Eolien: Application de la procédure de régularisation à un arrêté d’autorisation affecté d’un vice de procédure portant sur l’avis d’une autorité environnementale

CAA Douai, 7 février 2019, n° 16DA01704

Par deux arrêts du 7 février 2019, la Cour administrative d’appel de Douai met en œuvre la procédure de régularisation d’une autorisation viciée par l’irrégularité d’un avis d’une autorité environnementale dans le cadre de la délivrance d’une autorisation d’exploiter. Les modalités de cette procédure, visée à l’article L. 181-18 du Code de l’environnement, ont été récemment précisées par le Conseil d’Etat dans un avis du 27 septembre 2018 que nous avions commenté (CE, 27 septembre 2018, n° 420119).

Saisie de deux demandes d’annulation d’arrêtés préfectoraux autorisant l’exploitation d’un parc éolien délivrées par le préfet de la région Picardie, la Cour avait, par deux arrêts avant dire droit du 4 octobre 2018 (CAA Douai, 4 octobre 2018, n°16DA01098 et n°16DA01704), constaté qu’un vice de procédure entachait  d’illégalité les autorisations litigieuses puisque le préfet de région avait à la fois délivré l’avis en tant qu’autorité environnementale et autorisé l’exploitation. Or par une décision du 6 décembre 2017, le Conseil d’Etat a annulé le décret du 28 avril 2016 en tant qu’il désigne le préfet de région comme autorité environnementale (CE, 6 décembre 2017, n°400559).

Les juges de la Cour avaient néanmoins admis que ce vice était susceptible d’être régularisé par une décision modificative, et avaient donc sursis à statuer afin de laisser le temps aux parties de préparer leurs observations, ainsi que le permet l’article L. 181-18 Code de l’environnement. 

Dans les deux arrêts ici examinés du 7 février 2019, la Cour administrative d’appel de Douai confirme la possibilité de régulariser les vices entachant l’autorisation et applique les modalités de régularisation telles que détaillées par le Conseil d’Etat dans son avis, en y ajoutant deux précisions. En effet, l’avis du Conseil d’Etat invitant le juge administratif à fixer lui-même les modalités de régularisation de l’avis, en particulier en ce qui concerne la consultation du public, la Cour administrative d’appel a pu préciser les modalités qu’elle souhaitait appliquer.

En premier lieu, la Cour a indiqué, conformément aux préconisations du Conseil d’Etat  que, à défaut de nouvelles dispositions réglementaires remplaçant les dispositions annulées du décret du 28 avril 2016 et désignant une nouvelle autorité environnementale, il appartenait à la mission régionale de l’autorité environnementale du Conseil général de l’environnement et du développement durable de rendre nouvel avis.

Les juges de la Cour administrative précisent sur ce point que pour procéder à la régularisation, il appartient aux sociétés pétitionnaires de présenter des dossiers de demande d’autorisation à l’autorité désignée, le cas échéant actualisés.   

La Cour rappelle ensuite que l’avis de l’autorité environnementale doit tenir compte d’éventuels changements significatifs du projet et de son environnement. Et si cet avis diffère substantiellement de celui qui avait été porté à la connaissance du public, une enquête publique complémentaire devra être organisée. Dans le cas contraire, une simple publication sur internet suffira. La Cour administrative de Douai suit ici également les recommandations apportées par Conseil d’Etat.

Elle ajoute par ailleurs que l’autorité administrative devra prendre une décision complémentaire après avoir pris connaissance de l’avis de l’autorité environnementale et des observations du public. Les juges de la Cour ont finalement décidé de surseoir à statuer de la légalité des arrêtés attaqués afin de permettre à l’autorité administrative, après avoir pris connaissance du nouvel avis, de régulariser ces actes, dans un délai de 10 mois, par l’adoption de nouvelles autorisations adoptées dans les conditions énoncées par la juridiction.

Précisions relatives au mécanisme d’exécution des travaux de raccordement par le demandeur

Délibération de la Commission de Régulation de l’Energie du 24 janvier 2019 portant avis sur le projet de décret d’application de l’article L. 342-2 du Code de l’énergie relatif à la maîtrise d’ouvrage déléguée des ouvrages de raccordement

 

Par un décret du 13 févier 2019, le Gouvernement a précisé les modalités d’application de l’article L. 342-2 du Code de l’énergie qui, depuis sa modification par l’article 59-2° de la loi n° 2018-727 du 10 août 2018 pour un Etat au service d’une société de confiance (ESSOC), a étendu la possibilité aux consommateurs d’électricité d’assurer la maîtrise d’ouvrage déléguée de travaux de raccordement sur le réseau public de transport et de distribution d’électricité, jusqu’alors réservée aux producteurs. Cet article dispose ainsi :

« Le producteur, ou le consommateur, peut faire exécuter, à ses frais et sous sa responsabilité, les travaux de raccordement sur les ouvrages dédiés à son installation par des entreprises agréées par le maître d’ouvrage mentionné à l’article L. 342-7 ou à l’article L. 342-8 et selon les dispositions d’un cahier des charges établi par ce maître d’ouvrage sur la base de modèles publiés par ce dernier. La mise en service de l’ouvrage est conditionnée à sa réception par le maître d’ouvrage.
Les modalités d’application du présent article sont fixées par décret pris après avis de la Commission de régulation de l’énergie ».

Le décret du 13 février 2019 a été adopté à la suite de l’avis favorable (mais avec réserves) rendu par la Commission de Régulation de l’Energie (CRE) le 24 janvier 2019 sur la base du projet que lui avait soumis le Gouvernement. On relèvera que plusieurs préconisations formulées par la CRE n’ont pas été suivies par le Gouvernement.

Ainsi, le décret du 13 février 2019, crée au sein du Code de l’énergie les articles D.  342- 2- 1 à D. 342-2-5, dont il résulte les principales règles suivantes :

  • L’article D. 342-2-1 du Code de l’énergie définit les ouvrages visés par le mécanisme de délégation de maîtrise d’ouvrage, à savoir les « branchements, […] canalisations électriques aériennes, souterraines ou sous-marines et leurs équipements terminaux qui, à leur création, ne concourent ni à l’alimentation ni à l’évacuation d’autres installations que celles du demandeur ». 

A cet égard, Le Gouvernement n’a pas suivi la recommandation de la CRE qui proposait de viser, outre les branchements, les « canalisations électriques nouvellement créées ou créées en remplacement d’ouvrages existants dans le domaine de tension de raccordement ou canalisations électriques nouvellement créées dans le domaine de tension supérieur ».

  • L’article D. 342-2-2 du Code de l’énergie précise le contenu du contrat, qualifié de mandat, et qui doit être conclu entre le maître d’ouvrage et le demandeur du raccordement. Celui-ci doit prévoir :

    • « les ouvrages dédiés qui font l’objet du contrat ;
    • celles des études préliminaires ou des procédures de déclaration ou d’autorisation qui font l’objet du contrat ou les modalités de paiement de celles réalisées par le maître d’ouvrage ; 
    • les modalités de coordination ; 
    • les pouvoirs de contrôle dévolus au gestionnaire du réseau public d’électricité ; 
    • les exigences techniques et contractuelles à respecter pour la réalisation des travaux de raccordement ».

Le Gouvernement n’a pas suivi la recommandation de la CRE visant à ce que ce contrat soit intégré à la Documentation Technique de Référence (DTR) des gestionnaires de réseau, que les procédures de traitement des demandes de raccordement soit adaptées en conséquence, et que les modèles de contrat fassent l’objet d’une concertation publique.

Dans son avis, la CRE avait également préconisé au Gouvernement d’étendre la catégorie des maîtres d’ouvrages concernés par ce dispositif de mandat aux Autorités Organisatrices de la Distribution Publique d’Electricité (AODE).
Cependant, dans la mesure où l’article L. 342-2 du Code de l’énergie ne vise lui-même que les gestionnaires du réseau de distribution et de transport d’électricité, un décret n’aurait, à notre sens, pas pu étendre le champ d’application fixé par ces dispositions législatives. Il est donc cohérent que le décret n’ai pas étendu le champ d’application du mandat aux AODE.

La CRE avait enfin relevé que la notion de « mandat » n’était pas adéquate compte tenu des caractéristiques de la relation contractuelle organisée en l’espèce entre le maître d’ouvrage et le demandeur. Ceci étant, là encore, le Gouvernement a maintenu cette notion.

  • L’article D. 342-2-3 du Code de l’énergie prévoit l’exécution des travaux par une entreprise agréée par le maître d’ouvrage et selon un cahier des charges, annexé au contrat de mandat, approuvé par la CRE et publié par le GRD. Cet article prévoit en outre que le contrat de mandat doit également être approuvé par la CRE.
  • L’article D. 342-2-4 du Code de l’énergie précise que le demandeur contracte « au nom et pour le compte » du GRD, que le demandeur est redevable du prix des ouvrages, et que la réfaction ne peut être supérieure à celle précisée dans la proposition de raccordement du maître d’ouvrage. Cet article précise également que le gestionnaire de réseau supporte le coût de l’achat de fournitures et de la maintenance si elle est confiée au demandeur.

