Consultation publique portant sur l’évolution des règles de séparation comptable de SNCF Voyageurs

L’Autorité de régulation des transports (ci-après, l’ « ART ») a lancé, le 14 février 2024, une consultation publique ayant pour objet de présenter les modifications des règles de séparation comptable proposées par SNCF Voyageurs à compter de l’exercice comptable 2023 ainsi que les éléments de réflexion de l’ART sur ces propositions et de consulter l’ensemble des acteurs intéressés sur ces éléments, avant l’adoption par d’une décision sur l’approbation de ces règles, en application de l’article L. 2133-4 du Code des transports.

La plupart des modifications concernent des précisions sur la description des règles de séparation comptable, en vue d’améliorer la transparence de ces règles. Néanmoins, quelques modifications, en particulier celle concernant l’allocation des coûts de distribution, sont susceptibles d’avoir un effet sur les comptes séparés des entreprises ferroviaires de transport régional de SNCF Voyageurs. C’est pourquoi l’Autorité souhaite consulter les parties prenantes sur son analyse préalable de ces évolutions étant précisé que cette analyse est susceptible d’être modifiée en fonction des contributions reçues.

La séparation comptable constitue effectivement un outil indispensable à la bonne régulation du secteur ferroviaire notamment en vue de l’ouverture à la concurrence et le Code des transports prévoit une obligation de séparation comptable de différentes activités ferroviaires :

  • séparation entre la gestion de l’infrastructure et l’exploitation de services ferroviaires ;
  • séparation entre la gestion des gares de voyageurs et les activités d’exploitation d’installations de service et d’exploitation de services ferroviaires ;
  • séparation entre les activités de transport de personnes et de transport de marchandises ;
  • séparation entre les services conventionnés et les services librement organisés et, en ce qui concerne les services conventionnés de transport de personnes, séparation entre chaque contrat de service public

La séparation comptable doit permettre d’une part, de disposer d’une connaissance fine des actifs, des passifs, des produits et des charges par activité séparée, et de présenter les comptes des différentes activités et les relations entre elles comme si elles étaient réalisées de manière indépendante et, d’autre part, elle permet ainsi au régulateur d’évaluer en connaissance de cause la pertinence des tarifs régulés proposés par les gestionnaires d’infrastructure ou d’installations de service.

En outre, la séparation comptable est essentielle pour prévenir toute discrimination, subvention croisée et distorsion de concurrence à même de favoriser l’opérateur historique au détriment des nouveaux entrants. Dans le cadre de l’ouverture à la concurrence, il est effectivement essentiel que l’opérateur historique ne conserve pas une maîtrise des infrastructures essentielles par le jeu de tels mécanismes.

Enfin, la réussite de l’ouverture à la concurrence passe également par la possibilité, pour les régions, en tant qu’Autorités Organisatrices de Transport (AOT), de disposer de l’ensemble des données de coûts relatives à l’exploitation du service nécessaires pour organiser la procédure de publicité et de mise en concurrence et d’établir des critères objectifs d’attribution leur permettant ensuite de comparer des offres alternatives d’infrastructure ou d’installations de service.

Ainsi, les règles de séparation comptable de SNCF Voyageurs sont loin de constituer une simple problématique comptable mais présentent au contraire un enjeu essentiel pour la réussite de l’ouverture à la concurrence du transport ferroviaire. Les parties prenantes ont donc tout intérêt à présenter leurs éventuelles observations à la consultation lancée par l’ART. Pour ce faire, elles peuvent télécharger le document mis à leur disposition par l’ART sur son site internet, lequel détaille les enjeux de la consultation, les évolutions apportées aux règles de séparation comptable de SNCF Voyageurs et pose sept questions sur les évolutions envisagées.

La consultation est ouverte jusqu’au 13 mars 2024

Production d’énergie renouvelable par les collectivités territoriales et leurs groupements : fondement juridique de leur intervention

La production d’énergie renouvelable constitue, depuis plusieurs années, un domaine d’intervention majeur et stratégique pour l’ensemble des acteurs locaux impliqués dans la transition énergétique. En apportant leur soutien aux projets de production d’énergies renouvelable déployés sur leur territoire, que ce soit par le biais de mises à disposition foncières, par un soutien financier ou capitalistique, voire en étant à l’initiative de tels projets, les collectivités et leurs groupements marquent leur engagement fort en faveur des énergies renouvelables et participent à l’autonomie énergétique du territoire. Ils contribuent également par la même occasion à l’atteinte des objectifs de décarbonation de la production énergétique fixés par le législateur.

Or, dans le contexte actuel de forte incitation des personnes publiques à investir le secteur des énergies renouvelables, la question du fondement juridique de leur intervention n’est toujours pas clairement réglée, générant de nombreuses interrogations des acteurs locaux et une incertitude juridique particulièrement inopportune. En effet, des prises de position récentes de l’Etat et du juge administratif mettent en lumière l’inadaptation du cadre juridique actuel (à tout le moins tel qu’il est interprété par ces derniers) à l’intervention des collectivités territoriales et de leurs groupements en matière de production d’énergie renouvelable.

Le présent focus est ainsi l’occasion de rappeler les termes du débat (I), de faire état des réponses ministérielles et des décisions juridictionnelles rendues en la matière et retenant une approche regrettablement restrictive de l’intervention locale (II), avant de présenter les arguments qui selon nous conduisent à remettre en cause leur pertinence (III).

I. Les termes du débat et les questionnements générés par le statut de la production d’énergie renouvelable

En matière de production d’énergie renouvelable, il existe un débat, non encore définitivement tranché, sur le point de savoir :

  • si cette activité constitue une véritable compétence soumise aux principes de spécialité et d’exclusivité en vertu desquels :
    • d’une part, une personne publique ne peut intervenir que dans les domaines que lui confient le législateur ou ses statuts constitutifs (principe de spécialité, CE avis du 7 juillet 1994, EDCE 1994, n° 46, p.409 ; CE 23 octobre 1985, Commune de Blaye les Mines, Rec. p. 297) ;
    • et d’autre part, une personne publique ayant transféré sa compétence est dessaisie de toute possibilité d’intervention financière ou opérationnelle dans le champ de la compétence transférée (CE, 16 octobre 1970, Commune de Saint Vallier, n° 71536 ; CE 14 janvier 1998, Communauté urbaine de Cherbourg, n° 161661).
  • au-delà de ces règles générales, s’il faut y voir une compétence particulière, par principe partagée entre plusieurs niveaux de collectivités territoriales, et dans l’affirmative entre quels niveaux ;
  • voire même, si un transfert de compétence est véritablement nécessaire pour habiliter un Etablissement Public de Coopération Intercommunale (EPCI) ou un syndicat mixte à intervenir en matière de production d’énergie renouvelable ou si le législateur doit être regardé comme ayant habilité tous les échelons à intervenir concurremment.

L’activité de production d’énergie renouvelable est principalement envisagée par :

  •  l’article L. 2224-32 du Code Général des Collectivités Territoriales (CGCT) qui prévoit que « les communes, sur leur territoire, et les établissements publics de coopération, sur le territoire des communes qui en sont membres, peuvent, (…), aménager, exploiter, faire aménager et faire exploiter » des installations de production d’énergie renouvelable ;
  •  l’article 88 I de la loi n° 2010-788 du 12 juillet 2010 portant engagement national pour l’environnement (Grenelle 2) qui consacre la possibilité pour les départements, régions, EPCI et syndicats mixtes « d’aménager, exploiter, faire aménager et faire exploiter dans les conditions prévues par le code général des collectivités territoriales des installations de production d’électricité utilisant des énergies renouvelables », dans un but d’autoconsommation ou de vente de l’électricité produite dans le cadre de l’obligation d’achat ;
  • l’article 88 II de la loi Grenelle 2 précitée qui consacre en outre la possibilité pour toute personne morale de solariser les bâtiments de son patrimoine.

Enfin, les articles L. 294-1 du Code de l’énergie et L. 2253-1 du CGCT pour les communes et leurs groupements, L. 3231-6 du CGCT pour les départements et L. 4211-1 du CGCT pour les régions consacrent, dans des termes relativement proches, la faculté pour ces différents échelons locaux de « participer au capital d’une société anonyme ou d’une société par actions simplifiée dont l’objet social est la production d’énergies renouvelables ou d’hydrogène renouvelable ou bas-carbone définis à l’article L. 811-1 du code de l’énergie par des installations situées sur leur territoire ou, pour une commune, sur le territoire d’une commune limitrophe ou, pour un groupement, sur le territoire d’un groupement limitrophe ». Et c’est la qualification et l’articulation de ces différentes dispositions qui interrogent et a donné lieu à des prises de position de l’Etat et du juge administratif particulièrement restrictives et défavorables à l’action locale, ce que nous regrettons.

II.- Les récentes positions de l’Etat et du juge administratif

Une réponse ministérielle avait tranché en 2020 en faveur de la qualification de compétence « classique » soumise au principe de spécialité et d’exclusivité. La question de la nature de cette compétence était en effet posée à l’occasion de la prise de participation d’une commune et de l’EPCI dont elle était membre à une société coopérative d’intérêt collectif ayant pour objet la production d’énergie renouvelable.

Par une réponse en date du 17 septembre 2020, le ministère de la transition écologique a estimé que « la participation de la commune au capital de la société n’est possible que dans la mesure où elle n’a pas transféré la compétence en matière de production d’énergie renouvelable à un EPCI, auquel cas seul ce dernier est habilité à prendre des participations en application du principe d’exclusivité. À cet égard, il importe de rappeler que la compétence dont il s’agit découle des dispositions de l’article L. 2224-32 du CGCT. Cette compétence ne relève pas des compétences transférées de plein droit à un EPCI à fiscalité propre. Par suite, son transfert à un EPCI résulte de la volonté expresse des communes qui peuvent considérer que cette compétence serait mieux exercée à l’échelle intercommunale » (Rép. Sénat à la QE n° 101965 du 25 avr. 2019, JO Sénat, 17 septembre 2020, p. 4279).

Ainsi, selon cette réponse un EPCI ne peut exercer la compétence prévue à l’article L. 2224-32 du CGCT que si elle lui a été préalablement transférée par ses membres. Ce transfert doit résulter de la volonté expresse de la commune, matérialisée par une délibération de son conseil municipal. En outre, dès lors que la commune a transférée cette compétence audit EPCI, elle se trouve dessaisie de la compétence et ne peut dès lors prendre des participations au capital d’une société de production d’énergie renouvelable.

Cette regrettable interprétation de l’article L. 2224-32 du CGCT avait été reconnue par des parlementaires à l’occasion des débats du projet de loi n° 2023-175 du 10 mars 2023 relative à l’accélération de la production d’énergies renouvelables (ci-après loi APER) qu’ils voulaient à l’occasion de la loi APER, rectifier.

Des sénateurs avaient en effet introduit en première lecture un nouvel article 18 bis A au projet de loi portant modification de l’article L. 2253-1 afin d’y introduire un nouveau membre de phrase permettant l’intervention conjointe d’une commune et du groupement dont elle relève au capital d’une même société anonyme ou d’une même société par actions simplifiée. Les sénateurs portant l’amendement considéraient que l’article 109 de la loi pour la transition écologique et la croissance verte traduisait l’intention du législateur de permettre aux communes et aux intercommunalités d’investir simultanément en faveur de la transition énergétique mais qu’il fallait le clarifier.

Cette disposition avait toutefois été retirée du projet de loi par les députés en première lecture en commission. Le rapport présenté par la commission des affaires économiques sur le projet de loi justifiait ce retrait par les principes de spécialité et d’exclusivité classiques en matière d’intercommunalité. Ainsi, le Gouvernement et certains parlementaires ont pris position en faveur d’un traitement de l’activité de production d’énergie renouvelable identique à n’importe quelle autre compétence. C’est en pratique également la position retenue par certains services du contrôle de légalité.

