le 23/01/2020

La CJUE se prononce sur la question du régime de responsabilité applicable en cas de non-respect d’une licence de logiciel (responsabilité délictuelle ou contractuelle) par notre partenaire, le cabinet Lefèvre Avocats

CJUE, 18 décembre 2019, IT Development SAS c. Free Mobile SAS, Affaire C- 666/18

Dans une précédente brève (LAJ n° 100 du 23/09/2019), nous avions eu l’occasion d’évoquer cette question au travers de deux décisions : le jugement du Tribunal de grande instance de Paris ( 3ème ch., 3ème sect.) du 21 juin 2019 et l’arrêt de la Cour d’appel de Paris (pôle 5, ch. 1) du 16 octobre 2018 (n° 17/02679).

Dans cette deuxième affaire, la Cour d’appel de Paris avait saisi la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) d’une question préjudicielle sur laquelle cette dernière s’est prononcée le 18 décembre dernier.

Dans cette affaire, la société Free Mobile SAS était bénéficiaire d’une licence d’utilisation sur un logiciel dont les droits d’auteur étaient détenus par la société IT Development SAS. Cette dernière, reprochant à la société Free Mobile SAS d’avoir modifié le code source du logiciel et d’avoir ainsi violé ladite licence d’utilisation accordée par la société IT Development SAS, avait, pour fonder sa demande indemnitaire, introduit une action en contrefaçon devant le Tribunal de grande instance de Paris.

Le tribunal, se fondant sur le principe de non-cumul des responsabilités délictuelle et contractuelle et se plaçant dans la continuité de la décision Oracle rendue en 2016 (CA Paris, pôle 5, ch., 10 mai 2016, n° 14/25055), a déclaré cette demande irrecevable après avoir constaté que le préjudice invoqué avait pour origine une violation contractuelle.

Un tel raisonnement a eu pour conséquence de permettre aux licenciés poursuivis d’invoquer à leur profit les limitations et plafonds de responsabilité prévus contractuellement et d’exclure ainsi le mode de calcul des dommages-intérêts spécifiquement prévu en cas d’’action en contrefaçon à l’article L. 331-1-3 du Code de la propriété intellectuelle issu de la transposition de la directive 2004/48 et guidant le juge dans la fixation des dommages-intérêts en listant limitativement les critères à prendre en considération pour l’évaluation du préjudice.

C’est dans ce contexte que la Cour d’appel de Paris, saisie par la société IT Development SAS, a, dans un arrêt du 16 octobre 2018, posé à la CJUE la question préjudicielle suivante :

« Le fait pour un licencié de logiciel de ne pas respecter les termes d’un contrat de licence de logiciel (par expiration d’une période d’essai, dépassement du nombre d’utilisateurs autorisés ou d’une autre unité de mesure, comme les processeurs pouvant être utilisés pour faire exécuter les instructions du logiciel, ou par modification du code-source du logiciel lorsque la licence réserve ce droit au titulaire initial) constitue-t-il :

– une contrefaçon (au sens de la directive 2004/48 du 29 avril 2004) subie par le titulaire du droit d’auteur du logiciel réservé par l’article 4 de la directive 2009/24/CE du 23 avril 2009 concernant la protection juridique des programmes d’ordinateur

ou bien peut-il obéir à un régime juridique distinct, comme le régime de la responsabilité contractuelle de droit commun ? »

 

Pour répondre à cette question, la CJUE, dans son arrêt rendu le 18 décembre dernier, a commencé par rappeler que la violation d’une clause d’un contrat de licence de logiciel portant sur des droits de propriété intellectuelle relevait bien de la notion d’« atteinte aux droits de propriété intellectuelle » au sens de la directive 2004/48. Par conséquent, le titulaire desdits droits de propriété intellectuelle « [devait] pouvoir bénéficier des garanties prévues par cette dernière directive, indépendamment du régime de responsabilité applicable selon le droit national ».

La CJUE a ensuite estimé que le régime de responsabilité délictuelle ou contractuelle importait peu du moment que les garanties prévues par cette directive étaient respectées. Or l’une de ces garanties est le mode de calcul des dommages-intérêts (article 13 de ladite directive), transposé en droit français à l’article L. 331-1-3 du Code de la propriété intellectuelle, incompatible avec l’application des limitations et plafonds de responsabilité contractuels.

Ainsi, par sa décision, la CJUE a mis fin à la jurisprudence Oracle qui avait créé une certaine insécurité aux regards des titulaires de droits de propriété intellectuelle sur des logiciels. Désormais, les titulaires de droits pourront fonder l’ensemble de leurs actions sur la contrefaçon, y compris dans le cas d’une violation des termes des licences concédées (dès lors que ladite violation porte sur des droits d’auteur afférents au logiciel), sans risque de se voir appliquer les limitations et plafonds d’indemnisation contractuellement prévus par les licences de logiciels.

Par Audrey Lefèvre et Sara Ben Abdeladhim 
Cabinet Lefèvre Avocats