibérations de la CRE portant décision sur ces tarifs. Les arrêtés et les délibérations fixant les tarifs de ces concessions précisent les formules d’évolution automatique annuelle des tarifs correspondants.

Ceci rappelé, la première délibération de la CRE n° 2022-153 du 2 juin 2022 ici commentée a fait évoluer mécaniquement, au 1er juillet 2022, les grilles tarifaires des tarifs ATRD non péréqués en définissant les coefficients NIV spécifiques à chaque tarif non péréqué.

Les évolutions ainsi actées et entrant en vigueur le 1er juillet 2022 sont variables puisque, si pour les usagers de l’un des GRD, les tarifs baissent de 4,09 %, les autres voient leurs tarifs augmenter de manière assez disparate (0,43 % pour la plus faible hausse et 6, 59 % pour la plus importante).

En outre, les ATRD comportent une autre composante correspondant à un terme dit « Rf » correspondant aux contreparties financières versées aux fournisseurs pour rémunérer la gestion de clientèle effectuée par ces derniers pour le compte des GRD de gaz naturel. Ce terme augmente de 93,48 € par an pour certaines options tarifaires et de 8,28 € pour les autres.

Par la seconde délibération de la CRE n° 2022-154 du 2 juin 2022 portant sur onze tarifs non péréqués d’utilisation des réseaux publics de distribution de gaz naturel concédés à GRDF, la CRE a fixé de nouveaux tarifs pour 11 réseaux de distribution de gaz naturel en prévision du déploiement des compteurs évolués Gazpar.

On rappellera en effet que les GRD de gaz naturel se voient confier la mise en place « des dispositifs de comptage interopérables », c’est-à-dire des compteurs communiquants dits « Gazpar » (qui sont le pendant des compteurs communiquants « Linky » en électricité).

S’agissant de la zone de desserte historique de GRDF, les coûts associés au déploiement des compteurs Gazpar sont couverts par le tarif ATRD péréqué de GRDF.

Mais, pour empêcher toute subvention croisée, les coûts de déploiement de ces compteurs dans les nouvelles zones de dessertes concédées à GRDF n’ont pas vocation à être couverts par le tarif ATRD péréqué de GRDF.

Chaque concession dont les tarifs ne sont pas péréqués doit donc intégrer dans sa construction tarifaire propre, les coûts liés aux compteurs Gazpar.

À la suite d’une évaluation économique et technique sur le déploiement des compteurs évolués Gazpar dans onze concessions, GRDF et les autorités concédantes sont convenues de définir de nouveaux tarifs incluant :

  • une hausse liée au déploiement du compteur Gazpar, différente pour chaque concession en fonction des caractéristiques qui lui sont propres ;
  • une hausse équivalente à l’évolution automatique, identique pour l’ensemble de ces concessions telle que définie par la délibération de la CRE n°2022-153 susmentionnée.

C’est l’objet de cette seconde délibération qui entre également en vigueur le 1er juillet 2022.

Décision sur les prestations réalisées à titre exclusif par les GRD de gaz naturel

Dans le prolongement de sa délibération du 12 mai 2022 portant projet de décision sur les prestations réalisées à titre exclusif par les gestionnaires de réseau de distribution de gaz naturel (voir notre commentaire dans la Lettre d’Actualités Juridiques Energie Environnement de juin 2022), la Commission de Régulation de l’Energie (CRE) a adopté le 22 juin 2022 une décision sur les prestations réalisées à titre exclusif par les gestionnaires de réseaux de distribution de gaz naturel.

 

La délibération ne s’écarte pas de ce qui était contenu dans le projet de décision en date du 12 mai 2022 puisque :

  • Les tarifs de prestations de GRDF et des autres GRD augmentent de + 1,6 % à compter du 1er juillet 2022.
  • Les prestations annexes pouvant être réalisées par les GRD de gaz naturel sont modifiées dans le sens envisagé dans la décision du 12 mai 2022. Ainsi, la délibération commentée :
  • introduit de nouvelles prestations optionnelles du tronc commun, telles que la « Modification en masse du champ » et le « Changement de compteur gaz hors heures ouvrées » ;
  • modifie la description sommaires de certaines prestations, comme la « mise en service avec déplacement » ;
  • modifie le périmètre et le tarif de la prestation « Relevé spécial hors changement de fournisseurs » ;
  • modifie les prestations relatives à la pression disponible « standard » et « non standard » ;
  • modifie le tarif de la prestation « Traitement de fraude » proposé par Régaz-Bordeaux ;
  • modifie la terminologie dans la description sommaire de certaines prestations, afin notamment de prendre en compte la terminologie de l’arrêté du 23 février 2018 ;
  • supprime de la catégorie des prestations annexes spécifiques les prestations spécifiques à GRDF relatives à la relation GRDF-Fournisseurs, pour les basculer dans la catégorie des prestations « optionnelles » de tronc commun. Il s’agit des prestations pour lesquelles un nom, une description sommaire et un tarif unique communs à tous les GRD de gaz naturel sont définis au sein du catalogue des prestations.

