Application du principe de précaution et appréciation de l’urgence dans le contentieux de la chasse

CE, 22 septembre 2020, Association one voice , n° 443778, 443779, 443781, 443782, 443784, 443788 

CE, 22 septembre 2020, Fédération nationale des chasseurs et Fédération régionale des chasseurs de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur, n° 443851 

 

Au cours du mois de septembre 2020, le Conseil d’Etat a adopté trois ordonnances se rapportant à la protection de l’avifaune et à la chasse. Ces décisions apportent des précisions sur l’appréciation de la condition de l’urgence, nécessaire pour obtenir la suspension d’une décision sur le fondement de l’article L. 521-1 du Code de justice administrative, dans le contentieux de la chasse (a). En outre, dans une ordonnance du 11 septembre, le juge a appliqué le principe de précaution à ce contentieux (b).  

 

 

1 – Appréciation de la condition d’urgence 

Par une ordonnance du 22 septembre 2020, Association one voice, n° 443778, 443779, 443781, 443782, 443784, 443788, le Conseil d’Etat a rejeté pour défaut d’urgence les demandes de la requérante, laquelle sollicitait la suspension de six autorisations de chasse de différentes espèces d’oiseaux sauvages (l’alouette des champs dans les départements du Lot-et-Garonne, Landes, Gironde et Pyrénées Atlantiques, ainsi que les vanneaux, pluviers dorés, grives et merles noirs dans les Ardennes). 

Pour établir que la condition d’urgence n’est pas remplie en l’espèce, le juge considère que « l’importance des populations d’oiseaux concernés en France au regard du nombre de prélèvements autorisés, le caractère sélectif des méthodes de capture en cause et les précautions imposées aux chasseurs », éléments mis en avant par le ministère de la transition écologique et solidaire, font obstacle à la reconnaissance de l’existence de cette condition. Ces éléments pourront donc être pris en compte pour apprécier l’urgence qu’il y aurait à suspendre une autorisation de chasse.  

Dans une autre ordonnance du même jour, le Conseil d’Etat indique que l’imminence de l’ouverture la campagne de chasse 2020-2021 et les conséquences financières qu’entraine l’interdiction de la chasse à la glu pour les chasseurs ne constituent pas des éléments de nature à établir l’urgence nécessaire au prononcé de la suspension, « eu égard à l’intérêt général qui s’attache au respect du droit de l’Union européenne et à la conservation des oiseaux sauvages concernés ». Par cette ordonnance Fédération nationale des chasseurs et Fédération régionale des chasseurs de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur, le juge administratif rejette ainsi la demande de suspension de la décision refusant d’autoriser, pour la campagne 2020-2021, l’emploi des gluaux pour la capture des grives et des merles destinés à servir d’appelants dans les départements des Alpes-de-Haute-Provence, des Alpes-Maritimes, des Bouches-du-Rhône, du Var et du Vaucluse.  

L’existence de l’urgence est néanmoins reconnue dans une troisième ordonnance, en date du 11 septembre. A l’occasion de cette affaire relative à la chasse de la tourterelle des bois, le Conseil d’Etat considère en effet que « eu égard à l’objet de l’arrêté dont la suspension est demandée, qui détermine les conditions dans lesquelles la tourterelle des bois peut être chassée […], au nombre maximal de prélèvements qu’il retient pour la chasse de cette espèce et qui n’est pas encore atteint, ainsi qu’à l’état de conservation de celle-ci, la condition d’urgence est remplie ». Le Conseil d’Etat juge ainsi qu’il y a urgence en raison de l’état de conservation de l’espèce et de la circonstance que l’ensemble des prélèvements autorisés n’aient pas été réalisés. L’arrêté contesté autorisait en effet le prélèvement, en France métropolitaine du 29 août 2020 au 20 février 2021, d’un maximum de 17 460 spécimens de tourterelles des bois. Or le quota maximal de 17 460 spécimens n’avait pas encore été atteint. Le juge semble ainsi considérer que, la suspension pouvant intervenir en temps utile pour la conservation de l’espèce, la condition d’urgence est remplie. 

  

2 – Mise en œuvre du principe de précaution pour suspendre l’autorisation de chasse de la tourterelle des bois 

Par l’ordonnance du 11 septembre 2020, Ligue pour la protection des oiseaux et Association one voice, n° 443482 et 443567, le Conseil d’Etat s’est comme évoqué ci-avant prononcé sur la conformité de l’autorisation de la chasse de la tourterelle des bois avec la directive 2009/147/CE du Parlement européen et du Conseil du 30 novembre 2009 concernant la conservation des oiseaux sauvages.  

Dans cette affaire, les associations requérantes sollicitaient la suspension de l’exécution de l’arrêté ministériel autorisant la chasse de la tourterelle des bois présenté ci-dessus, au motif notamment que cet arrêté méconnaissait l’article 2 de la directive 2009/147/CE. En effet, aux termes de cet article, « Les États membres prennent toutes les mesures nécessaires pour maintenir ou adapter la population de toutes les espèces d’oiseaux visées à l’article 1er à un niveau qui corresponde notamment aux exigences écologiques, scientifiques et culturelles, compte tenu des exigences économiques et récréationnelles ». 

Dans le cadre de l’examen de cette question, plusieurs éléments relatifs à la conservation de l’espèce sont pris en compte par le juge. Le Conseil d’Etat relève que la population de la tourterelle des bois, espèce notamment classée comme vulnérable par l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), a diminué en Europe de près de 80% entre 1980 et 2015. En outre, le Comité d’experts sur la gestion adaptative[1] a rendu un avis préconisant à titre principal de ne pas autoriser les prélèvements de spécimens de tourterelle des bois. La France a également fait l’objet d’une mise en demeure le 25 juin 2019 de la Commission européenne, qui avait souligné qu’aucune mesure de conservation spécifique à cette espèce n’avait été adoptée. Le Conseil d’Etat reproche également à l’Etat sa méthode de calcul du nombre de spécimens pouvant être prélevés, et en particulier d’avoir seulement appliqué « une règle de trois fondée sur une approximation de la baisse tendancielle de la population européenne sur les décennies passées », sans se fonder sur d’autres éléments permettant d’apprécier l’état de conservation de l’espèce de manière plus complète. 

Le juge se fonde alors sur l’ensemble de ces éléments et sur le principe de précaution pour considérer qu’il existe un doute sérieux sur la légalité de l’acte attaqué, dès lors qu’il « méconnaît l’objectif d’amélioration de l’état de conservation de l’espèce, résultant des articles 2 et 7 de la directive n° 2009/147/CE du 30 novembre 2009 ». Toutefois, si le Conseil d’Etat indique se fonder sur le principe de précaution, il n’apporte pas plus de précision sur son  appréciation de ce principe.

 
– 

[1] Aux termes de l’article L. 425-16 du Code de l’environnement « La gestion adaptative des espèces consiste à ajuster régulièrement les prélèvements de ces espèces en fonction de l’état de conservation de leur population et de leur habitat, en s’appuyant sur les connaissances scientifiques relatives à ces populations. […] » 

 

Taxes locales sur la consommation d’électricité : une réforme à venir

L’année 2021 devrait être marquée par la mise en œuvre du plan de relance, qui a pour objectif le retour de la croissance économique et l’atténuation des conséquences économiques et sociales de la crise.

A cette fin notamment, le 28 septembre dernier, le Ministre de l’Économie, des Finances et de la Relance et le Ministre délégué auprès du ministre de l’Économie, des Finances et de la Relance, chargé des Comptes publics, ont présenté le projet de loi de finances pour 2021. 

Parmi les mesures présentées, l’article 13 du projet de loi propose de simplifier la taxation de l’électricité en réformant les différentes taxes dues par les fournisseurs d’électricité au titre de la consommation finale d’électricité. 

Conformément à l’article L. 2333-2 du Code général des collectivités territoriales (CGCT), cette taxe est aujourd’hui instituée, au profit des communes ou, selon le cas, au profit des établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) ou des départements qui leur sont substitués au titre de leur compétence d’autorité organisatrice de la distribution publique d’électricité visée à l’article L. 2224-31 du CGCT. 

Selon l’exposé des motifs, la gestion de ces taxes est aujourd’hui partagée entre l’administration des douanes et des droits indirects, les services communaux, les services départementaux, les préfectures et les comptables assignataires de ces collectivités. 

L’article 13 prévoit de simplifier la taxation de l’électricité et de regrouper la gestion de ces taxes dans un guichet unique à la Direction Générale des Finances Publiques (DGFiP).  

Une réforme en trois étapes est prévue : 

  • au 1er janvier 2021, il sera procédé à un premier alignement des dispositifs juridiques, notamment des tarifs, de la taxe intérieure (TICFE) et des taxes communales (TCCFE) et départementales (TDCFE) ; 

  • au 1er janvier 2022, la gestion de la TICFE et des TDCFE sera transférée à la DGFiP et il sera procédé à un deuxième alignement pour les TCCFE ;

  • au 1er janvier 2023, la gestion des TCCFE sera transférée à la DGFiP. 

Le projet prévoit toujours que les communes ou, selon le cas, des établissements publics de coopération intercommunale ou des départements qui leur sont substitués au titre de leur compétence d’autorité organisatrice de la distribution publique d’électricité mentionnée à l’article L. 2224-31, conserveront le produit lié à la part communale de la taxe intérieure sur la consommation finale d’électricité. 

La discussion de la première partie du projet de loi aura lieu du lundi 12 au lundi 19 octobre et se conclura par un vote solennel le mardi 20 octobre après la séance des questions au Gouvernement. 

La discussion de la seconde partie du projet de loi de finances pour 2021 débutera le lundi 26 octobre et se conclura par un vote solennel sur l’ensemble du texte le mardi 17 novembre, après les questions au Gouvernement. 

L’adoption définitive du projet de loi de finances devra intervenir au plus tard le vendredi 18 décembre. 

Aides d’Etat : une centrale nucléaire peut bénéficier d’une aide d’Etat dans l’Union européenne

La Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) s’est récemment prononcée sur une question importante, celle de savoir si la construction d’une centrale nucléaire peut faire l’objet d’une aide d’État approuvée par la Commission européenne au sens de l’article 107, paragraphe 3, sous c) du Traité de fonctionnement de l’Union européenne (TFUE). 

A l’origine de ce contentieux, la République d’Autriche, résolument opposée au nucléaire, avait mis en cause la validité de la décision 2015/658 de la Commission du 8 octobre 2014 relatif au soutien financier du Royaume‑Uni de Grande Bretagne et d’Irlande du Nord à la construction de la centrale nucléaire de Hinkley Point C, située sur la côte sud-ouest de l’Angleterre.  

L’affaire avait ainsi fait l’objet d’un arrêt du Tribunal de l’Union européenne du 12 juillet 2018, Autriche c/ Commission (T‑356/15), contesté devant la CJUE. 

