le 18/04/2019

Requalification d’une autorisation d’occupation du domaine public et qualification de l’espace situé au-dessus de la Seine

CE, avis, 22 janvier 2019, Conditions de réalisation de passerelles innovantes sur la Seine, n° 396221

Par un avis du 22 janvier 2019, le Conseil d’Etat a répondu aux questions posées par le gouvernement sur deux sujets essentiels : la potentielle requalification d’une autorisation domaniale en contrat de la commande publique, et la qualification domaniale qu’il faut donner à l’espace qui se situe au-dessus de la Seine.

Au printemps 2018, la ville de Paris a lancé un appel à projets pour désigner un opérateur en charge de la conception et de la réalisation de trois passerelles sur la Seine, ainsi que pour assurer l’animation touristiques des sites. Et le « cahier des charges » attaché à cette procédure comportait de nombreuses prescriptions, lesquelles pouvaient être de nature à faire basculer le montage dans le champ de la commande publique.

Tout l’enjeu était en effet de déterminer si les prescriptions fixées n’avaient pas, in fine, pour objet de satisfaire un besoin de la ville de Paris, et/ou à tout le moins des personnes publiques partenaires. Par cet avis, le Conseil d’État expose la démarche à suivre : il faut apprécier si le contrat a pour objet de satisfaire un besoin précisé par la Ville et s’il rémunère en contrepartie l’opérateur désigné.

La satisfaction d’un besoin public relevait ici de l’évidence : dans la mesure où la réalisation des passerelles avait pour objectif de faciliter les déplacements au sein de la capitale, il est clair que le montage répondait à un besoin de la Cité. L’enjeu se situait donc ailleurs : il fallait apprécier si la Ville entendait pour autant préciser son besoin, c’est-à-dire si elle avait exercé une influence déterminante sur les ouvrages. Et, sur ce terrain, la réponse du Conseil d’Etat est en effet intéressante. D’un certain point de vue, la réponse s’imposait : dans la mesure où la Ville imposait la réalisation d’un ouvrage bien particulier, une passerelle, elle exerçait nécessairement une influence déterminante sur la nature de l’ouvrage. Mais le Conseil d’État se place toutefois sur un autre terrain. Outre la « présomption de réponse à un besoin de la personne publique » qui découle de l’inscription des ponts sur la « liste des activités qui sont des travaux en droit de la commande publique », et qui rend l’examen de cette condition ici caduque, il indique qu’en tout état de cause, la ville a exercé une influence sur la conception de l’ouvrage à raison des prescriptions tenant au maintien des activités économiques et industrielles déjà en place, et à la mise en œuvre d’une démarche écologique/durable.

Enfin, et l’avis est ici aussi éclairant, le caractère onéreux est également considéré comme vérifié sur le fondement d’une présomption attachée à « la seule mention » d’un modèle économique dans l’appel à projets : alors même que ce « plan d’affaires » n’est pas connu au jour du lancement de l’appel à projets, le Conseil d’Etat indique qu’il ressort de cette mention que l’opération aura fatalement pour contrepartie, soit un prix, soit (aussi) un droit d’exploitation.

L’ensemble des critères attachés à la définition d’un contrat de la commande publique étant satisfaits, le Conseil d’Etat en conclut que la procédure d’appel à projets engagée doit être abandonnée à raison du vice qui l’entache : elle ne peut être regardée comme satisfaisant l’une des procédures de publicité prévues au titre de la commande publique.

Le gouvernement souhaitait également savoir s’il pouvait effectivement octroyer des droits réels au titulaire de l’autorisation d’occupation du domaine, et ce alors même que l’autorisation allait porter pour l’essentiel sur l’espace situé au-dessus de la Seine, laquelle appartient au domaine public fluvial naturel, dont on sait qu’il ne peut donner lieu à l’octroi d’aucun droit réel (article L. 2122-5 du CG3P). Et l’avis est ici riche d’enseignements, puisque le Conseil d’Etat indique, par parallélisme avec sa jurisprudence relative au domaine maritime naturel, que l’espace situé au-dessus de la Seine n’appartient pas au domaine public fluvial naturel, et ne suit donc pas le même régime. Et, dans la mesure où les passerelles ne reposent pas sur des piliers implantés dans la Seine, l’autorisation domaniale ne porte pas, à ce titre non plus, sur le domaine public fluvial naturel. Le Conseil d’Etat donne donc son feu vert pour l’octroi de droits réels sur cette part « aérienne » du domaine public.

Précieux sur ces deux sujets, un « sujet du mois » de la Lettre d’actualité juridique sera consacré à cet avis dans un prochain numéro.