Contrats publics
le 07/03/2024
Marie-Hélène PACHEN-LEFÈVRE
Marianne HAUTON

Production d’énergie renouvelable par les collectivités territoriales et leurs groupements : fondement juridique de leur intervention

La production d’énergie renouvelable constitue, depuis plusieurs années, un domaine d’intervention majeur et stratégique pour l’ensemble des acteurs locaux impliqués dans la transition énergétique. En apportant leur soutien aux projets de production d’énergies renouvelable déployés sur leur territoire, que ce soit par le biais de mises à disposition foncières, par un soutien financier ou capitalistique, voire en étant à l’initiative de tels projets, les collectivités et leurs groupements marquent leur engagement fort en faveur des énergies renouvelables et participent à l’autonomie énergétique du territoire. Ils contribuent également par la même occasion à l’atteinte des objectifs de décarbonation de la production énergétique fixés par le législateur.

Or, dans le contexte actuel de forte incitation des personnes publiques à investir le secteur des énergies renouvelables, la question du fondement juridique de leur intervention n’est toujours pas clairement réglée, générant de nombreuses interrogations des acteurs locaux et une incertitude juridique particulièrement inopportune. En effet, des prises de position récentes de l’Etat et du juge administratif mettent en lumière l’inadaptation du cadre juridique actuel (à tout le moins tel qu’il est interprété par ces derniers) à l’intervention des collectivités territoriales et de leurs groupements en matière de production d’énergie renouvelable.

Le présent focus est ainsi l’occasion de rappeler les termes du débat (I), de faire état des réponses ministérielles et des décisions juridictionnelles rendues en la matière et retenant une approche regrettablement restrictive de l’intervention locale (II), avant de présenter les arguments qui selon nous conduisent à remettre en cause leur pertinence (III).

I. Les termes du débat et les questionnements générés par le statut de la production d’énergie renouvelable

En matière de production d’énergie renouvelable, il existe un débat, non encore définitivement tranché, sur le point de savoir :

  • si cette activité constitue une véritable compétence soumise aux principes de spécialité et d’exclusivité en vertu desquels :
    • d’une part, une personne publique ne peut intervenir que dans les domaines que lui confient le législateur ou ses statuts constitutifs (principe de spécialité, CE avis du 7 juillet 1994, EDCE 1994, n° 46, p.409 ; CE 23 octobre 1985, Commune de Blaye les Mines, Rec. p. 297) ;
    • et d’autre part, une personne publique ayant transféré sa compétence est dessaisie de toute possibilité d’intervention financière ou opérationnelle dans le champ de la compétence transférée (CE, 16 octobre 1970, Commune de Saint Vallier, n° 71536 ; CE 14 janvier 1998, Communauté urbaine de Cherbourg, n° 161661).
  • au-delà de ces règles générales, s’il faut y voir une compétence particulière, par principe partagée entre plusieurs niveaux de collectivités territoriales, et dans l’affirmative entre quels niveaux ;
  • voire même, si un transfert de compétence est véritablement nécessaire pour habiliter un Etablissement Public de Coopération Intercommunale (EPCI) ou un syndicat mixte à intervenir en matière de production d’énergie renouvelable ou si le législateur doit être regardé comme ayant habilité tous les échelons à intervenir concurremment.

L’activité de production d’énergie renouvelable est principalement envisagée par :

  •  l’article L. 2224-32 du Code Général des Collectivités Territoriales (CGCT) qui prévoit que « les communes, sur leur territoire, et les établissements publics de coopération, sur le territoire des communes qui en sont membres, peuvent, (…), aménager, exploiter, faire aménager et faire exploiter » des installations de production d’énergie renouvelable ;
  •  l’article 88 I de la loi n° 2010-788 du 12 juillet 2010 portant engagement national pour l’environnement (Grenelle 2) qui consacre la possibilité pour les départements, régions, EPCI et syndicats mixtes « d’aménager, exploiter, faire aménager et faire exploiter dans les conditions prévues par le code général des collectivités territoriales des installations de production d’électricité utilisant des énergies renouvelables », dans un but d’autoconsommation ou de vente de l’électricité produite dans le cadre de l’obligation d’achat ;
  • l’article 88 II de la loi Grenelle 2 précitée qui consacre en outre la possibilité pour toute personne morale de solariser les bâtiments de son patrimoine.