Par son arrêt commenté, la CJUE a rejeté le recours en annulation introduit par la République d’Autriche. 

Parmi les moyens soulevés, la République d’Autriche faisait notamment valoir que la construction d’une nouvelle centrale nucléaire ne constituait pas un objectif légitime dans l’intérêt de l’Union susceptible d’être poursuivi par des aides d’État.  Sur ce point, la République d’Autriche faisait valoir que le Tribunal avait commis une erreur de droit en considérant que l’aide était compatible avec le marché intérieur au motif qu’elle servait un intérêt public plutôt que de rechercher si elle servait l’« intérêt commun ».  

Au total, cinq moyens avaient été présentés qui sont rappelés dans les conclusions de l’avocat général

La Cour a, tout d’abord, rappelé que, pour pouvoir être déclarée compatible avec le marché intérieur conformément à l’article 107, paragraphe 3, sous c), du Traité sur le Fonctionnement de l’Union Européenne (TFUE), une aide d’État doit remplir deux conditions, la première étant qu’elle doit être destinée à faciliter le développement de certaines activités ou de certaines régions économiques, la seconde étant qu’elle ne doit pas altérer les conditions des échanges dans une mesure contraire à l’intérêt commun.  

Cette disposition n’exige pas, en revanche, que l’aide envisagée poursuive un objectif d’intérêt commun. Dès lors, la Cour a rejeté comme non fondés les différents arguments de l’Autriche tirés du fait que la construction d’une nouvelle centrale nucléaire ne constituerait pas un objectif d’intérêt commun.  

La Cour a, en outre, confirmé que, en l’absence de règles spécifiques dans le traité Euratom, les règles du TFUE en matière d’aides d’État ont vocation à s’appliquer dans le secteur de l’énergie nucléaire. Et, contrairement à ce qu’avait jugé le Tribunal de l’Union européenne, le traité Euratom ne s’oppose pas non plus à l’application dans ce secteur des règles du droit de l’Union en matière d’environnement, de sorte qu’une aide d’État en faveur d’une activité économique appartenant au secteur de l’énergie nucléaire, dont l’examen révèlerait qu’elle viole des règles environnementales, ne saurait être déclarée compatible avec le marché intérieur. 

L’arrêt confirme le droit d’un État membre de déterminer les conditions d’exploitation de ses ressources énergétiques, son choix entre différentes sources d’énergie et la structure générale de son approvisionnement énergétique, sans exclure que ce choix puisse porter sur l’énergie nucléaire : 

« Ainsi, le choix de l’énergie nucléaire appartenant, selon ces dispositions du traité FUE, aux États membres, il apparaît que les objectifs et les principes du droit de l’Union en matière d’environnement et les objectifs poursuivis par le traité Euratom, (…) ne sont pas en contradiction, de telle sorte que, contrairement à ce que soutient la République d’Autriche, les principes de protection de l’environnement, de précaution, du pollueur-payeur et de durabilité ne peuvent être considérés comme s’opposant, en toutes circonstances, à ce que des aides d’État en faveur de la construction ou de l’exploitation d’une centrale nucléaire soient octroyées ». 

Il s’en suit que le Royaume-Uni était en droit de déterminer la promotion de l’énergie nucléaire et, plus spécifiquement, l’incitation à la création de nouvelles capacités de production d’énergie nucléaire, comme un objectif d’intérêt public au sens de l’article 107, paragraphe 3, sous c), TFUE. 

Arrêté du 8 septembre 2020 relatif au taux 2020 de la contribution due par les gestionnaires des réseaux publics de distribution pour le financement des aides aux collectivités pour l’électrification rurale

Le compte d’affectation spécial (CAS) « Financement des aides aux collectivités pour l’électrification rurale », dit « FACÉ », créé par l’article 7 de la loi rectificative du 28 décembre 2011[1], retrace les aides versées aux autorités organisatrices de la distribution d’électricité (ci-après AODE) pour le financement des travaux d’électrification en zone rurale dont elles assurent la maîtrise d’ouvrage. 

Le financement du CAS-FACÉ repose sur des contributions dues par les gestionnaires de réseaux de distribution, c’est-à-dire Enedis et les entreprises locales de distribution (ELD). Cette contribution est assise sur le nombre de kilowattheures distribués à partir des ouvrages exploités en basse tension l’année précédant celle du versement des contributions. 

Afin de permettre une péréquation entre les territoires urbains et ruraux au profit de ces derniers, le taux de contribution est différent selon que les communes sont urbaines ou rurales.  

A cette fin, est annuellement fixé le taux de la contribution due par les gestionnaires des réseaux publics de distribution pour le financement des aides aux collectivités pour l’électrification rurale, assise sur le nombre de kilowattheures distribués à partir des ouvrages en basse tension qu’ils ont exploités l’année précédente.  

C’est ainsi que pour l’année 2020, l’arrêté du 8 septembre 2020 publié au Journal Officiel du 17 septembre 2020, vient fixer ce taux comme suit :  

  •  0,1880438 centime d’euro par kilowattheure pour les communes dont la population est supérieure à 2 000 habitants ; 
  • 0,0376088 centime d’euro par kilowattheure pour les communes dont la population est inférieure à 2 000 habitants. 

[1] Loi n° 2011-1978 de finance rectificative pour 2011 du 28 décembre 2011 

Publication de deux délibérations de la CRE en matière de biométhane

Le 10 septembre 2020, la Commission de régulation de l’énergie (CRE) a publié sur son site deux délibérations en matière de biométhane, à savoir :  

  • Une délibération portant avis sur les projets de décret et d’arrêté modifiant les dispositifs de soutien à la filière biométhane ;  
  • Une délibération portant validation des zonages de raccordement dans le cadre de l’insertion du biométhane dans les réseaux de gaz 

  

  

  

Délibération de la CRE du 10 septembre 2020 portant avis sur les projets de décret et d’arrêté modifiant les dispositifs de soutien à la filière biométhane 

Délibération de la CRE du 10 septembre 2020 portant avis sur les projets de décret et d’arrêté modifiant les dispositifs de soutien à la filière biométhane 

En application des articles L. 446-4 et D. 446-12 du Code de l’énergie, la CRE a été saisie le 27 août 2020 puis le 2 septembre 2020 par Madame la ministre de la transition écologique d’un projet de décret modifiant le code de l’énergie et d’un projet d’arrêté abrogeant l’arrêté du 23 novembre 2011 fixant les conditions d’achat du biométhane injecté dans les réseaux de gaz naturel.  

Le projet de décret prévoit, à titre principal :  

  • de renforcer les conditions préalables à la signature d’un contrat d’achat ;
     
  • de plafonner les modifications de la capacité maximale de production à 30 % du niveau inscrit dans le contrat initial et de limiter la fréquence de ces modifications tous les 24 mois.  

Le projet d’arrêté[1] vient quant à lui modifier la structure du tarif d’achat et le tarif d’achat lui-même en prévoyant :  

  • une réduction du tarif d’achat pour les installations bénéficiant d’une aide à l’investissement de l’ADEME ;
     
  • une trajectoire de réduction du tarif d’achat à hauteur de 2% par an et un mécanisme de réduction dynamique du tarif d’achat en fonction des signatures de contrats d’obligation d’achat ;
     
  • un mécanisme de révision du tarif d’achat par la CRE

La CRE estime dans la délibération ici commentée que cette révision du mécanisme de soutien au biométhane est nécessaire dans le contexte actuel. En effet, la programmation pluriannuelle de l’énergie a acté le principe d’attribuer à la filière de biométhane de nouvelles autorisations d’engagement et la rapidité de développement de cette filière vient confirmer que les conditions de soutien actuelles ne reflètent plus les coûts réels de la filière.  

En s’appuyant principalement sur les données du bilan technique et économique des installations de production de biométhane qu’elle a réalisé en 2018[2], la CRE rend un avis globalement favorable aux principes retenus pour les évolutions proposées par les projets d’arrêté et de décret susvisés. 

La CRE indique toutefois qu’un nouvel exercice de transmission d’informations et d’analyse serait nécessaire pour vérifier l’adéquation du projet d’arrêté à l’évolution des conditions économiques de la filière. 

 

Délibération de la CRE du 10 septembre 2020 portant validation des zonages de raccordement dans le cadre de l’insertion du biométhane dans les réseaux de gaz 

Délibération de la CRE du 10 septembre 2020 portant validation des zonages de raccordement dans le cadre de l’insertion du biométhane dans les réseaux de gaz 

Pour rappel, les modalités d’injection du biogaz produit par méthanisation sur les réseaux de distribution et de transport du gaz naturel instituée par la loi du 30 octobre 2018[3] sont précisées par le décret du 28 juin 2019[4], désormais codifié aux articles D. 453-20 à D. 453-25 du Code de l’énergie.  

A ce titre, l’article D. 453-21 du Code de l’énergie prévoit que pour procéder à une telle injection, « les gestionnaires de réseaux de transport et de distribution de gaz naturel élaborent, après consultation des autorités organisatrices de la distribution de gaz naturel concernées, un zonage de raccordement des installations de production de biogaz à un réseau de gaz naturel, qu’ils soumettent à la validation de la Commission de régulation de l’énergie ».  

Ce zonage, qui doit donc être soumis à consultation des acteurs locaux puis à validation de la CRE, définit, pour chaque zone du territoire métropolitain continental située à proximité d’un réseau de gaz naturel, le réseau le plus pertinent d’un point de vue technico économique pour le raccordement d’une installation de production de biogaz.  

C’est dans ce cadre que les gestionnaires des réseaux de transport et de distribution de gaz naturel, après avoir élaboré une carte de zonage indicative en avril[5], ont soumis à la validation de la CRE, le 31 août 2020, 71 zonages de raccordement. 

Plus précisément, pour chaque zonage, les opérateurs ont communiqué, d’une part, les réponses obtenues de la part des acteurs locaux dans le cadre de l’exercice de consultation et, d’autre part, l’ensemble de leurs caractéristiques, reproduites en annexe de la délibération commentée.  

Ainsi, aux termes de cette délibération, la CRE :  

  • valide 54 zonages, dont la liste figure également en annexe de la délibération ;  
  • ne valide pas les 17 autres zonages au motif que les éléments communiqués par les opérateurs nécessitent d’être complétés pour démontrer la solution pertinente pour procéder au raccordement, compléments que la CRE demande de communiquer dans les meilleurs délais. 

Dès lors, les 54 zonages validés par la CRE feront l’objet d’une publicité adéquate sur leurs sites internet et sont désormais prescriptifs, tout raccordement d’un site d’injonction de biométhane devant être conforme à ceux-ci. 

[1] A noter que l’éligibilité à l’arrêté tarifaire est restreinte aux installations dont la capacité maximale de production est inférieure à 300 Nm3/h, représentant une production de l’ordre de 25 GWh/an ; les installations de taille supérieure seront quant à elles soutenues par appel d’offres.  

