Requalification d’une autorisation d’occupation du domaine public et qualification de l’espace situé au-dessus de la Seine

Par un avis du 22 janvier 2019, le Conseil d’Etat a répondu aux questions posées par le gouvernement sur deux sujets essentiels : la potentielle requalification d’une autorisation domaniale en contrat de la commande publique, et la qualification domaniale qu’il faut donner à l’espace qui se situe au-dessus de la Seine.

Au printemps 2018, la ville de Paris a lancé un appel à projets pour désigner un opérateur en charge de la conception et de la réalisation de trois passerelles sur la Seine, ainsi que pour assurer l’animation touristiques des sites. Et le « cahier des charges » attaché à cette procédure comportait de nombreuses prescriptions, lesquelles pouvaient être de nature à faire basculer le montage dans le champ de la commande publique.

Tout l’enjeu était en effet de déterminer si les prescriptions fixées n’avaient pas, in fine, pour objet de satisfaire un besoin de la ville de Paris, et/ou à tout le moins des personnes publiques partenaires. Par cet avis, le Conseil d’État expose la démarche à suivre : il faut apprécier si le contrat a pour objet de satisfaire un besoin précisé par la Ville et s’il rémunère en contrepartie l’opérateur désigné.

La satisfaction d’un besoin public relevait ici de l’évidence : dans la mesure où la réalisation des passerelles avait pour objectif de faciliter les déplacements au sein de la capitale, il est clair que le montage répondait à un besoin de la Cité. L’enjeu se situait donc ailleurs : il fallait apprécier si la Ville entendait pour autant préciser son besoin, c’est-à-dire si elle avait exercé une influence déterminante sur les ouvrages. Et, sur ce terrain, la réponse du Conseil d’Etat est en effet intéressante. D’un certain point de vue, la réponse s’imposait : dans la mesure où la Ville imposait la réalisation d’un ouvrage bien particulier, une passerelle, elle exerçait nécessairement une influence déterminante sur la nature de l’ouvrage. Mais le Conseil d’État se place toutefois sur un autre terrain. Outre la « présomption de réponse à un besoin de la personne publique » qui découle de l’inscription des ponts sur la « liste des activités qui sont des travaux en droit de la commande publique », et qui rend l’examen de cette condition ici caduque, il indique qu’en tout état de cause, la ville a exercé une influence sur la conception de l’ouvrage à raison des prescriptions tenant au maintien des activités économiques et industrielles déjà en place, et à la mise en œuvre d’une démarche écologique/durable.

Enfin, et l’avis est ici aussi éclairant, le caractère onéreux est également considéré comme vérifié sur le fondement d’une présomption attachée à « la seule mention » d’un modèle économique dans l’appel à projets : alors même que ce « plan d’affaires » n’est pas connu au jour du lancement de l’appel à projets, le Conseil d’Etat indique qu’il ressort de cette mention que l’opération aura fatalement pour contrepartie, soit un prix, soit (aussi) un droit d’exploitation.

L’ensemble des critères attachés à la définition d’un contrat de la commande publique étant satisfaits, le Conseil d’Etat en conclut que la procédure d’appel à projets engagée doit être abandonnée à raison du vice qui l’entache : elle ne peut être regardée comme satisfaisant l’une des procédures de publicité prévues au titre de la commande publique.

Le gouvernement souhaitait également savoir s’il pouvait effectivement octroyer des droits réels au titulaire de l’autorisation d’occupation du domaine, et ce alors même que l’autorisation allait porter pour l’essentiel sur l’espace situé au-dessus de la Seine, laquelle appartient au domaine public fluvial naturel, dont on sait qu’il ne peut donner lieu à l’octroi d’aucun droit réel (article L. 2122-5 du CG3P). Et l’avis est ici riche d’enseignements, puisque le Conseil d’Etat indique, par parallélisme avec sa jurisprudence relative au domaine maritime naturel, que l’espace situé au-dessus de la Seine n’appartient pas au domaine public fluvial naturel, et ne suit donc pas le même régime. Et, dans la mesure où les passerelles ne reposent pas sur des piliers implantés dans la Seine, l’autorisation domaniale ne porte pas, à ce titre non plus, sur le domaine public fluvial naturel. Le Conseil d’Etat donne donc son feu vert pour l’octroi de droits réels sur cette part « aérienne » du domaine public.

Précieux sur ces deux sujets, un « sujet du mois » de la Lettre d’actualité juridique sera consacré à cet avis dans un prochain numéro.

Régularité de la procédure de passation d’un contrat de concession d’une durée de douze ans

Par une décision en date du 8 avril 2019, le Conseil d’Etat s’est prononcé sur la durée pouvant être fixée à un contrat de concession en vertu de l’article 34 de l’ordonnance n° 2016-65 du 29 janvier 2016 relative aux contrats de concession et de l’article 6 du décret n° 2016-86 du 1er février 2016[1].

En janvier 2018, la Commune de Cannes a lancé une procédure de passation en vue de sous-concéder l’exploitation d’une plage artificielle dont le droit d’exploitation lui a été concédé par l’Etat pour une durée de douze ans. Ayant vu son offre rejetée, un candidat évincé a introduit un référé précontractuel conduisant le Tribunal administratif de Nice à annuler la procédure de passation de la concession.

Saisi d’un pourvoi en cassation, le Conseil d’Etat a annulé l’ordonnance de référé et a confirmé la régularité de la procédure de passation du contrat de concession.

Rejetant les moyens soulevés par le requérant, le Conseil d’Etat a notamment estimé que le sous-critère de sélection des offres sur le chiffre d’affaires prévisionnels est irrégulier car il « repose sur les seules déclarations des soumissionnaires, sans engagement contractuel de leur part et sans possibilité pour la commune d’en contrôler l’exactitude ».

En l’espèce, le manquement n’a pas été retenu par le Conseil d’Etat au motif qu’il n’a pas lésé le requérant dont l’offre était mieux notée que celle de l’attributaire sur le critère « qualité du projet » prévalant, par ordre décroissant, sur celui du prix.

Par ailleurs, le requérant avait également critiqué la durée de douze ans du contrat de concession d’exploitation de la plage au motif qu’elle serait excessive.

Rappelant que la durée des contrats de concession est limitée « en fonction de la nature et du montant des prestations ou des investissements demandés au concessionnaire » par l’autorité concédante, le Conseil d’Etat a considéré que la commune n’apportait pas d’éléments suffisants pour justifier une durée de douze ans du contrat litigieux.

Compte-tenu des circonstances de l’espèce et, certainement, de la durée de douze ans d’exploitation que l’Etat a accordée à la Commune, le Conseil d’Etat a tout de même admis que la durée de la sous-concession de plage ne constituait pas un manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence.

Un rappel utile visant à ce que les autorités concédantes s’assurent de pouvoir justifier de la durée qu’elles entendent fixer aux contrats de concession avant leur conclusion.

[1] Les dispositions des articles L. 3114-7, L. 3114-8, et R. 3114-1 et suivants du Code de la commande publique s’appliquent désormais aux les contrats de concession conclus ou dont la procédure de passation a été engagée à compter du 1er avril 2019.

Annulation par le Conseil d’Etat d’une concession d’aménagement entièrement exécutée pour les vices entachant sa validité

Par une décision en date du 15 mars dernier, le Conseil d’Etat a annulé rétroactivement une concession d’aménagement, arrivée à son terme, en raison des vices ayant entachés gravement sa validité.

