Urbanisme, aménagement et foncier
le 15/02/2024
Marie GAUTIER
Juliette GALLAIRE

Précisions sur la procédure de sursis à statuer de l’article L. 600-5-1 du Code de l’urbanisme et sur la portée de la préservation du patrimoine naturel et culturel montagnard

CE, 17 janvier 2024, n° 462638

Par un arrêt en date du 17 janvier 2024, le Conseil d’Etat est venu préciser les règles relatives à la composition de la formation de jugement se prononçant après avoir sursis à statuer en application de l’article L.600-5-1 du Code de l’urbanisme.

  • Sur le mécanisme de sursis à statuer de l’article L.600-5-1 du Code de l’urbanisme

A titre liminaire, il convient de rappeler que le sursis à statuer en contentieux de l’urbanisme est un mécanisme de régularisation en cours d’instance à l’initiative du juge, issu de l’ordonnance 2013-638 du 18 juillet 2013, permettant à ce dernier, statuant sur la légalité d’un permis de construire, de surseoir à statuer dans l’attente d’une nouvelle autorisation d’urbanisme venant régulariser le permis contesté.

Le juge, après avoir écarté les moyens non fondés, prononcera le sursis par un jugement avant-dire droit, dans lequel il octroie aux parties un délai pour régulariser le permis litigieux. A l’issue de ce délai le juge pourra, soit constater l’absence de permis de construire modificatif et prononcer l’annulation du permis initial, soit se prononcer sur l’efficacité du PCM, après qu’un débat contradictoire ait eu lieu entre les parties à l’instance. A ce stade de la procédure, le débat ne porte que sur le PCM et non plus sur les moyens écartés par le juge dans le jugement avant-dire droit (CE, avis, 6e et 1re sous-sect., 18 juin 2014, n° 376760).

Le contrôle du PCM doit être opéré par le même juge qui a prononcé le sursis. Ainsi, « il en résulte qu’il appartient nécessairement au seul juge d’appel, lorsque c’est la cour qui a décidé le sursis à statuer aux fins de régularisation, de se prononcer sur la légalité du permis de construire modificatif » (CAA Bordeaux, Chambre 1, 2 avr. 2015, n° 12BX02522).

La question qui se posait en l’espèce était de savoir si, devant ce même juge, la composition de la formation de jugement se prononçant après sursis à statuer devait être distincte de celle qui avait prononcé ledit sursis.

  • Sur la composition de la formation de jugement se prononçant après un sursis à statuer

En l’espèce, l’association requérante avait contesté l’arrêt de la Cour administrative d’appel de Lyon (qui avait validé la légalité d’un permis de construire pour l’implantation de neuf éoliennes), au moyen notamment que celui-ci méconnaissait le principe d’impartialité pour avoir été rendu par la même formation de jugement qui avait rendu la décision avant-dire droit dans l’attente de permis de construire modificatifs.

Cependant, le Conseil d’Etat va écarter ce moyen, en affirmant qu’« il ne résulte d’aucun texte ni d’aucun principe général du droit que la composition d’une formation de jugement statuant définitivement sur un litige doive être distincte de celle ayant décidé, dans le cadre de ce même litige, de surseoir à statuer par une décision avant-dire droit dans l’attente d’une mesure de régularisation en application de l’article L. 600-5-1 du code de l’urbanisme ».

Sur la question du sursis à statuer, il n’est pas inutile de rappeler que le Code de procédure civile définit le sursis à statuer comme une décision qui « suspend le cours de l’instance pour le temps ou jusqu’à la survenance de l’événement qu’elle détermine » (art. 378 CPC) et qui ne dessaisit pas le juge (art. 379 al. 1er CPC). La seconde décision s’inscrit dans une même instance et devant le même juge. On comprend donc l’absence de distinction de la composition de la formation de jugement aux deux stades du mécanisme, les deux arrêts étant compris comme faisant partie d’une même procédure.

Ce recours était l’occasion pour le Conseil d’Etat de s’interroger sur l’exigence d’impartialité (principe consacré notamment à l’article 6, paragraphe 1, de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme), et ce d’autant plus que le débat se limite aux mesures de régularisation lors du deuxième passage devant la juridiction. Si l’on peut s’étonner de la tardiveté d’une telle solution, intervenant plus de dix ans après l’introduction du mécanisme de régularisation en cours d’instance dans le Code de l’urbanisme, il semble que cette question ne soulevait pas de difficulté particulière au regard de la concision avec laquelle le Conseil d’Etat écarte le moyen.

  • Sur le fond : une interprétation stricte de l’article L. 122-9 du Code de l’urbanisme relatif à la préservation du patrimoine naturel et culturel montagnard.

Sur le fond du litige, le Conseil d’Etat vient préciser que la portée de l’application de l’article L. 122-9 du Code de l’urbanisme que précise que les documents d’urbanisme ou décisions d’occupation des sols comportent des dispositions propres « à préserver les espaces, paysages et milieux caractéristiques du patrimoine naturel et culturel montagnard ». Adoptant une interprétation stricte de cette disposition, le Conseil d’Etat refuse de permettre d’opposer à une demande de permis de construire la protection d’une espèce animale caractéristique du milieu montagnard :

« 3. Sans préjudice des autres règles relatives à la protection des espaces montagnards, les dispositions de l’article L. 122-9 du code de l’urbanisme prévoient que dans les espaces, milieux et paysages caractéristiques du patrimoine naturel et culturel montagnard, les documents et décisions relatifs à l’occupation des sols doivent être compatibles avec les exigences de préservation de ces espaces. Pour satisfaire à cette exigence de compatibilité, ces documents et décisions doivent comporter des dispositions de nature à concilier l’occupation du sol projetée et les aménagements s’y rapportant avec l’exigence de préservation de l’environnement montagnard prévue par la loi. Si ces dispositions permettent, à l’appui d’un recours pour excès de pouvoir contre les documents et décisions relatifs à l’occupation des sols en zone de montagne, de contester utilement l’atteinte que causerait l’un des projets énumérés à l’article L. 122-2 précité du code de l’urbanisme aux milieux montagnards et, par suite, aux habitats naturels qui s’y trouvent situés, il résulte de leurs termes mêmes qu’elles n’ont en revanche pas pour objet de prévenir les risques que le projet faisant l’objet de la décision relative à l’occupation des sols serait susceptible de causer à une espèce animale caractéristique de la montagne ».

Ainsi, le moyen tiré de l’atteinte à l’avifaune (en l’espèce les espèces de chouettes chevêchette d’Europe et de chouettes de Tengmalm) qui serait mise en danger par le fonctionnement des éoliennes, objet des permis demandés est donc rejeté.