Par un très récent jugement du 25 janvier 2024 (TA Rennes, 25 janvier 2024, préfet du Finistère, n° 2300530), le Tribunal administratif de Rennes a retenu la même approche. En effet, celui-ci était saisi d’un déféré préfectoral exercé à l’encontre de la délibération par laquelle une commune avait décidé de prendre des parts au capital d’une société de production d’énergie renouvelable. Le préfet contestait en effet une telle possibilité, la commune ayant transféré à la communauté de communes dont elle relevait « une compétence exclusive en matière de transition écologique et énergétique et plus particulièrement celle consistant à  » soutenir et financer des actions de maîtrise de la demande d’énergie et de production d’énergies renouvelables  » et à  » aménager, exploiter, faire aménager et faire exploiter, participer et/ou soutenir toute installation de production d’énergies renouvelables seul ou avec d’autres partenaires, publics ou privés ».

Le Tribunal administratif a suivi la position du préfet en considérant que la communauté de communes « était substituée de plein droit aux communes qui en sont membres dans toutes leurs délibérations et actes relatifs à cette compétence en matière de production d’énergies renouvelables » et qu’en conséquence, la délibération décidant de la participation de la commune au capital de la société « dont l’objet social consiste en la réalisation, la maintenance et l’exploitation de centrales photovoltaïques au sol, sur toiture ou en ombrière, situées sur le territoire communal, est intervenue dans une matière dont la commune avait décidé de se dessaisir ». Comme les services de l’Etat, le Tribunal applique à la production d’énergie renouvelable les règles classiques applicables en matière de transfert de compétence. On notera toutefois que le Tribunal écarte explicitement l’argument de la commune selon lequel l’article L. 2224-32 du CGCT permet « l’exercice d’une compétence partagée des communes et des EPCI s’agissant de la participation au capital d’une société de production d’énergie renouvelable » mais en observant qu’il en juge ainsi « compte tenu du transfert volontaire et intégral de cette compétence à la communauté de communes ».

Cette analyse implique ainsi que le Tribunal admet, au moins implicitement, la possibilité, non pas d’un exercice concurrent de la compétence entre une commune et un EPCI sur un même objet, mais d’un transfert partiel de la compétence au profit de l’EPCI, permettant ainsi d’intégrer a minima un peu de souplesse. Une souplesse insuffisante quoique bienvenue pour les besoins du développement des énergies renouvelables.

III.- Les limites d’une telle lecture de l’article L. 2224-32 du CGCT

Cette approche consistant à « plaquer » à la production d’énergie renouvelable le régime « classique » applicable aux autres compétences ne s’impose pas nécessairement selon nous.

D’abord, le caractère a minima partagé de la compétence en matière de production d’énergie renouvelable voire sa qualité de faculté d’intervention peuvent en effet se déduire de la rédaction de l’article L. 2224-32 du CGCT aux termes duquel « les communes, sur leur territoire, et les établissements publics de coopération, sur le territoire des communes qui en sont membres » peuvent intervenir en la matière. Cette rédaction, que l’on ne rencontre pas ailleurs dans le CGCT, pourrait être interprétée comme habilitant les EPCI et syndicats à intervenir dans le domaine des énergies renouvelables en dehors de tout transfert de compétence. Il existe en effet a contrario d’autre dispositions légales qui prévoient expressément qu’un transfert des communes vers l’EPCI est nécessaire (voir par exemple en matière d’énergie les articles L. 2224-37 et 2224-38 du CGCT ou encore l’article L. 1425-1 du CGCT en matière de communications électroniques), ce qui appuie la théorie selon laquelle a contrario, en matière de production d’énergie renouvelable, un transfert de compétence n’est pas nécessaire puisque la rédaction de l’article en cause ne reprend pas ces termes. C’est d’ailleurs le sens d’une question posée par un parlementaire, mais restée sans réponse et finalement retirée pour cause de fin de mandat (QE n°00602, JO Sénat, 07 juillet 2022, p.3384).

Ensuite, au-delà de l’interprétation de l’article L. 2224-32 du CGCT qui permet la création d’installations de production d’énergie renouvelable, la question se pose en des termes encore un peu différents s’agissant des dispositions susmentionnées consacrant la possibilité pour les différents échelons de collectivités territoriales et leurs groupements de prendre des participations dans des sociétés de production d’énergie renouvelable. En effet, l’article L. 2253-1 du CGCT susvisé applicable aux communes et à leurs groupements dispose : « les communes et leurs groupements peuvent, par délibération de leurs organes délibérants, participer au capital d’une société anonyme ou d’une société par actions simplifiée dont l’objet social est la production d’énergies renouvelables ou d’hydrogène renouvelable ou bas-carbone définis à l’article L. 811-1 du code de l’énergie par des installations situées sur leur territoire ou, pour une commune, sur le territoire d’une commune limitrophe ou, pour un groupement, sur le territoire d’un groupement limitrophe ».,La rédaction de ces dispositions pourrait être lue comme subordonnant la capacité à prendre une telle participation uniquement à un critère géographique, et non à l’exercice d’une compétence en matière de production d’énergie renouvelable.

On notera d’ailleurs que l’étude d’impact de la loi n° 2015-992 du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte ayant introduit ces dispositions précise que le but poursuivi est « la recherche de possibilités concrètes de lever des freins à l’investissement des collectivités locales » et vise les « collectivités territoriales d’implantation du projet », sans ajouter de condition tenant à ce qu’elles détiennent une compétence en matière de production d’énergies renouvelables justifiant la prise de participation dans une société présentant un tel objet. Plus encore, s’agissant des régions et des départements, comme on l’a vu ci-avant (cf. supra I), elles ne sont pas concernées par l’article L. 2224-32 du CGCT et ne tirent leur faculté d’intervention en matière de production d’énergie renouvelable que des dispositions de la loi Grenelle 2 qui s’avèrent beaucoup plus limitées s’agissant des débouchés possibles, seule l’autoconsommation ou la vente dans le cadre du dispositif d’obligation d’achat étant prévues par ladite loi. Or, pour prendre l’exemple des départements, le CGCT prévoit qu’« un département peut, par délibération de son organe délibérant, détenir des actions d’une société anonyme ou d’une société par actions simplifiée dont l’objet social est la production d’énergies renouvelables […] ».

Si l’on transpose la solution retenue par le Gouvernement et par le Tribunal administratif de Rennes, les départements et les régions ne pourraient prendre des participations au capital de sociétés de production d’énergie renouvelable que dans les limites de leurs compétences respectives, et donc uniquement si les installations déployées par les sociétés étaient destinées à des montages d’autoconsommation au profit du département ou de la région concerné ou s’inscrivaient dans une logique de revente dans le cadre du mécanisme d’obligation d’achat. A l’évidence, tel ne sera pas le cas dans la majeure partie des hypothèses. On voit ici les limites du raisonnement tenu par l’Etat et le juge et la difficulté d’en faire application aux départements et aux régions. Quoi qu’il en soit, cette lecture de la disposition précitée n’est pas celle retenue par l’Etat qui, dans la réponse ministérielle susvisée, estime que le critère de détention de la compétence s’ajoute au critère territorial posé par l’article L. 2253-1 du CGCT.

Enfin, au-delà de ces arguments juridiques, l’approche retenue par l’Etat et a minima cette décision du Tribunal administratif de Rennes sont unanimement perçues comme un frein à l’interventionnisme local en matière de production d’énergie renouvelable. Alors que les acteurs souhaitant intervenir en matière d’énergie renouvelable gravitent déjà dans un cadre juridique en constante évolution et particulièrement complexe (on pense notamment aux régimes de l’autoconsommation individuelle avec ou sans tiers investisseur, de l’autoconsommation collective, des communautés d’énergie ou encore des contrats d’achat direct d’énergie renouvelable récemment introduits en droit interne et à l’articulation de ces différents régimes entre eux) et qu’il semble urgent et nécessaire de lever les freins, notamment juridiques, au développement des énergies renouvelables, une telle position apparaît en contradiction totale.

Outre l’attente de jurisprudences plus justes sur le sujet, une évolution législative constituerait donc le moyen le plus efficient et le plus sécurisant pour confirmer que la production d’énergie renouvelable ne peut pas être regardée comme une compétence « comme les autres » et doit être consacrée comme un champ d’intervention commun à tous les échelons locaux, et ce y compris de manière concurrente entre les collectivités et les groupements dont elles sont membres.

L’occupant au titre d’une convention d’occupation précaire ne peut se prévaloir de l’obligation de délivrance du bailleur

La convention d’occupation précaire « se caractérise, quelle que soit sa durée, par le fait que l’occupation des lieux n’est autorisée qu’à raison de circonstances particulières indépendantes de la seule volonté des parties » (Article L. 145-5-1 du Code de commerce).

Le motif de précarité caractérise la particularité de l’occupation octroyée au bénéficiaire, en contrepartie d’une redevance modique. Ainsi, il peut être mis un terme à la convention d’occupation précaire en cas de survenance d’un évènement extérieur au propriétaire et à l’occupant. La convention d’occupation précaire n’est pas un bail commercial et est d’ailleurs expressément exclue du statut des baux commerciaux. De la même manière, il convient de considérer que la convention précaire n’est pas un bail et n’est, dès lors pas soumise aux dispositions du Code civil. Le présent arrêt de la Cour de cassation rappelle ce principe.

En l’espèce, une société anonyme d’économie mixte a consenti une convention d’occupation précaire à un occupant pour un local de stockage. Se prévalant d’un dégât des eaux survenu dans les lieux, l’occupant a entendu assigner le propriétaire et son assureur aux fins d’indemnisation de son préjudice, sur le fondement de l’obligation de délivrance du bailleur régie par l’article 1719 du Code civil. Le juge du fond fait droit aux demandes de dommages et intérêts de l’occupant, considérant que le propriétaire avait manqué à son obligation de délivrance. La Cour de cassation casse et annule l’arrêt rendu par la Cour d’appel, au visa de l’article 1719 du Code civil (obligation de délivrance du bailleur) et de l’article 1147 dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 (inexécution contractuelle).

Aux termes de son arrêt, la Cour de cassation rappelle que la convention d’occupation n’est pas un bail de sorte que les dispositions du Code civil relatives au louage de choses ne sont pas applicables. Ainsi, seules les stipulations contractuelles convenues entre les parties régissent leurs relations et leurs obligations. Dans ces conditions, l’occupant ne peut se prévaloir de l’obligation de délivrance du bailleur, et doit, dans ces conditions, prouver le manquement du propriétaire à ses obligations contractuelles. En conséquence, si les parties n’ont pas érigé en condition de la convention d’occupation précaire, l’obligation de délivrance et d’entretien de propriétaire, l’occupant ne pourra s’en prévaloir.

Bail d’habitation et allocation logement

La Cour de cassation a très récemment rendu une décision importante relative à la conservation des allocations de logement par la caisse d’allocation familiale en cas de non-décence d’un logement. Pour rappel, l’article L. 822-9 du Code de la construction et de l’habitation dispose que pour ouvrir droit à une aide personnelle au logement, celui-ci doit répondre à des exigences de décence définies par l’article 6 de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989. L’article L. 842-1 du même Code prévoit que l’allocation de logement est versée sur sa demande au bailleur que si le logement répond aux exigences de décence du logement.

En l’espèce, un bailleur bénéficiait du versement direct de l’allocation de logement auquel son locataire avait droit. La locataire, considérant que son logement était indécent, a assigné son bailleur en exécution de travaux, suspension du paiement des loyers et indemnisation de son préjudice de jouissance. Le bailleur a formé une demande reconventionnelle en paiement d’un arriéré de loyers. La Cour d’appel a notamment condamné le locataire au paiement d’une somme au titre des arriérés de loyers incluant le montant de l’allocation de logement retenu par l’organisme payeur. Le locataire s’est pourvu en cassation.

La Cour de cassation a donné raison au locataire en jugeant qu’il résulte des dispositions combinées susvisées que « lorsque l’organisme payeur constate que le logement ne remplit pas les conditions requises pour être qualifié de décent, il conserve l’allocation de logement jusqu’à sa mise en conformité dans un délai au cours duquel le locataire s’acquitte du montant du loyer et des charges récupérables diminué du montant des allocations de logement, sans que cette diminution puisse fonder une action du propriétaire à son encontre pour obtenir la résiliation du bail ».