Fixation d’un cadre juridique pour les aides de l’Etat à la conversion des réseaux de distribution de GPL dans les ZNI

Une ordonnance du 14 juin 2022 a défini un nouveau cadre applicable en matière de conversion des réseaux de distribution de gaz de pétrole liquéfié (GPL) vers l’électricité ou les énergies renouvelables dans les zones non interconnectées au réseau métropolitain continental (ci-après, ZNI).

Pour mémoire, les ZNI sont constituées par les territoires suivants : la Corse, les départements et régions d’outre-mer (Guadeloupe, La Réunion, Mayotte), les collectivités territoriales (Martinique, Guyane, Saint-Martin, Saint-Barthélemy), certaines collectivités d’outre-mer (Saint-Pierre-et-Miquelon, Wallis et Futuna notamment) et les îles du Ponant (les îles de Sein, Molène, Ouessant et Chausey).

L’ordonnance ici commentée a été prise sur le fondement de l’habilitation donnée au Gouvernement par l’article 96 de la loi n° 2021-1900 en date du 30 décembre 2021 de finances pour 2022 « pour permettre une prise en charge partielle par l’Etat, dans les zones non interconnectées au réseau métropolitain continental, pour une durée maximale de vingt ans, des coûts résultant des investissements nécessaires et des déficits d’exploitation associés à la conversion des usages des réseaux de gaz de pétrole liquéfié à l’électricité ou aux énergies renouvelables ».

L’objectif de l’ordonnance est de mettre en place un cadre en vue de mettre fin d’ici le 31 décembre 2038 à la distribution publique du GPL par conversion à l’usage de l’électricité ou des énergies renouvelables. Une possibilité de report est prévue mais dans une limite de durée de conversion de vingt ans (art. L. 141-5 du Code de l’énergie).

L’ordonnance prévoit ainsi que cet objectif devra être inscrit dans chacune des Programmations Pluriannuelles de l’Energie (PPE) des territoires concernés (article 4 de l’ordonnance modifiant l’article L. 141-5 du Code de l’énergie).

Dans le cadre de cette conversion, il est prévu que « les investissements nécessaires à l’exploitation de réseaux de distribution de gaz de pétrole liquéfié ainsi que les déficits d’exploitation du service, peuvent être partiellement pris en charge par l’Etat, sous la forme d’aides financières aux communes organisatrices de la distribution ».

Cette prise en charge partielle par l’Etat est conditionnée au respect de deux éléments : d’une part, la conclusion d’un accord préalable passé entre les communes et l’Etat, et, d’autre part, de l’inscription dans la PPE de l’objectif de conversion poursuivi (nouvel article L. 111-111 du Code de l’énergie créé par l’article 1er de l’ordonnance).

L’accord entre les communes et l’Etat devra fixer l’ensemble des modalités techniques et financières de la conversion, étant précisé que l’intervention financière de l’Etat ne peut excéder une durée de vingt ans (nouvel article L. 111-111 du Code de l’énergie).

La Commission de Régulation de l’Energie (CRE) se voit confier un rôle de suivi et d’évaluation des contrats de concession faisant l’objet d’un dispositif d’aide financière de l’Etat en vue de leur conversion (nouveaux articles L. 111-111, L. 131-5 et L. 131-10 du Code de l’énergie). Son avis sera également sollicité sur « tout projet d’avenant à ces contrats modifiant les clauses relatives à la conversion, le montant des subventions versées au concessionnaire ou le partage des risques entre la commune et le concessionnaire » (art.L.131-10 du Code l’énergie)

IOTA : modification de la procédure de déclaration

Dans l’objectif de simplifier et clarifier la procédure de déclaration des installations, ouvrages, travaux et activités (IOTA) soumis au régime de la police de l’eau, a été publié le décret n° 2022-989 du 4 juillet 2022 relatif à la procédure de déclaration en matière de police de l’eau publié au Journal officiel du 5 juillet 2022.

