le 18/04/2019

Le Bail en l’Etat Futur d’Achèvement (BEFA), un outil sur mesure dans les opérations immobilières

Le dispositif du bail commercial en l’état futur d’achèvement (BEFA) s’est développé depuis une vingtaine d’années et constitue une étape essentielle de la commercialisation d’un immeuble commercial, industriel ou de bureaux, pratiquée aussi bien par les utilisateurs publics que privés. Sa singularité réside essentiellement dans la période séparant la date de la signature du bail de celle de la mise à disposition des locaux. Une rédaction rigoureuse de ce contrat est donc primordiale.

Le BEFA concilie trois séries d’intérêts de trois acteurs différents :

ceux du promoteur-vendeur (parfois bailleur initial) qui souhaite mettre en place un projet de construction de grande envergure avec un contrat de bail définitif avant même le démarrage des travaux. Ce qui constitue un argument fort pour faciliter l’obtention par le promoteur de nouveaux financements auprès des organismes financiers.

ceux de l’investisseur-bailleur qui recherche un actif dans lequel il pourrait investir en prenant le moins de risques possibles par rapport aux futurs revenus locatifs. La conclusion de baux au jour de la conclusion du contrat de vente d’immeuble à construire rassure ainsi l’accédant-investisseur.

ceux de l’utilisateur-preneur qui conclut un contrat de bail souvent sur mesure, adapté à ses besoins. En effet, si le BEFA est par exemple conclu avant le dépôt du permis de construire, le preneur peut déterminer les éléments essentiels du montage (restaurant inter-entreprises dans l’immeuble, qualité environnementale de l’immeuble…). Le preneur peut d’ailleurs, en intervenant en amont du processus, s’engager à réaliser lui-même certains travaux d’aménagement et négocier par là-même des conditions locatives plus favorables (franchise de loyer, notamment).

Le contrat de BEFA se place ainsi à la croisée de ces intérêts, ce qui rend sa conclusion complexe et sensible, autrement dit pas sans danger et/ou points de vigilance ; celui-ci étant essentiellement fondé sur le principe du consensualisme. En effet, dès sa conclusion jusqu’à sa prise d’effet, le BEFA est soumis au droit commun des contrats et régi par le principe de liberté contractuelle des parties[1]. Du jour de sa prise d’effet, c’est le statut des baux commerciaux, le plus souvent, qui prend le relais avec son arsenal de dispositions d’ordre public.

Il est donc nécessaire de sécuriser les deux étapes de la relation contractuelle au moyen de clauses rédigées sur mesure : la phase de conclusion du contrat (A) et la phase d’exécution (B).

I. La phase de conclusion du contrat

Sécuriser la phase de conclusion du BEFA consiste à déterminer avec précision les obligations des parties et la répartition des risques tout en permettant au preneur une part active dans le projet.

 

1° Le rôle actif du preneur

Dans une première hypothèse, le preneur est à l’initiative du projet immobilier. Il est alors plus investi et prend la plupart des décisions importantes pour sa future activité.

Juridiquement, le preneur peut intervenir en vertu d’une délégation de maîtrise d’ouvrage : le preneur identifie le terrain et l’immeuble à construire et sollicite un bailleur-investisseur.

Dans une telle hypothèse, le preneur reste un simple mandataire du bailleur (C. civ., art. 1984 et s.). Il conclut au nom et pour le compte de ce dernier, qui est juridiquement la personne responsable, les différents contrats nécessaires au projet immobilier (architecte, entrepreneurs, bureau d’étude et de contrôle…). Il faut prendre garde à ce que les actes accomplis par le preneur soient principalement des actes juridiques et non des actes matériels. À défaut, le contrat ainsi conclu pourrait être requalifié en contrat d’entreprise avec les obligations très lourdes qui en découlent (C. civ., art. 1792 et s.).

Il faut également veiller à ce que la délégation soit partielle et non totale pour ne pas entraîner une requalification en contrat de promotion immobilière (dit « CPI »). Dans ce cas, le promoteur contracte en son nom propre et sous sa seule responsabilité. Il assume la totalité des risques liés à l’opération. Ce qui est un gage de plus grande sécurité juridique pour l’investisseur-bailleur et ce d’autant plus que le CPI est encadré par un régime spécifique prévu aux articles 1831-1 et suivants du code civil, et repris aux articles L. 221-1 et suivants du code de la construction et de l’habitation.

En effet, dans l’hypothèse où le preneur prend l’initiative du projet immobilier, plusieurs précautions rédactionnelles s’imposent pour le bailleur afin de garantir un « retour sur investissement ».

  • Durée ferme – Il est nécessaire de prévoir une durée ferme de la location sur plusieurs années ; ce qui implique de la part du preneur une renonciation à sa faculté de résiliation unilatérale triennale prévue par l’article L. 145-4 du Code de commerce. En cas de durée supérieure à douze ans, un acte authentique sera obligatoire afin de permettre leur publication par le service chargé de la publicité foncière et les rendre opposables aux tiers[2]. Dans ce dernier cas, il faut impérativement veiller à intégrer les coûts supplémentaires afin d’apprécier l’équilibre économique global de l’opération car un tel bail donne ouverture à la taxe de publicité foncière de 0,70 %, liquidée sur le prix exprimé, augmentée des charges, pour toute la durée du bail[3], limitée toutefois à vingt ans[4].