Par conséquent, « à défaut de mise en conformité, le montant de l’allocation de logement n’est pas récupéré par le propriétaire, lequel ne peut demander au locataire le paiement de la part de loyer non perçue correspondant au montant de l’allocation conservé ». Il revenait ainsi à la cour d’appel de déduire de la somme réclamée par le bailleur la somme correspondant au montant des allocations de logement.

Récupération des métaux issus de la crémation : le Conseil Constitutionnel déclare le dispositif issu de la loi 3DS conforme à la Constitution

Par une décision en date du 18 janvier 2024, le Conseil Constitutionnel a, en réponse à une Question prioritaire de constitutionnalité (QPC) posée par la société Europe Métal, considéré que l’article L. 2223-18-1-1 du Code Général des Collectivités territoriales relatif à la récupération des métaux issus de la crémation était conforme à la Constitution.

Pour mémoire et ainsi que nous le commentions dans notre précédente Lettre d’actualités juridiques, la société requérante soutenait dans sa QPC que ces dispositions méconnaissaient, d’une part, le principe de sauvegarde de la dignité de la personne humaine contre toute forme d’asservissement et de dégradation ainsi que, d’autre part, le droit de propriété, tous deux garantis par la Constitution. C’est ainsi de manière sous-jacente à la question de la qualification de ces métaux (assimilables ou non à des éléments du corps humain) ainsi que le cas échéant, à celle des droits de patrimoniaux qui y sont attachés (pour les ayant droits ou les tiers) qu’il convenait ici de répondre.

Ainsi que cela ressort des débats tenus lors de l’audience du Conseil Constitutionnel du 9 janvier 2024 (disponibles ici), la société requérante établissait sur ce point son raisonnement en deux temps. A son sens, les métaux issus de la crémation, et à plus forte raison les résidus métalliques implantés dans le corps humain (prothèses par exemple), sont des éléments du corps humain, donc insusceptibles d’une quelconque valorisation patrimoniale sauf à contrevenir aux dispositions de l’article 16-1-1 du Code civil. Et dans l’hypothèse où ces éléments métalliques ne seraient pas considérés comme des éléments du corps humains, alors les droits patrimoniaux qui y sont attachés doivent exclusivement revenir aux ayant droits des défunts concernés (et non à des tiers tels que les gestionnaires de crématoriums). Canguilhem, intervenant au nom du Gouvernement, avait, dans sa plaidoirie, réfuté chacun de ces points après avoir rappelé que ce texte venait en réalité encadrer une pratique existante développée depuis près de 15 ans au sein des crématoriums ; et ce dans le but, non pas d’encourager, mais d’éviter la valorisation économique de ces éléments métalliques.

En substance, il considérait que ces derniers n’étaient pas assimilables à des éléments du corps humain devant bénéficier d’une protection au titre du principe de dignité issu des dispositions du Code civil. Et ce, que ce soit pour les bijoux et éléments issus du cercueil comme pour ceux intégrés au corps humain telles que les prothèses, devenus selon lui dissociables par l’effet de la mort.

Le représentant du Gouvernement à l’audience poursuivait en estimant que pour autant, les ayants droits ne pouvaient se prémunir d’aucun droit patrimonial sur ces éléments : parce qu’ils y auraient renoncé au moment de la réalisation des opérations funéraires concernant les bijoux et éléments du cercueil ou parce qu’ils échapperaient à l’actif successoral s’agissant des résidus métalliques issus des prothèses.

Fort de ces débats, le Conseil Constitutionnel rappelle, dans la décision ici commentée, que l’article 16-1-1 du Code civil prévoit l’application du principe de dignité aux restes des personnes décédés incluant seulement les cendres de celles dont le corps a donné lieu à crémation, cendres dont les métaux issus de la crémation sont distincts. Il en conclut qu’« en prévoyant en prévoyant que ces métaux ne sont pas assimilables aux cendres du défunt et en confiant au gestionnaire du crématorium leur récupération et leur cession en vue de leur traitement, les dispositions contestées ne portent pas atteinte au principe de sauvegarde de la dignité de la personne humaine ».

Il écarte également le grief tiré de la non-conformité au droit de propriété en considérant que ces dispositions poursuivent un objectif d’intérêt général de nature à justifier une atteinte à ce droit, à savoir l’encadrement de la récupération et les conditions de cession des métaux issus de la crémation en vue d’en assurer le traitement approprié. Atteinte qui selon le Conseil Constitutionnel est proportionnée à cet objectif dès lors que :

  • le dispositif n’a ni pour objet ni pour effet de les priver des droits qu’ils peuvent faire valoir sur ces biens en temps utile (à savoir, on le comprend, avant les opérations de crémation) en vertu de la loi successorale ;
  • les conditions de récupération des métaux en causes et les règles d’affectation du produit éventuel de leur cession figurent sur tout document contractuel prévoyant la crémation et sont affichées dans la partie du crématorium ouverte au public.

Précisions sur la procédure de sursis à statuer de l’article L. 600-5-1 du Code de l’urbanisme et sur la portée de la préservation du patrimoine naturel et culturel montagnard

Par un arrêt en date du 17 janvier 2024, le Conseil d’Etat est venu préciser les règles relatives à la composition de la formation de jugement se prononçant après avoir sursis à statuer en application de l’article L.600-5-1 du Code de l’urbanisme.

  • Sur le mécanisme de sursis à statuer de l’article L.600-5-1 du Code de l’urbanisme

A titre liminaire, il convient de rappeler que le sursis à statuer en contentieux de l’urbanisme est un mécanisme de régularisation en cours d’instance à l’initiative du juge, issu de l’ordonnance 2013-638 du 18 juillet 2013, permettant à ce dernier, statuant sur la légalité d’un permis de construire, de surseoir à statuer dans l’attente d’une nouvelle autorisation d’urbanisme venant régulariser le permis contesté.

Le juge, après avoir écarté les moyens non fondés, prononcera le sursis par un jugement avant-dire droit, dans lequel il octroie aux parties un délai pour régulariser le permis litigieux. A l’issue de ce délai le juge pourra, soit constater l’absence de permis de construire modificatif et prononcer l’annulation du permis initial, soit se prononcer sur l’efficacité du PCM, après qu’un débat contradictoire ait eu lieu entre les parties à l’instance. A ce stade de la procédure, le débat ne porte que sur le PCM et non plus sur les moyens écartés par le juge dans le jugement avant-dire droit (CE, avis, 6e et 1re sous-sect., 18 juin 2014, n° 376760).

Le contrôle du PCM doit être opéré par le même juge qui a prononcé le sursis. Ainsi, « il en résulte qu’il appartient nécessairement au seul juge d’appel, lorsque c’est la cour qui a décidé le sursis à statuer aux fins de régularisation, de se prononcer sur la légalité du permis de construire modificatif » (CAA Bordeaux, Chambre 1, 2 avr. 2015, n° 12BX02522).

La question qui se posait en l’espèce était de savoir si, devant ce même juge, la composition de la formation de jugement se prononçant après sursis à statuer devait être distincte de celle qui avait prononcé ledit sursis.

  • Sur la composition de la formation de jugement se prononçant après un sursis à statuer

En l’espèce, l’association requérante avait contesté l’arrêt de la Cour administrative d’appel de Lyon (qui avait validé la légalité d’un permis de construire pour l’implantation de neuf éoliennes), au moyen notamment que celui-ci méconnaissait le principe d’impartialité pour avoir été rendu par la même formation de jugement qui avait rendu la décision avant-dire droit dans l’attente de permis de construire modificatifs.

Cependant, le Conseil d’Etat va écarter ce moyen, en affirmant qu’« il ne résulte d’aucun texte ni d’aucun principe général du droit que la composition d’une formation de jugement statuant définitivement sur un litige doive être distincte de celle ayant décidé, dans le cadre de ce même litige, de surseoir à statuer par une décision avant-dire droit dans l’attente d’une mesure de régularisation en application de l’article L. 600-5-1 du code de l’urbanisme ».

Sur la question du sursis à statuer, il n’est pas inutile de rappeler que le Code de procédure civile définit le sursis à statuer comme une décision qui « suspend le cours de l’instance pour le temps ou jusqu’à la survenance de l’événement qu’elle détermine » (art. 378 CPC) et qui ne dessaisit pas le juge (art. 379 al. 1er CPC). La seconde décision s’inscrit dans une même instance et devant le même juge. On comprend donc l’absence de distinction de la composition de la formation de jugement aux deux stades du mécanisme, les deux arrêts étant compris comme faisant partie d’une même procédure.

Ce recours était l’occasion pour le Conseil d’Etat de s’interroger sur l’exigence d’impartialité (principe consacré notamment à l’article 6, paragraphe 1, de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme), et ce d’autant plus que le débat se limite aux mesures de régularisation lors du deuxième passage devant la juridiction. Si l’on peut s’étonner de la tardiveté d’une telle solution, intervenant plus de dix ans après l’introduction du mécanisme de régularisation en cours d’instance dans le Code de l’urbanisme, il semble que cette question ne soulevait pas de difficulté particulière au regard de la concision avec laquelle le Conseil d’Etat écarte le moyen.

  • Sur le fond : une interprétation stricte de l’article L. 122-9 du Code de l’urbanisme relatif à la préservation du patrimoine naturel et culturel montagnard.

Sur le fond du litige, le Conseil d’Etat vient préciser que la portée de l’application de l’article L. 122-9 du Code de l’urbanisme que précise que les documents d’urbanisme ou décisions d’occupation des sols comportent des dispositions propres « à préserver les espaces, paysages et milieux caractéristiques du patrimoine naturel et culturel montagnard ». Adoptant une interprétation stricte de cette disposition, le Conseil d’Etat refuse de permettre d’opposer à une demande de permis de construire la protection d’une espèce animale caractéristique du milieu montagnard :

« 3. Sans préjudice des autres règles relatives à la protection des espaces montagnards, les dispositions de l’article L. 122-9 du code de l’urbanisme prévoient que dans les espaces, milieux et paysages caractéristiques du patrimoine naturel et culturel montagnard, les documents et décisions relatifs à l’occupation des sols doivent être compatibles avec les exigences de préservation de ces espaces. Pour satisfaire à cette exigence de compatibilité, ces documents et décisions doivent comporter des dispositions de nature à concilier l’occupation du sol projetée et les aménagements s’y rapportant avec l’exigence de préservation de l’environnement montagnard prévue par la loi. Si ces dispositions permettent, à l’appui d’un recours pour excès de pouvoir contre les documents et décisions relatifs à l’occupation des sols en zone de montagne, de contester utilement l’atteinte que causerait l’un des projets énumérés à l’article L. 122-2 précité du code de l’urbanisme aux milieux montagnards et, par suite, aux habitats naturels qui s’y trouvent situés, il résulte de leurs termes mêmes qu’elles n’ont en revanche pas pour objet de prévenir les risques que le projet faisant l’objet de la décision relative à l’occupation des sols serait susceptible de causer à une espèce animale caractéristique de la montagne ».

Ainsi, le moyen tiré de l’atteinte à l’avifaune (en l’espèce les espèces de chouettes chevêchette d’Europe et de chouettes de Tengmalm) qui serait mise en danger par le fonctionnement des éoliennes, objet des permis demandés est donc rejeté.

Violation de licence de logiciel : la Cour d’appel de Paris se prononce à nouveau sur le fondement de responsabilité applicable

Par cet arrêt, la Cour d’appel de Paris s’inscrit dans le courant de la jurisprudence récente en matière de violation des termes de licence de logiciel.

Pour rappel, dans cette affaire, la Cour d’appel de Paris avait saisi, en 2019, la Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE) d’une question préjudicielle sur ce sujet afin de déterminer si la violation des termes contractuels d’une licence de logiciel relevait d’une responsabilité contractuelle ou de l’action en contrefaçon qui est de nature extracontractuelle (voir notre brève du 19/09/2019). Par sa décision en date du 18 décembre 2019, la CJUE a rappelé que le choix de l’application du régime de responsabilité délictuelle ou contractuelle importait peu du moment que les garanties prévues par la directive 2004/48 étaient respectées, notamment en matière de calcul des dommages intérêts (voir notre brève du 23/01/2020).