Le Gouvernement n’a pas suivi sur ce point également la recommandation de la CRE qui recommandait d’exclure l’achat de fournitures et de prestations de maintenance du contrat mandat puisqu’il ne porte que sur des travaux et non sur l’exploitation des ouvrages.

  • Enfin, l’article D. 342-2-5 du Code de l’énergie prévoit que la réception des ouvrages sans réserves par le GRD met fin à la responsabilité du demandeur sur ces derniers, et que le demandeur supporte, en tout état de cause, les coûts « échoués » résultant de l’échec de la mise en service de son installation.

Ces dispositions sont entrées en vigueur le 16 février 2019.

Nouvelles décisions du juge judiciaire relatives aux colonnes montantes

CA Grenoble , 29 janvier 2019, n° 17/00871,

CA Aix-en-Provence, 14 février 2019, n° 16/11959.

 

Si la loi ELAN (loi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique) a récemment clarifié pour l’avenir les règles de propriété applicables aux colonnes montantes électriques (voir notamment notre Lettre d’actualité juridique énergie et environnement de décembre 2018), un certain nombre de contentieux relatifs à la gestion de ces ouvrages, introduits avant la promulgation de ladite, demeurent pendants.

Trois décisions ont ainsi été récemment rendues par le juge judiciaire. Les solutions qu’elles retiennent confirment les tendances jurisprudentielles qui se dégageaient avant la promulgation de la loi ELAN et aux termes desquelles le juge judiciaire et le juge administratif sont désormais unanimes pour considérer que  :

  • les textes antérieurs à ladite loi ELAN, à savoir la loi n° 46-628 du 8 avril 1946 sur la nationalisation de l’électricité et du gaz et le décret n° 46-2503 du 8 novembre 1946 relatif aux colonnes montantes d’électricité, ont posé un principe général d’incorporation des colonnes montantes électriques au réseau public de distribution d’électricité ;
  • le mécanisme d’abandon des colonnes montantes posé par l’article 15 du modèle de cahier des charges de concession approuvé en 1992 par EDF et la Fédération Nationale des Collectivités Concédantes et des Régies (FNCCR) ne conditionne cet abandon à aucune condition de forme ou de fond, tenant notamment à la remise en état préalable des colonnes montantes.

Ainsi, dans sa décision du 20 décembre 2018, la Cour d’appel de Paris était saisie d’un litige relatif à l’obligation de renouvellement de plusieurs colonnes montantes électriques équipant des immeubles appartenant à un Office Public de l’Habitat (OPH) et ayant été endommagées par un incendie. Après avoir réalisé une intervention en urgence pour mettre en sécurité ces ouvrages, le Gestionnaire du Réseau de Distribution (ci-après, GRD), la société Enedis en l’occurrence, a refusé de procéder aux travaux de renouvellement des colonnes montantes concernées «  faisant valoir que les colonnes montantes en question ne faisaient pas partie des ouvrages en concession mais appartenaient à la copropriété et que dès lors, tous travaux sur les colonnes électriques ainsi que leur entretien sont à la charge et sous la responsabilité de leur propriétaire, ce, conformément au cahier des charges de concession ». L’office public a alors fait assigner le GRD devant le tribunal de grande instance afin d’obtenir qu’il soit condamné à procéder aux travaux de remise en état des colonnes montantes des immeubles.

Si le Tribunal avait rejeté en première instance la demande de l’office, la Cour d’appel de Paris y fait droit en relevant que le décret du 8 novembre 1946 précité « pose le principe de l’incorporation des colonnes montantes dans le réseau public de distribution d’électricité, indépendamment de la date de signature de la concession localement applicable, sauf pour celles dont le propriétaire veut expressément conserver la propriété » et que « la charge de la preuve de l’exclusion de la colonne montante de la concession de la distribution publique d’électricité incombe donc à la société Enedis, laquelle doit démontrer que le propriétaire a voulu conserver la propriété de la colonne montant ». Faute pour la société Enedis d’apporter une telle preuve en l’espèce, la Cour la condamne sous astreinte à réaliser, à ses frais et sous sa responsabilité, les travaux de remise en état des colonnes montantes des immeubles.

Pour sa part, la Cour d’appel de Grenoble était également saisie d’un litige concernant l’obligation de renouvellement d’une colonne montante électrique vétuste équipant un immeuble acquis par un OPH, dans un contexte dans lequel l’OPH avait, sur la base de l’article 15 du cahier des charges annexé au contrat de concession relatif à la distribution publique d’électricité localement applicable, procédé à l’abandon de ses droits sur les colonnes montantes électriques. Le jugement de première instance qui avait débouté l’office de sa demande de condamnation du GRD à réaliser des travaux de rénovation de la colonne montante électrique est annulé par la Cour d’appel dans sa décision du 29 janvier 2019.

Tout en rappelant, comme la Cour d’appel de Paris, le principe de l’incorporation des colonnes montantes au réseau public de distribution d’électricité posé par la loi du 8 avril 1946 et le décret du 8 novembre 1946 précités, la Cour d’appel de Grenoble confirme au sujet de l’abandon que « Ce droit d’abandon n’est contractuellement soumis à aucune condition de fond tenant en particulier à l’état de l’ouvrage » pour en déduire que « La société Enedis ne peut donc pas subordonner la validité de l’abandon de droits à son acceptation et à une remise en état préalable de la colonne montante ». Là encore, la société Enedis est condamnée sous astreinte à réaliser les travaux de renouvellement.

Enfin, la Cour d’appel d’Aix-en-Provence était saisie d’une hypothèse identique concernant le recours introduit par un syndicat de copropriétaires et ayant pour objet de faire condamner la société Enedis à la rénovation de colonnes montantes électriques alimentant un immeuble. Le syndicat de copropriétaires avait, lui aussi, notifié audit GRD sa décision d’abandonner les colonnes montantes électriques équipant l’immeuble, sur la base du cahier des charges annexé au contrat de concession applicable. Si le Tribunal avait, en première instance, débouté le syndicat de copropriétaires, la Cour d’appel accueille sa demande. Pour ce faire, elle rappelle d’abord que la loi du 8 avril 1946 et le décret du 8 novembre 1946 ont « fait naître au bénéfice des propriétaires une présomption d’incorporation des colonnes montantes au réseau public, la preuve contraire devant être rapportée par tous moyens justifiant d’un refus express de concession au bénéfice du gestionnaire d’électricité », elle confirme ensuite que la faculté d’abandon n’est pas conditionnée à une remise en état préalable des ouvrages concernés, et condamne enfin la société Enedis à réaliser les travaux.

Ainsi, entre la loi ELAN qui règle l’ensemble des problématiques afférentes aux colonnes montantes électriques pour l’avenir, et ces confirmations jurisprudentielles de l’interprétation qu’il y a lieu de retenir de l’état du droit antérieur à la loi ELAN, le régime applicable à ces ouvrages parait désormais largement clarifié et stabilisé.

Ouverture d’une nouvelle consultation publique de la CRE sur les tarifs d’utilisation des réseaux de gaz naturel et d’électricité

La Commission de régulation de l’énergie (CRE) a ouvert le 20 février dernier une consultation publique portant sur le « cadre de régulation tarifaire applicable aux opérateurs d’infrastructures régulées en France ».

En préparation des futurs tarifs d’utilisation des réseaux de gaz naturel et d’électricité, la CRE a souhaité lancer une réflexion générale sur la composante de ces tarifs liée aux « mécanismes de régulation incitative » pluriannuels avec l’ensemble des acteurs des réseaux de gaz naturel et d’électricité.

Pour la CRE, l’objectif de ces mécanismes est triple :

  • « Maîtriser dans la durée l’évolution des coûts de réseaux qui représentent une part importante de la facture du consommateur final »
  • « Permettre aux gestionnaires d’infrastructures de financer dans la durée les investissements dans les réseaux » ;
  • « Atteindre et maintenir un haut niveau qualité de service et d’alimentation ».

Dans une note technique et son annexe, la CRE fait le bilan des mécanismes mis en œuvre jusqu’à aujourd’hui dans le cadre de ses décisions sur les tarifs d’utilisation des réseaux de gaz et d’électricité. Elle identifie également les défis à venir, et propose des pistes de réflexions ainsi que des propositions d’évolution du cadre de régulation tarifaire.

Les acteurs concernés ont jusqu’au 31 mars prochain pour participer à cette consultation, et répondre, le cas échéant, aux 33 questions posées par la CRE.

Jurisprudence administrative sur les certificats d’économie d’énergie

CAA Paris, 21 février 2019, Société Séolis, n° 17PA01507.

Dans deux affaires récentes, le Conseil d’Etat et la Cour administrative d’appel de Paris ont complété la jurisprudence abondante sur les Certificats d’Economie d’Energie (ci-après « CEE »).

Pour rappel, les fournisseurs d’électricité (dont les ventes dépassent 400 millions de kilowattheures par an[1]) sont soumis, en vertu de l’article L. 221-1 du Code de l’énergie, à des obligations d’économies d’énergie et peuvent s’en libérer en produisant des CEE obtenus ou acquis.

