Atteinte à la conservation des habitats naturels : la simple violation d’un arrêté préfectoral suffit à caractériser l’intention délictuelle

En l’espèce, la construction d’un gazoduc avait nécessité le défrichement de zones boisées et la création d’une piste pour permettre notamment le passage des engins de travaux publics.

Ces opérations qui entrainaient notamment une destruction des habitats naturels et une dégradation des sites de reproduction ou d’aires de repos d’espèces animales protégées avaient été autorisées par arrêtés préfectoraux qui prévoyaient toutefois la mise en œuvre de mesures de remise en état – notamment de reboisement du site – dans un délai déterminé.

Lors des transports sur les lieux par les Inspecteurs de l’Office français de la Biodiversité (OFB), il apparaissait que la société en charge des travaux n’avait pas respecté les prescriptions préfectorales, notamment quant aux mesures compensatoires prévues.

La société en charge des travaux ainsi que son directeur de projet se voyaient alors délivrer une citation devant le Tribunal correctionnel du chef du délit d’atteintes à la conservation des habitats naturels prévu et réprimé par l’article L.415-3 du Code de l’environnement – en l’occurrence par la destruction de plus de 40 hectares de forêt.

Dans un arrêt en date du 10 novembre 2021, la Cour d’appel de Dijon – saisie par les prévenus à la suite de leur condamnation par le Tribunal correctionnel – rappelait que l’article L. 411-2 du Code de l’environnement prévoit la possibilité de dérogations à la protection stricte des habitats naturels afin notamment de permettre la construction de projets nécessaires à l’activité humaine qui présente un intérêt public majeur ; elle confirmait toutefois le jugement et déduisait la caractérisation de l’infraction du seul fait d’une violation des arrêtés préfectoraux délivrés.

Les prévenus formaient un pourvoi en cassation à l’encontre de l’arrêt soutenant notamment que l’intention délictueuse n’avait pas été caractérisée par la Cour alors que le délit poursuivi était une infraction de commission.

Saisie d’un pourvoi, la Chambre criminelle validait le raisonnement des juges du fond en affirmant que d’une part « le délit d’atteinte à la conservation des habitats naturels, en violation des prescriptions prévues par les règlements ou décisions individuelles […], peut être consommé par la simple abstention de satisfaire aux dites prescriptions » et, d’autre part, « une faute d’imprudence ou négligence suffit à caractériser l’élément moral du délit ».

Cet arrêt vient apporter une nouvelle illustration du contentieux pénal environnemental, intéressante notamment quant aux contours de l’élément moral des infractions dites non intentionnelles.

Avis de la CRE sur les projets de textes réglementaires d’application de la loi MUPPA

Par une délibération en date du 10 novembre 2022, la Commission de Régulation de l’Energie (ci-après, CRE) a donné son avis sur un projet de décret et un projet d’arrêté d’application de dispositions législatives introduites aux articles L. 321-17-1 et L. 321-17-2 du Code de l’énergie par la loi n° 2022-1158 du 16 août 2022 portant mesures d’urgence pour la protection du pouvoir d’achat (dite « loi MUPPA »).

Pour rappel, ces nouvelles dispositions législatives prévoient, en cas de menace grave et imminente sur la sécurité d’approvisionnement :

  • L’obligation de mise à disposition du gestionnaire du réseau public de transport de la totalité des capacités d’effacement de consommation, de production et de stockage valorisées par des opérateurs d’ajustement sur le mécanisme d’ajustement techniquement disponible et non utilisées par ces opérateurs par l’intermédiaire de ce mécanisme d’ajustement ; et l’obligation d’offre à la vente de la totalité des capacités d’effacement de consommation valorisées sur les marchés de l’énergie par des opérateurs d’effacement, techniquement disponibles et non utilisées (art. L. 321-17-1 du Code de l’énergie) ;
  • Ensuite, l’obligation, pour les sites de consommation qui utilisent des installations de production ou de stockage d’électricité de plus d’un mégawatt en vue de leur fournir une alimentation de secours, de mettre à la disposition du gestionnaire du réseau public de transport la totalité de la puissance non utilisée et techniquement disponible de ces installations (art. L. 321-17-2 du Code de l’énergie).

La mise en œuvre de ces deux dispositions appelle des textes réglementaires dont les projets ont été soumis à la CRE par le Gouvernement.

Le projet de décret élaboré :

  • définit les modalités de la mise à disposition de la puissance non utilisée et techniquement disponible des installations susvisées ;
  • encadre le montant des pénalités financières dues en cas de manquement à cette obligation ;
  • détaille les catégories de sites de consommation exemptées de cette même obligation.

Un projet d’arrêté définit quant à lui les modalités de calcul des pénalités financières de ce dispositif.

La CRE émet un avis favorable sur ces projets de décret et d’arrêté « en ce qu’ils permettront la mise à disposition du système électrique français d’un maximum de puissance techniquement disponible et non utilisée en période de tension. En particulier, la CRE est favorable aux modalités de pénalisation financière associées à ce dispositif, dans la mesure où celles-ci sont à la fois proportionnées et suffisamment incitatives pour encourager la mobilisation de l’ensemble des moyens disponibles. La CRE est également favorable à la liste établie pour les sites de consommation bénéficiant d’une exemption relative à la mise à disposition de leurs moyens de fourniture de secours, celle-ci correspondant aux sites sensibles et à ceux assurant des missions d’intérêt général ».

Crise énergétique : mesures d’aides en faveur des ménages chauffés collectivement au gaz

Un décret du 14 novembre 2022 a prolongé le dispositif d’aide en faveur des ménages chauffés collectivement au gaz naturel ou par un réseau de chaleur utilisant du gaz.

Ce dispositif d’aide (instauré par le décret n° 2022-514 du 9 avril 2022 relatif à l’aide en faveur de l’habitat collectif résidentiel face à l’augmentation du prix du gaz naturel) se veut un équivalent au dispositif de gel des tarifs réglementés du gaz dont bénéficient les consommateurs concernés dans le cadre d’une alimentation individuelle au gaz.

Le gel des tarifs réglementés de vente du gaz ayant été prolongé jusqu’au 31 décembre 2022, le dispositif d’aide ici commenté l’est également de manière symétrique.

Dispositif du « bac à sable réglementaire » : point d’étape de la CRE

Délibération n° 2022-299 du 24 novembre 2022 portant modification de la délibération n° 2020-125 en date du 4 juin 2020 portant décision sur la mise en œuvre du dispositif d’expérimentation réglementaire prévu par la loi relative à l’énergie et au climat

Par une délibération en date du 17 novembre 2022, la Commission de Régulation de l’Energie (ci-après, CRE) a dressé un bilan de l’avancement des projets ayant bénéficié du dispositif dit de « bac à sable réglementaire » depuis la création du dispositif.

Pour rappel, l’article 61 de la loi Energie Climat du 8 novembre 2019 a prévu un dispositif d’expérimentation, dit « bac à sable règlementaire », qui permet à la CRE d’octroyer des dérogations temporaires aux conditions d’accès et d’utilisation des réseaux et installations fixées par le Code de l’énergie au bénéfice de porteurs de projets innovants en vue d’expérimenter des technologies ou des services innovants en faveur de la transition énergétique.

Comme le relève la CRE : « ce dispositif apporte un cadre juridique adapté aux projets, leur permettant de tester des innovations qui, sans cela, auraient nécessité des évolutions préalables du cadre réglementaire et législatif applicable ».

A ce jour, deux guichets de traitement des candidatures à ce dispositif ont été organisés par la CRE, 41 projets candidats ayant été déposés dans le cadre du premier et 38 dans le cadre du second.

Au total, à ce jour, 23 projets ont bénéficié de dérogations accordées par la CRE, et 4 projets ont bénéficié de dérogation de la Direction Générale de l’Energie et du Climat (DGEC) qui dispose également d’une compétence pour accorder des dérogations.

La délibération du 17 novembre 2022 a pour objet l’établissement d’un bilan annuel (imposé par la loi) de l’état d’avancement des 13 projets ayant bénéficié d’une dérogation au cours de l’année précédente (en 2021 donc). Ce bilan est établi sur la base des informations communiquées par les porteurs de projets et les gestionnaires de réseaux concernés.

Au titre de ce bilan, la CRE apporte de nombreuses précisions sur le contexte, le degré d’avancement et les différentes étapes réalisées ou à venir de chacun de ces projets.

La CRE « constate un bon avancement général des projets, et se réjouit de l’implication des gestionnaires de réseaux aussi bien de gaz que d’électricité dans l’accompagnement de ces projets ».

La CRE formule néanmoins une réserve en notant que « le bac à sable réglementaire gagnerait encore en efficacité si les autorités compétentes dans l’instruction et l’octroi des dérogations renforçaient leurs processus de coordination et de décision ».

La CRE constate par ailleurs que le cadre réglementaire a récemment évolué, permettant d’ores et déjà à des expérimentations lancées dans le cadre du bac à sable réglementaire d’être généralisées (il s’agit des opérations visant à injecter dans les réseaux du méthane de synthèse produit à partir d’intrants biodégradables).

Enfin, par une délibération en date du 24 novembre 2022, la CRE a apporté des précisions sur les modalités procédurales de traitement des candidatures au dispositif d’expérimentation réglementaire. Aux termes de cette délibération, le mécanisme de guichet ouvert pendant trois mois pour déposer les candidatures est supprimé. Lui est substitué un dispositif permettant un dépôt de candidature à tout moment, la CRE traitant désormais les candidatures au fur et à mesure de leur réception.