A la suite de cette décision, qui laissait en apparence un choix entre le fondement contractuel et la contrefaçon, la Cour d’appel de Paris a estimé, dans un arrêt du 19 mars 2021, que toute action en responsabilité fondée sur la violation d’un contrat de licence ne pouvait être formée que sur le fondement d’une responsabilité contractuelle (voir notre brève du 16/09/2021). Cette décision a cependant été cassée par l’arrêt de la Cour de cassation du 5 octobre 2022, au motif que le fondement de la responsabilité contractuelle ne permettait pas le respect des garanties posées par la directive 2004/48 (seule exigence rappelée par la CJUE).

La présente affaire présentait des faits similaires, à savoir le non-respect des termes d’une licence de logiciel. Par sa décision de décembre 2023, la Cour d’appel de Paris a ainsi fait siens les arguments exposés par l’arrêt de la Cour de cassation en octobre 2022, en considérant que seul le fondement de la contrefaçon permet au titulaire de droits de bénéficier des garanties de la directive 2004/48. Cette décision vient ainsi confirmer et entériner de manière ferme la position de la Cour de cassation. Il est désormais clair que l’action en contrefaçon est le seul fondement envisageable en matière de violation de licence.

La CNIL sanctionne NS CARDS France pour divers manquements au RGPD et pour le non-respect des règles sur les cookies et traceurs

Le 29 décembre 2023, la Commission nationale informatique et libertés (ci-après CNIL) a infligé à la société NS CARDS FRANCE une amende de 105 000 euros[1]. Cette société, un distributeur de monnaie électronique pour les paiements en ligne, propose notamment l’utilisation de coupons Neosurf pouvant être adossée à la création d’un porte-monnaie électronique, laquelle nécessite de créer un compte utilisateur sur le site web www.neosurf.com ou l’application mobile Neosurf et de le créditer au moyen des coupons ou d’une carte bancaire. C’est cette solution de paiement qui est mise en cause dans le cadre de la délibération[2] rendue par la formation restreinte de la CNIL. Concernant les traitements transfrontaliers mis en œuvre par la société, la CNIL agissait en tant qu’autorité chef de file en application de l’article 56 du RGPD.À l’issue de deux contrôles de la conformité à la réglementation en matière de protection des données de la société NS CARDS France, réalisés les 24 septembre et 13 octobre 2021, la CNIL a constaté trois manquements aux Règlement général sur la protection des données[3] (ci-après RGPD) et un manquement à la Loi informatique et liberté[4].

En premier lieu, dans le cadre de cette délibération, il a été jugé que la société n’avait pas respecté les obligations qui lui incombaient en termes de durée de conservation de données personnelles. En vertu de l’article 5-1 e) du RGPD, le responsable de traitement est tenu, en l’absence d’une obligation légale, de conserver les données pour une durée nécessaire à la finalité du traitement. Au regard de l’article L. 213-1 du Code de la consommation, pour les contrats conclus par voie électronique et portant sur une somme égale ou supérieure à un montant fixé par décret, le contractant professionnel est tenu de conserver l’écrit constatant le contrat pour une durée déterminée par décret. L’article D. 213-1 du même Code précise que le montant mentionné à l’article L. 213-1 est fixé à 120 euros, tandis que l’article D. 213-2 établit que si la livraison du bien ou l’exécution de la prestation est immédiate, le délai est de dix ans à compter de la conclusion du contrat. Dans le cas contraire, le délai court à compter de la conclusion du contrat jusqu’à la date de livraison du bien ou de l’exécution et pour une durée de dix ans supplémentaires après cette date. Toutefois, à l’issu du délai de dix ans, qui commence à courir à la date de l’activation du compte utilisateur, les comptes utilisateurs étaient rendus inactifs et conservés en base de données pour une durée indéterminée.

Au-delà, aucune distinction n’avait été opérée entre les données visées par l’article D. 213-1 du Code de la consommation et les autres. En effet, une durée de conservation de cinq ans n’a été fixée pour ces dernières qu’à l’issue du contrôle sur place. La CNIL a donc jugé les durées de conservation des données de comptes non visées par l’article D. 213-1, initialement fixées à dix ans, comme excessives.

En second lieu, un traitement de données doit s’accompagner d’une information précise à destination des personnes concernées pour être loyal et licite. Or, en l’espèce le site web et la page de création d’un compte utilisateur renvoyaient à deux politiques de confidentialité datant de 2018 et 2021. Outre la confusion pour l’utilisateur pouvant résulter d’une telle coexistence de politiques de confidentialité, ces dernières omettaient de renseigner la durée de conservation des données et le droit d’introduire une réclamation auprès de la CNIL, informations pourtant obligatoires en vertu de l’article 13 du RGPD. La politique de confidentialité de l’application mobile a également été jugée incomplète.

Par ailleurs, ces politiques de confidentialités étaient exclusivement rédigées en anglais, malgré le fait que le public ciblé soit principalement francophone. Cette situation contrevient à l’article 12 du RGPD qui stipule que l’information doit être présentée de manière « concise, transparente, compréhensible et aisément accessible, en des termes clairs et simples ».

En troisième lieu, il incombe au responsable de traitement d’assurer la sécurité des données qu’il traite. En l’espèce, les règles de complexité des mots de passe des comptes utilisateurs étaient trop permissives, autorisant de fait des mots de passe insuffisamment robustes, et ils n’étaient pas accompagnés d’une mesure de restriction d’accès en cas d’échec d’authentification. Il a également été constaté que 49 214 mots de passe étaient stockés en clair dans la base de données de la société, associés à leurs adresses électroniques et identifiants respectifs. Ce mode de fonctionnement ne garantit pas une confidentialité adéquate des données traitées puisque toute personne ayant accès à la base de données des clients peut les consulter et les collecter. Enfin, s’agissant des mots de passe qui n’étaient pas conservés en clair, ils étaient stockés sous une forme hachée et salée via la fonction SHA-1, considérée comme obsolète. Ainsi, la formation restreinte de la CNIL a conclu que la société avait enfreint les obligations énoncées par l’article 32 du RGPD.

Enfin, aux termes de l’article 82 de la Loi informatique et libertés, qui transpose l’article 5 alinéa 3 de la directive 2002/58/CE du Parlement européen et du Conseil du 12 juillet 2002 dite e-Privacy[5], seuls les cookies ayant pour finalité exclusive de permettre ou de faciliter la communication par voie électronique ou ceux strictement nécessaires à la fourniture d’un service de communication en ligne à la demande expresse de l’utilisateur, sont exemptés du recueil préalable du consentement de ce dernier. Or, la société recourait sur son site web aux cookies Google Analytics et au module reCaptcha Google, sans pour autant collecter au préalable le consentement des utilisateurs alors que la finalité de ces derniers ne permettait pas une telle exemption. Ainsi, en privant l’utilisateur de l’expression de son consentement, il a été jugé que la société avait commis un manquement à l’article susmentionné.

Malgré les mesures de mises en conformité adoptées ultérieurement aux contrôles réalisés, la formation restreinte de la CNIL a considéré que cela « ne saurait exonérer la société de sa responsabilité pour le passé ».

Par conséquent, en application de l’article 83 du RGPD, la formation restreinte de la CNIL a conclu qu’au regard des violations de principes fondamentaux de la réglementation en matière de données personnelles et du large nombre de personne concernées, il était justifié qu’une amende administrative soit prononcée à l’encontre de la société. Ainsi, une amende de 90 000 euros a été prise, en coopération avec 17 homologues européens de la CNIL dans le cadre du guichet unique[6], pour les manquements aux articles 5-1-e), 12, 13 et 32 du RGPD.

Puis, une seconde amende administrative, d’un montant de 15 000 euros, a été prononcée pour les manquements à l’article 82 de la loi Informatique et Libertés, pour laquelle la CNIL était seule compétente. Il a également été décidé que cette délibération soit rendue publique, sur le site de la CNIL et sur le site de Légifrance, qui n’identifiera plus nommément la société à l’expiration d’un délai de deux ans à compter de sa publication[7].

 

[1] Commission nationale informatique et libertés, « Paiement électronique : la CNIL inflige une amende de 105 000 euros à NS CARDS France », 11 janvier 2024 [https://www.cnil.fr/fr/paiement-electronique-la-cnil-inflige-une-amende-de-105-000-euros-ns-cards-France]

[2] Délibération de la formation restreinte n°SAN-2023-023 du 29 décembre 2023 concernant la société NS CARDS FRANCE – Légifrance

[3] Règlement (UE) 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016, relatif à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données, et abrogeant la directive 95/46/CE

[4] Loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés

[5] Directive 2002/58/CE du Parlement européen et du Conseil du 12 juillet 2002 concernant le traitement des données à caractère personnel et la protection de la vie privée dans le secteur des communications électroniques (dite  » directive e-Privacy « ).

[6] Commission nationale informatique et libertés, « Paiement électronique : la CNIL inflige une amende de 105 000 euros à NS CARDS France », 11 janvier 2024 [https://www.cnil.fr/fr/paiement-electronique-la-cnil-inflige-une-amende-de-105-000-euros-ns-cards-France]

La question de l’autorité du cabinet de l’autorité territoriale sur les services de la collectivité

Il est admis que le directeur de cabinet ne peut disposer d’une autorité hiérarchique sur les agents de la collectivité en dehors des membres de son cabinet, c’est-à-dire sur les agents occupant des emplois administratifs, ce rôle étant dévolu au directeur général des services en application de l’article 2 du décret n° 87-1101 du 30 décembre 1987.

Le Ministre de l’intérieur avait d’ailleurs rappelé à cet égard que « le cabinet n’a pas vocation à gérer lui-même les services administratifs de la collectivité locale » (JO Sénat du 18 mars 2021)

Récemment, le juge pénal, en l’occurrence à l’occasion d’un jugement du Tribunal judiciaire de Paris du 29 mars 2023, à l’origine de cette question sénatoriale, a toutefois durcis cette question, à la fois en faisant peser sur cette question, qui était jusqu’alors une pure question de gestion des ressources humaines, un risque pénal, tout en se bornant à une analyse en définitive sommaire, car très formelle, de la définition de collaborateur de cabinet d’une autorité territoriale, en s’attachant au seul critère du rattachement hiérarchique à l’autorité politique : « des emplois administratifs doivent être regardés comme détournés de cette finalité lorsque, hors des cas prévus par la loi, le recrutement, les missions et l’évaluation des agents les occupant, soustraits à la hiérarchique administrative, relèvent exclusivement de l’autorité politique, de ses collaborateurs de cabinet ou des élus départementaux disposant d’une délégation de fonctions de cette autorité ».

Cette réponse ministérielle de janvier 2024 nuance la question en considérant qu’« en l’état du droit, rien n’interdit néanmoins par principe la mise en place d’une autorité fonctionnelle du directeur de cabinet sur les services de la collectivité qui concourent, malgré leur caractère de services administratifs, à l’exercice des missions de l’élu. Il en va ainsi des services de communication, en tant qu’ils peuvent concourir à la fois à la communication institutionnelle de la collectivité ainsi qu’à celle, de nature plus politique, propre à l’action de l’autorité territoriale, ou encore sur le secrétariat de l’autorité territoriale ou les services du protocole, en tant qu’ils concourent à satisfaire la double nature, administrative et politique, des missions d’une autorité territoriale ». On comprend que le ministère veut poser une distinction entre autorité hiérarchique du cabinet et de l’élu sur les agents de l’administration générale administratifs, qui est désormais clairement prohibée par l’interprétation du juge pénal, et l’autorité fonctionnelle, qui serait envisageable.

On peine toutefois à donner une réelle portée à cette interprétation. D’une part, le jugement du Tribunal judiciaire du 29 mars 2023 ne fait aucune mention d’une telle distinction. D’autre part, le Ministre n’écarte toutefois pas la sanction du juge financier ou du juge pénal sur la répartition des rôles entre le cabinet et la direction générale des services. Enfin, plus généralement, la notion d’autorité fonctionnelle n’a jamais été réellement définie et ses contours restent donc très flous.

