Précisions relatives à l’appréciation d’une offre anormalement basse

Par un arrêt en date du 13 mars 2019, le Conseil d’Etat est venu compléter l’édifice jurisprudentiel sur les modalités d’appréciation d’une offre anormalement basse.

En l’espèce, la Communauté d’agglomération du Grand Sénonais a lancé une consultation en vue d’attribuer un marché public de collecte et d’évacuation des ordures ménagères et de déchets. Dans le cadre de la procédure de passation, l’offre présentée par la société Sépur a été rejetée par la collectivité, au motif que celle-ci était jugée comme anormalement basse.

A la suite du courrier de rejet, le candidat évincé a exercé un référé précontractuel devant le Tribunal administratif de Dijon aux fins d’annulation de la décision de rejet et d’injonction tendant à la reprise de la procédure au stade de l’analyse des offres, demandes auxquelles le juge des référés n’a pas fait droit.

Mécontente par l’ordonnance de référé, la société Sépur a formé un pourvoi en cassation devant le Conseil d’Etat pour demander l’annulation de cette ordonnance et la reprise partielle de la procédure.

Pour censurer l’ordonnance, la Haute juridiction s’est fondée sur les articles 53 de l’ordonnance du 23 juillet 2015 et 60 du décret du 25 mars 2016, et a considéré que « l’existence d’un prix paraissant anormalement bas au sein de l’offre d’un candidat, pour l’une seulement des prestations faisant l’objet du marché, n’implique pas, à elle-seule, le rejet de son offre comme anormalement basse, y compris lorsque cette prestation fait l’objet d’un mode de rémunération différent ou d’une sous-pondération spécifique au sein du critère du prix. Le prix anormalement bas d’une offre s’apprécie en effet au regard de son prix global».

Partant, deux enseignements peuvent être tirés de ce considérant de principe, à savoir :

  • d’ une part, le prix anormalement bas d’une offre s’analyse au regard du prix global ;
  • et d’autre part, l’absence de facturation de certaines prestations du marché, objet d’une sous-pondération dans le critère prix, n’est pas à elle seule, une circonstance suffisante pour caractériser une offre anormalement basse.

Cette nouvelle décision vient ainsi compléter l’œuvre de clarification entreprise ces dernières années par la jurisprudence administrative, qui a notamment eu à préciser que le pouvoir adjudicateur est tenu de rechercher si le prix proposé par le candidat est en lui-même « manifestement sous-évalué et, ainsi, susceptible de compromettre la bonne exécution du marché »[1].

Toutefois, le Conseil d’Etat a rejeté le pourvoir dans la mesure où le marché avait été signé avant son introduction.

[1]CE, 13 novembre 2013, Société Artéis, req. n° 36606 ; CE, 22 janvier 2018, Cmne de Vitry-le-François, req. n° 414860.

Refus de condamnation en comblement de passif dès lors que l’insuffisance d’actif trouve sa source dans la crise économique

Cet arrêt de la chambre commerciale de la Cour de cassation a été l’occasion de réaffirmer la position de la Haute juridiction sur la question de la responsabilité pour insuffisance d’actif résultant d’une crise économique.

En l’espèce, à la suite de la mise en liquidation d’une SAS, le liquidateur judiciaire nommé dans le cadre de la procédure a assigné le président de la société en responsabilité pour insuffisance d’actif. L’action en responsabilité était fondée sur la poursuite d’une activité déficitaire par le dirigeant de la société et sur la passivité de ce dernier face aux difficultés de la société.

La Cour d’appel rejette la demande du liquidateur tendant au comblement du passif de la société en liquidation. Pour la Cour d’appel, la diminution du chiffre d’affaire et de l’excédent brut d’exploitation étaient dus à une crise économique apparue en 2008. Elle retient de plus que des mesures de restructurations ont été mises en place par le dirigeant de la société notamment la diminution de la masse salariale et la réduction des frais généraux de la société.

Le pourvoi formé par le liquidateur judiciaire est rejeté par la Cour de cassation qui relève, tout comme la Cour d’appel, que l’insuffisance d’actif était dû à un contexte économique défavorable et non à une quelconque faute de gestion du dirigeant de la société.

Cet arrêt s’inscrit dans la droite ligne de la jurisprudence de la Cour de cassation excluant la condamnation en comblement de passif dès lors que l’insuffisance d’actif résulte de la crise économique (Cass. Com, 20 avril 2017 n°15.196750)

Pas de révocation de donation de titres de société en cas d’abus de biens sociaux par le donataire

La Cour de cassation dans son arrêt en date du 30 janvier 2019 devait se prononcer sur la question de savoir si une condamnation pour abus de bien sociaux justifiait une action en révocation de donation de titres de société.

En l’espèce, un père avait effectué une donation des actions d’une SAS, société holding qu’il détenait, à son fils. Tout en gardant l’usufruit des titres. Le fils a par la suite été condamné pour abus de biens sociaux et abus de confiance au préjudice de la société holding et d’une autre société créée par le père.

Le père a ainsi introduit une action en révocation de la donation des titres de société pour ingratitude.

La Cour d’appel avait fait droit à cette demande de révocation au motif que le donataire (le fils) avait manqué à une obligation de reconnaissance et que le détournement des fichiers de l’une des sociétés créée par le donateur (le père) dénotait une intention de concurrencer par des moyens illicites l’activité des sociétés du donateur.

Cet arrêt est censuré par la Cour de cassation sur le fondement de l’article 955 du code civil.

Pour la Haute juridiction, la révocation pour ingratitude ne peut être prononcée que pour les faits commis à l’encontre du donateur.

Modalités d’appréciation des conditions de redressement au sein d’un groupe de société

Dans l’arrêt précité, la Haute juridiction avait à se prononcer sur les modalités d’appréciation des conditions de redressement dans un groupe de sociétés.

En l’espèce, des procédures de redressement judiciaire ont été ouvertes à l’égard de cinq SCI du même groupe et de la société mère une SAS. Par la suite le Tribunal a ordonné un plan de continuation pour la société mère et a prononcé l’ouverture d’une procédure de liquidation judiciaire à l’encontre des cinq filiales.

Les filiales du groupe interjettent appel de cette décision au motif que leurs perspectives de redressement devaient s’apprécier en tenant compte non seulement de leurs propres capacités, mais aussi des chances de redressement du groupe dans son ensemble.

La Cour d’appel, rejette la demande des filiales car selon elle l’impossibilité manifeste de redressement exigé par l’article L. 631-15 du Code de commerce devait s’apprécier individuellement. La Cour d’appel a fait application de la jurisprudence antérieure de la cour de cassation qui avait affirmé que « les chances de redressement d’une société doivent s’apprécier au regard de ses capacités et non de celles du groupe auquel elle peut appartenir, en l’absence d’engagement de la société mère ou d’une autre filiale en sa faveur » (Cass. com., 17 novembre 2015, n° 14-19504).

Dans cet arrêt, la Haute juridiction affirme que : « si le principe de l’autonomie de la personne morale impose d’apprécier séparément les conditions d’ouverture d’une procédure collective à l’égard de chacune des sociétés d’un groupe, rien n’interdit au tribunal, lors de l’examen de la solution proposée pour chacune d’elles, de tenir compte, par une approche globale, de la cohérence du projet au regard des solutions envisagées pour les autres sociétés du groupe ».

La Cour de cassation revient sur sa jurisprudence en faisant une distinction entre les conditions d’ouverture de la procédure collective appréciées de façon autonome au sein d’un groupe de sociétés et les perspectives de redressement devant faire l’objet d’une appréciation globale au sein du groupe.

La régularisation d’une augmentation du capital en numéraire

L’article L. 225-129-6 al 1 du Code de commerce dispose que « Lors de toute décision d’augmentation du capital par apport en numéraire, sauf si elle résulte d’une émission au préalable de valeurs mobilières donnant accès au capital, l’assemblée générale extraordinaire doit se prononcer sur un projet de résolution tendant à la réalisation d’une augmentation de capital dans les conditions prévues aux articles L. 3332-18 à L. 3332-24 du code du travail, lorsque la société a des salariés »

Le non-respect de cette obligation est sanctionné par la nullité de la décision d’augmentation du passif, en application de l’article L. 225-149-3 du Code de commerce.

Dans l’arrêt en date du 28 novembre 2018, la Cour de cassation a eu à se prononcer sur la régularisation de cette nullité.

En l’espèce, l’assemblée générale d’une SAS avait décidé d’une augmentation du capital en numéraire de la société. Cependant, l’assemblée avait omis de délibérer sur un projet de résolution tendant à la réalisation d’une augmentation du capital réservé aux salariés en application des dispositions de l’article L. 225-129-6 al. 1 du Code de commerce.

Un salarié avait alors assigné la société en annulation de l’augmentation du capital pour non-respect des dispositions de l’article L. 225-129-6 al. 1 du Code de commerce.

Pour régulariser l’opération, une nouvelle assemblée générale s’était tenue pour statuer sur la seule résolution omise.

Le salarié soutient que cette régularisation n’est pas valable et que l’assemblée générale des actionnaires aurait dû statuer à nouveau sur la décision d’augmentation du capital en plus de la résolution omise.

Cette position est rejetée par la Cour d’appel et la Cour de cassation qui précise que le vote sur la seule résolution proposant de réserver aux salariés une augmentation de capital suffit à régulariser l’augmentation de capital, sans qu’il y ait lieu à nouvelle délibération sur la première résolution.

Règles de mise à disposition de locaux d’une commune au profit d’une association cultuelle

Par une décision en date du 7 mars 2019, le Conseil d’Etat a rappelé et précisé les règles de mise à disposition de locaux d’une commune au profit d’une association cultuelle, pour l’exercice d’activités cultuelles.

Il convient d’abord de distinguer selon que le local de la commune est un local communal, au sens et pour l’application des dispositions de l’article L. 2144-3 du Code général des collectivités territoriales (CGCT), ou non.

Cet article dispose que :

« Des locaux communaux peuvent être utilisés par les associations, syndicats ou partis politiques qui en font la demande.

Le maire détermine les conditions dans lesquelles ces locaux peuvent être utilisés, compte tenu des nécessités de l’administration des propriétés communales, du fonctionnement des services et du maintien de l’ordre public.

Le conseil municipal fixe, en tant que de besoin, la contribution due à raison de cette utilisation ».

Le Conseil d’Etat a précisé, dans la décision commentée, que « sont regardés comme des locaux communaux, au sens et pour l’application de ces dispositions, les locaux affectés aux services publics communaux ». Il ne peut donc s’agir que de locaux appartenant au domaine public communal (la notion de domaine public étant néanmoins plus large que celle de locaux affectés aux services publics).