Ce décret modifie ainsi l’article R. 214-32 du Code de l’environnement qui définit la procédure de déclaration, et prévoyait dans sa rédaction antérieure au décret présenté que la déclaration était « remise en trois exemplaires et sous forme électronique », afin d’indiquer que celle-ci pourra désormais être effectuée :

  • soit sous la forme dématérialisée d’une téléprocédure, modalités qui n’était donc auparavant pas prévue par les textes ;
  • soit en un exemplaire papier et sous forme électronique.

Le décret vise ainsi à faciliter le recours à des modalités dématérialisées de dépôt, notamment en recourant à des téléprocédures. Il existe toutefois des exceptions, ce qui limite la portée « simplificatrice » du décret :

  • le préfet peut, dans un objectif de publicité ou pour les procédures de consultation, demander des exemplaires papier supplémentaires ;
  • certaines informations (susceptibles de porter atteinte aux intérêts mentionnés au I de l’article L. 124-4 et au II de l’article L. 124-5) doivent être occultées du dossier et transmises à part au format papier ;
  • lorsque la déclaration concerne une procédure de déclaration d’intérêt général ou d’urgence, elle est transmise en un exemplaire papier et sous forme électronique.

Pour les dossiers déposés par la voie de la téléprocédure, le récépissé sera alors immédiatement délivré par voie électronique.

Il est en outre prévu que le Ministre chargé de l’environnement pourra fixer un modèle national de formulaire de déclaration à déposer lorsque le déclarant n’utilise pas la téléprocédure.

Par ailleurs, il est également précisé que lorsque les IOTA doivent être réalisés sur le territoire de plusieurs départements, la déclaration est déposée auprès du seul département où la plus grande partie de leur emprise est située, au lieu de l’ensemble des préfets des départements impliqués. Mais les autres départements concernés doivent être mentionnés dans la déclaration.

Enfin, plusieurs modifications d’ordre essentiellement rédactionnel sont adoptées afin de clarifier les modalités de mise en œuvre de la procédure de déclaration.

Ces modifications entrent en vigueur le 25 juillet 2022.

Clarifications sur les modalités de contribution des maîtres d’ouvrages publics à l’inventaire du patrimoine naturel

Publié au Journal officiel en date du 28 juin 2022, le décret n° 2022-939 du 27 juin 2022 a précisé les modalités temporelles et matérielles de contribution des maîtres d’ouvrage à l’inventaire du patrimoine naturel.

Pour mémoire, l’article L. 411-1 A du Code de l’environnement crée un inventaire du patrimoine naturel, qui s’entend de « l’inventaire des richesses écologiques, faunistiques, floristiques, géologiques, pédologiques, minéralogiques et paléontologiques » dont l’Etat assure la conception, l’animation et l’évaluation. Cet inventaire est élaboré grâce aux contributions de divers acteurs, et en particulier des maîtres d’ouvrage, publics ou privés, des projets, plans et programmes soumis à évaluation environnementale. Ceux-ci sont en effet tenus de verser à l’inventaire les « données brutes de biodiversité » acquises à l’occasion des études d’évaluation ainsi que des mesures de suivi des impacts environnementaux.

Les articles D. 411-21-1 et suivants définissent les modalités de ces contributions, qui sont réalisées par le biais d’un téléservice créé par le Ministre en charge de la protection de la nature. Auparavant, la rédaction de ces textes était peu claire quant à la temporalité du versement des données de biodiversité. Le décret du 27 juin 2022 modifie ainsi la rédaction de l’article D. 411-21-1 et indique plus précisément que le versement a lieu :

  • Pour les données acquises dans le cadre d’une étude d’évaluation :
    • Le cas échéant, avant le début de la procédure de participation du public ;
    • En l’absence de procédure de participation du public, avant la décision d’autorisation, d’approbation ou de dérogation appliquée au projet, plan ou programme.
  • Pour les données acquises à l’occasion des mesures de suivi des impacts environnementaux : dans le délai de six mois après l’achèvement de chaque campagne d’acquisition de ces données. Ce point n’était auparavant pas précisé par les textes.

Moulins et restauration écologique : validation du dispositif d’exemption par le Conseil Constitutionnel

La gestion des moulins fait l’objet de dispositions spécifiques au sein du Code de l’environnement, dont certaines relatives à la continuité écologique des cours d’eau ont été récemment contestées devant le juge constitutionnel.