À notre sens, il convient donc de lire avec la plus grande prudence cette réponse ministérielle qui minimise la portée du jugement du Tribunal judiciaire de Paris. Le juge pénal avait en effet clairement considéré que lorsque les missions d’un agent occupant un emploi administratif relevaient exclusivement de l’autorité politique ou du Cabinet, cet emploi devait être regardé comme détourné de sa finalité. Dès lors, l’exercice d’une autorité bien qu’uniquement fonctionnelle et non hiérarchique du directeur de cabinet sur des agents occupant un emploi administratif ne sera pas exempt de tout risque pour la collectivité.

Suspension en référé d’une sanction : que faire ?

Par une décision n° 462455 en date du 22 décembre dernier, le Conseil d’Etat a apporté une précision importante sur les sanctions disciplinaires suspendues par le juge des référés pour disproportion.

En effet, un des moyens classiques soulevé dans pareil cas est la disproportion entre la gravité de la faute et sa sanction, puisque depuis une décision Dahan du 13 novembre 2013 (347704) il doit y avoir une correspondance étroite entre les deux. La disproportion entre les deux représente donc un doute sérieux sur la légalité de la sanction qui doit normalement amener le juge des référés à en suspendre l’exécution.

Jusque-là, nous conseillions à nos clients dans une pareille hypothèse de pour en prendre une moins élevée, ce qui met fin au recours en annulation obligatoirement déposé en même temps que le référé puisqu’il perd son objet, et l’agent est tout de même sanctionné immédiatement.

Mais il ressort de cette décision du Conseil d’Etat que la sanction étant suspendue, elle ne produit plus d’effet de toute façon : de ce fait, une autre sanction, moins lourde, pourrait donc être prise sans retirer la première, et sans pour autant violer le principe de la prohibition d’une double sanction pour les mêmes faits (« non bis in idem »).

Et in fine, il reviendra au tribunal de statuer, en annulation, sur les deux sanctions (si l’agent conteste la seconde également), et à l’employeur d’appliquer celle qui aura été jugée proportionnée, l’autre étant soit annulée, soit retirée.

Mais dans l’hypothèse où le délai de jugement est de deux ans (c’est le délai minimal dans certaines juridictions) et que le tribunal considère, contrairement au juge des référés, que la sanction de révocation (par exemple) était proportionnée, alors que l’agent était exclu temporairement de ses fonctions depuis tout ce temps : il sera certes révoqué rétroactivement à la date initiale de notification de la première sanction mais… l’employeur lui devra deux ans d’ARE.

En conclusion, il y a des dossiers de principe qui font que l’employeur ira jusqu’au bout du bout, et d’autres où il faudra être plus pragmatique et retirer immédiatement la sanction, comme nous le préconisons chez Seban Avocats depuis toujours.

Le compte-épargne temps, un congé payé supplémentaire ?

Mise en lumière de la qualification juridique des jours épargnés sur le compte-épargne temps et de ses conséquences sur leur indemnisation en fin de relation de travail Une indemnisation impossible à la fin de la relation de travail des jours épargnés sur le compte épargne temps (CET) lorsqu’ils ne peuvent être utilisés que sous forme de congés.

Par une décision récente en date du 30 janvier 2024, la Cour administrative d’appel de Paris a précisé que les jours épargnés sur un compte-épargne temps n’ont pas le caractère de congés payés annuels et ne peuvent dès lors donner lieu au paiement d’une indemnité financière, lorsque le fonctionnaire en fin de relation de travail ne peut en bénéficier du fait de son placement en congé de maladie.

En l’espèce, une fonctionnaire affectée à la direction générale de la santé a été mise à retraite d’office pour limite d’âge, à compter du 13 octobre 2019, après avoir été placée en congé de longue maladie du 18 février 2019 au 12 octobre 2019. L’intéressée a sollicité, avant son départ, l’indemnisation des 25 jours placés sur son compte-épargne temps et de ses 20 jours de congés annuels acquis au titre de l’année 2019. L’administration a fait droit à sa demande, à l’exception des 15 premiers jours épargnés sur son CET, par une décision du 6 septembre 2019. Après le rejet de ses recours gracieux et hiérarchique, cette agente a saisi le Tribunal administratif de Paris d’une demande d’annulation de cette décision, qui y a fait droit.

Cette décision a été infirmée par la Cour administrative d’appel de Paris. Elle a en effet rappelé que les 15 premiers jours épargnés sur un CET ne peuvent être utilisés que sous forme de congés dans la fonction publique. Seuls les jours excédant ce seuil peuvent être indemnisés forfaitairement.

Elle a précisé ensuite que le droit européen ne s’opposait pas à ce que les congés accordés par le droit national au-delà du minima de quatre semaines prévues par le droit européen soient insusceptibles d’ouvrir droit à une indemnisation à la fin de la relation de travail. La Cour en a déduit que « les jours épargnés sur un compte épargne temps n’ont donc pas le caractère de congés payés annuels, au sens de cette directive [directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003 relative à certains aspects de l’aménagement du temps de travail], et doivent dès lors être considérés comme des jours de congés supplémentaires, contrairement à ce qui a été jugé par les premiers juges ».

Dès lors, cette agente, bien qu’elle ait été dans l’impossibilité pour des raisons indépendantes de sa volonté d’utiliser les 15 premiers jours de congé épargnés sur son CET sous la forme de congés avant son admission à la retraite, ne pouvait prétendre à une indemnisation de ces derniers.

L’arrêt attire donc, une nouvelle fois, l’attention des employeurs sur les règles d’indemnisation des jours de congés annuels non pris par l’agent, en raison de son placement en congé de maladie, avant la fin de sa relation de travail. Seul un congé annuel payé minimal de 4 semaines est garanti par le droit européen et susceptible d’ouvrir droit à une indemnisation. Les jours épargnés sur le CET, qui ne peuvent être utilisés que sous forme de congés, sont donc définitivement perdus si le fonctionnaire n’a pu en bénéficier avant la fin de sa relation de travail.

La notion d’originalité au sein d’une photographie

A l’instar des acteurs privés, les personnes publiques sont fréquemment confrontées à la question de savoir si une photographie, qu’elles envisagent d’utiliser pour des besoins d’illustration ou de communication, est protégée par le droit d’auteur, qu’il s’agisse de clichés commandés dans le cadre de son activité de promotion touristique, ou bien même de portraits d’élus commandés afin de les diffuser sur le site internet de la collectivité.

A cet égard, de nouvelles décisions sont venues éclairer la notion d’originalité d’une photographie, leur conférant à ce titre la protection du droit d’auteur.

Cette protection est en pratique plus délicate à démontrer qu’en matière de propriété industrielle, la titularité étant, dans ce cas, prouvée par un titre de propriété obtenu par un dépôt auprès de l’INPI (ce qui est le cas pour les marques, dessins et modèles et brevets).

En matière de droit d’auteur, il revient à la personne qui revendique cette protection de démontrer l’originalité de son œuvre.

1. Critères objectifs retenus pour retenir l’originalité d’une photographie

L’originalité est appréciée au regard des œuvres existantes, en fonction des efforts créateurs fournis par l’auteur sur l’œuvre revendiquée, reflétant ainsi sa propre personnalité.

La jurisprudence retient l’originalité des photographies dès lors qu’elles procèdent de choix libres et créatifs de l’auteur, sans prendre en compte leur genre, mérite et destination.

Ces choix libres et créatifs peuvent porter sur de nombreux éléments et notamment la pose du sujet, l’angle de prise de vue, l’éclairage, la position, les couleurs, la mise en scène, ou bien même l’usage d’une technique particulière de tirage.

2. Décisions jurisprudentielles récentes

CA Rennes, 5 décembre 2023, n° 22/04884

A titre d’illustration, les juges ont eu à se positionner sur l’originalité de photographies prises à l’occasion de la course automobile des 24 heures du Mans. Ces photographies, destinées à la presse, portaient, non pas sur la course en elle-même, mais sur l’atmosphère qui régnait autour de cette course. La Cour a considéré qu’il s’agissait bien d’œuvres de l’esprit en retenant que l’originalité portait sur les sujets traités, permettant de restituer autre chose que les voitures et la piste.

CA Paris, pôle 5 ch. 1, 25 janvier 2023, n° 21/05914

Concernant des photographies prises lors d’un concert, il a pu être retenu que même dans le cadre de clichés pris sur le vif sans choix du sujet, de la posture, ni même de l’expression du musicien photographié, le photographe avait apporté plus que son savoir-faire et procédé à des choix libres et créatifs pour la prise des clichés, les angles de vues et les cadrages. A l’inverse, les juridictions continuent de refuser la protection du droit d’auteur à certaines photographies.

CA Douai, 30 novembre 2023, n° 22/02443

C’est le cas pour des photographies d’objets dont il s’agissait de faire la publicité pour le guide jardin de la société Leroy Merlin. Dans cette affaire, la Cour a considéré que les instructions données au photographe étaient très précises et lui imposaient des contraintes telle que « prise de vue en légère contre-plongée » ou « journée ambiance ensoleillé », et que son savoir-faire était insuffisant pour qualifier les photographies d’originales au sens du code de la propriété intellectuelle.

CA Paris, 13 septembre 2023, n° 21/12304

Dans le même sens, l’absence d’originalité a pu être retenue pour des photographies destinées à la promotion de produits commercialisés par la société d’ameublement HABITAT, du fait des directives précises imposés et de ce fait, des choix très contraints du photographe.

Il ressort de la jurisprudence susvisée, la nécessité de distinguer le savoir-faire technique du photographe, insuffisant pour retenir l’originalité, de ses choix libres et créatifs lui permettant de revendiquer une originalité sur ses œuvres et une protection au titre du droit d’auteur.

Le Conseil d’Etat vient préciser le régime des autorisations en matière d’actes chirurgicaux

C’est un contentieux intéressant qui vient d’être tranché par le Conseil d’Etat en matière d’autorisation des actes chirurgicaux. Désormais les règles mises en œuvre, tant par les Agences régionales de santé que par les instances ordinales, vont être plus claires et moins sujettes à interprétation. Au mois d’avril 2016, la société Optical Center a ouvert à Lyon un centre de chirurgie réfractive visant à permettre aux patients, souffrant d’anomalie de la puissance optique telles que la myopie, l’astigmatisme, l’hypermétropie ou la presbytie, de bénéficier d’interventions au laser sur la cornée pour corriger ces anomalies. Ayant saisi le Conseil de l’ordre des médecins du Rhône sur les contrats de travail des praticiens salariés du centre devant effectuer ces interventions, la société Optical Center s’est non seulement vue opposer un refus mais ses praticiens ont dû subir des poursuites disciplinaires et pénales du fait de l’appréciation portée sur leur exercice par l’autorité ordinale. En effet, le Conseil de l’ordre des médecins considérait que les interventions au laser pratiquées sur la cornée des patients relevaient des actes chirurgicaux soumis à autorisation préalable de l’Agence régionale de santé. Et qu’à défaut pour la société Optical Center d’avoir sollicité et obtenu cette autorisation, la pratique des ophtalmologistes salariés du centre était illégale.

C’est sous un angle indemnitaire que la société Optical Center va saisir le Tribunal administratif puis la Cour administrative de Lyon. En première instance comme en appel, ses demandes seront rejetées sur des moyens d’incompétence. Le Conseil d’Etat va être amené à se prononcer sur ce dossier et, pour démêler l’écheveau des incompétences soulevées en première instance comme en appel, va devoir se prononcer sur le point de savoir si les techniques d’intervention au laser sur la cornée relèvent bien du régime des actes chirurgicaux soumis à autorisation de l’Agence régionale de santé. Par l’arrêt n° 455074, rendu le 29 décembre 2023 par les 1ères et 4èmes chambres réunies, le Conseil d’Etat vient ainsi rappeler les critères qui, au regard des dispositions du Code de la santé publique, doivent distinguer les actes chirurgicaux soumis à autorisation et ceux pour lesquels cette autorisation n’est pas requise.

Dans le premier temps de son raisonnement, le Conseil d’Etat va rappeler qu’aux termes des dispositions de l’article L. 6122-1 du Code de la santé publique : « Sont soumis à l’autorisation de l’agence régionale de santé les projets relatifs à la création de tout établissement de santé, la conversion, le regroupement des activités de soins […] et l’installation des équipements matériels lourds ». Ces dispositions sont complétées par celles de l’article L. 6122-25 : « sont soumise à autorisation les activités de soins y compris lorsqu’elles sont exercées sous la forme d’alternatives à l’hospitalisation, énumérées ci-après : 1° Médecine ; 2° Chirurgie […]. ».