Les modalités de délivrance des CEE par le ministre de l’énergie sont encadrées aux articles R. 221-14 à R. 221-25 du Code de l’énergie. Un arrêté du 29 décembre 2010 fixe la composition d’une demande de délivrance de CEE, et impose notamment au demandeur la production de justificatifs pour chaque opération d’économie d’énergie réalisée.

Dans l’arrêt commenté de la Cour administrative d’appel de Paris en date du 21 février 2019, la société Séolis a interjeté appel du jugement du Tribunal administratif de Paris du 9 mars 2017 rejetant sa requête d’annulation de la décision du ministre en charge de l’énergie du 30 septembre 2015 portant refus de la délivrance de CEE.

La question principalement posée à la Cour était de savoir, dans cette affaire, quelles sont les preuves pouvant être apportées par le demandeur de CEE aux fins de justifier, conformément à l’article R. 221-22 du Code de l’énergie, son « rôle actif et incitatif » dans la réalisation d’une opération d’économie énergie.

Aux termes de l’article R. 221-22 du Code de l’énergie, est considéré comme un rôle actif et incitatif « toute contribution directe, quelle qu’en soit la nature, apportée, par le demandeur ou par l’intermédiaire d’une personne qui lui est liée contractuellement, à la personne bénéficiant de l’opération d’économies d’énergie et permettant la réalisation de cette dernière ».

Cette contribution peut être démontrée à l’appui d’une « description de la contribution du demandeur », de « la justification que cette contribution est directe et intervenue antérieurement au déclenchement de l’opération », ou d’« une attestation sur l’honneur signée par le bénéficiaire de l’opération […] » (cf. annexe de l’arrêté du 29 décembre 2010 précité).

Rejetant sept moyens d’annulation de la société Séolis, la Cour a néanmoins retenu que le ministre en charge de l’énergie avait en l’espèce commis une erreur d’appréciation sur les opérations d’économie d’énergie réalisées par Séolis pour six de ses clients.

En effet, la société Séolis a produit, en appel, les factures, attestations d’honneur ainsi qu’un rapport délivré aux clients concernés avant la réalisation des travaux, et portant sur un « diagnostic gratuit de l’état du logement de l’intéressé réalisé sur place » et des « préconisation(s) pour l’amélioration de son isolation et de ses équipements ». La Cour a donc jugé que ces rapports étaient suffisants pour démontrer le rôle actif et incitatif de la société Séolis concernant les opérations des six clients concernés.

En revanche, la Cour n’a pas retenu les autres justificatifs produits par la société Séolis, considérés comme insuffisamment probants, à savoir des contrats de partenariat commercial conclus avec des sociétés tierces, des lettres d’information annexées aux factures d’électricité des abonnés, ou encore des attestations de fin de travaux.

Annulant le jugement attaqué, la Cour a également fait droit aux conclusions à fins d’injonction de la société Séolis en enjoignant au ministre chargé de l’énergie de réexaminer les demandes de la société concernant les opérations des six clients susmentionnés dans un délai de deux mois.

En effet, le manquement aux obligations d’économies d’énergies par ses assujettis peut faire l’objet de sanctions, notamment pécuniaire, en application des articles L. 222-1 du Code de l’énergie et suivants, et ce après mise en demeure du ministre de l’énergie.

Dans l’autre décision commentée, rendue par le Conseil d’Etat le 15 février 2019, le ministre en charge de l’énergie s’est pourvu en cassation contre un arrêt du 2 février 2017 de la Cour administrative d’appel de Versailles ayant annulé la pénalité que le ministre avait infligé à la société d’exploitation et de distribution d’énergie parisienne (SEDEP) d’un montant de 138.298,76 euros.

Dans cette affaire, le Conseil d’Etat a considéré que la Cour n’avait pas pu retenir que la société SEDEP « avait déposé des demandes permettant de justifier de la réalisation effective d’actions d’économies énergie, sans être invitée par l’administration compétente à compléter ces demandes dans un délai donné et, d’autre part, […] sans que l’administration remette en cause la réalité des actions ainsi déclarées » par cette société.

En effet, il était constant, d’après les pièces du dossier soumis au Conseil d’Etat, que la société SEDEP ne s’était pas conformée à ses obligations d’économie d’énergie dans les délais exigés, et qu’elle n’avait pas donné suite à la mise en demeure de les satisfaire adressée par le ministre de l’énergie.

Le Conseil d’Etat a donc annulé l’arrêt attaqué et renvoyé l’affaire devant la Cour administrative de Versailles.

[1] Cf. article 221-3-5° du code de l’énergie

Un nouveau projet de loi du Gouvernement sur le climat et l’énergie et une nouvelle proposition de loi visant à instaurer un droit effectif à l’accès à l’énergie et à lutter contre la précarité énergétique

Un nouveau projet de loi sur le climat et l’énergie a été dévoilé par le Gouvernement lors de sa saisine pour avis du Conseil Economique, Social et Environnemental (CESE), puis du Conseil National de la Transition Ecologique (CNTE), en février dernier.

Cinq chapitres, comprenant chacun un article unique, composent ce nouveau projet de loi dans sa version transmise au CESE et au CNTE.

Le chapitre Ier a pour objet de réviser les objectifs de la politique énergétique et climatique fixés par la loi n° 2015-992 du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte.

L’objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre du pays est réévalué à la hausse (d’une division par quatre d’ici 2050 par rapport au niveau de 1990 à la « neutralité carbone à l’horizon » 2050), ainsi que l’objectif intermédiaire de réduction en 2030 des consommations d’énergie (de 20 à 17 % par rapport au niveau de 2012). 

Est augmentée de 30 à 40 % la baisse des consommations d’énergie fossile prévue à l’échéance 2030.

En revanche, l’échéance de la baisse de la part de l’énergie nucléaire à 50 % de la production nationale d’électricité est reculée de 2025 à 2035.

Le chapitre II prévoit la création d’un Haut Conseil pour le Climat, placé auprès du Premier ministre mais ne pouvant recevoir d’instruction de la part du Gouvernement, composé de 13 personnalités et ayant pour mission d’établir un rapport sur la politique climatique.

Le chapitre III prévoit de nouvelles mesures de simplification en faveur du développement des énergies renouvelables concernant notamment le rôle à jouer par l’autorité environnementale visée aux articles L. 122-1 et suivants du Code de l’environnement.

Le chapitre IV vient renforcer la lutte contre la fraude aux certificats d’économies d’énergies, notamment par la possibilité ouverte au ministre de l’énergie d’imposer un contrôle au demandeur de CEE par un organisme tiers.

Enfin, le chapitre V prévoit l’habilitation du Gouvernement pour transposer en droit national, par voie d’ordonnance, les nouvelles et futures directives européennes, et adapter le droit national aux nouveaux et futurs règlements européens, relevant tous du Paquet intitulé « Une énergie propre pour tous les européens » (voir notre dernier point sur le sujet dans notre Brève du 10 janvier 2019).

Saisi uniquement sur l’article 1er du projet de loi, le CESE a adopté un avis sur le projet de loi le 20 février dernier dans lequel la révision des objectifs de la politique énergétique et climatique est critiquée. Et, s’autosaisissant de l’article 2 du projet de loi, le CESE déplore également la création d’un Haut Conseil pour le Climat, mesure que le Conseil considère insuffisante.

Quant au CNTE, ce dernier a rendu un avis favorable, le 21 février dernier, sur le projet de loi, même si certains  de ses membres demandent que la transposition en droit national du Paquet européen « Une énergie propre pour tous les européens » fasse l’objet d’un véritable débat au Parlement au lieu d’une transposition par voie d’ordonnance.

Enfin, on relèvera également le dépôt en date du 22 janvier dernier au Sénat d’une proposition de loi visant à instaurer un droit effectif à l’accès à l’énergie et à lutter contre la précarité énergétique

Cette proposition vise à consacrer l’accès à l’énergie comme un droit fondamental pour les Français et prévoit un principe général d’interdiction des coupures de gaz et d’électricité pour les ménages en situation de précarité énergétique. Elle propose également la suppression de certaines taxes pour les ménages précaires[1] ainsi que l’application d’un taux de TVA réduit à 5,5 % aux tarifs de l’énergie.

 

 

[1] Seraient concernées la contribution au service public de l’électricité (CSPE) et la taxe intérieure de consommation sur le gaz naturel (TICGN).

Quels fonds de concours pour les syndicats d’électricité ?

Le Tribunal administratif de Lyon est récemment venu réfuter une analyse des services de l’Etat en matière de financement par fonds de concours des actions menées par un syndicat d’électricité ou de l’un de ses membres. Cette décision est l’occasion de revenir sur ce qui semble être une « incompréhension originelle » du fonctionnement des syndicats et des règles qui leur sont applicables, et en particulier des syndicats d’énergie.