[2] Disponible sur ce lien : https://www.cre.fr/Documents/Publications/Rapports-thematiques/bilan-technique-et-economique-des-installations-de-production-de-biomethane    

[3] Loi n° 2018-938 du 30 octobre 2018 pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous  

[4] Décret n°2019-665 du 28 juin 2019 relatif au renforcements des réseaux de transport et de distribution de gaz naturel nécessaires pour permettre l’injection du biogaz produit, complété par l’arrêté du 28 juin 2019 définissant les modalités d’application de la section 6 du chapitre III du titre III du titre V du lire IV du code de l’énergie 

[5] Cette carte de zonage avait été présenté dans notre LAJEE du mois d’avril disponible icihttp://www.seban-associes.avocat.fr/publication-dune-carte-de-zonage-indicative-par-grdf-et-grtgaz-sur-leurs-sites-pour-linjection-du-biomethane-dans-les-reseaux-de-distribution-de-gaz-naturel%e2%80%af/?idlajee=100987  

Déchets : Expérimentation d’un dispositif de médiation au sein des filières REP

L’article 73 de la loi n° 2020-105 du 10 février 2020 relative à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire prévoyait l’expérimentation d’un dispositif de médiation au sein de certaines filières de responsabilité élargie des producteurs (REP) « visant à améliorer les relations et résoudre les différends éventuels au sein des filières concernées notamment entre les éco-organismes, les opérateurs de la prévention et de la gestion des déchets, les structures de réemploi et de réutilisation ainsi que les collectivités territoriales ». 

Les modalités de mise en œuvre de cette expérimentation ont été fixées par le décret n° 2020-1133 du 15 septembre 2020 relatif à l’expérimentation d’un dispositif de médiation en cas de différend au sein des filières de responsabilité élargie des producteurs, publié au Journal officiel du 16 septembre 2020. 

Ce dispositif rend possible la saisine du médiateur des entreprises en cas de différend opposant un éco-organisme (ou producteur ayant mis en place un système individuel de collecte et traitement agréé) et différents acteurs du secteur des déchets énumérés de manière non limitative par le décret, dont les collectivités territoriales (article 1er). Si la rédaction de l’article 73 de la loi du 10 février 2020 laissait entendre que seules certaines filières de REP seraient concernées par cette expérimentation, le décret les vise dans leur ensemble.  

Le médiateur des entreprises a été institué par un décret du 14 janvier 2016 et « assure les fonctions précédemment exercées par le médiateur des relations interentreprises et par le médiateur des marchés publics » (article unique).  Son intervention est gratuite et se voit appliquer le principe de confidentialité. 

Concernant la procédure de médiation, le décret précise qu’elle sera soumise aux dispositions du Code de procédure civile relatives à la médiation conventionnelle, et à l’article 2238 du Code civil, ou le cas échéant à celles du Code de justice administrative relatives à la médiation (article 2). Si le médiateur est saisi d’une demande de médiation n’étant pas manifestement infondée ou inappropriée, il lui appartiendra d’en informer l’autre partie par tout moyen et de solliciter sa participation à la médiation (article 4). La saisine doit s’accompagner d’un engagement de confidentialité (article 3).  

Le médiateur des entreprises pourra exercer plusieurs prérogatives dans le cadre de sa mission : il pourra ainsi consulter le comité des parties prenantes de l’éco-organisme ou la commission inter-filières et solliciter un avis avec l’accord des parties, dans le respect du principe de confidentialité (article 5). Il peut également participer en qualité d’observateur aux réunions de ces instances, mais il ne pourra assister qu’aux réunions du comité des parties prenantes qui sont utiles à la réalisation de sa mission et sur invitation de celui-ci (article 6).  

Le médiateur doit présenter un bilan annuel de son activité à la commission inter-filières (article 6). Il doit également lui présenter un projet de rapport d’évaluation, qui sera ensuite adressé au « ministre chargé de l’environnement, au ministre chargé de l’économie et au Parlement au plus tard six mois avant la fin de l’expérimentation du dispositif de médiation » (article 7).  

Les associations de défense de l’environnement ne peuvent pas se constituer partie civile en cas de mise en danger d’autrui en raison de la pollution atmosphérique

Cass. Crim., 8 septembre 2020, n° 19-85.004, F-P+B+I  

 

Par deux arrêts du 8 septembre 2020, la Chambre criminelle de la Cour de cassation retient que les associations de défense de l’environnement ne sont pas recevables à se constituer partie civile pour mise en danger d’autrui, faute de pouvoir exciper d’un préjudice personnel.  

 

Dans la première espèce (19-84.995), deux associations s’étaient constituées partie civile pour mise en danger d’autrui en raison de la pollution atmosphérique, dont l’une seulement avait déposé une plainte au préalable.  

En premier lieu, la Cour de cassation retient qu’une plainte ne peut bénéficier qu’à la personne qui l’a déposée personnellement et que ne peut se constituer partie civile que cette dernière ; l’association n’ayant pas déposé la plainte personnellement ne pouvait dès lors se constituer partie civile.  

En second lieu, la Cour retient que, pour être recevable à se constituer partie civile pour mise en danger d’autrui, une personne doit pouvoir exciper d’une exposition au risque d’atteinte à l’intégrité physique. Or, par essence, une association ne peut exciper d’un tel préjudice personnel. Elle ne peut dès lors se constituer partie civile.  

 

Dans la seconde espèce (19-85.004), une association avait déposé une plainte simple du chef de mise en danger d’autrui visant les carences des pouvoirs publics dans les actions susceptibles d’être menées pour lutter contre l’exposition de la population aux polluants atmosphériques. 

Dans cette espèce, la Cour retient que, si l’article L. 142-2 du Code de l’environnement permet aux associations agréées pour la défense de l’environnement de se constituer partie civile, ce texte est néanmoins d’interprétation stricte et ne s’applique qu’à la condition que l’infraction dénoncée relève de la liste limitative des infractions aux dispositions législatives relatives à la protection de l’environnement ou ayant pour objet la lutte contre les pollutions ou les nuisances énumérées par cet article. Or le délit de mise en danger d’autrui s’attache à la protection des êtres humains et non pas à celle du cadre de vie, de la nature et de l’environnement, à savoir les domaines pour lesquels l’association en question a été agréée. Dès lors, elle ne peut pas se constituer partie civile.  

En outre, l’article 2 du Code de procédure pénale dispose que l’action civile en réparation du dommage causé par une infraction appartient uniquement à ceux qui ont personnellement souffert du dommage causé par cette infraction. Comme précédemment, la Cour retient que, par essence, une association, personne morale, ne peut exciper d’une exposition à un risque d’atteinte à l’intégrité physique et donc d’un préjudice personnel causé par la pollution atmosphérique. Pour cette raison également, l’association ne pouvait se constituer partie civile.  

Lutte contre la pollution atmosphérique : détermination des critères obligeant les communes et EPCI à créer des zones à faible émission mobilité

Le décret n° 2020-1138 du 16 septembre 2020 a été adopté en application des dispositions de l’article L. 2213-4-1 du Code général des collectivités territoriales (CGCT) qui vise à lutter contre la pollution atmosphérique.  

Cet article prévoit la possibilité pour le maire ou le président d’un établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre (EPCI-fp) disposant du pouvoir de police de la circulation, de créer des zones à faibles émissions mobilité dans les agglomérations et dans les zones pour lesquelles un plan de protection de l’atmosphère est adopté ou doit l’être, sur tout ou partie du territoire de la commune ou de l’EPCI. Ces zones à faibles émissions mobilité sont délimitées par un arrêté qui fixe les mesures de restriction de circulation applicables et détermine les catégories de véhicules concernés. 

Cette possibilité est même érigée en obligation, en application de ce même article, avec une mise en œuvre avant le 31 décembre 2020 lorsque les normes de qualité de l’air (mentionnées à l’article L. 221-1 du Code de l’environnement (C. env.)) ne sont pas respectées de manière régulière sur le territoire de la commune ou de l’EPCI.  

Il s’agira en outre, à compter du 1er janvier 2021, d’une obligation de création de dans un délai de 2 ans pour les communes et EPCI lorsque ces normes ne sont pas respectées de manière régulière et que les transports terrestres sont à l’origine d’une part prépondérante des dépassements.  

Pour juger du respect de ces normes, l’article renvoie à l’établissement de critères définis par voie réglementaire. Le décret du 16 septembre 2020 établit ainsi les critères définissant les collectivités territoriales soumises à l’obligation d’instaurer une zone à faibles émissions mobilité, par l’intégration au CGCT des nouveaux articles D. 2213-1-0-2 et D. 2213-1-0-3.  

L’article D. 2213-1-0-2 établit que sont soumis à cette obligation les communes ou EPCI-fp dont le territoire est inclus en tout ou partie dans une zone administrative de surveillance de la qualité de l’air dans laquelle l’une des valeurs limites définies à l’article R. 221-1 du C. env., relatives au dioxyde d’azote (40 µg/ m³ en moyenne civile annuelle) ou aux particules PM10 (50 µg/ m³ en moyenne journalière à ne pas dépasser plus de trente-cinq fois par année civile ou 40 µg/ m³ en moyenne annuelle civile) ou PM2,5 (25 µg/ m³ en moyenne annuelle civile), n’est pas respectée au moins 3 années sur les 5 dernières, sauf à démontrer que ces valeurs limites sont respectées pour au moins 95% de la population de la commune ou de l’EPCI concerné (cette dernière précision ne s’applique pas aux métropoles et à leurs communes). Par ailleurs, les communes ou EPCI démontrant que les actions menées sur leur territoire permettent d’atteindre les valeurs limites susmentionnées pour l’ensemble de la population dans des délais plus courts que ceux procédant de la mise en place d’une zone à faibles émissions mobilité, ne sont pas considérés comme dépassant de manière régulière les normes de qualité de l’air (sauf Métropoles et leurs communes) et ne sont donc pas soumises à cette obligation.  

L’article D. 2213-1-0-3, quant à lui, détermine les situations dans lesquelles les transports terrestres doivent être considérés comme étant à l’origine d’une part prépondérante des dépassements de valeurs limites, à savoir lorsque lesdits transports sont la première source des émissions polluantes ou lorsque les lieux concernés par le dépassement sont situés majoritairement à proximité des voies de circulation routière.  

Projet de décision de la CRE relative aux prestations annexes réalisées à titre exclusif par les GRD de gaz

La Commission de Régulation de l’Energie (ci-après, CRE) a adopté un projet de décision portant sur les prestations réalisées à titre exclusif par les gestionnaires de réseaux de distribution de gaz naturel (ci-après, GRD).  

Pour rappel, en complément de la mission d’acheminement du gaz naturel, les GRD exercent également des prestations annexes réalisées à titre exclusif à la demande principalement des fournisseurs et des consommateurs finals et rassemblées, pour chaque GRD, dans un catalogue de prestations.  