Enfin, la Haute Juridiction rappelle qu’aux termes de l’article R. 6121-4 du Code de la santé publique, les alternatives à l’hospitalisation comprennent les activités de soins dispensées par des structures pratiquant l’anesthésie ou la chirurgie ambulatoire. Sont ainsi soumis à autorisation de l’Agence régionale de santé les actes chirurgicaux qui nécessitent une anesthésie au sens de l’article D. 6124-91 du Code de la santé publique, pratiquée dans un secteur opératoire qui doit prévoir une zone opératoire protégée propre à garantir la réduction des risques infectieux, suivant en cela les dispositions de l’article D. 6124-302 du même Code.

Or, les actes de chirurgie réfractive, pratiqués en l’espèce par la société Optical Center, sont réalisés directement sur la cornée des patients, par le moyen de techniques laser, n’impliquant ni anesthésie, ni recours à un secteur opératoire. Le Conseil d’Etat en tire donc la conséquence que ces activités ne sont pas soumises à autorisation de l’Agence régionale de santé. On retiendra donc comme déterminants les deux critères désormais rappelés par le Conseil d’Etat.

Pour qu’une activité de chirurgie soit soumise à autorisation de l’Agence régionale de santé il faut qu’elle ait recours à l’anesthésie et qu’elle soit pratiquée en secteur opératoire, suivant la définition que le Code de la santé publique donne de ces deux éléments. Il s’agit d’une grille de lecture qui va faciliter le développement des techniques de chirurgie ambulatoire, à l’heure où tous les moyens doivent être déployés pour éviter le recours à des hospitalisations longues, coûteuses et souvent préjudiciables aux patients. Un éclaircissement qui est donc le bienvenu tant pour les opérateurs, que les agences régionales de santé ou les instances ordinales.

Victimes d’infraction : des avancées dans leurs droits inscrites dans la loi du 20 novembre 2023

Dans le prolongement des Etats généraux de la Justice et du plan d’action présenté par le Garde des Sceaux en janvier 2023, les parlementaires ont souhaité, par la loi du 20 novembre 2023 d’orientation et de programmation du ministère de la justice 2023-2027, introduire de nouvelles garanties à l’exercice des droits de la partie civile au stade de l’instruction, mais également lui permettre de saisir plus largement la Commission d’indemnisation des Victimes d’Infraction (CIVI) en vue de garantir une meilleure indemnisation.

I. Les évolutions en faveur des droits de la partie civile au stade de l’instruction

  • L’accès au dossier dès la constitution de partie civile

La loi du 20 novembre 2023 a procédé à une réécriture attendue par les praticiens de l’article 114 du Code de procédure pénale afin de permettre, à compter du 30 septembre 2024, un accès simplifié pour la partie civile au dossier de procédure dès la constitution de partie civile, puisque la partie civile ou, si elle est représentée, son avocat pourra se faire délivrer copie des pièces du dossier « dès qu’elle s’est constituée et sans attendre d’être convoquée par le juge ».

En effet, actuellement, la mise à disposition du dossier à la partie civile intervient quatre jours ouvrables au plus tard avant la première audition de partie civile, qui a lieu généralement plusieurs mois voire des années après l’ouverture de l’information judiciaire, faisant obstacle à l’exercice des droits attachés à ce statut pendant cette même période. À compter du 30 septembre 2024, la partie civile pourra solliciter, dès constitution, une copie de la procédure, ce qui ouvre de nouvelles perspectives pour les avocats de partie civile, en particulier s’agissant des prérogatives offertes par les articles 81, 82-1 et 156 et suivants du Code de procédure pénale, qui permettent aux parties de formuler des demandes d’actes et d’expertises.

Néanmoins, cette nouveauté est encadrée puisque le juge d’instruction pourra toujours s’opposer à une telle transmission par une ordonnance motivée, dont la partie civile aura la possibilité d’interjeter appel devant le président de la chambre de l’instruction.

  • La simplification des démarches pour l’exercice de leurs droits

La loi du 20 novembre 2023 a également entériné le retour au régime antérieur à la loi du 23 mars 2019 qui avait consacré la nécessité pour les parties, dont la partie civile, de faire parvenir une déclaration d’intention au magistrat instructeur, dans les 15 jours soit de chaque interrogatoires ou auditions réalisés au cours de l’information, soit de la notification de l’avis de fin d’information, et ce, en vue de pouvoir ensuite adresser au magistrat des observations ou de formuler des demandes (article 175, III, C.pr.pén.).

Ce formalisme critiqué par un grand nombre de praticiens comme étant une exigence chronophage et superflue est abandonné par la loi étudiée, de sorte que les parties, dont la partie civile, n’auront plus à déclarer leur volonté d’exercer leurs droits. En définitive, le principe redevient donc l’exercice pour les parties des droits attachés à leur statut respectif dans le temps de l’information judiciaire. Les nouvelles dispositions de l’article 175 du Code de procédure pénale, issues de la loi du 20 novembre 2023, entreront également en vigueur à compter du 30 septembre prochain.

II. L’amélioration de l’indemnisation des victimes

  • Sur l’extension du champ de compétence de la CIVI à de nouvelles infractions

En parallèle de l’action civile de la partie civile envisagée par les articles 2 et suivants du Code de procédure pénale, la loi n° 83-1983 du 8 juillet 1983 a mis en place un système d’indemnisation des victimes d’infractions reposant sur la solidarité nationale et mis en œuvre par les Commission d’indemnisation des Victimes d’Infractions (CIVI) près les tribunaux judiciaires. Ce système a la particularité d’associer le Fonds de Garantie des victimes d’actes de terrorisme et d’autres infractions (FGTI), ayant la charge de payer l’indemnisation allouée par la CIVI à la victime, le Fonds pouvant ensuite se retourner contre la personne condamnée afin de recouvrer les sommes avancées à la victime (706-9, dernier alinéa, 706-11 C.pr.pén.). Pour rappel, le champ de compétence de la CIVI est précisé par les articles 706-3 et 706-14 du Code de procédure pénale, qui ont connu une évolution notable à la faveur de la loi du 20 novembre 2023. Ainsi, depuis le 22 novembre 2023, entrent dans le champ de l’indemnisation par la CIVI ;

  • les préjudices subis à la suite de fait de violences intrafamiliales graves, à savoir des violences volontaires ou des violences habituelles, qu’elles soient commises sur un mineur ou par l’actuel ou un ancien conjoint, concubin de la victime ou encore l’actuel ou l’ancien partenaire lié à la victime par un pacte civil de solidarité (706-3 2° C.pr.pén.) ;
  • sous condition de ressources pour la victime, les préjudices tirés de la commission des infractions de chantage, d’abus de faiblesse ou d’une atteinte de traitement automatisé de données (706-14 C.pr.pén.) ;
  • sous condition de ressource pour la victime, les préjudices liés au délit de violation de domicile sur le territoire national, et ce, pour toute personne qui se trouve, en raison de cette infraction et de l’absence d’indemnisation, dans une situation matérielle grave (article 706-14-3 C.pr.pén.).

Concrètement, à la suite de cette réforme, la CIVI devient compétente pour les violences conjugales et les violences sur mineur, et ce, sans considération particulière pour la durée d’I.T.T. retenue par le corps médical, mais également, sous condition de ressources, pour des faits liés à l’utilisation d’un rançongiciel ou encore pour ceux en lien avec une violation de domicile commise par des squatteurs.

  • Sur le report du point de délai de forclusion à la majorité de la victime mineure au moment des faits

Par ailleurs, la loi du 20 novembre 2023 a introduit le report du point de départ du délai de forclusion pour les mineurs. Ce délai de 3 ans à compter de la date de l’infraction ou d’un an à compter de la décision juridictionnelle ayant statué définitivement sur l’action publique ou civil engagée devant la juridiction répressive commence à courir à la majorité de la victime (706-5 alinéa 1er C. pr. pén).

En conclusion, la loi du 20 novembre 2023 offre de nouvelles garanties dans l’exercice des droits de la partie civile et tend à faciliter la saisine de la CIVI à d’autres catégories de victimes, qui, jusqu’à présent, ne pouvaient compter sur la solidarité nationale pour l’indemnisation de leurs préjudices.

Entre la « pantoufle » et la « botte » , il faut choisir : des précisions de la Cour de cassation sur le délit de pantouflage

Par un arrêt en date du 13 septembre 2023, la chambre criminelle de la Cour de cassation a précisé le champ d’application du délit réprimé par l’article 432-13 du Code pénal, dit délit de pantouflage, qui sanctionne en substance la prise illégale d’intérêts commise par un ancien agent public – fonctionnaire, titulaire de fonctions exécutives locales, agent d’établissements publics, de société d’économie mixte, etc. – au titre d’une participation dans une entreprise privée ou assimilée dont il avait la charge d’assurer le contrôle ou la surveillance, dans un délai de trois ans suivant la cessation de ces fonctions.

En l’espèce, une société avait porté plainte et s’était constituée partie civile pour des faits de prise illégale d’intérêts – dans leur forme issue de l’article 432-13 précité – imputés à un ancien membre de l’Autorité de la concurrence (anciennement Conseil de la concurrence) y ayant exercé des fonctions entre 1999 et 2012. Cette société lui reprochait en effet d’avoir, entre 2012 et 2015, pris une participation par travail, en prodiguant des conseils et recommandations en matière de droit de la concurrence à une entreprise dont il aurait assuré la surveillance ou le contrôle dans le cadre de ses fonctions au sein de l’Autorité de la concurrence. Saisi d’une demande de l’intéressé à cette fin, la chambre de l’instruction avait annulé sa mise en examen de ce chef au motif que l’article 432-13 du Code pénal ne visait pas, à la date des faits, les membres d’une autorité administrative indépendante.

Tout en confirmant cette décision d’annulation, la chambre criminelle de la Cour de cassation rejette ce moyen et saisi l’occasion de préciser les contours de cette infraction :

  • Sur l’auteur de l’infraction (le moyen retenu par l’arrêt déféré) : la Cour considère qu’en dépit de l’absence de mention de l’article 432-13 du Code pénal dans sa rédaction antérieure[1] à la loi du 20 janvier 2017[2], le délit de pantouflage pouvait être imputé aux membres d’une autorité administrative indépendante, cette fonction étant inclue dans la notion d’« agent d’une administration publique » ;[3]
  • Sur le pouvoir exercé par l’auteur dans le cadre de ses fonctions publiques: la Cour rappelle que l’auteur doit avoir exercé une surveillance effective de l’entreprise ou de l’opération concernée, le seul fait que l’agent « ait eu vocation à connaître ces éléments en raison de son statut » ne suffisant pas ;[4]
  • Sur le point de départ du délai de trois ans: la Cour tranche enfin et de manière explicite la question en retenant qu’il court, non pas à compter de la cessation des fonctions de l’auteur[5] mais de la « cessation de la surveillance ou du contrôle » que l’auteur a exercé lors de ses fonctions.

Cette précision est la bienvenue d’autant qu’elle s’inscrit dans la continuité de l’appréciation de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique qui considérait déjà que le délai de trois ans courrait « à partir du dernier acte de surveillance ou de contrôle, de la date de conclusion du dernier contrat, de la dernière décision adoptée ou, encore, du dernier avis formulé, chacun de ces actes correspondant à l’exercice effectif des fonctions »[6].

[1] Issue de la Loi n° 2007-148 du 2 février 2007 de modernisation de la fonction publique

[2] Loi n° 2017-55 du 20 janvier 2017 portant statut général des autorités administratives indépendantes et des autorités publiques indépendantes

[3] §13, §21, §22

[4] §27

[5] §26

[6] Guide déontologique II, Contrôle et prévention des conflits d’intérêts, HATVP, publié le 1er février 2021, p.19

Contentieux d’urbanisme : Précision sur la présomption simple d’intérêt à agir du voisin immédiat.