Pour ces locaux, la Haute juridiction a rappelé qu’une commune peut autoriser, dans le respect du principe de neutralité à l’égard des cultes et du principe d’égalité, l’utilisation pour l’exercice d’un culte par une association d’un local communal, « dès lors que les conditions financières de cette autorisation excluent toute libéralité et, par suite, toute aide à un culte ». En outre, une commune ne peut rejeter une demande d’utilisation d’un tel local au seul motif que cette demande lui est adressée par une association dans le but d’exercer un culte.

Le Conseil d’Etat a précisé que, en revanche, une commune ne peut décider qu’un local communal sera laissé de façon exclusive et pérenne à la disposition d’une association pour l’exercice d’un culte et constituera ainsi un édifice cultuel.

S’agissant des locaux appartenant au domaine privé de la commune, qui ne peuvent donc être qualifiés de locaux communaux au sens de l’article L. 2144-3 du CGCT, il a jugé que ceux-ci peuvent être donnés à bail, « et ainsi pour un usage exclusif et pérenne », à une association cultuelle, sans méconnaître les dispositions de la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Eglises et de l’Etat, dès lors que les conditions, notamment financières, de cette location excluent toute libéralité.

Le Conseil d’Etat a, sur ce point, visé, plus largement, l’ensemble des collectivités territoriales.

Qualification d’un syndicat comme personne chargée d’une mission de service public et sa (non) responsabilité pénale en tant que personne morale de droit public

Dans cet arrêt était en cause un syndicat intercommunal à vocations multiples (SIVOM), chargé de la gestion de l’alimentation en eau potable ainsi que du réseau d’assainissement d’une agglomération. Le SIVOM signait, le 20 juin 2006 un contrat d’affermage fixant « les conditions d’exploitation par affermage du service public de l’assainissement comprenant la collecte, le pompage et le traitement des eaux usées » jusqu’au 31 décembre 2017, le SIVOM poursuivant sa gestion du service d’eau.

Estimant que le montage contractuel était le support de délits pénaux, une association d’usagers des services de l’eau dénonçait au Procureur de la République ces faits, lequel ouvrait une information des chefs d’atteinte à la liberté d’accès et à l’égalité des candidats dans les marchés publics et de concussion ; à l’issue de celle-ci, le juge d’instruction ordonnait le renvoi du SIVOM devant le Tribunal correctionnel pour avoir, de juillet 2006 au 30 juin 2008, étant chargé d’une mission de service public, commis les deux délits suivants :

  • le délit de concussion prévu par l’article 432-10 du Code pénal, pour avoir, en étant chargé d’une mission de service public, reçu, exigé ou ordonné de percevoir à titre de droits, contributions, impôts ou taxes publiques, une somme qu’il savait ne pas être due ou excédée ce qui était dû ;
  • le délit de favoritisme prévu par l’article 432-14 du Code pénal, pour avoir, par un acte contraire aux dispositions législatives ou réglementaires ayant pour objet de garantir la liberté d’accès et l’égalité des candidats dans les marchés publics et les délégations de service public, procuré ou tenté de procurer à autrui un avantage injustifié.

 

Le Tribunal correctionnel et la Cour d’appel prononçaient la relaxe, au motif que le SIVOM n’avait pas la qualité requise par les textes répressifs.

Sur pourvoi du Procureur général, l’arrêt de rejet rendu le 19 décembre 2018 est très intéressant au regard de sa double portée.

D’une part, la Cour de cassation confirme expressément qu’une personne morale de droit public peut voir sa responsabilité pénale engagée au titre d’infractions « attitrées » qui – dans une lecture historique – étaient traditionnellement réservées aux seules personnes physiques titulaires des qualités requises par les textes d’incrimination.

D’autre part, la Haute juridiction rappelle les conditions d’engagement de la responsabilité pénale des personnes morales de droit public, prévues par les dispositions de l’article 121-2 du Code pénal, aux termes desquelles il ressort notamment qu’une collectivité territoriale ou l’un de ses groupements ne peut voir sa responsabilité pénale engagée qu’au titre de faits commis à l’occasion d’activités susceptibles de faire l’objet d’une délégation de service public.

Enfin, la Cour de cassation ajoute en l’espèce que l’activité de fixation d’une taxe et d’attribution d’un marché public ne peuvent faire l’objet d’une telle délégation, au sens de l’article 121-2 du Code pénal.

Par conséquent, cet arrêt permet de réaffirmer que la poursuite pénale d’un groupement de collectivité au titre de délits « attitrés » est possible, sauf lorsque l’activité n’est pas susceptible d’une délégation de service public.

Publication de l’échéancier de mise en application des dispositions de la loi ELAN

La loi portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique (ci-après dénommée « loi ELAN ») a été promulguée le 23 novembre 2018. Cette réforme structurante de l’organisation du secteur du logement social vise notamment à encourager le regroupement des bailleurs sociaux.

La majorité des apports de la loi ELAN est d’application immédiate ou à partir du 1er janvier 2019. Néanmoins, certaines des dispositions de cette loi nécessitent des textes réglementaires d’application et n’entreront en vigueur qu’après leur parution (décrets d’application, parfois complétés par des arrêtés).

Une circulaire (NOR : LOGL1835604C) du 21 décembre 2018 de présentation des dispositions d’application immédiate de la loi ELAN a précisé que « [c]ompte tenu des regroupements prévus entre certains textes, le nombre de décrets d’application attendus s’élève à 70 environ. Dix habilitations à légiférer par ordonnances sont également prévues sur des sujets qui nécessitaient un travail législatif plus approfondi et seront publiés dans des délais compris entre six et vingt-quatre mois ». Elle a en outre identifié les dispositions d’application immédiate (en annexe I) et celles qui nécessitent un texte d’application (en annexe II).

Pour ce faire, le ministère de la Cohésion des territoires et des Relations avec les collectivités territoriales a publié le 12 avril 2019 sur Légifrance l’échéancier d’application des dispositions de la loi ELAN. Il en ressort que la grande majorité des décrets d’application de ces dispositions seront publiés dans le courant du 1er semestre 2019 et notamment :

– pour les dispositions portant sur :

  • la définition de la notion de logements gérés, notamment pour les logements foyers ;
  • les modalités d’octroi de l’autorisation spécifique délivrée par le représentant de l’État dans le département dans le cadre de programmes de logements construits ou aménagés spécifiquement pour les jeunes de moins de trente ans.

– en avril 2019, pour les dispositions portant sur :

  • les clauses types des sociétés de coordination ;
  • les conditions selon lesquelles lorsqu’un directeur général d’OPH assure également la direction d’une société de coordination dont est actionnaire l’office qu’il dirige, les fonctions de direction de cette société de coordination peuvent donner lieu à une rémunération ;
  • les conditions d’application de l’article L. 422-4 relatif aux sociétés anonymes de vente d’habitations à loyer modéré ;
  • les conditions de vente de logements sociaux vacants ;
  • les montants, modalités et conditions de versement du forfait pour l’habitat inclusif ;
  • les conditions d’application des dispositions relatives à l’habitat inclusif pour les personnes handicapées et les personnes âgées.

– et, en mai 2019, pour les dispositions portant sur :

  • la commission de péréquation et de réorganisation des organismes de logement social et d’autres mesures de la CGLLS ;
  • les conditions d’attribution des logements locatifs sociaux, les plafonds de ressources et les modalités d’application du système de cotation ;
  • la liste des communes sur lesquelles les PLH devront prévoir des objectifs en matière de logements intermédiaires.

Le Bail en l’Etat Futur d’Achèvement (BEFA), un outil sur mesure dans les opérations immobilières

Le dispositif du bail commercial en l’état futur d’achèvement (BEFA) s’est développé depuis une vingtaine d’années et constitue une étape essentielle de la commercialisation d’un immeuble commercial, industriel ou de bureaux, pratiquée aussi bien par les utilisateurs publics que privés. Sa singularité réside essentiellement dans la période séparant la date de la signature du bail de celle de la mise à disposition des locaux. Une rédaction rigoureuse de ce contrat est donc primordiale.

Le BEFA concilie trois séries d’intérêts de trois acteurs différents :

ceux du promoteur-vendeur (parfois bailleur initial) qui souhaite mettre en place un projet de construction de grande envergure avec un contrat de bail définitif avant même le démarrage des travaux. Ce qui constitue un argument fort pour faciliter l’obtention par le promoteur de nouveaux financements auprès des organismes financiers.

ceux de l’investisseur-bailleur qui recherche un actif dans lequel il pourrait investir en prenant le moins de risques possibles par rapport aux futurs revenus locatifs. La conclusion de baux au jour de la conclusion du contrat de vente d’immeuble à construire rassure ainsi l’accédant-investisseur.

ceux de l’utilisateur-preneur qui conclut un contrat de bail souvent sur mesure, adapté à ses besoins. En effet, si le BEFA est par exemple conclu avant le dépôt du permis de construire, le preneur peut déterminer les éléments essentiels du montage (restaurant inter-entreprises dans l’immeuble, qualité environnementale de l’immeuble…). Le preneur peut d’ailleurs, en intervenant en amont du processus, s’engager à réaliser lui-même certains travaux d’aménagement et négocier par là-même des conditions locatives plus favorables (franchise de loyer, notamment).

Le contrat de BEFA se place ainsi à la croisée de ces intérêts, ce qui rend sa conclusion complexe et sensible, autrement dit pas sans danger et/ou points de vigilance ; celui-ci étant essentiellement fondé sur le principe du consensualisme. En effet, dès sa conclusion jusqu’à sa prise d’effet, le BEFA est soumis au droit commun des contrats et régi par le principe de liberté contractuelle des parties[1]. Du jour de sa prise d’effet, c’est le statut des baux commerciaux, le plus souvent, qui prend le relais avec son arsenal de dispositions d’ordre public.

Il est donc nécessaire de sécuriser les deux étapes de la relation contractuelle au moyen de clauses rédigées sur mesure : la phase de conclusion du contrat (A) et la phase d’exécution (B).

I. La phase de conclusion du contrat

Sécuriser la phase de conclusion du BEFA consiste à déterminer avec précision les obligations des parties et la répartition des risques tout en permettant au preneur une part active dans le projet.

 

1° Le rôle actif du preneur

Dans une première hypothèse, le preneur est à l’initiative du projet immobilier. Il est alors plus investi et prend la plupart des décisions importantes pour sa future activité.

Juridiquement, le preneur peut intervenir en vertu d’une délégation de maîtrise d’ouvrage : le preneur identifie le terrain et l’immeuble à construire et sollicite un bailleur-investisseur.

