Contrats publics
le 16/06/2022

Les droits d’administration de pages de réseaux sociaux du service concédé sont des biens de retour

CE, 16 mai 2022, Commune de Nîmes, n° 459904

Dans le cadre d’un contrat de concession, les biens, meubles ou immeubles, qui résultent d’investissements du concessionnaire et sont nécessaires au fonctionnement du service public sont des « biens de retour » qui, dans le silence du contrat, sont et demeurent la propriété de la personne publique dès leur réalisation ou leur acquisition et qui doivent donc être restitués à celle-ci à l’issue du contrat. Cette restitution doit être en principe gratuite ou, lorsque le bien en question n’est pas totalement amorti, en contrepartie d’une somme correspondant à sa valeur nette comptable.

Ce régime des biens de retour, précisé par la jurisprudence (CE, 21 décembre 2012, Commune de Douais, req. n° 342788), est désormais codifié aux articles L. 3132-4 et L. 2132-5 du Code de la commande publique.

Toutefois, ni la législation ni la jurisprudence n’avaient clairement précisé, jusqu’ici, si le régime des biens de retour avait vocation à s’appliquer ou non aux biens immatériels que sont les droits d’administration des pages de réseaux sociaux, alors que celles-ci sont désormais des outils déployés quasi-systématiquement par les concessionnaires de service dans le cadre de leur exploitation.

Cette précision vient d’être apportée par la décision du Conseil d’État en date du 16 mai 2022, rendue dans le cadre d’un litige opposant la Commune de Nîmes à son ancien délégataire en charge de l’exploitation touristique et culturelle des arènes de Nîmes, de la Maison carrée et de la tour Magne et portant sur la restitution de biens matériels et immatériels liés à cette exploitation, notamment les communautés et contenus numériques liés aux pages des réseaux sociaux (Facebook, Twitter et Instagram) et le film relatif à la Maison carrée et les décors des Grands Jeux romains.

Confrontée au refus de l’entreprise de lui restituer les biens en question, la Commune de Nîmes a saisi le Juge des référés du Tribunal administratif de Nîmes d’un référé «mesures utiles » par lequel elle lui a demandé d’ordonner à l’entreprise de procéder sans délai à cette restitution, sous astreinte. Toutefois, cette demande a été rejetée par le Juge des référés le 13 décembre 2021, au motif que les stipulations du contrat étaient susceptibles de faire obstacle au retour gratuit des biens nécessaires au service créés au cours de la délégation.

Saisi en cassation par la Commune de Nîmes, le Conseil d’État commence par confirmer qu’il ressort de l’office du Juge des référés que d’ordonner à un concessionnaire de restituer à l’autorité délégante des biens de retour, dès lors que cette restitution remplit les conditions posées par l’article L. 521-3 du Code de justice administrative, à savoir qu’elle est utile, justifiée par l’urgence et ne se heurte à aucune contestation sérieuse.

En outre, il confirme également la compétence de la juridiction administrative pour connaitre du litige qui, contrairement à ce que soutenait l’ancien délégataire, n’était pas relatif à la propriété littéraire et artistique des biens en question et ne relevait donc pas de la compétence du juge judiciaire

Ensuite, il rappelle que « si les parties au contrat de délégation peuvent décider la dévolution gratuite à la personne publique d’un bien qui ne serait pas nécessaire au fonctionnement du service public, elles ne sauraient en revanche exclure qu’un bien nécessaire au fonctionnement du service public lui fasse retour gratuitement ». Par suite, il considère, en substance, que le Juge des référés a commis une erreur de droit en jugeant que des clauses contractuelles pouvaient faire obstacle à l’application du régime légal des biens de retour à des biens effectivement indispensables au fonctionnement du service.

Après avoir annulé l’ordonnance attaquée, le Conseil d’État se prononce sur le fond. Sur le cas particulier des droits d’administration des pages des réseaux sociaux, il relève que les stipulations du contrat mettaient expressément à la charge du délégataire la communication et la promotion via ces réseaux.

Sur le fondement de cette seule circonstance, il en conclut : « Les droits d’administration des pages des réseaux sociaux relatives aux monuments faisant l’objet du contrat étant nécessaires au fonctionnement du service public tel qu’institué par la commune de Nîmes, ils doivent lui faire retour gratuitement au terme du contrat ». Il précise également que cette transmission n’est pas incompatible en elle-même avec les dispositions du règlement général sur la protection des données (RGPD) et qu’elle doit seulement être conforme à ces dispositions dans les cas où la restitution emporte la communication de données à caractère personnel.

Par cette décision, le Conseil d’État érige donc en biens de retour les droits d’administration des pages des réseaux sociaux créées par le concessionnaire dans le cadre de son exploitation.

Par la suite, le Conseil d’État considère, en l’espèce, que les conditions d’utilité et d’urgence sont remplies pour ordonner au précédent délégataire de restituer à la Commune sans délai et sous astreinte ces droits d’administration, compte tenu du fait que l’exploitation des pages en cause a été interrompue, alors qu’elles constituent, par leur ancienneté et les communautés d’abonnés qu’elles réunissent, un élément important de la valorisation des monuments, que le nouveau délégataire ne saurait reconstituer rapidement.

Enfin, le Conseil d’État qualifie également de biens de retour le film de la Maison Carrée ainsi que les décors utilisés pour l’organisation des « Grands Jeux romains », en se fondant là encore sur les stipulations contractuelles, et considère qu’il y a lieu également d’ordonner leur restitution sous astreinte. En revanche, il rejette les demandes de restitution de la Commune portant sur « d’autres biens immatériels liés à la délégation », faute de précision permettant d’identifier les biens concernés et de confirmer que les conditions d’urgence et d’utilité sont remplies.