Par une décision du 19 janvier 2024 (req. n° 469266), le Conseil d’État rappelle que le voisin immédiat d’un projet de construction ne dispose que d’une présomption simple d’intérêt à agir et précise que l’existence d’une procédure judiciaire portant sur la détermination d’une servitude de passage est dépourvue de tout lien avec la nature, l’importance ou la localisation du projet de construction.

Par un arrêté en date du 21 juin 2018, le Maire de Nîmes (département du Gard) a délivré à la SARL Société de Développement Rural un permis de construire pour la réalisation d’une maison individuelle et d’un garage. Par un arrêt du 29 septembre 2022, la Cour administrative d’appel de Marseille a annulé, à la demande de M. et Mme A., le jugement du 3 décembre 2019 du Tribunal administratif de Nîmes qui a rejeté leur demande tendant à l’annulation de l’arrêté du Maire de Nîmes et ledit permis de construire.

Dans cette affaire, pour retenir l’intérêt à agir des requérants, la Cour administrative d’appel de Marseille a considéré que M. et Mme A avaient fait état d’un litige portant sur la détermination d’une servitude de passage sur leur fonds au bénéfice du pétitionnaire et que la construction projetée était de nature à porter atteinte aux conditions de jouissance de leur propriété, notamment à leur vue et à leur tranquillité.

Saisi d’un pourvoi en cassation, le Conseil d’État a tout d’abord rappelé que, conformément aux dispositions de l’article L. 600-1-2 du Code de l’Urbanisme, un tiers (autre que l’État, une collectivité territoriale ou une association) ne dispose d’un intérêt à agir contre une autorisation d’urbanisme que si la construction, l’aménagement ou les travaux autorisés sont « de nature à affecter directement les conditions d’occupation, d’utilisation ou de jouissance » du bien qu’il occupe ou détient.

À ce titre, il a rappelé sa jurisprudence constante selon laquelle il appartient au requérant de justifier son intérêt à agir « en faisant état de tous éléments suffisamment précis et étayés de nature à établir que cette atteinte est susceptible d’affecter directement les conditions d’occupation, d’utilisation ou de jouissance de son bien ». Le voisin immédiat dispose, quant à lui, d’une présomption d’intérêt à agir dès lors qu’il « fait état d’éléments relatifs à la nature, à l’importance ou à la localisation du projet de construction » (voir en ce sens : CE 13 avril 2016, n° 389798). Cela étant rappelé, le Conseil d’État a, d’une part, eu l’occasion de rappeler que la présomption d’intérêt à agir du voisin immédiat ne le dispense pas de son obligation de faire état d’éléments relatifs à la nature, à l’importance ou à la localisation du projet de construction, lesquels doivent ressortir de leurs écritures. À ce titre, il a considéré que la seule proximité du projet n’est pas suffisante.

D’autre part, le Conseil d’État a précisé que l’existence d’un litige judiciaire relatif à la « détermination d’une servitude de passage sur [le] fonds » des requérants est « sans lien avec la nature, l’importance ou la localisation du projet de construction ». Dans ces conditions, le Conseil d’État a annulé l’arrêt de la Cour administrative d’appel de Marseille et rejeté la requête de M. et Mme A pour défaut d’intérêt à agir contre le permis de construire litigieux.

L’étude d’impact ne doit pas nécessairement comporter une évaluation des capacités du réseau d’assainissement et du volume d’eaux usées généré par un projet

La décision du Conseil d’Etat n° 468655 en date du 10 janvier 2024 apporte des précisions sur le contenu de l’étude d’impact des projets.

En l’espèce, la commune de Belle-Eglise dans l’Oise a approuvé une déclaration de projet de réalisation d’un parc d’activité logistique valant mise en compatibilité (MEC) de son plan local d’urbanisme (PLU) sur le fondement de l’article L. 300-6 du Code de l’urbanisme. Dans ce cadre, une étude d’impact des projets de travaux, d’ouvrages ou d’aménagements a été réalisée (article R. 122-1 à R. 122-14 du Code de l’environnement).

L’association pour l’aménagement de la Vallée de l’Esches a tenté d’en obtenir l’annulation de la délibération approuvant la déclaration de projet valant MEC devant le Tribunal administratif d’Amiens[1] puis devant la Cour administrative de Douai[2], sans succès. Elle a ensuite formé un pourvoi devant le Conseil d’Etat.

L’association soutenait que l’étude d’impact devait quantifier, sous peine d’irrégularité, le volume d’eaux usées et évaluer si le réseau d’assainissement était suffisant pour le traiter, autrement dit devait comporter une évaluation des capacités du réseau d’assainissement et du volume d’eaux usées généré par un projet.

Le Conseil d’Etat, après avoir rappelé les dispositions de l’article R. 122-5 du Code de l’environnement relatives au contenu de l’étude d’impact, répond de la manière suivante :

« 2. En premier lieu, il résulte de ces dispositions que le contenu de l’étude d’impact doit comprendre une description des facteurs mentionnés au III de l’article L. 122-1 du code de l’environnement, parmi lesquels figurent notamment la santé humaine et l’eau. L’étude d’impact doit également comprendre une description des incidences notables que le projet est susceptible d’avoir sur l’environnement, résultant notamment de l’émission de polluants, de la création de nuisances et de l’élimination et la valorisation des déchets. Si les caractéristiques particulières d’un projet peuvent rendre pertinente une évaluation des capacités du réseau d’assainissement et du volume d’eaux usées généré par un projet au sein de l’étude d’impact, il ne résulte ni des dispositions de l’article R. 122-5 du code de l’environnement, ni d’aucune autre disposition législative ou réglementaire qu’une telle évaluation serait au nombre des points obligatoirement traités par l’étude d’impact. Par suite, en écartant pour ce motif le moyen tiré de ce que l’étude d’impact était insuffisante faute d’avoir évalué le volume d’eaux usées généré par le projet et les capacités du réseau d’assainissement, la cour administrative d’appel de Douai n’a pas entaché son arrêt d’une erreur de droit ».

Autrement dit, aucune loi ou règlement n’impose la réalisation d’une évaluation des capacités du réseau d’assainissement et du volume d’eaux usées qu’un projet est susceptible de générer. Toutefois, le Conseil d’Etat précise les « caractéristiques particulières » d’un projet peuvent rendre pertinente une telle évaluation.

Cependant, aucune définition des caractéristiques particulières du projet n’est donnée. L’appréhension de cette notion se fera donc au cas par cas, et les décisions à venir des juges du fond permettront peut-être d’affiner la notion au fur et à mesure qu’ils auront à appliquer cette solution.

En l’espèce, le Conseil d’Etat estime que la Cour n’a pas commis d’erreur de droit en estimant que cette évaluation n’était pas nécessaire pour ce projet de parc d’activité logistique de 41 hectares le long de la route départementale 1001, à proximité de l’autoroute A16, composé d’un pôle logistique comprenant trois entrepôts de grande taille pour une superficie de 31,8 hectares, d’un pôle destiné à l’implantation d’activités et de services pour une superficie de 5,2 hectares et un parc paysagé de 4 hectares comprenant notamment un parcours de santé et un lieu de culture maraichère. En tout état de cause, en l’espèce, l’étude d’impact avait quantifié le volume d’eaux usées à 100 m3 par jour.

Par ailleurs, l’association soutenait que l’arrêt de la Cour n’était pas suffisamment motivé sur l’insuffisance de l’étude d’impact.

Le Conseil d’Etat écarte ce moyen :

« 3. En deuxième lieu, pour écarter le moyen tiré de l’insuffisance de l’étude d’impact, la cour administrative d’appel de Douai a principalement relevé, s’agissant du défaut d’analyse des impacts du projet sur les sols et l’artificialisation des terres, au regard de la vocation agricole du terrain d’assiette du projet, que l’étude préalable agricole traitait de manière suffisante, au regard du 5° du II de l’article R. 122-5 du code de l’environnement, des incidences du projet sur les terres agricoles, dès lors qu’elle présentait une analyse des conséquences du projet sur les exploitations et la filière agricole, que la surface du projet n’excèderait pas 2,7 % des terres agricoles des deux communes d’implantation, et que le terrain d’assiette du projet était déjà classé en zone à urbaniser ce qui ne permettait pas de le regarder comme un terrain agricole pérenne. La cour a également relevé qu’il ne ressortait d’aucune pièce du dossier que le terrain d’assiette du projet comprendrait une zone humide. Si la requérante avait également fait valoir que le contenu de l’étude d’impact était insuffisant en ce qui concerne les incidences du projet sur le climat et la qualité de l’air, notamment au regard des impacts de l’artificialisation projetée, la cour a jugé que ces allégations n’étaient pas de nature à établir une insuffisance de l’étude d’impact et qu’il ne ressortait pas des pièces du dossier qu’à les supposer établies, ces insuffisances de données et de chiffrage auraient eu, dans les circonstances de l’espèce, pour effet de nuire à l’information complète de la population sur l’incidence du projet sur le trafic routier, les gaz à effet de serre, la qualité de l’air, le bilan carbone et le climat, ou auraient été de nature à exercer une influence sur la décision de l’autorité administrative. En statuant ainsi, compte tenu de l’argumentation présentée devant elle et de l’avancement du projet, la cour, qui n’était pas tenue de répondre à tous les arguments soulevés par la requérante, a suffisamment motivé son arrêt ».

 

[1] TA Amiens, 23 février 2021, n°1903593

[2] CAA Douai, 17 mai 2022, n°s 21DAOA251, 21DA01505

Notification claire du décompte général au maître d’œuvre : point de départ du délai lui conférant un caractère définitif

TA Montpellier, 14 décembre 2023, n° 2205945

Les stipulations relatives à la notification du décompte général en matière de travaux figurent au sein de l’article 12.4.3 du CCAG Travaux de 2021 (anciennement article 13. 4.3 du CCAG Travaux de 2009), aux termes duquel :

« Dans un délai de trente jours à compter de la date à laquelle ce décompte général lui a été notifié, le titulaire envoie au maître d’ouvrage, avec copie au maître d’œuvre, ce décompte revêtu de sa signature, avec ou sans réserve, ou fait connaître les motifs pour lesquels il refuse de le signer. Si la signature du décompte général est donnée sans réserve par le titulaire, il devient le décompte général et définitif du marché. La date de sa notification au maître d’ouvrage constitue le départ du délai de paiement ».

Par un arrêt récent, le Conseil d’Etat a précisé que le décompte général n’est pas définitif si la date de notification de celui-ci ne ressort pas clairement des pièces du dossier car, dans une telle situation, la créance résultant de ce décompte ne présente pas un caractère certain.

Dans cette affaire, la commune de Saint-Thibéry a attribué un marché de construction d’une station d’épuration, en cotraitance, à la société Génie civil en bâtiment. Cette dernière a cédé à la société Banque Courtois les créances qu’elle détenait sur la commune. Par la suite, la société Banque Courtois a demandé au Tribunal administratif de Montpellier de condamner la commune à lui verser la somme de 197 336, 44 euros au titre des créances non honorées et, à titre subsidiaire, la somme de 75 611,99 euros correspondant au solde du décompte général définitif.

Le Tribunal administratif de Montpellier a fait droit aux conclusions subsidiaires de la société Banque Courtois. La Cour administrative d’appel de Toulouse a rejeté l’appel formé par la commune de Saint-Thibéry, qui s’est pourvue en cassation.

Les Juges suprêmes ont considéré que la seule circonstance que le décompte général aurait été notifié à la société Génie civil le 14 septembre 2011 alors qu’aucune pièce du dossier ne permettait de le démontrer de façon claire, ne suffit pas à considérer que le décompte général serait devenu définitif :

« Pour juger que le décompte général établi par le maître d’œuvre était devenu le décompte général et définitif du marché, la cour administrative d’appel s’est fondée sur la circonstance que ce décompte avait été notifié à la société Génie civil et bâtiment le 14 septembre 2011. En statuant ainsi, alors qu’il ne ressortait pas des pièces du dossier soumis aux juges du fond que cette notification serait intervenue à cette date et alors que la commune de Saint-Thibéry contestait le caractère définitif du décompte général et, par suite, le caractère certain de la créance de la société, la cour a dénaturé les pièces du dossier ».