En août 2011, la Commune de Saint-Tropez a conclu avec la société Kaufman & Broad Provence une concession d’aménagement portant sur la restructuration urbaine de trois secteurs de son centre-ville. Candidate évincée à la procédure de passation, la Société anonyme gardéenne d’économie mixte (SAGEM) a tenté d’obtenir l’annulation du contrat, en première instance puis en appel, par un recours en plein contentieux[1].

Après avoir cassé un premier arrêt d’appel puis renvoyé l’affaire, le Conseil d’Etat a été saisi, de nouveau, d’un pourvoi en cassation en novembre 2017, alors que la concession d’aménagement avait pris fin en août 2017, les travaux étant d’ores et déjà achevés.

Dans la décision commentée, le Conseil d’Etat a annulé l’arrêt rendu par la Cour et les motifs de la cassation sont particulièrement sévères. En effet, le Conseil d’Etat a jugé que :« la cour administrative d’appel de Lyon, qui était pourtant saisie d’argumentations développées des parties sur ce point, s’est bornée à faire état, en des termes hypothétiques et imprécis, des conséquences inextricables d’une éventuelle annulation et de la complexité de l’ensemble des montages juridiques et financiers qui pourraient pour certains être remis en cause par une telle mesure. Elle n’a ce faisant pas mis le juge de cassation à même de procéder à un contrôle de qualification juridique sur son appréciation des conséquences à tirer sur le contrat des irrégularités constatées et a, ainsi, insuffisamment motivé sa décision ».

Puis, statuant sur cette affaire, le Conseil d’Etat a annulé la concession d’aménagement pour les trois vices ayant « affectés gravement la légalité du choix du concessionnaire » et tirés de la méconnaissance des règles de publicité et de mise en concurrence.

Tout d’abord, le Conseil d’Etat a jugé que la Commune a méconnu l’article R. 300-8 du Code de l’urbanisme et son règlement de consultation en examinant l’offre de l’attributaire en l’absence de documents probants sur sa capacité financière à exécuter le contrat, en ce que la société s’est fondée sur les capacités de sa maison-mère sans pouvoir justifier que cette dernière avait mis ses capacités et garanties à sa disposition.

Ensuite, la société attributaire était accompagné, lors des négociations, du cabinet d’architecture qui avait établi les dossiers de permis de construire sur lesquels les offres devaient être construites, ce que la Commune n’avait pas pu ignorer. A cet égard, relevant la « volonté de la personne publique de favoriser un candidat », le Conseil d’Etat a jugé que la Commune avait méconnu le principe d’égalité entre les candidats.

Enfin, le Conseil d’Etat a estimé que des modifications intervenues au stade de la signature du contrat (dont le nombre de logements sociaux, la densité retenue et le nombre de places de parking) avaient altéré « substantiellement l’économie du projet mis à la concurrence » en violation des règles de mise en concurrence et de publicité.

Constatant la particulière gravité des vices entachant la validité de la concession et l’absence de régularisation possible, le Conseil d’Etat a estimé que l’annulation rétroactive du contrat ne porte pas une atteinte excessive à l’intérêt général.

En effet, le Conseil d’Etat a noté que la résiliation de cette convention n’implique pas l’annulation de baux emphytéotiques conclus entre la commune et l’aménageur ou celle d’actes de droit privés conclus par l’aménageur avec la commune ou avec des tiers.

Dans la décision commentée, le Conseil d’Etat rappelle néanmoins aux parties la nécessité de « réexaminer l’exécution financière de la concession d’aménagement annulée sur le terrain quasi-contractuel de l’enrichissement sans cause ainsi que, le cas échéant, sur le terrain de la faute », ainsi que la restitution par l’ancien concessionnaire des biens n’ayant pas été cédés à des tiers.

Reste donc, pour les parties, à organiser les conséquences de cette annulation.

[1] Dans les conditions de la jurisprudence de l’Assemblée du Conseil d’Etat du 16 juillet 2007, Société Tropic Travaux Signalisation, n° 291545.

Généralisation du tableau de bord de la performance dans le secteur médico-social

Un arrêté ministériel est venu donner une valeur juridique au tableau de bord de la performance dans le secteur médico-social qui s’adresse aux vingt catégories d’établissements et services médico-sociaux (ESMS) relevant des 2°, 3°, 5°, 6° et 7° du I de l’article L. 312-1 du Code de l’action sociale et des familles (CASF).

A l’origine, le projet « tableau de bord de la performance du secteur médico-social », conçu par l’Agence nationale d’appui à la performance des établissements de santé et médico-sociaux (ANAP), fait suite à la demande conjointe du Ministère des solidarités et de la santé et de la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA) et a été élaboré en étroite collaboration avec l’Agence technique d’information sur l’hospitalisation (ATIH).

L’objectif de ce tableau de bord est décrit à l’article 3 de l’arrêté qui précise qu’il « est un outil de pilotage interne pour les établissements et services, d’aide au dialogue de gestion avec les autorités de tarification et de contrôle, notamment dans le cadre du contrat pluriannuel d’objectifs et de moyens, de comparaison entre établissements et services et de connaissance de l’offre territoriale ».

Il se compose d’une partie relative aux données de caractérisation de chaque établissement ou service et d’une partie constituée d’indicateurs relatifs aux prestations de soins et d’accompagnement, aux profils et parcours des personnes accompagnées, aux ressources humaines afférentes au fonctionnement de la structure, aux ressources budgétaires et financières et à l’état des lieux des systèmes d’information.

Cet outil, d’abord expérimenté à partir de 2011 auprès de plusieurs régions et d’établissements et services volontaires accompagnant des personnes âgées et/ou des personnes handicapées, est entré dans une période de généralisation à partir de 2015 et pour trois ans, à l’ensemble des établissements et services relevant des vingt catégories de structures médico-sociales suscitées. 

L’arrêté du 10 avril 2019 rend désormais obligatoire le remplissage annuel de ce tableau de bord pour ces établissements et services sachant que les gestionnaires doivent l’effectuer au plus tard le 31 mai de chaque année pour l’année précédente sur une plateforme. A titre transitoire, le taux minimum de remplissage du tableau de bord est fixé à 70 % pour l’année 2019. Cette obligation se substitue à la production des autres indicateurs médico-socio-économiques (IMSE), qui était antérieurement applicables à ces catégories d’établissements ou de services.

L’ANAP a notamment mis à disposition des gestionnaires des outils d’aide au remplissage, qui sont consultables sur son site.

Ce nouvel arrêté permet de mettre fin à la situation quelque peu paradoxale à laquelle étaient soumis les gestionnaires avant sa publication, leur imposant un double remplissage. En effet, la réglementation leur imposait de produire, à l’appui de différents documents budgétaires les renseignements nécessaires au calcul des IMSE. Cependant,  plusieurs agences régionales de santé (ARS) avaient progressivement abandonner ces indicateurs et demandaient aux gestionnaires de remplir les données du tableau de bord conçu par l’ANAP, en dehors de tout cadre réglementaire.

Les gestionnaires devaient pour autant continuer à remplir les IMSE faute de voir leurs propositions budgétaires ou leurs comptes administratifs déclarées incomplets et donc être tarifiés « d’office ».

Précisons que si les indicateurs du tableau de bord de la performance ne sont pas utilisés dans le cadre de la convergence tarifaire, rien ne semble exclure le fait que l’autorité de tarification puisse se baser sur l’exploitation de ces données pour justifier que « les prévisions de charges sont manifestement hors de proportion avec le service rendu ou avec les coûts des établissements et services fournissant des prestations comparables en termes de qualité de prise en charge ou d’accompagnement » (article L. 314-7, III du CASF) ou d’essayer d’argumenter, pour les établissements sous CPOM, sur la base de ces données les demandes de récupération prévues à l’article L. 313-14-2 du CASF.

