Le non-respect par l’attributaire pressenti du délai de transmission des attestations sociales et fiscales prévu par le règlement de la consultation est sans incidence sur la régularité de la procédure avec négociation.

Dans le cadre de la passation d’un marché public, la vérification des candidatures (qui est imposée tant par l’article R. 2144-7 du Code de la commande publique que par l’article L. 8222-1 du Code du travail) est une étape importante qui ne doit en aucun cas être négligée : celle-ci permet à l’acheteur public de vérifier que l’opérateur avec lequel il s’apprête à contractualiser ne rentre pas dans un cas d’exclusion figurant aux articles L. 2141-1 à L. 2141-14 du Code de la commande publique et présente ainsi une candidature recevable.

Pour le candidat, cette étape consiste en la transmission à l’acheteur public d’un certain nombre de justificatifs, et notamment des attestations et certificats attestant de la régularité de sa situation sociale et fiscale. Sur la base de ces éléments, l’acheteur public procède ensuite à la vérification de la régularité de sa candidature.

A défaut, l’article R. 2144-7 du Code de la commande publique prévoit que le candidat est éliminé, et que l’acheteur public sollicite le candidat dont l’offre est classée immédiatement après la sienne :

« Si un candidat ou un soumissionnaire se trouve dans un cas d’exclusion, ne satisfait pas aux conditions de participation fixées par l’acheteur, produit, à l’appui de sa candidature, de faux renseignements ou documents, ou ne peut produire dans le délai imparti les documents justificatifs, les moyens de preuve, les compléments ou explications requis par l’acheteur, sa candidature est déclarée irrecevable et le candidat est éliminé.

Dans ce cas, lorsque la vérification des candidatures intervient après la sélection des candidats ou le classement des offres, le candidat ou le soumissionnaire dont la candidature ou l’offre a été classée immédiatement après la sienne est sollicité pour produire les documents nécessaires. Si nécessaire, cette procédure peut être reproduite tant qu’il subsiste des candidatures recevables ou des offres qui n’ont pas été écartées au motif qu’elles sont inappropriées, irrégulières ou inacceptables ».

S’agissant du moment où la transmission des justificatifs est requise, le Conseil d’Etat avait déjà admis que les preuves établissant qu’un candidat ne se trouve pas dans un cas d’interdiction de soumissionner pouvaient être remises postérieurement à la notification de l’attribution du contrat et avant sa signature (CE, 25 janvier 2019, Société Dauphin Télécom, req. n° 421844).

Celui-ci n’avait toutefois pas précisé que cela pouvait également être le cas lorsqu’un délai de transmission de ces attestations est fixé par le règlement de la consultation (ce qui est souvent le cas dans la pratique). Pour cette raison, certains Juges des référés avaient adopté une lecture excessivement rigoureuse et restrictive des dispositions précitées et de la jurisprudence relative au caractère obligatoire des mentions figurant dans un règlement de la consultation, et n’hésitaient pas à annuler des procédures de passation au seul motif que l’attributaire pressenti n’avait pas remis ses certificats et attestations dans le délai prévu par le règlement de consultation, et ce alors même que l’acheteur aurait été mis en mesure de vérifier la régularité de la situation sociale et fiscale de l’attributaire après l’écoulement de ce délai mais avant la signature du marché…

Tel avait été le cas du Juge des référés du Tribunal administratif de Strasbourg, qui avait annulé la procédure de passation d’un marché de maitrise d’œuvre au motif que la remise des attestations par le groupement attributaire pressenti n’était pas intervenue dans les conditions fixées par le règlement de consultation, qui prévoyait que le candidat retenu à titre provisoire avait un délai maximal de six jours pour remettre l’ensemble des attestations et certificats.

Saisi d’un pourvoi par l’acheteur, le Conseil d’Etat a annulé cette ordonnance en considérant que le non-respect du délai de transmission prévu par le règlement de la consultation était sans incidence sur la régularité de la procédure :

« Il ressort des pièces du dossier soumis au Juge des référés du tribunal administratif de Strasbourg que le groupement dont le mandataire est la société 1090 architectes a transmis l’ensemble des certificats et attestations prévus par les articles R. 2143-6 à R. 2143-10 du Code de la commande publique au stade de sa candidature puis a procédé à une nouvelle transmission entre le 1er mars et le 14 avril 2013 de ces mêmes certificats et attestations en cours de validité. Ces transmissions ont ainsi mis la commune à même de s’assurer que ce groupement était à jour de ses obligations tant lors du dépôt de sa candidature qu’avant la signature du marché, conformément à ce qui a été dit au point 5. Dès lors, la seule circonstance que ces certificats et attestations n’auraient pas été produits dans le délai imparti par les stipulations de l’article 8.2 du règlement de la consultation citées au point précédent est sans incidence sur la régularité de la procédure suivie. Par suite, en jugeant que cette circonstance constituait un manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence susceptible d’avoir lésé M. A.…, le Juge des référés du tribunal administratif de Strasbourg a commis une erreur de droit ».

Cette décision apparaît cohérente avec la jurisprudence rendue en matière de règlement de la consultation, puisqu’il est constant que le principe selon lequel le règlement de la consultation est obligatoire dans toutes ses mentions cède lorsque l’irrégularité au regard de ce règlement est formelle et dénuée de toute portée.

Dans la décision commentée, le Conseil d’Etat s’est donc très justement attaché à constater que ces attestations avaient été remises à l’acheteur public une première fois au stade de la candidature, et que celui-ci avait ensuite été mis à même de s’assurer que le groupement était toujours à jour de ses obligations, avant la signature du marché[1].

Si cette décision a été rendue s’agissant d’une procédure avec négociation, dans le cadre de laquelle les attestations devaient être remises dès le stade de la candidature, la même règle devrait trouver à s’appliquer dans le cadre d’une procédure ouverte étant précisé que, dans la pratique, la problématique se pose sensiblement dans les mêmes termes puisque les candidats remettent bien souvent spontanément ces documents au moment de leur candidature.

 

[1] La mise à jour de ces attestations est souvent nécessaire au cours d’une procédure de passation, en raison de la durée de validité relativement courte de ces attestations (six mois) par rapport aux délais de procédure.

Même irrégulière, la notification d’un décompte général empêche la naissance d’un décompte général définitif tacite

Il y a quelques mois, nous avions consacré un article sur les points de vigilance pour l’acheteur et le titulaire sur le décompte général définitif tacite.

La décision rendue par le Conseil d’Etat le 9 novembre dernier vient ajouter un nouveau point de vigilance sur ce sujet, à l’attention cette fois-ci des titulaires de marchés de travaux.

Pour rappel, aux termes du Cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés de travaux (CCAG Travaux), qu’il s’agisse de la version du 8 septembre 2009 modifiée par l’arrêté du 3 mars 2014 ou de celle du 30 mars 2021, l’élaboration du décompte du marché doit suivre plusieurs étapes :

  • Etape 1 : le titulaire doit transmettre au maître d’œuvre et au représentant du pouvoir adjudicateur son projet de décompte final, dans un délai de 30 jours à compter de la décision de réception des travaux ;
  • Etape 2 : le représentant du pouvoir adjudicateur doit notifier au titulaire le décompte général, dont le projet doit avoir été établi par le maître d’œuvre, dans un délai de 30 jours à compter de la réception du projet de décompte final par le maître d’œuvre et le représentant du pouvoir adjudicateur (la date à retenir étant la plus tardive des deux réceptions) ;
  • Etape 3 : deux hypothèses sont à distinguer :
    • Hypothèse 1 : le pouvoir adjudicateur a, de manière normale, effectivement notifié son décompte général dans le délai précité. Le titulaire dispose alors d’un délai de 30 jours à compter de la réception de ce décompte général pour exprimer ses éventuelles réserves au sein d’un mémoire en réclamation. A défaut, le décompte général notifié par le pouvoir adjudicateur est réputé accepté tacitement par le titulaire ;
    • Hypothèse 2 : le pouvoir adjudicateur n’a pas notifié son décompte général dans le délai précité. Le titulaire peut alors notifier au représentant du pouvoir adjudicateur, avec copie au maître d’œuvre, son propre projet de décompte général signé. Le pouvoir adjudicateur dispose ensuite d’un délai de 10 jours à compter de la réception de ce décompte pour notifier son propre décompte général au titulaire. A défaut, le décompte général élaboré par le titulaire est réputé accepté tacitement par le pouvoir adjudicateur et acquiert un caractère définitif.

Dans le cadre de cette procédure, il est donc prévu que le décompte général soit notifié au titulaire par le représentant du pouvoir adjudicateur (cf. étape 2).

Mais, que se passe-t-il lorsque ce décompte général n’est pas notifié par le représentant du pouvoir adjudicateur mais par le maître d’œuvre ?

C’est à cette question que le Conseil d’Etat apporte une réponse par sa décision en date du 9 novembre 2023, laquelle a été rendue dans le cadre d’un contentieux relatif à la fixation du solde d’un marché de travaux pour la réhabilitation d’un poste de livraison attribué par le Centre hospitalier intercommunal de Créteil à la Société Transport tertiaire industrie.