La renonciation du preneur à sa faculté de renonciation triennale est strictement encadrée par l’alinéa 2 de l’article L. 145-4 du Code de commerce et n’est ouverte que pour des baux conclus pour une durée contractuelle de plus de neuf ans, pour les locaux à usage exclusif de bureaux ou encore les locaux monovalents (c’est-à-dire construits en vue d’une seule autorisation).

  • Loyer spécifique – Comme dans tout bail commercial statutaire, les parties déterminent librement le montant du loyer initial. À de nombreux égards, les problématiques du BEFA ne se distinguent pas, au titre de la période de jouissance, de celles d’un bail d’immeuble existant.

Toutefois, lors de la conclusion du bail, le loyer est davantage fixé en fonction d’un ratio purement financier (tel que la rentabilité des capitaux investis dans la construction ou l’acquisition de l’immeuble), plutôt qu’en fonction de la valeur locative.

 

2° Déterminer les obligations des parties

Il est indispensable d’imposer au futur preneur un cahier des charges très strict et de définir en amont de l’opération immobilière globale, les critères objectifs de sélection des candidats preneurs en cas d’appel à projet éventuel.

Ces critères peuvent être de nature positive tels que la solvabilité du preneur (récolte d’informations sur le crédit éventuel du preneur…) ou encore la souscription de garanties de paiement.

Ces critères peuvent être de nature négative (éviction en cas de résultats déficitaires du preneur, exclusion de certaines activités/destinations notamment dans le cadre d’opérations d’aménagement visant par exemple à préserver le commerce de proximité ou bien encore dans le cadre d’une opération de réhabilitation d’une zone industrielle laissée en friche par exemple…).

L’autre danger, qu’il convient de circonscrire dès la conclusion du BEFA, est la désignation exacte du bien. Le BEFA est souvent conclu avant l’obtention du permis de construire. Parfois même, le BEFA est conclu avant que le bailleur ne soit propriétaire du terrain. On aurait alors affaire à une promesse d’achat d’un terrain sous la condition suspensive de la signature d’un BEFA. Les incertitudes doivent être réduites au sein même du contrat de bail, en désignant avec précision le bien concerné et sa surface.

On veillera ainsi à annexer au bail un descriptif le plus précis possible de la chose donnée à bail avec un véritable état des superficies et le cas échéant, des plans de découpage pour circonscrire la surface concernée par le BEFA, notamment dans le cas d’une opération de réhabilitation où il existe déjà souvent une location sur des locaux construits adjacents.

 

3° Déterminer la répartition des risques

  • Définir avec clarté les différentes étapes du processus contractuel et de la phase de travaux.

Le BEFA est un montage contractuel qui s’inscrit dans la durée et repose sur plusieurs étapes fondamentales : l’achèvement, la réception, la livraison, la mise à disposition.

Ces étapes sont distinctes les unes des autres et ne sont pas toujours clairement comprises par les parties. Il est ainsi conseillé de rédiger des clauses définissant les termes et précisant les effets de chacune de ces étapes.

Le Code de la construction et de l’habitation considère par exemple qu’un immeuble est réputé achevé lorsque ont été exécutés les ouvrages et sont installés les éléments d’équipement indispensables à l’utilisation de l’immeuble conformément à sa destination faisant l’objet du contrat [5]. En d’autres termes, l’achèvement peut être retenu alors même que le bien n’est pas parfaitement conforme à ce qui a été stipulé dans le contrat et/ou qu’il demeure quelques malfaçons mineures.

La réception concerne les rapports entre le constructeur et le vendeur.

La livraison s’adresse aux rapports entre vendeur et acquéreur. La mise à disposition concerne les rapports entre le bailleur et le locataire.

Les clauses doivent définir ces différentes étapes et préciser de quelle manière elles vont s’articuler entre elles. Il faut veiller également à encadrer strictement la procédure en cas de refus de prise de possession par le preneur en prévoyant notamment le recours à un Expert.

  • Rédiger avec précaution les conditions suspensives.

S’il est une clause dangereuse pour les rédacteurs d’actes et fondamentale en matière de BEFA c’est la condition suspensive.

Ces conditions suspensives sont nombreuses : réalisation d’une étude géotechnique, de diagnostics divers, l’obtention d’un permis de construire, autorisations administratives (par exemple dans le cas de l’installation d’une activité relevant de la législation sur les installations classées). Ce travail documentaire est plus important encore lorsque le bail est conclu avant même l’obtention du permis de construire et l’ensemble des documents à remettre doit bien figurer dans le contrat.

Ces conditions suspensives doivent ainsi être rédigées sur mesure. S’agissant du permis de construire, il est opportun de déterminer un délai d’obtention du dossier complet intégrant la purge du retrait et recours des tiers. Il faut préciser les délais, les justifications des diligences, les démarches nécessaires à leur réalisation (audit du dossier, justification documentée de leur réalisation…).