Entre DUP et ZAC : aucune opération complexe mais une prise en compte du juge administratif dans son contrôle de l’utilité publique

Par un arrêt en date du 18 octobre 2018, le Conseil d’Etat réitère la position de principe suivant laquelle l’illégalité frappant la délibération de création d’une zone d’aménagement concerté (ZAC) ne peut être utilement invoquée par la voie de l’exception à l’encontre de la contestation de la déclaration d’utilité publique (DUP) des travaux nécessaires à l’aménagement de cette zone.

Toutefois, il précise que : « il appartient au juge de l’excès de pouvoir, lorsqu’il se prononce sur le caractère d’utilité publique d’une opération nécessitant l’expropriation d’immeubles ou de droits réels immobiliers de tenir compte, le cas échéant, au titre des inconvénients que comporte l’opération contestée devant lui, des motifs de fond qui auraient été susceptibles d’entacher d’illégalité l’acte de création de la zone d’aménagement concerté pour la réalisation de laquelle la déclaration d’utilité publique a été prise et qui seraient de nature à remettre en cause cette utilité publique ».

Ainsi, les motifs de fonds ayant conduit à l’illégalité de la délibération créant la ZAC peuvent valablement venir « contaminer » l’utilité publique de la DUP à l’occasion du contrôle du bilan coûts/avantages opéré par le juge administratif, en application de la jurisprudence « Ville nouvelle Est » (CE, 28 mai 1971, Ville nouvelle Est, Rec. Lebon p. 409).

Alignement du délai de prescription de l’action en nullité des conventions de forfait en jours sur celui des demandes en rappel de salaire

La Cour de cassation vient récemment et pour la première fois, de préciser que le salarié, dont la demande de rappel de salaire au titre des heures supplémentaires n’est pas prescrite, peut contester la validité de la convention de forfait annuel en jours stipulée dans son contrat de travail (Cass. Soc., 27 mars 2019, n° 17-23.314).

La mise en œuvre d’un forfait annuel en jours suppose la conclusion d’un accord collectif, comprenant notamment les dispositions destinées à protéger la santé et la sécurité du salarié, et la signature d’une convention individuelle de forfait.

Avant 2016, l’accord collectif sur le forfait jours devait impérativement comporter des dispositions qui assurent la protection de la sécurité et de la santé des salariés. A défaut, le forfait jour était invalidé.

Dans cette affaire, un salarié embauché le 15 janvier 2006 aux termes d’un contrat de travail prévoyant une convention de forfait en jours, avait saisi la juridiction prud’homale le 19 mai 2014, notamment d’une demande tendant à voir constater la nullité de cette convention.

Il soutenait à ce titre que, tant son contrat de travail que l’accord collectif instaurant le dispositif de forfait jours datant du 15 mars 2000, ne comportaient pas de dispositions de nature à assurer la protection de la sécurité et de la santé des salariés et que son employeur n’avait pas mis en place un entretien permettant de contrôler sa charge de travail.

La Cour d’appel avait condamné l’employeur à payer au salarié un rappel de salaire au titre d’heures supplémentaires effectuées outre les congés payés afférents, au motif que la demande de constat de la nullité de la convention de forfait en jours n’était pas prescrite, étant rappelé que la clause litigieuse avait été appliquée dans le cadre des relations contractuelles jusqu’au licenciement de l’intéressé. En conséquence, les juges du fond ont considéré que tant que la convention de forfait en jours était en vigueur, le délai de prescription d’une action en nullité de cette convention ne courait pas.

Statuant sur le pourvoi formé par l’employeur, la Cour de cassation a approuvé cette solution en retenant que: « le salarié, dont la demande de rappel de salaire au titre des heures supplémentaires n’est pas prescrite, est recevable à contester la validité de la convention de forfait annuel en jours stipulée dans son contrat de travail ».

Pour rappel, l’action en paiement ou en répétition de salaire se prescrit à l’expiration de délai de « trois ans à compter du jour où celui qui l’exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer. La demande peut porter sur les sommes dues au titre des trois dernières années à compter de ce jour ou, lorsque le contrat de travail est rompu, sur les sommes dues au titre des trois années précédant la rupture » (C. trav., art. L. 3245-1).

Ainsi, au cas particulier, dès lors que la demande de rappel d’heures supplémentaires se rapportait à une période non prescrite, le salarié était recevable à contester la validité de la convention de forfait annuel en jours contenue dans son contrat de travail, et le pourvoi formé par l’employeur ne pouvait qu’être rejeté.

Depuis, la Loi « Travail » du 8 août 2016, l’employeur et le salarié peuvent conclure une convention de forfait sur la base d’un accord collectif ne stipulant pas l’ensemble des clauses légales obligatoires prévues par l’article L.3121-64, parmi lesquelles figurent par exemple, les modalités selon lesquelles l’employeur assure l’évaluation et le suivi régulier de la charge de travail du salarié.

En effet, cette Loi a sécurisé, sous réserve par l’employeur du respect de dispositions supplétives relatives notamment au suivi de la charge de travail du salarié prévues à l’article L. 3121-65 du Code du travail, l’ensemble des conventions individuelles de forfait conclues avant le 10 août 2016, date d’entrée en vigueur de la loi Travail, qui seraient adossées à des accords collectifs incomplets (L. n° 2016-1088, 8 août 2016, art. 12 : JO, 9 août).

Ainsi, un employeur peut continuer à conclure de nouvelles conventions de forfait-jours sur le fondement d’un accord collectif antérieur au 10 août 2016, sous réserve de respecter les dispositions supplétives notamment sur le contrôle et le suivi de la charge de travail, le respect des temps de repos et le droit à la déconnexion.

Précisions relatives aux règles applicables à la passation et à la conclusion d’un contrat entre une collectivité territoriale et une SEMOP

Le Conseil d’Etat a précisé, par une décision en date du 8 février 2019 (n° 420296), les modalités de passation d’un contrat avec une société économie mixte à opération unique (SEMOP). Il a clarifié, notamment, les modalités de signature d’un contrat avec une SEMOP et le contenu des documents contractuels.

Pour mémoire, la SEMOP, définie aux articles L. 1541-1 et suivants du Code général des collectivités territoriales (CGCT), est une entreprise publique locale sous forme de société anonyme ayant la particularité d’être créée par une collectivité territoriale ou son groupement – après l’organisation d’une procédure de mise en concurrence dont le but est de sélectionner le ou les futurs opérateurs économiques actionnaires de cette société –, pour une durée limitée et à titre exclusif en vue de la conclusion et de l’exécution d’un contrat avec ladite collectivité territoriale ou ce groupement de collectivités.

L’arrêt du 8 février 2019 concernait le cas d’une SEMOP qui avait été créée par le Syndicat interdépartemental pour l’assainissement de l’agglomération parisienne (SIAAP) en vue de lui confier un marché public de prestations de services pour l’exploitation d’une station d’épuration. Le SIAAP avait donc organisé une mise en concurrence et avait retenu la société Veolia Eau comme opérateur économique actionnaire de la SEMOP.

Dans cette affaire, le Conseil d’Etat a d’abord dû répondre à la question de savoir si le fait pour le SIAAP d’avoir signé le marché non pas avec la SEMOP mais avec la société Véolia, en sa qualité d’actionnaire, constituait un vice de compétence susceptible d’emporter l’illégalité du marché.