Les modalités précises d’examen des candidatures et des projets sont en outre rappelées dans cette délibération.

Procédure de mise en concurrence relatives à des installations de production d’énergie renouvelable en mer et commande publique

Dans le cadre des procédures de mise en concurrence relatives à des installations de production d’énergie renouvelable en mer, une procédure d’amélioration de l’offre du candidat a été instituée par le III de l’article 58 de la loi n° 2018-727 du 10 août 2018 pour un Etat au service d’une société de confiance. Cette possibilité concernait les procédures dont le candidat retenu avait été désigné avant le 1er janvier 2015 mais avec lequel aucun contrat d’achat d’électricité n’avait encore été conclu à la date de publication de la loi du 10 août 2018.

Cette procédure nouvelle permet au Ministre chargé de l’énergie de demander au candidat retenu d’améliorer son offre, notamment :

  • En modifiant le montant du tarif d’achat ;
  • En modifiant les modalités de révision ou de versement de ce tarif ;
  • En réduisant la puissance de l’installation, le cas échéant par dérogation à certaines dispositions du cahier des charges.

C’est dans le cadre de la mise en œuvre de cette procédure que l’association « Non aux éoliennes entre Noirmoutier et Yeu » a demandé l’annulation de la décision retenant le site d’implantation du parc éolien en mer sur le domaine public maritime au large des îles d’Yeu et de Noirmoutier et de l’arrêté du Ministre de la transition écologique et solidaire autorisant la société X à exploiter une installation éolienne de production d’électricité en mer.

L’association requérante soutenait notamment que la procédure d’amélioration des offres méconnaissait les principes de transparence et d’égalité de traitement des candidats en ce qu’elle avait pour effet de modifier substantiellement le cahier des charges initial. L’association en déduisait que la décision portant acceptation de l’offre améliorée aurait dû être précédée d’une nouvelle mise en concurrence.

Après avoir rappelé le principe de la procédure d’amélioration de l’offre, le Conseil d’Etat indique que celle-ci, prévue par le législateur, « est justifiée par des motifs d’intérêt général et permet notamment de tenir compte de l’évolution des conditions économiques d’exploitation des parcs éoliens en mer, en diminuant par exemple le tarif d’achat de l’électricité ainsi produite et en évitant que, compte tenu de cette évolution, la société exploitation ne perçoive une rémunération excessive ».

La Haute juridiction en déduit que cette procédure « permet de départager les candidats selon une procédure objective, transparente et non discriminatoire » et « ne porte par elle-même aucune atteinte aux principes de transparence et d’égalité de traitement des candidats ».

Hausse du coût de l’énergie : Les mesures envisagées pour soutenir les collectivités territoriales

Un amortisseur électricité pour les entreprises et les collectivités dès 2023

Le 27 octobre 2022, la Première ministre Elisabeth Borne avait annoncé le dispositif « amortisseur électricité » visant à réduire la facture énergétique des collectivités territoriales ne pouvant bénéficier des tarifs réglementés de vente d’électricité (TRVE).

En complément du filet de sécurité défini par le projet de la loi de finances pour 2023[1], ce mécanisme consistera en la prise en charge, par l’Etat, d’une partie de la facture d’électricité des collectivités dès lors que le prix souscrit dépasse un certain montant.

La Ministre Agnès Pannier-Runacher précise que ce dispositif sera automatique, sans aucun dossier ni instruction préalable. La baisse du prix apparaîtra directement sur la facture d’électricité.

Ce dispositif, qui entrera en vigueur dès le 1er janvier 2023 pour une durée d’un an, fera l’objet d’une compensation financière versée par l’Etat aux fournisseurs d’énergie, à travers les charges de service public de l’énergie.

Le Parlement est également force de propositions s’agissant du soutien aux collectivités territoriales, en témoigne le texte déposé le 24 octobre 2022 par des sénateurs visant à protéger les collectivités territoriales de la hausse des prix de l’énergie en leur permettant de bénéficier des tarifs réglementés de vente de l’énergie.

Précisément, cette proposition de loi porte notamment l’ambitieux projet de rendre applicables les TRV à l’ensemble des collectivités territoriales et leurs groupements.

Pour mémoire, désormais seules les petites collectivités ont la faculté de conserver leurs TRVE.

Entré en vigueur le 1er janvier 2021, l’article L. 337-7 du Code de l’énergie dispose en substance que seules peuvent bénéficier du tarif réglementé en matière d’électricité (TRVE), pour leurs sites souscrivant une puissance inférieure ou égale à 36 kilovoltampères, les collectivités ayant moins de dix personnes employées et dont le chiffre d’affaires, les recettes ou le total de bilan annuels n’excède pas 2 millions d’euros.

Par ailleurs, l’article 2 de cette proposition de loi entend également maintenir les TRV de gaz (TRVG) notamment pour les collectivités territoriales et leurs groupements. En effet, l’article 63 de la loi n° 2019-1147 du 8 novembre 2019 relative à l’énergie et au climat a supprimé les TRVG, le 1er décembre 2020, pour les consommateurs finals non domestiques consommant moins de 30.000 kilowattheures par an, et le 1er juillet 2023, pour les consommateurs finals domestiques ainsi que les propriétaires ou syndicats des copropriétaires d’immeubles d’habilitation dont la consommation est inférieure à ce niveau.

Des propositions qui, pour aboutir, doivent être conciliées avec le droit de l’Union européenne appelé, il est vrai, à évoluer en raison de la crise énergétique.

 

[1] Voir en ce sens notre brève faisant le point sur les aides au bénéfice des collectivités territoriales pour leur approvisionnement en électricité, parue le 17 novembre 2022

Crise énergétique : la Commission européenne propose un règlement temporaire d’urgence en vue d’accélérer le déploiement des énergies renouvelables

Pour mémoire, la Commission européenne avait présenté, le 18 mai 2022, son plan « REPowerEU » ayant pour double objectif de mettre fin à la dépendance de l’Union Européenne à l’égard des combustibles fossiles russes et de lutter contre la crise climatique, plan dont les grandes lignes avaient été commentées dans une de nos précédentes LAJEE.

Toutefois, la crise énergétique s’étant sensiblement aggravée depuis lors, la Commission européenne estime qu’« un déploiement plus rapide des énergies renouvelables est nécessaire pour mettre fin définitivement à l’urgence actuelle ».

Dans ce contexte, la Commission européenne a présenté, le 9 novembre 2022, une proposition de règlement temporaire d’urgence ayant pour objectif d’accélérer le déploiement des énergies renouvelables.

Cette proposition prévoit de conférer un intérêt public supérieur à « la planification, la construction et l’exploitation d’installations de production d’énergie à partir de sources renouvelables, le raccordement de ces installations au réseau et au réseau connexe proprement dit, ainsi que les actifs de stockage » (article 2) et de procéder à la simplification des procédures d’octroi de permis :

  • pour l’installation d’équipements d’énergie solaire (article 3) ;
  • pour le rééquipement de centrales électriques utilisant des sources d’énergie renouvelables (article 4);
  • pour l’installation de pompes à chaleur (article 5).

S’il est adopté, ce règlement entrera en vigueur immédiatement (le jour suivant sa publication au JOUE) et sera applicable pendant un an.

Il s’ajoutera aux dispositions attendues dans la future loi portant accélération des énergies renouvelables dont le projet est actuellement en débat à l’Assemblée nationale.

La CNIL sanctionne EDF pour non-respect des règles en matière de traitement des données à caractère personnel

La formation restreinte de la Commission Nationale de l’Informatique et des Libertés (ci-après, « la CNIL ») a prononcé une amende de 600.000 euros contre le fournisseur d’électricité EDF pour manquement à plusieurs de ses obligations en matière de traitement de données à caractère personnel de ses clients prévues par le Règlement Général sur la Protection des Données (RGPD) et le Code des Postes et des Communications Electroniques (CPCE).

Parmi les manquements du fournisseur qui sont relevés, la CNIL constate :

  • Un manquement à l’obligation de recueillir le consentement des personnes à recevoir de la prospection commerciale par voie électronique (articles L. 34-5 du CPCE et 7 du RGPD) ;
  • Des manquements à l’obligation d’information dans la charte de protection des données personnelles figurant sur le site d’EDF et dans le premier courrier de prospection commerciale adressé par l’entreprise (articles 13 et 14 du RGPD) et au respect de l’exercice des droits, notamment le droit d’accès aux données et le droit d’opposition des personnes concernées (article 12,15 et 21 du RGPD) ;
  • Un manquement à l’obligation d’assurer la sécurité des données personnelles et notamment des mots de passe utilisés sur l’espace client « prime énergie » et l’espace client EDF (article 32 du RGPD).

En outre, la CNIL a estimé qu’au regard de la nature des manquements commis par EDF et du nombre de personnes concernées par ces manquements, c’est-à-dire plus de 2.400.000 clients pour le seul manquement relatif à la sécurité des données personnelles, la publication de la sanction était justifiée.