En d’autres termes, le caractère définitif du décompte général d’un marché de travaux impose que la date de sa notification au titulaire du marché soit établie avec certitude. Cette exigence de clarté de la notification du décompte général retranscrit l’idée sous-jacente d’une créance ou d’une dette clairement définie.

Le Conseil d’Etat, par cet arrêt, martèle une nouvelle fois les points de vigilances et la rigueur à mettre en œuvre lors de l’établissement du décompte général pour qu’il puisse devenir définitif dans les marchés publics de travaux.

Dans le même sens, les juges du Tribunal administratif de Montpellier ont récemment considéré que le décompte général ne peut être définitif que s’il est démontré que le titulaire du marché de travaux a transmis clairement un projet de décompte final au maître d’œuvre. Dans cette autre espèce, ils ont considéré que le décompte général n’était pas définitif car « le document [dont il se prévaut constituerait un décompte général et définitif], n’est d’ailleurs ni daté, ni signé et dont il n’est pas démontré qu’il aurait été transmis préalablement au maître d’œuvre conformément aux dispositions précitées. […] Par suite, le requérant n’est pas fondé à demander le paiement ».

Notons alors que sans preuve d’une notification clairement établie du décompte général lui conférant un caractère définitif au maître d’œuvre (signature et date), le titulaire ne peut se prévaloir d’aucun droit à paiement de ses prestations puisqu’aucun délai de paiement n’a pu être déclenché au regard des dispositions de l’article 12.4.3 du CCAG Travaux de 2021 (anciennement article 13. 4.3 du CCAG Travaux de 2009).

Précisions sur le devoir de conseil du maître d’œuvre

Pour rappel, la réception d’un ouvrage, qui est l’acte par lequel le maître de l’ouvrage déclare accepter l’ouvrage avec ou sans réserve, met fin aux rapports contractuels entre le maître de l’ouvrage et les constructeurs en ce qui concerne la réalisation de l’ouvrage ; par conséquent, le maître de l’ouvrage ne peut, postérieurement à la réception, invoquer à l’encontre des constructeurs de nouveaux désordres apparents causés à l’ouvrage ou des désordres causés aux tiers, sous réserve de la garantie de parfait achèvement.

En application de ce principe, le Conseil d’Etat a jugé que lorsque le maître d’œuvre a en charge la conception de l’ouvrage et est donc lui-même un constructeur, la réception de l’ouvrage fait obstacle à ce que sa responsabilité puisse être recherchée pour des fautes de conception qui n’auraient pas antérieurement fait l’objet de constats ou de réserves (CE, 2 décembre 2019, Guervilly, req. n° 423544).

Cependant, la responsabilité du maître d’œuvre peut-elle être recherchée postérieurement à la réception non pas au titre de sa mission de constructeur mais au titre de sa mission de conseil du maître d’ouvrage ?

C’est à cette question que répond, par l’affirmative, la décision OPH Domanys rendue le 22 décembre 2023.

Cette décision est intervenue à l’occasion d’un litige relatif à la réception d’un ensemble de quarante logements commandés par l’Office public de l’habitat (OPH) Domanys. Postérieurement à la décision de réception avec réserve des ouvrages, l’OPH a été mis en demeure par la direction départementale des territoires de l’Yonne de mettre les logements en conformité aux normes portant sur leur aération et leur accessibilité aux personnes handicapées. Ces non-conformités réglementaires n’avaient pas été signalées lors des opérations de réception et les travaux de reprise ont généré un surcoût pour l’OPH. Celui-ci a donc recherché la responsabilité du maître d’œuvre pour manquement à son devoir de conseil, afin de lui faire supporter ce surcoût.

En première instance, l’OPH avait obtenu gain de cause. Mais, le jugement rendu par le Tribunal administratif de Dijon le 2 juin 2020 a été annulé par la Cour administrative d’appel de Lyon qui, par son arrêt du 2 février 2023, a rejeté les conclusions de l’OPH. La Cour administrative d’appel a en effet jugé que les non-conformités réglementaires relevées par la direction départementale des territoires de l’Yonne n’auraient pas pu figurer au nombre des réserves assortissant la réception, dès lors qu’elles ne constituaient pas des non-conformités aux spécifications des marchés de travaux. Et, en admettant que ces réserves relevassent d’erreurs de conception de l’ouvrage, leur signalement ne relevait pas, selon la Cour, de la mission d’assistance aux opérations de réception incombant au maître d’œuvre.

Saisi par l’OPH d’un pourvoi, le Conseil d’Etat prononce l’annulation de l’arrêt pour erreur de droit. Et, pour cause : la jurisprudence avait déjà précisé que le devoir de conseil du maître d’œuvre implique pour celui-ci de signaler au maître d’ouvrage l’entrée en vigueur, au cours de l’exécution des travaux, de toute nouvelle réglementation applicable à l’ouvrage, afin que celui-ci puisse éventuellement ne pas prononcer la réception et décider des travaux nécessaires à la mise en conformité de l’ouvrage (CE, 10 décembre 2020, req. n° 432783).

Dès lors, la circonstance que les non-conformités réglementaires affectant ne constituaient pas des non-conformités aux spécifications du marché ne pouvait avoir d’incidence sur les obligations pesant sur le maître d’œuvre en vertu de son devoir de conseil, contrairement à ce qu’a jugé la Cour administrative d’appel.

En outre, cette nouvelle décision nous apprend que la responsabilité du maître d’œuvre peut être engagée même lorsque les vices de construction non-signalés en phase de réception alors qu’ils étaient décelables par un maître d’œuvre normalement diligent résultent non pas d’une évolution de la réglementation en cours de chantier (comme cela avait été le cas pour l’affaire ayant fait l’objet de la décision précitée du 10 décembre 2020), mais d’une méconnaissance de ces normes dès l’origine, au stade de la conception de l’ouvrage.

Ainsi, le Conseil d’Etat pose un considérant de principe qui constitue tout l’apport de cette décision OPH Domanys et explique sa mention aux tables du Recueil Lebon :

« La responsabilité des maîtres d’œuvre pour manquement à leur devoir de conseil peut être engagée dès lors qu’ils se sont abstenus d’appeler l’attention du maître d’ouvrage sur des désordres affectant l’ouvrage et dont ils pouvaient avoir connaissance, en sorte que la personne publique soit mise à même de ne pas réceptionner l’ouvrage ou d’assortir la réception de réserves. Ce devoir de conseil implique que le maître d’œuvre signale au maître d’ouvrage toute non-conformité de l’ouvrage aux stipulations contractuelles, aux règles de l’art et aux normes qui lui sont applicables, afin que celui-ci puisse éventuellement ne pas prononcer la réception et décider des travaux nécessaires à la mise en conformité de l’ouvrage ».

Cette solution vient significativement limiter la portée de la décision Guervilly de 2019 : même si la responsabilité du maître d’œuvre ne peut plus être engagée au titre de sa mission de constructeur pour des vices de conception postérieurement à la réception, elle peut toujours l’être au titre de son devoir de conseil.

En d’autres termes et pour reprendre la formule du rapporteur Nicolas Labrune dans ses conclusions : « les deux responsabilités du maître d’œuvre – comme constructeur et comme conseil du maître d’ouvrage – sont distinctes et se cumulent : le fait que la réception éteigne l’une doit, selon nous, demeurer sans incidence sur l’autre ».

Faisant application de cette solution ainsi dégagée au cas d’espèce, le Conseil d’Etat juge que l’OPH Domanys était bien fondé à soutenir que le devoir de conseil de son maître d’œuvre impliquait que ce dernier lui signalât, lors des opérations de réception, toute non-conformité de l’ouvrage aux normes applicables, notamment aux prescriptions techniques en matière de construction relatives à l’aération des logements et à leur accessibilité aux personnes handicapées, afin qu’il puisse éventuellement ne pas prononcer la réception et décider des travaux nécessaires à leur mise en conformité. Il renvoie ainsi l’affaire au fond.

La responsabilité des communes en matière de marnières

Dans une question écrite auprès du Ministre de l’Intérieur et des outre-mer et du Ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargé des collectivités territoriales et de la ruralité du 20 octobre 2022, la question de la responsabilité des communes en matière de marnières qui se situeraient sous une voirie transférée à l’intercommunalité a été posée.

On précisera qu’une marnière est une cavité qui a été creusée pour extraire de la craie.

Pour rappel, comme le prévoit l’article L. 1321-1 du Code général des collectivités territoriales (CGCT) le transfert de la compétence voirie relève du régime de la mise à disposition des biens meubles et immeubles nécessaires à l’exercice de la compétence. Toutefois, même en cas de transfert de la compétence voirie à l’intercommunalité, la commune reste propriétaire de la voirie. A cet effet, la commune propriétaire est donc responsable de la cavité en vertu de l’article 552 du Code civil : « La propriété du sol emporte la propriété du dessus et du dessous ».

Ainsi, en tant que propriétaires, les communes doivent entretenir les sous-sols et supporter les dépenses d’identification et de comblement d’une marnière située sous la voie transférée à l’intercommunalité. Ces travaux sont onéreux car ils peuvent atteindre plusieurs dizaines de milliers d’euros, voire plusieurs centaines selon le volume de la cavité.

Le député souhaitait donc savoir si une modification du cadre légal pourrait permettre une prise en charge des travaux par l’intercommunalité pour les marnières situées sous les voiries relevant de la compétence des intercommunalités, ou de rendre éligibles les dépenses d’identification et de comblement de ces marnières au fonds de prévention des risques naturels majeurs (FPRNM, dit « fonds Barnier »).

Dans sa réponse du 26 octobre 2023, le Ministre a indiqué que le Gouvernement n’envisageait pas de modifier le cadre légal actuel.

Pour justifier cela, il a déjà rappelé que les cavités présentes sous les voies communales mises à disposition des intercommunalités relèvent du domaine privé de la commune. En effet, le sous-sol ne relève du domaine public que s’il fait l’objet d’aménagements indispensables à l’exécution d’un service public (article L. 2111-1 du Code général de la propriété des personnes publiques – CG3P) ou s’il en constitue un accessoire indissociable (article L. 2111-2 du même code).

De plus, il a ensuite été confirmé que le fonds Barnier ne peut pas être mobilisé lorsque les cavités menacent uniquement une infrastructure de transport de sorte que sa mobilisation n’est donc pas possible pour la réalisation d’études de reconnaissance ou des travaux de protection des voiries.

Cependant, le Ministre a précisé qu’il existait plusieurs autres dispositifs de soutien financier pour assurer l’entretien des marnières :

  • Les communes peuvent faire appel à la solidarité intercommunale en application de l’article L. 115-3 du Code de la voirie qui prévoit que lorsque des travaux sur le domaine d’une commune sont nécessaires pour la conservation ou la sécurisation d’une voie, la commune peut en confier la maîtrise d’ouvrage, par convention, au gestionnaire de la voie, et donc à l’intercommunalité. Cette convention précise les conditions dans lesquelles la maîtrise d’ouvrage est exercée et en fixe le terme. La maîtrise d’ouvrage est exercée à titre gratuit. ;
  • En vertu de l’article L. 125-1 du Code des assurances, les marnières bénéficient d’un niveau de prise en charge élevé pour la protection des biens couverts par un contrat d’assurance. Ainsi, si le fonds Barnier ne peut pas être mobilisé lorsque les cavités menacent uniquement une infrastructure de transport, peut en revanche être mobilisé par la collectivité concernée pour la mise en œuvre des mesures nécessaires, d’une part, pour évaluer le risque d’instabilité, d’affaissement et d’effondrement de cavités souterraines, en particulier au regard de la menace pour la vie des personnes, et d’autre part, pour réduire voire supprimer ce risque. Les opérations de reconnaissance et les travaux menés sous la maîtrise d’ouvrage d’une collectivité visant à leur comblement, y compris sous une voirie lorsque cela est rendu nécessaire pour la protection d’un bien assuré, peuvent intervenir même en l’absence de plan de prévention des risques naturels prévisibles (PPRN) sur la commune, ce qui n’est pas le cas des autres risques naturels ;
  • Les communes peuvent également solliciter des subventions au titre de la dotation d’équipement des territoires ruraux (DETR), sous réserve des catégories d’opérations prioritaires fixées par la commission d’élus, et de la dotation de soutien à l’investissement local (DSIL).