Pour y répondre, le Conseil d’Etat a d’abord rappelé, sans surprise, que « lorsqu’une collectivité territoriale crée une société d’économie mixte à opération unique, c’est avec cette société qu’elle doit passer le contrat confiant l’opération projetée. La société d’économie mixte à opération unique doit par suite être substituée, pour la signature du contrat, au candidat sélectionné selon les procédures applicables aux contrats de concession ou aux marchés publics ». Cependant, le Conseil d’Etat a fait preuve de pragmatisme dans l’application de ces règles.

En effet, s’il a considéré que le fait pour le SIAAP d’avoir signé le marché avec la société Véolia et non la SEMOP constituait bel et bien un vice de compétence, le Conseil d’Etat a toutefois considéré que ce vice avait, en l’espèce, pu être valablement régularisé. Pour ce faire, le Conseil d’Etat a, d’une part, tenu compte de ce que la constitution de la SEMOP par le SIAAP avait pris du retard, si bien que ni les statuts, ni le pacte d’actionnaires n’avaient été arrêtés à la date de signature du marché et, d’autre part, du fait qu’une « convention de régularisation tripartite [avait] été signée fin novembre 2017 par le SIAAP, la société Veolia Eau […] et la SEMOP SIVAL et approuvée par le SIAAP par une délibération du 24 novembre 2017 ».

Cette question réglée, le Conseil d’Etat a ensuite été amené à préciser les règles applicables à la constitution d’une SEMOP et notamment celles prévues à l’article L. 1541-2 du CGCT selon lesquelles « l’avis d’appel à la concurrence comporte un document de préfiguration, précisant la volonté de la collectivité territoriale ou du groupement de collectivités territoriales de confier l’opération projetée à une société d’économie mixte à opération unique à constituer avec le candidat sélectionné ». En effet, le préfet – qui avait contesté la légalité du marché –, avait soutenu que le document de préfiguration était trop imprécis et que les projets de statuts et de pacte d’actionnaires n’avaient pas été fixés préalablement à la mise en concurrence.

A cet égard, le Conseil d’Etat a de nouveau fait preuve de souplesse en précisant que les dispositions du CGCT « n’imposent pas à la personne publique qui entreprend de constituer une SEMOP de fixer par avance de manière intangible dès le stade de la mise en concurrence tous les éléments des statuts de la SEMOP et du pacte d’actionnaires », dans la mesure où ces dispositions « ne concernent pas l’offre elle-même de l’actionnaire opérateur économique candidat à la passation du contrat ». Partant, ont été jugés comme suffisants par le Conseil d’Etat, de manière combinée et au stade de la mise en concurrence, le fait que :

  • le document de préfiguration indiquait la part que la collectivité souhaitait détenir au sein du capital de la SEMOP ;
  • le projet de pacte d’actionnaire énonçait les règles de gouvernance et les modalités de contrôle offertes au SIAAP sur l’activité de la SEMOP ;
  • le projet de statuts précisait les règles de dévolution des actif et passif de la SEMOP dans l’hypothèse de sa dissolution.

Au final, le Conseil d’Etat a validé la légalité du marché notifié à la SEMOP et, en conséquence, rejeté le recours du préfet.

Travail dissimulé : l’URSSAF n’est pas liée par ses précédents contrôles !

En l’espèce, sur demande du procureur de la République près le Tribunal de grande instance, l’URSSAF a procédé à un contrôle portant sur la période du 1er janvier 2005 au 30 juin 2010, d’une société.

Par la suite, elle a adressé le 15 octobre 2010, à cette société, une lettre d’observations visant neuf chefs de redressement consécutifs à l’existence d’un travail dissimulé, puis lui a notifié, les 21 décembre 2010 et 13 janvier 2011, deux mises en demeure.

La société a saisi d’un recours la juridiction de Sécurité sociale.

Pour annuler le redressement et les mises en demeure subséquentes, les juges du fond retiennent en substance que :

  • les pratiques vérifiées lors des précédents contrôles, intervenus en 1998 et en 2003, n’ont donné lieu à aucune observation ;
  • l’URSSAF a eu l’occasion, au vu de l’ensemble des documents consultés, de se prononcer en toute connaissance de cause sur ces pratiques ;
  • chaque inspecteur, en 1998 puis en 2003, a été parfaitement informé de l’activité et des pratiques de la société et a, en parfaite connaissance de cause, décidé de ne faire ni observations pour l’avenir, ni redressement ;
  • les circonstances de droit et de fait au regard desquelles ces éléments ont été examinés sont restées inchangées ;
  • les éléments de fait du dossier permettent ainsi de dire qu’il y avait un accord tacite, antérieur au contrôle clôturé par la lettre d’observations du 15 octobre 2010.

C’est dans ces conditions que la Cour de cassation a eu à se prononcer sur la question de savoir si, dans le cadre d’un redressement consécutif à un constat de travail dissimulé, un employeur peut invoquer l’approbation tacite de ses pratiques par l’URSSAF lors de précédents contrôles

La Haute juridiction répond par la négative et énonce qu’au regard de l’article R. 243-59 du Code du travail, susvisé, dans sa rédaction issue du décret n° 2007-546 du 11 avril 2007, une société ne peut pas se prévaloir de l’approbation tacite de ses pratiques par l’URSSAF résultant de précédents contrôles, dès lors que le redressement litigieux est consécutif à un constat de travail dissimulé.

La référence dans un contrat de travail au calcul de l’intéressement ne vaut pas contractualisation

Si les éléments constituant le socle contractuel ne sont pas obligatoirement inscrits dans le contrat de travail, à l’inverse, tout ce qui figure dans le contrat de travail n’est pas nécessairement contractuel.

Cela vaut par exemple pour le lieu de travail qui ne peut avoir qu’une simple valeur d’information (Cass. Soc. 3 juin 2003 n°  01-40.376), ou pour la mention d’un accord collectif : la référence dans le contrat de travail aux dispositions d’un accord collectif ne signifie pas que les dispositions de cet accord ont été contractualisées (Cass. Soc., 26-9-2012 n° 11-10.220 F-D : RJS 12/12 n° 963).

Il s’agit du principe de l’autonomie du contrat de travail et des conventions ou accords collectifs.

L’arrêt du 6 mars 2019 en est une nouvelle illustration.

Dans cette affaire, un salarié avait adhéré à un dispositif de cessation anticipée d’activité proposé par son employeur, en signant le 29 mars 2012 un avenant à son contrat de travail. Cet avenant précisait que la période de dispense d’activité serait prise en compte à hauteur de 77 % d’un temps plein pour le calcul de l’intéressement, clause conforme à l’accord d’intéressement conclu fin 2010 dans l’entreprise et alors applicable. Mais peu de temps après, cet accord était dénoncé et un nouvel accord était conclu, fixant la prime d’intéressement pour cette catégorie de personnel à un tiers de celle des salariés en activité. L’intéressé s’étant vu appliquer ce nouveau mode de calcul en 2012 et 2013 et s’estimant lésé, il avait porté l’affaire devant le Conseil de prud’hommes pour réclamer l’application du ratio de 77 % indiqué dans l’avenant à son contrat de travail.

