Précisions sur l’obligation de notification de l’ordonnance désignant le syndic judiciaire ou l’administrateur provisoire

Après quelques hésitations jurisprudentielles, la Cour de cassation s’est prononcée sur l’obligation de notification de l’ordonnance désignant le syndic judiciaire ou l’administrateur provisoire.

En l’espèce, un administrateur provisoire est désigné par ordonnance sur requête. Un copropriétaire en a demandé la rétractation en soutenant notamment que la requête ne lui avait pas été notifiée en même temps que l’ordonnance, contrairement aux dispositions de l’article 495 du Code de procédure civile.

La Cour d’appel a rejeté la demande du copropriétaire en estimant que que le défaut de notification de la requête n’avait pas empêché ce dernier d’argumenter sa demande de rétractation : cela n’avait donc causé aucun grief au copropriétaire. Ce dernier a alors formé un pourvoi en cassation.

La Cour de cassation rejette le pourvoi au motif que les modalités de notification de l’ordonnance sur requête rendue par application des articles 46 à 48 du décret n° 67-223 du 17 mars 1967 sont prévues par l’article 59 du même décret et non par l’article 495 du Code de procédure civile qui n’est alors pas applicable en espèce.

Or, l’article 59 ne prévoit pas la notification de la requête.

La précision est nouvelle puisque le décret du 17 mars 1967 prévoit les modalités de désignation d’un syndic judiciaire ou d’un administrateur provisoire dans l’hypothèse où le syndic n’a pas été nommé par l’assemblée générale et dans celle dans laquelle le syndicat est dépourvu de syndic.

Pourtant, dans les deux cas, la désignation est faite par le Président du Tribunal judiciaire, par ordonnance sur requête. L’ordonnance est alors notifiée dans le mois de son prononcé, par le syndic ou l’administrateur provisoire désigné, à tous les copropriétaires qui peuvent en référer au président du tribunal dans les 15 jours de cette notification. Le texte ne prévoit donc pas la notification de la requête, mais seulement de l’ordonnance.

Prime exceptionnelle aux personnels de sante : pas de rupture d’égalité

Les décrets n° 2020-568 du 14 mai 2020 relatif au versement d’une prime exceptionnelle aux agents des établissements publics de santé et à certains agents civils et militaires du ministère des armées et de l’Institution nationale des Invalides dans le cadre de l’épidémie de covid-19 et  n° 2020-711 du 12 juin 2020 relatif au versement d’une prime exceptionnelle aux personnels des établissements et services publics sociaux et médico-sociaux de la fonction publique hospitalière, de la fonction publique territoriale et de la fonction publique de l’Etat dans le cadre de l’épidémie de covid-19 avaient fait l’objet de la part de la Fédération CFDT Santé-Sociaux.

 

Elle reprochait en effet à ces deux décrets plusieurs différences de traitement entre les agents, soit au titre de leurs différents statuts de titulaires ou contractuels, soit au titre de leur secteur d’exercice.fon

Selon sa jurisprudence habituelle qui consiste à considérer qu’il n’y a pas de rupture d’égalité lorsqu’il existe une différence de situation, le Conseil d’Etat a néanmoins écarté les demandes, en précisant « que le principe d’égalité ne s’oppose pas à ce que l’autorité investie du pouvoir réglementaire règle de façon différente des situations différentes ni à ce qu’elle déroge à l’égalité pour des raisons d’intérêt général pourvu que, dans l’un comme l’autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l’objet de la norme qui l’établit et ne soit pas manifestement disproportionnée au regard des motifs susceptibles de la justifier ».

C’est ainsi qu’il a entre autres validé l’article selon lequel les personnels des établissements publics de santé situés dans les départements les plus touchés pouvaient percevoir une prime exceptionnelle de 1 500 euros alors que ceux ayant exercé dans les établissements des autres départements se voyaient octroyer une prime exceptionnelle de 500 euros, en soulignant qu’en tout état de cause il était prévu que, par dérogation, que le chef d’établissement pouvait, dans la limite de 40 % des effectifs physiques de l’établissement, relever le montant de la prime exceptionnelle à 1 500 euros pour les services ou agents impliqués dans la prise en charge de patients contaminés par le virus covid-19 ou mobilisés par les circonstances exceptionnelles d’exercice, induites par la gestion sanitaire de l’épidémie de covid-19 dans les établissements situés dans les départements qui n’étaient pas parmi les plus touchés par l’épidémie.

Même en l’absence de texte, la prescription de l’action en répétition de l’indu de rémunération d’un agent public est interrompue par un recours juridictionnel jusqu’à l’extinction de l’instance

Un agent contractuel du Ministère de l’Education nationale placé en congé de maladie ordinaire puis en congé de longue maladie a continué à percevoir sa rémunération tout en percevant des indemnités journalières de la sécurité sociale. Le ministre a alors émis à son encontre des titres de perception entre les années 2011 et 2013.

L’agent a sollicité et obtenu du Tribunal administratif l’annulation de ces titres. Saisie par le ministre, la Cour administrative d’appel de Bordeaux, en rappelant la jurisprudence Anne Marie A[1] du Conseil d’Etat, selon laquelle en cas d’annulation d’un titre de perception pour vice de forme, il appartient au juge administratif saisi de conclusions en ce sens de subordonner la restitution des sommes perçues à l’absence d’adoption de nouveaux titres exécutoires réguliers, dans un délai qu’il lui appartenait de fixer.

Mais la Cour a considéré qu’à la date de l’annulation de ces titres exécutoires, en 2017, la prescription biennale était acquise, dès lors que l’action de la requérante devant le Tribunal administratif ne l’avait ni interrompue ni suspendue, et rejeté l’appel du ministre.

Le Conseil d’Etat, saisi du pourvoi du Ministre, a pu à l’occasion de ce litige compléter sa jurisprudence Anne Marie A précitée.

En effet, les dispositions de l’article 37-1 de la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations, instituant la prescription biennale, ne prévoient pas explicitement de causes d’interruption de prescription, à l’inverse par exemple des dispositions relatives à la prescription quadriennale.

La Haute Juridiction a donc fait œuvre prétorienne et jugé « qu’en l’absence de toute autre disposition applicable, les causes d’interruption et de suspension de la prescription biennale instituée par les dispositions de cet article 37-1 sont régies par les principes dont s’inspirent les dispositions du titre XX du livre III du code civil », lesquelles mentionnent entre autres causes d’interruption le recours en justice,

Ainsi, le recours de l’agent contre les titres de perception avait bien interrompu le délai prescription biennale, et permettait bien au Ministre de régulariser les titres de perception émis et annulés, de sorte que Conseil d’Etat a renvoyé l’affaire devant la Cour.

