Droit pénal et de la presse
le 15/09/2022

Procédure de référé en matière de presse – trouble manifestement illicite et excuse de bonne foi : agir vite oui, mais pas trop !!!

Tribunal judiciaire, Paris, (ord. réf.), 22 avril 2022.

En matière de droit de la presse, il n’est pas toujours aisé de distinguer ce qui pourrait relever de la procédure de référé ou non. Le Juge des référés du Tribunal Judiciaire de Paris est venu apporter quelques précisions notamment s’agissant de la bonne foi qui peut être invoquée en défense.

En l’espèce, cette procédure faisait suite à la diffusion en janvier 2022, d’une émission diffusée sur Youtube et Facebook au cours de laquelle, l’invité Juan B. déclarait au sujet d’un ancien directeur d’hôpital d’avoir « pillé le capital symbolique d’EMMAUS », déclarant qu’il allait « pilier les ressources » et qu’ « il va y avoir un désaccord avec des oligarques comme N. sur la question du musée enfin des hôtels particuliers qui vont être vendus pour des sommes dérisoires […] revendus 5 fois plus chers, il va gagner des dizaines de millions d’euros de plus-value au détriment de l’État. Ça ce sont les affaires de corruption pures ».

L’ancien directeur, estimant ses propos diffamatoires, saisissait le Juge des référés de Paris afin de voir supprimer la vidéo de l’émission sous astreinte, condamner le défendeur à une provision de 10.000 € de dommages et intérêts en réparation de son préjudice moral ainsi que 3.500 € au titre de l’article 700 du Code de procédure civile.

Le Juge des référés retient dans son ordonnance que les faits imputés d’avoir bradé les biens immobiliers à des oligarques en contrepartie de « trouver le point de chute qui va suivre », c’est-à-dire être promu, constitue un fait précis portant atteinte à l’honneur et à la considération de l’ancien directeur en sa qualité de fonctionnaire public ce qu’ils constituent des agissements contrevenant à son devoir de probité.

Néanmoins, comme le relève le magistrat dans son ordonnance, le défendeur invoque sa bonne foi en produisant de nombreuses pièces sur ces opérations immobilières, tout en soulignant que ses propos s’inscrivaient dans un débat d’intérêt général.

Le Juge des référés, pour rendre son ordonnance de non-lieu à référé, retient qu’il « apparait ainsi, au terme des débats, qu’il existe des éléments de conviction susceptibles d’être utilement discutés devant le juge du fond de la diffamation. En l’état, rien ne permet d’exclure a priori, avec l’évidence exigée en matière de référé, les défendeurs du bénéfice du fait justificatif tiré de l’excuse de bonne foi. Dès lors, le trouble allégué ne revêt pas le caractère manifestement illicite autorisant le juge des référés à prononcer les mesures sollicitées ».

Ainsi, il convient de rappeler qu’une attention particulière doit être portée sur la nature des imputations litigieuses avant toute décision d’action en référé. Si le contenu de certains propos peut inciter à opter pour ce mode d’action pour faire retirer rapidement les publications litigieuses, la prudence doit amener à une analyse détaillée des éléments de défense pouvant être invoqués lors de l’audience.

En effet, dès lors qu’il existera une potentialité (un risque) que la bonne foi soit invoquée en défense, le trouble manifestement illicite risquera très vraisemblablement de faire défaut. De ce fait, il conviendra d’exclure immédiatement ce mode d’action et d’agir directement au fond, soit par la voie de l’assignation, soit de la citation directe ou d’une plainte avec constitution de partie civile.