Enfin, les articles L. 294-1 du Code de l’énergie et L. 2253-1 du CGCT pour les communes et leurs groupements, L. 3231-6 du CGCT pour les départements et L. 4211-1 du CGCT pour les régions consacrent, dans des termes relativement proches, la faculté pour ces différents échelons locaux de « participer au capital d’une société anonyme ou d’une société par actions simplifiée dont l’objet social est la production d’énergies renouvelables ou d’hydrogène renouvelable ou bas-carbone définis à l’article L. 811-1 du code de l’énergie par des installations situées sur leur territoire ou, pour une commune, sur le territoire d’une commune limitrophe ou, pour un groupement, sur le territoire d’un groupement limitrophe ». Et c’est la qualification et l’articulation de ces différentes dispositions qui interrogent et a donné lieu à des prises de position de l’Etat et du juge administratif particulièrement restrictives et défavorables à l’action locale, ce que nous regrettons.

II.- Les récentes positions de l’Etat et du juge administratif

Une réponse ministérielle avait tranché en 2020 en faveur de la qualification de compétence « classique » soumise au principe de spécialité et d’exclusivité. La question de la nature de cette compétence était en effet posée à l’occasion de la prise de participation d’une commune et de l’EPCI dont elle était membre à une société coopérative d’intérêt collectif ayant pour objet la production d’énergie renouvelable.

Par une réponse en date du 17 septembre 2020, le ministère de la transition écologique a estimé que « la participation de la commune au capital de la société n’est possible que dans la mesure où elle n’a pas transféré la compétence en matière de production d’énergie renouvelable à un EPCI, auquel cas seul ce dernier est habilité à prendre des participations en application du principe d’exclusivité. À cet égard, il importe de rappeler que la compétence dont il s’agit découle des dispositions de l’article L. 2224-32 du CGCT. Cette compétence ne relève pas des compétences transférées de plein droit à un EPCI à fiscalité propre. Par suite, son transfert à un EPCI résulte de la volonté expresse des communes qui peuvent considérer que cette compétence serait mieux exercée à l’échelle intercommunale » (Rép. Sénat à la QE n° 101965 du 25 avr. 2019, JO Sénat, 17 septembre 2020, p. 4279).

Ainsi, selon cette réponse un EPCI ne peut exercer la compétence prévue à l’article L. 2224-32 du CGCT que si elle lui a été préalablement transférée par ses membres. Ce transfert doit résulter de la volonté expresse de la commune, matérialisée par une délibération de son conseil municipal. En outre, dès lors que la commune a transférée cette compétence audit EPCI, elle se trouve dessaisie de la compétence et ne peut dès lors prendre des participations au capital d’une société de production d’énergie renouvelable.

Cette regrettable interprétation de l’article L. 2224-32 du CGCT avait été reconnue par des parlementaires à l’occasion des débats du projet de loi n° 2023-175 du 10 mars 2023 relative à l’accélération de la production d’énergies renouvelables (ci-après loi APER) qu’ils voulaient à l’occasion de la loi APER, rectifier.

Des sénateurs avaient en effet introduit en première lecture un nouvel article 18 bis A au projet de loi portant modification de l’article L. 2253-1 afin d’y introduire un nouveau membre de phrase permettant l’intervention conjointe d’une commune et du groupement dont elle relève au capital d’une même société anonyme ou d’une même société par actions simplifiée. Les sénateurs portant l’amendement considéraient que l’article 109 de la loi pour la transition écologique et la croissance verte traduisait l’intention du législateur de permettre aux communes et aux intercommunalités d’investir simultanément en faveur de la transition énergétique mais qu’il fallait le clarifier.

Cette disposition avait toutefois été retirée du projet de loi par les députés en première lecture en commission. Le rapport présenté par la commission des affaires économiques sur le projet de loi justifiait ce retrait par les principes de spécialité et d’exclusivité classiques en matière d’intercommunalité. Ainsi, le Gouvernement et certains parlementaires ont pris position en faveur d’un traitement de l’activité de production d’énergie renouvelable identique à n’importe quelle autre compétence. C’est en pratique également la position retenue par certains services du contrôle de légalité.