Cette décision à paraitre au Recueil, anticipe une prochaine rédaction de l’article 37-1, puisqu’à compter du 1er janvier 2022, l’article 37-1 précité renverra à l’article L.274 du livre des procédures fiscale qui fixera la prescription de l’action en recouvrement des sommes indument versés par l’administration à ses agents à quatre ans, « sous réserve de causes suspensives ou interruptives de prescription ».

[1] CE, 11 décembre 2006, Anne Marie A, req n° 280696, au recueil

La faute du fonctionnaire atténue la responsabilité de l’employeur en cas d’accident de service

On le sait, est présumé imputable au service tout accident survenu, quelle qu’en soit la cause, dans le temps et le lieu du service, dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice des fonctions ou d’une activité qui en constitue le prolongement normal (art. 21 bis II loi n° 83-634 du 13 juillet 1983).

L’indemnisation de l’agent victime d’un accident de travail est traditionnellement, par principe, de nature forfaitaire, ce qui implique que la victime ne peut prétendre à une réparation intégrale du préjudice qu’elle a subi.

C’est ainsi que l’agent victime d’un accident de service peut, dans tous les cas, c’est-à-dire même en l’absence de faute de l’administration, engager une action pour bénéficier d’une indemnité pour ses souffrances et préjudices esthétiques et d’agrément et pour les troubles dans les conditions d’existence.

Mais depuis 2003, le Juge administratif a consenti à une ouverture de l’action en responsabilité aux cas d’accidents de service en admettant la possibilité pour les agents d’obtenir une réparation des préjudices non couverts par le forfait de pension (souffrances physiques ou morales, préjudice esthétique ou d’agrément), en dehors de toute faute de l’administration, puis en jugeant qu’une action de droit commun, pouvant aboutir à la réparation intégrale du dommage, puisse être mise en œuvre en cas de faute de l’employeur (CAA Paris, 11 avril 2019, n° 17PA01107 ; CE, 16 décembre 2013, n° 353798).

Autrement posé, l’agent victime d’un accident de service peut, dans tous les cas, c’est-à-dire même en l’absence de faute de l’administration, engager une action pour bénéficier d’une indemnité pour ses souffrances et préjudices esthétiques et d’agrément et pour les troubles dans les conditions d’existence, mais seuls ces chefs de préjudices peuvent être indemnisés au titre de la responsabilité sans faute de l’administration, et il doit engager la responsabilité pour faute de son employeur pour se voir indemnisé de l’intégralité de ses préjudices.

Mais, dès lors que le régime de la responsabilité pour faute est engagé, cela entraîne pour l’employeur naturellement la possibilité de contester sa faute, notamment en mettant en exergue, de manière très classique, la faute de la victime.

En l’espèce, un agent exerçant les fonctions de gardien d’une déchetterie d’une communauté de commune a, alors qu’il manipulait une caisse dans le conteneur des déchets ménagers spéciaux, été victime d’une chute qui a provoqué une fracture de son pilon tibial droit.

Dans un premier temps, l’imputabilité au service a été reconnue par l’employeur qui a donc appliqué la règle dite du forfait de pension, mais, dans un second temps, l’agent a par la suite sollicité l’indemnisation de la totalité de ses préjudices sur le fondement de la faute de la communauté de communes.

Ainsi que l’a reconnu la Cour administrative d’appel, c’est après s’être pris le pied dans le système de fermeture de la bâche de protection que l’agent a chuté dans un conteneur de déchets ménagers spéciaux. La responsabilité sans faute était donc établie, raison pour laquelle l’imputabilité au service a été reconnue.

Dans un deuxième temps, la Cour a relevé qu’outre le fait que le passage étroit dans lequel circulait l’agent au moment de l’accident était pourvu d’un sol irrégulier et que l’éclairage du conteneur était insuffisant, ce dernier présentait un état dégradé et encombré par des sangles qui exposait ses utilisateurs notamment à de forts risques de chutes. La faute de nature à engager la responsabilité de la communauté de communes à l’égard de l’agent était ainsi établie.

Dans un dernier temps, la Cour a cependant retenu que l’agent, qui avait lui-même signalé l’état dégradé du conteneur à la communauté de communes, avait connaissance du caractère irrégulier du sol et de la présence de sangles présentant un risque pour les déplacements.

Elle a donc considéré qu’il a fait preuve d’un manque de prudence de nature à atténuer à concurrence de 25% la part de responsabilité de la communauté de communes.

Au final, dans cette espèce, la Cour a confirmé le jugement du Tribunal administratif de Limoges qui avait condamné l’employeur a verser, en sus du forfait de pension et sur le fondement de sa responsabilité pour faute, à la somme de 1 125 euros au titre des souffrances endurées, 750 euros au titre du préjudice esthétique, 1 125 au titre des troubles dans les conditions d’existence, soit la somme totale de 3 000 euros. En effet, si l’agent avait sollicité une indemnisation de plus de 60 000 euros, la Cour a analysé chaque chef de préjudice en recherchant d’une part la preuve de sa matérialité, puis le lien de causalité avec l’accident et enfin en appliquant une décote de 25 %.

On le sait, le Juge administratif est avare des deniers publics.

Accord-cadre : l’acheteur doit indiquer un maximum de commandes en valeur ou en quantité

Aux termes de l’article R. 2162-4 du Code de la commande publique (CCP), les accords-cadres peuvent être conclus sans maximum en valeur ou en quantité. La seule conséquence de l’absence de maximum est que l’acheteur est tenu de recourir à une procédure formalisée, la valeur estimée du besoin étant, dans cette hypothèse, réputée au-dessus du seuil européen (cf. article R. 2121-8 du CCP).

 

Il est à noter que ces dispositions nationales ne s’opposent frontalement à aucune disposition de la directive 2014/24 du 24 février 2014 sur la passation des marchés publics, celle-ci ne prévoyant expressément aucune obligation pour les acheteurs de prévoir un maximum pour leurs accords-cadres.

 

Toutefois, par un arrêt du 17 juin 2021, la Cour de justice de l’Union Européenne (CJUE) vient de juger, en s’appuyant sur une interprétation de « l’économie générale » de la directive, que dans le cadre de la passation d’un accord-cadre, l’avis de marché doit indiquer un montant maximal de produits à fournir en vertu dudit accord-cadre et qu’une fois que cette limite a été atteinte, ledit accord-cadre a épuisé ses effets.

 

Cet arrêt a été rendu à l’occasion d’un litige relatif à la passation d’un accord-cadre pour l’achat d’équipements permettant l’alimentation par sonde destinés à des patients à domicile et à des établissements entre, d’une part, les régions danoises du Jutland du nord et du Danemark du sud agissant en tant que pouvoirs adjudicateurs et, d’autre part, la Société Simonsen & Weel, candidate dont l’offre n’a pas été retenue et qui a saisi la commission de recours en matière de marchés publics.