La Société Transport tertiaire industrie avait saisi la juridiction administrative d’une demande tendant à ce que le Centre hospitalier soit condamné lui verser les sommes de 32.596,02 € TTC au titre du solde du marché, ainsi que de 39.488,86 € TTC au titre de la prolongation des travaux ; à titre reconventionnel, le centre hospitalier a, quant à lui, demandé la condamnation de l’entreprise à lui verser une somme de 222.815 € au titre des préjudices causés par sa faute commise durant l’exécution des travaux.

Le 15 juillet 2020, le tribunal administratif de Melun a fixé le solde du marché à la somme négative de 334.441,43 € TTC. Ce jugement a ensuite été confirmé par la Cour administrative d’appel de Paris le 14 octobre 2022, contre lequel l’entreprise a formé un pourvoi en cassation.

Dans le cadre de son argumentation, la Société Transport tertiaire industrie soutenait notamment qu’aucun décompte général ne lui avait été notifié par le représentant du pouvoir adjudicateur, le seul décompte général qu’elle a reçu lui ayant été notifié par le maître d’œuvre. Elle en concluait qu’un décompte général et définitif tacite était né du silence gardé par le centre hospitalier sur son propre projet de décompte général qu’elle lui avait notifié le 14 avril 2017.

Cependant, le Conseil d’Etat commence par poser le principe suivant (qui justifie la mention de la décision aux tables du Recueil Lebon) :

« 5. Il résulte de ces stipulations que la notification au titulaire du marché d’un décompte général, même irrégulier, fait obstacle à l’établissement d’un décompte général et définitif tacite à l’initiative du titulaire dans les conditions prévues par l’article 13.4.4 de ce cahier ».

Ensuite, faisant application de ce principe au cas d’espèce, le Conseil d’Etat conclut, comme l’avait fait le juge d’appel, que la société ne pouvait se prévaloir d’aucun décompte général et définitif tacite, dès lors qu’un décompte général lui avait été notifié par le maître d’œuvre avant la naissance d’un décompte général et définitif tacite. A cet égard, la circonstance que le pouvoir adjudicateur se soit, par la suite, approprié ce décompte général est sans incidence sur l’effectivité de cette notification.

Ainsi, entre une application rigoureuse des stipulations du CCAG-Travaux et une application protectrice des intérêts de l’acheteur, le Conseil d’Etat a clairement opté pour la seconde option : même si la notification au titulaire du décompte général a été effectuée par la mauvaise personne au regard du CCAG-Travaux (maître d’œuvre au lieu du pouvoir adjudicateur), elle suffit à faire obstacle à la naissance par la suite d’un décompte général définitif tacite établi sur la base du projet du titulaire.

Pour abandonner son poste, encore faut-il avoir une affectation

Mise en lumière d’un préalable nécessaire à l’abandon de poste

Impossibilité de radier des cadres pour abandon de poste un fonctionnaire n’étant pas affecté

Par une décision récente en date du 11 octobre 2023, le Conseil d’Etat a précisé qu’il n’était pas possible de prononcer à l’encontre d’un fonctionnaire n’ayant pas reçu d’affectation correspondant à son grade une mesure de radiation des cadres pour un abandon de poste.

En l’espèce, un ingénieur en chef des ponts, des eaux et des forêts, a été affecté le 14 janvier 2015 à la Direction Générale de l’Enseignement et de la Recherche du Ministère chargé de l’agriculture. Estimant que cet agent se trouvait en situation d’absence injustifiée depuis le 11 juin 2020, la Secrétaire Générale du Ministère l’a mis en demeure de reprendre son service dans un délai de huit jours, sous peine de s’exposer à l’engagement d’une procédure de radiation pour abandon de poste. Cette mise en demeure a été réitérée le 21 janvier 2022 et le Président de la République a radié des cadres cet ingénieur en chef pour abandon de poste par un décret du 6 mai suivant.

Toutefois, le Conseil d’Etat a relevé que le service au sein duquel l’agent exerçait ses fonctions, avait été supprimée en mars 2019, sans que celui-ci ne soit affecté à l’entité ayant repris les activités de cette structure. Si des échanges sont intervenus entre l’intéressé et sa hiérarchie sur la suite de son parcours professionnel, il n’a fait l’objet d’aucune affectation.

Dès lors, après le droit pour tout fonctionnaire en activité de recevoir, dans un délai raisonnable, une affectation correspondant à son grade, le Conseil d’Etat a fait droit à la demande d’annulation de sa mesure de radiation au motif que « lorsqu’un agent n’a pas reçu une affectation correspondant à son grade, il ne peut être regardé comme ayant, faute d’avoir rejoint son poste ou repris son service, rompu de son fait le lien avec le service et ne peut dès lors faire l’objet d’une mesure de radiation des cadres pour abandon de poste ».

Aussi, « l’absence d’affectation de M.A… faisait obstacle à ce que puisse être légalement prononcée à son encontre une mesure de radiation des cadres pour abandon de poste, sans qu’ait d’incidence à cet égard la teneur des échanges sur les affectations envisagées intervenus entre l’intéressé et sa hiérarchie, à qui il appartenait en toute hypothèse de procéder à son affectation régulière. Il est dès lors fondé […] à demander l’annulation du décret qu’il attaque ».

L’arrêt attire donc, une nouvelle fois, l’attention des employeurs sur les précautions à prendre pour prononcer cette mesure délicate qu’est la radiation pour abandon de poste : elle doit toujours pouvoir être exclusivement imputable à la volonté de l’agent. En l’absence d’affectation, et quelle que soit par ailleurs la mauvaise volonté de ce dernier, la radiation sera exposée à un risque juridique important.

L’accident de trajet consécutif à une consommation excessive d’alcool sur le lieu de travail n’est pas imputable au service

Refus d’imputabilité au service de l’accident de trajet dont a été victime l’agent conduisant en état d’ivresse sur le trajet retour

La consommation volontaire d’alcool par un fonctionnaire lors d’un repas de service festif durant le temps de travail est un fait personnel détachant du service l’accident de trajet survenu sur le trajet retour.

Par une décision très récente en date du 3 novembre dernier, le Conseil d’Etat est venu préciser que l’accident de trajet dont a été victime un agent public, qui conduisait avec un taux d’alcool dans le sang supérieur au taux maximal autorisé, après avoir consommé de l’alcool lors d’un repas de service festif organisé pendant le temps de travail, ne saurait être reconnu imputable au service.

En l’espèce, la Haute juridiction était saisie d’un recours introduit par la veuve d’un agent public décédé à la suite d’un accident de la route survenu alors qu’il regagnait son domicile depuis son lieu de travail avec un scooter de service. La requérante contestait le refus de l’employeur public de son mari de reconnaître l’imputabilité au service dudit accident de trajet et par suite le refus de prendre en charge notamment l’indemnisation des préjudices en résultant.

Tour à tour le Tribunal administratif de Paris puis la Cour administrative de Paris (CAA, 5 octobre 2021, n° 20PA00835) avaient rejeté sa requête et confirmé la légalité du refus de reconnaissance de l’imputabilité au service de l’accident de trajet.

Saisi à son tour, le Conseil d’Etat, a rappelé la définition de l’accident de trajet (« est réputé constituer un accident de trajet tout accident dont est victime un agent public qui se produit sur le parcours habituel entre le lieu où s’accomplit son travail et sa résidence et pendant la durée normale pour l’effectuer, sauf si un fait personnel de cet agent ou toute autre circonstance particulière est de nature à détacher l’accident du service »), a confirmé l’arrêt de la Cour administrative d’appel sur la base des considérations suivantes :

  • D’une part, et dès lors qu’aucune autre cause de l’accident ne ressortait du dossier, le choix délibéré de l’agent de conduire sous imprégnation alcoolique était constitutif d’un fait personnel rendant l’accident détachable du service;
  • D’autre part, que la circonstance que l’alcool ait été consommé à l’occasion d’un évènement festif organisé pendant le temps de travail était sans incidence.

Le Conseil d’Etat en a déduit que, quand bien même l’accident s’était produit sur le parcours habituel et pendant la durée normale du trajet entre le lieu de travail et la résidence de l’agent, cet accident ne pouvait être regardé comme imputable au service.

Ce faisant, la Haute juridiction nous rappelle la nécessité de garder à l’esprit un critère relativement peu usité en la matière, notamment parce qu’il est peu pris en compte par les conseils médicaux, le fait personnel détachant l’accident du service, lequel n’a pas nécessairement à être constitutif d’une faute.

Congé pour invalidité temporaire imputable au service (CITIS) : la décision de placement provisoire doit préciser qu’elle pourra être retirée au-delà du délai de quatre mois.

Par un arrêt en date du 3 novembre 2023, le Conseil d’Etat a apporté une précision particulièrement importante s’agissant de la mise en œuvre de la procédure relative au bénéfice par un agent d’un congé pour invalidité temporaire imputable au service (CITIS).

1.    L’obligation de mentionner le caractère provisoire de la décision de placement en CITIS

Rappelons que ce nouveau congé institué par une ordonnance en date du 19 janvier 2017 est désormais encadré de façon très précise par le Code général de la fonction publique et son décret d’application, qui figure aux articles 37-1 et suivants du décret n° 87-602 du 30 juillet 1987.