I/ Rappel du contexte

Jusqu’à une évolution récente, l’article L. 5212-26 du Code général des collectivités territoriales (CGCT) prévoyait que des fonds de concours pouvaient être versés par un syndicat autorité organisatrice de la distribution d’électricité à ses membres ou, inversement, par les membres au Syndicat « afin de financer la réalisation ou le fonctionnement d’un équipement public local », sans autre précision quant à la finalité du financement.

Sur cette base, les syndicats en cause ont notamment bénéficié de fonds versés par leurs membres au titre de leurs compétences en matière, notamment, d’éclairage public ou d’infrastructures de recharge pour véhicules électriques. Or les services de l’Etat sont récemment venus contester ces versements, en adoptant une interprétation restrictive et, selon nous, juridiquement discutable, du texte susvisé. Ainsi, affirmant que les fonds de concours « sont une exception au principe d’exclusivité », le texte susmentionné de l’article L. 5212-26 devait, à suivre la doctrine administrative, se lire comme restreignant « le champ d’action du fonds de concours à la compétence d’autorité organisatrice de la distribution publique d’électricité du syndicat » (Question orale n° 0270S, réponse au JO Sénat du 04/07/2018 – page 8812).

Autrement dit, selon cette analyse, seuls des financements au titre de la compétence électricité seraient possibles. Et des préfectures ont suivi ce raisonnement, allant pour certaines jusqu’à déférer des délibérations décidant du versement de fonds de concours dans des domaines autres que l’électricité.

C’est ainsi que le Tribunal administratif de Lyon a été amené à se prononcer sur le sujet.

II/ Une analyse discutable des dispositions applicables aux syndicats d’électricité, illustration d’une mauvaise compréhension du régime juridique des syndicats.

L’analyse ainsi formulée nous paraît témoigner de plusieurs incompréhensions d’ordres juridique et technique.

Première incompréhension, qui ne concerne pas d’ailleurs que les syndicats d’électricité mais l’ensemble des syndicats : le régime juridique de financement de ces structures de coopération.

Les fonds de concours sont en effet systématiquement présentés comme une dérogation au principe d’exclusivité car celui-ci prohiberait l’insertion, dans le budget des membres d’une structure intercommunale, de dépenses relatives à une compétence transférée à l’intercommunalité.

Effectivement, cette analyse vaut naturellement pour les EPCI à fiscalité propre : financés par la fiscalité locale, ces établissements n’ont pas par principe vocation à percevoir des subsides de la part de leurs communes membres. De sorte qu’une disposition législative apparaît indispensable pour qu’un tel EPCI puisse recevoir et attribuer des fonds de concours.

S’agissant des syndicats en revanche, le raisonnement ne peut être parfaitement identique : en effet, le principe de spécialité interdit par principe aux syndicats de financer des compétences qui ne leur auraient pas été confiées ; dès lors, pour attribuer des fonds de concours à leurs membres, une dérogation légale est certes indispensable. En revanche, la réciproque n’est pas exacte : les syndicats ne bénéficiant pas d’une fiscalité ménage contrairement au EPCI à fiscalité propre, leur financement, en particulier pour l’accomplissement de leurs services publics administratifs, est, par principe, assuré par des contributions des membres. En d’autres termes, le budget des membres d’un syndicat gérant un SPA comporte des dépenses relatives à la compétence transférée, qualifiées de contributions. L’existence d’une disposition légale autorisant les fonds de concours n’est alors pas une exception au principe d’exclusivité mais une dérogation d’ordre comptable : le financement est ainsi inscrit en section d’investissement et non en section de fonctionnement.

Or le raisonnement retenu semble faire abstraction de ce que le principe d’exclusivité n’empêche pas l’inscription de dépenses liées aux compétences syndicales dans le budget des membres du syndicat, en l’occurrence le montant des contributions.

La deuxième incompréhension est elle aussi d’ordre juridique. L’article L. 5212-26, on l’a vu, ne limite à aucun moment la possibilité de verser des fonds de concours à la seule compétence AODE puisqu’il est seulement fait référence au financement d’un « équipement public local ». Plus exactement, il est fait référence à la possibilité pour un Syndicat visé à l’article L. 5212-24, c’est-à-dire ayant la qualité de syndicat AODE, de mettre en place, avec ses membres, des fonds de concours. Aussi, l’article L. 5212-26 du CGCT se borne simplement à habiliter une catégorie de Syndicats, les Syndicats disposant de cette compétence AODE, à user de la faculté de bénéficier ou de verser des fonds de concours mais sans limiter la compétence à laquelle l’équipement financé est rattaché. Dit autrement, l’article L. 5212-26 pose uniquement une condition de nature « organique » visant à permettre aux seuls syndicats AODE la mise en place ces fonds de concours. D’ailleurs, quand le législateur souhaite cantonner le fonds de concours à un type de travaux ou de biens, il le formule expressément : ainsi l’article L. 5722-10 du CGCT ne permet de financer que « la réalisation d’équipements ressortissant à la compétence transférée » et l’article L. 5722-11 du CGCT permet le fonds de concours que pour « l’établissement d’un réseau de communications électroniques […] pendant une durée maximale de trente ans ».

Inversement, les EPCI à fiscalité propre peuvent eux aussi mettre en place des fonds de concours pour financer la réalisation ou le fonctionnement d’un équipement et il est acquis que cela permet à cet EPCI de financer tout équipement d’une commune membre demeuré de son ressort et, en réciproque, à une commune de financer tout équipement intercommunal.

Au demeurant, l’analyse qui consiste à limiter les financements envisageables à la seule compétence AODE rend purement et simplement impossible l’application de cet article s’agissant des financements par le Syndicat des projets de ses membres. En effet, l’article en cause prévoit des flux financiers dans les deux sens, des membres vers le Syndicat d’une part, des syndicats vers les membres d’autre part, ce qui, dans cette seconde hypothèse et comme évoqué plus haut, constitue bien une atteinte au principe de spécialité : par définition, le Syndicat sera nécessairement conduit à financer des compétences demeurées communales et donc, nécessairement, une compétence autre que celle d’AODE.

Dès lors, cantonner le dispositif de l’article L. 5212-26 du CGCT à la seule compétence AODE conduirait à ce qu’un syndicat soit dans l’impossibilité de pouvoir financer des équipements communaux, puisque, par définition, les communes membres d’un syndicat AODE ne construisent pas d’équipements liés à la compétence AODE, celle-ci ayant été transférée au Syndicat.

Le Tribunal administratif de Lyon n’a d’ailleurs pas suivi cette analyse, pourtant également retenue par son rapporteur public, et a pu indiquer que, « contrairement à ce que soutient le préfet de la Loire, le versement de fonds de concours n’est pas limité aux domaines qui relèvent de sa compétence d’autorité organisatrice de la distribution publique d’électricité du syndicat.[…] Par suite, la délibération attaquée pouvait prévoir, pour le financement des travaux d’éclairage public et de bornes de recharge pour véhicules électriques, le versement de fonds de concours par les communes membres ».

La troisième incompréhension dont paraît attester l’interprétation des textes en question est, elle, davantage technique : en réfutant la possibilité offerte aux syndicats d’électricité de percevoir des fonds de concours dans des domaines autres que l’électricité, le lien pourtant indissociable entre réseau électrique et d’éclairage public notamment est totalement nié. Ainsi par exemple, des cahiers des charges de concession de distribution d’électricité prévoient que des ouvrages d’éclairage public font partie des ouvrages concédés.

Pour tous ces motifs, on ne peut que se féliciter de la décision du Tribunal qui, non seulement est en parfaite cohérence avec le texte examiné et le régime juridique des syndicats et de leurs fonds de concours mais, d’un point de vue très concret, a conduit à ne pas remettre en cause le financement de projets que les communes membres n’auraient pas eu la capacité d’autofinancer, sans pouvoir recourir à l’emprunt.

III/ Quelle mise en œuvre du nouveau texte applicable ?

La portée de la décision est toutefois limitée en ce qu’elle vaut pour une version désormais modifiée de l’article L. 5212-26 du CGCT.

Car, face à l’insécurité dans laquelle l’analyse de l’Etat plaçaient les syndicats d’électricité, des parlementaires dans une démarche bien compréhensible ont adopté un amendement en loi de finances pour 2019, qui est venu compléter l’article L. 5212-26 du CGCT. Celui-ci prévoit désormais que les fonds de concours entre un syndicat d’électricité et ses membres sont possibles pour « financer la réalisation ou le fonctionnement d’un équipement public local en matière de distribution publique d’électricité, de développement de la production d’électricité par des énergies renouvelables, de maîtrise de la consommation d’énergie ou de réduction des émissions polluantes ou de gaz à effet de serre ». Le texte limite donc désormais explicitement les financements aux actions dans les domaines qu’il cite, ce qui appelle plusieurs observations.

En premier lieu, hormis la distribution publique d’électricité, service public prévu à l’article L. 2224-31 du CGCT et comme « compétence », les autres items de l’article ne concernent pas tant des véritables « compétences » ou des services publics clairement identifiés comme l’éclairage public ou les IRVE mais font plutôt référence aux « objectifs » visés par les actions réalisées et financées. Le choix de cette formulation, qui se comprend aisément dans le contexte actuel car elle permet d’assurer le financement des opérations les plus vertueuses, laisse à penser que toutes les actions sur les équipements d’éclairage public, par exemple, ne seraient pas nécessairement susceptibles de fonds de concours.