 

En premier lieu, la Société requérante soutenait qu’en n’indiquant pas, dans l’avis de marché, la quantité estimée ou la valeur estimée des produits à fournir en vertu de l’accord-cadre en cause au principal, les Régions auraient notamment méconnu l’article 49 de la directive 2014/24, les principes d’égalité de traitement et de transparence consacrés à l’article 18, paragraphe 1, de cette directive ainsi que le point 7 de la partie C de l’annexe V de ladite directive. En second lieu, la Société requérante arguait que les Régions étaient tenues d’indiquer la quantité maximale des produits pouvant être acquis en exécution de l’accord-cadre ou la valeur totale maximale de celui-ci, à défaut de quoi elles pouvaient fractionner de manière artificielle cet accord-cadre pendant toute sa durée, contrairement à la jurisprudence qui résulte de l’arrêt du 19 décembre 2018, Autorità Garante della Concorrenza e del Mercato – Antitrust et Coopservice (C‑216/17).

 

La commission de recours en matière de marchés publics a sursis à statuer et saisi la CJUE de questions jurisprudentielles afin d’être éclairée sur le bien-fondé des arguments de la Société requérante.

 

En réponse, la CJUE commence par concéder que la seule interprétation littérale des dispositions de la directive 2014/24 n’est pas concluante aux fins de déterminer si un avis de marché doit indiquer la quantité et/ou la valeur estimée ainsi qu’une quantité et/ou une valeur maximale des produits à fournir en vertu d’un accord-cadre.

 

Pour autant, elle juge qu’ « au regard des principes d’égalité de traitement et de transparence énoncés à l’article 18, paragraphe 1, de la directive 2014/24 ainsi que de l’économie générale de cette directive, il ne saurait être admis que le pouvoir adjudicateur s’abstienne d’indiquer, dans l’avis de marché, une valeur maximale des produits à fournir en vertu d’un accord-cadre ».

 

Ce faisant, la Cour confirme sa jurisprudence Autorità Garante della Concorrenza e del Mercato du 19 décembre 2018 selon laquelle « les principes de transparence et d’égalité de traitement des opérateurs économiques intéressés par la conclusion de l’accord-cadre, énoncés notamment à l’article 18, paragraphe 1, de la directive 2014/24, seraient affectés si le pouvoir adjudicateur originairement partie à l’accord-cadre n’indiquait pas la valeur ou la quantité maximale sur laquelle porte un tel accord » et qu’ « il découle des considérations qui précèdent que le pouvoir adjudicateur originairement partie à l’accord-cadre ne saurait s’engager, pour son propre compte et pour celui des pouvoirs adjudicateurs potentiels qui sont clairement désignés dans cet accord, que dans la limite d’une quantité et/ou d’une valeur maximale et qu’une fois que cette limite atteinte, ledit accord aura épuisé ses effets ».

 

De plus, la Cour précise que l’indication de la quantité ou de la valeur maximale des produits à fournir en vertu d’un accord-cadre peut figurer indifféremment dans l’avis de marché ou dans le cahier des charges, sous réserve que ce dernier soit accessible par moyen électronique, gratuit, sans restriction, complet et direct à partir de la date de publication d’un avis. A défaut, l’indication doit impérativement figurer dans l’avis de marché.

 

En outre, la Cour considère que si l’indication peut apparaître de manière globale dans l’avis de marché, rien ne s’oppose à ce qu’un pouvoir adjudicateur, pour parfaire l’information des soumissionnaires et leur permettre d’apprécier au mieux l’opportunité de présenter une offre, fixe des exigences supplémentaires et subdivise la quantité ou la valeur estimée globale des produits à fournir au titre de l’accord-cadre afin de caractériser les besoins du pouvoir adjudicateur originaire qui entend conclure un accord-cadre et ceux du ou des pouvoir(s) adjudicateur(s) originaire(s) qui ont émis le souhait de participer à cet accord-cadre de manière optionnelle. De même, un pouvoir adjudicateur peut présenter distinctement, dans l’avis de marché, la quantité et/ou la valeur estimée ainsi qu’une quantité et/ou une valeur maximale des produits à fournir en vertu d’un accord-cadre pour chacun des pouvoirs adjudicateurs que ceux-ci aient l’intention de conclure l’accord-cadre ou qu’ils disposent d’une option à cet effet. Tel pourrait notamment être le cas lorsque, eu égard aux conditions d’exécution des marchés publics subséquents, les opérateurs économiques sont invités à soumissionner pour l’ensemble des lots ou pour tous les postes mentionnés dans l’avis de marché ou encore lorsque les marchés subséquents doivent être exécutés en des lieux éloignés.

 

Toutefois, la Cour considère que le manquement du pouvoir adjudicateur à son obligation de mentionner l’étendue d’un accord-cadre n’atteint pas le degré de gravité requis pour priver d’effet ledit accord-cadre dès lors que l’acheteur a publié un avis de marché au JOUE et rendu accessible le cahier des charges, ce qui était le cas en l’espèce. En effet, la Cour considère que, dans un tel cas, le manquement est « suffisamment perceptible pour pouvoir être décelé par un opérateur économique qui entendait soumissionner et qui devait, de ce fait, être considéré comme étant averti ».

 

Compte tenu de ce qui précède, il est probable que le pouvoir réglementaire français modifie à brève échéance les dispositions du Code de la commande publique relatives aux accords-cadres, afin d’y intégrer l’obligation pour les acheteurs d’indiquer systématiquement un maximum en valeur ou en quantité dans leur avis de marché, ou dans le cahier des charges lorsque celui-ci est accessible librement dès le jour de la publication de l’avis.

 

Des précisions sur l’application du dispositif de la loi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018 dite « loi ELAN » concernant le supplément de loyer de solidarité !

Pour mémoire, le locataire d’un logement social est redevable, en sus du loyer et des charges locatives, d’un supplément de loyer de solidarité, si en cours de bail, les ressources de l’ensemble des personnes vivant au foyer excèdent d’au moins 20% les plafonds de ressources en vigueur pour l’attribution de ces logements.

Autrement dit, si les ressources de la famille viennent, en cours de bail, à augmenter de manière telle qu’elles excédent les plafonds réglementaires, cette famille peut conserver son logement car elle a droit au maintien dans les lieux et « cela contribue à la diversité d’occupation du parc social » mais « si le dépassement du plafond de ressources est significatif, il est juste que cette famille verse un supplément de loyer à son bailleur social » (Circulaire n° 96-29 du 29 avril 1996 relative au supplément de loyer de solidarité). Telle est la philosophie générale du dispositif.

De la même manière, dans l’hypothèse où une famille occupe un logement privé qui, en cours de bail, est acquis et conventionné à l’APL par un bailleur social, ce dernier doit appliquer à la famille le SLS (sous les mêmes conditions de ressources qui excèdent le plafond).