En particulier, afin d’éviter que la longueur des procédures à suivre, notamment devant le conseil médical ne porte préjudice à l’agent qui a sollicité le bénéfice du CITIS, l’article 37-5 décret n° 87-602 du 30 juillet 1987 prévoit que s’il n’a pas été statué dans un délai d’un mois (pour les accidents du travail), ou deux mois (pour les maladies professionnelles), l’agent doit obligatoirement être placé, à titre provisoire, sous le régime de ce congé.

L’agent conserve pendant cette durée l’intégralité de son traitement.

En revanche, si, au terme de la procédure suivie devant le conseil médical, l’administration décide de refuser de reconnaitre l’imputabilité au service de l’accident ou de la maladie, et donc de ne pas attribuer le bénéfice d’un CITIS à l’agent, elle peut alors retirer sa décision provisoire, et placer rétroactivement l’agent en congé de maladie de droit commun.

Le même article 37-5 précise que, lorsqu’une décision provisoire de placement en CITIS, la décision doit explicitement indiquer qu’elle pourra être retirée, et que les pleins traitements versés sur son fondement feront dans ce cas l’objet d’un ordre de reversement. Cette exigence formelle est importante, car il faut évidemment que l’agent soit en mesure de prévenir financièrement cette éventualité, et ne pas être surpris par un titre de perception qui peut s’avérer d’un montant très important.

2.    Conséquence d’un défaut de mention du caractère provisoire

Par sa décision en date du 3 novembre, le Conseil d’Etat précise quelle est la conséquence d’un défaut de mention du caractère provisoire et retirable de la décision.

Il confirme d’abord que cette mesure provisoire peut être retirée au-delà du délai de quatre mois prévus par l’article L. 242-1 du Code des relations entre le public et l’administration, dès lors que cette procédure obéit à un régime spécial.

En revanche, il précise les conditions nécessaires pour permettre une telle mesure de retrait : la décision doit explicitement faire état de son caractère provisoire, et préciser qu’elle pourra être retirée dans les conditions prévues à l’article 37-9 du décret du 30 juillet 1987 précité.

Dans le cas contraire, elle ne peut être regardée que comme une décision créatrice de droit relevant du seul régime de l’article L. 242-1 précité, et donc ne peut être retirée que si elle est illégale, dans un délai de quatre mois.

Cette décision n’est pas surprenante, mais doit attirer l’attention des employeurs publics qui devront s’assurer que les décisions de placement temporaire en CITIS contiennent bien cette précision – à défaut de quoi elles pourraient avoir, malgré elle, reconnu de façon définitive l’imputabilité d’accidents ou de maladie.

Délibération d’ester en justice : la suffisance d’une délégation générale et permanente devant le juge pénal

Par arrêt en date du 4 avril 2023, la Chambre criminelle de la Cour de cassation est venue préciser sa jurisprudence en censurant le raisonnement d’une Cour d’appel qui avait déclaré irrecevable la constitution de partie civile d’une commune en ce que la délégation d’ester en justice accordée à son maire par délibération du conseil municipal se bornait à reproduire les dispositions légales de manière générale sans spécifier les affaires pour lesquelles ce dernier avait reçu une délégation pour agir en justice.

En effet, l’article L. 2122-22, 16°, du Code général des collectivités territoriales dispose : « le maire peut, en outre, par délégation du conseil municipal, être chargé, en tout ou partie, et pour la durée de son mandat : […] 16° d’intenter au nom de la commune les actions en justice ou de défendre la commune dans les actions intentées contre elle, dans les cas définis par le conseil municipal ».

Le raisonnement censuré des juges de la Cour d’appel se fondait sur la précédente jurisprudence de la Chambre criminelle, notamment affirmée dans son arrêt du 28 janvier 2004 (n° 02-88.471) selon lequel une telle délibération ne pouvait se borner à viser ou reproduire ce texte sans définir les cas de délégation ou sans indiquer expressément que la délégation concerne l’ensemble du contentieux de la commune.

Dans le présent arrêt, la Chambre criminelle a approuvé la rédaction de la délibération du Conseil municipal autorisant « le maire à intenter au nom de la commune, par voie d’action ou d’intervention, toute action en justice quelle que soit sa nature ou à défendre la commune dans toutes les actions intentées contre elle, ceci devant l’ensemble des juridictions administratives, civiles et pénales, ainsi que devant toutes les juridictions sans exception, en charge de contentieux spécialisés, aussi bien en première instance qu’en appel ou en cassation ».

Par cette jurisprudence, la Cour de cassation admet ainsi la régularité et la validité, au soutien des constitutions de partie civile des collectivités, des délibérations d’ester en justice permanente et générale, se conformant ainsi à la jurisprudence administrative (CE 30 juill. 1997, n° 169574, Cne de Montrouge c/ Parmentier ; CE 4 mai 1998, n° 188292, Mme de Verteuil).

Annulation d’un arrêté préfectoral répartissant des ouvrages de production d’eau potable sur le fondement des dispositions de l’article L. 5211-25-1 du CGCT

Pour rappel, en cas de réduction du périmètre d’un établissement public de coopération intercommunal (EPCI) résultant du retrait d’une commune membre de cet établissement, il convient de faire application des dispositions de l’article L. 5211-25-1 du Code général des collectivités territoriales (CGCT). Plus précisément, et comme le rappelle la Cour administrative dans cet arrêt, il appartient aux parties en cause ou, à défaut d’accord, au préfet de procéder à la répartition, d’une part, de l’ensemble des actifs dont l’établissement est devenu propriétaire, d’autre part, de l’encours de la dette contractée postérieurement au transfert de compétence. La Cour administrative ajoute de manière classique que cette répartition doit être fixée dans le but, d’une part, d’éviter toute solution de continuité dans l’exercice, par les personnes publiques, de leur compétence, d’autre part, de garantir la continuité du service public pour les usagers en donnant aux personnes publiques concernées les moyens d’exercer leur compétence, enfin, de garantir un partage équilibré compte tenu de l’importance de la participation de la commune dans l’établissement public.

Au cas présent, deux communes étaient membres d’un syndicat compétent en matière d’eau. A la suite du transfert de la compétence eau à la communauté d’agglomération du centre de la Martinique (CACEM) dont elles étaient membres, elles ont été retirées de ce syndicat.

En 2018, après l’échec des négociations entre les communes et le syndicat sur la répartition de deux réservoirs acquis par le syndicat postérieurement au transfert de la compétence et situés sur leurs territoires, les communes ont saisi le préfet afin qu’ils répartissement ces ouvrages entre elles et le syndicat (plus exactement entre elles et la communauté d’agglomération de l’espace sud Martinique (CAESM) qui s’est, entre temps, substituée au syndicat). Le préfet a décidé du transfert en pleine propriété de ces ouvrages à la communauté d’agglomération.

C’est cet arrêté que la Cour administrative d’appel au motif, d’une part, que ces réservoirs produisent des volumes d’eau excédant les besoins des habitants des 12 communes membres de la CAESM et que, d’autre part, l’eau potable acquise auprès de la société martiniquaise de l’eau (SME) (délégataire de service de distribution d’eau potable de la CAESM) aux fins de fournir les habitants des communes du Lamentin et de Saint-Joseph provient, pour l’essentiel, de ces deux ouvrages.

Elle en conclut que : « dans ces conditions, et eu égard à l’importance que revêtait la participation des communes requérantes dans la CAESM, l’arrêté attaqué, qui décide du transfert en pleine propriété de ces ouvrages à la CAESM, sans même prévoir une mise à disposition partielle au bénéfice des communes de Saint-Joseph et du Lamentin, méconnaît les objectifs rappelés au point 3 et repose ainsi sur une inexacte application des dispositions précitées de l’article L. 5211-25-1 du code général des collectivités territoriales ».

Et enjoint au préfet de prendre un nouvel arrêté dans un délai de trois mois suivant la notification de l’arrêt.

Cet arrêt est novateur dès lors qu’il prévoit une éventuelle mise à disposition partielle des réservoirs au profit des communes.

Or cela interroge dans la mesure où, premièrement, il n’est pas évident en droit que le préfet puisse imposer la conclusion d’une convention de mise à disposition partielle. Surtout, le juge ne fait pas mention du fondement juridique qui permettrait d’identifier le montage juridique auquel il fait référence. Aussi, le terme de mise à disposition partielle interroge et laisse place à plusieurs interprétations.

Dans le cadre de son nouvel arrêté le préfet a, quant à lui, décidé répartir les ouvrages litigieux à compter du 1er janvier 2027 comme suit : un réservoir à la CAESM et un autre réservoir à la CACEM.

L’opposition de l’entrepreneur principal prohibe le paiement direct du sous-traitant

Par un arrêt en date du 17 octobre 2023, le Conseil d’État apporte d’utiles précisions quant aux modalités de mise en œuvre du droit au paiement direct du sous-traitant. Plus précisément, le Conseil d’État a tranché la question tendant à savoir s’il appartient au pouvoir adjudicateur de contrôler le refus motivé du titulaire du marché à la demande de paiement direct formulé par son sous-traitant ou s’il peut se borner à constater l’opposition du titulaire sans porter sur elle aucune appréciation quant à son bienfondé.

En l’espèce, Le SIEL Territoire d’énergie Loire (ci-après, le « Syndicat »), a confié les lots nos 16 et 17 d’un marché public de travaux portant sur le réseau de desserte en fibre optique (ci-après, le « Marché ») à un groupement d’entreprises solidaires. Un des membres du groupement, la société SERP (ci-après, le « Titulaire ») a sous-traité une partie des prestations à la société NGE Infranet (ci-après, le « Sous-traitant ») laquelle a été agrée et a vu ses conditions de paiement accepté par le Syndicat.