En effet, il doit tout d’abord être noté que l’article L. 214-17 du Code de l’environnement impose au préfet coordonnateur de bassin, en son paragraphe I, 2°, de procéder à l’identification des cours d’eau sur lesquels les ouvrages doivent assurer un transport suffisant des sédiments et la circulation des poissons migrateurs et devront donc être gérés, entretenus et, le cas échéant, équipés selon des prescriptions spécifiques édictées à cette fin. Or, l’article L. 214-18-1 du Code de l’environnement, dans sa rédaction issue de la loi n° 2017-227 du 24 février 2017 ratifiant les ordonnances n° 2016-1019 du 27 juillet 2016 et n° 2016-1059 du 3 août 2016, instaure une dérogation à cette obligation en matière de continuité écologique pour les moulins à eau équipés pour produire de l’électricité.

Des associations de protection de l’environnement ont questionné la conformité de cette dérogation avec les normes constitutionnelles découlant des quatre premiers articles de la Charte de l’environnement, relatifs notamment au droit de vivre dans un environnement équilibré et à la prévention des atteintes à l’environnement. Les requérantes soutiennent en outre que ces dispositions sont entachées d’inintelligibilité et institueraient une rupture d’égalité entre les moulins à eau équipés pour la production hydroélectrique et les autres ouvrages hydrauliques.

Le Conseil constitutionnel considère toutefois que cette exemption est conforme aux exigences constitutionnelles car « le législateur a entendu non seulement préserver le patrimoine hydraulique mais également favoriser la production d’énergie hydroélectrique qui contribue au développement des énergies renouvelables. Il a, ce faisant, poursuivi des motifs d’intérêt général ». Le juge indique en outre que cette exemption ne vaut que pour certains moulins à eau, ceux existants à la date de publication de la loi du 24 février 2017, et installés sur certains cours d’eau. Par ailleurs, l’exemption contestée ne concerne pas l’obligation découlant de l’article L. 214-18 de maintenir un débit minimal garantissant en permanence la vie, la circulation et la reproduction des espèces aquatiques.

Le juge considère donc que ces dispositions sont conformes aux exigences constitutionnelles et valide ce dispositif d’exemption.

Microcentrales hydroélectriques : la répartition des débits peut tenir compte des dispositifs favorisant la circulation piscicole

Deux microcentrales hydroélectriques sont situées de part et d’autre du cours d’eau de la Mayenne, au droit du barrage de la Richardière. A l’occasion de l’édiction d’un arrêté relatif au renouvellement de l’autorisation d’exploitation de l’une de ces centrales (celle située en rive droite), le préfet a fixé la répartition des débits entre les deux microcentrales, en conférant un droit de priorité à l’autre centrale (celle située en rive gauche). La centrale dont l’autorisation a été renouvelée a dès lors contesté cette répartition.

Le Conseil d’Etat a rejeté sa demande au regard des éléments suivants.

D’abord, La Mayenne est un cours d’eau classé en liste 2 au titre de l’article L. 214-17 du Code de l’environnement relatif au classement des cours d’eau et aux obligations en découlant. A ce titre, les ouvrages construits sur ce cours d’eau doivent notamment permettre la circulation des poissons migrateurs (L. 214-17 C. env.) et comporter des dispositifs maintenant dans le lit un débit minimal garantissant en permanence la vie, la circulation et la reproduction des espèces (L. 214-18 C. env.).

En l’espèce, les ouvrages hydrauliques composant la microcentrale située en rive gauche du cours d’eau comprennent des dispositifs de passe à anguille et des turbines ichtyophiles (c’est-à-dire des turbines qui évitent de causer la mort des poissons qui passent à travers), contrairement à la microcentrale située en rive droite.

Le Conseil d’Etat retient dès lors, donnant ainsi raison à la Cour d’appel, que le bon fonctionnement et les caractéristiques des dispositifs mis en place par les exploitants pour garantir la continuité écologique peuvent tout à fait, en application des articles L. 214-17 et L. 214-18 du C. env., être pris en compte par le préfet lorsqu’il doit fixer un ordre de priorité dans la répartition des débits autorisés.

Le Conseil d’Etat retient en outre que les dispositions des articles L. 215-7 et L. 215-8 du Code de l’environnement, qui imposent respectivement de prendre en compte les droits des tiers et les droits et usages antérieurement établis, ne sauraient conduire le préfet à porter atteinte à la règle du débit minimal nécessaire pour garantir la continuité écologique, et ne lui imposent pas de fixer un ordre de priorité sur le fondement d’une antériorité d’exploitation. Le Conseil rejette ainsi le moyen de la société requérante relatif à la méconnaissance de son droit d’antériorité.