La Cour de cassation avait eu l’occasion de rappeler ce mécanisme dans plusieurs arrêts du 10 juillet 2013.

« les contrats en cours avaient, dès l’entrée en vigueur de la convention signée avec l’Etat, été soumis tant aux dispositions légales que conventionnelles et l’engagement de proroger les baux ne dispensait pas le bailleur social de respecter ses obligations légales relatives au loyer (…) de telle sorte que l’organisme bailleur était fondé à réévaluer les loyers et à appeler le supplément de loyer de solidarité ».

Cette situation générait de nombreux contentieux entre les bailleurs sociaux et leurs « nouveaux locataires », de sorte que la loi n° 2018-1021 du 28 novembre 2018 a clarifié le dispositif et instauré un droit d’option pour les locataires occupant un logement acquis et conventionné par un bailleur social en cours de bail :

  • soit les locataires acceptent de conclure un nouveau bail soumis à la réglementation HLM ;
  • soit les locataires souhaitent voir leur bail se poursuivre jusqu’à expiration.

Les locataires ont six mois pour faire part de leur choix au bailleur social. Quel que soit ce choix, la loi ELAN est venue préciser que le SLS ne pouvait pas s’appliquer, en tout état de cause, avant l’expiration d’un délai de trois ans à compter de la date de signature de la convention APL.

C’est dans ce nouveau contexte légal qu’un locataire devenu locataire d’un bailleur social avait contesté l’assignation en paiement de SLS qui lui avait été notifié arguant son droit d’option et le gel pendant trois ans de tout paiement du SLS.

La troisième chambre civile de la Cour de cassation a écarté l’application dans le temps de la loi ELAN, au motif que cette loi ne pouvait modifier les effets légaux d’une situation juridique définitivement réalisée lors de l’entrée en vigueur de ladite loi. En l’espèce, le conventionnement de l’immeuble acquis par le bailleur social datait du 6 juin 2014, de sorte qu’à compter de cette date le bailleur social était en droit d’appeler le SLS sans que la loi ELAN du 23 novembre 2018 entrée en vigueur le 28 novembre 2018 n’ait pu modifier cette situation.

ARS : une possible réforme annoncée, pas une révolution

Les Agences régionales de santé (ARS) constituent une création administration plutôt originale et encore récente. Créées le 1er avril 2010, elles sont issues de la loi n° 2009-879 du 21 juillet 2009 portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires, dite « Hôpital, patients, santé et territoire ». Elles sont régies par le titre III du livre IV de la première partie du Code de la santé publique.

Aux termes des dispositions législatives qui leur ont donné naissance, les ARS ont pour mission « d’assurer un pilotage de la santé en région, de mieux répondre aux besoins de la population et d’accroître l’efficacité du système ».

Ayant vocation à devenir l’interlocuteur unique des acteurs des territoires en matière sanitaire, les ARS ont fusionné, en leur sein, les Agences régionales de l’hospitalisation, qui avaient été créées par l’ordonnance n° 96-346 du 24 avril 1996 portant réforme de l’hospitalisation publique et privée pour fédérer, sous forme de groupement d’intérêt public, plusieurs services ou établissements déconcentrés de l’Etat : Directions régionales des affaires sanitaires et sociales, Unions régionales des caisses d’assurance maladie, branche santé des Caisses régionales d’assurance maladie.

Bien que devenues le véritable bras armé du Ministère de la santé en région, il n’a pas été conféré aux ARS le statut de service déconcentré de l’Etat. Afin de leur donner plus de souplesse de fonctionnement et d’assurer la coopération entre des personnels sous statuts différents, le législateur a fait des ARS des établissements publics à caractère administratif. Elles sont dirigées par des Directeurs généraux nommés dans les conditions du droit commun des hauts fonctionnaires de l’Etat.

Les ARS sont dotées d’un Conseil de surveillance, présidé par le Préfet de région, et chargé d’approuver le budget de l’agence et son compte financier, et d’émettre un avis simple sur le Projet régional de santé proposé par le Directeur général ainsi que sur les Contrats pluriannuels d’objectifs et de moyens conclus entre l’Agence et les établissements sanitaires et médico-sociaux de son ressort.

Plutôt méconnues, jusqu’à ces derniers mois, les ARS ont été placées sous les feux de l’actualité par la crise sanitaire de la Covid 19. Et les critiques ont été nombreuses.

La Mission d’examen des comptes de la sécurité sociale de l’Assemblée nationale (MECSS), mission permanente d’évaluation de la Commission des affaires sociales, a donc décidé, au mois de janvier dernier, de procéder à une évaluation du fonctionnement des ARS. Après plus de cinquante heures d’audition et plusieurs visites en région, le rapport a été présenté devant la Commission des affaires sociales le 16 juin 2021.

Il ressort de ce rapport, ici commenté, que les ARS ont plutôt bien rempli la mission qui leur a été confiée par la loi, et notamment leur fonction de régulateur budgétaire et d’exécuteur, en région, des contingences de l’Objectif national des dépenses d’assurance maladie (ONDAM) fixé chaque année par la loi de financement de la Sécurité sociale (LFSS).

Ce qu’ont noté les rapporteurs, c’est l’absence d’ancrage territorial de ces Agences, qui ne sont pas vues comme des interlocuteurs et décideurs de proximité, tant par les professionnels médicaux et médico-sociaux, que par les élus des territoires. Ils proposent donc de renforcer l’échelon départemental des Agences et d’associer les élus des territoires aux conseils d’administration des ARS, qui viendraient se substituer aux conseils de surveillance, avec des pouvoirs de contrôle élargis.

Les rapporteurs proposent également que les Régions, pour le secteur sanitaire, et les Départements, pour le secteur médico-social, puissent contractualiser avec l’Etat, via les ARS, pour cofinancer des investissements structurants dans ces domaines.

Ils souhaitent en outre que soit renforcé le rôle, en matière de santé publique, des corps d’inspection rattachés aux ARS (médecins-inspecteurs de santé publique, génie sanitaire).

Enfin, les rapporteurs prônent une meilleure coordination et l’instauration d’une instance permanente de dialogue entre les ARS et les Préfets de département, pour la gestion du quotidien de la santé, comme pour la gestion de crise.

Le Ministre de la santé a marqué un véritable intérêt pour les conclusions de ce rapport. Pas de révolution à attendre donc dans la déclinaison régionale des politiques sanitaires et médico-sociales. Mais des adaptations rendues logiques et nécessaires après plus de dix années de fonctionnement des Agences régionales de santé.

Droit de préemption : arrêt de principe sur la commission de l’intermédiaire immobilier

Par un arrêt en date du 12 mai 2021, la 3ème chambre civile de la Cour de cassation donne pose un principe important sur le sort de la commission due en rémunération de l’agent immobilier dans le cadre de l’exercice du droit de préemption par son titulaire.