Au cours de l’exécution du marché, le Sous-traitant a adressé au Syndicat une demande de paiement direct au titre des prestations qu’il avait réalisées. Le Titulaire a manifesté son opposition expresse et motivée à ce paiement. Le SIEL a donc refusé de faire droit à cette demande de paiement direct au seul motif de cette opposition formulée par le Titulaire. Le Sous-traitant a intenté un recours devant le Tribunal administratif de Lyon pour obtenir le paiement des prestations réalisées sur le fondement de son droit au paiement direct mais s’est vu débouté de sa demande par un jugement du 9 juillet 2020. La Cour administrative d’appel de Lyon a en revanche fait partiellement droit à sa demande dans un arrêt du 22 septembre 2022 au motif que la circonstance que l’opposition formulée par le Titulaire en raison de son insatisfaction de la qualité des prestations réalisées par le Sous-traitant n’était pas de nature à justifier le refus de paiement direct des prestations réalisées ce dernier.

Le Syndicat s’est pourvu en cassation contre cet arrêt et il revenait donc au Conseil d’État de se prononcer sur la question tendant à savoir s’il appartient au pouvoir adjudicateur de contrôler le bien-fondé de l’opposition au paiement direct formulé par l’entrepreneur principal ou s’il peut se fonder sur cette seule opposition pour refuser de procéder au paiement du sous-traitant.

Le Conseil d’État expose tout d’abord qu’il résulte des dispositions de la loi du 31 décembre 1975 relative à la sous-traitance et de l’article 116 du Code des marchés publics (Code applicable au cas d’espèce mais dont les dispositions sont désormais reprises aux articles R. 2193-10 et suivants du Code de la commande publique) que « pour obtenir le paiement direct par le maître d’ouvrage de tout ou partie des prestations qu’il a exécutées dans le cadre de son contrat de sous-traitance, le sous-traitant régulièrement agréé doit adresser sa demande de paiement direct à l’entrepreneur principal, titulaire du marché. Il appartient ensuite au titulaire du marché de donner son accord à la demande de paiement direct ou de signifier son refus dans un délai de quinze jours à compter de la réception de cette demande. Le titulaire du marché est réputé avoir accepté cette demande s’il garde le silence pendant plus de quinze jours à compter de sa réception. A l’issue de cette procédure, le maître d’ouvrage procède au paiement direct du sous-traitant régulièrement agréé si le titulaire du marché a donné son accord ou s’il est réputé avoir accepté la demande de paiement direct. Cette procédure a pour objet de permettre au titulaire du marché d’exercer un contrôle sur les pièces transmises par le sous-traitant et de s’opposer, le cas échéant, au paiement direct. Sa méconnaissance par le sous-traitant fait ainsi obstacle à ce qu’il puisse se prévaloir, auprès du maître d’ouvrage, d’un droit à ce paiement ». Et, le Conseil d’État indique notamment que « le refus motivé du titulaire du marché d’accepter la demande de paiement direct du sous-traitant, notifié dans le délai de quinze jours à compter de sa réception, fait également obstacle à ce que le sous-traitant puisse se prévaloir, auprès du maître d’ouvrage, d’un droit à ce paiement ».

En l’espèce, le Conseil d’État constate que le Titulaire avait notifié son refus motivé d’accepter la demande de paiement direct formée par la société NGE Infranet dans le délai de quinze jours qui lui était imparti et conclut logiquement que le Syndicat « était, par suite, fondé, pour ce seul motif, qu’il avait d’ailleurs opposé à la société NGE Infranet dès son courrier du 24 mai 2018 rejetant sa demande de paiement direct, à refuser de procéder à ce paiement ».

Le Conseil d’État a ainsi suivi les conclusions de son rapporteur public lequel a parfaitement synthétisé le contrôle à opérer par l’acheteur puisqu’il écrivait que « le maître d’ouvrage […] n’a pas à contrôler le bienfondé de l’opposition du titulaire, mais il doit en revanche de contrôler son caractère motivé ». Lorsque le refus de l’entrepreneur principal est motivé, il « suffit à fonder le refus du maître d’ouvrage, qui peut se borner à constater l’opposition du titulaire sans porter sur elle aucune appréciation ».

Il résulte ainsi expressément de cet arrêt que le pouvoir adjudicateur n’a pas à porter une appréciation sur le bien-fondé de l’opposition au paiement direct formulé par l’entrepreneur principal, il lui revient uniquement de s’assurer de l’existence d’un tel motif et, le cas échéant, d’opposer un refus à la demande de paiement direct du sous-traitant.

Les limites de prise en charge de l’assurance en matière de contrefaçon

En l’espèce, une société prestataire a été chargée de la décoration des restaurants de la célèbre enseigne McDonald’s. Considérant qu’il y avait contrefaçon en raison de la présence d’images semblables aux œuvres d’un designer dans les restaurants McDonald’s, son ayant droit a formulé des réclamations et les parties ont conclu un protocole transactionnel. La société prestataire a ainsi déclaré le sinistre auprès de son assureur qui lui a opposé un refus de toute prise en charge au motif qu’il s’agissait d’une faute dolosive au vu du caractère « flagrant et massif » de la contrefaçon. La société prestataire a donc assigné son assureur.

La juridiction de première instance s’est fondée sur l’article L. 113-1 du Code des assurances, disposition d’ordre public aux termes de laquelle « l’assureur ne répond pas des pertes et dommages provenant d’une faute intentionnelle ou dolosive de l’assuré », pour retenir l’exclusion de garantie légale en cas de faute intentionnelle ou dolosive, et a débouté la société prestataire de l’ensemble de ses demandes.

Ce raisonnement a été confirmé par la Cour d’appel d’Aix en Provence dans un arrêt du 20 mai 2021[1], puis par la Cour de cassation le 30 mars dernier. Elle a rappelé que la faute dolosive, définie comme « un acte délibéré de l’assuré commis avec la conscience du caractère inéluctable de ses conséquences dommageables »[2], était caractérisée en l’espèce. Elle a considéré que la société prestataire avait parfaitement conscience de prendre un risque avéré puisqu’elle ne pouvait méconnaitre ni la clause contractuelle d’originalité la liant à la société McDonald’s, ni la similitude incontestable de ses œuvres avec celles du designer trop connu pour être ignorées d’un professionnel du milieu de la décoration intérieure.

Il en ressort qu’une analyse objective du comportement [délibéré] de l’assuré, sans que les critères ne soient pour autant bien définis, permet de retenir la faute dolosive et ainsi l’exclusion de la garantie légale.

Si les critères objectifs semblent remplis en l’espèce, il est fort probablement que la situation ne soit pas aussi évidente dans d’autres cas. En effet, la marge d’appréciation est grande en matière de droits d’auteur et, comme le rappelle justement la société prestataire aux soutiens de ses demandes, « l’aléa en la matière est d’autant plus fort lorsque les créations artistiques sont diffusées à travers le monde […] ».

 

[1]Cour d’appel, Aix-en-Provence, 1re et 3e chambres réunies, 20 mai 2021 – n° 18/08231

[2] Cass. Civ., 2ème, 20 janvier 2022, pourvoi n° 20-13.245

Le Conseil d’Etat précise la définition d’ « extension » d’une construction

Dans cette affaire, un maire a délivré à une SCI un permis de construire autorisant une extension comprenant une surélévation, après démolition partielle, d’une maison d’habitation existante, située sur un terrain composé de deux parcelles.

D’emblée, il convient de relever un élément important ici : la maison préexistante est d’une surface de plancher de 63 m² tandis que l’extension devait conduire à une surface de plancher totale de 329 m². Ce permis de construire a fait l’objet d’un recours pour excès de pouvoir devant le Tribunal administratif de Cergy-Pontoise, lequel a rejeté la requête des requérants. Le jugement a été confirmé par la Cour administrative d’appel de Versailles. Les requérants se sont donc pourvus en cassation devant le Conseil d’Etat.

Les requérants avaient notamment soulevé devant les juges du fond le moyen tiré de ce que le projet attaqué méconnait l’article UE 7 du règlement du plan local d’urbanisme (PLU) de Meudon concernant l’implantation des constructions par rapport aux limites séparatives.

La Cour a jugé qu’en l’absence de dispositions du PLU limitant la surface des extensions pouvant être autorisées, la qualité d’extension devait s’apprécier seulement au regard d’un critère de continuité physique et fonctionnelle et de sa complémentarité avec la construction existante, peu important la superficie des travaux d’extension projetés par rapport à la construction préexistante. Or, le Conseil d’Etat a considéré qu’en jugeant ainsi, la Cour administrative d’appel avait commis une erreur de droit car, ni le PLU de la commune, et en particulier son article 7 relatif à l’implantation des constructions par rapport aux limites séparatives, ni aucune autre disposition de ce règlement ne définissent la notion d’extension d’une construction existante.

C’est ici bien comprendre que, selon le Conseil d’Etat, outre les conditions tenant à la continuité physique et fonctionnelle de la construction existante, l’extension doit également être d’une surface de plancher inférieure à la construction préexistante, lorsque le règlement du PLU ne limite pas les dimensions de l’extension par rapport à la construction préexistante.