La Cour de cassation, au visa des articles L 3312-2 et L 3313-2 du Code du travail (relatifs à l’instauration d’un intéressement collectif par accord et au contenu de cet accord) pose le principe selon lequel la référence dans le contrat de travail d’un salarié aux modalités de calcul de la prime d’intéressement prévues par l’accord collectif alors en vigueur n’emporte pas contractualisation, au profit du salarié, de ce mode de calcul (Cass. Soc., 6 mars 2019, n° 18-10.615 P+B).

Cette absence de contractualisation signifie que :

  • le salarié ne peut reprocher à l’employeur une modification de son contrat de travail sans son accord exprès, par l’application du nouveau mode de calcul de l’intéressement ;
  • le principe de faveur est inopérant celui-ci permettant d’écarter l’application d’un accord collectif en présence d’une clause plus favorable du contrat de travail (C. trav. art. L 2254-1).

Dès lors, l’accord d’intéressement qui s’est substitué à celui en vigueur au moment de la signature de l’avenant au contrat de travail du salarié est applicable à ce dernier de manière immédiate, automatique et impérative sans qu’il puisse s’y opposer.

Contrats publics : un protocole transactionnel est un document communicable, dès lors que l’instance en cause a pris fin

Par cette décision, le Conseil d’Etat précise qu’un protocole transactionnel conclu par l’Administration en vue d’éteindre un litige porté devant la juridiction administrative est un document communicable, dès lors que l’instance en cause a pris fin.

Cette décision intervient dans le cadre d’un litige né du refus du Ministre de l’Economie, de l’Industrie et du Numérique de communiquer à Monsieur B., qui en faisait la demande, l’accord passé le 9 avril 2015 entre l’Etat et les sociétés concessionnaires d’autoroutes, l’intégralité des avenants aux contrats passés entre l’Etat et ces sociétés à la suite de cet accord, avec leurs annexes ainsi que la liste des marchés conclus par les sociétés concessionnaires d’autoroute en 2013 et 2014, le nom des attributaires et le contenu de certains marchés de travaux et de fournitures. Par un jugement en date du 13 juillet 2016, le Tribunal administratif de Paris a annulé la décision de refus attaquée et enjoint au Ministre de l’Economie, de l’Industrie et du Numérique de communiquer à Monsieur B. les documents demandés.

Saisi d’un pourvoi par le Ministre de l’Economie, le Conseil d’Etat a, par une première décision n° 403465 en date du 3 octobre 2018, partiellement annulé le jugement du Tribunal administratif en ce qu’il enjoignait au Ministre de communiquer les avenants et leurs annexes, alors que ces documents avaient déjà fait l’objet d’une diffusion publique. Et, s’agissant de la communicabilité du protocole transactionnel en date du 9 avril 2015, il a sursis à statuer et ordonné au Ministre de l’Economie, avant dire droit, de lui transmettre ce document sous un mois.

Par cette seconde décision n° 403465 en date du 18 mars 2019, le Conseil d’Etat statue donc sur le caractère communicable de ce protocole transactionnel.

Tout d’abord, il rappelle qu’en application des articles L. 300-1 à L. 311-2 du Code des relations entre le public et l’administration que l’Etat (CRPA), les collectivités territoriales ainsi que les autres personnes de droit public ou les personnes de droit privé chargées d’une mission de service public sont tenues de communiquer aux personnes qui en font la demande les documents administratifs qu’elles détiennent, sous réserve des dispositions des articles L. 311-5 à L. 311-8 du même Code, lesquelles précisent notamment que ne sont pas communicables les documents dont la consultation ou la communication porterait atteinte « au déroulement des procédures engagées devant les juridictions ou d’opérations préliminaires à de telles procédures, sauf autorisation donnée par l’autorité compétente ».

Sur le fondement de ces dispositions, le Conseil d’Etat juge qu’un protocole transactionnel conclu par l’administration afin de prévenir ou d’éteindre un litige relevant de la compétence de la juridiction administrative, qui est un contrat administratif, présente le caractère d’un document administratif communicable. Toutefois, il précise que cette communication ne peut intervenir, sous réserve du respect des autres secrets protégés par la loi tel notamment le secret en matière commerciale et industrielle, « qu’après que l’instance en cause a pris fin ».

En l’occurrence, à la suite de la conclusion de l’accord transactionnel en date du 9 avril 2015, les sociétés contractantes s’étaient désistées des actions qu’elles avaient engagées devant les juridictions administratives. Dès lors, l’Etat ne pouvait plus refuser de communiquer ce protocole transactionnel sans méconnaitre les dispositions du CRPA. Par suite, le Conseil d’Etat rejette le pourvoi du Ministre de l’Economie.

Un frein à la présomption d’égalité de traitement instituée par un accord d’entreprise !

Par arrêt en date du 3 avril 2019 (17-11.970), la Cour de cassation s’est prononcée sur le point de savoir si une différence de traitement résultant d’un accord collectif est toujours présumée justifiée.

En effet, les accords collectifs sont soumis au principe d’égalité de traitement : les différences de traitement que ceux-ci instaurent entre les salariés placés dans une situation identique au regard de l’avantage considéré doivent reposer sur des raisons objectives dont le juge doit contrôler concrètement la réalité et la pertinence (Soc., 1 juillet 2009 n° 07-42.675)

Cependant, il existe une présomption générale de justification de toutes différences entre salariés dès lors qu’elles ressortent d’un statut collectif.

Or, la jurisprudence européenne considère qu’un accord collectif n’est pas en soi de nature à justifier une différence de traitement (CJUE, arrêts du 8 avril 1976, Defrenne, 43-75, point 39, du 13 septembre 2007, Del Cerro Alonso, C-307/05, points 57 et 58, du 17 avril 2018, Egenberger, C-414/16, point 77).

C’est pourquoi, la chambre sociale a écarté une présomption générale de justification de traitement : une différence de traitement en raison uniquement de la date d’entrée dans l’entreprise ne peut pas bénéficier d’une présomption de justification, alors que les salariés sont placés dans une situation exactement identique au regard des avantages institués par l’accord.

Les conséquences du principe de liberté de la preuve devant le Juge administratif : le cas de la note interne « soustraite » à son auteur

Le principe est connu : la preuve est libre devant le Juge administratif, et les parties peuvent étayer leurs allégations par tout type de preuve : témoignages écrits, constats d’Huissier, copies d’écran…

On a même été jusqu’à dire que le Conseil d’Etat était « viscéralement » attaché au principe de la liberté de la preuve, ce qui l’amène à écarter comme inopérant tout moyen relatif à l’origine des éléments de preuve, et notamment par exemple ceux obtenus en violation du secret de l’instruction (CE 14 juin 1999, Baumet, n° 196215).

La décision rendue par le Tribunal administratif de Cergy-Pontoise le 4 octobre dernier en est une illustration intéressante, puisque pour qualifier un détournement de procédure viciant la renonciation d’un agent au contrat à durée indéterminée dont il était titulaire au bénéfice d’un contrat à durée déterminée qui n’a ensuite pas été renouvelé à son terme quelques mois plus tard, le Tribunal s’est appuyé sur des notes de service rédigées par la directrice des affaires juridiques à l’intention de l’autorité territoriale, dont il ressortait que la décision avait en réalité pour objectif de mettre fin aux fonctions de la requérante, et non de régulariser sa situation comme cela lui avait été annoncé.

Il ressort du jugement que ces notes ont été « soustraites » à leur auteur : en d’autres termes, on peut s’interroger sur leur mode d’obtention…

Pour autant, le Tribunal considère :

« la circonstance que ces notes, dont l’authenticité n’est pas contestée, aient un caractère confidentiel et auraient été soustraites à leur auteur n’a pas pour effet de les rendre inopposables devant le juge administratif dès lors que ces pièces ont pu être discutées contradictoirement par les parties ».