Dans cette affaire le vendeur et l’acquéreur évincé avaient conclu une promesse unilatérale de vente aux termes de laquelle une commission était due par l’acquéreur en cas de levée de l’option par le bénéficiaire de la promesse. Le montant de cette commission figurait dans la déclaration d’intention d’aliéner à la charge de l’acquéreur.

La commune a exercé son droit de préemption, le Juge de l’expropriation a fixé le prix du bien et l’acte de vente a été signé entre la commune et le propriétaire vendeur, sans commission, la commune refusant de l’intégrer à l’acte authentique.

L’intermédiaire immobilier a donc assigné la commune en versement de cette commission et a obtenu du juge des référés que la commune lui verse le montant de la commission par provision.

La commune a donc fait assigner l’intermédiaire immobilier, le vendeur et l’acquéreur évincé afin de dire et juger que la promesse unilatérale de vente lui était inopposable et le juge civil de première instance, puis la Cour d’appel de Toulouse lui ont donné raison. La Cour d’appel considère que la promesse unilatérale de vente, en cause, confère seulement à l’acquéreur évincé « la faculté d’acquérir, si bon lui semble » sans engagement d’acquérir et en se réservant la possibilité de demander ou non la réalisation de la promesse. Elle relève que l’acquéreur évincé, n’ayant pas levé l’option avant l’exercice du droit de préemption, la commune ne pouvait être jugée débitrice du montant de la commission litigieuse.

Aux visas des articles 1134 al.1er du Code civil, L.213-2, al.1er du Code de l’urbanisme et 6, I, al.3 de la loi du 2 janvier 1970, la Cour de cassation casse l’arrêt de la Cour d’appel de Toulouse et pose que :

« lorsqu’il exerce son droit, le titulaire du droit de préemption, au profit duquel la vente a été effectivement conclue, est tenu de prendre en charge la rémunération de l’intermédiaire incombant à l’acquéreur pressenti, auquel il est substitué, dès lors que le montant de la commission et la partie qui en est tenue sont mentionnés dans l’engagement des parties et dans la déclaration d’intention d’aliéner ».

La Cour de cassation juge que dès lors que la promesse unilatérale de vente énonce les conditions financières, tenant notamment au paiement de la commission, le droit à commission de l’agent immobilier est conventionnellement prévu et il est du par le titulaire du droit de préemption si la déclaration d’intention d’aliéner mentionne que la commission est à la charge de l’acquéreur, même si la promesse précise que la vente n’aura lieu qu’en cas de levée de l’option par le bénéficiaire.

En effet, par cet arrêt de principe, la Cour de cassation pose que le défaut de levée d’option par le bénéficiaire de la promesse ne remet pas en cause le droit à commission de l’agent immobilier lorsqu’il a été contractuellement prévu.

Groupements hospitaliers de territoire : une révolution de velours

Décret n° 2021-676 du 27 mai 2021 relatif aux attributions des présidents des Commissions médicales de groupement et des Commissions médicale d’établissement.

 

C’est au cœur du printemps, alors que la France n’en a pas fini avec la crise sanitaire, que le ministère des solidarités et de la santé a adopté, le 27 mai dernier, un décret faisant faire un pas en avant considérable à la coopération hospitalière territoriale.

C’est la loi n° 2016-41 du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé, qui a institué les Groupements Hospitaliers de Territoire (GHT) et offert un cadre nouveau à la coopération hospitalière. Depuis leur origine, les GHT sont une curiosité administrative et juridique.

Curiosité juridique car, non dotés de la personnalité morale, les GHT sont néanmoins en charge des achats hospitaliers ou de la formation des personnels. Ainsi pour les achats hospitaliers, est-ce l’hôpital support du GHT qui signe les marchés et les hôpitaux parties au groupement qui mandatent les paiements. La Cour des Comptes s’est déjà étonnée de cette construction juridique pour le moins baroque.

Curiosité administrative aussi, car un quart seulement des GHT restent dans un cadre départemental quand un tiers s’étendent sur plusieurs départements et parfois même sur le ressort de plusieurs Agences régionales de santé, ce qui crée un enchevêtrement administratif rarement propice à l’efficacité.

Les élus locaux ne voient pas d’un œil très favorable ces « machineries administratives » dans lesquelles ils sont peu impliqués et qui viennent organiser ou réorganiser la prise en charge hospitalière territoriale.

Jusqu’à ces derniers jours, le GHT disposait de sa propre gouvernance qui venait s’ajouter à celle des établissements parties au groupement, telle que définie par la loi n° 2009-879 du 21 juillet 2009 portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires, dite loi HPST. C’est là, qu’à bas bruit, le décret du 27 mai, ici commenté (ci-après, « le Décret »), pris en application de l’ordonnance n° 2021-291 du 17 Mars 2021 relative aux groupements hospitaliers de territoire et à la médicalisation des décisions à l’hôpital, en cours de ratification devant le Parlement, vient profondément modifier le cours des choses.

Alors que chaque établissement disposait de sa propre gouvernance médicale, au travers de la Commission médicale d’établissement, le Décret (en ses articles 1 et 2 portant modification de l’article R. 6132-3 du Code de la santé publique et créant les articles D. 6132-9-1 et suivants dudit Code) vient créer une Commission médicale de groupement chargée, notamment, d’élaborer un projet médical partagé, véritable feuille de route stratégique du groupement. Cette Commission dispose aussi de quelques compétences propres qui viennent se substituer à celles des Commission médicales des établissements, avec pour point d’orgue la constitution des équipes médicales de territoire, qui forment la clé de voûte de toute politique territoriale de santé.

Le Décret crée, en outre, une nouvelle instance dénommée Comité stratégique, chargé d’arrêter le projet médical partagé élaboré par la nouvelle Commission médicale commune du groupement (articles 1 et 2 du Décret modifiant l’article R. 6132-3 du Code de la santé publique et créant les articles R. 6132-10-1 dudit Code).

Il institue, enfin, une Commission commune médico-soignante, composée de membres de la Commission médicale du groupement et de membres de la Commission des soins infirmiers, de rééducation et médico-techniques de groupement qui associe à ses travaux des représentants d’usagers, de professionnels de ville ou tout autre partenaire utile à la construction du parcours de santé. Cette Commission commune médico-soignante peut, notamment, faire des propositions de structuration des filières de soins au sein du projet médical partagé (article 1 du Décret instituant l’article R. 6132-5-1 du Code de la santé publique). On notera, avec intérêt, l’ouverture en direction des professionnels de santé libéraux qui, jusque-là, étaient tenus à la lisière du fonctionnement hospitalier.