Le coût des prestations annexes réalisées à titre exclusif par les GRD de gaz naturel est : 

  • soit entièrement couvert par le tarif d’utilisation des réseaux (dit ATRD) ; la prestation n’est alors pas facturée au demandeur ; 
  • soit couvert en tout ou partie par le tarif de la prestation facturé par le GRD. La part du coût non couverte par le tarif de la prestation est couverte par l’ATRD. 

C’est la CRE qui est compétente pour fixer les tarifs de ces prestations (art. L. 452-2 et L. 452-3 du Code de l’énergie).  

Par ailleurs, les GRD de gaz naturel peuvent, dans le respect des principes du droit de la concurrence, proposer des prestations relevant du domaine concurrentiel, dont ils fixent librement le prix. 

En l’espèce, la délibération de la CRE du 3 septembre 2020 (dans la foulée de la consultation publique réalisée au printemps 2020) conduit aux évolutions suivantes, apportées aux prestations annexes actuellement en cours : 

  • Adaptation du contenu des prestations relatives à la pression disponible « standard » et « non standard » et de la prestation « Etude technique » ; 

  • Introduction de nouvelles prestations « Frais de dédit pour reprogrammation tardive », « Frais de dédit pour annulation très tardive » et « Frais de dédit pour reprogrammation très tardive », en tant que prestations optionnelles du tronc commun ; 

  • modification des prestations relatives à l’injection du biométhane dans les réseaux, notamment en : 
    • adaptant la description de la prestation « Réalisation de raccordement d’un producteur de biométhane » ; 
    • modifiant la prestation « Analyse de la qualité du biométhane » ; 
    • précisant une nouvelle plage de pression d’injection dans la prestation « Service d’injection de biométhane » ; 
  • pérennisation de la prestation expérimentale « Modification en masse du champ fournisseur Commentaire Point De Livraison et d’Acheminement (PDLA) » ; 
  • suppression de la prestation « Contrôle compteur avec compteur étalon » spécifique à Régaz-Bordeaux ; 

  • transfert des prestations relatives à la mise en service en gaz au sein des prestations du tronc commun pour lesquelles il n’existe pas d’équivalent en électricité, afin d’aligner les tarifs de l’ensemble des GRD bi-énergie sur ceux des GRD de gaz naturel mono-énergie. 

La délibération sera transmise pour avis au Conseil supérieur de l’énergie.  

Les modifications issues de ce projet de décision entreront en vigueur le 1er janvier 2021. 

Dommages causés aux parties communes à la suite de la rénovation d’une colonne montante électrique : présomption de responsabilité du GRD en l’absence d’état des lieux contradictoire préalable aux travaux

Dans une recommandation du 9 septembre, le Médiateur National de l’Energie (ci-après, MNE) a eu l’occasion de préciser sa doctrine en matière de prise en charge des travaux de génie civil rendus nécessaires par la rénovation de la colonne montante électrique équipant un immeuble.  

Dans de précédentes recommandations, le MNE avait déjà posé le principe selon lequel ces travaux ne sont pas à la charge des propriétaires ou copropriétaires mais incombent bien au gestionnaire du réseau de distribution (GRD) (voir notamment le focus de notre lettre d’actualité énergie et environnement de février 2018). 

En l’espèce, le Médiateur était saisi par une copropriété qui estimait que le GRD qui avait réalisé des travaux de rénovation de la colonne montante n’avait pas achevé les travaux, des finitions restant à réaliser, et avait provoqué des dommages dans les parties communes de l’immeuble. Parmi les éléments reprochés par la copropriété à Enedis, figuraient notamment : des tâches dans la cour de l’immeuble, des bris de tomettes ou encore des finitions inachevées dégradant l’aspect esthétique des parties communes. 

Le GRD, d’une part, contestait être à l’origine des dommages constatés, et d’autre part, soutenait pour certains travaux que des raisons techniques expliquaient leur caractère inachevé. 

Le MNE estime cependant que, faute pour le GRD d’avoir réalisé un état des lieux contradictoire préalablement aux travaux, il lui incombe de prendre en charge les réparations sollicitées. 

Le MNE sollicite en outre du GRD qu’il produise les éléments de preuve des raisons techniques qu’il invoque pour refuser de réaliser certains travaux de finition. 

Le MNE recommande ainsi de manière générale au GRD d’établir un constat contradictoire de l’état des lieux, avant et après travaux, et, en l’absence de constat, de prendre en charge la réparation des détériorations dont il n’est pas mesure de démontrer qu’elles ne seraient pas de son fait. 

Ce faisant, le MNE considère que l’absence d’établissement d’un constat contradictoire préalable aux travaux génère une présomption de responsabilité du GRD dans les dégradations affectant les parties communes de l’immeuble. 

Projet de loi ASAP : le gouvernement veut simplifier le droit de la commande publique par amendements

 

Lors de l’examen du projet de loi d’Accélération et de Simplification de l’Action Publique (dit projet de loi « ASAP »), l’Assemblée Nationale vient de confirmer en première lecture l’absence de mise en concurrence pour un nombre croissant de marchés à conclure avec un avocat. Par ailleurs, elle vient d’adopter trois amendements gouvernementaux dont certains agitent le landernau de la commande publique. 

 

 

Pas de mise en concurrence pour les prestations d’avocat lorsqu’elles sont en lien avec une procédure juridictionnelle

Cette disposition avait déjà été adoptée par le Sénat mais elle constitue une avancée considérable dans la relation de confiance entre la personne publique et son avocat. En effet, pourront désormais être confiées à un avocat sans publicité ni mise en concurrence les prestations suivantes : 

  • Les services juridiques de représentation légale d’un client par un avocat dans le cadre d’une procédure juridictionnelle, devant les autorités publiques ou les institutions internationales ou dans le cadre d’un mode alternatif de règlement des conflits ;

  • ​Les services de consultation juridique fournis par un avocat en vue de la préparation de toute procédure visée à l’alinéa précédent ou lorsqu’il existe des signes tangibles et de fortes probabilités que la question sur laquelle porte la consultation fera l’objet d’une telle procédure.

Des ajouts fort opportuns pour répondre à la relation privilégiée, intuitu personae, qui est entretenue entre un acheteur public et son avocat en précontentieux et contentieux, et dont l’élargissement aux prestations de conseil pourraient être réinterrogées.

 

 

Faire de l’intérêt général un motif pour attribuer un marché sans mise en concurrence préalable (article 44 quater) 

Présentée ainsi, cette réforme paraît presque révolutionnaire. Elle ne l’est pas tant que ça en réalité. 

En effet, cet article vient seulement compléter l’article L. 2122-31 du Code de la commande publique de la façon suivante : 

« L’acheteur peut passer un marché sans publicité ni mise en concurrence préalables dans les cas fixés par décret en Conseil d’Etat lorsque en raison notamment de l’existence d’une première procédure infructueuse, d’une urgence particulière, de son objet ou de sa valeur estimée, le respect d’une telle procédure est inutile, impossible ou manifestement contraire aux intérêts de l’acheteur ou à l’intérêt général ».

Il faudra donc démontrer, non seulement qu’il est d’intérêt général de ne pas procéder à une publicité et une mise en concurrence, mais encore que des circonstances particulières – telles que l’existence d’une procédure infructueuse, une urgence particulière ou l’objet du marché – le justifient.

L’intérêt général s’entend de ce qui dépasse l’intérêt particulier de la collectivité acheteur public. On peut penser à l’intérêt des usagers d’un service public ou des contribuables concernés, à l’intérêt (peut-être) de la conduite d’une politique nationale au-delà d’une politique non locale (la relance économique par exemple).

Par ailleurs, cette possibilité sera encadrée par les dispositions règlementaires. Or, les articles R. 2122-1 et suivants du Code de la commande publique viennent réduire considérablement le champ d’application de l’article L. 2122-31 du Code de la commande publique même si ceux-ci devraient être complétés sur cette question d’intérêt général. 

C’est donc essentiellement à la lecture de ce décret que nous saurons si l’intention est bien de « détricoter » ou seulement d’ouvrir un peu le champ des possibles en matière de conclusion de marchés publics sans publicité ni mise en concurrence préalable. Mais ce qui est certain, c’est que cette possibilité est désormais entre les mains du pouvoir exécutif. 

 

 

Faciliter l’accès des marchés aux entreprises en redressement judiciaire (article 44 quater) 

Cet amendement vient corriger une lacune du Code de la commande publique. En effet, jusque-là, à la seule lecture des textes, une société en redressement judiciaire qui bénéficiait d’un plan de redressement mais qui n’avait pas été habilitée à poursuivre ses activités pendant la durée du marché pouvait se voir exclure d’une procédure. 

Désormais, il suffira que cette entreprise démontre qu’elle est en situation de redressement judiciaire pour pouvoir participer aux procédures de publicité et de mise en concurrence préalables. 

Notons toutefois que si cette lacune textuelle était indéniable, elle avait été corrigée par la jurisprudence du Conseil d’Etat qui considérait qu’une société devait être admise à une procédure dès lors qu’elle bénéficiait d’un plan de redressement qui ne limitait pas dans le temps la durée de l’activité de l’entreprise (CE, 19 janvier 2019, Société Dauphin Telecom, n° 421844). 

 

 

Favoriser l’accès aux petites et moyennes entreprises (article 44 quater)

Si cette disposition est définitivement validée, elle permettra aux acheteurs publics de prendre en compte la part accordée aux petites et moyennes entreprises dans les marchés globaux comme critère de sélection.

 

 

Faire entrer dans le champ de la commande publique les mécanismes mis en œuvre par l’ordonnance n° 2020-319 du 25 mars 2020 portant diverses mesures d’adaptation des règles de passation, de procédure ou d’exécution des contrats soumis au code de la commande publique et des contrats publics qui n’en relèvent pas pendant la crise sanitaire née de l’épidémie de covid-19(article 44 quiquies)

L’objet de cette nouvelle disposition est de faire entrer dans le droit de la commande publique l’essentiel des mécanismes mis en œuvre dérogatoire au moment de la survenance de la crise du Coronavirus (modification des règles de mise en concurrence en cours de procédure, avenant de prolongation, exonération de responsabilité). Les dispositions portant sur l’indemnisation des cocontractants qui figuraient dans l’ordonnance n’ont pour leur part pas été reprises mais leur application résulte aussi de la jurisprudence administrative en la matière. 

Ces dispositions ne trouveront à s’appliquer que dans des circonstances exceptionnelles (notamment, une guerre, une épidémie ou une pandémie, une catastrophe naturelle ou une crise économique majeure). Et elles ne pourront être appliquées que si un décret vient en préciser les conditions d’application. A ce stade, notons que si les cas sont, pour l’essentiel, très réduits, l’hypothèse d’une « crise économique majeure » comporte une part de subjectivité.  

