Energie
le 10/03/2022
Thomas ROUVEYRAN
Yann-Gaël NICOLAS

Service public de la performance énergétique de l’habitat : les contours de l’accompagnement des ménages dans leurs projets de rénovation énergétique

Projet de décret relatif à l’accompagnement obligatoire en application de l’article 164 de la loi Climat et Résilience

Le Ministère de la Transition Ecologique a mis en ligne, du 4 au 25 février 2022, une consultation publique sur un projet de décret permettant de clarifier la mission d’accompagnement instaurée, dans le cadre du service public de la performance énergétique de l’habitat (ci-après « SPPEH »), par l’article 164 de la loi Climat et Résilience du 22 août 2021 codifié à l’article L. 232-3 du Code de l’énergie.

Pour rappel, le SPPEH a d’abord été créé pour une intervention en amont de la réalisation des travaux de rénovation par l’information, le conseil, l’accompagnement et l’assistance des consommateurs dans leurs démarches.

Par la suite, l’article 164 de la loi Climat et Résilience a étendu les missions du SPPEH, qui a désormais aussi pour objet « d’encourager les rénovations performantes et les rénovations globales ».

En effet, les dispositions de l’article L. 232-3 au Code de l’énergie tel que modifié par cette loi couvrent désormais aussi une mission d’accompagnement dont peuvent bénéficier les ménages dans la définition et la réalisation des travaux d’amélioration thermique de leur logement : appui à la réalisation d’un plan de financement et d’études énergétiques, assistance à la prospection et à la sélection des professionnels, évaluation de la qualité des travaux réalisés par ces professionnels.

Le projet de décret prévu par l’article L. 232-3 du Code de l’énergie, tel que soumis à la consultation, vient ainsi préciser l’étendue et les modalités d’exécution de cette mission d’accompagnement à la rénovation énergétique, ainsi que promouvoir son utilisation en conditionnant la délivrance de certaines primes à la rénovation énergétique de l’agence nationale de l’habitat (ci-après « l’Anah ») au recours à l’accompagnement. Enfin, il précise également les missions de l’Anah dans le cadre du SPPEH.

1. Une clarification des missions d’accompagnement

A partir du 1er janvier 2023, le recours à l’accompagnement sera amplifié dès lors que le projet d’article R. 232-8 du Code de l’énergie le rend obligatoire pour bénéficier de certaines aides à la rénovation énergétique de l’Anah.

Seront d’abord concernés au 1er janvier 2023 les travaux bénéficiant de l’aide à la rénovation globale MaPrimeRénov’ Sérénité et dont le montant est supérieur à 5.000 euros, puis à partir du 1er septembre 2023, les travaux bénéficiant du forfait MaPrimeRénov’, rénovation globale, ainsi que les bouquets de travaux (2 gestes ou plus) bénéficiant de l’aide MaPrimeRénov’ supérieurs à 10.000 euros de prime. L’ensemble des logements individuels rentreront dans le dispositif (maisons individuelles et logements individuels en collectifs).

Concernant le contenu de cette mission d’accompagnement, l’article L. 232-3 du Code de l’énergie précise qu’elle comprend un appui à la réalisation d’un plan de financement et d’études énergétiques, une assistance à la prospection et à la sélection des professionnels, ainsi que, le cas échéant, une évaluation de la qualité des travaux réalisés par ces professionnels.

Autrement dit, l’accompagnement vise à délivrer au ménage des informations détaillées, objectives et adaptées à son projet de travaux de rénovation énergétique, concernant l’ensemble des aspects financiers, techniques, administratifs et sociaux du projet, identifiés par le ménage ou l’accompagnateur.

Plus précisément encore, le projet de décret a indiqué que l’accompagnement se réalise tout au long du projet de travaux de rénovation énergétique et comprend :

  • une évaluation de l’état du logement et de la situation du ménage, qui inclut également, au regard du projet d’arrêté joint à la consultation, un diagnostic relatif à l’indécence du logement, à l’habitat indigne, à l’insalubrité et à la perte d’autonomie, élargissant de la sorte le service d’accompagnement aux enjeux globaux de l’habitat ;
  • un audit énergétique, ou le recours à un audit énergétique existant répondant aux exigences de l’article L. 126-28-1 du Code de la construction et de l’habitation ;
  • la préparation et l’accompagnement à la réalisation du projet de travaux (aide au choix du projet, des entreprises et du maître d’œuvre, information sur les procédures d’urbanisme, appui au montage des demandes d’aides financières et du dossier de prêt s’agissant du reste à charge, aide à la compréhension des démarches en ligne et à l’utilisation des plateformes numériques, conseils quant au suivi des travaux).