Mais, s’ils le souhaitent, les établissements parties du GHT pourront aller plus avant et créer une Commission médicale unifiée de groupement qui se substituera à toutes les Commissions médicales des établissements ainsi qu’à la Commission médicale commune du groupement et instaurera une gouvernance médicale unifiée, s’exerçant désormais à la seule échelle du groupement (article 2 du Décret instituant les articles D. 6132-13-2 et suivants du Code de la santé publique). Il pourra en aller de même pour la Commission des soins infirmiers, qui pourra, elle aussi, prendre la forme d’une Commission des soins infirmiers, de rééducation, médico-techniques unifiée du groupement (article 2 du Décret instituant les articles D. 6132-13-7 et suivants du Code de la santé publique).

L’hôpital support du GHT voit, de plus, son rôle pivot renforcé puisque désormais il devra veiller au respect par les établissements des orientations stratégiques fixées par le groupement (article 3 du Décret instituant les articles R. 6132-19-1 et suivants du Code de la santé publique). Le Décret semble ainsi instaurer un lien hiérarchique entre l’hôpital support et les hôpitaux parties au GHT. Lien hiérarchique encore renforcé par la possibilité donnée au Directeur de l’hôpital support de proposer aux directeurs des établissements parties d’élaborer un programme d’investissement unique (article 3 du Décret créant l’article R. 6132-19-5 du Code de la santé publique). Il disposait déjà d’un droit de regard sur les documents budgétaires des établissements membres du GHT.

Ainsi donc, l’Etat avance pas à pas vers la transformation des GHT en établissements publics de santé unifiés. Il se crée progressivement une situation de fait qu’il suffira, dès lors qu’elle apparaîtra irréversible, d’habiller de droit. Les chefs d’établissements y trouveront des perspectives intéressantes. Le corps médical s’en satisfera pour voir son poids renforcé dans la gouvernance hospitalière. Pour ce qui est des élus des territoires et surtout des patients, on peut craindre, à terme, une déconnexion tant des territoires que de la gouvernance.

Enfin, on pourra s’étonner de la publication concomitante du décret n° 2021-675 du 27 mai 2021, qui vient préciser les attributions des présidents des Commissions médicales de groupement et des Commissions médicales d’établissement, appelées à disparaître. Sans doute s’agit-il d’assurer une transition douce de l’ancien schéma organisationnel vers le nouveau.

Qualification d’un contrat de retrait et de destruction des véhicules abandonnés en fourrière

La ville de Paris a lancé une consultation sous forme d’appel d’offres ouvert pour l’attribution de deux contrats relatifs au retrait et à la destruction des véhicules abandonnés. Par deux courriels du 10 décembre 2020, la ville de Paris a informé les sociétés Allo Casse Auto et Euro Casse du rejet de leurs offres.

 

Ces sociétés ont introduit un référé précontractuel sur le fondement de l’article L. 551-1 du Code de justice administrative et le juge des référés du tribunal administratif de Paris a, par deux ordonnances du 6 janvier 2021, fait droit à leur demande en prononçant à l’annulation des procédures de passation desdits contrats aux motifs que la ville de Paris avait conduit la procédure de passation en violation des obligations de publicité et de mise en concurrence applicables aux marchés publics.

 

La ville de Paris a introduit en cassation par laquelle elle contestait la qualification de contrat de la commande publique de ces contrats et, a fortiori, leur qualification de marchés publics.

 

Afin de contester la qualification de contrat de la commande publique telle que définie par l’article L. 2 du Code de la commande publique qui dispose que « sont des contrats de la commande publique les contrats conclus à titre onéreux par un acheteur ou une autorité concédante, pour répondre à ses besoins en matière de travaux, de fournitures ou de services, avec un ou plusieurs opérateurs économiques ».

 

Il résulte de cette définition qu’un contrat de la commande publique doit nécessairement répondre à un besoin de l’acheteur ou de l’autorité concédante. Bien que cette exigence ne figure pas dans les textes communautaires, la Cour de justice de l’Union européenne a introduit une notion similaire afin d’éviter une interprétation par trop extensive de la notion de marché public. Ainsi, une prestation ne relève de la commande publique que si elle « comporte un intérêt économique direct pour le pouvoir adjudicateur »[1] mais ne saurait tomber dans le champ de cette qualification lorsqu’elle « vise à satisfaire un objectif public d’intérêt général dont il incombe au pouvoir adjudicateur d’assurer le respect »[2].

 

La ville de Paris soutenait que tel était le cas en l’espèce puisque la législation lui imposait de procéder à l’enlèvement des véhicules et notamment que la conclusion de contrats pour procéder à l’enlèvement des véhicules est encadrée par les textes.

 

Cependant, ainsi que le relève le rapporteur public, Mireille le Corre, dans ses conclusions sous l’arrêt commenté, le Conseil d’État avait déjà implicitement « admis l’application du code des marchés publics pour un service similaire d’enlèvement de véhicules abandonnés »[3] dans un arrêt du 19 avril 2013[4]. Par ailleurs, le Conseil d’État avait également jugé qu’une convention par laquelle un établissement public portuaire confiait l’exploitation d’un terminal portuaire avait pour objet de répondre à ses besoins alors même qu’il ne pouvait légalement les satisfaire lui-même[5].

 

Le Conseil d’État rejette implicitement ce moyen admettant que ces contrats sont qualifiables de contrats de la commande publique et en procédant à leur qualification plus précise en concession de service.

 

En effet, la ville de Paris contestait également la qualification de marché public retenue par le juge des référés du Tribunal administratif de Paris au motif que la ville ne versait aucun prix ou une quelconque compensation à son cocontractant au titre de ces conventions.

 

Le Conseil d’État abonde en ce sens en relevant que « le service ainsi rendu par les entreprises de démolition automobile cocontractantes ne fait l’objet d’aucune rémunération sous la forme d’un prix, les stipulations des conventions projetées, qui reprennent les clauses types définies à l’article R. 325-45 du code de la route, indiquant que ces entreprises ont le droit, en contrepartie de leurs obligations, de disposer des accessoires, pièces détachées et matières ayant une valeur marchande issus des véhicules » et qu’ « aucune stipulation de ces conventions ne prévoit par ailleurs de compensation, par la ville de Paris, des éventuelles pertes financières que pourrait subir son cocontractant du fait des risques inhérents à l’exploitation commerciale des produits issus de ces enlèvements ».

 

La Haute juridiction juge donc que « ces conventions, qui prévoient que la rémunération du service rendu prend la forme du droit d’exploiter les véhicules abandonnés et qui transfèrent à leurs titulaires le risque inhérent à cette exploitation, présentent le caractère de concessions de service ».

 

Prenant acte de cette qualification, il annule les ordonnances attaquées dès lors que le  juge des référés du Tribunal administratif de Paris avait méconnu le champ d’application des articles L. 2124-1, L. 2131-1 et R. 2131-16 du Code de la commande publique en les appliquant aux conventions litigieuses alors que ces dispositions étaient applicables aux seuls marchés publics.