Un gestionnaire de réseau peut être considéré comme un « producteur » et engager sa responsabilité du fait des produits défectueux

La Cour de Justice de l’Union Européenne (ci-après, CJUE), statuant sur une question préjudicielle posée par la Cour de cassation, a considéré qu’un gestionnaire de réseau public de distribution d’électricité peut revêtir la casquette de « producteur » et engager à ce titre sa responsabilité du fait de produits défectueux, sur le fondement de l’ancien article 1386-1 du Code civil, désormais codifié aux articles 1245 à 1245-17 de ce même Code.

Dans cette affaire, du fait de dommages causés par une surtension électrique provoquée par une rupture du circuit neutre du réseau de distribution d’électricité, une société et son assureur ont souhaité engager la responsabilité dudit gestionnaire sur le fondement de la responsabilité du fait des produits défectueux.

Par une décision rendue le 6 février 2020 infirmant le jugement de premier instance, la Cour d’appel de Versailles a considéré que la responsabilité du gestionnaire du réseau de distribution pouvait être engagée sur ce fondement, celui-ci ayant la qualité de producteur au sens de la législation relative à la responsabilité des produits défectueux car il procédait à la transformation de l’électricité, ce qui faisait de lui le fabricant du produit fini destiné à être distribué au consommateur final. La Cour d’appel a toutefois écarté la demande de la société requérante et de son assureur au motif qu’elle était prescrite.

La requérante a alors formé un pourvoi en cassation. Après avoir émis des réserves sur l’argumentaire de la Cour d’appel considérant notamment, selon son avocat général, que le fait de qualifier Enedis de producteur d’électricité « est contraire à la réalité des rapports contractuels et économiques entre les différents acteurs du secteur », la Cour de cassation a décidé de sursoir à statuer afin de poser une question préjudicielle à la CJUE dans le but de savoir si les articles 2 et 3, paragraphe 1, de la directive 85/374 du 25 juillet 1985 « devaient être interprétés en ce sens que le gestionnaire du réseau de distribution d’électricité peut être considéré comme ʺ producteur ʺ, dès lors qu’il modifie le niveau de tension de l’électricité du fournisseur en vue de sa distribution au client final ».

Après avoir précisé que l’interprétation d’une disposition du droit de l’Union européenne tient compte des termes de cette disposition mais aussi de son contexte et de ses objectifs, ici la protection du consommateur, la CJUE rappelle qu’au sens de l’article 3, paragraphe 1 de la directive susvisée, le terme « producteur » désigne « le fabricant d’un produit fini, le producteur d’une matière première ou le fabricant d’une partie composante, et toute personne qui se présente comme producteur en apposant sur le produit son nom, sa marque ou un autre signe distinctif ».

Elle conclut alors que le gestionnaire de réseau qui modifie le niveau de tension de l’électricité en vue de sa distribution au client final ne se limite pas à livrer un produit mais « participe au processus de sa production en en modifiant une de ses caractéristiques, à savoir sa tension, en vue de le mettre en état d’être offert au public aux fins d’être utilisé ou consommé », et donc qu’il doit être considéré comme un « producteur » au sens de l’article 3, paragraphe 1 de la directive 85/374.

Elle ajoute en outre que contrairement à ce que relève la Cour de cassation, cette interprétation de la notion de « producteur » n’est pas contraire à l’article 24 de la directive susvisée ayant imposé une séparation entre les activités de production et de distribution d’électricité dès lors que les critères du régime de responsabilité du fait des produits défectueux prévu par la directive 85/374 ne s’analysent qu’au regard des articles 1er et 3 de cette directive.

Rénovation énergétique des bâtiments publics : la mutualisation des besoins des collectivités au soutien de la sobriété énergétique

Rappelons que l’article L. 100-4 du Code de l’énergie fixe, au niveau national, les objectifs de la politique énergétique devant être atteints pour répondre à l’urgence écologique et climatique. Ces objectifs sont notamment :

  • de réduire les émissions de gaz à effet de serre de 40 % entre 1990 et 2030 et d’atteindre la neutralité carbone à l’horizon 2050 en divisant ces dernières par un facteur supérieur à six entre 1990 et 2050 ;
  • de réduire la consommation énergétique finale de 50 % en 2050 par rapport à la référence 2012, en visant les objectifs intermédiaires d’environ 7 % en 2023 et de 20% en 2030 ;
  • ou encore de disposer d’un parc immobilier dont l’ensemble des bâtiments sont rénovés en fonction des normes « bâtiment basse consommation ou assimilées, à l’horizon 2050».

Afin d’atteindre ces objectifs d’économie d’énergie et de neutralité carbone à l’horizon 2050, une accélération d’ampleur de la rénovation énergétique des bâtiments publics s’impose[1].

Néanmoins, la réalisation de travaux de rénovation énergétique constitue le plus souvent un investissement difficilement surmontable pour les acteurs publics concernés, ce qui freine nécessairement le rythme des rénovations engagées.

En effet, les collectivités territoriales sont soumises, depuis de nombreuses années, à des contraintes budgétaires fortes qui ne leur permettent pas de faire face aux investissements à avancer et de mobiliser les capacités techniques et humaines qui lui permettraient de concevoir et de réaliser de tels travaux.

Ceci est d’autant plus regrettable que la rénovation énergétique des bâtiments publics à usage de bureaux et des équipements publics (gymnases, crèches, salles des fêtes, bâtiments scolaires…) représente un gisement majeur d’économie d’énergie au plan national.

Si les enjeux de la rénovation énergétique des bâtiments publics sont d’importance (I), le présent article présentera les outils et les moyens de mutualisation technique (II) et financière (II) auxquels les collectivités territoriales et leurs groupements peuvent recourir dans le cadre de leurs opérations de rénovation énergétique.

 

I. Une rénovation énergétique des bâtiments publics à forts enjeux

Afin de pleinement saisir les enjeux liés à la rénovation énergétique des bâtiments publics de l’État et des collectivités locales, il convient de rappeler qu’ils représentent 380 millions de m², dont 280 millions de m2 pour les seules collectivités, soit 37 % du parc tertiaire national[2].

Ils correspondent à 76 % de la consommation énergétique des communes dont 30% provient seulement des écoles[3].

A ce titre, la rénovation énergétique du parc des bâtiments publics doit être d’autant plus démultipliée que les collectivités et leurs groupements font face à une augmentation majeure de leurs dépenses énergétiques.

En effet, dès cet été, un rapport d’information du Sénat[4] a précisé que l’Association des petites villes de France (APVF) considérait que dans certaines de ses communes-membres, les dépenses énergétiques avaient bondi de 50 %, tandis que, selon l’Association des maires de France (AMF) et la Fédération nationale des collectivités concédantes et régies (FNCCR), les hausses oscilleraient entre 30 % et 300 %.

Selon ce même rapport, dans son enquête réalisée entre le 20 décembre 2021 et le 15 janvier 2022, la FNCCR a évalué à 11 milliards d’euros le surcoût lié à la hausse des prix de l’énergie pour les collectivités, ce qui est considérable si cette charge supplémentaire est mise en perspective avec l’enveloppe de 26 milliards d’euros consacrée à la dotation globale de fonctionnement (DGF), et ce qui pourrait préjudicier de futurs investissements de rénovation énergétique[5].

Par conséquent, la rénovation thermique des bâtiments représente un axe privilégié d’investissement, les dotations d’investissement aux collectivités territoriales ayant été maintenues en 2022 « à un niveau historiquement élevé » (notamment 1,046 milliard d’euros de DETR, 873 millions d’euros de DSIL, dont 303 millions d’euros exceptionnels liés aux reliquats de FEADER) [6].

De même, la loi de finances pour 2023 a prévu la création d’un fonds dédié à la transition écologique dans les territoires, baptisé « fonds vert », doté de 1,5 Md€ d’autorisations d’engagement pour l’année 2023, qui permettra de soutenir les projets portés par les collectivités. Il pourra notamment – mais pas seulement – être utilisé pour la rénovation des bâtiments publics des collectivités[7].

Néanmoins, ces initiatives demeurent aujourd’hui manifestement insuffisantes pour permettre une véritable démultiplication des opérations de rénovation dont le caractère indispensable ne fait plus débat.

Ainsi, au-delà de ces seules appréciations budgétaires, il convient d’exposer les possibilités d’une mutualisation technique et financière afin d’améliorer substantiellement la performance énergétique du parc des bâtiments publics.

 

II. Opérer une mutualisation technique des besoins de rénovation énergétique des collectivités territoriales

Dans la mesure où l’expérience démontre que les collectivités peinent souvent à disposer de compétences juridiques et d’une capacité technique et financière pour concevoir et réaliser les projets de rénovation énergétique de leurs bâtiments, la mutualisation technique de telles opérations au niveau des structures de coopération intercommunale – tels que les EPCI ayant adopté le plan climat-air-énergie territorial[8] et les syndicats mixtes fermés et ouverts[9] agissant en tant qu’autorités organisatrices de la distribution d’énergie ainsi que dûment habilités[10] – est pertinente.

En effet, ces structures disposent davantage de moyens pour offrir à leurs adhérents, sur le fondement du dernier alinéa de l’article L. 2224-34 du Code général des collectivités territoriales (ci-après le « CGCT »)[11], un accompagnement aux projets de rénovation énergétique – en particulier de contrats de performance énergétique – à destination de leurs adhérents.