En l’absence de référence explicite et exclusive à des compétences, se pose alors la question des critères susceptibles d’être retenus pour pouvoir retenir un fonds de concours pour le financement d’un équipement de nature à « maîtriser la consommation d’énergie » notamment. Cela soulève aussi et surtout la question du pouvoir d’appréciation du contrôle de légalité dans l’examen des délibérations des collectivités en la matière, qui évaluerait si un équipement permet bien, conformément à la condition posée par le texte, d’assurer cette maîtrise énergétique.

Cette formulation de l’article dispose en revanche d’un avantage indéniable sur un texte qui aurait fait référence à des compétences clairement identifiées : elle devrait a priori permettre de financer des équipements déconnectés d’une compétence en tant que telle. Nous pensons ici, par exemple, au versement de fonds pour la réalisation de travaux de rénovation énergétique sur les locaux des membres de l’EPCI alors même que l’activité ou l’affectation des locaux ne relève pas d’une compétence intercommunale.

Par Solenne Daucé

 

Réponse ministérielle relative à l’exploitation des réseaux dans le cadre du transfert à un EPCI d’une zone d’activité économique

Une réponse ministérielle, publiée au Journal officiel du Sénat du 17 janvier 2019, revient sur la question de savoir si le transfert d’une zone d’activité à un EPCI entraîne nécessairement le transfert à cet EPCI de la gestion des réseaux de voirie et réseaux divers situés sur cette zone.

Pour rappel, la loi n° 2015-991 du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République, dite loi NOTRe, a organisé le transfert de plein droit aux Communautés de communes (article L. 5214-16 du CGCT) et aux Communautés d’agglomération (article L. 5216-5 du même Code), en lieu et place des communes, de la compétence de « création, aménagement, entretien et gestion des zones d’activité industrielle, commerciale, tertiaire, artisanale, touristique, portuaire ou aéroportuaire » (ZAE).

Au terme d’un tel transfert, il revient à l’EPCI, comme le rappelle le Ministre de la Cohésion des territoires et de la relation avec les collectivités territoriales, de créer les équipements – dont les réseaux – qui permettront le bon fonctionnement de la zone, sans préjudice de ceux qui préexisteraient à l’aménagement.

Pour autant, il est précisé que, à l’issue de l’aménagement de la zone, l’EPCI emportera la gestion des équipements et réseaux divers sur son territoire uniquement s’il détient bien la ou les compétences requises à cette fin. L’exploitation en propre des réseaux par l’EPCI n’est donc pas prévue si l’EPCI n’exerce pas, en sus de la compétence ZAE, une compétence spécifique lui permettant de gérer tel ou tel réseau ou équipement d’infrastructure.

Cette position tranche avec les termes de plusieurs réponses ministérielles passées, aux termes desquelles le transfert intégral de la compétence en matière de ZAE emporte également la compétence en matière de création et d’entretien des « accessoires » intrinsèquement liés à cette zone, comme les réseaux, voire des équipements publics de la zone tels que les espaces verts qui y sont implantés :

 « Il ne paraît en effet pas possible d’extraire de la compétence relative à l’aménagement et à l’entretien des zones d’activités, qui relève du groupe « développement économique », l’aménagement et l’entretien de la voirie desdites zones. Les questions relatives à des infrastructures telles que la voirie des zones d’activités font en effet partie intégrante de la politique globale d’aménagement de ces zones. » (Rép. min. n° 371 : JOAN Q n° 37155 du 28 févr. 2000, p. 1329). 

« La création et l’aménagement d’une zone d’activité, qui peuvent être confiées à une communauté de communes, ne peuvent s’entendre sans que les voies nécessaires à la desserte des bâtiments et terrains destinés à recevoir des entreprises soient construites et entretenues. C’est là un élément majeur. C’est pourquoi la zone d’activité dont l’aménagement, la gestion et l’entretien appartiennent à la communauté doit notamment comprendre un réseau de voirie adéquat. La compétence « aménagement, gestion et entretien des zones d’activité » englobe donc la voirie » (Question orale n ° 0488S, JO sénat du 19 mai 2004).

Et plus largement, sur l’ensemble des réseaux :

« La réalisation de la ZAE comprend également la réalisation des travaux nécessaires à la viabilité et à l’équipement de la zone situés sur la zone tels que la voirie et l’ensemble des réseaux (eau, gaz, électricité, assainissement …). C’est donc à la Communauté d’intervenir et non aux communes membres » (QE n° 341, JO AN 4 novembre 2002).

Cette réponse n’évoque toutefois que la réalisation des équipements et non leur gestion.

Par ailleurs, le Ministre précise que, dans le cadre des procédures relatives aux opérations de lotissement ou aux zones d’aménagement concerté (ZAC), et à l’issue des opérations de commercialisation, ce sont les articles R. 442-7 et R. 442-8 du Code de l’urbanisme qui trouvent à s’appliquer dans le cadre d’un lotissement, et l’article R. 311-7 du même Code dans le cadre d’une ZAC. A la suite de ces articles, les équipements ont vocation à être in fine intégrés dans le patrimoine de la collectivité compétente pour la nature des équipements concernés.

 

Courriel, destinataires et communauté d’intérêts : la difficile application de la notion de publicité

En mars 2017, une directrice d’école envoyait un courriel aux adresses électroniques des parents d’une enfant scolarisée dans l’établissement, en mettant en copie l’inspectrice d’académie ainsi qu’une boîte de réception structurelle de la circonscription ; ce courriel faisait état du compte-rendu du conseil des maîtres au sujet du comportement inadapté de l’enfant et qui concluait à une prise en charge en dehors de l’établissement.

Estimant que leur fille était atteinte dans son honneur et sa considération, les parents, au nom de leur enfant mineur, déposaient plainte et se constituaient parties civiles du chef de diffamation publique envers un particulier.

Le juge d’instruction, constatant que les messages litigieux n’avaient pas été rendus publics et que seule une contravention de diffamation non publique pouvait être retenue, déclarait la plainte avec constitution de partie civile irrecevable (cet acte de poursuite laissé à la prérogative de la victime d’une infraction n’étant juridiquement pas possible pour une contravention).

Les parties civiles relevaient appel de cette décision, laquelle était confirmée par la Chambre de l’Instruction jugeant « que ces deux correspondants, appartenant à l’académie et à l’inspection de l’Éducation nationale, sont indiscutablement liés à l’expéditeur par une communauté d’intérêts, de sorte que la publicité des propos, au sens de l’article 23 de la loi du 29 juillet 1881, n’est pas caractérisée ».

La Cour de cassation, saisie du litige, reconnaît « qu’entre le chef d’un établissement scolaire sous contrat d’association [expéditeur] (…) et les membres de l’inspection académique [certains destinataires] il existe un groupement de personnes liées par une communauté d’intérêts » ; elle casse l’arrêt au motif que « l’identité de toutes les personnes ayant pu prendre connaissance du courriel, comportant en pièce jointe l’écrit incriminé, à partir de la boîte structurelle […] sur laquelle il a été envoyé » n’a pas été recherchée, malgré la demande de la partie civile ».

Pour mémoire, la diffamation, comme toute infraction relevant de la loi de 1881, suppose un élément de publicité défini par l’article 23 de cette même loi.

Traditionnellement, cet élément de publicité est constitué, s’agissant d’un courriel ou d’une correspondance envoyée sous pli fermé, lorsque le message a été adressé à plusieurs destinataires, à condition que ceux-ci ne soient pas réunis au sein d’une même communauté d’intérêts.

A l’inverse, lorsqu’une communauté d’intérêts lie les différents destinataires, la diffusion d’une lettre fermée ou d’un courriel aux seuls membres de ce groupement d’intérêts ne constitue pas une « distribution publique » au sens de l’article 23 et ne caractérise donc pas la publicité au sens de cet article ; à défaut de publicité, les propos peuvent relever de la diffamation non publique, contravention de première classe punie d’une peine d’amende maximale de 38 euros relevant de la compétence du Tribunal de Police, à condition qu’ils aient été adressés dans des conditions exclusives de toute confidentialité (Crim. 14 mai 2013, F-P+B, n°12-84.042).

La notion de communauté d’intérêts, pour retenir ou non la publicité du propos, est habituellement appréciée par les juges et la Cour de cassation entre leurs seuls destinataires – tous les destinataires et rien que les destinataires (Cass. Crim., 26 février 2008, n° 07-84.846 : « les juges en déduisent que la multiplicité des destinataires et l’absence de communauté d’intérêts entre eux ont assuré la publicité de ces écrits au sens de l’article 23 de la loi du 29 juillet 1881 » ; Cass. Crim., 2 septembre 2008, n° 07-88042 ; Cass. Crim., 9 novembre 2010, n° 10-84.345 : « caractérisé la publicité des propos diffamatoires en l’absence de communauté d’intérêts liant les différents destinataires » ; Cass. Crim., 14 décembre 2016, n° 15-85.517).