Il s’agit en réalité de l’application d’une jurisprudence constante du Conseil d’Etat : il a ainsi déjà été jugé, dans des termes identiques (CE 8 nov. 1999, n° 201966, Election cantonale de Bruz) :

« Considérant que, si M. X… soutient également que le tribunal s’est fondé sur une note adressée par M. Y…, chef de cabinet, au président du conseil général d’Ille-et-Vilaine qui avait un caractère confidentiel et aurait été soustraite à son auteur, cette circonstance, à la supposer établie, n’est pas de nature à entacher d’irrégularité la procédure à la suite de laquelle le jugement attaqué a été rendu dès lors que cette pièce a pu être discutée contradictoirement par les parties ».

C’est ainsi que l’origine d’une preuve, et ses moyens d’obtention, sont indifférents au Juge administratif qui s’assurera uniquement que les deux parties puissent en débattre, avant de la retenir pour établir la réalité d’un fait, et en l’espèce la qualification de l’intention de l’auteur de l’acte.

Naturellement, l’autorité territoriale est libre de déterminer si elle entend saisir le Juge pénal d’une plainte à la suite de ces faits, tout du moins si les éléments du dossier le permettent.

Mais quoi qu’il en soit, on notera tout de même que si la preuve est libre pour la partie requérante, en revanche tel n’est pas le cas pour l’employeur public.

En effet, le Conseil d’Etat a considéré que l’employeur public étant soumis à une obligation de loyauté envers ses agents, il ne peut se fonder, pour établir des faits fautifs, sur des documents obtenus « en méconnaissance de cette obligation » (CE, 12 juillet 2014, Ganem, req. 355201), sauf « intérêt public majeur », notion dont les contours n’ont, à ce jour, et à notre connaissance, pas été encore définis.

C’est ainsi que sans aller jusqu’à consacrer un principe de loyauté de la preuve, comme cela peut exister en droit privé, le Conseil d’Etat a restreint la liberté pour l’employeur de rapporter la preuve de faits fautifs, par exemple dans le contentieux disciplinaire.

On soulignera que devant un Conseil de prud’hommes, le salarié ne peut produire un document appartenant à l’entreprise seulement si il y a eu accès à l’occasion de ces fonctions (Cass. Soc., 30 juin 2004 n° 02-41.720), ce qui en l’espèce n’aurait pas été le cas.

En d’autres termes, si l’agent peut « soustraire » un document à son employeur pour rapporter la preuve d’une faute, en revanche, l’employeur ne saurait, lui, « soustraire » un document à son agent pour démontrer une faute.

Les décharges d’activité de service constituent l’une des modalités d’exercice de la liberté syndicale dans la fonction publique

La mise œuvre des décharges d’activité de service pour activités syndicales accordées sur le fondement de l’article 16 du décret n° 82-447 du 28 mai 1982 relatif à l’exercice du droit syndical dans la fonction publique n’est pas toujours aisée, notamment dans les cas où leurs bénéficiaires ne sont pas affectés ou rémunérés par leur service d’origine.

Un syndicat avait sollicité en l’espèce du ministre de l’Agriculture, de l’Agroalimentaire et de la Forêt une décharge d’activité de services au bénéfice d’un de ses membres dont la gestion du corps est assurée par ledit ministre. Toutefois, cet agent était affecté dans un service relevant du Premier ministre, et était de surcroît rémunéré sur un programme du ministère de l’Ecologie.

C’est dans ces conditions qu’un refus a été opposé au syndicat par le ministre de l’Agriculture s’étant déclaré incompétent pour accorder la décharge.

Le syndicat a alors demandé au Tribunal administratif de Paris d’annuler ce refus, ainsi que le refus implicite du ministre de l’Ecologie également opposé à cette même demande. Le Tribunal a annulé le refus du ministre de l’Agriculture mais ce jugement a été annulé à son tour par la Cour administrative d’appel de Paris, considérant que le principe de liberté syndicale ne couvrait pas l’attribution aux syndicats de facilités pour l’exercice du droit syndical, dont relève l’octroi de décharges d’activités de service et jugé que le ministre de l’Ecologie était seul compétent pour octroyer une telle décharge dès lors que l’agent était rémunéré par ce ministère.

Saisi par le syndicat en cassation, le Conseil d’Etat rappelle en premier lieu que : « les décharges d’activité de service constituent l’une des modalités d’exercice de la liberté syndicale dans la fonction publique, dans les conditions définies par les dispositions de l’article 16 du décret du 28 mai 1982 » et annule pour ce motif l’arrêt de la Cour administrative d’appel de Paris.

Puis, s’agissant des modalités spécifiques d’octroi d’une décharge de service pour activité syndicale à un agent affecté ou mis à disposition d’un autre ministère, la Haute Juridiction, après avoir rappelé le mode de détermination du crédit de temps syndical, c’est-à-dire en fonction du nombre d’électeurs inscrits sur les listes électorales pour l’élection au comité technique ministériel, précise que les bénéficiaires de ces crédits de temps syndical dont relèvent les décharges d’activité « sont des agents de ce département ministériel et à ce titre électeurs au comité technique ministériel, quand bien même ils seraient affectés dans un service placé sous l’autorité d’un autre ministre ou mis à sa disposition ».

Il en ressort que le ministre de l’Agriculture était bien compétent pour statuer sur la demande de décharge d’activité de service demandée par l’agent en sa qualité d’électrice au comité technique ministériel, quand bien même elle était affectée dans un service du Premier ministre et rémunérée par le ministre de l’Ecologie.

Le Conseil d’Etat indique néanmoins que la démarche à adopter dans une telle hypothèse consiste à ce que « Dans ce cas, l’autorité compétente recueille l’accord de cet autre ministre ou du chef du service où est affecté l’agent, lequel se prononce au regard de la compatibilité de la décharge sollicitée avec la bonne marche de ce service ».

Des conditions de reprise de la sanction initiale par l’autorité territoriale à la suite de l’annulation de l’avis du conseil de discipline de recours

A la suite de l’annulation de l’avis du conseil de discipline de recours par le juge administratif, l’autorité territoriale peut-elle reprendre la sanction initialement prononcée à l’encontre d’agent sans abroger au préalable la précédente ? C’est la question qu’a eu à trancher le Conseil d’Etat dans une affaire récente.

Le maire de la commune de Ris-Orangis avait prononcé la révocation de Mme A, agent d’entretien titulaire.

Par un avis en date du 15 janvier 2010, le conseil de discipline de recours d’Ile-de-France s’était cependant prononcé en faveur d’une sanction d’exclusion temporaire de dix-huit mois dont six mois avec sursis. Or, pour rappel, aux termes de l’article 91 de la loi du 26 janvier 1984, « l’autorité ne peut prononcer de sanction plus sévère que celle proposée par le conseil de discipline de recours », c’est-à-dire qu’elle est liée à l’avis rendu.

Le maire de la commune a donc tiré les conséquences de cet avis et prononcé à l’encontre de l’agent une exclusion temporaire de fonctions de dix-huit mois dont six mois avec sursis.

Puis, le maire a saisi le Tribunal administratif d’un recours contre cet avis. Le Tribunal a annulé celui-ci par un jugement devenu définitif. 

Eu égard à cette annulation, le maire de la Commune a alors pû prononcer de nouveau la révocation de l’agent. Pour ce faire, il s’est cependant abstenu d’abroger la décision d’exclusion temporaire de dix-huit mois qui avait été antérieurement exécutée.