 

 

Faire entrer les avenants aux marchés publics conclus avant 2016 dans l’ère nouvelle des modifications des contrats

Il s’agit d’appliquer les nouvelles règles portant sur la modification des contrats (clauses de révision claires et inconditionnelles, modifications non substantielles,…) à l’ensemble des contrats de la commande publique conclus avant 2016. Ces règles s’appliquent déjà aux contrats conclus depuis 2016 au titre, soit des ordonnances et décrets « marchés » et « concession », soit au Code de la commande publique. Elles s’appliquaient également déjà aux concessions conclues avant 2016. Ce champ d’application s’élargit donc aux marchés publics conclus avant 2016. Cela en simplifiera la mise en œuvre.

 

En conclusion, le processus législatif en marche devra être surveillé. Car, comme souvent, les décrets d’application seront décisifs pour appréhender le champ de ces modifications. Mais l’intention de la simplification et du pragmatisme est déjà bien là.

Par Marie-Hélène Pachen-Lefèvre et Marion Terraux

Congés payés : le délai de prévenance s’applique même en cas de report

Le contexte juridique :  

Pour rappel, il appartient à l’employeur d’organiser les congés payés en prévoyant suffisamment à l’avance l’ordre et la période des départs en congés. Les salariés doivent avoir connaissance de la période des congés au moins deux mois avant l’ouverture de celle-ci (C. trav. art. D 3141-5) et un mois avant s’agissant de l’ordre des départs en congés, chaque salarié étant informé individuellement de ses dates de vacances (C. trav., art. D 3141-6). Au-delà, dans certains cas, la loi et la jurisprudence permettent au salarié de reporter ses congés, notamment par exemple à l’occasion de congé de maternité ou d’adoption (C. trav., art. L 3141-2) ou en cas de maladie ou accident du travail (Cass. soc., 4-12-1996 n° 93-44.907 P ; Cass. soc., 24-2-2009 n° 07-44.488 FS-PB).

Les faits :

Dans cette affaire, un salarié victime d’un accident du travail et en arrêt de travail de longue durée acquiert 24,5 jours de congés payés qu’il ne peut prendre. Le 19 octobre 2015, son arrêt prend fin et ce dernier est déclaré, lors de la visite de reprise, apte à reprendre son poste. Son responsable hiérarchique ne l’ayant pas inscrit au planning, dans l’incertitude du diagnostic du médecin du travail, la direction du personnel lui demande de bien vouloir signer une demande de congés payés et de jours de récupération à prendre immédiatement. Le  salarié refuse mais faute de travail à effectuer, il rentre chez lui. Par suite, il est licencié pour faute grave, pour avoir refusé de se conformer à la procédure interne de l’entreprise. Le salarié saisit alors la juridiction prud’hommale et conteste son licenciement et soutient qu’ il ne pouvait lui être reproché son licenciement au motif que  l’article D. 3141-6 du Code du travail qui, énonce que : « L’ordre des départs en congé est communiqué, par tout moyen, à chaque salarié un mois avant son départ ». De son côté l’employeur soutient que cet article ne s’applique pas en cas de report : « lorsque l’employeur et le salarié, de leur accord exprès, ont accepté le report du congé annuel d’une année sur l’autre, la détermination des dates de prise effective de ce congé reporté relève du pouvoir de direction de l’employeur ».

L’arrêt et son apport :

Le 8 juillet 2020, la Cour de cassation se range du côté du salarié : « Eu égard à la finalité qu’assigne aux congés payés annuels la Directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003, les droits à congés reportés ou acquis ont la même nature, de sorte que les règles de fixation de l’ordre des départs en congé annuel s’appliquent aux congés annuels reportés ».
Dans cet arrêt, la Cour de cassation s’appuie sur les notions dégagées par la CJUE en matière de congés payés annuels et sa décision selon laquelle « Le salarié dans l’incapacité de prendre les congés avant le terme de la période de référence est en mesure d’en obtenir le report, car le droit ne s’éteint pas à l’expiration de la période de référence et/ou d’une période de report fixée par le droit national » (CJCE, 20 janv. 2009, aff. C-350/06 ; CJCE, 20 janv. 2009, aff. C-520/06, Schultz-Hoff et Stringer). Selon la chambre sociale les congés payés reportés et les congés payés annuels ont la même nature et doivent donc suivre le même régime. L’employeur doit en conséquence prévenir au minimum un mois avant la date de départ en congés et cette disposition vaut pour la première date fixée et pour la deuxième quand un report a été nécessaire

Par Clara Bellest

L’anonymat incompatible avec les titres de propriété industrielle : Banksy perd sa marque « le lanceur de fleurs »

Le célèbre street-artiste qui maintient le mystère autour de son identité depuis plus de vingt ans vient de connaitre une déconvenue dont son anonymat est à l’origine.

En effet, l’artiste avait attaqué une entreprise anglaise de papeterie « Full Colour Black » lui reprochant d’avoir utilisé l’une de ses œuvres les plus connues, « le lanceur de fleurs », et ce à des fins commerciales.

En réplique, l’entreprise Full Colour Black, demandait à l’office européen des marques de faire invalider la marque représentant le célèbre lanceur de fleurs peint par l’artiste en 2005 sur un mur de Jérusalem et déposée avec succès en 2014 par l’organisation chargée de représenter l’artiste, Pest Control Office.

Cette entreprise invoquait notamment l’anonymat de l’artiste ne permettant alors pas de l’identifier comme l’auteur indubitable de ces œuvres et un dépôt de mauvaise foi car réalisée sans avoir l’intention de l’utiliser pour des produits ou service à des fins commerciale.

Après deux années de bataille judiciaire, le comité de l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO) a tranché en défaveur de l’artiste et fait invalider sa marque dans une décision publiée le 17 septembre 2020.

En effet l’EUIPO a jugé que « il est clair que lorsque Banksy a déposé la marque, il n’avait aucune intention d’utiliser l’œuvre pour commercialiser des biens ou fournir des services. Le problème que posent les droits de Banksy sur l’œuvre « Le Lanceur de fleurs » est clair : protéger ses droits au titre de la propriété intellectuelle exigerait qu’il perde son anonymat, ce qui nuirait à son personnage. Par conséquent, il ne peut pas être identifié comme le propriétaire incontestable de telles œuvres ».

De plus, le comité a ajouté que l’artiste utilisait pour support des lieux publics ou privés, sans aucune permission et ne pouvait donc se réclamer propriétaire de ses œuvres.

En octobre 2019, Banksy avait pourtant ouvert une boutique à Croydon, dans le sud de Londres, pour contester à la société Full Colour Black le droit de vendre légalement sa fausse marchandise Banksy.

Toutefois cette initiative n’a pas eu l’effet escompté et serait même venu affaiblir le dossier de l’artiste puisque l’EUIPO a relevé que que Banksy vendait dans ce magasin des marchandises « inexploitables et offensantes », dont des boules de discothèque « fabriquées à partir de casques antiémeutes usagés de la police ».

Pour l’EUIPO, l’artiste n’avait pas pour intention d’exploiter la marque « le Lanceur de Fleurs » pour vendre des marchandises mais « pour contourner la loi » et empêcher que Full Colour Black ne l’utilise.

Aaron Mills, avocat de l’éditeur de carte de vœux interrogé par le site spécialisé World Trademark Review, a d’ailleurs réagit à propos de cet argument et estime que le jugement pourrait signifier que d’autres marques de Banksy sont concernées :

« S’il n’y a pas d’intention d’utiliser la marque, alors elle est invalide. En réalité, toutes les marques de Banksy sont en danger »

Dès lors si l’anonymat de Banksy est la marque de fabrique de l’artiste ainsi que de ses œuvres d’art, cela vient néanmoins de lui porter préjudice et il pourrait voir un grand nombre de ses marques invalidées.

La question à laquelle il faudra répondre est donc celle de savoir si Banksy risque de perdre la propriété de ses œuvres ?

Par Manon Boinet

Mécénat d’entreprise en faveur des personnes en difficulté

Le mécénat est un dispositif permettant à une entreprise de verser un don à un organisme, sous forme d’aide financière ou matérielle, pour soutenir une œuvre d’intérêt général ou de se porter acquéreur d’un bien culturel déclaré trésor national. En contrepartie, elle peut bénéficier d’une réduction fiscale.

Dans le cadre du régime du mécénat d’entreprise, ouvrent droit à une réduction d’impôt au taux de 60 %, quel que soit leur montant, les versements effectués au profit des organismes sans but lucratif qui procèdent à la fourniture gratuite de repas à des personnes en difficulté, contribuent à favoriser leur logement ou procèdent, à titre principal, à la fourniture gratuite de certains soins, meubles et produits de première nécessité.

Un décret fixe la liste de ces prestations ou produits.

Ces dispositions s’appliquent aux versements effectués au cours des exercices clos à compter du 31 décembre 2020 (CGI art. 238 bis, 2 dans sa rédaction issue de l’article 134 de la loi n° 2019-1479 du 28-12-2019 : voir La Quotidienne du 13 janvier 2020).

La liste de ces prestations et produits est fixée à l’article 49 septies XC de l’annexe III au CGI, issu de l’article 1er du décret n° 2020-1013 du 7 août 2020. Cette liste reprend les prestations et produits déjà mentionnés à l’article 238 bis, 2 du CGI.

Elle apporte en outre certaines précisions.

Est ainsi visée, lorsqu’elle est exercée à titre principal, la fourniture gratuite à des personnes en difficulté, des matériels mentionnés à l’article 2 du décret 2015-981 du 31 juillet 2015 concernant les éléments du mobilier d’un logement meublé, ainsi que des meubles de rangement, linge de maison, équipements de salle de bain et de puériculture, biberons et matériels pour nourrissons et enfants en bas âge, petits et gros appareils électroménagers.

Il est également précisé que les matériels et équipements conçus spécialement pour les personnes handicapées ou à mobilité réduite sont ceux mentionnés aux a à c et f de l’article 278-0 bis, A-2° du CGI.

Enfin, il convient de relever que la fourniture de jouets et jeux d’éveil et éducatifs, de chaussures et de produits d’entretien ménager peut être prise en compte.

Par Johann Petitfils-Lamuria

Précisions sur le champ d’application de la TVA sur marge sur les cessions de terrains ayant perdu le caractère de terrain bâti

Dans un arrêt du 1er juillet 2020, le Conseil d’État réaffirme que le régime de la TVA sur marge ne s’applique pas à une cession de terrains à bâtir qui, lors de leur acquisition, avaient le caractère de terrain bâti.

En principe, la TVA est une contribution touchant le chiffre d’affaires et non le bénéfice. Ainsi, la totalité du prix de vente est concernée. En contrepartie, le vendeur assujetti peut déduire la TVA qui lui a été facturée en amont.

La TVA sur marge obéit à des règles presque opposées dans leur fondement. Ainsi, la TVA sera calculée, non pas sur le chiffre d’affaires mais sur la marge réalisée, ce qui amène certains auteurs à considérer la TVA sur marge comme un impôt sur les bénéfices.

