le 18/04/2019

Les conséquences du principe de liberté de la preuve devant le Juge administratif : le cas de la note interne « soustraite » à son auteur

TA Cergy-Pontoise, 4 octobre 2018, req. n° 1607071

Le principe est connu : la preuve est libre devant le Juge administratif, et les parties peuvent étayer leurs allégations par tout type de preuve : témoignages écrits, constats d’Huissier, copies d’écran…

On a même été jusqu’à dire que le Conseil d’Etat était « viscéralement » attaché au principe de la liberté de la preuve, ce qui l’amène à écarter comme inopérant tout moyen relatif à l’origine des éléments de preuve, et notamment par exemple ceux obtenus en violation du secret de l’instruction (CE 14 juin 1999, Baumet, n° 196215).

La décision rendue par le Tribunal administratif de Cergy-Pontoise le 4 octobre dernier en est une illustration intéressante, puisque pour qualifier un détournement de procédure viciant la renonciation d’un agent au contrat à durée indéterminée dont il était titulaire au bénéfice d’un contrat à durée déterminée qui n’a ensuite pas été renouvelé à son terme quelques mois plus tard, le Tribunal s’est appuyé sur des notes de service rédigées par la directrice des affaires juridiques à l’intention de l’autorité territoriale, dont il ressortait que la décision avait en réalité pour objectif de mettre fin aux fonctions de la requérante, et non de régulariser sa situation comme cela lui avait été annoncé.

Il ressort du jugement que ces notes ont été « soustraites » à leur auteur : en d’autres termes, on peut s’interroger sur leur mode d’obtention…

Pour autant, le Tribunal considère :

« la circonstance que ces notes, dont l’authenticité n’est pas contestée, aient un caractère confidentiel et auraient été soustraites à leur auteur n’a pas pour effet de les rendre inopposables devant le juge administratif dès lors que ces pièces ont pu être discutées contradictoirement par les parties ».

Il s’agit en réalité de l’application d’une jurisprudence constante du Conseil d’Etat : il a ainsi déjà été jugé, dans des termes identiques (CE 8 nov. 1999, n° 201966, Election cantonale de Bruz) :

« Considérant que, si M. X… soutient également que le tribunal s’est fondé sur une note adressée par M. Y…, chef de cabinet, au président du conseil général d’Ille-et-Vilaine qui avait un caractère confidentiel et aurait été soustraite à son auteur, cette circonstance, à la supposer établie, n’est pas de nature à entacher d’irrégularité la procédure à la suite de laquelle le jugement attaqué a été rendu dès lors que cette pièce a pu être discutée contradictoirement par les parties ».

C’est ainsi que l’origine d’une preuve, et ses moyens d’obtention, sont indifférents au Juge administratif qui s’assurera uniquement que les deux parties puissent en débattre, avant de la retenir pour établir la réalité d’un fait, et en l’espèce la qualification de l’intention de l’auteur de l’acte.

Naturellement, l’autorité territoriale est libre de déterminer si elle entend saisir le Juge pénal d’une plainte à la suite de ces faits, tout du moins si les éléments du dossier le permettent.

Mais quoi qu’il en soit, on notera tout de même que si la preuve est libre pour la partie requérante, en revanche tel n’est pas le cas pour l’employeur public.

En effet, le Conseil d’Etat a considéré que l’employeur public étant soumis à une obligation de loyauté envers ses agents, il ne peut se fonder, pour établir des faits fautifs, sur des documents obtenus « en méconnaissance de cette obligation » (CE, 12 juillet 2014, Ganem, req. 355201), sauf « intérêt public majeur », notion dont les contours n’ont, à ce jour, et à notre connaissance, pas été encore définis.

C’est ainsi que sans aller jusqu’à consacrer un principe de loyauté de la preuve, comme cela peut exister en droit privé, le Conseil d’Etat a restreint la liberté pour l’employeur de rapporter la preuve de faits fautifs, par exemple dans le contentieux disciplinaire.

On soulignera que devant un Conseil de prud’hommes, le salarié ne peut produire un document appartenant à l’entreprise seulement si il y a eu accès à l’occasion de ces fonctions (Cass. Soc., 30 juin 2004 n° 02-41.720), ce qui en l’espèce n’aurait pas été le cas.

En d’autres termes, si l’agent peut « soustraire » un document à son employeur pour rapporter la preuve d’une faute, en revanche, l’employeur ne saurait, lui, « soustraire » un document à son agent pour démontrer une faute.