Par un très récent jugement du 25 janvier 2024 (TA Rennes, 25 janvier 2024, préfet du Finistère, n° 2300530), le Tribunal administratif de Rennes a retenu la même approche. En effet, celui-ci était saisi d’un déféré préfectoral exercé à l’encontre de la délibération par laquelle une commune avait décidé de prendre des parts au capital d’une société de production d’énergie renouvelable. Le préfet contestait en effet une telle possibilité, la commune ayant transféré à la communauté de communes dont elle relevait « une compétence exclusive en matière de transition écologique et énergétique et plus particulièrement celle consistant à  » soutenir et financer des actions de maîtrise de la demande d’énergie et de production d’énergies renouvelables  » et à  » aménager, exploiter, faire aménager et faire exploiter, participer et/ou soutenir toute installation de production d’énergies renouvelables seul ou avec d’autres partenaires, publics ou privés ».

Le Tribunal administratif a suivi la position du préfet en considérant que la communauté de communes « était substituée de plein droit aux communes qui en sont membres dans toutes leurs délibérations et actes relatifs à cette compétence en matière de production d’énergies renouvelables » et qu’en conséquence, la délibération décidant de la participation de la commune au capital de la société « dont l’objet social consiste en la réalisation, la maintenance et l’exploitation de centrales photovoltaïques au sol, sur toiture ou en ombrière, situées sur le territoire communal, est intervenue dans une matière dont la commune avait décidé de se dessaisir ». Comme les services de l’Etat, le Tribunal applique à la production d’énergie renouvelable les règles classiques applicables en matière de transfert de compétence. On notera toutefois que le Tribunal écarte explicitement l’argument de la commune selon lequel l’article L. 2224-32 du CGCT permet « l’exercice d’une compétence partagée des communes et des EPCI s’agissant de la participation au capital d’une société de production d’énergie renouvelable » mais en observant qu’il en juge ainsi « compte tenu du transfert volontaire et intégral de cette compétence à la communauté de communes ».

Cette analyse implique ainsi que le Tribunal admet, au moins implicitement, la possibilité, non pas d’un exercice concurrent de la compétence entre une commune et un EPCI sur un même objet, mais d’un transfert partiel de la compétence au profit de l’EPCI, permettant ainsi d’intégrer a minima un peu de souplesse. Une souplesse insuffisante quoique bienvenue pour les besoins du développement des énergies renouvelables.

III.- Les limites d’une telle lecture de l’article L. 2224-32 du CGCT

Cette approche consistant à « plaquer » à la production d’énergie renouvelable le régime « classique » applicable aux autres compétences ne s’impose pas nécessairement selon nous.

D’abord, le caractère a minima partagé de la compétence en matière de production d’énergie renouvelable voire sa qualité de faculté d’intervention peuvent en effet se déduire de la rédaction de l’article L. 2224-32 du CGCT aux termes duquel « les communes, sur leur territoire, et les établissements publics de coopération, sur le territoire des communes qui en sont membres » peuvent intervenir en la matière. Cette rédaction, que l’on ne rencontre pas ailleurs dans le CGCT, pourrait être interprétée comme habilitant les EPCI et syndicats à intervenir dans le domaine des énergies renouvelables en dehors de tout transfert de compétence. Il existe en effet a contrario d’autre dispositions légales qui prévoient expressément qu’un transfert des communes vers l’EPCI est nécessaire (voir par exemple en matière d’énergie les articles L. 2224-37 et 2224-38 du CGCT ou encore l’article L. 1425-1 du CGCT en matière de communications électroniques), ce qui appuie la théorie selon laquelle a contrario, en matière de production d’énergie renouvelable, un transfert de compétence n’est pas nécessaire puisque la rédaction de l’article en cause ne reprend pas ces termes. C’est d’ailleurs le sens d’une question posée par un parlementaire, mais restée sans réponse et finalement retirée pour cause de fin de mandat (QE n°00602, JO Sénat, 07 juillet 2022, p.3384).