En l’espèce, une société de marchand de biens a acquis un ensemble immobilier constitué d’un terrain sur lequel était implantée une maison d’habitation. Après son acquisition, l’ensemble immobilier a fait l’objet d’une division en neuf parcelles cédées en six lots distincts, l’une constituée d’un terrain supportant la construction et les huit autres de terrains nus.

La société a fait l’objet d’un contrôle fiscal, à l’issue duquel elle a été assujettie à des rappels de TVA procédant de la remise en cause du régime de la TVA sur la marge, dont elle avait fait application pour les opérations de cession de terrains à bâtir.

Le Tribunal administratif puis la Cour administrative d’appel ont tous deux fait droit aux demandes de la requérante en la déchargeant des rappels TVA auxquels elle a été assujettie. A la suite à ces décisions, le ministre de l’Action et des Comptes publics a donc saisi le Conseil d’Etat.

Dans sa décision, le Conseil d’État infirme la décision de la Cour administrative d’appel et explique que « les règles de calcul dérogatoires de la TVA s’appliquent aux opérations de cession de terrains à bâtir qui ont été acquis en vue de leur revente et ne s’appliquent donc pas à une cession de terrains à bâtir qui, lors de leur acquisition, avaient le caractère d’un terrain bâti ».

Ainsi, les juges d’appel ont donc mal interprété les dispositions du Code général des impôts en jugeant que ne faisait pas obstacle à la mise en œuvre du régime de la TVA sur marge la circonstance que les biens cédés comme terrains à bâtir n’avaient pas été acquis comme tels.

Par Elie Lellouche

Squat : un amendement destiné à améliorer l’effectivité de la procédure d’expulsion

Principe :

L’article 38 de la loi n° 2007‑290 du 5 mars 2007 instituant le droit au logement opposable était ainsi rédigé :

« En cas d’introduction et de maintien dans le domicile d’autrui à l’aide de manœuvres, menaces, voies de fait ou de contrainte, le propriétaire ou le locataire du logement occupé peut demander au préfet de mettre en demeure l’occupant de quitter les lieux, après avoir déposé plainte, fait la preuve que le logement constitue son domicile et fait constater l’occupation illicite par un officier de police judiciaire.

La mise en demeure est assortie d’un délai d’exécution qui ne peut être inférieur à vingt-quatre heures. Elle est notifiée aux occupants et publiée sous forme d’affichage en mairie et sur les lieux. Le cas échéant, elle est notifiée au propriétaire ou au locataire.

Lorsque la mise en demeure de quitter les lieux n’a pas été suivie d’effet dans le délai fixé, le préfet doit procéder à l’évacuation forcée du logement, sauf opposition du propriétaire ou du locataire dans le délai fixé pour l’exécution de la mise en demeure ».

Il est toutefois apparu nécessaire d’améliorer l’effectivité de la procédure administrative d’expulsion de personnes occupant de façon illicite les logements occupés ou temporairement inoccupés, telles que les résidences secondaires.

Clarification :

Afin de clarifier le champ d’application de l’article 38 et mettre fin aux ambiguïtés interprétatives relatives à la notion de « domicile », un amendement (n° 695) a été adopté par l’Assemblée Nationale le 17 septembre 2020 dans le cadre du projet de loi d’accélération et de simplification de l’action publique, qui précise que le domicile correspond aussi bien aux résidences principales que secondaires ou occasionnelles, dans le but de rendre pleinement applicable la procédure d’expulsion aux personnes occupant de façon illicite ces résidences.

Deuxièmement, il introduit un délai d’instruction de 48 heures des demandes de mise en demeure des occupants présentées au préfet sur le fondement du premier alinéa de l’article 38. En cas de refus de donner suite aux demandes des propriétaires ou locataires lésés par le squat de leur logement, les services administratifs devront leur communiquer sans délai les motifs de la décision de refus.

Troisièmement, dans un même objectif de célérité procédurale, cet amendement précise que le préfet saisi d’une demande d’évacuation forcée du local devra intervenir « sans délai », ce qui permettra de renforcer concrètement le caractère opérationnel du dispositif.

Apport :

Cette évolution facilitera la protection du droit de propriété, en simplifiant et en accélérant les dispositions déjà existantes afin de lutter efficacement contre les squats de logements, qu’il s’agisse d’une résidence principale, secondaire ou occasionnelle.

 

Prise en charge de la maladie professionnelle liée à la Covid-19

Le fondement juridique :

Depuis août 2020, il est possible de demander la prise à charge en tant que maladie professionnelle de la Covid-19 contractée au travail. Un décret du 14 septembre 2020 donne un fondement réglementaire à cette prise en charge.

Le décret du 14 septembre 2020 confirme les informations déjà dévoilées dans un communiqué du 7 août 2020 de l’assurance maladie.

Les Apports :

Pour les assurés travaillant dans le secteur de la santé, la Covid 19 sera systématiquement prise en charge si elle a entraîné une affection respiratoire grave avec recours à l’oxygénothérapie ou toute autre forme d’assistance respiratoire. Les personnels concernés (personnel de soins et assimilé, de laboratoire, de service, d’entretien, administratif ou de services sociaux) et les attestations ou examens requis sont listés dans deux nouveaux tableaux de maladie professionnelle « Affections respiratoires aiguës liées à une infection au Sars-CoV2 » (tableau no 100 pour le régime général de sécurité sociale et 60 pour le régime agricole).

Pour les travailleurs des autres secteurs, ou pour ceux de la santé ne remplissant pas les conditions prévues par les tableaux précités, la Covid-19 pourra être prise en charge à titre professionnel sur avis d’un comité de reconnaissance des maladies professionnelles. Le décret du 14 septembre autorise la Cnam à confier à un comité unique, à compétence nationale et composition allégée, l’instruction de l’ensemble des demandes.

 

A noter : Un service de déclaration en ligne de maladie professionnelle liée à la Covid-19 a été mis en place : https://declare-maladiepro.ameli.fr/. Les assurés du régime général de sécurité sociale peuvent donc déposer leur demande en ligne. 

Par Meriem Khelif

Coronavirus : exigibilité des loyers commerciaux échus durant la période de fermeture administrative

L’article 4 de l’ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020 n’a pas suspendu l’exigibilité des loyers commerciaux qui peuvent être payés spontanément ou par compensation, mais interdit l’exercice de voies d’exécution forcée par le bailleur en vue de leur recouvrement.

Le jugement de la 18ème chambre du Tribunal judiciaire de Paris du 10 juillet 2020 nous fournit une première grille de lecture sur l’appréhension par les juridictions du contentieux relatif aux loyers commerciaux impayés durant la période de fermeture administrative imposée afin d’éviter la propagation de la Covid-19. En effet, ce jugement met en évidence l’exigibilité des loyers commerciaux durant cette période et révèle surtout l’intention des juridictions d’inviter les cocontractants à aménager eux-mêmes les répercussions économiques de la période de fermeture administrative, sous couvert de la bonne foi contractuelle.

En l’espèce, un preneur et son bailleur étaient en procédure depuis 2013 afin de fixer le montant du loyer de renouvellement d’un bail commercial. À la suite d’un arrêt du 29 janvier 2020 de la Cour d’appel de Paris, le bailleur a été déclaré redevable envers son preneur d’une certaine somme au titre d’un trop-perçu de loyer durant le cours de la procédure.

N’ayant pas provisionné la somme en question et rencontrant des difficultés économiques à raison de sa cessation d’activité du fait de la pandémie, le bailleur a sollicité tant des délais de paiement pour le solde de sa dette qu’une compensation avec les loyers échus durant la période de fermeture administrative et demeurés impayés par son preneur.

En réponse, le preneur a refusé tout délai de paiement et poursuivi l’exécution de la décision de la Cour d’appel de Paris du 29 janvier 2020.

Confronté à cette mesure, le bailleur a assigné à jour fixe afin d’obtenir un échelonnement de sa dette et sa compensation avec les créances de loyers impayés du preneur.

Dans son argumentaire, le preneur soutient notamment que la fermeture administrative de son commerce est de nature à le décharger de son obligation de paiement des loyers et qu’en conséquence, toute compensation avec la dette de son bailleur est à exclure. Il soutient plus particulièrement que la période juridiquement protégée a eu pour effet de reporter l’exigibilité des loyers échus et donc qu’aucune compensation ne peut s’opérer.

Après s’être déclaré compétent, le Tribunal judiciaire de Paris a jugé que l’article 4 de l’ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020 n’ayant pas suspendu l’exigibilité des loyers commerciaux, mais interdit uniquement l’exercice de voies d’exécution forcée par le bailleur en vue de leur recouvrement, la compensation des loyers impayés à son profit est donc acquise.

De plus, le Tribunal retient qu’en application de l’exigence de bonne foi, les parties étaient tenues de vérifier si les circonstances exceptionnelles ne rendaient pas nécessaire une adaptation des modalités d’exécution de leurs obligations respectives. Le bailleur ayant fait des propositions d’aménagement du paiement des loyers alors que le locataire n’a fait aucune démarche en retour, seul le bailleur avait exécuté ses obligations de bonne foi. Dès lors, le Tribunal a fait droit à sa demande de paiement intégral des loyers du deuxième trimestre 2020 par la voie de la compensation.

Si ce jugement est riche d’enseignement tant sur l’exigibilité des loyers que sur leur mode de recouvrement, il est toutefois regrettable que le preneur n’ait pas profité de ce tout premier débat judiciaire pour développer des moyens subsidiaires tels que la force majeure, l’exception d’inexécution, la perte temporaire de la chose louée ou encore l’imprévision.

Par Alexane Raynaldy

L’indemnisation pour perte d’exploitation auprès des assureurs Coronavirus : Axa condamné à indemniser un restaurant des Alpilles

Le 24 août dernier, le Tribunal de commerce de Tarascon (Bouches-du-Rhône) a condamné la compagnie Axa à indemniser un restaurateur des Alpilles pour ses pertes d’exploitation dues à l’épidémie de Covid-19, estimant « non écrite » la clause d’exclusion de garantie avancée par l’assureur.

Ce jugement, qui pourrait faire jurisprudence, prend le contrepied de celui du Tribunal de commerce de Toulouse qui, le 18 août dernier, dans un dossier similaire, avait débouté le chef étoilé Michel Sarran.

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Dans cette ordonnance, le Tribunal de commerce de Tarascon estime « non écrite » la clause d’exclusion de garantie inscrite au contrat signé entre Axa et le restaurant La Bergerie de Mouriès, dans le massif des Alpilles, près d’Aix-en-Provence, celle-ci n’étant « ni formelle, ni limitée ».

En conséquence, il condamne Axa à indemniser le restaurateur à hauteur de 114.105 euros pour ses pertes d’exploitation entre mars et mai.