Le Conseil d’Etat retient donc que, lorsqu’un ordre de priorité doit être retenu dans la répartition des débits réservés entre plusieurs exploitations de centrales hydroélectriques, le préfet peut, pour fixer cet ordre de priorité, favoriser l’exploitation qui a mis en place des dispositifs relatifs au maintien de la continuité écologique, et notamment à la circulation piscicole, et ce peu important laquelle de ces exploitations est antérieure à l’autre.

Suspension d’un projet pour défaut d’autorisation environnementale

Le Conseil d’Etat a récemment eu l’occasion de mettre en œuvre les dispositions de l’article L. 122-2 du Code de l’environnement selon lesquelles le juge des référés est tenu de faire droit à une requête dirigée contre une autorisation ou une décision d’approbation d’un projet soumis à évaluation environnement lorsqu’elle est fondée sur l’absence d’étude d’impact, dès lors que cette absence est constatée.

En l’espèce, le département de l’Hérault souhaite réaliser le projet « Jardins de méditerranée », comprenant notamment un aquarium, une géode, un restaurant et divers autres bâtiments, lequel est soumis à déclaration au titre de la rubrique 2.5.1.0 de la nomenclature IOTA (annexée à l’article R. 214-1 du Code de l’environnement) relative aux rejets des eaux pluviales.

Le Préfet n’a pas répondu à la suite du dépôt de la déclaration en préfecture dudit projet, et une décision implicite de non-opposition est née à l’expiration d’un délai de deux mois.

Or le projet était également soumis à évaluation environnementale au titre de la rubrique 39b de la nomenclature des projets soumis à évaluation environnementale (annexée à l’article R. 122-2 du Code de l’environnement), c’est-à-dire en tant qu’opération d’aménagement dont le terrain d’assiette est supérieur ou égal à 10 ha, la superficie du projet en cause étant de plus de 19 ha.

L’association France Nature environnement a attaqué cette décision de non-opposition sur le fondement de l’article L. 122-2 du Code de l’environnement, la décision de non-opposition ayant été prise alors même qu’aucune évaluation environnementale n’avait été réalisée.

Le Conseil d’Etat a ainsi, sur le fondement de ces dispositions, suspendu l’exécution de la décision de non-opposition. Un jugement au fond doit par la suite venir confirmer ou infirmer cette décision.

Actualisation du tarif d’utilisation des réseaux publics de distribution d’électricité (TURPE 6 HTA-BT) à compter du 1er août 2022

Pour mémoire, par une délibération du 21 janvier 2021 applicable depuis le 1er août 2021, la CRE a adopté les tarifs d’utilisation des réseaux publics de distribution d’électricité dans les domaines de tension HTA et BT (TURPE 6 HTA-BT), pour une durée de quatre années, soit jusqu’au 31 juillet 2025.

Le TURPE HTA-BT concerne les utilisateurs raccordés aux réseaux de distribution d’énergie électrique en haute tension (HTA) et en basse tension (BT).

Ainsi que le prévoient les délibérations fixant les tarifs d’utilisation des réseaux publics de distribution d’électricité, ces tarifs sont réévalués chaque année au 1er août en fonction des indicateurs suivants :

  • L’inflation prévisionnelle de l’année en cours fixée dans la loi de finances ;
  • Un coefficient X d’évolution annuelle défini dans les délibérations tarifaires ;
  • Un coefficient d’apurement du compte de régularisation des charges et des produits (CRCP).

S’agissant précisément de l’évolution du TURPE 6 HTA-BT, il évolue au 1er août 2022 de + 2,26 %.

La CRE indique que cette évolution tarifaire résulte « [de] la prise en compte de l’inflation pour + 1,50 % ; [du] coefficient d’indexation annuelle automatique de + 0,31 % ; [de] la prise en compte du solde du CRCP soit + 0,45 % ».

Outre la première évolution du TURPE 6 HTA-BT de + 2,26 %, la délibération recense les autres faits marquants au titre de la première année du TURPE 6, y figurent :

  • La circonstance que « les recettes tarifaires sont supérieures aux prévisions, du fait d’une part d’un climat froid se traduisant par des quantités distribuées (348 TWh) supérieures aux prévisions de 94 M€. Conformément aux règles du TURPE 6, l’excédent de recettes est rendu aux utilisateurs via le CRCP» ;
  • Également, « les charges liées aux pertes d’électricité en ligne sont supérieures aux prévisions, du fait principalement de la hausse des prix des gros de l’électricité» ;
  • Et, enfin, la CRE relève que « les performances d’Enedis en matière de qualité de service en 2021, pour laquelle Enedis est incité financièrement dans le cadre du TURPE 6, sont très contrastées ».