Ensuite, au-delà de l’interprétation de l’article L. 2224-32 du CGCT qui permet la création d’installations de production d’énergie renouvelable, la question se pose en des termes encore un peu différents s’agissant des dispositions susmentionnées consacrant la possibilité pour les différents échelons de collectivités territoriales et leurs groupements de prendre des participations dans des sociétés de production d’énergie renouvelable. En effet, l’article L. 2253-1 du CGCT susvisé applicable aux communes et à leurs groupements dispose : « les communes et leurs groupements peuvent, par délibération de leurs organes délibérants, participer au capital d’une société anonyme ou d’une société par actions simplifiée dont l’objet social est la production d’énergies renouvelables ou d’hydrogène renouvelable ou bas-carbone définis à l’article L. 811-1 du code de l’énergie par des installations situées sur leur territoire ou, pour une commune, sur le territoire d’une commune limitrophe ou, pour un groupement, sur le territoire d’un groupement limitrophe ».,La rédaction de ces dispositions pourrait être lue comme subordonnant la capacité à prendre une telle participation uniquement à un critère géographique, et non à l’exercice d’une compétence en matière de production d’énergie renouvelable.

On notera d’ailleurs que l’étude d’impact de la loi n° 2015-992 du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte ayant introduit ces dispositions précise que le but poursuivi est « la recherche de possibilités concrètes de lever des freins à l’investissement des collectivités locales » et vise les « collectivités territoriales d’implantation du projet », sans ajouter de condition tenant à ce qu’elles détiennent une compétence en matière de production d’énergies renouvelables justifiant la prise de participation dans une société présentant un tel objet. Plus encore, s’agissant des régions et des départements, comme on l’a vu ci-avant (cf. supra I), elles ne sont pas concernées par l’article L. 2224-32 du CGCT et ne tirent leur faculté d’intervention en matière de production d’énergie renouvelable que des dispositions de la loi Grenelle 2 qui s’avèrent beaucoup plus limitées s’agissant des débouchés possibles, seule l’autoconsommation ou la vente dans le cadre du dispositif d’obligation d’achat étant prévues par ladite loi. Or, pour prendre l’exemple des départements, le CGCT prévoit qu’« un département peut, par délibération de son organe délibérant, détenir des actions d’une société anonyme ou d’une société par actions simplifiée dont l’objet social est la production d’énergies renouvelables […] ».

Si l’on transpose la solution retenue par le Gouvernement et par le Tribunal administratif de Rennes, les départements et les régions ne pourraient prendre des participations au capital de sociétés de production d’énergie renouvelable que dans les limites de leurs compétences respectives, et donc uniquement si les installations déployées par les sociétés étaient destinées à des montages d’autoconsommation au profit du département ou de la région concerné ou s’inscrivaient dans une logique de revente dans le cadre du mécanisme d’obligation d’achat. A l’évidence, tel ne sera pas le cas dans la majeure partie des hypothèses. On voit ici les limites du raisonnement tenu par l’Etat et le juge et la difficulté d’en faire application aux départements et aux régions. Quoi qu’il en soit, cette lecture de la disposition précitée n’est pas celle retenue par l’Etat qui, dans la réponse ministérielle susvisée, estime que le critère de détention de la compétence s’ajoute au critère territorial posé par l’article L. 2253-1 du CGCT.

Enfin, au-delà de ces arguments juridiques, l’approche retenue par l’Etat et a minima cette décision du Tribunal administratif de Rennes sont unanimement perçues comme un frein à l’interventionnisme local en matière de production d’énergie renouvelable. Alors que les acteurs souhaitant intervenir en matière d’énergie renouvelable gravitent déjà dans un cadre juridique en constante évolution et particulièrement complexe (on pense notamment aux régimes de l’autoconsommation individuelle avec ou sans tiers investisseur, de l’autoconsommation collective, des communautés d’énergie ou encore des contrats d’achat direct d’énergie renouvelable récemment introduits en droit interne et à l’articulation de ces différents régimes entre eux) et qu’il semble urgent et nécessaire de lever les freins, notamment juridiques, au développement des énergies renouvelables, une telle position apparaît en contradiction totale.

Outre l’attente de jurisprudences plus justes sur le sujet, une évolution législative constituerait donc le moyen le plus efficient et le plus sécurisant pour confirmer que la production d’énergie renouvelable ne peut pas être regardée comme une compétence « comme les autres » et doit être consacrée comme un champ d’intervention commun à tous les échelons locaux, et ce y compris de manière concurrente entre les collectivités et les groupements dont elles sont membres.