 

Jugeant l’affaire au fond en application de l’article L. 821-2 du Code de justice administrative, le Conseil d’État relève néanmoins que la ville de Paris n’avait communiqué aucun critère de sélection aux entreprises candidates en méconnaissance des articles L. 3124-4 et R. 3124-4 du Code de la commande publique.

 

Il juge que ces manquements de la ville de Paris à ses obligations de publicité et de mise en concurrence étaient susceptibles d’avoir lésé les candidates évincées et justifiaient l’annulation de la procédure de passation.

 

[1] CJUE, 25 mars 2010, Helmut Müller GmbH, aff. C-451/08, § 54.

[2] Ibid. § 55.

[3] M. le Corre, Ccls. sous CE, 9 juin 2021, Ville de Paris, n° 448948.

[4] CE, 19 avril 2013, Ville de Marseille, n° 365340.

[5] CE, 14 février 2017, Grand Port Maritime de Bordeaux, n° 405157.

Précision sur les « personnes vivant au foyer » dans le calcul du SLS

Le supplément de loyer de solidarité (SLS) est dû par certains locataires du parc social dont les ressources excèdent les plafonds fixés pour l’attribution de logements sociaux. Le SLS est déterminé en fonction notamment du nombre et de l’âge des personnes vivant au foyer (article L.441-3 du Code de la construction et de l’habitation, ci-après CCH).

L’article L.442-12 du CCH (dans sa rédaction en vigueur à l’époque des faits) précise les personnes à prendre en considération dans le foyer, et notamment les enfants à charge dans le cadre de l’impôt sur le revenu.

Des locataires ont assigné leur bailleur en remboursement du SLS payé depuis l’année 2009 et en annulation d’un commandement de payer un arriéré locatif leur ayant été signifié le 19 janvier 2016. Le bailleur a reconventionnellement demandé paiement d’un arriéré locatif.

La Cour d’appel a débouté les locataires qui se sont pourvus en cassation en sollicitant la prise en compte, au sein du foyer, de leur fille figurant sur leur avis de taxe d’habitation, qui était « à leur charge matérielle ».

La Cour de cassation rejette le pourvoi au motif que la liste des personnes assimilées à des personnes vivant au foyer présentait un caractère limitatif et que l’avis de taxe d’habitation ne pouvait être assimilé à l’avis d’imposition, de telle sorte que la fille des locataires qui ne figurait plus sur l’avis d’imposition de ses parents ne pouvait être considérée comme une personne vivant au foyer.

Télétravail : qui décide quoi ou l’occasion ratée

Peu est de dire que la crise sanitaire aura été un accélérateur de la mise en place du télétravail dans les collectivités, alors qu’une infime minorité d’entre elles avaient délibéré afin de l’organiser, dans les conditions prévues par la loi n° 2012-347 du 12 mars 2012 et ses décrets d’application, le premier intervenu en 2016 (décret n° 2016-151 du 11 février 2016) et le second, à la faveur de la crise sanitaire, en 2020 (décret n° 2020-524 du 5 mai 2020).

Pour mémoire, le télétravail désigne « toute forme d’organisation du travail dans laquelle les fonctions qui auraient pu être exercées par un agent dans les locaux où il est affecté sont réalisées hors de ces locaux en utilisant les technologies de l’information et de la communication ».

Il ne fait cependant aucun doute que la décision ci-dessous, dont les faits se sont déroulés en 2016 soit bien avant la crise sanitaire, a été lourdement influencée par cette dernière.

Alors qu’une fonctionnaire avait demandé à son employeur, la Communauté de communes des Collines du Nord Dauphiné, de délibérer afin de mettre en place le télétravail après que sa demande de télétravail à titre individuel pour motif de santé ait été rejetée par deux fois, le conseil communautaire a répondu à sa demande en adoptant, le 17 novembre 2016, une délibération par laquelle il a examiné le nombre des emplois de la collectivité, leur nature, leurs conditions d’exercice et les missions exercées par les agents, pour considérer que la mise en place du télétravail ne correspondait pas à l’intérêt du service et de l’ensemble des agents et décider qu’aucune des activités de la communauté de communes des Collines du Nord Dauphiné n’était ainsi éligible à ce mode d’organisation du service.

C’était la délibération attaquée, et le Tribunal administratif avait initialement rejeté le recours de la fonctionnaire. Cette dernière a donc saisi le 21 juin 2019 la Cour administrative d’appel de Lyon d’une contestation du jugement de rejet, et on notera avec intérêt qu’un mémoire complémentaire est intervenu en avril 2020, soit en plein confinement, quand le télétravail a été mis en place « de force » au sein de toutes les collectivités.

Le raisonnement de la Cour est particulièrement alambiqué et nécessite d’être relu à plusieurs reprises pour en retirer la substantifique moëlle.

A titre liminaire, on rappellera que la collectivité ayant délibéré sur le télétravail, le débat ne portait pas sur le fait d’y être obligé ou non, alors que la question pourrait se poser : jusqu’à présent, et en réalité jusqu’à la crise sanitaire, il était communément admis que les organes délibérants pouvaient, en vertu du principe de libre administration des collectivités territoriales, ne pas délibérer sur le télétravail et ainsi ne pas le mettre en place.

En effet, l’article 133 de la loi du 12 avril 2012 précitée laissait place à une certaine latitude notamment par l’utilisation du verbe « pouvoir » :

« Les fonctionnaires relevant de la loi n°83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires peuvent exercer leurs fonctions dans le cadre du télétravail tel qu’il est défini au premier alinéa de l’article L. 1222-9 du code du travail. L’exercice des fonctions en télétravail est accordé à la demande du fonctionnaire et après accord du chef de service. »

Et il a déjà été dit que les collectivités n’avaient que marginalement mis en place le télétravail alors que le décret du 11 février 2016, dans son article 7.I précisait : « une délibération de l’organe délibérant pour la fonction publique territoriale […] fixe : 1° Les activités éligibles au télétravail […] » et que son article 5 disposait, en son deuxième alinéa : « l’autorité territoriale ou l’autorité investie du pouvoir de nomination apprécie la compatibilité de la demande avec la nature des activités exercées et l’intérêt du service ».

C’est pourquoi la Cour indique, en premier lieu, que ces dispositions « donnent à leur organe délibérant la faculté d’ouvrir aux agents la possibilité de demander de recourir au télétravail, par la désignation des tâches et missions qu’il estime éligibles à ce mode d’organisation du travail ».