A ce titre, l’on relève que le Conseil d’Etat rappelle qu’il est bien loisible aux auteurs d’un PLU de préciser au sein de leur règlement si la notion d’extension d’une construction existante comporte une limitation quant aux dimensions d’une telle extension. Mais, dans le silence du PLU, une extension ne pourra être qualifiée comme telle que si sa surface de plancher est inférieure à la surface de plancher de la construction initiale.

Le considérant de principe à retenir du Conseil d’Etat est donc le suivant :

« Lorsque le règlement d’un plan local d’urbanisme ne précise pas, comme il lui est loisible de le faire, si la notion d’extension d’une construction existante, lorsqu’il s’y réfère, comporte une limitation quant aux dimensions d’une telle extension, celle-ci doit, en principe, s’entendre d’un agrandissement de la construction existante présentant, outre un lien physique et fonctionnel avec elle, des dimensions inférieures à celle-ci ».

Par conséquent, le Conseil d’Etat a annulé l’arrêt de la Cour administrative d’appel et a renvoyé l’affaire devant cette dernière.

Une opération de restauration immobilière nécessitant la mise en œuvre d’une procédure d’expropriation pour cause d’utilité publique ne porte pas atteinte au droit de propriété protégé par l’article 17 de la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen

Dans cette affaire, le Préfet du Pas-de-Calais a déclaré cessibles des immeubles nécessaires à la réalisation d’une opération de restauration immobilière à Béthune.

Cet arrêté a fait l’objet d’un recours pour excès de pouvoir devant le tribunal administratif qui a rejeté cette demande, rejet qui a été confirmé en appel.

La requérante s’est pourvue en cassation contre l’arrêt de la Cour administrative d’appel, et a en parallèle soulevé la question prioritaire de constitutionnalité (QPC) suivante :

« Les dispositions des articles L. 313-4, L. 313-4-1 et L. 314-4-2 du Code de l’urbanisme, en ce qu’elles permettent l’expropriation d’un immeuble dont le propriétaire n’a pas fait connaître son intention de réaliser ou faire réaliser les travaux qui ont été prescrits dans le cadre d’une opération de restauration immobilière, sont-elles constitutionnelles par rapport au droit de propriété protégé par l’article 17 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen ? ».

En réponse, le Conseil d’Etat a, d’abord, cité les articles du Code de l’urbanisme critiqués.

Pour rappel, l’article L. 313-4 du Code de l’urbanisme dispose que :

« Les opérations de restauration immobilière consistent en des travaux de remise en état, d’amélioration de l’habitat, comprenant l’aménagement, y compris par démolition, d’accès aux services de secours ou d’évacuation des personnes au regard du risque incendie, de modernisation ou de démolition ayant pour objet ou pour effet la transformation des conditions d’habitabilité d’un immeuble ou d’un ensemble d’immeubles. Elles sont engagées à l’initiative soit des collectivités publiques, soit d’un ou plusieurs propriétaires, groupés ou non en association syndicale, et sont menées dans les conditions définies par la section 3 du présent chapitre.

Lorsqu’elles ne sont pas prévues par un plan de sauvegarde et de mise en valeur approuvé, elles doivent être déclarées d’utilité publique ».

  1. 314-4-1 du même Code poursuit :

« Lorsque l’opération nécessite une déclaration d’utilité publique, celle-ci est prise, dans les conditions fixées par le Code de l’expropriation pour cause d’utilité publique, à l’initiative de la commune ou de l’établissement public de coopération intercommunale compétent pour réaliser les opérations de restauration immobilière, ou de l’Etat avec l’accord de la commune ou de l’établissement public de coopération intercommunale compétent en matière de plan local d’urbanisme ».

Selon l’article L. 314-4-2 du Code :

« Après le prononcé de la déclaration d’utilité publique, la personne qui en a pris l’initiative arrête, pour chaque immeuble à restaurer, le programme des travaux à réaliser dans un délai qu’elle fixe.

Cet arrêté est notifié à chaque propriétaire. Lorsque le programme de travaux concerne des bâtiments soumis à la loi n° 65-557 du 10 juillet 1965 fixant le statut de la copropriété des immeubles bâtis, l’arrêté est notifié à chaque copropriétaire et au syndicat des copropriétaires, pris en la personne du syndic.

Lors de l’enquête parcellaire, elle notifie à chaque propriétaire ou copropriétaire le programme des travaux qui lui incombent. Lorsque le programme de travaux concerne des bâtiments soumis à la loi n° 65-557 du 10 juillet 1965 fixant le statut de la copropriété des immeubles bâtis, le programme portant sur les parties communes est également notifié au syndicat des copropriétaires, pris en la personne du syndic. Si un propriétaire ou copropriétaire fait connaître son intention de réaliser les travaux dont le détail lui a été notifié pour information, ou d’en confier la réalisation à l’organisme chargé de la restauration, son immeuble n’est pas compris dans l’arrêté de cessibilité ».

C’est ici bien comprendre que lorsqu’une opération de restauration immobilière nécessite que l’utilité publique de l’opération soit reconnue, par un arrêté déclarant d’utilité publique (DUP) le projet, la collectivité qui est à l’origine de cette opération devra mettre en œuvre la procédure de déclaration d’utilité publique décrite au sein du Code de l’expropriation pour cause d’utilité publique.

Concrètement, l’utilité publique est reconnue si les trois conditions suivantes sont réunies :

  • Le but de l’expropriation doit constituer un intérêt général permettant de mettre en œuvre cette opération. Autrement posé, l’expropriation répond à un besoin de la population ;
  • Le recours à l’expropriation est nécessaire en vue de mettre en œuvre l’opération projetée, car l’administration expropriante est ici dans l’impossibilité de mettre en œuvre l’opération, sans recourir à l’expropriation, faute de posséder des parcelles en vue de réaliser l’ouvrage public, et ce, dans des conditions équivalentes à l’expropriation ;
  • Un bilan coûts/avantages positif de l’expropriation projetée. Il conviendra de démontrer que l’expropriation entrainera des conséquences globalement positives par rapport à ses inconvénients, au regard notamment des atteintes à la propriété privée, du coût financier, des inconvénients d’ordre social (CE, Ass., 28 mai 1971, Ville Nouvelle Est, req. n° 78825, publié au Recueil).

Ensuite, un arrêté de cessibilité devra être pris par le préfet. Pour ce faire, il faudra ouvrir l’enquête parcellaire, en vue de déclarer cessibles les immeubles présents au sein du projet de DUP et qui lui sont nécessaires.

Lors de l’enquête parcellaire, l’administration porteuse du projet devra arrêter, pour chaque immeuble à restaurer, le programme des travaux à réaliser qui incombent au propriétaire, dans un délai qu’elle fixe.

Toutefois, si un propriétaire fait connaître son intention de réaliser les travaux dont le détail lui a été notifié pour information, ou d’en confier la réalisation à l’organisme chargé de la restauration, son immeuble ne sera pas compris dans l’arrêté de cessibilité.

La QPC soulevée portait donc ici sur les propriétaires n’ayant pas fait connaitre leur intention de réaliser les travaux car, dans une telle hypothèse, leurs biens seront compris au sein de l’arrêté de cessibilité, arrêté qui est un préalable indispensable à l’expropriation prononcée par ordonnance du juge de l’expropriation.

Le Conseil d’Etat, après avoir rappelé les trois conditions pour transmettre une QPC au Conseil constitutionnel, a estimé que cette QPC n’était pas sérieuse car :

  • Le législateur n’a autorisé l’expropriation d’immeubles ou de droits réels immobiliers que pour la réalisation d’opérations dont l’utilité publique est préalablement et formellement constatée par l’autorité administrative, sous contrôle du juge administratif ;
  • En effet, l’arrêté de DUP peut faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir : dans ce cadre, le juge administratif devra apprécier l’utilité publique du projet selon les trois conditions précitées de la « la théorie du bilan» ;
  • Le Conseil d’Etat en déduit, dans la décision commentée, que : « ces modalités de contrôle de l’utilité publique des opérations de restauration immobilière par le juge administratif répondent aux exigences de l’article 17 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen». ;
  • Enfin, le Conseil d’Etat ajoute que l’arrêté de cessibilité pourra également faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir devant le juge administratif, lequel pourra s’assurer que le périmètre d’expropriation est en rapport avec l’opération déclarée d’utilité publique et jugera de la nécessité des travaux impartis au propriétaire par le programme des travaux qui lui a été notifié préalablement à l’intervention de l’arrêté de cessibilité.

En conclusion, le Conseil d’Etat a refusé de transmettre la QPC au Conseil constitutionnel. Il a également refusé l’admission du pourvoi.

Information des conseillers municipaux et DSP : précisions sur les obligations du maire

Dans une décision en date du 13 octobre 2023, le Conseil d’Etat a précisé que l’information adéquate de l’ensemble des membres d’une assemblée délibérante, afin qu’ils puissent exercer utilement leur mandat, constitue, en principe, une garantie pour les intéressés au sens de la jurisprudence Danthony.