Or, dans l’espèce commenté, les juges d’appel ont apprécié la communauté d’intérêts entre l’expéditeur et certains destinataires, omettant de surcroît de rechercher les destinataires de l’adresse structurelle et surtout en ignorant la qualité de destinataire des parents de l’enfant visé.

La Cour de cassation casse en précisant que la Cour d’appel aurait dû rechercher les autres destinataires de l’adresse structurelle, mais semble ignorer également la présence des parents dans les destinataires du message.

Cet arrêt ne semble donc pas être d’une stricte orthodoxie juridique quant au régime des correspondances privées.

Le motif d’intérêt général : un obstacle possible à l’injonction de rétrocéder un bien illégalement préempté

Dans cette affaire, l’acquéreur évincé a demandé au titulaire du droit de préemption dont la décision de préemption avait été annulée de bien vouloir proposer l’immeuble en cause au vendeur, dans un premier temps, puis à lui-même, dans un second temps, en se prévalant des dispositions de l’article L. 213-11-1 du Code de l’urbanisme.

La demande de rétrocession de l’acquéreur évincé a fait l’objet d’une décision de refus du titulaire du droit de préemption qu’il a attaqué devant la juridiction administrative.

En effet, l’article L. 213-11-1 du Code précité dispose que :

« Lorsque, après que le transfert de propriété a été effectué, la décision de préemption est annulée ou déclarée illégale par la juridiction administrative, le titulaire du droit de préemption propose aux anciens propriétaires ou à leurs ayants cause universels ou à titre universel l’acquisition du bien en priorité.
[…]
Dans le cas où les anciens propriétaires ou leurs ayants cause universels ou à titre universel ont renoncé expressément ou tacitement à l’acquisition dans les conditions mentionnées aux trois premiers alinéas du présent article, le titulaire du droit de préemption propose également l’acquisition à la personne qui avait l’intention d’acquérir le bien, lorsque son nom était inscrit dans la déclaration mentionnée à l’article L. 213-2 ».

Sur les conclusions d’annulation de la décision de refus de proposer la rétrocession, par application des dispositions précitées, le juge administratif a fait droit à la demande d’annulation de cette décision.

En revanche, au titre des pouvoirs d’injonction qu’il tient des articles L. 911-1 et suivants du Code de justice administrative, saisi de conclusions en ce sens par l’ancien propriétaire ou l’acquéreur évincé, la juridiction administrative peut déterminer et d’ordonner, le cas échéant sous astreinte, les mesures qu’implique nécessairement l’annulation de la décision de refus de rétrocession. Et, dans ce cadre, lorsqu’on l’invite à prescrire une mesure d’exécution dans un sens déterminé, la juridiction administrative statue en tenant compte de la situation de droit et de fait existant à la date de sa décision, de telle sorte qu’elle peut valablement s’appuyer sur un motif d’intérêt général pour refuser la mesure d’exécution sollicitée.

C’est ce qu’a fait le Tribunal administratif de Paris en retenant que la rétrocession présentait à la date du jugement des inconvénients manifestement excessifs par rapport à l’atteinte portée au droit de l’acquéreur évincé et en jugeant que l’atteinte manifeste à l’intérêt général que représentait la rétrocession faisait obstacle à la demande d’injonction de rétrocession.

Et pour cause, en l’espèce, le bien préempté avait déjà fait l’objet de travaux d’aménagement et de réhabilitation importants et l’un des immeubles avait été démoli.

En conséquence, si la juridiction administrative n’a pas fait droit à la demande d’injonction, elle a invité l’acquéreur évincé à se pourvoir devant la juridiction de l’ordre judiciaire d’une action en réparation dirigée contre le titulaire du droit de préemption.

Définition des conditions d’appel en garantie par le constructeur

En 1998, un maître d’ouvrage public a lancé une procédure d’appel d’offre pour de la réalisation de travaux portant modernisation d’une usine d’incinération des déchets. Le lot n° 2 attribué portait sur le traitement des fumées. Durant les travaux, des désordres ont eu lieu, et ont été portée à la connaissance de la maîtrise d’ouvrage. Toutefois, la réception des travaux réalisés est intervenue à effet au 1er juillet 2001, sans réserve.

Le Conseil d’Etat vient dès lors définir les modalités d’appel en garantie du constructeur à l’encontre du maître d’ouvrage et des autres entreprises attributaires de lots, et considère que :

« Lorsque sa responsabilité est mise en cause par la victime d’un dommage dû aux désordres affectant un ouvrage public, le constructeur de celui-ci est fondé, sauf clause contractuelle contraire, à demander à être garanti en totalité par le maître d’ouvrage dès lors que la réception des travaux à l’origine des dommages a été prononcée sans réserve et que ce constructeur ne peut pas être poursuivi au titre de la garantie de parfait achèvement ni de la garantie décennale. Il n’en irait autrement que dans le cas où la réception n’aurait été acquise au constructeur qu’à la suite de manœuvres frauduleuses ou dolosives de sa part ».

En l’espèce, la réception du chantier avait été prononcée avec effet au 1er juillet 2001. Le Conseil d’Etat conclut au fait qu’en ayant eu connaissance des désordres intervenus durant la phase d’exécution des travaux, le maître d’ouvrage, en prononçant une réception sans réserve, doit être vu comme ayant accepté les risques de désordres susceptibles d’intervenir. En conséquence de quoi, le maître d’ouvrage est dès lors tenu de garantir le constructeur titulaire du lot affecté des vices pouvant, par suite, intervenir, et dont l’origine provient, comme en l’espèce, d’une erreur de conception imputable à la maîtrise d’œuvre.

Annulation de la délibération par laquelle la ville de Marseille a décidé de recourir à un accord-cadre de marchés de partenariat

Par un jugement en date du 12 février 2019, le Tribunal administratif de Marseille a annulé la délibération par laquelle la ville de Marseille a approuvé le principe du recours à un accord-cadre de marchés de partenariat pour la réalisation d’une opération de rénovation d’écoles et de construction de nouveaux établissements.

Le Tribunal a tout d’abord jugé que « la délibération par laquelle l’assemblée délibérante d’une collectivité territoriale se prononce sur le choix d’une catégorie contractuelle, tel le marché de partenariat, n’est ni un acte préparatoire, ni un acte détachable du contrat, mais un acte autonome susceptible de faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir », écartant ainsi la fin de non-recevoir soulevée par la ville de Marseille.

Et il a ensuite considéré que, dans les circonstances particulières de l’espèce, la ville de Marseille ne démontre pas, au vu de l’évaluation préalable qu’elle a réalisée, que le recours à un marché de partenariat présente un bilan plus favorable que celui des autres modes de réalisation du projet.

Cette décision témoigne, une fois encore, de ce que l’évaluation préalable du mode de réalisation est un document important, à la rédaction duquel il faut attacher le plus grand soin.

Reconnaissance par le juge administratif de l’imputabilité au service d’un « syndrôme d’intolérance aux champs éléctromagnétiques »

Une pathologie dont la science en réfute l’existence même peut-elle être reconnue imputable au service ? C’est la question qu’a eu à trancher le Tribunal administratif de Cergy Pontoise dans une affaire récente.

Un technicien de la recherche employé par l’Institut national de recherche en sciences et technologies pour l’environnement et l’agriculture (IRSTEA) avait demandé le 17 mai 2011 la reconnaissance de l’imputabilité au service de son syndrome d’intolérance aux champs électromagnétiques, après avoir travaillé à compter du 1er octobre 2006 a proximité d’un spectromètre de masse isotopique, un appareil émettant des champs électromagnétiques.

Sa demande avait été rejetée suivant un avis défavorable de la commission de réforme le 18 septembre 2012, mais cette décision avait été annulée par le Tribunal administratif de Cergy Pontoise pour un vice de procédure tenant à l’avis de la commission de réforme.

Saisi d’une nouvelle demande d’imputabilité, la commission de réforme a cette fois ci émis un avis favorable à la reconnaissance de l’imputabilité au service de ce syndrome, le 15 mars 2016. L’IRSTEA a néanmoins rejeté la demande de l’agent par un arrêté du 1ier juillet 2016, qui constitue la décision attaquée par le requérant

En premier lieu, et après avoir constaté qu’à la date de la décision attaquée, l’agent ne pouvait bénéficier de la présomption légale d’imputabilité des maladies désignées et contractées dans les conditions prévues par l’article L. 461-1 du Code de la sécurité sociale, le Tribunal rappelle dans sa décision qu’il incombe à l’intéressé d’apporter la preuve de l’imputabilité au service de sa maladie par tous moyens de nature à emporter la conviction des juges.