Dans une telle hypothèse, le preneur reste un simple mandataire du bailleur (C. civ., art. 1984 et s.). Il conclut au nom et pour le compte de ce dernier, qui est juridiquement la personne responsable, les différents contrats nécessaires au projet immobilier (architecte, entrepreneurs, bureau d’étude et de contrôle…). Il faut prendre garde à ce que les actes accomplis par le preneur soient principalement des actes juridiques et non des actes matériels. À défaut, le contrat ainsi conclu pourrait être requalifié en contrat d’entreprise avec les obligations très lourdes qui en découlent (C. civ., art. 1792 et s.).

Il faut également veiller à ce que la délégation soit partielle et non totale pour ne pas entraîner une requalification en contrat de promotion immobilière (dit « CPI »). Dans ce cas, le promoteur contracte en son nom propre et sous sa seule responsabilité. Il assume la totalité des risques liés à l’opération. Ce qui est un gage de plus grande sécurité juridique pour l’investisseur-bailleur et ce d’autant plus que le CPI est encadré par un régime spécifique prévu aux articles 1831-1 et suivants du code civil, et repris aux articles L. 221-1 et suivants du code de la construction et de l’habitation.

En effet, dans l’hypothèse où le preneur prend l’initiative du projet immobilier, plusieurs précautions rédactionnelles s’imposent pour le bailleur afin de garantir un « retour sur investissement ».

  • Durée ferme – Il est nécessaire de prévoir une durée ferme de la location sur plusieurs années ; ce qui implique de la part du preneur une renonciation à sa faculté de résiliation unilatérale triennale prévue par l’article L. 145-4 du Code de commerce. En cas de durée supérieure à douze ans, un acte authentique sera obligatoire afin de permettre leur publication par le service chargé de la publicité foncière et les rendre opposables aux tiers[2]. Dans ce dernier cas, il faut impérativement veiller à intégrer les coûts supplémentaires afin d’apprécier l’équilibre économique global de l’opération car un tel bail donne ouverture à la taxe de publicité foncière de 0,70 %, liquidée sur le prix exprimé, augmentée des charges, pour toute la durée du bail[3], limitée toutefois à vingt ans[4].

La renonciation du preneur à sa faculté de renonciation triennale est strictement encadrée par l’alinéa 2 de l’article L. 145-4 du Code de commerce et n’est ouverte que pour des baux conclus pour une durée contractuelle de plus de neuf ans, pour les locaux à usage exclusif de bureaux ou encore les locaux monovalents (c’est-à-dire construits en vue d’une seule autorisation).

  • Loyer spécifique – Comme dans tout bail commercial statutaire, les parties déterminent librement le montant du loyer initial. À de nombreux égards, les problématiques du BEFA ne se distinguent pas, au titre de la période de jouissance, de celles d’un bail d’immeuble existant.

Toutefois, lors de la conclusion du bail, le loyer est davantage fixé en fonction d’un ratio purement financier (tel que la rentabilité des capitaux investis dans la construction ou l’acquisition de l’immeuble), plutôt qu’en fonction de la valeur locative.

 

2° Déterminer les obligations des parties

Il est indispensable d’imposer au futur preneur un cahier des charges très strict et de définir en amont de l’opération immobilière globale, les critères objectifs de sélection des candidats preneurs en cas d’appel à projet éventuel.

Ces critères peuvent être de nature positive tels que la solvabilité du preneur (récolte d’informations sur le crédit éventuel du preneur…) ou encore la souscription de garanties de paiement.

Ces critères peuvent être de nature négative (éviction en cas de résultats déficitaires du preneur, exclusion de certaines activités/destinations notamment dans le cadre d’opérations d’aménagement visant par exemple à préserver le commerce de proximité ou bien encore dans le cadre d’une opération de réhabilitation d’une zone industrielle laissée en friche par exemple…).

L’autre danger, qu’il convient de circonscrire dès la conclusion du BEFA, est la désignation exacte du bien. Le BEFA est souvent conclu avant l’obtention du permis de construire. Parfois même, le BEFA est conclu avant que le bailleur ne soit propriétaire du terrain. On aurait alors affaire à une promesse d’achat d’un terrain sous la condition suspensive de la signature d’un BEFA. Les incertitudes doivent être réduites au sein même du contrat de bail, en désignant avec précision le bien concerné et sa surface.

On veillera ainsi à annexer au bail un descriptif le plus précis possible de la chose donnée à bail avec un véritable état des superficies et le cas échéant, des plans de découpage pour circonscrire la surface concernée par le BEFA, notamment dans le cas d’une opération de réhabilitation où il existe déjà souvent une location sur des locaux construits adjacents.

 

3° Déterminer la répartition des risques

  • Définir avec clarté les différentes étapes du processus contractuel et de la phase de travaux.

Le BEFA est un montage contractuel qui s’inscrit dans la durée et repose sur plusieurs étapes fondamentales : l’achèvement, la réception, la livraison, la mise à disposition.

Ces étapes sont distinctes les unes des autres et ne sont pas toujours clairement comprises par les parties. Il est ainsi conseillé de rédiger des clauses définissant les termes et précisant les effets de chacune de ces étapes.

Le Code de la construction et de l’habitation considère par exemple qu’un immeuble est réputé achevé lorsque ont été exécutés les ouvrages et sont installés les éléments d’équipement indispensables à l’utilisation de l’immeuble conformément à sa destination faisant l’objet du contrat [5]. En d’autres termes, l’achèvement peut être retenu alors même que le bien n’est pas parfaitement conforme à ce qui a été stipulé dans le contrat et/ou qu’il demeure quelques malfaçons mineures.

La réception concerne les rapports entre le constructeur et le vendeur.

La livraison s’adresse aux rapports entre vendeur et acquéreur. La mise à disposition concerne les rapports entre le bailleur et le locataire.

Les clauses doivent définir ces différentes étapes et préciser de quelle manière elles vont s’articuler entre elles. Il faut veiller également à encadrer strictement la procédure en cas de refus de prise de possession par le preneur en prévoyant notamment le recours à un Expert.

  • Rédiger avec précaution les conditions suspensives.

S’il est une clause dangereuse pour les rédacteurs d’actes et fondamentale en matière de BEFA c’est la condition suspensive.

Ces conditions suspensives sont nombreuses : réalisation d’une étude géotechnique, de diagnostics divers, l’obtention d’un permis de construire, autorisations administratives (par exemple dans le cas de l’installation d’une activité relevant de la législation sur les installations classées). Ce travail documentaire est plus important encore lorsque le bail est conclu avant même l’obtention du permis de construire et l’ensemble des documents à remettre doit bien figurer dans le contrat.

Ces conditions suspensives doivent ainsi être rédigées sur mesure. S’agissant du permis de construire, il est opportun de déterminer un délai d’obtention du dossier complet intégrant la purge du retrait et recours des tiers. Il faut préciser les délais, les justifications des diligences, les démarches nécessaires à leur réalisation (audit du dossier, justification documentée de leur réalisation…).

 

II. La phase d’exécution du contrat

Au stade de l’exécution, les clauses doivent permettre de gérer les risques extérieurs et inhérents au montage contractuel.

 

1° Les risques extérieurs au montage contractuel

Certains événements peuvent impacter  l’équilibre économique et juridique du contrat de BEFA. Des clauses contractuelles de renégociation ou d’adaptation doivent permettre d’anticiper ce risque, notamment une évolution des circonstances économiques ou de l’environnement juridique.

Sur ce point l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 apporte une solution phare en introduisant en droit français la révision pour imprévision. Le nouvel article 1195 du Code civil permet ainsi de solliciter du juge la résiliation ou la modification du contrat dont l’exécution est devenue « excessivement onéreuse » à cause d’un « changement de circonstances imprévisible ».

Une augmentation du prix des matières premières peut rejaillir sur le coût de l’ensemble du projet et impacter notamment le prix du BEFA. 

En outre, de nouvelles contraintes de construction, d’urbanisme, environnementales, relatives aux énergies de basse consommation ou d’accès aux handicapés pour les établissements recevant du public (ERP) peuvent être imposées par une loi nouvelle. Il faut alors savoir qui devra prendre en charge les frais de mise en conformité, le preneur ou le bailleur ?

Si l’obligation est mise à la charge du preneur, il faut veiller à respecter les dispositions de l’article R. 145-35 du Code de commerce qui dispose que de tels travaux ne peuvent être mis à la charge du preneur que dans la limite de l’article 606 du Code civil. En d’autres termes, si de tels travaux sont susceptibles de toucher à la structure de l’immeuble il est probable que le bailleur soit tenu de les prendre à sa charge.

Enfin, pour contrecarrer les effets d’un événement extérieur tel qu’une intempérie, une grève, une pénurie de certains matériaux, une injonction administrative…, il convient de rédiger dans l’acte des clauses de tolérance.

Dans un souci de parfaite cohérence juridique et pratique, les mêmes clauses doivent bien évidemment figurer dans le groupe de contrats (constitué par le BEFA et un CPI éventuel, ou une vente en l’état futur d’achèvement dite VEFA, une maîtrise d’ouvrage déléguée,…).

On peut ainsi envisager que le délai de livraison et de mise à disposition ne soit pas respecté en cas d’événements répondant à la définition d’un cas de force majeure. Ces clauses ont été validées par la Cour de cassation qui a rejeté la qualification de clause abusive[6].

 

2° Les risques inhérents au montage contractuel

Anticiper et gérer la défaillance du preneur – La défaillance du preneur est une source d’attention particulière dans le dispositif du BEFA. Le plus souvent, le contrat prévoit que le preneur sera convoqué pour l’état des lieux (remise des clefs) et qu’au cas où il ne viendrait pas sur première convocation, il sera de nouveau convoqué par une voie plus solennelle (exploit d’Huissier).

Dès lors que l’immeuble aura été déclaré achevé par l’Expert, le plus souvent désigné dans le contrat ainsi qu’évoqué supra, le bail sera considéré comme ayant pris effet.

En cas de carence du preneur dans son obligation de prendre possession et de défaut de paiement du premier loyer corrélativement exigible, le comportement fautif du preneur pourra impliquer le jeu d’une clause pénale.

S’ouvre alors aussi pour le bailleur la possibilité d’actionner la clause résolutoire pour non-paiement des loyers, mais les dispositions de l’article L. 145-41 du Code de commerce devront alors être respectées. Le bail peut aussi être de ce seul fait résilié de plein droit aux torts du preneur, avec la même réserve. Les sanctions prévues en cas de défaut de prise de possession des locaux à leur achèvement sont variables : pénalité n’excédant pas le plus souvent neuf mois de loyer, clause pénale équivalant à deux ans de loyer assortie d’une garantie à première demande de même montant ou indemnité de retard identique à celle prévue en cas d’inexécution d’une obligation contractuelle en cours de bail.