Pour rappel, en effet, d’une part, le droit à l’information des élus est prévu, d’une manière générale à l’article L. 2121-13 du Code général des collectivités territoriales (CGCT). L’article L. 2121-12 du même Code prévoit, quant à lui, plus spécifiquement, que, dans les communes de 3 500 habitants et plus, une note explicative de synthèse sur les affaires soumises à délibération doit être adressée avec la convocation aux membres du conseil municipal. Le Conseil d’Etat juge traditionnellement que « cette obligation, qui doit être adaptée à la nature et à l’importance des affaires, doit permettre aux intéressés d’appréhender le contexte ainsi que de comprendre les motifs de fait et de droit des mesures envisagées et de mesurer les implications de leurs décisions » (CE, 14 novembre 2012, Commune de Mandelieu-la Napoule, n° 342327).

D’autre part, depuis sa décision Danthony en date du 23 décembre 2011, la Haute juridiction estime qu’un vice de procédure n’entraîne l’illégalité de la décision prise à l’issue de cette dernière que s’il ressort des pièces du dossier qu’il a été susceptible d’exercer, en l’espèce, une influence sur le sens de la décision prise ou qu’il a privé les intéressés d’une garantie (CE, Assemblée, 23 décembre 2011, Danthony, n° 335033).

Ainsi, le défaut ou l’insuffisance d’information des élus sur les affaires inscrites à l’ordre du jour du conseil municipal entraine, en principe, l’illégalité des délibérations correspondantes (une appréciation au cas par cas demeurant nécessaire).

Davantage, et c’est là l’apport principal de la décision, le Conseil d’Etat s’est prononcé sur les modalités d’information des élus préalablement au vote d’une délibération concernant une convention de délégation de service public (DSP).

A cet égard, on relèvera que l’article L. 2121-12 susmentionné du CGCT précise, en son deuxième alinéa, que :

« Si la délibération concerne un contrat de service public, le projet de contrat ou de marché accompagné de l’ensemble des pièces peut, à sa demande, être consulté à la mairie par tout conseiller municipal dans les conditions fixées par le règlement intérieur ».

Quant à l’article L. 1411-7 du même Code, applicable à l’ensemble des collectivités territoriales, il dispose que :

« Deux mois au moins après la saisine de la commission prévue à l’article L. 1411 5, l’assemblée délibérante se prononce sur le choix du délégataire et la convention de délégation de service public.

 

Les documents sur lesquels se prononce l’assemblée délibérante doivent lui être transmis quinze jours au moins avant sa délibération ».

Il a été jugé que, dans cette hypothèse, tout conseiller municipal doit être mis à même, par une information appropriée, quinze jours au moins avant la délibération, de consulter le projet de contrat accompagné de l’ensemble des pièces, notamment les rapports du maire et de la commission de délégation de service public, sans pour autant que le maire ne soit tenu de notifier ces mêmes pièces à chacun des membres du conseil municipal.

Ainsi, il convient de distinguer l’information des élus contenue dans le cadre de la note explicative de synthèse, qui doit leur parvenir dans le délai de convocation, et l’information propre aux conventions de DSP, qui doit être accessible au minimum quinze jours en amont de la séance du conseil municipal. S’agissant de cette dernière, les élus doivent être informés, dans le même délai, de la possibilité et des modalités de consultation des documents.

Rapport parlementaire sur la rénovation énergétique des bâtiments : Quelles préconisations pour une rénovation énergétique efficiente ? Financement de la rénovation – MaPrimeRénov – Mon accompagnateur Rénov

Face au besoin urgent de sobriété et d’efficacité énergétique, une mission d’information commune a été constituée en février 2023 par la Commission des Affaires économiques et la Commission du Développement durable et de l’Aménagement du territoire sur la rénovation énergétique des bâtiments. Un rapport issu du travail de la mission a ainsi été publié le 4 octobre 2023 par Jean-Louis Bricout, Julie Laernoes et Marjolaine Meynier-Millefert.

Pour rappel, les conditions de l’habitat et l’état des constructions constituent des enjeux incontournables pour atteindre les objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre à l’horizon 2050. En effet, les émissions du secteur du bâtiment représentent 18 % des émissions nationales.

Or, si des dispositifs ont déjà été mis en œuvre par la puissance publique, force est de constater qu’ils sont insuffisants. Par exemple, le dispositif MaPrimeRénov’, lancé en 2020 pour accompagner les ménages dans la rénovation de leurs logements, se trouve être insuffisamment efficace dans la pratique. En effet, l’objectif annoncé était de rénover, par le biais de ce dispositif, 900 000 logements par an en 2030. Or, en 2022, MaPrime Rénov a contribué à la réalisation de seulement 65 939 rénovations globales.

A ce titre, le rapport estime qu’il faut « changer de paradigme dans la rénovation des bâtiments pour faire de la baisse des consommations – et donc de la facture énergétique – un principe fondamental et prioritaire ».

Afin d’atteindre ces objectifs d’économie d’énergie et de neutralité carbone à l’horizon 2050, le rapport identifie ainsi deux impératifs :

  • l’organisation et le renforcement de l’effort de la puissance publique « dans un cadre ordonné» afin de « favoriser l’affermissement d’un véritable secteur de la rénovation énergétique des bâtiments » ;
  • la nécessité de lever les « obstacles à l’engagement de projets de rénovation des bâtiments individuels et collectifs ».

Plus précisément, la mission dresse une liste de préconisations qu’il convient d’évoquer.

 

En premier lieu, le rapport a réalisé un certain nombre de préconisations sur le volet financier de la rénovation énergétique des bâtiments. Il relève que si le montant total des dépenses annuelles dans la rénovation énergétique des bâtiments en France s’établit aujourd’hui à près de 20 milliards d’euros[1], ces ressources financières mobilisées s’avèrent très inférieures à celles nécessaires à l’atteinte des objectifs consacrés par les pouvoirs publics – évaluées à 38,4 milliards à 43,4 milliards d’euros par l’ADEME.

En outre, les aides publiques de l’ANAH laissent subsister un reste à charge sur les ménages, ce qui entraîne des effets dissuasifs sur l’engagement des travaux. Pour cette raison, le rapport propose un relèvement substantiel et rapide des dépenses publiques, en visant prioritairement le financement des travaux de rénovation globale performante et une consolidation de la capacité d’autofinancement de la rénovation énergétique dans le parc social.

Outre l’établissement d’une loi de programmation relative à la rénovation énergétique des bâtiments, il suggère ainsi de porter le montant des crédits budgétaires alloués à MaPrimeRénov’ à 4,5 milliards d’euros à compter de 2024 dans le cadre d’une loi de programmation financière, et d’abonder les subventions des bailleurs sociaux de 1,5 milliard d’euros.

Afin de contourner l’écueil des restes à charge élevés pour les ménages, le rapport propose d’examiner la pertinence de la création d’une avance remboursable pouvant représenter jusqu’à 100 % du montant des travaux de rénovation énergétique.

En sus, face à l’insuffisance de l’offre des établissements bancaires et de crédit, le rapport propose de conforter le caractère rémunérateur de l’éco-PTZ en relevant le montant du crédit d’impôt dont les établissements bancaires et de crédit peuvent bénéficier.

Surtout, afin de pallier l’absence d’établissements privés en mesure de proposer des instruments susceptibles de répondre à l’ensemble des besoins des ménages, le rapport suggère la création d’une banque de la rénovation dont le capital associerait les établissements bancaires, des sociétés de financement, des sociétés de tiers-financement et les collectivités publiques.

 

En deuxième lieu, le rapport a dressé un certain nombre de préconisations concernant le dispositif Mon accompagnateur Rénov’.

D’une part, le rapport avertit que le recours à l’accompagnement « Mon accompagnateur Rénov’ » dans le cadre du service public de la performance énergétique de l’habitat (ci-après « SPEEH ») ne sera pas nécessairement amplifié alors que l’article R. 232-8 du Code de l’énergie le rend obligatoire pour bénéficier de certaines aides à la rénovation énergétique de l’Anah (MaPrimeRénov’ Sérénité, forfait MaPrimeRénov’)[2]. En effet, il relève que les accompagnateurs Renov’ ne seront vraisemblablement pas prêts et en nombre suffisant, ce qui pourrait peser sur le rythme des travaux de rénovation énergétique, certains ménages ne pouvant bénéficier des aides qui supposent le recours à Mon accompagnateur Rénov’. Il propose donc de suspendre ou d’aménager cette obligation.

D’autre part, l’accompagnement au niveau local doit être renforcé et l’offre de services doit être rendue plus lisible permettant d’identifier les interlocuteurs fiables pour engager un parcours de rénovation énergétique. Dans cet objectif, le rapport préconise l’établissement d’un document de programmation à l’échelle des EPCI en lien avec le SPEEH, qui organiserait la coordination des réseaux publics locaux et associatifs pour l’information et le conseil des porteurs de projets de rénovation énergétique des bâtiments.

A ce titre, le rapport retient que l’efficacité du dispositif Mon accompagnateur Rénov’ impose également de clarifier les missions et obligations respectives des guichets du SPEEH énoncées aux articles L. 232-3 et R. 232-1 du Code de l’énergie, la loi autorisant les ménages à s’adresser indifféremment aux deux.

Parallèlement, pour renforcer la confiance dans le dispositif Mon accompagnateur Rénov’ et la neutralité des prestations d’accompagnement fournies, la mission considère qu’il est nécessaire d’évaluer la pertinence des garanties d’indépendance exigées des opérateurs intégrant le dispositif Mon accompagnateur Rénov’ au regard des risques de conflits d’intérêts qui ne seraient, en l’état des dispositions réglementaires, pas écartés.