D’une part, ces structures de coopération intercommunale peuvent réaliser des prestations d’assistance à maîtrise d’ouvrage (ci-après « AMO ») portant soit sur une ou des missions spécialisées[12], soit sur une mission d’assistance générale à la maîtrise d’ouvrage, en tant que conducteur d’opération, dans la perspective de la réalisation de travaux de rénovation énergétique sur les bâtiments publics de leurs membres. De la sorte, la convention d’AMO ou de conduite d’opération, conclue entre la structure et un de ses membres, bénéficiera d’une relation de quasi-régie.

D’autre part, ces structures de coopération intercommunale peuvent être le mandataire d’un de leurs membres pour réaliser en son nom et pour son compte des missions de maîtrise d’ouvrage publique relatives à des opérations de rénovation énergétique sur leurs bâtiments publics. A ce titre, si le mandat n’est pas soumis à une procédure de publicité et de mise en concurrence, il en ira autrement de la passation et de la passation des contrats que la structure conclura en tant que mandataire pour la réalisation des travaux.

Surtout, ces structures de coopération intercommunale peuvent mobiliser plusieurs instruments afin de coordonner l’achat mutualisé de prestations de rénovation énergétique des bâtiments de plusieurs ou tous leurs membres, tout en étant titulaires d’un contrat d’AMO ou d’un mandat pour leur compte.

A titre liminaire, le transfert de maîtrise d’ouvrage prévu à l’article L. 2422-12 du Code de la commande publique (ci-après le « CCP ») permettant de désigner, par convention, un maître d’ouvrage qui assure la maîtrise d’ouvrage de l’opération, semble devoir être écarté pour mutualiser les travaux de rénovation énergétique dès lors que (i) les bâtiments à rénover n’appartiennent nullement à l’EPCI ou au syndicat de sorte qu’aucune de ces structures justifierait de la qualité de maître d’ouvrage pour bénéficier du transfert temporaire de maîtrise d’ouvrage et (ii) que l’ensemble des bâtiments de leurs membres ne forment pas un ouvrage unique de sorte que leur rénovation énergétique ne constitue pas une opération unique. Autrement dit, il n’existe aucune nécessité à ce que les travaux fassent l’objet d’une co-maîtrise d’ouvrage[13].

Au contraire, il est possible d’envisager que ces structures de coopération intercommunale se constituent :

  • en coordonnateur de groupement de commandes au sens de l’article L. 5211-4-4 du CCP si elle sont constituées sous forme d’un EPCI à fiscalité propre[14]. En effet, contrairement au groupement de commandes de droit commun encadré par les dispositions des articles L. 2113-6 à L. 2113-8 du CCP, l’EPCI à fiscalité propre n’est pas tenu de participer au groupement de commandes de sorte qu’il peut assurer la passation et l’exécution de marchés ne correspondant pas à ses besoins propres[15];
  • en une centrale d’achats le cas échéant (EPCI sans fiscalité propre, syndicats fermés ou ouverts): en effet, une centrale d’achats n’a pas à satisfaire un besoin propre lorsqu’elle passe un marché public dès lors qu’il s’agit par définition d’une personne morale en charge de procéder à la passation de marchés publics pour le compte d’autres acheteurs[16].

Néanmoins, quel que soit l’instrument de mutualisation de la commande publique retenu, il conviendra de veiller à la compatibilité du fonctionnement du groupement de commandes ou de la centrale d’achats avec les dispositions relatives à la maîtrise d’ouvrage publique, selon lesquelles le maître d’ouvrage ne saurait se démettre de ces missions fondamentales de la maîtrise d’ouvrage[17].

Par conséquent, les collectivités et leurs groupements peuvent sous certaines conditions mutualiser les besoins de rénovation énergétique de leurs membres, permettant d’une part une rationalisation de la commande publique par des économies d’échelle et, d’autre part, une réduction des coûts relatifs à la procédure de passation des marchés publics, en particulier des contrats de performance énergétique, qu’elles peuvent au demeurant conclure avec une SEM ou une SPL dont elles sont actionnaires – dans le respect des règles de la commande publique.

 

III. Opérer une mutualisation financière des besoins de rénovation énergétique des collectivités territoriales

Afin d’opérer une mutualisation financière en parallèle de la mutualisation technique, l’EPCI ou le syndicat – visés à l’article L. 2224-34 du CGCT – peut porter le financement sous la forme d’avances remboursables ou de prêts à destination de ses membres. Par la suite, ses membres lui remboursent l’avance octroyée sur les économies d’énergie attendues puis réalisées grâce aux travaux de performance énergétique.

A cet égard, des établissements bancaires proposent aux collectivités territoriales et à leurs groupements de conclure des conventions de financement Intracting mutualisé à un taux d’intérêt limité.

Plus précisément, dans le cadre d’un tel montage, la structure de coopération intercommunale doit opérer une double contractualisation : elle est la co-contractante de l’établissement bancaire et assure à ce titre le remboursement du « prêt » directement ; la collectivité membre de la structure intercommunale, maître d’ouvrage des travaux, est en outre la cocontractante de la structure de coopération intercommunale et lui rembourse l’avance à son tour au fur et à mesure des économies réalisées.

Il demeure toutefois certaines interrogations sur ce montage de sorte qu’une clarification législative serait à cet égard opportune.

Au-delà du financement des opérations de rénovation énergétique des collectivités territoriales par leur structure de coopération intercommunale, il peut également être envisagé leur préfinancement par le titulaire du contrat de performance énergétique.

C’est précisément l’objectif d’une proposition de loi déposée le 29 novembre 2022 qui entend autoriser, à titre expérimental et pour une durée de cinq ans, l’État, ses établissements publics, les collectivités territoriales, leurs établissements publics et leurs groupements à déroger aux articles L. 2191‑2 à L. 2191‑8 du Code de la commande publique – en particulier à l’interdiction de paiement différé – pour les contrats de performance énergétique conclus sous la forme d’un marché global de performance pour la rénovation d’un ou plusieurs de leurs bâtiments.

Autrement dit, ce dispositif permettra de contourner les insuffisances budgétaires des collectivités territoriales en ajoutant le portage financier de la rénovation énergétique du bâtiment aux prestations de conception-réalisation et d’exploitation ou de maintenance mises à la charge du titulaire d’un contrat de performance énergétique.

Par suite, la collectivité territoriale bénéficiaire des travaux pourrait rembourser l’investissement réalisé par le tiers sous forme d’avance ainsi que les intérêts associés à compter de la date de livraison des travaux.

Néanmoins, si cette proposition de loi est adoptée, il conviendra de rester vigilant sur les stipulations financières de tels contrats de performance énergétique afin qu’ils n’aboutissent pas à une détérioration des finances publiques locales au profit des titulaires de ces marchés – qui pourraient par ailleurs être la SPL ou la SEM dont les collectivités ou leur groupement sont actionnaires.

Yann-Gaël NICOLAS et Thomas ROUVEYRAN

 

 

[1] RTE indique qu’il est nécessaire de réduire notre consommation d’énergie de 40 % d’ici 2050 pour atteindre cette neutralité carbone (« Futurs énergétiques 2050 » – Principaux résultats – Octobre 2021, page 11).

[2] Cette part de bâtiments publics est d’ailleurs soumise au décret n° 2019-771 du 23 juillet 2019 relatif aux obligations d’actions de réduction de la consommation d’énergie finale dans des bâtiment à usage tertiaire qui prévoit une réduction des consommations d’énergie primaire de 40 % à échéance 2030, 50 % d’ici à 2040 et 60 % d’ici à 2050 (Circulaire n° 6343/SG en date du 13 avril 2022 relative à réduction de la consommation de gaz naturel pour le chauffage des bâtiments de l’Etat et de ses opérateurs, page 3 ; « Collectivités territoriales, maîtres d’ouvrages publics, Engagez-vous dans la rénovation énergétique » – ADEME – Décembre 2019 : https://www.banquedesterritoires.fr/sites/default/files/2020-03/renovation-energetique-010879_0.pdf).

[3] https://france-renov.gouv.fr/collectivite/renovation-batiments

[4] Rapport d’information n° 836 de Madame Françoise Gatel, au nom de la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation, sur la hausse du coût des énergies et son impact pour les collectivités territoriales – Enregistré à la Présidence du Sénat le 27 juillet 2022, page 5.

[5] Rapport d’information n° 836 de Madame Françoise Gatel, au nom de la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation, sur la hausse du coût des énergies et son impact pour les collectivités territoriales – Enregistré à la Présidence du Sénat le 27 juillet 2022, page 12.

[6] Circulaire n° 6343/SG en date du 13 avril 2022 relative à réduction de la consommation de gaz naturel pour le chauffage des bâtiments de l’Etat et de ses opérateurs, page 4.

[7] « Il visera notamment à soutenir la performance environnementale des collectivités (rénovation des bâtiments publics des collectivités, modernisation de l’éclairage public, valorisation des biodéchets, etc.), l’adaptation des territoires au changement climatique (risques naturels, renaturation) et l’amélioration du cadre de vie (friches, mise en place des zones à faible émission, etc.). Il portera également le financement de la stratégie nationale pour la biodiversité à hauteur de 150 M€. Son originalité résidera également dans son fonctionnement : déconcentré, il s’adaptera aux besoins des territoires dans une logique de souplesse et de fongibilité » (Projet de loi de finances n°273 pour 2023).

[8] Pour rappel, en vertu de l’article L. 5210-1-1 A du code général des collectivités territoriales : « Forment la catégorie des établissements publics de coopération intercommunale les syndicats de communes, les communautés de communes, les communautés urbaines, les communautés d’agglomération et les métropoles ».

