Environnement, eau et déchet
le 08/09/2022
Pauline DELETOILLEPauline DELETOILLE

Continuité écologique : inconventionnalité de l’exonération pour les moulins de production hydroélectrique

CE, 28 juillet 2022, SARL Centrale Moulin Neuf, n° 443911

Après le Conseil constitutionnel, c’est au tour du Conseil d’Etat de se prononcer sur les dispositions applicables aux moulins de production hydroélectrique.

L’article L. 214-18-1 du Code de l’environnement, dans sa rédaction issue de la loi n° 2017-227 du 24 février 2017, exonère les moulins à eau équipés pour produire de l’électricité et régulièrement installés sur les cours d’eau classés liste 2 au titre de l’article L. 214-17 du Code de l’environnement, des obligations de continuité écologique qui s’imposent à ces cours d’eau en vertu du même article (transport suffisant des sédiments et circulation des poissons migrateurs).

Le Conseil Constitutionnel avait décidé le 13 mai 2022 que cette disposition était conforme aux exigences constitutionnelles car elle répondait à des motifs d’intérêt général de préservation du patrimoine hydraulique et de production d’énergie hydroélectrique.

Dans une affaire similaire, le Conseil d’Etat vient délimiter les contours de la dérogation prévue à l’article L. 214-18-1 du Code de l’environnement ainsi que sa portée.

En l’espèce, la société exploitante d’une centrale hydroélectrique alimentée par les eaux de la Creuse contestait un arrêté du Préfet de l’Indre fixant des prescriptions supplémentaires complétant l’autorisation d’exploiter l’énergie hydroélectrique sur un barrage dont elle était titulaire. La société exploitante invoquait à ce titre le bénéfice de l’article L. 214-18-1 du Code de l’environnement.

La Cour administrative de Bordeaux avait d’abord considéré « que seuls les moulins dont les installations sont exploitées dans le respect des obligations de mise en conformité » à la réglementation relative à la continuité piscicole, c’est-à-dire qui ont mis en place un dispositif permettant la circulation des poissons migrateurs et notamment des anguilles (tel que prévu par les dispositions antérieurement applicables de l’article L. 232-6 du Code rural, devenu l’article L. 432-6 du Code de l’environnement), « étaient exonérés des prescriptions définies par l’autorité administrative sur le fondement des dispositions du 2 du I de l’article L  214-17 du Code de l’environnement ».

Toutefois, le Conseil d’Etat considère que « les dispositions de l’article L. 214-18-1 du Code de l’environnement ne peuvent […] être interprétées comme limitant le bénéfice de cette exonération aux seuls moulins hydrauliques mis en conformité avec ces obligations ou avec les obligations applicables antérieurement ayant le même objet ». Dès lors, en adoptant une lecture restrictive de cet article, la Cour administrative d’appel a commis une erreur de droit.

Par conséquent, la Haute juridiction annule l’arrêt de la Cour et règle l’affaire au fond en se prononçant sur l’article L. 214-18-1 du Code de l’environnement.

Sans revenir sur l’ensemble du raisonnement du juge pour apprécier la légalité de la décision attaquée, on retiendra ici en particulier l’examen que le juge a opéré juge s’agissant de la conventionnalité des dispositions précitées.

Ainsi, si le Conseil Constitutionnel a déclaré l’article L. 214-18-1 du Code de l’environnement conforme aux exigences constitutionnelles, le Conseil d’Etat le considère quant à lui inconventionnel en méconnaissance des objectifs de la Directive-cadre sur l’eau du 23 octobre 2000 ainsi que du règlement (CE) n° 1100/2007 du 18 septembre 2007 instituant des mesures de reconstitution du stock d’anguilles européennes.

En effet, selon le Conseil d’Etat, les prescriptions imposées aux moulins installés sur les cours d’eau, « d’une part, apportent un concours essentiel aux objectifs définis par la directive du 23 octobre 2000 ainsi qu’à l’article L. 211-1 du même Code, d’autre part, constituent l’unique dispositif prévu par le plan de gestion de l’anguille adopté par la France en application du règlement du 18 septembre 2007 concernant les ouvrages identifiés comme susceptibles d’affecter les mouvements migratoires des anguilles aux fins d’atteindre l’objectif fixé au paragraphe 4 de l’article 2 de ce règlement ».

Par conséquent, « indépendamment de [son] incidence sur la continuité écologique des cours d’eau concernés et de [sa] capacité à affecter les mouvements migratoires des anguilles », le dispositif d’exemption prévu à l’article L. 214-18-1 du Code de l’environnement, en tant qu’il exonère les moulins à eau des obligations mentionnées au 2 du I de l’article L. 214-17 du même Code, méconnaît les objectifs de la directive du 23 octobre 2000 ainsi que le règlement du 18 septembre 2007.

La disposition litigieuse est donc écartée de l’ordre juridique : par suite, le juge indique qu’ « il incombe à l’autorité investie du pouvoir réglementaire de s’abstenir d’adopter les mesures réglementaires destinées à permettre la mise en œuvre de ces dispositions et, le cas échéant, aux autorités administratives nationales, sous le contrôle du juge, de donner instruction à leurs services de n’en point faire application tant que ces dispositions n’ont pas été modifiées ».

L’article L. 214-18-1 du Code de l’environnement étant écarté, la société requérante ne peut s’en prévaloir au principal et le Conseil d’Etat rejette la requête.