En conciliant ainsi les intérêts de plusieurs acteurs immobiliers, le contrat de BEFA est un outil contractuel à privilégier. Il contribue à diminuer le lancement de programmes de construction « à blanc » en permettant aux promoteurs d’obtenir plus facilement des financements.

Reposant tant sur le principe de la liberté contractuelle que sur des dispositions d’ordre public, le BEFA invite cependant à user de la plus grande prudence rédactionnelle pour concilier les intérêts de plusieurs acteurs et prévenir au maximum, par la précision de la plume, tout risque de contentieux éventuel.

[1] Cass. Civ., 3ème, 8 janvier 1997, n° 95-11014, Société Ubifrance immobilier c/Société Générale

[2] Décret 55-22 du 4 janvier 1955 article 4 et 28,1°-b

[3] Article 742 du Code général des impôts

[4] http://bofip.impots.gouv.fr/bofip/416-PGP.html

[5] Article R 261-1 du Code de la construction et de l’habitation

[6] Cass. Civ., 3ème, 24 octobre 2012 n°11-17.800 : juris data n° 2012-023987

 

Par Alexane Raynaldy

Erosion côtière : Impact environnemental d’une concession de sables et de graviers

Le Conseil d’Etat a récemment été saisi d’une requête en premier et dernier ressort tendant à l’annulation pour excès de pouvoir de deux décrets pris en Conseil d’Etat accordant deux concessions de sables et graviers siliceux marins en Vendée.

Les requérants arguaient notamment de l’insuffisante prise en compte des exigences liées à la préservation de l’environnement. Or, sur ce moyen, le Conseil d’Etat souligne que pour adopter ces décrets, le Gouvernement s’est appuyé sur les éléments des dossiers soumis à enquête publique ainsi que sur des études complémentaires qui ont conclu à l’absence d’incidence significative de l’exploitation sur l’environnement. Il relève également que le cahier des charges annexé aux décrets attaqués prévoit un suivi environnemental périodique de l’impact des extractions, notamment sur le trait de côte. Ce moyen fondé sur
L. 2124-1 du Code général de la propriété et des personnes publiques et L. 161-1 du Code minier est donc écarté.

Saisi de la question de l’application du principe de précaution de l’article 5 de la Charte de l’environnement, le juge considère que, compte tenu des dommages graves et irréversibles pour l’environnement que pourraient engendrer des projets de concession de sables et graviers siliceux marins et dans la mesure où des études scientifiques ont effectivement démontré que l’exploitation de granulats en mer « pourrait » avoir des incidences sur l’érosion des côtes, il convient de faire application de ce principe afin d’apprécier les effets du projet sur l’érosion côtière. Cependant, il écarte toute méconnaissance de cet article en l’espèce en jugeant suffisantes les mesures prévues par les décrets pour parer la réalisation des dommages, notamment grâce au suivi environnemental des interactions éventuelles entre l’exploitation du site et le trait de côte et aux prescriptions pouvant être imposées en conséquence par l’administration.

Le Conseil d’Etat écarte enfin toute erreur manifeste d’appréciation de la part de l’autorité à l’origine de la décision attaquée en relevant que l’incidence attendue des concessions sur le trait de côte est négligeable en l’espèce au regard des études scientifiques commandées par les pétitionnaires et validées par des organismes indépendants.

Le Conseil conclut donc au rejet des demandes d’annulation.

Cas d’une emprise irrégulière d’un coffret de raccordement au réseau public d’électricité

Les propriétaires d’une parcelle située sur le territoire de la commune de Villerest ont demandé à la société ERDF, devenue la société Enedis, le déplacement d’un coffret de raccordement au réseau public de distribution d’électricité, qui alimente leur habitation ainsi que des câbles, tuyaux, fourreaux implantés sous leur propriété.

Les propriétaires ont demandé au Tribunal administratif de Lyon de constater le caractère irrégulier de l’implantation de ce coffret-réseau, d’en ordonner le déplacement et de les indemniser des préjudices subis. Le Tribunal administratif de Lyon a, par un jugement du 3 mai 2017, fait droit à cette demande et a enjoint à la société ENEDIS de procéder à l’enlèvement du coffret électrique implanté sur la propriété des requérants dans un délai de trois mois à compter de la notification du jugement et l’a condamnée à leur verser la somme de 1 000 euros en réparation des préjudices subis. La société Enedis a relèvé appel de ce jugement.

Afin de contester l’existence d’une emprise irrégulière, la société ENEDIS soutenait que les travaux effectués sur le coffret-réseau pour le transformer en coffret de raccordement au réseau public de distribution d’électricité lui avait fait perdre sa qualité d’ouvrage public et que la qualification ne pouvait donc pas être retenue. La Cour administrative d’appel de Lyon relève que le coffret litigieux s’analyse, non comme un branchement individuel mais comme un circuit de dérivation du réseau public d’électricité et, par suite, comme un élément de ce réseau. Elle en déduit que cet ancien coffret-réseau ne peut être regardé comme ayant perdu la qualité d’élément du réseau public d’électricité du seul fait des travaux exécutés par la société Enedis en février 2014.

Or, en l’absence d’intervention d’un accord amiable avec les propriétaires de la parcelle ou d’institution d’une servitude dans les conditions prévues par l’article 12 de la loi du 15 juin 1906 sur les distributions d’énergie, codifié à l’article L. 323-4 et suivants du Code de l’énergie, ou encore de l’accomplissement d’une procédure d’expropriation pour cause d’utilité publique, l’implantation de cet ouvrage public sur la parcelle des propriétaires est constitutive d’une emprise irrégulière. 

Dès lors, la Cour administrative d’appel de Lyon rappelle que « lorsqu’il résulte qu’un ouvrage public a été implanté de façon irrégulière, il appartient au juge administratif, pour déterminer, en fonction de la situation de droit et de fait existant à la date à laquelle il statue, si l’exécution de sa décision implique qu’il ordonne la démolition ou le déplacement de cet ouvrage, de rechercher, d’abord, si, eu égard notamment aux motifs de la décision, une régularisation appropriée est possible ; dans la négative, il lui revient ensuite de prendre en considération, d’une part, les inconvénients que la présence de l’ouvrage entraîne pour les divers intérêts publics ou privés en présence et notamment, le cas échéant, pour le propriétaire du terrain d’assiette de l’ouvrage, d’autre part, les conséquences de la démolition pour l’intérêt général, et d’apprécier, en rapprochant ces éléments, si la démolition n’entraîne pas une atteinte excessive à l’intérêt général ».

Au cas particulier, la Cour administrative d’appel de Lyon constate que les propriétaires refusaient de donner leur accord à l’implantation du coffret litigieux sur leur propriété et qu’aucune régularisation n’apparaissait possible. La Cour administrative d’appel de Lyon relève ensuite que les conséquences du déplacement du coffret litigieux n’entraîneraient pas des conséquences excessives pour l’intérêt général.

La Cour administrative d’appel de Lyon conclut donc qu’il y a lieu de rejeter la requête d’ENEDIS et de lui « enjoindre de procéder à l’enlèvement de l’ancien coffret-réseau dans le délai de quatre mois à compter de la notification du présent arrêt, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ».

La Cour de justice de l’Union Européenne annule la décision de la Commission selon laquelle la loi allemande sur les énergies renouvelables de 2012 (EEG 2012) comportait des aides d’État

En 2012, l’Allemagne a, par une loi sur les énergies renouvelables (ci-après, la « Loi EEG 2012 »), introduit un régime de soutien en faveur des entreprises produisant de l’électricité à partir de sources d’énergie renouvelables et de gaz de mine (ci-après, « EEG ») afin de garantir à ces producteurs un prix supérieur au prix du marché.

Afin de financer cette mesure de soutien, elle prévoyait un prélèvement sur l’électricité produite à partir de sources d’énergie renouvelables et de gaz de mine (ci-après, le « Prélèvement EEG ») à la charge des fournisseurs approvisionnant les clients finals, qui était en pratique répercuté sur ces derniers. Toutefois, certaines entreprises telles que les entreprises électro-intensives du secteur productif pouvaient bénéficier d’un plafonnement de ce prélèvement afin de préserver leur compétitivité à l’échelle internationale. Le Prélèvement EEG devait être versé aux gestionnaires des réseaux de transport interrégional à haute et très haute tension (ci-après, les « GRT ») obligés de commercialiser l’électricité EEG.

Par décision du 25 novembre 2014, la Commission a constaté que la Loi EEG 2012 comportait des aides d’État, tout en les approuvant partiellement au motif qu’elles étaient compatibles avec le droit de l’Union européenne. L’Allemagne a alors introduit un recours contre cette décision devant le Tribunal de l’Union européenne, recours que ce dernier a rejeté par arrêt du 10 mai 2016. L’Allemagne s’est alors pourvu en cassation contre cet arrêt.

C’est l’objet de l’arrêt rendu par la Cour de justice de l’Union européenne le 28 mai 2019 et ici commenté.

L’Allemagne contestait notamment la qualification d’aides d’Etat retenue par la Commission européenne, et confirmée par le Tribunal de l’Union européenne, en soutenant que l’aide n’était pas procurée aux moyens de ressources d’Etat.

En effet, pour que des avantages puissent être qualifiés d’« aides », au sens du paragraphe 1 de l’article 107 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, ces avantages doivent, d’une part, être accordés directement ou indirectement au moyen de ressources d’Etat et, d’autre part, être imputables à l’Etat.

La CJUE a tout d’abord rappelé qu’afin d’apprécier l’imputabilité d’une mesure à l’Etat, il importe d’examiner si les autorités publiques ont été impliquées dans l’adoption de cette mesure.

Afin d’apprécier si cette aide est accordée directement ou indirectement au moyen de ressources d’Etat, la CJUE relève que le prélèvement EEG représente l’éventuelle différence entre le prix obtenu par les GRT sur le marché au comptant de la Bourse de l’électricité EEG qu’ils injectent dans leur réseau et la charge financière que leur impose l’obligation légale de rémunérer cette électricité aux tarifs fixés par la loi, différence que les GRT sont en droit d’exiger des fournisseurs approvisionnant les clients finals. La CJUE constate en revanche que la Loi EEG 2012 n’oblige pas lesdits fournisseurs à répercuter sur les clients finals les montants versés au titre du prélèvement EEG.

En outre, la CJUE constate que si les éléments ainsi retenus témoignent, certes, de l’origine légale du soutien à l’électricité EEG mis en œuvre par la Loi EEG 2012 et donc d’une emprise certaine de l’État sur les mécanismes établis par la Loi EEG 2012, ces éléments ne sont toutefois pas suffisants pour qu’il soit conclu que l’État détenait, pour autant, un pouvoir de disposer des fonds gérés et administrés par les GRT.

