le 11/04/2019

Exposition à l’amiante : Extension du droit d’indemnisation au titre du préjudice d’anxiété à tous les salariés

Cass. AP, 5 avril 2019, n° 18-17.442

Par un arrêt en date du 5 avril 2019, l’Assemblée plénière de la Cour de cassation a opéré un revirement de jurisprudence majeur en matière d’indemnisation au titre du préjudice d’anxiété des salariés démontrant avoir été exposés aux poussières d’amiante.

En effet, la loi n° 98-1194 du 23 décembre 1998 a institué en faveur des travailleurs qui ont été exposés à l’amiante, sans être atteints d’une maladie professionnelle consécutive à cette exposition, un mécanisme de départ anticipé à la retraite (ACAATA).

Sur le fondement de ce texte, la Chambre sociale affirmait de manière constante et sans ambiguïté depuis le 11 janvier 2017, que :

  • seuls les salariés qui avaient travaillé dans l’un des établissements mentionnés à l’article 41 de la loi n° 98-1194 du 23 décembre 1998 pouvaient prétendre à la réparation d’un préjudice d’anxiété résultant d’une exposition à l’amiante ;
  • à défaut, ils ne pouvaient obtenir une réparation de ce préjudice sur un autre fondement tel que celui d’un manquement de l’employeur à son obligation de sécurité de résultat (Cass. Soc., 11 janvier 2017, n°15-17.164, n°15-50.080 et n°15-50.091 ; Cass. Soc., 26 avril 2017, n° 15-19.037 ; Cass. Soc., 21 septembre 2017, n° 16-15.130 ; Cass. Soc., 7 mars 2018, n° 14-12.574, 14-12.575, 14-12.577, 14-12.578, 14-12.580 ; Cass. Soc., 5 avril 2018, n° 16-19.002, 16-19.007, 16-19.015, 16-19.018, 16-19.020).

Par conséquent, la Chambre sociale de la Cour de cassation refusait de déconnecter la réparation du préjudice d’anxiété lié à une exposition à l’amiante du dispositif de l’ACAATA.

Cependant, le contentieux croissant concernant des salariés exposés à l’amiante mais n’ayant pas travaillé dans l’un des établissements visés par le dispositif « ACAATA » a conduit le premier président de la Haute juridiction, en accord avec la Chambre sociale, à soumettre la question de la réparation de leur préjudice d’anxiété à l’examen de l’Assemblée plénière.

Il en résulte qu’en premier lieu, les juges retiennent que « le salarié qui justifie d’une exposition à l’amiante générant un risque élevé de développer une pathologie grave peut être admis à agir contre son employeur, sur le fondement des règles de droit commun régissant l’obligation de sécurité de ce dernier, quand bien même il n’aurait pas travaillé dans l’un des établissements mentionnés à l’article 41 de la loi du 23 décembre 1998 modifiée ».

En conséquence, tout salarié justifiant d’une exposition à l’amiante dans le cadre de son activité professionnelle peut désormais solliciter la réparation de son préjudice d’anxiété sur le fondement d’un manquement à l’obligation de sécurité de l’employeur.

A ce titre, l’Assemblée plénière reprend dans un deuxième temps, la solution retenue dans l’arrêt Air France du 25 novembre 2015 qui a assoupli la portée de l’obligation de sécurité de l’employeur (Cass. Soc., 25 novembre 2015, pourvoi n° 14-24.444, publié au Rapport annuel de la Cour de cassation).

En effet, alors qu’auparavant, l’employeur voyait sa responsabilité systématiquement engagée en cas de manquement à son obligation de sécurité de résultat, il peut depuis cette décision, bénéficier d’une exonération dès lors qu’il est en mesure de démontrer par des éléments soumis à l’appréciation souveraine des juges, qu’il a mis en œuvre les mesures et moyens de prévention, d’information, de formation et/ou d’organisation adaptés « au regard du risque connu ou qu’il aurait dû connaître » visées aux articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du Code du travail.

Dans ces conditions, l’Assemblée plénière censure la décision de la Cour d’appel qui faisant application de l’ancienne jurisprudence, avait condamné l’employeur à réparer le préjudice d’anxiété des salariés dès lors que l’exposition à l’amiante était établie, sans même avoir examiné les éléments de preuve des mesures que celui-ci affirmait avoir mis en œuvre.

Enfin, l’Assemblée plénière censure la Cour d’appel qui avait alloué une réparation du préjudice d’anxiété en « se détermin[ant] par des motifs généraux ». A ce titre, la Cour de cassation fait une application des règles du droit commun de la responsabilité contractuelle en rappelant qu’elle ne peut être engagée qu’à condition que soit caractérisée l’existence d’un préjudice personnellement subi par le salarié, résultant du risque élevé de développer une pathologie grave.

En conséquence, l’exposition à l’amiante ne suffit pas à elle-seule à prouver l’existence d’un préjudice d’anxiété qui doit être démontré par le salarié.

Compte tenu de cette jurisprudence, les employeurs dont les établissements contiennent de l’amiante, doivent en amont :

  • effectuer une évaluation des risques liée à une exposition à l’amiante retranscrite dans le document unique d’évaluation des risques de l’entreprise (C. trav., art. R. 4412-99) ;
  • faire procéder à des opérations permettant de réduire au niveau le plus bas techniquement possible la durée et le niveau d’exposition des travailleurs et pour garantir l’absence de pollution des bâtiments et installations (C. trav., art. R. 4412-108) ;
  • pour les salariés réalisant des opérations de « désamiantage », mettre à leur disposition des équipements de protection individuelle adaptés aux opérations à réaliser dont ils assurent le maintien en état et le renouvellement (C. trav., art. R. 4412-111) ;
  • et d’une manière générale, veiller à prendre toutes mesures et moyens de prévention, d’information, de formation et/ou permettant préserver les salariés d’une exposition à cette substance (C. trav., art. L. 4121-1 et L. 4121-2).

A défaut, en cas de contentieux, leur responsabilité pourra être engagée au titre d’un manquement à leur obligation de sécurité.

Dans cette hypothèse, trois points pourront faire l’objet de discussions :

  • le cas échéant, la prescription de l’action du salarié dont la durée initiale de 30 ans a connu des réductions successives par les Lois n° 2008-561 du 17 juin 2008 et n° 2013-504 du 14 juin 2013, dont les conditions d’application aux prescriptions en cours font l’objet de mesures transitoires ;
  • la preuve de l’existence d’un préjudice personnellement subi par le salarié résultant du risque élevé de développer une pathologie grave ;
  • le quantum de l’indemnisation du préjudice dès lors que le juge considèrerait celui-ci comme étant démontré.

 

Par Marjorie Fredin