En outre, le rapport souligne que l’arrêté du 21 décembre 2022 relatif à la mission d’accompagnement du service public de la performance énergétique de l’habitat[3] confère un caractère facultatif à certaines prestations d’accompagnement, notamment au regard de la charge que pourrait représenter la fourniture de ces services suivant les moyens des opérateurs de Mon accompagnateur Rénov’. Par suite, il préconise de conforter les ressources allouées à Mon accompagnateur Rénov’ en examinant la possibilité d’un renforcement de la prise en charge assurée par l’ANAH dans le cadre d’un co-financement entre l’État et les collectivités territoriales – plutôt que par une participation des ménages.

En troisième lieu, le rapport souhaite relancer le marché de la rénovation énergétique des bâtiments qui semble être en progression limitée, voire en ralentissement. A cette fin, il relève que « le manque d’une offre suffisante à l’échelle locale pourrait justifier que dans un secteur géographique, les collectivités publiques recourent à des instruments susceptibles de favoriser un développement de la commande privée ou publique ainsi qu’une certaine mutualisation des débouchés ».

Si le rapport vise à ce titre le recours aux opérations programmées d’amélioration de l’habitation, la mutualisation des besoins en rénovation énergétique au niveau des établissements publics de coopération intercommunale (communauté de communes, d’agglomérations et urbaine, syndicats départementaux d’énergie, etc.) pourrait également être un levier pour faire émerger des marchés locaux en matière de rénovation énergétique.

Enfin, la mission appelle au développement des groupements momentanés d’entreprises dans le secteur de la rénovation énergétique des bâtiments dès lors qu’ils permettent aux TPE/PME de répondre à des marchés globaux et de proposer une offre intégrée incluant la rénovation énergétique.

 

________

[1] A titre de comparaison, d’après les engagements pris par le Gouvernement fédéral allemand, il devrait recevoir une dotation de l’ordre de 177,5 milliards d’euros pour l’ensemble de ses missions sur la période 2023-2026.

[2] Cf. nos articles précédents : « Service public de la performance énergétique de l’habitat : les contours de l’accompagnement des ménages dans leurs projets de rénovation énergétique » – https://www.seban-associes.avocat.fr/service-public-de-la-performance-energetique-de-lhabitat-les-contours-de-laccompagnement-des-menages-dans-leurs-projets-de-renovation-energetique/

« Le service public de la performance énergétique de l’habitat (SPPEH) : un encadrement de l’accompagnement des ménages dans leurs projets de rénovation énergétique désormais fixé » : https://www.seban-associes.avocat.fr/le-service-public-de-la-performance-energetique-de-lhabitat-sppeh-un-encadrement-de-laccompagnement-des-menages-dans-leurs-projets-de-renovation-energetique-desormais-fixe/#:~:text=Le%20d%C3%A9cret%20n%C2%B0%202022,du%20Code%20de%20l’%C3%A9nergie.

[3] https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000046807068/2023-11-06/

Quand les défis environnementaux se heurtent à la protection du patrimoine culturel français

La société Combray Energie projetait l’installation et l’exploitation d’un parc éolien sur les communes jouxtant le village d’Illiers-Combray, dont les terres environnantes ont longuement été décrites par Marcel Proust dans ses œuvres. C’est d’ailleurs en son hommage que le village, originellement appelé « Illiers » a été rebaptisé en « Illiers-Combray ».

Le 15 octobre 2020, la Préfète d’Eure-et-Loir a refusé de délivrer l’autorisation environnementale nécessaire à l’aboutissement du projet, décision confirmée par la Cour administrative d’appel de Versailles le 11 avril 2022.

Le Conseil d’Etat a suivi le raisonnement de la Cour administrative d’appel, qui avait relevé que ce projet risquait « de porter une atteinte significative notamment à l’intérêt paysager et patrimonial du site remarquable, classé au titre de l’article L. 631-1 du code du patrimoine, du village d’Illiers-Combray et de ses abords ».

Si l’autorisation environnementale ne peut être accordée en cas de danger pour divers éléments incluant les paysages, expressément visés à l’article 511-1 du Code de l’environnement, il convient de relever la réticence jusqu’alors des juridictions administratives à privilégier la protection des paysages français face aux projets d’éoliennes.

Il peut être cité par exemple l’arrêt rendu par la Cour administrative d’appel de Lyon le 17 juin 2021[1], ayant enjoint au Préfet de la Côte-d’Or de reprendre l’instruction de la demande d’autorisation environnementale de 5 éoliennes sur la commune de Seigny.

Dans cette affaire, après avoir considéré qu’il revenait au préfet « d’évaluer l’impact du projet compte tenu de sa nature et de ses effets sur ces sites », la Cour administrative d’appel de Lyon a retenu que le projet d’éolienne n’altérait pas le site en raison notamment de l’angle de vision limité et du faible nombre d’éoliennes.

Ce n’est pas le raisonnement qu’a suivi le Conseil d’Etat dans le cadre du projet d’éolienne sur les terres de Marcel Proust, qui a pris au contraire en compte l’importance du parcours pédestre favorisant la découverte des lieux, et l’importance du clocher de l’église d’Illiers-Combray et des jardins du Pré-Catelan classés monuments historiques.

Outre la dimension historique des lieux, la haute juridiction semble avoir pris en compte la dimension immatérielle constituée de paysages décrits dans des œuvres littéraires [les paysages à protéger restant matériels quant à eux], qui aura permis de s’imposer face aux enjeux environnementaux portant sur l’énergie renouvelable.

On peut imaginer que dans le futur ce raisonnement ne se limite pas au domaine littéraire et s’étende à l’ensemble du domaine artistique et notamment aux peintures ou aux photographies pour l’application de l’article L. 631-1 du Code du patrimoine.

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[1] CAA Lyon – 7è ch. 17 juin 2021 / n°18LY03943

Pesticides et pollution de l’air : rejet du recours en carence contre l’Etat

L’Etat doit-il prendre toutes mesures utiles pour réglementer et protéger la population contre la pollution de l’air par les pesticides ? Il s’agissait de la question soumise au Conseil d’Etat par le Collectif des maires anti-pesticides.

Le Collectif avait en effet adressé au Gouvernement une demande tendant à ce qu’une règlementation destinée à protéger la population contre la pollution de l’air par les pesticides et fixant des valeurs limites de concentration dans l’air de ces substances soit adoptée, et contestait ainsi le refus opposé à cette demande.

Le juge estime toutefois que le requérant n’apporte pas la preuve que l’Etat aurait fait preuve d’une carence fautive en la matière, dès lors qu’il ne serait pas établi par les études scientifiques produites qu’une telle règlementation serait nécessaire faute pour le risque lié à la pollution de l’air ambiant par les produits phytopharmaceutique d’être spécifiquement identifié, notamment au sein de recommandations des agences sanitaires, au-delà des risques liés à l’utilisation de ces produits par les professionnels ou pour les riverains.

Publicité : Modification de la règlementation sur les surfaces

Publié au Journal officiel du 1er novembre 2023, le décret n° 2023-1007 du 30 octobre 2023 a apporté plusieurs modifications aux prescriptions applicables en matière de surface des publicités, enseignes et préenseignes.

Il s’agit des modifications suivantes :

  • Des précisions sont fournies sur le calcul de la surface unitaire maximale au sein de deux nouveaux articles R. 581-24-1, pour les publicités, et R. 581-65-1, pour les enseignes scellées au sol ou installées directement sur le sol, du Code de l’environnement. Cette surface inclut ainsi le dispositif dont le principal objet est de recevoir la publicité, c’est-à-dire l’encadrement, sauf pour le mobilier urbain pour lequel seule la surface de l’affiche ou de l’écran est prise en compte ;
  • La surface unitaire maximale des publicités et enseignes est réduite à 10,5 m², au lieu de 12 m² précédemment ;
  • La surface unitaire maximale de la publicité non lumineuse murale dans les agglomérations de moins de 10 000 habitants ne faisant pas partie d’une unité urbaine de plus de 100 000 habitants est augmentée à 4,7 m², au lieu de 4 m² précédemment.

Les publicités et enseignes régulièrement mises en place avant le 2 novembre 2023 et qui ne sont plus conformes aux dispositions règlementaires peuvent être maintenues pendant un délai maximal de quatre ans à compter de cette date.

Sursis à exécution de la mesure de régulation d’une dérogation espèces protégées

Dans un arrêt en date du 3 octobre 2023, le Conseil d’Etat s’est prononcé sur la possibilité d’obtenir le sursis à exécution d’une décision juridictionnelle ayant sursis à statuer sur une autorisation environnementale délivrée faute de dérogation espèces protégées, le temps que cette irrégularité soit régularisée.

Si les recours devant le juge administratif n’ont en effet en principe pas d’effet suspensif, l’article R. 821-5 du Code de justice administrative permet au juge de prononcer un sursis à exécution d’une décision juridictionnelle lorsque :

  • la décision risque d’entraîner des conséquences difficilement réparables ;
  • les moyens invoqués paraissent sérieux et de nature à justifier l’infirmation de la solution retenue par les juges du fond.