En conclusion, la CJUE conclut que les éléments relevés par la Commission européenne et le Tribunal de l’Union européenne ne permettaient pas de conclure que les fonds générés par le prélèvement EEG constituaient des ressources d’Etat. Ce faisant, le mécanisme mis en place ne relevait pas du régime des aides d’Etat.

La CJUE procède donc, par ce motif, à l’annulation de l’arrêt du Tribunal de l’Union européenne du 10 mai 2016 et à l’annulation de la décision de la Commission européenne litigieuse.

Précisions de la Commission de régulation de l’énergie sur la mise en œuvre de la maitrise d’ouvrage déléguée de la réalisation des ouvrages de raccordement

Délibération de la CRE du 21 mars 2019 portant orientations sur les conditions d’approbation, le contenu et l’élaboration des modèles de contrats et de cahiers des charges annexés traitant des conditions de réalisation de la maîtrise d’ouvrage déléguée des ouvrages de raccordement prévue aux articles L. 342 2 et D. 342 2 1 à D. 342 2 5 du code de l’énergie

 

Par une délibération n° 2019-066 du 21 mars 2019, la Commission de Régulation de l’Energie (CRE) a modifié les règles d’élaboration des procédures de traitement des demandes de raccordement aux réseaux publics de distribution d’électricité.

En vertu de sa compétence réglementaire en matière de raccordement aux réseaux électriques à l’article L. 134-1-2° du Code de l’énergie, les règles encadrant les procédures de traitement des demandes de raccordement des gestionnaires de réseaux de distribution d’électricité avaient été fixées par la CRE par délibération du 25 mars 2013.

Modifiée une première fois le 12 juillet 2018, la CRE vient à nouveau modifier la délibération du 25 mars 2013 précitée afin de prendre en compte l’entrée en vigueur du décret d’application de l’article 59-I de la loi n° 2018-727 du 10 août 2018 pour un Etat au service d’une société de confiance portant sur la maitrise d’ouvrage déléguée de la réalisation des ouvrages de raccordement[1] (voir notre Brève de mars 2019).

En application de cette nouvelle délibération de la CRE, les procédures de traitement des demandes de raccordement devront prévoir :

  • les délais, implications et modalités de la solution de raccordement en cas de partage de la maitrise d’ouvrage des travaux de raccordements ;
  • la possibilité pour le demandeur d’exercer son droit à faire exécuter lui-même une partie des travaux de raccordement, sous maitrise d’ouvrage déléguée, dans le délai de trois mois dont il dispose pour donner son accord à la proposition technique et financière du gestionnaire de réseau ;
  • en l’absence de proposition technique et financière, la possibilité pour le demandeur d’exercer une maitrise d’ouvrage déléguée sur une partie des travaux de raccordement dans le délai maximum dont dispose le demandeur pour signer une convention de raccordement ;
  • le cas échéant, la conclusion d’un avenant à la proposition technique et financière du gestionnaire de réseau pour prévoir les coûts et délais associés aux travaux dont l’exécution sera assurée sous maitrise d’ouvrage déléguée ;
  • que la demande d’exécution d’une partie des travaux sous maitrise d’ouvrage déléguée ne doit pas modifier la solution de raccordement initiale et ne pas entraîner une reprise d’étude de raccordement ;
  • l’exonération de responsabilité pour retard d’exécution des travaux exécutés sous maitrise d’ouvrage déléguée au profit du gestionnaire de réseau.

 

Ces modifications sont intégrées à l’annexe 1 de la délibération modifiée du 25 mars 2013 intitulée « Nouveaux principes d’élaboration des procédures de traitement des demandes de raccordement aux réseaux publics de distribution d’électricité ».

A compter de la publication au JORF, intervenue le 29 mars dernier, les gestionnaires de réseaux publics de distribution d’électricité devront modifier, « sans délai », leur procédure de raccordement pour la mettre en conformité avec la délibération commentée de la CRE.

Dans une délibération n° 2019-064 du 21 mars 2019, la CRE a également publié des orientations sur les conditions d’approbation, le contenu et l’élaboration des modèles de contrats et de cahier des charges annexés sur les conditions de réalisation de la maitrise d’ouvrage déléguée des ouvrages de raccordement aux réseaux.

En effet, les travaux de raccordement, réalisés sous maitrise d’ouvrage déléguée, devront faire l’objet d’un contrat entre le producteur ou le consommateur et le gestionnaire du réseau d’électricité en vertu des articles L. 342-2 et D. 342-2-2 du Code de l’énergie.

Devra également être annexé à ce contrat un cahier des charges portant sur les conditions d’exécution des travaux et des études par l’entreprise agréée chargée de réaliser les travaux par le producteur ou le consommateur.

Les modèles de contrat et de cahier des charges sont établis par les gestionnaires de réseaux et approuvés par la CRE (cf. art. L. 342-2 et D. 342-2-2 du Code de l’énergie).

Particularité, le gestionnaire du réseau public de transport d’électricité et les gestionnaires des réseaux publics de distribution desservant plus de 100 000 clients ont obligation de soumettre ces modèles à la CRE dans les trois mois suivant l’entrée en vigueur du décret n° 2019-97 du 13 février 2019 précitée, soit d’ici le 16 mai prochain (cf. art. 3 du décret ; voir notre Brève de mars 2019).

Enfin, par la délibération commentée, la CRE « oriente » la future élaboration par les GRD des contrats susmentionnés en précisant ses futures conditions d’approbation. Ses orientations portent, outre sur l’intégration au sein desdits contrats de la documentation technique de référence du gestionnaire, sur le contenu des modèles.

Ces orientations seront donc particulièrement utiles à l’élaboration par les gestionnaires de réseaux publics d’électricité de leurs futurs contrats prévus à l’article L. 342-2 du Code de l’énergie).

[1] Cf. Décret n°2019-97 du 13 février 2019 pris pour application de l’article L. 342-2-5 du Code de l’énergie

Proposition de la CRE visant à rehausser les prix de l’électricité aux tarifs réglementés de vente d’électricité

Autorité de la concurrence, Avis n°19-A-07 du 25 mars 2019 relatif à la fixation des tarifs réglementés de vente d’électricité

Par délibération n° 2019-028 du 7 février 2019, la Commission de Régulation de l’Energie (CRE) a proposé aux ministres en charge de l’énergie et de l’économie d’augmenter les tarifs réglementés de vente d’électricité (TRV) résidentiel et non résidentiel à hauteur de 5,9 % TTC (soit environ 8,3 euros/MWh).

Ces hausses de tarifs sont motivées par l’augmentations des prix sur les marchés de gros et des prix des garanties de capacités, ainsi que par le rationnement des volumes de l’Accès Régulé à l’Electricité Nucléaire Historique (ARENH) demandés par les fournisseurs d’électricité (voir nos brèves de novembre 2018 et de février 2019).

La proposition de la CRE et ses motifs avaient déjà été exposés dans un document de préparation de la CRE publié le 31 janvier 2019 (voir notre Brève de février 2019).

S’étant autosaisie de cette question, l’Autorité de la concurrence a contesté, dans un avis du 25 mars 2019, la délibération commentée de la CRE en estimant que les motifs des hausses tarifaires proposées ne sont pas convaincants.

Par cet avis, l’Autorité propose au Gouvernement de demander à la CRE de formuler une nouvelle proposition tarifaire afin de réexaminer la prise en compte du rationnement de l’ARENH dans le calcul des TRV.

Dans sa proposition tarifaire, la CRE a indiqué que la hausse des TRV avait vocation à s’appliquer « aussitôt que possible et le premier jour d’un moins calendaire ».

Les ministres compétents ont laissé entendre qu’ils souhaitaient disposer du temps de réflexion qui leur est accordé par l’article L. 337-4 du Code de l’énergie, soit trois mois suivant la réception de la proposition tarifaire de la CRE, avant de prendre leur décision.

GeMAPI : des projets de décrets susceptibles de modifier le décret-digues en consultation

Alors que des premières modifications du décret-digues du 12 mai 2015 ont été apportées par le décret n° 2019-119 du 21 février 2019 portant diverses dispositions d’adaptation des règles relatives aux ouvrages hydrauliques, deux nouveaux projets de décrets ont été soumis à consultation du public du 18 mars 2019 au 10 avril 2019. Selon les propos du Ministère de la Transition écologique et solidaire « des clarifications, adaptations et simplifications pouvaient utilement être apportées à cette réglementation, pour faciliter sa mise en œuvre par les collectivités ».

Le premier projet de décret prévoit de modifier l’article D. 181-15-1 du Code de l’environnement qui détaille les informations supplémentaires devant être contenues dans les dossiers d’autorisation environnementale pour des ouvrages construits ou aménagés en vue de prévenir les inondations et les submersions, tandis que le second projet porte sur diverses dispositions d’adaptation des règles relatives aux ouvrages de prévention des inondations.

Sans être exhaustif à ce stade sur ce second décret qui propose de nombreuses modifications des règles aujourd’hui applicables aux ouvrages de prévention des inondations, certains points méritent d’être plus particulièrement soulignés.

En premier lieu, d’importantes modifications toucheraient les règles applicables aux aménagements hydrauliques. Parmi les changements envisagés, on notera en particulier que la définition même de l’aménagement hydraulique serait modifiée pour remplacer la notion de « protection de zone » par celle de « diminution de l’exposition d’un territoire » (article 18). La soumission de l’aménagement hydraulique à autorisation serait en outre seulement envisagée lorsque cet aménagement comporte au moins un barrage de classe A, B ou C au sens de l’article R. 214-112 ou, à défaut, quand il stocke un volume d’eau supérieur ou égal à50000 mètres cubes. En conséquence, le texte distinguerait entre deux types d’ouvrages : les aménagements soumis à autorisations au titre de la nomenclature IOTA serait seulement les « aménagements hydrauliques au sens de l’article R. 562-18 comportant au moins un barrage de retenue ou un ouvrage assimilé relevant des critères de classement prévus par l’article R. 214-122 ou à défaut stockant un volume d’eau supérieur ou égal à 50 000 mètres cubes » tandis que les autres seraient soumis à simple déclaration (article 2). Des adaptations des règles relatives au niveau de protection applicables aux aménagements hydrauliques ainsi qu’à l’étude de danger de ces derniers sont également prévues.

Concernant les systèmes d’endiguement, on relèvera surtout que le texte serait modifié de manière à créer une nouvelle catégorie de système d’endiguement protégeant moins de 30 personnes si celui-ci « comporte essentiellement une digue ou plusieurs digues qui étaient établies avant l’entrée en vigueur du décret n° 2015-526 du 12 mai 2015 relatif aux règles applicables aux ouvrages construits ou aménagés en vue de prévenir les inondations et aux règles de sûretés des ouvrages hydrauliques » (art. R. 214-113, I, alinéa 2). Dans le cas contraire, le critère de 30 personnes minimum resterait applicable. L’exception de classement pour les digues inférieures à 1,5 mètre serait également supprimée (article 3 modifiant l’art. R. 214-113 C. env.).