Au titre de ce dernier fait marquant relatif aux performances très contrastées d’Enedis, la Commission met notamment l’accent sur ;

  • La « mauvaise performance sur les délais de raccordement des sites en soutirage (consommateurs), avec par exemple un délai moyen de 85 jours pour les raccordements en soutirage BT < 36 kVa, pour un objectif de 74 jours. Le délai de raccordement des sites de soutirage s’est dégradé, alors que le volume des raccordements est resté stable» ;
  • « le délai de raccordement des sites en injection (producteurs) a également augmenté, passant pour les sites en BT > 36 kVA et HTA, de 211 jours en 2019 à 233 jours en 2021, pour un objectif fixé par le TURPE 6 de 195 jours. Le délai plus long que l’objectif fixé peut s’expliquer par une augmentation importante et récente du nombre de raccordements réalisés. Ainsi pour les producteurs BT > 36 kVA et HTA, le nombre de raccordements a augmenté de plus de 70 % entre 2019 et 2021 (passant de 3 698 à 6 415). Pour autant, le raccordement de ces sites dans les meilleurs délais est un enjeu primordial de l’activité d’Enedis pour apporter rapidement au système électrique de nouvelles unités de production. Enedis doit tout mettre en œuvre pour adapter son organisation et répondre à la hausse des demandes de raccordement».

On signalera que le tarif d’utilisation des réseaux publics de transports d’électricité (TURPE HTB) a également fait l’objet d’une actualisation de – 0,01 % par la CRE, qui sera également applicable au 1er aout 2022.

Approbation par la CRE des règles de valorisation des effacements de consommation sur les marchés de l’énergie (Règles NEBEF 3.4)

Il existe plusieurs outils pour faire face aux déséquilibres pouvant apparaître entre l’offre et la demande d’énergie. Parmi eux, l’effacement de consommation, lequel se définit comme une « action visant à baisser temporairement, sur sollicitation ponctuelle envoyée à un ou plusieurs consommateurs finals par un opérateur d’effacement ou un fournisseur d’électricité, le niveau de soutirage effectif d’électricité sur les réseaux publics de transport ou de distribution d’électricité d’un ou de plusieurs sites de consommation, par rapport à un programme prévisionnel de consommation ou à une consommation estimée » (article L. 271-1, alinéa 1er du Code de l’énergie).

Dans ce cadre, le dispositif NEBEF (Notifications d’Echanges de Blocs d’Effacement) permet aux consommateurs de valoriser les effacements en revendant les énergies effacées à un autre acteur sur le marché, et ce, soit directement en acquérant en propre la qualité d’Opérateur d’Effacement, soit indirectement via une tierce personne disposant de la qualité d’Opérateur d’Effacement. Les règles NEBEF organisent ainsi les modalités des transferts d’énergie et des flux financiers qui en résultent.

Le 6 avril 2022, le gestionnaire du Réseau de Transport d’Electricité (RTE) a saisi la Commission de Régulation de l’Energie (CRE) afin qu’elle se prononce sur les nouvelles règles NEBEF 3.4 proposées par RTE. Ces évolutions se concentrent notamment sur la modification du barème de versement fournisseur, sur la révision des modalités d’agrément technique des opérateurs d’effacement et sur la suppression de l’homologation initiale pour la méthode du contrôle du réalisé par prévision.

Par sa délibération en date du 9 juin 2022 ici commentée, la CRE approuve les nouvelles règles NEBEF 3.4 proposées par RTE et, ainsi que le permet l’article L. 134-1, neuvièmement, du Code de l’énergie, précise les dispositions relatives :

  • Au calcul du coût de la capacité, concernant le barème de versement profilé ;
  • Aux modalités de révision des barèmes en cours d’année, concernant les barèmes profilés et télérelevés.

La CRE a par ailleurs formulé plusieurs demandes à destination de RTE, telles que, pour la méthode du contrôle réalisé par prévision, celle d’instruire la possibilité pour les opérateurs de déclarer des jours d’indisponibilités exceptionnels.

Ces nouvelles règles sont entrées en vigueur le 1er juillet 2022 et seront disponibles sur le site de RTE.