[9] Au sens des articles L. 5711-1 et L. 5721-8 du CGCT.

[10] Habilitation à prendre en charge pour le compte de ses membres, en vertu du dernier alinéa de l’article L. 2224-34 du CGCT, les travaux nécessaires pour améliorer la performance énergétique des bâtiments dont ces membres sont propriétaires, ainsi qu’à assurer le financement de ces travaux ; ainsi qu’à conclure des conventions d’AMO ou de MOD en lien avec la compétence qu’il tire du dernier alinéa de l’article L. 2224-34 du CGCT.

[11] L’article L. 2224-34 du CGCT issu de la loi n°2019-1147 du 8 novembre 2019 relative à l’énergie et au climat leur permet :

  • d’une part, « de prendre en charge, pour le compte de leurs membres, des travaux nécessaires pour améliorer la performance énergétique des bâtiments dont [leurs] membres sont propriétaires», en mettant à leur service leurs « compétences et une expertise utile » ;
  • et d’autre part, d’ « assurer le financement de ces travaux» « qui feront l’objet de conventions conclues avec les membres bénéficiaires ».

[12]Par exemple, mission d’assistance à maîtrise d’ouvrage en matière de programmation, d’économie de la construction ou d’assurance, ou même, de façon encore plus ponctuelle et spécifique, mission d’assistance relevant de l’expertise et ne répondant, par exemple, qu’à une question d’urbanisme, de fiscalité ou de droit (Guide des maîtres d’ouvrages publics pour le choix d’un conducteur d’opération ou d’un mandataire, publié par la Mission interministérielle pour la qualité des constructions publiques, page 12).

[13] « L’unicité du projet architectural, la complémentarité des ouvrages, l’existence de parties communes et la répartition de la jouissance des biens seront autant d’indices de l’existence d’un projet commun » (Rép. min. n° 91141, JOAN 29 mars 2011, p. 3116).

[14] Ces dispositions permettent aux communes de confier à titre gratuit à l’EPCI à fiscalité propre, par convention et si ses statuts le prévoient expressément, indépendamment des fonctions de coordonnateur du groupement de commandes et quelles que soient les compétences qui lui ont été transférées, la charge de mener tout ou partie de la procédure de passation ou de l’exécution d’un ou de plusieurs marchés publics au nom et pour le compte des membres du groupement.

[15] Rapport n° 12 de la Commission des lois du Sénat, tome I (2019-2020) de M. Mathieu DARNAUD et Mme Françoise GATEL, déposé le 2 octobre 2019 ; Etude d’impact du projet de loi relatif à l’engagement dans la vie locale et à la proximité de l’action publique (NOR : TERX1917292L/Bleue-2) en date du 10 septembre 2019 : « En effet tout marché passé dans le cadre d’un groupement de commandes a nécessairement pour objet de répondre aux besoins de tout membre du groupement qui y participe, y compris lorsque ce membre agit en qualité de coordonnateur du groupement. Or, il s’agit ici de permettre à l’établissement public d’agir au nom et pour le compte de ses communes membres pour répondre à leurs seuls besoins, ce que son rôle de coordonnateur au sein d’un groupement de commandes ne lui permettrait pas de faire » ; Rép. min. n° 24852, JO Sénat Q. 25 janvier 2007 ; Jurisclasseur Collectivités territoriales, Fasc. 605 : MARCHÉS PUBLICS. – Choix du contenu et préparation de la procédure d’attribution – 1er avril 2020 – Lucienne Erstein – point 80 ; Fiche DAJ, La mutualisation des achats, p. 6.

[16] « Les centrales d’achats : avantages et inconvénients » – Contrats Publics – n° 208 – Avril 2020 – Marion Terraux et Candice Méric.

[17] Article L. 2411-1 du CCP.

Précisions sur les obligations de l’employeur public en matière de protection de la santé physique et morale de leurs agents

Aux termes de l’article L. 133-2 du Code général de la fonction publique, tout employeur public est tenu de protéger ses agents des agissements de harcèlement moral. À défaut, il est constant que l’agent peut engager la responsabilité de l’administration sur ce fondement.

Il ne s’agit pas du seul moyen d’action de l’agent se prévalant de souffrances au travail

En effet, ce dernier peut également solliciter l’engagement de la responsabilité sans faute de l’administration si sa maladie est reconnue imputable au service, et ce même en l’absence de tout harcèlement moral.

Il ne pourra toutefois obtenir l’indemnisation de l’intégralité de ses préjudices qu’en démontrant une faute à l’origine de sa maladie telle qu’un manquement à l’obligation de sécurité prescrite à l’article 2-1 du décret n° 85-603 du 10 juin 1985 (CE, 4 juillet 2003, Moya-Caville, n° 211106).

C’est cette dernière faute que le Conseil d’État est venu préciser dans sa décision en date du 24 juin 2022 (n° 444568), ainsi que son articulation avec la faute tirée du harcèlement moral.

Dans l’affaire déférée au Conseil d’État, l’agent avait saisi le juge d’une demande tendant à la condamnation de l’administration à l’indemniser du préjudice subi du fait d’un harcèlement moral dont il s’estimait victime ainsi qu’au titre d’un dysfonctionnement des services résultant d’un manquement à l’obligation de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé des agents.

Le Conseil d’État indique qu’outre la protection en matière de harcèlement moral incombant à l’employeur public, « les autorités administratives ont l’obligation de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et morale de leurs agents. Il leur appartient à ce titre, sauf à commettre une faute de service, d’assurer la bonne exécution des dispositions législatives et réglementaires qui ont cet objet, ainsi que le précise l’article 2-1 du décret du 10 juin 1985 relatif à l’hygiène et à la sécurité du travail ainsi qu’à la médecine professionnelle et préventive de la fonction publique territoriale, dans sa rédaction issue du décret du 16 juin 2000 ».

Ainsi, l’administration est tenue à une obligation de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et morale de leurs agents.

Dès lors, si l’administration méconnait une telle obligation et que ce manquement est à l’origine d’une dégradation de l’état de santé de l’agent, sa responsabilité peut être engagée, malgré l’absence de qualification de harcèlement moral.

Procédure disciplinaire et communication à un agent public des procès-verbaux d’auditions réalisées dans le cadre d’une enquête administrative

Par un arrêt en date du 21 octobre 2022, le Conseil d’Etat a considéré que, malgré l’absence de communication des procès-verbaux d’audition réalisés dans le cadre d’une enquête administrative, un agent ayant été par la suite fait l’objet d’une fin de fonctions n’était pas fondé à soutenir qu’il n’avait pas été mis à même d’obtenir communication de l’intégralité de son dossier et que la mesure avait été prise en méconnaissance de l’article 65 de la loi du 22 avril 1905.

Dans cette affaire, le requérant reprochait précisément à l’administration le fait que son dossier ne comprenait pas les cinquante-huit procès-verbaux des auditions menées dans le cadre d’une enquête administrative le concernant. Cependant, l’intéressé avait connaissance de cette liste qui figurait en annexe du rapport qui lui avait été communiqué.

Le Conseil d’Etat avait déjà précisé que lorsqu’une enquête administrative a été diligentée sur le comportement d’un agent public, le rapport établi à l’issue de cette enquête, ainsi que, lorsqu’ils existent, les procès-verbaux des personnes entendues dans ce cadre, font partie des pièces dont ce dernier doit obtenir communication, sauf si la communication de ces procès-verbaux est de nature à porter gravement préjudice aux personnes qui ont témoigné (CE, 5 février 2020, n° 433130).

Pour sa part, l’article 65 de la loi du 22 avril 1905 dispose qu’un agent public faisant l’objet d’une mesure prise en considération de sa personne, qu’elle soit ou non justifiée par l’intérêt du service, doit être mis à même d’obtenir communication de son dossier. Le juge administratif interprète classiquement ces dispositions comme imposant seulement à l’administration la communication du dossier individuel à la demande de l’agent.

Dans l’espèce ici commentée, se posait la question de savoir si la communication de tels procès-verbaux devait se faire automatiquement lorsque l’agent sollicitait la transmission du rapport d’enquête administrative, ou s’il appartenait à l’agent de demander spécifiquement la communication des procès-verbaux d’audition. L’enjeu de cette question était de déterminer si la procédure était au cas particulier irrégulière, le requérant n’ayant pas obtenu la communication spontanée de ces procès-verbaux lors de la transmission du rapport d’enquête.

A cette question délicate, de l’avis même du rapporteur public, le Conseil d’Etat répond par la négative, en considérant qu’il appartenait à l’agent de solliciter la communication de ces pièces, dès lors qu’il avait été informé de la possibilité de consulter son dossier et de l’existence de ces procès-verbaux d’auditions. Ce faisant le Conseil d’Etat adopte une solution qui peut au premier abord paraître sévère pour l’agent mais qui est en fait des plus pragmatiques en ce qu’il suffirait sinon aux agents sanctionnés ou faisant l’objet d’une mesure prise en considération de la personne de s’abstenir de réclamer des pièces pour ensuite obtenir une annulation de la décision.

C’est d’ailleurs exactement ce que le Rapporteur public soulignait dans ses conclusions « la solution inverse permettrait à l’agent public qui constate l’absence d’un document dans son dossier de procédure de garder un silence stratégique au stade de la procédure administrative afin d’obtenir au contentieux l’annulation de la mesure alors même qu’il aurait pu avoir en temps utile accès au document ».