Enfin, à titre dérogatoire, le délai pour le dépôt du dossier pourrait être reporté d’un an par le préfet lorsque les circonstances le justifieraient et à la demande de la partie intéressée, par une décision motivée (article 17 modifiant l’art. R. 562-14 du C. env.).

Les avis émis à ce jour apprécient la possibilité de reporter ce délai mais sont critiques sur l’obligation de classement des digues destinées à protéger les populations inférieures à 30 personnes.

D’autres modifications sont encore notables : la prise en compte des spécificités des cours d’eau torrentiels, la reconnaissance pour les ASA d’être gestionnaire des ouvrages, le toilettage des dispositions applicables aux barrages…

La consultation du public a pris fin le 10 avril. Une vingtaine de commentaires a été déposée sur les textes proposés afin de faire part des incohérences et des difficultés rencontrées par les territoires et que les textes en cause ne permettraient pas de clarifier. Des évolutions doivent encore être à prévoir avant l’adoption des textes définitifs.

Pollution des sols : le degré d’obligation de remise en état de l’ancien exploitant

Par un arrêt en date du 7 mars 2019, la Cour de cassation a précisé la portée de l’étude environnementale d’un terrain pollué à la suite de la cession de celui-ci. Elle a par ailleurs apporté des précisions sur le degré de l’obligation de remise en état incombant à l’ancien exploitant de l’installation classée pour la protection de l’environnement (ICPE) qui avait occupé le terrain en cause.

Dans cette affaire, la société requérante avait conclu un contrat de bail à construction avec la Commune de Nice par lequel elle s’était engagée à édifier un centre commercial sur des parcelles de terrain achetées par la Commune. Les anciens exploitants, les sociétés Esso, Total marketing France et la SNCF, avaient stocké des hydrocarbures pétroliers sur les terrains concernés.

Ayant connaissance de l’ancienne affectation des terrains pris à bail, la société bailleresse a confié une étude de reconnaissance des sols à un premier bureau d’études. Par la suite, alors que la société avait mis en œuvre les premiers travaux de terrassements, elle a mis à jour des émanations d’hydrocarbures pétroliers sur le terrain et a dû faire procéder à un diagnostic complémentaire de pollution des sols par un second bureau d’études qualifié. La société bailleresse a alors saisi le Tribunal de grande instance à raison du préjudice engendré par le surcoût dû aux travaux de dépollution. Elle a été déboutée de cette demande en premier instance puis en appel.

Le litige se concentrait sur les trois points suivants.

D’abord, la requérante reprochait au premier bureau d’études qui avait effectué les études de sols (la société Sol essais) de ne pas avoir mis en lumière l’importance de la pollution et ainsi manqué à son obligation d’information et de conseil. Or la Cour de cassation relève que la mission confiée à la société Sol essais était une mission de reconnaissance des sols en vue de la faisabilité géotechnique du projet et non une mission spécifique de diagnostic du degré de pollution de la nappe phréatique et du sol. La Cour d’appel, confirmée par la Cour de cassation, a donc considéré que malgré l’imprudence de la société Sols essais qui s’est prononcée dans une matière ne relevant pas de sa spécialité et sur la base de recherches insuffisantes, la société bailleresse avait, en exigeant uniquement une étude de sols, commis une faute l’empêchant de se prévaloir à l’égard de la Société Sol essais, d’un préjudice subi à raison des travaux de dépollution.

De plus, la société bailleresse souhaitait engager la responsabilité des sociétés venderesses, Esso, Total et la SNCF, sur deux fondements. Elle invoquait, d’une part, la garantie des vices cachés de l’article 1641 du Code civil. Or les juges ont considéré que la société bailleresse avait eu connaissance de l’ancienne affectation des terrains et avait donc conscience des contraintes inhérentes à une telle affectation. Dès lors, ces éléments suffisent, selon la Cour de cassation, à caractériser l’absence de vice caché.  

La requérante recherchait, d’autre part, la responsabilité délictuelle des sociétés Esso, Total et SNCF, sur le fondement du principe de pollueur-payeur issu de la loi n° 95-101 du 2 février 1995 relative au renforcement de la protection de l’environnement et de la loi n° 75-633 du 15 juillet 1975 relative à l’élimination des déchets et à la récupération des matériaux. Les juges relèvent sur ce point que le préfet, informé de la situation, n’avait émis aucune observation, ni demandé la réalisation de travaux supplémentaires aux anciens exploitants. Le site avait donc été remis en état conformément à la réglementation applicable sans qu’une faute ne puisse être établie à l’encontre des sociétés venderesses. Cette décision insiste dès lors sur le fait que si une pollution persiste après la remise en état d’un terrain au titre de la législation ICPE, cela n’implique pas forcément que la remise en état est irrégulière et fautive.

Concessions de distribution de gaz naturel : validation par la CJUE de la réglementation nationale italienne sur l’indemnisation des concessionnaires sortants

La CJUE avait été saisie d’une question préjudicielle par le Conseil d’Etat Italien (Consiglio di Stato) portant sur l’interprétation du droit de l’Union en matière de concessions de service public et du principe de sécurité juridique.

Cette question intervenait dabs le cadre d’un litige opposant la société Unareti SpA qui assure la service public de distribution de gaz naturel dans 213 communes d’Italie et plusieurs autorités publiques italiennes dont notamment le Ministère de développement économique, la « Commission de régulation de l’énergie » italienne (l’Autorità Garante per l’Energia Elettrica il Gas e il Sistema Idrico – autorité de l’électricité, du gaz et du réseau hydrique) au sujet d’un recours en annulation formé par cette société à l’encontre de deux décrets datant de 2014[1] et 2015[2]. L’un deux portant approbation d’un document fixant des « Lignes directrices sur les critères et modalités d’application pour l’évaluation de la valeur du remboursement des installations de distribution du gaz naturel ».

Depuis mai 2000, à la suite de la transposition en Italie de la directive 98/30/CE concernant les règles communes pour le marché intérieur du gaz naturel, l’activité de distribution de gaz naturel est en principe une activité de service public concédée par les communes à des concessionnaires choisis exclusivement au moyen d’appels d’offres, pour une durée qui ne peut excéder douze ans. La directive 2009/73/CE ne prévoyait toutefois pas de remise en cause des concessions de distribution du gaz existantes.

Dans ce contexte, le droit italien prévoyait que les concessions en cours qui ne prévoient pas d’échéance, ou dont l’échéance doit intervenir après la période transitoire prévue, sont maintenues jusqu’à la fin de cette période transitoire. Dans ce dernier cas, les titulaires des concessions en cours se voient reconnaître le bénéfice d’un remboursement, pris en charge par le nouveau gestionnaire, calculé conformément aux modalités stipulées dans les conventions ou contrats et, dans la mesure où ces modalités ne peuvent pas être déduites de la volonté des parties, à des critères fixés dans un décret qui datait de 1925[3]. Toutefois, il était prévu que des lignes directrices sur ces critères et sur les modalités d’application pour l’évaluation de la valeur du remboursement pouvaient être fixées par le Gouvernement italien.

C’est ainsi que les décrets attaqués ont fixé des normes de référence pour le calcul du remboursement prévu par le droit national italien, au profit du titulaire d’une concession en cours attribuée sans mise en concurrence préalable et résiliée de façon anticipée en vue de sa réattribution au terme d’une procédure d’appel d’offres en vertu du droit national.

La société Unareti avait, notamment, soutenu que les décrets attaqués étaient contraires au principe de sécurité juridique en ce qu’elle pourrait se trouver rétroactivement privée de la possibilité de se référer, pour le calcul du remboursement auquel elle a droit en tant que concessionnaire sortant, aux clauses contractuelles ou au décret royal du 15 octobre 1925 précité, et serait contrainte de se référer aux « lignes directrices sur les critères et modalités d’application pour l’évaluation de la valeur du remboursement des installations de distribution du gaz naturel » approuvées par le décret attaqué ce qui lui serait défavorable.

C’est dans ces conditions que le Conseil d’Etat italien avait décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :

« Ces principes et normes [sécurité juridique notamment] font-ils obstacle à une réglementation nationale […] qui prévoit une application rétroactive des critères de détermination du montant des remboursements dus aux concessionnaires sortants, ce qui a une incidence sur les rapports commerciaux existants, ou une telle application est-elle justifiée, y compris au regard du principe de proportionnalité, par l’exigence de protéger d’autres intérêts publics d’importance européenne relatifs à la nécessité de mieux protéger la structure concurrentielle du marché concerné tout en assurant davantage de protection aux utilisateurs du service, qui sont susceptibles de subir, indirectement, les effets d’une éventuelle majoration des montants dus aux concessionnaires sortants ? ».

LA CJUE a rappelé qu’ « en matière de concessions de service public, le droit dérivé de l’Union applicable au principal, à savoir l’article 24 de la directive 2009/73, se borne à prévoir que les États membres désignent un ou plusieurs gestionnaires de réseau de distribution pour une certaine durée qu’ils déterminent en fonction de considérations d’efficacité et d’équilibre économique ». Elle a également rappelé que le droit primaire de l’Union impose que les autorités publiques sont tenues, lorsqu’elles envisagent d’attribuer une concession de service public n’entrant pas dans le champ d’application des directives, de respecter les règles fondamentales du traité TFUE.

Puis la CJUE a estimé en l’espèce que la remise en cause des concessions existantes, dont les conséquences sont pour partie déterminées par les décrets attaqués au principal, ne découle pas du droit de l’Union en matière de concessions de service public de distribution de gaz.

De plus, si le principe de sécurité juridique s’impose, en vertu du droit de l’Union, à toute autorité nationale, ce n’est qu’en tant que celle-ci est chargée d’appliquer le droit de l’Union.

Or, les autorités italiennes n’ont pas, en mettant fin de façon anticipée aux concessions existantes et en adoptant les décrets attaqués au principal, agi au titre de leur obligation d’application du droit de l’Union.

En définitive, la CJUE a considéré que « le droit de l’Union en matière de concessions de service public, lu à la lumière du principe de sécurité juridique, doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à une réglementation nationale, telle que celle en cause au principal, qui modifie les normes de référence pour le calcul du remboursement auquel ont droit les titulaires de concessions de distribution de gaz naturel attribuées sans mise en concurrence du fait de la cessation anticipée desdites concessions en vue de les réattribuer après mise en concurrence ».