Si le contrat passé entre Axa et le restaurateur de Mouriès prévoyait bien l’indemnisation des pertes d’exploitation due à une fermeture « prise par une autorité administrative compétente », fermeture qui serait notamment «la conséquence d’une épidémie», l’assureur entendait faire jouer la clause d’exclusion de garantie inscrite au contrat. Cette clause écartait la couverture promise dans le cas où la décision de fermeture concernerait « au moins un autre établissement […] sur le même territoire départemental que celui de l’établissement assuré ».

C’est donc cette clause qui a été écartée par le Tribunal de commerce de Tarascon, celui-ci estimant qu’elle « aurait nécessairement pour effet de vider de sa substance la garantie due par Axa » dans les cas d’épidémie.

Cette décision marque ainsi une avancée significative allant dans le sens de la prise en charge par les assureurs des pertes subies par les commerçants pendant la période de confinement face à la Covid-19.

Par Alexane Raynaldy

Locaux commerciaux, entrepôts, terrains squattés : Comment obtenir la libération des lieux ?

Les squats occupent depuis quelques semaines la 1ère page des journaux ;

Théoule-sur-Mer, une résidence occupée et une libération des lieux qui se fait attendre.

Seulement, il n’y a pas que les maisons d’habitation qui peuvent être squattées, il y a aussi des terrains nus, des entrepôts et des cellules commerciales.

Les conséquences peuvent être lourdes pour l’entrepreneur.

En premier lieu, aussi longtemps que l’occupation durera, le propriétaire ne pourra effectivement pas librement disposer de ses biens. Son accès aux emprises occupées, ou celui de toute autre personne régulièrement titrée, demeure strictement prohibé tout au long de l’occupation. Cette interdiction n’est pas à négliger puisque la braver exposerait alors son auteur à des poursuites pénales du chef de violation de domicile (que les lieux soient occupés à usage personnel ou professionnel). Le transport sur les lieux pour négocier une libération amiable ou pour sécuriser et récupérer des effets demeurés dans les lieux que certains propriétaires seraient alors tentés d’engager sont donc à proscrire, tout du moins sans l’accord exprès et formel de l’occupant ou l’autorisation préalable d’un juge.

En deuxième lieu, l’occupation sans droit ni titre expose le propriétaire à des conséquences financières, souvent significatives.

Les conséquences financières ne se limitent par ailleurs pas aux seuls loyers ou redevances perdues mais peuvent, et d’ailleurs assez fréquemment, également résulter de l’entrave à l’exploitation normale du bien que fait subir l’occupation irrégulière au propriétaire. Il en est ici question de l’obstacle à la remise en location ou, plus dommageable encore, de l’obstacle à la vente que présente l’occupation illicite.

Enfin et en dernier lieu, l’occupation sans droit ni titre expose le propriétaire à des risques en termes de responsabilité puisque, conformément aux dispositions de l’article 1244 du Code civil, le propriétaire d’un bâtiment est toujours responsable du dommage causé par sa ruine, lorsqu’elle est arrivée par une suite du défaut d’entretien ou par le vice de sa construction. Cette responsabilité est d’autant plus sérieuse en la matière que, non seulement le propriétaire ne peut plus librement accéder à ses biens pour veiller à leur entretien ou réparer d’éventuels vices que, surtout, l’occupation illicite dont il est victime ne le décharge pas nécessairement de cette responsabilité.

Aussi, toute la problématique est de faire en sorte que cette occupation illicite soit la plus courte possible.

Dès lors qu’il ne constitue pas le domicile professionnel ou personnel d’un occupant titré (propriétaire, locataire, occupant précaire), la libération de tout bien immobilier (bâti ou non bâti) doit obligatoirement être ordonnée par un juge (I). Pour autant, le prononcé d’une décision d’expulsion n’emporte pas automatiquement ni nécessairement la libération immédiate des lieux. Il y a donc lieu de rester attentif à la procédure d’exécution de la décision prononcée, laquelle peut s’avère souvent longue et complexe (II).

 

 

I – La saisine obligatoire du juge

 

En cas d’occupation d’un bien ne constituant pas un domicile, l’introduction d’une procédure judiciaire constitue un préalable indispensable pour mettre fin à une occupation sans droit ni titre et obtenir le concours de la force publique, presque toujours indispensable pour y parvenir.

L’efficacité de la procédure introduite, que ce soit au regard du délai de l’instance que de la teneur de la décision espérée, dépendra alors très largement de la rigueur avec laquelle le plaideur préparera son dossier (A).

La collecte et l’exploitation des éléments du dossier lui permettront ensuite de déterminer à la fois le cadre procédural adapté au besoin du propriétaire entravé, mais également d’attirer l’attention du juge sur les éléments qui devront le conduire à ordonner une libération dans des délais les plus réduits possibles (B).

Une fois la décision d’expulsion prononcée, il reste au propriétaire alors au propriétaire d’en confier l’exécution à un huissier de justice (C).

 

A – Préparation du dossier : collecte et instruction des éléments indispensables au succès de l’instance

 

Si l’introduction d’une instance aux fins d’expulsion peut s’avérer relativement simple tant les règles juridiques en jeu sont a priori de compréhension facile, il ne faut pourtant pas négliger la collecte minutieuse des pièces justificatives nécessaires pour emporter la conviction du juge.

 

♦  Il est d’abord question de la qualité à agir, dont le plaideur devra faire la démonstration. Il lui faudra alors apporter la preuve de son droit de solliciter l’expulsion des occupants irréguliers.

La reine des preuves est bien entendu la production du titre de propriété, bien qu’une attestation notariée de propriété, pour peu qu’elle soit récente, suffise encore à la majorité des juridictions. Cette dernière présente par ailleurs un avantage parfois non négligeable puisqu’elle permet d’épargner au demandeur d’avoir à divulguer à l’adversaire les informations de l’acte de vente qu’il souhaiterait conserver confidentielles.

 

♦ Il est ensuite question de l’intérêt à agir ; autrement dit, de la démonstration apportée par le plaideur que les biens qui lui appartiennent font bien l’objet d’une occupation sans droit ni titre.

Cette preuve n’est pas aisée à rapporter puisque les juridictions ne se satisfont évidemment pas d’une simple déclaration du propriétaire.

Seul un procès-verbal de constat constituera alors la preuve suffisante pour établir, aux yeux du juge, la réalité de l’occupation irrégulière. Il permettra en outre de conférer date certaine à l’occupation irrégulière et d’offrir au juge une description des conditions d’occupation, informations fondamentales dans l’appréciation de la mesure d’expulsion sollicitée.

 

♦  Il est enfin question du bien-fondé des demandes qui seront présentées à la juridiction, notamment au regard de la suppression des délais de grâce qui pourra être sollicitée par le plaideur (cf. infra).

Les chances de succès d’une telle demande seront en grande partie conditionnée par la démonstration que fera le propriétaire de la nécessité urgente qu’il a de récupérer la jouissance des biens occupés.

Dès lors, il conviendra que le plaideur puisse collecter tous les éléments de nature à démontrer l’entrave que constitue l’occupation irrégulière sur l’exploitation de son bien tels qu’une promesse de vente, une promesse de bail, des marchés de travaux si le bien doit en faire l’objet, etc.

Ces éléments collectés, le propriétaire est alors préparé pour identifier et saisir la juridiction compétente.

 

B – L’introduction et le déroulement de l’instance : détermination de la juridiction compétente, de la voie procédurale et des moyens de droit

 

♦ Si la détermination de la juridiction compétente territorialement pose peu de difficultés puisqu’il s’agit toujours de celle dans le ressort de laquelle est situé le bien occupé, la détermination de la juridiction matériellement compétente mérite plus d’attention puisque l’action peut alternativement relever de la compétence du tribunal de grande instance ou de celle du tribunal d’instance.

Le partage de la compétence matérielle entre ces deux juridictions de premier degré est alors fixé par les dispositions de l’article R. 221-5 du Code de l’organisation judiciaire, lesquelles attribuent au tribunal d’instance une compétence exclusive pour les « actions tendant à l’expulsion des personnes qui occupent aux fins d’habitation des immeubles bâtis, sans droit ni titre ».

A contrario, tous les autres types d’occupations irrégulières en matière civile, qu’elles affectent des ouvrages bâtis à usage de commerce ou industriel ou qu’elles affectent des terrains nus à toutes fins (y compris aux fins d’habitation), relèvent de la compétence du tribunal de grande instance.

 

♦ Une fois la juridiction compétente identifiée, il convient de choisir la voie procédurale la plus opportune.

La voie du référé semble ici, de façon générale, devoir être privilégiée puisqu’elle emporte trois avantages considérables.

Ainsi, elle permet, du moins en théorie, d’obtenir un audiencement plus prompt qu’au fond. En deuxième lieu, elle confère l’exécution provisoire de droit à la décision à intervenir. Puis, en dernier lieu, elle n’est pas soumise à l’obligation d’une postulation devant le tribunal de grande instance.

En cas d’urgence dûment avérée, la voie du référé d’heure à heure (et du jour fixe si le fond est privilégié), quoique plus lourde puisqu’elle nécessite l’autorisation préalable de la juridiction saisie, est également adaptée puisqu’elle circonscrira les délais à une convocation à brefs délais et les débats à une audience.

Ceci étant, les plaideurs devront demeurer attentifs aux cas d’espèce particuliers qui, par la typologie de l’occupation irrégulière rencontrée, particulièrement lorsqu’elle est à usage d’habitation et qu’elle dure depuis une certaine durée, devront aussi envisager la saisine du juge du fond.

En effet, la Cour européenne des droits de l’Homme, à travers son arrêt « Winterstein »[1], a imposé au juge national d’exécuter un examen de proportionnalité entre la mesure d’expulsion sollicitée et l’ingérence qu’elle induit sur le droit au respect de la vie privée et familiale et du domicile des occupants.

 

♦ Les moyens de droit et de fait, outre la cessation du trouble illicite que constitue l’occupation sans droit ni titre du bien appartenant à autrui, seront concentrés sur la suppression des délais dont les occupants pourront éventuellement bénéficier une fois la décision prononcée – lesquels peuvent durer jusqu’à trois ans.

La portée, le bénéfice et la durée de ces délais sont régis par le code des procédures civiles d’exécution aux termes de ses articles L. 412-1 et suivants[2].

Il résulte de ces articles que deux situations sont à distinguer.

L’occupation illicite ab initio bénéfice d’un régime plus strict qui permet au plaideur d’obtenir la suppression des délais visés aux articles L. 412-1 et L. 412-6 dès lors qu’elle s’exécute sur un bien à usage de domicile.

Pour sa part, l’occupation illicite qui résulte de l’échéance pour toute cause d’un titre d’occupation valablement accordé, offre quant à elle un régime plus protecteur pour l’occupant.

Ce dernier bénéficiera a minima d’un délai de 2 mois pour libérer spontanément les lieux à compter de la signification de la décision et, lorsqu’il s’agira de locaux à usage d’habitation, d’un sursis à exécution de l’expulsion pour cause de trêve hivernale (1er novembre – 31 mars).