Outre ces prestations obligatoires, le projet d’arrêté proposé dans le cadre de la consultation précise les prestations complémentaires qui pourront être incluses dans l’accompagnement, à savoir notamment un test d’étanchéité de l’air et un contrôle de ventilation du logement, des propositions de scenarii de travaux en cas de logement indigne, indécent ou insalubre, des missions de mandataire financier et de mandataire administratif pour assister les ménages dans l’obtention du financement et dans leurs démarchées administratives.

2. Les modalités de délivrance de l’agrément aux opérateurs

Afin de garantir un nombre d’accompagnateurs suffisant, la mission d’accompagnement pourra certes être réalisée par les acteurs publics déjà en fonction (espaces conseils France Rénov’ et opérateurs de l’Anah), mais également par des opérateurs privés agréés, ce qui pose immédiatement le problème du contrôle de leur compétence, de leur probité et de leur neutralité dans les conseils qu’ils prodiguent.

Il en résulte que les opérateurs seront soumis à la délivrance d’un agrément par décision expresse du directeur général de l’Anah dans un délai de trois mois à compter du dépôt du dossier complet, après avis simple du comité régional de l’habitat et de l’hébergement, et pour une durée de cinq ans renouvelable.

Outre la démonstration de leur probité et de nombreuses compétences listées par arrêté, la procédure d’instruction des demandes d’agrément visera à s’assurer que les opérateurs chargés de cette mission répondent aux conditions d’indépendance et d’impartialité en termes de ressources et d’organisation.

A cet égard, l’article R. 232-2 du Code de l’énergie envisagé par le décret indique :

  • leur impossibilité de réaliser directement des activités d’exécution d’ouvrage, ce qui pourrait limiter le nombre d’opérateurs privés dès lors qu’ils interviennent souvent en amont et en aval de la rénovation, du conseil à la réalisation des travaux. Néanmoins, le terme « directement » pourrait entrouvrir la possibilité de la sous-traitance ;
  • leur nécessaire neutralité, à performance égale, vis-à-vis des équipements, solutions technologiques et scénarios de travaux proposés ;
  • leur connaissance complète des types d’isolation, de ventilation et de chauffage bas carbone accessibles sur le marché ;
  • leur neutralité, à qualité égale, vis-à-vis des entreprises de travaux proposées.
  •  

***

Malgré ces dispositions, la garantie d’indépendance des futurs accompagnateurs des ménages dans leurs projets de rénovation énergétique a fait l’objet de réserves dans le cadre des avis rendus lors de la consultation.

Logiquement, certaines entreprises proposant des prestations en amont et en aval auraient ainsi fait valoir leur souhait de conserver leur activité de conseil des ménages, le cas échéant en les filialisant.

Au contraire, le Conseil supérieur de la construction et de l’efficacité énergétique a rendu un avis favorable « sous réserve que les modalités de prévention du conflit d’intérêt soient définies en concertation avec les acteurs de la filière, en prenant le temps d’une réflexion pour évaluer précisément son impact potentiel sur le marché de la rénovation et s’assurer que l’offre soit de qualité et suffisante sur tous les territoires ».

Clairement opposées à un accompagnement des ménages par des opérateurs privés, les associations telles qu’Amorce (Réseau national des territoires engagés dans la transition écologique), le CLER –  Réseau pour la transition énergétique, l’Anil (Association nationale d’information sur le logement) et la FNCAUE (Fédération nationale des conseils d’architecture, d’urbanisme et de l’environnement) ont adopté une position commune adressée à la Ministre chargée du Logement, estimant notamment que « les garanties de neutralité de l’Accompagnateur Rénov’ vis-à-vis des solutions technologiques sont insuffisantes ».

A cet égard, elles ont proposé que le décret retienne l’impossibilité de recevoir l’agrément d’Accompagnateur Rénov’ pour toute entreprise ayant des liens capitalistiques ou économiques ou structurels avec une entreprise de travaux, des fournisseurs d’énergie, ou pour toute entreprise ayant un intérêt dans un équipement, des solutions technologiques ou des scénarios de travaux particuliers.

La Capeb (Confédération de l’Artisanat et des Petites Entreprises du Bâtiment) a également regretté que « les garanties quant à l’indépendance et à la neutralité des accompagnateurs ne [soient toujours pas réunies » en estimant que « les entreprises générales du bâtiment ou les délégataires dans le cadre des CEE (certificats d’économies d’énergie) pourraient, selon le texte actuel, être agréées pour accompagner les particuliers ».

Par ailleurs, les associations ont regretté l’absence des collectivités ou leurs groupements dans l’instruction de l’agrément et ont proposé la mise en place d’un comité d’agrément des accompagnateurs intégrant, outre l’Anah, les fédérations de collectivités.