Le Tribunal rappelle ainsi une solution dégagée par le Conseil d’Etat (CE, 29 avril 2013, Mme L, veuve P et Mme P, req n°344749, au recueil) applicable spécifiquement aux militaires atteints d’une affection lente : il revient aux juges du fond, pour le cas où la demande d’imputabilité porte sur une maladie liée à une exposition à un environnement, ou à des substances toxiques, de prendre en considération la nature de cette exposition, les tâches confiées à l’agent, et surtout, les pathologies que cette exposition est susceptible de provoquer. Ainsi, le tribunal précise qu’il lui revient de déterminer « si, au vu des données admises de la science, il existe une probabilité suffisante que la pathologie qui affecte le demandeur soit en rapport avec son activité professionnelle ».

Et le Tribunal précise qu’alors, lorsque cette probabilité suffisante est démontrée, l’administration doit démontrer que la pathologie pourrait avoir été favorisée par des facteurs extérieurs et que ce ou ces facteurs ont été la cause déterminante de la pathologie.

C’est dans ce cadre que le tribunal a d’abord qualifié la symptomatologie du requérant comme une « infection » à évolution lente qui « ne fait pas l’objet d’un consensus médial », « aucune preuve expérimentale solide permettant d’établir un lien de causalité » entre l’exposition aux champs électromagnétiques et des effets à long terme sur la santé.

Toutefois, de façon surprenante, il juge ensuite qu’il « existe une probabilité suffisante que l’hypersensibilité électromagnétique contractée par le requérant soit en rapport avec son activité professionnelle », et ce « en dépit de l’absence de consensus médical, en l’état des connaissances scientifiques, sur un lien de causalité entre les effets à long terme sur la santé et l’exposition aux champs électromagnétiques ».

On ne peut qu’être surpris face à une telle solution, bien que le Tribunal signale qu’elle est fondée sur « les circonstances particulières de l’espèce », qui sont ici une exposition relativement longue à des champs électromagnétiques variés.

Surtout, il n’est pas à exclure qu’elle puisse arguée dans des situations plus courantes, telles que l’utilisation d’un casque de standard sans fil ou la proximité de systèmes de radio ou de télédiffusion, de sorte qu’il deviendrait particulièrement délicat pour les employeurs de démontrer une absence d’imputabilité au service d’une pathologie sur laquelle la science semble encore pourtant très sceptique.

L’interdiction de limiter, dans la publication d’une vacance d’emploi, les voies de recrutement sur celui-ci

Par un arrêt du 6 février 2019, le Conseil d’Etat a rappelé et précisé la règle, tirée du principe de l’égal accès aux emplois publics, selon laquelle une publication de vacance d’emploi ne peut prévoir une limitation des modes de recrutement ou des personnels susceptibles de candidater.

Dès 1981, le Conseil d’Etat avait censuré la publication d’une vacance d’emploi qui indiquait qu’il ne pouvait être pourvu que par un membre du corps des techniciens de l’aviation civile, alors que les textes prévoyaient qu’il pouvait également l’être par les membres du corps des officiers contrôleurs de la circulation aérienne (CE, 4 novembre 1981, Syndicat général de la navigation aérienne C.F.T.C., n°28255).

La même logique est appliquée dans cet arrêt du 6 février 2019 mais dans un cadre de limitation différent. La vacance d’emploi publiée mentionnait en effet qu’il était appelé à être pourvu par la seule voie de la mutation.

Or, conformément à l’article 41 de la loi du 26 janvier 1984, les emplois peuvent être pourvus, non seulement par mutation, mais également par détachement, intégration directe, ou par voie de promotion interne ou avancement de grade.

Par conséquent, le Conseil d’Etat a validé la décision de la Cour administrative d’appel de Bordeaux, qui avait estimé cette publication de vacance irrégulière.

Il rappelle en effet que « lorsque l’autorité territoriale entend pourvoir un poste créé ou vacant, elle ne peut, sauf disposition statutaire contraire, restreindre à une voie particulière l’accès à cet emploi, excluant par là même les autres voies d’accès prévues à l’article 41 de la loi du 26 janvier 1984 et faisant de la sorte obstacle au respect du principe d’égal accès aux emplois publics ».

Autrement dit, en indiquant que l’emploi était appelé à être pourvu par la voie de la mutation, elle excluait implicitement et illégalement la possibilité de recrutement de fonctionnaires d’un autre corps qui auraient pu solliciter leur détachement sur cet emploi.

Une telle exclusion, selon le Conseil d’Etat, est contraire au principe d’égal accès aux emplois publics, qui joue non seulement en ce qui concerne l’accès initial à la fonction publique, mais également en matière de mobilité au sein fonction publique.

Cette jurisprudence invite donc les employeurs publics à veiller à faire mention de l’ensemble des voies de recrutement prévues par les textes pour l’emploi dont elles publient la vacance, ou à défaut et plus simplement, à s’abstenir de toute mention à cet égard.

Une altercation entre un fonctionnaire dépressif et le maire entrainant une reconnaissance d’imputabilité au service n’entraîne pas pour autant le droit de bénéficier d’une allocation temporaire d’invalidité

L’altercation d’une secrétaire de mairie avec le maire de la commune constitue-t-elle un accident de service lui permettant de bénéficier de l’allocation temporaire d’invalidité (ci-après « ATI ») ? Telle est la question posée au Conseil d’État, le 6 février dernier, qui a répondu par la négative au vu des circonstances.

En l’espèce, Mme B., secrétaire de mairie d’Angervilliers entretenait des relations conflictuelles avec le maire de la commune depuis 2003. Le 3 février 2004, à la suite d’une altercation avec lui, l’intéressée a été placée en congé maladie pour syndrome dépressif dans le cadre retenu alors d’un « accident de service ». Elle a ensuite été maintenue dans cette position jusqu’à son départ à la retraite, au milieu de l’année 2015.

Entre-temps, l’intéressée a demandé en vain le bénéfice d’une ATI, prestation versée sous certaines conditions fixées à l’article 2 du décret n° 2005-442 du 2 mai 2005, au fonctionnaire et sur sa demande en plus de son traitement en cas d’invalidité permanente partielle d’origine professionnelle supérieure à 10 %.

Mais, la Caisse des Dépôts et des consignations a rejeté sa demande, de même que le juge administratif saisi en première instance du litige.

En effet, si la dépression nerveuse d’un fonctionnaire causée par un évènement précis et daté a pu être qualifiée comme résultant d’un accident de service par le Conseil d’État (cf. CE, 23 septembre 2013, Fonvielle, n° 353093), il considère ici que « pour l’application de la réglementation relative à l’allocation temporaire d’invalidité », un accident de service est « un évènement survenu à une date certaine, par le fait ou à l’occasion du service, dont il est résulté une lésion, quelle que soit la date d’apparition de celle-ci ». C’est ainsi qu’il a relevé en l’espèce qu’il ressortait des pièces à sa disposition que l’agent entretenait des relations conflictuelles depuis 2003 et qu’elle souffrait déjà d’un syndrome dépressif en lien avec ses conditions de travail avant l’altercation du 3 février 2004 avec le maire, de sorte que son placement par la collectivité en accident de service à la suite de cet évènement était sans incidence sur sa qualification au regard des dispositions relatives à l’attribution de l’allocation temporaire d’invalidité.

Cette décision a ceci d’intéressant qu’elle évite à la Caisse des dépôts d’être liée à des qualifications retenues préalablement par les employeurs publics, chacun restant maître de son appréciation dans la prise d’une décision dont il est seul tenu in fine d’assumer les conséquences financières.

Un document de référence afin de guider les départements pour la sortie de l’aide sociale à l’enfance

Dans le cadre du lancement officiel de la concertation sur la protection de l’enfance lancée par le gouvernement, ce dernier a présenté le 14 février dernier un guide destiné aux départements – en charge de la protection de l’enfance –  afin d’éviter les sorties sèches de l’aide sociale à l’enfance (ASE).

En effet, 21 000 jeunes sortent chaque année de l’aide sociale à l’enfance et sont confrontés à une rupture brutale de leur prise en charge lorsqu’ils atteignent l’âge de 18 ans.

Ce référentiel est composé de cinq engagements et doit servir de base à la contractualisation avec les conseils départementaux puisqu’ils seront intégrés aux conventions de lutte contre la pauvreté et d’accès à l’emploi signées entre l’Etat et les départements. L’ensemble des préfets de département et tous les conseils départementaux recevront ce document de référence afin de négocier les conventions.

Au titre des cinq engagements que les départements signataires des conventions devront tenir pour atteindre le «zéro sortie sèche de l’ASE » est visée la préservation du lien social et d’un point de référence pour chaque jeune. Ainsi, les départements signataires devront s’engager à permettre aux jeunes de désigner un adulte référent s’ils le souhaitent, issu ou non de la protection de l’enfance, afin de leur fournir un soutien dans l’apprentissage de leur nouvelle autonomie après leurs 18 ans. Les quatre autres objectifs concernent l’accès à un logement stable, aux droits et à des ressources financières, à l’insertion sociale et professionnelle et à la santé. Chacune de ces thématiques prévoient des objectifs à atteindre pour lesquels l’Etat soutiendra les départements. 12 millions d’euros seront spécifiquement mobilisés chaque année jusqu’en 2022 pour atteindre l’objectif.