Il s’agit là d’une décision fort utile à l’administration qui, si elle omet une transmission de pièce, ne peut donc voir le requérant le lui reprocher que si, informé de l’existence de celle-ci, il l’a vainement réclamée.

Rappels sur les modalités de reprise par les communes des concessions funéraires non renouvelées ainsi que de celles en état d’abandon

Réponse du Ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoires publiée dans le JO Sénat du 03 novembre 2022 – page 5487

Réponse du Ministère auprès du Ministre de l’intérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargé des collectivités territoriales publiée dans le JO Sénat du 03/11/2022 – page 5429

Trois réponses ministérielles en date du 3 novembre 2022 sont revenues sur le régime des reprises par les communes des concessions funéraires non renouvelées ainsi que de celles en état d’abandon en formulant d’utiles rappels en la matière, sur un sujet important en cette période marquée par le manque d’emplacements dans les cimetières.

On rappellera qu’au terme de l’article L. 2223-15 du Code général des collectivités territoriales (CGCT), à défaut de paiement de la redevance due pour les besoins du renouvellement d’une concession funéraire, la commune ne peut procéder à la reprise de la cette dernière qu’après un délai de deux ans suivant la date d’expiration de la concession, durant lequel les concessionnaires ainsi que leurs ayant droit peuvent user de leur droit de renouvellement.

Une première réponse ministérielle en date du 3 novembre 2022 rappelle en ce sens que durant cet intervalle de deux ans, les concessionnaires et ayant droit disposent d’un véritable droit au renouvellement – renouvellement que les communes ne peuvent refuser donc – et dont découle l’obligation pour ces dernières de les informer de ce droit[1]. En revanche, à l’issue dudit délai, ce droit au renouvellement disparaît au profit des concessionnaires et ayant droits dûment informés. Et ce, ainsi que le précise le Ministre, même si la commune n’a pas matériellement procédé aux opérations de reprise de la concession. Dans ce dernier cas, la commune a la simple possibilité (et non l’obligation) de proposer une « prolongation de jouissance aux concessionnaires ou à leurs ayants droits si ceux-ci en font la demande au delà du délai prescrit par la loi ».

Lorsqu’à l’issue de ce délai de deux ans, le terrain concédé fait retour à la commune, le ou les corps présents dans cette concession peuvent ensuite être exhumés afin de permettre la réattribution de la concession. Ainsi que le prévoient les articles L. 2223-4 et R. 2223-9 du CGCT et comme rappelé par la deuxième réponse ministérielle du 3 novembre 2022 ici commentée, les restes exhumés peuvent alors, « en l’absence de d’opposition attestée ou connue du défunt », faire l’objet d’une crémation afin que, le cas échéant, les cendres issues de cette crémation soient placées dans un colombarium ou dispersées dans la partie du cimetière spécialement affectée à cet effet. En cas d’opposition à la crémation en revanche, les restes exhumés sont placés dans l’ossuaire communal. Questionné sur ce point, le Ministre précise que l’ensemble de ces opérations sont à la charge financière de la commune.

Il en va de même des restes exhumés à l’issue de la reprise d’une concession funéraire en état d’abandon. Pour mémoire, à l’expiration d’un délai de trente ans à compter de l’acte de concession et de 10 ans à compter de la dernière inhumation dans le terrain concédé (articles L. 2223-17 et R.2223-12 du CGCT), le maire peut constater l’état d’abandon d’une concession par procès-verbal, puis, à l’issue d’un délai d’un an à compter de sa publication, réunir le conseil municipal afin qu’il se prononce en faveur ou non de la reprise de la concession. Ce délai d’un an résulte de la loi dite « 3DS » (il était antérieurement de trois ans). Et, ainsi que le rappelle le Ministre de la transition écologique dans la dernière réponse ministérielle du 3 novembre 2022 commentée, la partie réglementaire du CGCT (articles R. 2223-18 du CGCT) a été mise à jour de ce délai réduit par le décret en date du 5 août 2022 portant application des dispositions de la loi 3DS en matière de droit funéraire dont les apports ont été commentés dans une précédente lettre d’actualité juridique.

[1] Voir en ce sens CE, 11 mars 2020, Commune d’Epinal, n° 436693 et article 237 de la loi n° 2022-217 du 21 février 2022 relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l’action publique locale dite « loi 3DS » ayant intégré cette obligation au sein de l’article L. 2223-15 du CGCT susvisé.

Publication de deux réponses ministérielles en matière de dispersion des cendres dans les sites cinéraires ou en pleine nature

Réponse du Ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoires publiée dans le JO Sénat du 10 novembre 2022 – page 5628

Pour mémoire, l’article L. 2223-18-2 du Code général des collectivités territoriales (CGCT) fixe la destination des cendres issues de la crémation et prévoit ainsi que celles-ci peuvent être, soit conservées dans l’urne cinéraire (laquelle pourra être inhumée dans une sépulture, déposée dans un colombarium ou scellée à un monument funéraire à l’intérieur d’un cimetière ou d’un site cinéraire), soit dispersées dans un espace prévu à cet effet (jardin à souvenir), soit dispersées en pleine nature.

Dans ce cadre, le Ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires a été saisi de la question de savoir si le recours à un opérateur funéraire habilité est requis dans le cas d’une dispersion des cendres dans un jardin à souvenir ou au contraire, si les familles endeuillées peuvent y procéder elles-mêmes.

Le Ministre considère que le personnel y procédant doit être habilité, en suivant le raisonnement suivant :

  • D’abord, les opérations de dispersion des cendres sont assimilables aux opérations d’inhumation d’un corps qui font partie du service extérieur des pompes funèbres, pour lesquelles l’article L. 2223-19 du CGCT exige qu’elles soient réalisées par une entreprise ou une association ayant reçu l’habilitation prévue à l’article L. 2223-23 du CGCT ;
  • Ensuite, la demande de dispersion des cendres au sein d’un jardin à souvenir est elle-même formulée par le biais d’un opérateur habilité, sur demande de la personne ayant qualité pour pourvoir aux funérailles ;

En revanche, la famille peut procéder elle-même à la dispersion des cendres lorsqu’elle est effectuée en pleine nature, cette opération n’étant pas soumise à autorisation mais à une simple déclaration préalable à la mairie de la commune de naissance du défunt (article L. 2223-18-3 du CGCT).

Par ailleurs, toujours en matière de dispersion des cendres issues de la crémation, le Ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires a, par une réponse ministérielle du 10 novembre dernier, considéré que son régime juridique ne permet pas, en l’état, la création de forêts cinéraires.

En effet, une telle opération – dont le projet semble s’entendre de l’inhumation en site forestier, de manière payante, d’urnes funéraires biodégradables – reviendrait, selon le Ministre, à rendre onéreuse une opération de dispersion des cendres autorisée en pleine nature (ici au sein d’espaces forestiers) qui n’est pourtant pas onéreuse.

Vers un élargissement des catégories professionnelles pouvant établir les certificats de décès?

Alerté sur les délais que subissent les familles endeuillées pour voir les certificats de décès établis et interrogé sur les mesures envisagées en conséquence par le Gouvernement pour les raccourcir, le Ministre de la santé et de la prévention a annoncé qu’une nouvelle catégorie professionnelle pourrait prochainement être autorisée à établir ces actes.

Pour rappel, les certificats de décès prévus à l’article L. 2223-42 du Code général des collectivités territoriales (CGCT) doivent être établis pour que l’autorisation de fermeture du cercueil soit délivrée et qu’il puisse être ensuite procédé aux opérations funéraires requises. Ainsi, le respect d’un délai raisonnable dans l’établissement des certificats de décès revêt une importance particulière pour les proches du défunt comme pour des questions sanitaires.

A cette fin, tel que le rappelle le Ministre dans sa réponse ministérielle, l’article 12 de la loi du 24 juillet 2019 relative à l’organisation et à la transformation du système de santé est venue modifier l’article L. 2223-42 susvisé afin d’étendre la possibilité d’établir des certificats médicaux aux médecins retraités, étudiants en cours de troisième cycle des études de médecine en France ainsi qu’aux praticiens à diplôme étranger hors Union européenne autorisés à poursuivre un parcours de consolidation des compétences en médecine, dans les conditions désormais fixées par les articles R.2213-1-1-1, D. 2213-1-1-2 et D.2213-1-1-3 du CGCT.

Toutefois, l’évolution des catégorie professionnelles autorisées à établir un certificat de décès demeure limitée comme le souligne le Ministre dès lors que celui-ci consiste en un véritable acte médical impliquant un diagnostic quant aux causes du décès et une évaluation de la présence d’un éventuel obstacle médico-légal aux opérations funéraires.

C’est dans ce cadre, et afin de concilier ces exigences, que le Ministre annonce qu’à l’issue du débat parlementaire, pourrait être intégré au projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2023 une expérimentation tendant à la mobilisation des infirmiers diplômés d’Etat dans l’établissement des certificats de décès.

Procédure disciplinaire et communication à un agent public des procès-verbaux d’auditions réalisées dans le cadre d’une enquête administrative

Par un arrêt en date du 21 octobre 2022, le Conseil d’Etat a considéré que, malgré l’absence de communication des procès-verbaux d’audition réalisés dans le cadre d’une enquête administrative, un agent ayant été par la suite fait l’objet d’une fin de fonctions n’était pas fondé à soutenir qu’il n’avait pas été mis à même d’obtenir communication de l’intégralité de son dossier et que la mesure avait été prise en méconnaissance de l’article 65 de la loi du 22 avril 1905.