***

Au contraire, la procédure d’agrément sera simplifiée pour certains acteurs qui disposent déjà de garanties d’indépendance du fait de leur statut, notamment pour les collectivités territoriales et leurs groupements, ou pour les structures ayant contractualisé avec une collectivité territoriale ou son groupement pour assurer le rôle de guichets d’information, de conseil et d’accompagnement au sens de I de l’article L. 232-2 du Code de l’énergie.

A ce titre, à la différence des autres opérateurs dont l’agrément sera valable sur le périmètre national, celui des collectivités et leurs groupements ne sera toutefois valable que dans leur ressort territorial respectif.

Enfin, l’article R. 232-6 du Code de l’énergie prévoit que la procédure de vérification pourra être complétée d’opérations de contrôle en vue de s’assurer des engagements et obligations qui s’imposent aux accompagnateurs. A cet égard, l’Anah devra mettre en place une programmation pluriannuelle de contrôle et, les collectivités, leurs groupements, ainsi que les structures ayant contractualisés avec eux pour assurer le rôle de guichets, pourront procéder à des signalements auprès de l’Agence.

En cas de manquements graves ou répétés constatés et/ou si l’opérateur ne satisfait plus aux conditions de compétence, de probité et d’indépendance, il ressort du projet d’article R. 232-5 du Code de l’énergie que l’Anah pourra retirer l’agrément à tout moment après avoir mis l’accompagnateur en mesure de présenter ses observations dans un délai qui ne saurait être inférieur à 15 jours.

Afin de protéger le ménage d’un éventuel retrait de l’agrément de son accompagnateur, il est prévu que ce retrait ne remette toutefois pas en cause la validité de l’accompagnement pour la délivrance des primes à la rénovations énergétique.

En cohérence avec ce qui précède, les articles 2 et 3 du projet de décret confient à l’Anah de nouvelles missions en lien avec les dispositions sur l’agrément des accompagnateurs. En outre ces dispositions lui donnent également pour mission « de susciter, animer, coordonner, faciliter et, le cas échéant, réaliser toutes opérations visant à promouvoir le développement et la qualité du parc existant de logements privés » et ayant pour objet la réalisation d’économies d’énergie et de réduction d’émissions de gaz à effet de serre et la lutte contre le réchauffement climatique et l’adaptation au changement climatique.

De même, il est précisé que l’Anah peut « participer sous forme de subventions ou par voie de convention à l’accompagnement des ménages s’engageant dans des projets de rénovation énergétique ».

3. L’articulation entre les guichets et les opérateurs d’accompagnement

L’articulation entre les opérateurs d’accompagnement et les guichets d’information, de conseil et d’accompagnement du service public est précisée par le projet d’article R. 232-4 du Code de l’énergie.

A ce titre, il est indiqué que les guichets mentionnés au I de l’article L. 232-2 du Code de l’énergie sont constitués soit des collectivités territoriales ou de leurs groupements qui contribuent au SPPEH en régie, soit des structures de droit privé ayant contractualisé avec ces derniers pour la mise en œuvre du SPPEH.

Ces dispositions précisent que ces guichets constituent le point d’entrée privilégié du ménage dans son parcours d’accompagnement. Pour les projets de travaux conditionnés à l’accompagnement obligatoire au titre de l’article L. 232-3 du Code de l’énergie, ces guichets orientent le ménage vers un accompagnateur agréé adapté à sa situation personnelle, notamment lorsqu’un besoin d’accompagnement social renforcé est identifié, et peuvent assurer un rôle d’assistance auprès des accompagnateurs et des ménages en cours de prestation.

Par ailleurs, le projet de décret indique que ces structures peuvent également assurer elles-mêmes la mission d’accompagnement, à condition qu’elles soient agréées conformément à l’article R. 232-3 du Code de l’énergie susmentionné.

Cette possibilité d’entrer dans le parcours d’accompagnement par un tel guichet est toutefois mentionnée sans préjudice de la possibilité d’y entrer directement par un accompagnateur agréé.

A cet égard, Amorce, le CLER, la FNCAUE et l’Anil ont néanmoins demandé qu’il soit obligatoire, pour que le ménage bénéficie de l’aide à l’Accompagnateur Rénov’, de passer par le guichet unique afin de bénéficier d’un échange avec un conseiller France Rénov’. Selon ces associations, cette obligation permettrait de mieux garantir la qualité des projets de travaux en permettant au conseiller France Rénov’ de présenter au ménage les différentes solutions de rénovation énergétique à envisager (dont la rénovation globale) avant de le renvoyer vers l’Accompagnateur Rénov’.

Ces guichets sont en outre informés des accompagnements réalisés et en cours de réalisation via un système d’information mis en place par l’Anah qui traite toutes les données relatives aux opérateurs agréés et aux prestations d’accompagnement.

La concertation ayant pris fin depuis le 25 février, le décret devrait être publié au printemps 2022.

 

Yann-Gaël NICOLAS et Thomas ROUVEYRAN