Il s’ensuit que la réglementation adoptée par le Gouvernement italien qui vise à limiter dans certaines hypothèses la possibilité pour un concessionnaire sortant, bénéficiaire du remboursement des installations de distribution de gaz naturel, de se référer aux clauses du contrat de concession, n’est pas contraire au principe de sécurité juridique. On observera qu’une telle réglementation a pour effet de faciliter le déroulement des appels d’offres pour l’attribution des concessions de distribution de gaz naturel entrées dans le champ concurrentiel en Italie.

[1] Le décret ministériel n°  74951, du 22 mai 2014

[2] Le décret interministériel n° 106 du 20 mai 2015

[3] Décret royal n° 2578 du 15 octobre 1925

Raccordement des installations de production d’électricité d’origine renouvelable : la réfaction tarifaire étendue

Depuis, la loi n° 2017-227 du 24 février 2017[1], l’article L. 341-2 du Code de l’énergie prévoit une réfaction tarifaire pour le raccordement aux réseaux publics des installations de production d’électricité à partir de sources d’énergie renouvelable.

Peuvent ainsi bénéficier d’une prise en charge par le tarif d’utilisation des réseaux publics d’électricité (TURPE) les producteurs d’électricité à partir de sources d’EnR dont les installations sont raccordées aux réseaux publics de distribution, quel que soit le maître d’ouvrage de ces travaux. 

L’article L. 341-2 du Code de l’énergie précise également que « le niveau de la prise en charge […] ne peut excéder 40 % du coût du raccordement et peut être différencié par niveau de puissance et par source d’énergie. Il est arrêté par l’autorité administrative après avis de la Commission de régulation de l’énergie ».

Jusqu’alors les taux de réfaction avaient été fixés dans l’arrêté du 30 novembre 2017[2]. Le nouvel arrêté du 19 mars 2019, publié au Journal officiel le 28 mars, a pour objet d’une part de corriger et clarifier les dispositions de cet arrêté (renumérotation d’articles, précisions apportées à la formule de l’interpolation linéaire des taux de réfaction pour les installations EnR de puissance supérieure à 100 kVA) et d’autre part d’apporter des modifications aux taux de réfaction pour le raccordement aux réseaux publics des installations d’EnR.

On soulignera que la CRE avait rendu son avis sur ce projet d’arrêté en novembre 2018 et avait à cette occasion rappelé maintenir un « […] avis défavorable sur le principe de la réfaction pour le raccordement d’installations de production d’électricité à partir de sources d’énergie renouvelable […] »[3].

L’article 2 de l’arrêté du 19 mars 2019 modifie ainsi les taux de réfaction applicables aux coûts de raccordement des installations d’une puissance installée supérieure à 100 kVa et inférieure à 5 MW, s’inscrivant dans le cadre d’un schéma régional de raccordement au réseau des énergies renouvelables (S3ReNR).

Le taux de réfaction de 40 % est maintenu pour les ouvrages propres de l’installation d’une puissance comprise entre 100 kVa et 1 MW et l’absence de réfaction est également maintenu pour les installations d’une puissance égale ou supérieure à 5 MW.

L’article 3 de cet arrêté modificatif prévoit ensuite l’application d’une réfaction tarifaire « dans les régions et territoires où aucun schéma de raccordement au réseau des énergies renouvelables […] n’a été approuvé ».

En effet, la rédaction de l’arrêté du 30 novembre 2017 ne permettait pas l’application d’une réfaction pour les producteurs EnR dans les zones ne disposant pas encore de S3REnR (notamment la Corse, les départements et collectivités d’Outre-mer).

L’article 3 du nouvel arrêté permet d’appliquer la réfaction tarifaire de 40% aux coûts de branchement et d’extension des installations d’EnR de puissance installée égale ou inférieure à 5 MW. Ce taux de réfaction correspond à la réfaction appliquée aux ouvrages propres dans les situations où les S3REnR existent. Cette disposition permet d‘éviter une différence de traitement entre les régions ayant élaboré un S3REnR et celles n’en ayant pas.

Ainsi désormais, dans les régions où aucun S3REnR n’a été approuvé, les producteurs d’électricité renouvelable bénéficieront également d’une prise en charge d’une partie des coûts de raccordement par le TURPE.

L’arrêté ici commenté précise encore que le (nouveau) calcul de la prise en charge des coûts de raccordement s’appliquera « aux opérations de raccordement pour lesquelles la convention de raccordement mentionnée aux articles L. 342-4 et L. 342-9 du même code n’a pas été signée à la date d’entrée en vigueur du présent arrêté » (cf. article 4 de l’arrêté).

 

[1]Loi n° 2017-227 du 24 février 2017 ratifiant les ordonnances n° 2016-1019 du 27 juillet 2016 relative à l’autoconsommation d’électricité et n° 2016-1059 du 3 août 2016 relative à la production d’électricité à partir d’énergies renouvelables et visant à adapter certaines dispositions relatives aux réseaux d’électricité et de gaz et aux énergies renouvelables.

[2] Arrêté du 30 novembre 2017 relatif à la prise en charge des coûts de raccordements aux réseaux publics d’électricité, en application de l’article L. 341-2 du code de l’énergie – commenté dans notre LAJEE n° 34 – déc. 2017.

[3] Délibération de la Commission de régulation de l’énergie n° 2018-246 du 28 novembre 2018 portant avis sur le projet d’arrêté modifiant l’arrêté du 30 novembre 2017 relatif à la prise en charge des coûts de raccordements aux réseaux publics d’électricité, en application de l’article L. 341-2 du code de l’énergie.

Exposition à l’amiante : Extension du droit d’indemnisation au titre du préjudice d’anxiété à tous les salariés

Par un arrêt en date du 5 avril 2019, l’Assemblée plénière de la Cour de cassation a opéré un revirement de jurisprudence majeur en matière d’indemnisation au titre du préjudice d’anxiété des salariés démontrant avoir été exposés aux poussières d’amiante.

En effet, la loi n° 98-1194 du 23 décembre 1998 a institué en faveur des travailleurs qui ont été exposés à l’amiante, sans être atteints d’une maladie professionnelle consécutive à cette exposition, un mécanisme de départ anticipé à la retraite (ACAATA).

Sur le fondement de ce texte, la Chambre sociale affirmait de manière constante et sans ambiguïté depuis le 11 janvier 2017, que :

  • seuls les salariés qui avaient travaillé dans l’un des établissements mentionnés à l’article 41 de la loi n° 98-1194 du 23 décembre 1998 pouvaient prétendre à la réparation d’un préjudice d’anxiété résultant d’une exposition à l’amiante ;
  • à défaut, ils ne pouvaient obtenir une réparation de ce préjudice sur un autre fondement tel que celui d’un manquement de l’employeur à son obligation de sécurité de résultat (Cass. Soc., 11 janvier 2017, n°15-17.164, n°15-50.080 et n°15-50.091 ; Cass. Soc., 26 avril 2017, n° 15-19.037 ; Cass. Soc., 21 septembre 2017, n° 16-15.130 ; Cass. Soc., 7 mars 2018, n° 14-12.574, 14-12.575, 14-12.577, 14-12.578, 14-12.580 ; Cass. Soc., 5 avril 2018, n° 16-19.002, 16-19.007, 16-19.015, 16-19.018, 16-19.020).

Par conséquent, la Chambre sociale de la Cour de cassation refusait de déconnecter la réparation du préjudice d’anxiété lié à une exposition à l’amiante du dispositif de l’ACAATA.

Cependant, le contentieux croissant concernant des salariés exposés à l’amiante mais n’ayant pas travaillé dans l’un des établissements visés par le dispositif « ACAATA » a conduit le premier président de la Haute juridiction, en accord avec la Chambre sociale, à soumettre la question de la réparation de leur préjudice d’anxiété à l’examen de l’Assemblée plénière.

Il en résulte qu’en premier lieu, les juges retiennent que « le salarié qui justifie d’une exposition à l’amiante générant un risque élevé de développer une pathologie grave peut être admis à agir contre son employeur, sur le fondement des règles de droit commun régissant l’obligation de sécurité de ce dernier, quand bien même il n’aurait pas travaillé dans l’un des établissements mentionnés à l’article 41 de la loi du 23 décembre 1998 modifiée ».

En conséquence, tout salarié justifiant d’une exposition à l’amiante dans le cadre de son activité professionnelle peut désormais solliciter la réparation de son préjudice d’anxiété sur le fondement d’un manquement à l’obligation de sécurité de l’employeur.

A ce titre, l’Assemblée plénière reprend dans un deuxième temps, la solution retenue dans l’arrêt Air France du 25 novembre 2015 qui a assoupli la portée de l’obligation de sécurité de l’employeur (Cass. Soc., 25 novembre 2015, pourvoi n° 14-24.444, publié au Rapport annuel de la Cour de cassation).

En effet, alors qu’auparavant, l’employeur voyait sa responsabilité systématiquement engagée en cas de manquement à son obligation de sécurité de résultat, il peut depuis cette décision, bénéficier d’une exonération dès lors qu’il est en mesure de démontrer par des éléments soumis à l’appréciation souveraine des juges, qu’il a mis en œuvre les mesures et moyens de prévention, d’information, de formation et/ou d’organisation adaptés « au regard du risque connu ou qu’il aurait dû connaître » visées aux articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du Code du travail.

Dans ces conditions, l’Assemblée plénière censure la décision de la Cour d’appel qui faisant application de l’ancienne jurisprudence, avait condamné l’employeur à réparer le préjudice d’anxiété des salariés dès lors que l’exposition à l’amiante était établie, sans même avoir examiné les éléments de preuve des mesures que celui-ci affirmait avoir mis en œuvre.

Enfin, l’Assemblée plénière censure la Cour d’appel qui avait alloué une réparation du préjudice d’anxiété en « se détermin[ant] par des motifs généraux ». A ce titre, la Cour de cassation fait une application des règles du droit commun de la responsabilité contractuelle en rappelant qu’elle ne peut être engagée qu’à condition que soit caractérisée l’existence d’un préjudice personnellement subi par le salarié, résultant du risque élevé de développer une pathologie grave.

En conséquence, l’exposition à l’amiante ne suffit pas à elle-seule à prouver l’existence d’un préjudice d’anxiété qui doit être démontré par le salarié.

Compte tenu de cette jurisprudence, les employeurs dont les établissements contiennent de l’amiante, doivent en amont :

  • effectuer une évaluation des risques liée à une exposition à l’amiante retranscrite dans le document unique d’évaluation des risques de l’entreprise (C. trav., art. R. 4412-99) ;
  • faire procéder à des opérations permettant de réduire au niveau le plus bas techniquement possible la durée et le niveau d’exposition des travailleurs et pour garantir l’absence de pollution des bâtiments et installations (C. trav., art. R. 4412-108) ;
  • pour les salariés réalisant des opérations de « désamiantage », mettre à leur disposition des équipements de protection individuelle adaptés aux opérations à réaliser dont ils assurent le maintien en état et le renouvellement (C. trav., art. R. 4412-111) ;
  • et d’une manière générale, veiller à prendre toutes mesures et moyens de prévention, d’information, de formation et/ou permettant préserver les salariés d’une exposition à cette substance (C. trav., art. L. 4121-1 et L. 4121-2).