Dans cette affaire, le requérant reprochait précisément à l’administration le fait que son dossier ne comprenait pas les cinquante-huit procès-verbaux des auditions menées dans le cadre d’une enquête administrative le concernant. Cependant, l’intéressé avait connaissance de cette liste qui figurait en annexe du rapport qui lui avait été communiqué.

Le Conseil d’Etat avait déjà précisé que lorsqu’une enquête administrative a été diligentée sur le comportement d’un agent public, le rapport établi à l’issue de cette enquête, ainsi que, lorsqu’ils existent, les procès-verbaux des personnes entendues dans ce cadre, font partie des pièces dont ce dernier doit obtenir communication, sauf si la communication de ces procès-verbaux est de nature à porter gravement préjudice aux personnes qui ont témoigné (CE, 5 février 2020, n° 433130).

Pour sa part, l’article 65 de la loi du 22 avril 1905 dispose qu’un agent public faisant l’objet d’une mesure prise en considération de sa personne, qu’elle soit ou non justifiée par l’intérêt du service, doit être mis à même d’obtenir communication de son dossier. Le juge administratif interprète classiquement ces dispositions comme imposant seulement à l’administration la communication du dossier individuel à la demande de l’agent.

Dans l’espèce ici commentée, se posait la question de savoir si la communication de tels procès-verbaux devait se faire automatiquement lorsque l’agent sollicitait la transmission du rapport d’enquête administrative, ou s’il appartenait à l’agent de demander spécifiquement la communication des procès-verbaux d’audition. L’enjeu de cette question était de déterminer si la procédure était au cas particulier irrégulière, le requérant n’ayant pas obtenu la communication spontanée de ces procès-verbaux lors de la transmission du rapport d’enquête.

A cette question délicate, de l’avis même du rapporteur public, le Conseil d’Etat répond par la négative, en considérant qu’il appartenait à l’agent de solliciter la communication de ces pièces, dès lors qu’il avait été informé de la possibilité de consulter son dossier et de l’existence de ces procès-verbaux d’auditions. Ce faisant le Conseil d’Etat adopte une solution qui peut au premier abord paraître sévère pour l’agent mais qui est en fait des plus pragmatiques en ce qu’il suffirait sinon aux agents sanctionnés ou faisant l’objet d’une mesure prise en considération de la personne de s’abstenir de réclamer des pièces pour ensuite obtenir une annulation de la décision.

C’est d’ailleurs exactement ce que le Rapporteur public soulignait dans ses conclusions « la solution inverse permettrait à l’agent public qui constate l’absence d’un document dans son dossier de procédure de garder un silence stratégique au stade de la procédure administrative afin d’obtenir au contentieux l’annulation de la mesure alors même qu’il aurait pu avoir en temps utile accès au document ».

Il s’agit là d’une décision fort utile à l’administration qui, si elle omet une transmission de pièce, ne peut donc voir le requérant le lui reprocher que si, informé de l’existence de celle-ci, il l’a vainement réclamée.

Cumul d’activités : un agent public à temps complet peut exercer certaines activités lucratives à titre accessoire sous la forme de la micro-entreprise

Par un jugement en date du 10 octobre 2022, le Tribunal administratif de Toulon a apporté de précieux éclaircissements sur la notion d’activité accessoire, en particulier sur la vente de biens fabriqués personnellement par l’agent.

Pour mémoire, selon les dispositions du III de l’article 25 septies de la loi n°83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires alors applicable (dont les dispositions sont désormais codifiées à l’article L. 123-8 du Code général de la fonction publique), un fonctionnaire exerçant à temps complet peut créer ou reprendre une entreprise afin d’exercer une activité privée lucrative, sous réserve que celui-ci sollicite d’accomplir son service à temps partiel et que sa demande soit acceptée par son administration.

Le IV de l’article 25 septies de la loi du 13 juillet 1983 (repris à l’article L. 123-7 du Code général de la fonction publique) vise quant à lui les activités accessoires, autrement dit les activités lucratives ou non lucratives qui peuvent être exercées par les fonctionnaires parallèlement à leur emploi mais qui sont subordonnées à la délivrance d’une autorisation par l’autorité hiérarchique. Il est également indiqué que les activités accessoires peuvent être exercées sous le régime prévu à l’article L. 133-6-8 du Code de la sécurité sociale (désormais transféré à l’article L. 613-7 du même Code), soit en qualité de travailleur indépendant, par dérogation au 1° du I de l’article 25 septies qui interdit au fonctionnaire de créer ou reprendre une entreprise.

En l’espèce, une professeure agrégée en poste au sein d’un lycée a présenté une demande d’autorisation de cumul de fonctions pour l’année 2020-2021 afin de vendre des bijoux qu’elle fabriquait personnellement en qualité d’auto-entrepreneuse. Le recteur de l’académie dont elle relève a toutefois subordonné sa demande à l’obtention préalable d’une autorisation d’exercice à temps partiel, suivant les modalités prévues par le III susvisé de l’article 25 septies de la loi du 13 juillet 1983.

Le Tribunal administratif de Toulon a estimé qu’il ressortait des dispositions de l’article 25 septies de la loi du 13 juillet 1983 telles qu’éclairées par les travaux parlementaires de la loi du 20 avril 2016 dont elles sont issues que « si les dispositions citées précédemment du 1° du I de cet article [l’article 25 septies] interdisent par principe de créer toute entreprise donnant lieu à une affiliation au régime des travailleurs indépendants prévu à l’article L. 613-7 du code de la sécurité sociale, le législateur a cependant entendu, dans le cadre du IV de cet article, permettre à un fonctionnaire occupant un emploi à temps complet et travaillant à temps plein d’exercer certaines activités à titre accessoire, sous la forme de la micro-entreprise. La liste des activités lucratives exercées dans ce cadre, à titre dérogatoire, sont définies à l’article 11 du décret du 30 janvier 2020 [relatif aux contrôles déontologiques dans la fonction publique], lequel dispose que la vente de biens produits personnellement par l’agent constitue l’une de ces activités accessoires autorisées. Les dispositions de ce même décret prévoient également, pour cette activité, et par dérogation au 1° du I de l’article 25 septies de la loi du 13 juillet 1983 susvisée, une affiliation obligatoire au régime des travailleurs indépendants prévu à l’article L. 613-7 du code de la sécurité sociale. ». Par conséquent, les juges de première instance ont considéré que le recteur de l’académie avait commis une erreur de droit en faisant application des dispositions du III de l’article 25 septies de la loi du 13 juillet 1983, alors que la vente de biens fabriqués personnellement par l’agent entre dans la catégorie des activités accessoires visées à l’article IV du même article.

Ce jugement pourrait avoir un certain impact sur les demandes d’activités accessoires pour ce motif, la vente de produits personnellement fabriqués connaissant un essor depuis la crise sanitaire.

Rappelons tout de même que l’exercice d’une activité accessoire reste soumise à l’accord préalable de l’autorité hiérarchique et que celle-ci doit être compatible avec les fonctions de l’agent, ne pas affecter leur exercice et figurer sur la liste des activités susceptibles d’être exercées à titre accessoire fixée à l’article 11 du décret en date du 30 janvier 2020.

Condamnation d’une association caritative pour parasitisme

L’action en concurrence déloyale pour parasitisme ayant classiquement pour but de protéger la valeur économique détournée par un opérateur économique à son profit et au détriment d’un autre, la récente décision ayant condamné une association caritative sur le fondement du parasitisme pour avoir laissé entendre qu’elle entretenait un lien avec une autre association caritative pourrait sembler quelque peu atypique du fait de l’absence d’activité lucrative des parties en présence.

Pour autant, cette décision s’inscrit dans la droite ligne de la récente position de la Cour de cassation selon laquelle « l’action en parasitisme, fondée sur l’article 1382, devenu 1240, du code civil, qui implique l’existence d’une faute commise par une personne au préjudice d’une autre, peut être mise en œuvre quels que soient le statut juridique ou l’activité des parties, dès lors que l’auteur se place dans le sillage de la victime en profitant indûment de ses efforts, de son savoir-faire, de sa notoriété ou de ses investissements » (Cass. Civ., 16 février. 2022, n° 20-13.542).

Dans cette affaire, l’association parasite continuait d’utiliser le logo de l’association parasitée malgré leur séparation datant de 2011 et laissait entendre auprès du public qu’elle avait une mission d’éducation de chien pour personnes non voyantes alors qu’elle ne possédait aucun centre d’éducation canine et que cette mission n’entrait pas dans le cadre de son objet social (contrairement à l’association parasitée).

A partir de ces éléments, les Juges de la Cour d’appel d’Aix-en-Provence ont estimé que l’association s’était ainsi placée dans le sillage de l’association parasitée, ce qui était constitutif de parasitisme et engageait la responsabilité de l’association parasite.

Il est en outre particulièrement intéressant de relever que la Cour a constaté que l’association parasitée ne démontrait pas de préjudice financier (n’ayant pas subi de baisse de dons ou tout autre préjudice matériel) et a, en ce sens, confirmé le jugement de première instance qui n’a retenu qu’un préjudice moral. Cependant, et contrairement aux juges de première instance qui avait évalué ce préjudice moral à hauteur de 3.000 euros, la Cour d’appel a estimé que celui-ci devait être évalué à hauteur de 15.000 euros, ce qui est loin d’être négligeable compte-tenu des activités des parties en présence et qui est sans doute lié à la prise en compte d’une certaine mauvaise foi de la partie défenderesse.