 

II. La phase d’exécution du contrat

Au stade de l’exécution, les clauses doivent permettre de gérer les risques extérieurs et inhérents au montage contractuel.

 

1° Les risques extérieurs au montage contractuel

Certains événements peuvent impacter  l’équilibre économique et juridique du contrat de BEFA. Des clauses contractuelles de renégociation ou d’adaptation doivent permettre d’anticiper ce risque, notamment une évolution des circonstances économiques ou de l’environnement juridique.

Sur ce point l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 apporte une solution phare en introduisant en droit français la révision pour imprévision. Le nouvel article 1195 du Code civil permet ainsi de solliciter du juge la résiliation ou la modification du contrat dont l’exécution est devenue « excessivement onéreuse » à cause d’un « changement de circonstances imprévisible ».

Une augmentation du prix des matières premières peut rejaillir sur le coût de l’ensemble du projet et impacter notamment le prix du BEFA. 

En outre, de nouvelles contraintes de construction, d’urbanisme, environnementales, relatives aux énergies de basse consommation ou d’accès aux handicapés pour les établissements recevant du public (ERP) peuvent être imposées par une loi nouvelle. Il faut alors savoir qui devra prendre en charge les frais de mise en conformité, le preneur ou le bailleur ?

Si l’obligation est mise à la charge du preneur, il faut veiller à respecter les dispositions de l’article R. 145-35 du Code de commerce qui dispose que de tels travaux ne peuvent être mis à la charge du preneur que dans la limite de l’article 606 du Code civil. En d’autres termes, si de tels travaux sont susceptibles de toucher à la structure de l’immeuble il est probable que le bailleur soit tenu de les prendre à sa charge.

Enfin, pour contrecarrer les effets d’un événement extérieur tel qu’une intempérie, une grève, une pénurie de certains matériaux, une injonction administrative…, il convient de rédiger dans l’acte des clauses de tolérance.

Dans un souci de parfaite cohérence juridique et pratique, les mêmes clauses doivent bien évidemment figurer dans le groupe de contrats (constitué par le BEFA et un CPI éventuel, ou une vente en l’état futur d’achèvement dite VEFA, une maîtrise d’ouvrage déléguée,…).

On peut ainsi envisager que le délai de livraison et de mise à disposition ne soit pas respecté en cas d’événements répondant à la définition d’un cas de force majeure. Ces clauses ont été validées par la Cour de cassation qui a rejeté la qualification de clause abusive[6].

 

2° Les risques inhérents au montage contractuel

Anticiper et gérer la défaillance du preneur – La défaillance du preneur est une source d’attention particulière dans le dispositif du BEFA. Le plus souvent, le contrat prévoit que le preneur sera convoqué pour l’état des lieux (remise des clefs) et qu’au cas où il ne viendrait pas sur première convocation, il sera de nouveau convoqué par une voie plus solennelle (exploit d’Huissier).

Dès lors que l’immeuble aura été déclaré achevé par l’Expert, le plus souvent désigné dans le contrat ainsi qu’évoqué supra, le bail sera considéré comme ayant pris effet.

En cas de carence du preneur dans son obligation de prendre possession et de défaut de paiement du premier loyer corrélativement exigible, le comportement fautif du preneur pourra impliquer le jeu d’une clause pénale.

S’ouvre alors aussi pour le bailleur la possibilité d’actionner la clause résolutoire pour non-paiement des loyers, mais les dispositions de l’article L. 145-41 du Code de commerce devront alors être respectées. Le bail peut aussi être de ce seul fait résilié de plein droit aux torts du preneur, avec la même réserve. Les sanctions prévues en cas de défaut de prise de possession des locaux à leur achèvement sont variables : pénalité n’excédant pas le plus souvent neuf mois de loyer, clause pénale équivalant à deux ans de loyer assortie d’une garantie à première demande de même montant ou indemnité de retard identique à celle prévue en cas d’inexécution d’une obligation contractuelle en cours de bail.

En conciliant ainsi les intérêts de plusieurs acteurs immobiliers, le contrat de BEFA est un outil contractuel à privilégier. Il contribue à diminuer le lancement de programmes de construction « à blanc » en permettant aux promoteurs d’obtenir plus facilement des financements.

Reposant tant sur le principe de la liberté contractuelle que sur des dispositions d’ordre public, le BEFA invite cependant à user de la plus grande prudence rédactionnelle pour concilier les intérêts de plusieurs acteurs et prévenir au maximum, par la précision de la plume, tout risque de contentieux éventuel.

[1] Cass. Civ., 3ème, 8 janvier 1997, n° 95-11014, Société Ubifrance immobilier c/Société Générale

[2] Décret 55-22 du 4 janvier 1955 article 4 et 28,1°-b

[3] Article 742 du Code général des impôts

[4] http://bofip.impots.gouv.fr/bofip/416-PGP.html

[5] Article R 261-1 du Code de la construction et de l’habitation

[6] Cass. Civ., 3ème, 24 octobre 2012 n°11-17.800 : juris data n° 2012-023987

 

Par Alexane Raynaldy