A défaut, en cas de contentieux, leur responsabilité pourra être engagée au titre d’un manquement à leur obligation de sécurité.

Dans cette hypothèse, trois points pourront faire l’objet de discussions :

  • le cas échéant, la prescription de l’action du salarié dont la durée initiale de 30 ans a connu des réductions successives par les Lois n° 2008-561 du 17 juin 2008 et n° 2013-504 du 14 juin 2013, dont les conditions d’application aux prescriptions en cours font l’objet de mesures transitoires ;
  • la preuve de l’existence d’un préjudice personnellement subi par le salarié résultant du risque élevé de développer une pathologie grave ;
  • le quantum de l’indemnisation du préjudice dès lors que le juge considèrerait celui-ci comme étant démontré.

 

Par Marjorie Fredin

Loi ELAN et fusions d’organismes de logement social

Le législateur, en imposant le regroupement des organismes, a souhaité faciliter les fusions d’organismes en venant préciser notamment les dispositions de l’article L. 411-2-1 du Code de la construction et de l’habitation (CCH).

Cette nouvelle rédaction vient préciser les modalités des fusions d’organismes mais procède également à la création d’une nouvelle opération : l’absorption d’un OPH par une société d’habitations à loyer modéré (ESH ou SCIC HLM) ou par une société d’économie mixte agréée.

Ces opérations nouvelles posent de nombreuses questions.

Nous aborderons donc ici certains points de vigilance juridiques qu’il nous parait pertinent de souligner :

 

I – Les nouvelles fusions ELAN 
par Anne-Christine Farçat, Avocat Associé

La nouvelle fusion ELAN, introduite à l’article L. 411-2-1 du CCH permet :

– d’organiser la transmission universelle du patrimoine d’un OPH à une société absorbante, celle-ci reprenant l’ensemble des droits et obligations de l’OPH absorbé ;

– d’éviter la gestion d’une période de liquidation de l’OPH nécessitant la mobilisation de moyens importants ;

– de flécher le patrimoine concerné directement vers la société absorbante, celle-ci devenant, du fait de la fusion ou de la scission, l’ayant-droit à titre universel de l’OPH ;

– de sécuriser juridiquement les conditions de réalisation de ces opérations, afin d’en permettre la réalisation dans les meilleures conditions au plan opérationnel.

Le texte précise que l’actif net apporté par l’OPH au titre de la fusion devra donner lieu à l’émission par la société bénéficiaire d’actions nouvelles, au bénéfice de sa collectivité de rattachement.

La comptabilisation de l’actif net apporté serait réalisée sur la base des valeurs nettes comptables comme pour l’ensemble des opérations de restructuration entre organismes d’habitations à loyer modéré. La parité d’échange selon laquelle sera calculée le nombre d’actions à émettre par la société en rémunération de l’apport de l’actif net de l’OPH, devra être établie sur la base des capitaux propres des organismes concernés par l’opération.

Opération mixte par nature compte-tenu de la double implication d’une personne morale de droit public et d’une personne morale de droit privé, cette nouvelle fusion ELAN ne manquera pas d’attirer l’attention des commentateurs, en ce qu’elle nécessitera le respect tant des règles de droit public présidant à la naissance et à la dissolution des offices publics de l’habitat que des règles de droit privé concernant les fusions de sociétés commerciales.

Il conviendra également de s’assurer que la quote-part de capital détenue in fine par la collectivité de rattachement et, le cas échéant, par les autres collectivités publiques présentes au capital de la société absorbante ne dépassent pas les seuils fixés par le CCH pour les sociétés d’habitations à loyer modéré et le Code général des collectivités territoriales pour les sociétés d’économie mixte.

 

II – Fusions et personnels de droit privé
par Corinne METZGER, Avocat directeur 

Le rapprochement d’organismes dans le cadre de fusions, de scission ou de « dissolutions- confusion » entraîne un transfert des personnels salariés en application de l’article L. 1224-1 du Code du travail.

Ce transfert de personnel nécessitera d’être largement anticipé particulièrement lorsque le rapprochement se fera entre entreprises issues d’«écosystèmes » distincts.

Il sera ainsi nécessaire de comparer au préalable l’ensemble du statut collectif applicable dans chaque entité (conventions collectives, accords de branche, accords d’entreprise qui sont désormais publiés).

Ce bilan sera essentiel pour anticiper l’impact du projet sur la masse salariale, les salariés de l’entreprise cédée ayant droit, à défaut de conclusion d’un accord de substitution pendant le délai de survie (12 mois augmenté du délai de préavis), au maintien de leurs avantages salariaux et bénéficiant pendant ce délai de survie des clauses les plus favorables de chaque statut.

Il est donc de la plus extrême importance d’identifier en amont du projet les thèmes de négociation qui devront être abordés aux fins d’harmoniser le statut collectif du personnel.

Pour rappel, ces thématiques peuvent être ouvertes à la négociation avant même que le projet soit mis en œuvre dans le cadre d’accords de transition applicables pour une durée de trois ans maximum aux salariés de l’entreprise absorbée ou d’adaptation, applicables au personnel tant du cédant que du cessionnaire.

L’analyse comparée des statuts collectifs devra a minima porter sur la classification des emplois aux fins de faciliter l’intégration des salariés transférés, l’organisation de la durée du travail, les systèmes d’astreinte et les accords de prévoyance existants.

Le comité social et économique (CSE) devra être informé et consulté sur les motifs et les conditions de réalisation du projet de fusion ainsi que sur ses conséquences sociales et organisationnelles et ce, en amont de toute décision d’engagement de la procédure de fusion. Les calendriers d’opération doivent donc tenir compte de ces délais de préparation et de consultation du CSE.

 

III –Fusions ELAN et personnel de droit public
par Marjorie Abbal, Avocat directeur

La possibilité désormais précisée au II de l’article L. 411-2-1 du CCH qu’un OPH transmette son patrimoine à un ou plusieurs organismes de logement social – mentionnés aux deuxième à quatrième alinéas de l’article L. 411-2 et à l’article L. 481-1 – a été consacrée par la loi ELAN et constitue un nouvel outil de regroupement intéressant.

Pour autant, il n’a pas été prévu de dispositif spécifique s’agissant du sort du personnel fonctionnaire employé par l’OPH.

Ainsi – alors que le texte de l’article L. 1224-1 du Code du travail permet de gérer le sort du personnel salarié au travers d’un transfert automatique des contrats de travail résultant de la reprise d’une activité d’une entité économique autonome – aucune disposition législative déjà existante ou issue de la loi ELAN ne permet d’envisager concrètement celui des fonctionnaires.

Ce vide juridique actuel implique qu’il ne pourra pas nécessairement être imposé à l’organisme bénéficiaire d’une fusion d’accepter des demandes des fonctionnaires de le rejoindre et d’opter pour un contrat de travail, ainsi que la loi a pu le prévoir par le passé à l’occasion de la transformation des OPHLM et des OPAC en OPH (cf. dernier aliéna du IV de la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 portant dispositions statutaires applicables à la fonction publique territoriale.)

En l’état du droit en vigueur, il ne sera pas non plus possible que le bénéficiaire de la fusion, société de droit privé, recrute directement des fonctionnaires en cette qualité et gère leur carrière comme la loi a bien dû déjà l’organiser dans des hypothèses spécifiques, notamment pour les fonctionnaires de France Télécom.

Dès lors, des solutions spécifiques devront donc être trouvées afin de faciliter la réalisation de ces opérations.

 

IV – Fusions d’organismes et conflits d’intérêts
par Elise Humbert, Avocat Senior référent

L’obligation de prudence qui s’impose vis-à-vis de la réglementation afférente à la prévention des conflits d’intérêts ne doit pas être négligée dans le cadre des opérations de fusion des organismes d’habitations à loyer modéré.

Plus précisément, cette obligation requiert certaines précautions au stade de la prise de décision de la fusion (1), puis ultérieurement, dès lors que les nouveaux dirigeants de la structure fusionnée auront été désignés (2). 

1- Des précautions à observer dans la prise d’acte de la fusion

Au-delà de la décision prise au sein des organes délibérants des bailleurs sociaux, l’acte de fusion doit généralement être validé via une ou plusieurs délibérations de la ou des collectivités de rattachement de ces organismes.

Or, il convient de rappeler que ne devront pas participer indirectement ou directement à l’adoption de ces délibérations les élus de ces collectivités occupant des fonctions exécutives au sein des bailleurs concernés par l’opération de fusion.

Conformément à la définition du conflit d’intérêts, issue de l’article 2 de la loi n° 2013-907 du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique et à la doctrine actuelle de la Haute autorité pour la transparence de la vie publique (voir en ce sens : Délibération de la HATVP, n° 2016-141 du 14 décembre 2016), un élu détenant, par ailleurs, une fonction exécutive au sein d’un bailleur social, pourrait se rendre coupable d’un délit de prise illégale d’intérêts s’il participait à l’adoption d’une délibération intéressant directement ledit organisme.

C’est la raison pour laquelle, il est recommandé aux élus concernés, dans le cadre de l’adoption d’une délibération validant ou s’opposant à un projet de fusion, de quitter la salle au moment des délibérations précédant le vote, ne prendre part à aucune réunion préparatoire portant sur ces décisions et ne pas être désigné en tant que rapporteur de ces décisions.

2 – Des précautions à observer pour les nouveaux dirigeants de la structure fusionnée

Il sera rappelé, en outre, que des obligations déclaratives s’appliquent à certains dirigeants de bailleurs sociaux.

Pour rappel, en effet, il résulte du III de l’article 11 de la loi précitée du 11 octobre 2013 que les obligations de déclaration de patrimoine et d’intérêts auprès de la Haute autorité pour la transparence de la vie publique s’appliquent aux présidents et directeurs généraux de tous les offices publics de l’habitat gérant un parc comprenant plus de 2.000 logements au 31 décembre de l’année précédant celle de la nomination des intéressés mais également, sous certaines conditions, aux présidents et directeurs généraux des sociétés réalisant un certain chiffre d’affaires au sein du capital desquelles sont présentes des personnes publiques.

Il conviendra, par suite, aux dirigeants, des structures fusionnées, de déterminer s’ils entrent dans le champ de ces obligations et, dans la positive, de s’y soumettre, dans les deux mois suivants leur entrée en fonction.