Immobilier : opposabilité de la division d’un lot et paiement des charges

Le 7 février 2019, la troisième chambre civile de la Cour de cassation devait se prononcer sur le point de savoir si la notification au syndic du transfert de propriété de fractions d’un lot divisé le rend opposable au syndicat des copropriétaires et donne ainsi aux acquéreurs la qualité de copropriétaires, tenus au paiement des charges de la copropriété à compter de la notification.

En l’espèce, une SCI, propriétaire d’un lot dans un groupe d’immeubles soumis au statut de la copropriété, a divisé son lot. Par la suite, l’administrateur provisoire de la copropriété a reçu du notaire la notification de la cession des lots issus de cette division. La SCI a été assignée en paiement d’un arriéré de charges de copropriété par le syndicat des copropriétaires.

Les juges du fond ont fait droit à cette demande. Selon eux, la SCI n’a pas respecté les dispositions combinées de l’article 11, deuxième alinéa, de la loi du 10 juillet 1965 et 74 du règlement de copropriété selon lesquelles, en cas d’aliénation séparée d’une ou plusieurs fractions d’un lot, la répartition des charges entre ces fractions est soumise à l’approbation de l’assemblée générale. Dès lors, la SCI n’ayant pas fait inscrire à l’ordre du jour d’une assemblée générale la demande de nouvelle répartition des charges, la division du lot était inopposable au syndicat et la SCI restait débitrice de la totalité des charges dues par le propriétaire de ce lot avant sa division.

La Cour de cassation censure cette décision au visa des articles 11 de la loi du 10 juillet 1965, 6 du décret du 17 mars 1967, et 1134 du Code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance du 10 février 2016 : « Qu’en statuant ainsi, alors que la notification au syndic du transfert de propriété de fractions d’un lot divisé le rend opposable au syndicat des copropriétaires et donne ainsi aux acquéreurs la qualité de copropriétaires, tenus au paiement des charges de la copropriété à compter de la notification, la cour d’appel a violé les textes susvisés ».

C’est donc seulement si le transfert de la propriété d’un lot n’a pas été notifié au syndic que l’ancien propriétaire conserve cette qualité à l’égard du syndicat, et reste redevable de la totalité des charges de copropriétés sur le lot d’origine avant division.

Sanction financière du Conseil d’Etat pour l’interdiction de signer un contrat en cas de référé précontractuel

Par une décision du 25 janvier dernier, le Conseil d’Etat a infligé une pénalité financière de 20.000 euros à un pouvoir adjudicateur ayant signé un marché public après avoir été informé de la saisine du juge des référés précontractuels par un candidat évincé.

En 2017, le centre hospitalier intercommunal de Fréjus-Saint-Raphaël a lancé, dans le cadre d’un groupement de commandes dont il est coordonnateur, une procédure de passation pour un marché public d’assurances de responsabilité civile hospitalière. Après avoir vu son offre rejetée, la société hospitalière d’assurances mutuelles a introduit un référé précontractuel devant le Tribunal administratif de Toulon, puis un référé contractuel lorsqu’elle a eu connaissance de la signature du marché par le centre hospitalier.

Après avoir annulé une première ordonnance du Tribunal et renvoyé l’affaire, le Conseil d’Etat a été de nouveau saisi d’un pourvoi contre la deuxième ordonnance du Tribunal ayant résilié le marché public à compter du 1er mars 2018 au motif de son attribution à une offre irrégulière au regard de la clause d’assurance de protection juridique au sens de l’article L. 127-1 du Code des assurances prévue par le marché.

Dans la décision commentée, le Conseil d’Etat a tout d’abord annulé la décision de résiliation du Tribunal pour erreur de droit estimant que le marché ne comportait pas de garantie de protection juridique au sens du Code des assurances.

Puis, statuant définitivement sur cette affaire, le Conseil d’Etat a mis à la charge du centre hospitalier la somme de 20.000 euros à régler au Trésor public en application de l’article L. 551-20 du Code de justice administrative.

Pour cause, le centre hospitalier a méconnu l’interdiction de signer le marché public à compter de la saisine du juge des référés précontractuels par le candidat évincé, et ce jusqu’à la notification de la décision du juge en vertu de l’article L. 551-4 du Code de justice administrative.

Pour le Conseil d’Etat, le rejet des conclusions du candidat évincé sur le référé contractuel ne fait pas obstacle à ce que le non-respect du délai de suspension portant sur son référé précontractuel soit sanctionné.

Et la décision commentée précise le faisceau d’indices permettant de fixer le montant de la pénalité selon « l’ensemble des circonstances de l’espèce, en prenant notamment en compte la gravité du manquement commis, son caractère plus ou moins délibéré, la plus ou moins grande capacité du pouvoir adjudicateur à connaître et à mettre en œuvre ses obligations ainsi que la nature et les caractéristiques du contrat ».

Si la résiliation ou la nullité du contrat n’étaient pas justifiées dans cette affaire, le Conseil d’Etat conclut à ce que les pouvoirs adjudicateurs doivent systématiquement être sanctionnées pécuniairement pour un manquement à l’article L. 551-4 du Code de justice administrative[1].

Un rappel pour les pouvoirs adjudicateurs à rester vigilant sur ce point.

[1] Cf. Pour une sanction de 20.000 euros pour le manquement à l’article L. 551-4 du code de justice administrative : CE, 14 février 2017, Société des eaux de Marseille, n° 403614.

Le point de départ de l’action biennale en matière de requalification d’une convention en bail commercial

La Cour de cassation vient de réaffirmer un principe déjà établi en jurisprudence concernant le point de départ pour la computation du délai de deux ans en matière d’action en requalification d’un contrat en bail commercial.

En l’espèce, la Commune de Mont-Louis a consenti un bail d’exploitation portant sur un four solaire présent sur une parcelle de terrain lui appartenant.

Ledit bail avait été conclu pour une durée de neuf ans et a fait l’objet d’une prolongation par avenant en date du 1er janvier 2002.

Par la suite et par courrier recommandé du 3 décembre 2010, la Commune a manifesté son souhait de ne pas renouveler le bail d’exploitation et de mettre un terme à la relation contractuelle.

Dans ces conditions, la société preneuse a assigné la Commune en requalification de la convention en bail commercial.

La Cour d’appel de Montpellier a, dans son arrêt du 27 juin 2017, jugé l’action recevable en ce qu’elle a admis la notification du non-renouvellement du bail comme point de départ pour la computation du délai de deux ans.

La question juridique qui se pose ici est de déterminer si le point de départ dudit délai est la signature du contrat de bail ou la notification de non-renouvellement du bail par le bailleur ?

La Cour de cassation a tranché ce point dans son arrêt du 20 décembre 2018 en réaffirmant que le point de départ de l’action biennale en requalification en bail commercial est bien le jour de la conclusion du contrat.

Cette jurisprudence fait écho avec d’autres arrêts dans lesquels la Haute Juridiction avait déjà tranché en ce sens en matière de location gérance, de convention portant sur un terrain non-bâti et en matière de bail professionnel.

Nouvelles précisions de la Cour de cassation sur les mesures d’instruction in futurum

La possibilité de procéder à une mesure d’instruction in futurum, qui peut être obtenue avant tout procès et notamment de façon non contradictoire, est strictement encadrée par la jurisprudence.

Comme elle vient encore de le démontrer dans son arrêt du 31 janvier 2019, la Cour de cassation opère un contrôle pointilleux des critères permettant d’obtenir une telle mesure d’instruction.

En effet, il est rappelé que l’article 145 du Code de procédure civile dispose que :

« S’il existe un motif légitime de conserver ou d’établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige, les mesures d’instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé ».

Ainsi faut-il démontrer qu’il existe un motif légitime, que la conservation ou l’établissement de la preuve concerne la solution du litige, et que les mesures demandées soient légalement admissibles.

Il s’agit d’éviter le dépérissement des preuves dont pourrait souffrir le demandeur tout en protégeant le défendeur contre les intrusions auxquelles les dispositions de l’article 145 du Code de procédure civile pourraient l’exposer.

C’est pourquoi la Cour de cassation veille strictement au respect des différentes conditions dont, principalement, l’existence d’un motif légitime.

Elle contrôle également, comme elle vient encore de le faire dans le présent arrêt, que la mesure sollicitée ne conduise pas à ordonner une mesure générale d’investigation qui ne serait pas légalement admissible :

« Mais attendu qu’ayant relevé que les mesures d’instruction, quelle qu’ait pu être leur étendue, étaient circonscrites aux faits litigieux, décrits dans la requête, dont pourrait dépendre la solution du litige, ce dont il résultait qu’elles ne s’analysaient pas en une mesure générale d’investigation et étaient légalement admissibles au sens de l’article 145 du code de procédure civile, la cour d’appel, qui n’avait pas à rechercher si le requis avait préalablement consenti à la remise des documents, a légalement justifié sa décision ».

En pratique, cela signifie qu’il faut être attentif, lors de la rédaction d’une telle requête, à bien préciser et surtout démontrer que les mesures d’instruction que l’on demande ne concernent strictement que les faits litigieux.