Dans cette espèce, la Cour administrative d’appel de Bordeaux avait sursis à statuer sur l’autorisation d’exploiter huit aérogénérateurs et trois postes de livraison, jusqu’à ce que la bénéficiaire justifie de l’obtention d’une dérogation espèce protégée dont elle ne disposait alors pas.

Le Conseil d’Etat indique tout d’abord que l’exécution de cette décision, notamment en ce qu’elle est susceptible d’entraîner un retard estimé entre un an et deux ans pour la réalisation du projet éolien ainsi qu’un surcoût entre 1,8 et 3,6 millions d’euros, risquerait d’entraîner des conséquences difficilement réparables pour la requérante.

Ensuite, il identifie un moyen sérieux soulevé par la requérante de nature à justifier l’infirmation de la solution retenue par les juges du fond.

Le juge ordonne ainsi le sursis à exécution de l’arrêt de la CAA de Bordeaux.

Reconnaissance d’un droit des générations futures

TA de Strasbourg, 7 novembre 2023, Association alsace nature et a., n° 2307183

Le Conseil constitutionnel s’est prononcé le 27 octobre 2023 sur la question prioritaire de constitutionnalité (QPC) qui lui avait été transmise par le Conseil d’Etat (cf. notre brève ici) dans le cadre du recours dirigé contre le décret déclarant d’utilité publique le centre de stockage en couche géologique profonde de déchets radioactifs de haute activité et de moyenne activité à vie longue Cigéo et mettant en compatibilité les plans locaux d’urbanisme afférents.

Plusieurs associations et particuliers avaient en effet soulevé une QPC fondée sur ce que cette décision porterait atteinte notamment au droit des générations futures de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé, droit qui n’avait jusqu’alors jamais été reconnu par le juge constitutionnel.

Et le Conseil constitutionnel a bien estimé que « lorsqu’il adopte des mesures susceptibles de porter une atteinte grave et durable à un environnement équilibré et respectueux de la santé, le législateur doit veiller à ce que les choix destinés à répondre aux besoins du présent ne compromettent pas la capacité des générations futures et des autres peuples à satisfaire leurs propres besoins, en préservant leur liberté de choix à cet égard ». Le droit des générations futures est donc interprété à l’aune du droit à un environnement sain et se traduit par une liberté de choix qui doit leur être laissée.

En l’espèce toutefois, le juge constitutionnel considère que la mise en œuvre du site de Cigéo ne méconnait pas cette exigence constitutionnelle, au regard notamment du caractère réversible et des garanties de sûreté de l’installation.

Ce principe a été mis en œuvre par le juge des référés du Tribunal administratif de Strasbourg qui a, par une ordonnance du 7 novembre 2023, suspendu l’autorisation délivrée à la société Stocamine pour exploiter un stockage de déchets souterrains réversibles de déchets industriels. Le juge a en effet considéré qu’il y avait une situation d’urgence dès lors qu’il n’était pas démontré que les travaux auraient un caractère réversible et qu’il existait un doute sérieux sur la légalité de cet arrêté, fondé notamment sur le droit à un environnement sain tel qu’interprété à l’aune du droit des générations futures.

Actualités autour des certificats d’économies d’énergie

Arrêté du 29 septembre 2023 portant modification de programmes dans le cadre du dispositif des certificats d’économies d’énergie 

Arrêté du 4 octobre 2023 modifiant et créant des fiches d’opérations standardisées d’économies d’énergie dans le cadre du dispositif des certificats d’économies d’énergie 

Le dispositif des certificats d’économies d’énergie (CEE) a connu quelques modifications récentes à la suite de la publication de trois arrêtés portant modification et création de fiches d’opérations standardisées d’économie d’énergie.

Le 15 septembre 2023 et le 4 octobre 2023, deux arrêtés ont en effet modifié plusieurs fiches d’opérations standardisées figurant en annexe de l’arrêt du 22 décembre 2014 définissant les opérations standardisées d’économies d’énergie.

L’arrêté du 29 septembre 2023 mérite plus d’attention en ce qu’il a modifié les programmes ACTEE 2, ACTEE + et SARE.

Pour mémoire, le programme ACTEE (Action des Collectivités Territoriales pour l’Efficacité Energétique) est un programme porté par la Fédération Nationales des Collectivités Concédantes et Régies (FNCCR) qui vise à mettre en place des actions en faveur de l’efficacité énergétique pour les bâtiments publics des collectivités.

Par l’effet du nouvel arrêté, l’éligibilité au dispositif des CEE du programme PRO-INNO-52 « ACTEE 2 » issu d’un arrêté du 4 mai 2020, a été prolongé d’une année jusqu’au 31 décembre 2024. Il en va de même du programme PRO-INFO-23 « service d’accompagnement pour la rénovation énergétique », prévu par un arrêté du 5 septembre 2019, qui s’étend jusqu’au 31 décembre 2025.

La Commission de Régulation de l’Energie présente ses recommandations relatives aux achats d’énergie dans le logement social

La Commission de Régulation de l’Energie (ci-après, CRE) a publié plusieurs recommandations à destination des acteurs du logement social qui concernent l’achat d’énergie dans un contexte de très forte hausse des prix de l’électricité et du gaz depuis l’année 2021.

Ces acteurs, soumis aux règles de la commande publique, sont en effet confrontés à des difficultés dans la conclusion de marchés de fourniture d’électricité et de gaz du fait des très faibles réponses de fournisseurs aux consultations qu’ils organisent.

Les recommandations de la CRE s’inscrivent dans la continuité d’ateliers qui se sont tenus au début de l’année 2023 entre le Régulateur, l’Union sociale pour l’habitat (ci-après, USH), différents fournisseurs d’électricité, des représentants d’entreprises locales de distribution (ci-après, ELD) et des gestionnaires de réseaux de distribution afin notamment d’identifier les bonnes pratiques contractuelles permettant de faciliter les achats d’énergie dans le logement social au regard des contraintes respectifs de chaque participant.

Les recommandations formulées sont réparties en deux grands axes et, pour certaines, s’appliquent plus globalement aux achats d’énergie des collectivités territoriales en dépassant le seul secteur du logement social :

  • Renforcer la coordination entre bailleurs sociaux et fournisseurs d’énergie pour mieux anticiper les marchés de fourniture d’énergie et améliorer ainsi le taux de réponse aux appels d’offres ;
  • Adapter les contrats aux conditions de marché pour maîtriser les risques et les surcoûts associés.

Au sein du premier axe, il est notamment recommandé aux bailleurs sociaux de donner plus de visibilité aux fournisseurs d’énergie sur les calendriers prévisionnels du lancement de leurs consultations pour que ceux-ci puissent allouer les ressources internes nécessaires afin d’y répondre (Recommandation n°1) et de leur transmettre les périmètres des points de livraison au plus tôt dans l’intérêt de réponses plus rapides (Recommandation n° 5).

L’accent est aussi mis sur l’organisation par ces acheteurs de phases de « sourcing » afin d’appréhender au mieux leurs besoins (Recommandation n° 2).

Également, les acheteurs pourraient ajuster les délais de réponse lorsque le nombre de points de livraison est élevé. Cela devrait permettre aux fournisseurs de fournir une réponse satisfaisante aux marchés subséquents (Recommandation n° 4).

En outre, s’agissant des sites localisés dans les zones de desserte des ELD, la CRE recommande notamment de définir un allotissement des marchés qui tient compte des spécificités des territoires et de leur patrimoine et de prévoir des lots spécifiques ELD lorsque le patrimoine constitue une taille suffisante au regard du périmètre de la consultation (Recommandation n° 6).

Enfin, on peut également relever que la CRE recommande aux bailleurs sociaux de répondre le plus tôt possible aux offres des fournisseurs dans les périodes de forte volatilité des marchés de l’énergie et lorsque les offres sont formulées à prix fixe. En effet, dans ces conditions, la durée de validité des offres va, selon la Commission, de quelques heures à 24h au maximum (Recommandation n° 8).

Au sein du second axe, le Régulateur appréhende aussi les périodes de volatilité des marchés en recommandant aux bailleurs sociaux de privilégier l’inscription d’un plafond exprimé en volumes d’énergie plutôt qu’en euros au sein des accords-cadres, dans le but de se prémunir de toute infructuosité si un plafond exprimé en euros est dépassé en cas de fortes hausses des prix (Recommandation n° 9).

Plus spécifiquement, il est recommandé d’optimiser les taux de flexibilité demandé par les bailleurs sociaux afin d’éviter des surcoûts particulièrement élevés (Recommandation n° 11).

Le Régulateur préconise également de mieux cadrer les modalités d’indemnisation par les organismes des coûts du fournisseur qui assurerait la fourniture d’énergie sur une courte période à l’issue d’un marché dans le cadre d’opérations de basculement des points de livraison vers un nouveau fournisseur (Recommandation n° 16).

Enfin, la CRE propose d’indiquer directement dans les consultations relatives aux accords-cadres que les réponses aux marchés subséquents pour des livraisons pour l’année 2026 devront prendre en compte l’éventuel dispositif qui devrait succéder à celui de l’Accès Régulé à l’Electricité Nucléaire Historique (ci-après, ARENH) sur lequel il demeure à ce jour des incertitudes (Recommandation n° 13).

Des recommandations en somme qui ont pour but de créer les conditions d’une concurrence dynamique.