Protection des lanceurs d’alerte : état des lieux des dernières dispositions réglementaires d’un dispositif qui s’applique aussi aux acteurs de l’ESS et aux personnes publiques

Le dispositif de protection des lanceurs d’alerte a été introduit en droit français par la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 (dite « loi Sapin 2 ») afin de protéger les personnes qui signalent des faits portant gravement atteinte à l’intérêt général contre les risques encourus par ces révélations.

Ce dispositif a été renforcé par deux lois promulguées le 21 mars 2022 et entrées en vigueur le 1er septembre dernier : d’une part, une loi organique n° 2022-400 du 21 mars 2022 visant à renforcer le rôle du Défenseur des droits en matière de signalement d’alerte, et, d’autre part, une loi ordinaire n° 2022-401 du 21 mars 2022 visant à améliorer la protection des lanceurs d’alerte.

Ce dernier texte prévoit une définition plus large du lanceur d’alerte, désormais désigné comme « une personne physique qui signale ou divulgue, sans contrepartie financière directe et de bonne foi, des informations portant sur un crime, un délit, une menace ou un préjudice pour l’intérêt général, une violation ou une tentative de dissimulation d’une violation d’un engagement international régulièrement ratifié ou approuvé par la France, d’un acte unilatéral d’une organisation internationale pris sur le fondement d’un tel engagement, du droit de l’Union européenne, de la loi ou du règlement ».

En vertu de cette loi, le lanceur d’alerte a désormais l’option de choisir entre un signalement interne, c’est-à-dire au sein de son organisation, et un signalement externe à l’attention de l’autorité compétente, du Défenseur des droits, à la justice ou à un organe européen.

Cette loi renforce également la protection des personnes accompagnant les lanceurs d’alerte, ces « facilitateurs » pouvant être des personnes physiques ayant aidé un particulier à faire un signalement ou une divulgation, mais aussi des personnes morales de droit privé à but non lucratif telles que les associations ou les syndicats en lien avec le lanceur d’alerte.

Un décret d’application a été adopté le 3 octobre 2022, venant préciser les modalités suivant lesquelles sont établies les procédures internes de recueil et de traitement des signalements et les procédures de recueil et de traitement des signalements adressés aux autorités compétentes, ainsi que la liste de ces autorités.

Sont concernées par ce décret, les entités employant au moins 50 salariés. Pour les personnes morales de droit privé – dont les associations – et pour les personnes morales de droit public employant des personnels dans les conditions du droit privé, le seuil de 50 salariés s’apprécie à la clôture de deux exercices consécutifs. Sont également concernées, les administrations de l’Etat, ainsi que les personnes morales de droit public employant au moins cinquante agents, à l’exclusion :

  • des communes de moins de 10 000 habitants ;
  • des établissements publics qui leur sont rattachés ;
  • des établissements publics de coopération intercommunale qui ne comprennent parmi leurs membres aucune commune excédant ce seuil de population.

Le décret prévoit que la procédure d’alerte doit être diffusée « par tout moyen assurant une publicité suffisante » et doit prévoir les délais encadrant la réception et le traitement des alertes. Chaque entité concernée est tenue de déterminer l’instrument juridique le mieux à même de répondre à l’obligation d’établir une procédure interne de recueil et de traitement des signalements : note de service, guide à usage des salariés, etc. Les employeurs sont également tenus de rappeler dans le règlement intérieur l’existence du dispositif de protection des lanceurs d’alerte afin d’assurer l’information des salariés sur le sujet (article L. 1321-2 3° du Code du travail modifié par la loi du 21 mars 2022). Une exception est cependant prévue pour les administrations de l’État, lesquelles devront suivre les instructions de leur ministère, qui seront précisées ultérieurement par voie d’arrêté.

La procédure doit par ailleurs instaurer un canal de réception des signalements permettant à toute personne d’adresser un signalement par écrit ou par oral, selon ce que prévoit la procédure.

L’organisation a désormais l’obligation d’accuser réception du signalement dans les sept jours ouvrés de sa réception et doit communiquer par écrit, dans un délai raisonnable n’excédant pas trois mois à compter de la réception de l’alerte, des informations sur les mesures envisagées ou prises pour évaluer l’exactitude des allégations et, le cas échéant, remédier à l’objet du signalement. La procédure d’alerte garantit l’intégrité et la confidentialité des informations recueillies, notamment l’identité du lanceur d’alerte, des personnes visées par celle-ci et de tout tiers qui y est mentionné.

Le décret fixe, par ailleurs, les procédures de recueil et de traitement des signalements adressés aux autorités externes compétentes, et la liste de ces autorités, indiquées en annexe (Commission nationale de l’informatique et des libertés, Agence française anticorruption, Haute Autorité de santé, etc.).

Ces nouvelles dispositions s’inscrivent dans l’arsenal législatif français développé depuis 2016, qui vise à lutter contre la corruption et œuvrer pour d’avantage de transparence au sein des organisations. Ces organisations, privées comme publiques, devront donc veiller au respect et à la bonne mise en œuvre des modalités de recueil et de traitement des signalements, ainsi qu’à la diffusion de la procédure de lanceur d’alerte à l’ensemble de leurs collaborateurs.

La seconde phase de campagne budgétaire des ESMS pour l’exercice 2022 : des moyens financiers supplémentaires alloués aux ESMS accueillant des personnes en situation de handicap et des personnes âgées pour faire face à l’inflation

L’instruction interministérielle[1] en date du 8 novembre 2022 est venue compléter celle du 12 avril 2022 relative à la campagne budgétaire des établissements et services médicaux-sociaux (ESMS) accueillant des personnes en situation de handicap et des personnes âgées. Prise par le ministère des Solidarités, de l’Autonomie et des Personnes handicapées, elle est à destination des directeurs généraux des Agences régionales de santé et organise le cadre de dialogue de gestion entre les opérateurs et les acteurs de l’Etat.

Que prévoit-elle ?

Cette instruction complémentaire vient organiser la seconde partie de campagne budgétaire et vise essentiellement :

  • A limiter l’impact du contexte inflationniste sur « le renchérissement des achats des établissements de santé et médicosociaux» ;
  • A financer la revalorisation du point d’indice de la fonction publique au 1er juillet 2022 et sa transposition au secteur privé non lucratif et lucratif ;
  • A financer les engagements relatifs aux ressources humaines pris dans le cadre du Ségur de la santé et de la conférence des métiers 2022.

Combien de moyens complémentaires sont alloués ?

L’instruction prévoit un montant de 440 millions d’euros alloués aux mesures précitées :

  • 100 millions d’euros supplémentaires alloués pour contribuer au financement de la hausse des prix dans le périmètre des charges financées par la branche autonomie et par l’objectif global de dépenses (OGD) ;
  • 340 millions d’euros pour contribuer au financement de 6 mois d’application de la hausse de la valeur du point d’indice dans les établissements et services relevant de la fonction publique et la transposition de cette revalorisation du secteur public au secteur privé dans le cadre d’accords de branche ou d’entreprise.

Les moyens nouveaux de cette campagne budgétaire s‘élèvent à 205,9 millions d’euros pour le secteur Personnes âgées (PA) et 234,1 millions d’euros pour le secteur Personnes handicapées (PH). Cette évolution des moyens permet « une application globale et homogène à l’ensemble des ESMS ».

Pour l’ensemble de l’année 2022, le taux global des moyens alloués aux ESMS s’élève, selon l’instruction ministérielle, à +1.97 % pour le secteur PA et à + 2.35 % pour le secteur PH.

Que prévoit cette instruction en matière de revalorisation salariale ?

Compte tenu des engagements de la Conférence des métiers du 18 février 2022, un plan de revalorisation des professionnels sociaux-éducatifs et de tous les médecins exerçant en ESMS est prévu. Cette revalorisation est fixée à 183 € nets par mois pour les professionnels sociaux éducatifs pour un équivalent temps plein (ETP) et à 517 € brut par mois, ne comprenant pas les charges patronales, pour les médecins. Cette revalorisation doit s’appliquer depuis le 1er avril 2022.

Par ailleurs, d’autres mesures de revalorisation ont été prises en faveur des personnels des ESMS du secteur privé à but non lucratif (issues du Ségur 2) et des professionnels aides-soignants et auxiliaires de puériculture de la fonction publique hospitalière (FPH). Ces derniers bénéficient d’un passage en catégorie B et, à ce titre, d’une nouvelle grille indiciaire depuis le 1er octobre 2021.

En pleine crise des métiers dans le secteur social et médico-social et dans un contexte inflationniste tendu, ces mesures seront précieusement accueillies par les ESMS accueillant des personnes en situation de handicap et des personnes âgées.

 

[1] Instruction N° DGCS/SD5B/DSS/SD1A/CNSA/DFO/2022/237 du 8 novembre 2022 complémentaire à l’instruction interministérielle n° DGCS/SD5B/DSS/SD1A/CNSA/DESMS/2022/108 du 12 avril 2022 relative aux orientations de l’exercice 2022 pour la campagne budgétaire des établissements et services médico-sociaux accueillant des personnes en situation de handicap et des personnes âgées