L’intéressé a alors saisi le Tribunal administratif de Versailles d’un recours en annulation qui a donné lieu à l’annulation de la sanction de révocation, confirmée par la Cour administrative d’appel.

Le Tribunal puis la Cour ont en effet jugé que le maire n’ayant pas rapporté la sanction de dix-huit mois d’exclusion temporaire, il ne pouvait pas prononcer une nouvelle sanction à l’encontre de Mme A pour les mêmes faits sans méconnaître la règle du non bis in idem.

Le Conseil d’Etat dans l’arrêt commenté rappelle cependant qu’en cas d’annulation de l’avis du conseil de discipline de recours proposant une mesure moins sévère, l’autorité territoriale peut légalement prendre de nouveau la sanction initiale qui avait été rapportée.

Puis, surtout, il juge que « cette sanction, qui ne peut prendre effet qu’à compter de sa notification à l’intéressée, doit être regardée comme rapportant implicitement mais nécessairement la mesure moins sévère qui avait, le cas échéant été antérieurement prise pour se conformer à l’avis », annulant ainsi l’arrêt de la Cour et confirmant la légalité de la révocation.

Tout à fait pragmatique, cette jurisprudence a ceci de pratique qu’elle évite une multiplication d’actes et, ce faisant, allège quelque peu la complexité de la procédure disciplinaire en pareille hypothèse de saisine du Juge par l’administration de la légalité de l’avis du Conseil de discipline de recours.

Le nouveau bailleur est tenu de réaliser les travaux non effectués par l’ancien

En cas de vente d’un immeuble loué, le nouveau propriétaire, qui devient cessionnaire du bail, est tenu envers le preneur de réaliser les travaux nécessaires à la délivrance conforme du bien, même si l’ancien propriétaire a déjà été condamné à les exécuter.

Le bailleur d’un immeuble à usage commercial et d’habitation est condamné par décision de justice à réaliser des travaux. L’immeuble est ensuite adjugé à un tiers. Le nouveau propriétaire est à son tour poursuivi par le preneur en réalisation des travaux qui n’ont pas été exécutés. Sa demande est accueillie par les juges du fond.

Devant la Cour de cassation, le nouveau propriétaire conteste sa condamnation, en faisant valoir qu’il appartenait au bailleur qui vend son immeuble de réaliser les travaux, jugés nécessaires alors qu’il était propriétaire, et dont la charge lui incombait, peu important que le jugement de condamnation du précédent propriétaire ait été annexé aux conditions de la vente. Le pourvoi est rejeté : depuis l’acquisition de l’immeuble, le nouveau propriétaire était tenu d’une obligation de délivrance envers le preneur. Faute pour lui de s’être acquitté de cette obligation, sa condamnation était justifiée.

La condamnation du nouveau propriétaire à réaliser les travaux auxquels l’ancien n’a pas procédé est logique. Elle s’explique par le transfert de contrat qui va de pair avec l’acquisition d’un immeuble : l’acquéreur de l’immeuble loué doit répondre, à compter du transfert de propriété, des obligations qui incombent au bailleur à l’égard du locataire (C. civ., art. 1743). Le nouveau propriétaire devient, par l’effet de ce changement de contractant, bailleur à l’égard du locataire ; il est donc débiteur de l’obligation de délivrance conforme attachée au contrat de bail.

L’absence de « dispense » de l’ancien bailleur, invoquée par le pourvoi, est certes exacte mais elle n’est pas de nature à dispenser le nouveau de son obligation. Le preneur pouvait ainsi reprocher au nouveau bailleur le défaut de délivrance conforme. En revanche, après réalisation des travaux, le nouveau bailleur devrait pouvoir obtenir remboursement de l’ancien, sauf clause contraire de l’acte de vente de l’immeuble.

Le Gouvernement n’entend pas procéder à un assouplissement des formalités à entreprendre afin de permettre aux associations syndicales libres (ASL) de mettre en conformité leurs statuts et ainsi recouvrer leur capacité à agir en justice.

Par une question écrite en date du 31 mai 2018, une sénatrice a attiré l’attention du Ministre de la cohésion des territoires sur la réglementation applicable aux associations syndicales libres (ASL) et plus particulièrement sur les ASL de lotissement qui n’ont aucune existence administrative faute d’avoir été régulièrement déclarées ab initio en préfecture par le maître d’ouvrage.

Ella demandait ainsi si le Gouvernement entendait procéder à un assouplissement des formalités à entreprendre, plus particulièrement sur l’exigence du consentement écrit de chacun des membres, afin de permettre aux associations syndicales libres de mettre en conformité leurs statuts et ainsi recouvrer leur capacité à agir en justice.

Ce à quoi le Ministre répond : `

« Aux termes de l’article 7 de l’ordonnance n° 2004-632 du 1er juillet 2004 relative aux associations syndicales de propriétaires : « Les associations syndicales libres se forment par consentement unanime des propriétaires intéressés, constaté par écrit ». Par ailleurs, pour être dotées de la capacité juridique, les associations syndicales libres (ASL) doivent procéder à une déclaration en préfecture publiée au Journal officiel. L’omission de ces formalités ne prive pas d’existence juridique les ASL, mais rend inopposable aux tiers les décisions de l’ASL, jusqu’à leur accomplissement. Pour recouvrir sa pleine capacité juridique, l’ASL doit produire les documents requis lors de la déclaration initiale de sa création, des assouplissements étant prévus s’agissant des ASL régies par l’article R. 442-7 et suivant du Code de l’urbanisme. La constitution de ces ASL est obligatoire lorsque des équipements communs sont prévus dans le lotissement. (…)

Le fait qu’une ASL de lotissement doive être obligatoirement constituée emporte comme conséquence qu’il n’est pas nécessaire de recueillir l’accord unanime des propriétaires des lots concernés pour adopter les statuts (Cass. Civ., 3ème, 28 nov. 1972 confirmé par Cass. Civ., 3ème, 1er juill. 1980. – Cass. Civ., 3ème,  18 déc. 1991. – Cass. Civ., 3ème, 28 avr. 1993).

L’appartenance à l’ASL résulte simplement de l’inclusion du terrain dans le périmètre syndical, quels que soient les travaux exécutés ou les prestations servies. L’acquisition d’une parcelle dans un lotissement vaut par elle-même appartenance à l’ASL (Cass. Civ., 3ème, 28 nov. 1972).

L’article 3 du décret n° 2006-304 du 3 mai 2006 portant application de l’ordonnance précitée a tiré les conséquences de cette jurisprudence en exonérant les membres d’une ASL de lotissement de la production d’un écrit spécifique portant adhésion nommé « déclaration de l’adhérent » lors du dépôt du dossier de déclaration en préfecture. L’acte d’acquisition du lot valant en lui-même acceptation des statuts et adhésion à l’ASL.

Par conséquent, le dossier de déclaration d’une ASL de lotissement doit comporter : la déclaration écrite et signée par l’un des membres ou le président, deux exemplaires des statuts (conformes à la réglementation issue de la réforme de 2004) et une copie du plan parcellaire. La réglementation en vigueur permet d’ores et déjà aux ASL de lotissement au sens de l’article R. 442-7 du Code de l’urbanisme de « régulariser » leur situation, sans devoir recueillir le consentement écrit de chaque propriétaire. Le Gouvernement n’entend donc pas modifier la réglementation sur ce point ».