Ceci étant, l’attention des propriétaires et des praticiens doit être attirée sur la possibilité pour l’occupant irrégulier de solliciter, en toute hypothèse, le bénéfice de délais de grâce sur le fondement des articles L. 412-3 et L. 412-4 du Code des procédures civiles d’exécution, lesquels peuvent alors durer de 3 mois à 3 ans.

Il est donc essentiel, pour éviter au propriétaire de subir les conséquences d’une longue occupation, que le plaideur puisse justifier dès l’introduction de son recours de toutes les circonstances de fait qui militent en faveur d’une libération urgente des lieux.

C’est sur la base de l’ensemble de ces éléments que le juge prononcera sa décision et déterminera les modalités de libération des lieux. Or, même dépourvue de délais, le prononcé de la décision d’expulsion n’emporte pas libération immédiate des lieux. Il appartient en effet au propriétaire de saisir un huissier, dont il relève de l’office exclusif la mise en œuvre de cette mesure.

 

 

II – La mise en œuvre de la décision d’expulsion : voies de recours et exécution

 

La mise en œuvre de la décision d’expulsion dépend essentiellement de deux paramètres : d’une part des voies recours que l’occupant évincé peut mobiliser (qui elles-mêmes se divisent en deux catégories) et, d’autre part, des diligences d’exécution forcée qui doivent être confiées à un huissier de justice.

 

♦ Tout d’abord, l’occupant peut contester le principe même de la décision dont il fait l’objet. Le recours s’exerce alors par la voie de l’appel devant la Cour dans un délai de 15 jours à compter de la signification de l’ordonnance de référé et dans un délai d’un mois à compter de la signification du jugement au fond.

Toutefois, lorsque cet appel est interjeté à l’encontre d’une ordonnance de référé ou d’un jugement au fond assorti de l’exécution provisoire, l’appel n’interrompt pas les effets exécutoires de la décision contestée.

Dès lors, le propriétaire peut poursuivre, à ses risques et périls certes, l’exécution de la décision ordonnant l’expulsion des occupant sans droit ni titre. L’opportunité de la poursuite de l’exécution dans cette hypothèse s’évalue alors à chaque d’espèce, au regard de la décision prononcée par le juge du premier degré.

L’expérience montre néanmoins que, en matière de référé, les cas de réformation d’une ordonnance de première instance demeurent rares et ne tiennent, pour l’essentiel, qu’à des violations formelles de la loi (par exemple la violation du principe du contradictoire).

 

♦ Ensuite et surtout, indépendamment de l’appel interjeté contre la décision d’expulsion et dès lors que le commandement de quitter les lieux a été signifié à l’occupant litigieux, ce dernier peut toujours solliciter du juge de l’exécution l’octroi de délais supplémentaires pour se maintenir dans les lieux.

La saisine du juge de l’exécution (ci-après « JEX ») n’est pas davantage suspensive des effets exécutoires de la décision rendue (qui sont de droit en référé ou accordés par le juge du fond) jusqu’au prononcé de sa décision par le JEX.

Aussi, le propriétaire peut toujours poursuivre l’exécution de la procédure d’expulsion jusqu’à ce que le JEX n’ait purgé sa saisine par le prononcé d’une décision.

Toutefois, l’attention des plaideurs doit ici être attirée sur la circonstance que la saisine du JEX par l’occupant rend alors le propriétaire débiteur d’une « obligation de loyauté », laquelle lui commande de ne pas exécuter la décision d’expulsion dont le JEX se trouve saisi.

La violation de cette obligation de loyauté, si elle n’autorise pas le JEX à modifier le titre exécutoire ayant prononcé l’expulsion en ordonnant la réintégration de l’occupant dans les lieux, lui permet de condamner le propriétaire à réparer le préjudice en résultant.

Le risque est alors exclusivement pécuniaire et sera, souvent, compensé par les condamnations que les occupants sans droit ni titre auront été condamnés à verser par le juge du premier degré au titre de la violation du droit de propriété causé.

En revanche, si l’expulsion n’a pas été mise à exécution avant le prononcé de sa décision par le JEX, alors tout délai que ce dernier accorderait aux occupants feront obstacle à toute exécution jusqu’à leur expiration.

Le propriétaire pourra alors toujours interjeter appel du jugement qui accorderait de tels délais. Il faut toutefois savoir que, dans cette hypothèse, l’appel n’est pas suspensif des effets du jugement. L’opportunité d’un tel appel s’appréciera donc en fonction du délai accordé par le JEX et des délais d’audiencement à prévoir devant la Cour.

 

♦ Enfin, la libération effective des lieux dépendra des diligences exécutées par l’huissier de justice pour la mettre en œuvre.

Or et dans un premier temps, les délais d’exécution de ces diligences dépendent largement de la date à laquelle la force publique accordera son concours pour mettre fin à l’occupation illégitime.

La difficulté réside ici dans la disponibilité des forces de l’ordre, laquelle veut varier, parfois sensiblement, d’un secteur à l’autre et d’un cas d’espèce à l’autre. L’huissier instrumentaire des opérations ne disposent pas du pouvoir de contraindre l’Etat à accorder son concours et seule une action en responsabilité pourra permettre au propriétaire d’obtenir la réparation du préjudice qui résulterait d’un retard dans le concours sollicité.

Puis, dans un second temps, la libération effective des lieux suppose également qu’ils soient vidés des meubles éventuellement laissés sur place par les occupants.

Le sort des meubles, régi par les dispositions des articles L. 433-1 et suivants du Code des procédures civiles d’exécution, permet alors au propriétaire de les laisser sur place jusqu’à ce que le JEX ne statue sur leur sort (mise en vente aux enchères ou abandon) ou encore de les déplacer, à ses frais avancés, dans un lieu de son choix jusqu’à ce que le JEX ne statue sur leur sort.

La date de l’audience à laquelle le juge de l’exécution sera appelé à statuer sur le sort des meubles est connue au jour de l’expulsion et communiquée aux occupants sous la forme d’une assignation qui leur est signifiée pendant cette opération.

Il convient donc pour le propriétaire d’anticiper les éventuelles difficultés que pourront présenter la gestion des meubles des occupants évincés.

 

 

En conclusion, l’efficacité d’une instance aux fins de libération de lieux occupés tient d’abord à la qualité des pièces justificatives (titre de propriété, titre d’occupation litigieux, acte de résiliation du titre d’occupation, procès-verbal de constat de la permanence de l’occupation) qui auront été rassemblées par le propriétaire préalablement à l’instance pour établir sa qualité, son intérêt et le bienfondé de son action.

L’examen de ces éléments permettra de choisir la voie procédurale adaptée qui, dans la majorité des cas sera celle du référé, laquelle offre des délais d’audiencement réduit, confère l’exécution provisoire de droit à la décision prononcée et exonère le plaideur d’une postulation obligatoire.

Les moyens de droit et de fait seront quant à eux concentrés sur le trouble causé par l’occupation sans droit ni titre et la suppression des délais dont l’occupant est susceptible de bénéficier.

L’exécution de la décision et la récupération effective des lieux par son propriétaire n’est toutefois pas immédiate. Elles supposent l’expiration des délais s’ils ont été accordés, éventuellement l’expiration des voies de recours et de la date à laquelle la force publique acceptera de prêter son concours.

Les propriétaires doivent ainsi garder à l’esprit les délais de procédure potentiellement importants qui peuvent s’écouler entre la constatation de l’occupation irrégulière et la libération effective des lieux, les invitant à faire preuve de célérité dans l’instruction et l’introduction de leur instance.

 

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[1] Cour européenne des droits de l’Homme, Winterstein et autres c. France, requête n° 27013/07, 17 octobre 2013

[2] Code des procédures civiles d’exécution, article L. 412-1, modifié par la Ioi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018 – art. 201 : Si l’expulsion porte sur un lieu habité par la personne expulsée ou par tout occupant de son chef, elle ne peut avoir lieu qu’à l’expiration d’un délai de deux mois qui suit le commandement, sans préjudice des dispositions des articles L. 412-3 à L. 412-7. Toutefois, le juge peut, notamment lorsque la procédure de relogement effectuée en application de l’article L. 442-4-1 du Code de la construction et de l’habitation n’a pas été suivie d’effet du fait du locataire, réduire ou supprimer ce délai. Le délai prévu au premier alinéa du présent article ne s’applique pas lorsque le juge qui ordonne l’expulsion constate que les personnes dont l’expulsion a été ordonnée sont entrées dans les locaux par voie de fait.

Article L. 412-3, modifié par la loi n° 2017-86 du 27 janvier 2017 – art. 143 : Le juge peut accorder des délais renouvelables aux occupants de lieux habités ou de locaux à usage professionnel, dont l’expulsion a été ordonnée judiciairement, chaque fois que le relogement des intéressés ne peut avoir lieu dans des conditions normales, sans que ces occupants aient à justifier d’un titre à l’origine de l’occupation. Le juge qui ordonne l’expulsion peut accorder les mêmes délais, dans les mêmes conditions. […]

Article L. 412-4, modifié par la loi n° 2014-366 du 24 mars 2014 – art. 27 (V) : La durée des délais prévus à l’article L. 412-3 ne peut, en aucun cas, être inférieure à trois mois ni supérieure à trois ans. Pour la fixation de ces délais, il est tenu compte de la bonne ou mauvaise volonté manifestée par l’occupant dans l’exécution de ses obligations, des situations respectives du propriétaire et de l’occupant, notamment en ce qui concerne l’âge, l’état de santé, la qualité de sinistré par faits de guerre, la situation de famille ou de fortune de chacun d’eux, les circonstances atmosphériques, ainsi que des diligences que l’occupant justifie avoir faites en vue de son relogement. Il est également tenu compte du droit à un logement décent et indépendant, des délais liés aux recours engagés selon les modalités prévues aux articles L. 441-2-3 et L. 441-2-3-1 du Code de la construction et de l’habitation et du délai prévisible de relogement des intéressés.

Article L. 412-6, modifié par la loi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018 – art. 201 : Nonobstant toute décision d’expulsion passée en force de chose jugée et malgré l’expiration des délais accordés en vertu de l’article L. 412-3, il est sursis à toute mesure d’expulsion non exécutée à la date du 1er novembre de chaque année jusqu’au 31 mars de l’année suivante, à moins que le relogement des intéressés soit assuré dans des conditions suffisantes respectant l’unité et les besoins de la famille. Par dérogation au premier alinéa du présent article, ce sursis ne s’applique pas lorsque la mesure d’expulsion a été prononcée en raison d’une introduction sans droit ni titre dans le domicile d’autrui par voies de fait. Le juge peut supprimer ou réduire le bénéfice du sursis mentionné au même premier alinéa lorsque les personnes dont l’expulsion a été ordonnée sont entrées dans tout autre lieu que le domicile à l’aide des procédés mentionnés au deuxième alinéa.

 

Par Claire-Marie Dubois-Sapenlé et Romain Desaix