En conséquence, le Ministre a donc confirmé que le Gouvernement n’entend donc pas modifier la réglementation en vigueur, qui permet d’ores et déjà aux ASL de lotissement au sens de l’article R. 442-7 du Code de l’urbanisme de « régulariser » leur situation, sans devoir recueillir le consentement écrit de chaque propriétaire.

 

Inapplicabilité de la règle de computation des délais à la prescription

Dans le cadre d’un contentieux en non réitération d’une promesse de vente, l’agent immobilier qui avait été mandaté par le bénéficiaire de la promesse a assigné ce dernier en paiement de sa commission et subsidiairement en dommages et intérêts suivant assignation du 19 juin 2013.

L’ancien mandant a soulevé une fin de non-recevoir en raison de la prescription de l’action, considérant que le délai pour agir, désormais de 5 ans avec la réforme de la prescription du 17 juin 2008 entrée en vigueur le 19 juin 2008, avait expiré le 18 juin 2013.

La Cour d’appel saisie du litige a rejeté cette fin de non-recevoir au motif que, selon les articles 641 et 642 du Code de procédure civile, lorsqu’un délai est exprimé en mois ou en années, ce délai expire le jour du dernier mois ou de la dernière année qui porte le même quantième que le jour de l’acte, de l’événement, de la décision ou de la notification qui fait courir le délai, et que tout délai expire le dernier jour à 24 heures.

Dans ces conditions, la Cour considérait que le délai de prescription applicable en l’espèce expirait le 19 juin 2013 à 24 heures.

La Cour de cassation casse l’arrêt au visa des articles des articles 1er, 2222, alinéa 2, 2228 et 2229 du Code civil et rappelle, dans un attendu de principe, que les règles de computation des délais du Code de procédure civile ne sont pas applicables à la prescription.

La juridiction suprême s’inscrit ici dans une jurisprudence constante et oblige ainsi les praticiens à redoubler de vigilance en la matière.

L’effacement de la dette du locataire bénéficiant d’un rétablissement personnel sans liquidation judiciaire ne fait pas obstacle à la résiliation de son bail

Un bailleur a assigné ses locataires en résiliation de bail pour défaut de paiement des loyers.

Les juges de première puis de seconde instance font droit à sa demande et prononcent donc la résiliation du bail, l’expulsion et ordonnent le remboursement de la dette locative.

Les locataires ayant parallèlement bénéficié d’un rétablissement personnel sans liquidation judiciaire, ils forment un pourvoi en cassation.

Selon eux, l’effacement de leur dette locative à l’issue de la procédure de traitement de surendettement ferait obstacle au prononcé de la résiliation de leur bail pour défaut de paiement des loyers.

La Cour de cassation rejette le pourvoi, considérant que :

« L’effacement de la dette locative qui n’équivaut pas à son paiement ne fait pas disparaître le manquement contractuel du locataire qui n’a pas payé son loyer».

Ainsi, nonobstant l’effacement de la dette locative, le bailleur peut valablement solliciter la résiliation du bail sur ce fondement, ce à quoi le juge peut, dans l’exercice de son pouvoir souverain, faire droit.

Cet arrêt pose plus généralement la question de l’articulation entre les procédures de résiliation de bail et de surendettement des particuliers dont la coordination est améliorée par la loi portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique, dite loi ELAN du 23 novembre 2018.

Péril imminent et contentieux de travaux publics

Cet arrêt revient sur l’enjeu de la qualification de travaux exécutés d’office en application d’un arrêté de péril imminent au regard des dispositions, alors en vigueur, de l’article R. 421-1 du Code de justice administrative.

Celles-ci prévoyaient en effet que : « Sauf en matière de travaux publics, la juridiction ne peut être saisie que par voie de recours formé contre une décision, et ce, dans les deux mois à partir de la notification ou de la publication de la décision attaquée ».

Ainsi, afin de déterminer la recevabilité d’une demande indemnitaire, il convenait de déterminer si les travaux de démolition partielle exécutés d’office en application d’un arrêté de péril présentaient ou non le caractère de travaux public.

Conformément à sa jurisprudence, le Conseil d’Etat rappelle ici que de tels travaux revêtent bien le caractère de travaux publics, de sorte que « en jugeant qu’il en allait autrement, au motif que les requérants soutenaient que les travaux engageaient la responsabilité de la commune en raison de l’illégalité de l’arrêté ayant fait l’objet de l’exécution d’office et en en déduisant que la demande était irrecevable faute d’avoir été précédée d’une réclamation ayant fait naître une décision de l’administration, la cour administrative d’appel de Nantes a commis une erreur de droit ».

Les dommages résultant de ces travaux pouvaient donc être contestés sans réclamation préalable ayant fait naître, implicitement ou explicitement, une décision de rejet de l’administration.

Toutefois, depuis le décret « JADE » du 2 novembre 2016, il n’existe plus, pour toutes les requêtes indemnitaires introduites à compter du 1er janvier 2017, d’exception relative aux litiges de travaux publics.

Les contentieux indemnitaires relatifs aux travaux réalisés d’office dans le cadre des procédures de péril prévues aux articles L. 511-1 et suivants du Code de la construction et de l’habitation exigent donc désormais une réclamation préalable.

Prescription de l’action en paiement de l’indemnité d’occupation du bailleur

Un bailleur consent un bail commercial à un preneur le 15 septembre 1997. Le 19 mars 2008, le preneur sollicite un renouvellement au 29 septembre 2008, renouvellement que le bailleur refuse suivant congé avec refus de renouvellement sans offre de paiement d’une indemnité d’éviction du 19 juin 2008 à effet au 30 septembre 2008.

Le preneur assigne alors le bailleur en contestation du congé le 12 novembre 2008, puis, à la suite de conclusions d’incident du 19 février 2009, une expertise judiciaire est ordonnée.

Suivant conclusions du 23 septembre 2013, le bailleur sollicite la condamnation du preneur au paiement d’une indemnité d’occupation.

Le 16 juin 2015, le jugement fixant l’indemnité d’éviction est rendu et finalement le bailleur exerce son droit de repentir le 2 novembre 2015.

Pour déclarer prescrite l’action en paiement de l’indemnité d’occupation du bailleur, la Cour d’appel retient que le point de départ du délai de prescription biennale était l’expiration du bail, soit le 30 septembre 2008.

La Cour de cassation casse et annule l’arrêt d’appel par un arrêt de principe rendu au visa des articles L. 145-28 (relatif à l’indemnité d’occupation) et L. 145-60 (relatif à la prescription) du Code de commerce en jugeant que :

« Le délai de l’action en paiement de l’indemnité d’occupation fondée sur l’article L. 145-28 du code de commerce ne peut commencer à courir avant le jour où est définitivement consacré, dans son principe, le droit du preneur au bénéfice d’une indemnité d’éviction ».

Dès lors, la prescription n’avait pas commencé à courir le 30 septembre 2008, mais le 16 juin 2015.

Par le présent arrêt, la Cour de cassation étend à l’indemnité d’occupation un principe d’ores et déjà acquis en matière d’indemnité d’éviction, qu’elle rappelle d’ailleurs.

La présente décision permet, de manière fort logique, de tempérer la brièveté et l’implacabilité de la prescription biennale applicable aux baux commerciaux.

Toutefois, à notre sens, une telle solution ne s’appliquerait pas en cas de congé avec refus de renouvellement et offre d’indemnité d’éviction, le droit du preneur au bénéfice d’une indemnité d’éviction étant consacré dans son principe dès la signification dudit congé.