Donc, si l’on comprend bien ce premier considérant – mais rien n’est moins sûr – l’organe délibérant peut décider de permettre aux agents de demander la mise en place du télétravail, ce qui, a contrario, signifierait qu’il ne s’agit pas là d’une obligation (« peut » décider) et que les collectivités ne seraient pas tenues de le mettre en place. Pour autant, la Cour juge ensuite qu’ « il appartient à l’organe délibérant d’organiser la mise en oeuvre du télétravail dans la collectivité selon la nature et les conditions d’exercice des activités et missions qu’elle exerce ».

A priori, on ne saurait retirer d’une formulation aussi alambiquée une quelconque obligation de mettre en place le télétravail, et ce d’autant plus que la Cour affirme que ces mêmes dispositions « n’ont pas pour portée de de poser un droit individuel au télétravail ».

Pour autant, la fin de ce même considérant impose que les organes compétents « doivent chacun respectivement, pour le premier, déterminer collectivement l’éligibilité au télétravail des missions exercées dans la collectivité et, pour la seconde, régler l’exercice individuel de celui-ci par l’agent demandeur ». On voit bien que l’impératif utilisé fait de nouveau peser un doute sur l’éventualité d’une obligation de mise en place.

En conclusion, la Cour a certes esquivé la question de l’obligation de mettre en place le télétravail, mais après plus d’un an de télétravail forcé, cette question est-elle toujours pertinente ?

Au final, on retiendra, et c’est le point principal, que si la collectivité décide de mettre en place le télétravail – comme cela va probablement être le cas de nombre d’entre elles – l’organe délibérant ne devra décider que des critères permettant à l’autorité territoriale de définir quels sont les postes concernés.

Les modalités de vérification par les Organismes Tiers Indépendants « OTI » des sociétés à mission sont enfin précisées par l’arrêté du 27 mai 2021

Pour rappel, les sociétés à mission issues de la loi PACTE n° 2029-486 du 22 mai 2019 doivent se fixer dans leur objet social des objectifs sociaux et/ou environnementaux et les moyens pour y parvenir.

Outre le comité de mission ou le référent qui doit rendre un rapport annuel, a été institué l’OTI désigné par le COFRAC qui exercera un contrôle tous les 2 ans des sociétés à mission.

 

L’OTI réalise les diligences suivantes :

  • il examine l’ensemble des documents détenus par la société utile à la formation de son avis, notamment les rapports annuels ;
  • il interroge le comité de mission ou le référent de mission sur son appréciation de l’exécution du ou des objectifs que la société s’est fixées ainsi que, s’il y a lieu, les parties prenantes sur l’exécution du ou des objectifs qui les concernent ; 
  • il interroge l’organe en charge de la gestion de la société sur la manière dont la société exécute son ou ses objectifs, sur les actions menées et sur les moyens financiers et non financiers affectés, comportant le cas échéant l’application de référentiels, normes ou labels sectoriels formalisant de bonnes pratiques professionnelles, que la société met en œuvre pour les exécuter ; 
  • il s’enquiert de l’existence d’objectifs opérationnels ou d’indicateurs clés de suivi et de mesures des résultats atteints par la société à la fin de la période couverte par la vérification pour chaque objectif. Le cas échéant, il examine par échantillonnage les procédures de mesure de ces résultats, en ce compris les procédures de collecte, de compilation, d’élaboration, de traitement et de contrôle des informations, et réalise des tests de détails, s’il y a lieu par des vérifications sur site ; 
  • il procède à toute autre diligence qu’il estime nécessaire à l’exercice de sa mission, y compris, s’il y a lieu, par des vérifications sur site au sein de la société ou, avec leur accord, des entités concernées par un ou plusieurs objectifs .

Que doit contenir l’avis de l’OTI :

  • la preuve de son accréditation ;
  • les objectifs et le périmètre de la vérification ; 

  • les diligences qu’il a mises en œuvre, en mentionnant les principaux documents consultés et les entités ou personnes qui ont fait l’objet de ses vérifications et précisant, le cas échéant, les difficultés rencontrées dans l’accomplissement de sa mission.

  • une appréciation, pour chaque objectif  sur  :

    • les moyens mis en œuvre pour le respecter ;

    • les résultats atteints à la fin de la période couverte par la vérification, si possible exprimés de manière quantitative par rapport à l’objectif et, le cas échéant, aux objectifs opérationnels ou indicateurs clés de suivi ;

    • l’adéquation des moyens mis en œuvre au respect de l’objectif au regard de l’évolution des affaires sur la période ;
    • le cas échéant, l’existence de circonstances extérieures à la société ayant affecté le respect de l’objectif ; 

  • au regard de l’ensemble des éléments de son appréciation, une conclusion motivée déclarant, pour chaque objectif :

    • soit que la société respecte son objectif ;

    • soit que la société ne respecte pas son objectif ; 

    • soit qu’il lui est impossible de conclure.

L’accès aux données médicales des fonctionnaires lors de l’instruction des demandes de congé pour incapacité temporaire imputable au service est contraire à la constitution

Dans une décision du 11 juin, le Conseil constitutionnel a examiné une question prioritaire de constitutionnalité (ci-après « QPC ») relative à la conformité à la Constitution des dispositions l’article 21 bis de la loi du 13 juillet 1983 qui régit le congé pour incapacité temporaire au service (ci-après « CITIS »).

Cet article détermine les conditions dans lesquelles le fonctionnaire peut bénéficier d’un CITIS et son paragraphe VIII  prévoyait : « nonobstant toutes dispositions contraires, peuvent être communiquées, sur leur demande, aux services administratifs placés auprès de l’autorité à laquelle appartient le pouvoir de décision et dont les agents sont tenus au secret professionnel, les seuls renseignements médicaux ou pièces médicales dont la production est indispensable pour l’examen des droits définis par le présent article ».

Des syndicats, auteurs de la QPC, considéraient néanmoins que ces dispositions méconnaissaient le droit au respect de la vie privée ainsi que de la protection des données à caractère personnel.

Dans sa décision, le Conseil constitutionnel relève tout d’abord que ces dispositions autorisent les services administratifs à se faire communiquer par des tiers les données médicales d’un agent sollicitant l’octroi ou le renouvellement d’un tel congé afin de s’assurer que l’agent remplit les conditions fixées par la loi et surtout qu’aucun élément d’origine médicale n’est de nature à faire obstacle à la reconnaissance de l’imputabilité de l’accident ou de la maladie au service.

Il qualifie ces renseignements de données de nature médicale qui peuvent être transmises sans le consentement préalable des agents intéressés et sans que puisse être opposé le secret médical.

Or, le Conseil constitutionnel estime d’une part que ces renseignements médicaux sont susceptibles d’être communiqués à un très grand nombre d’agents au sein de l’administration dont la désignation n’est subordonnée à aucune habilitation spécifique et dont les demandes de communication ne sont soumises à aucun contrôle particulier.

D’autre part, les dispositions contestées permettent que ces renseignements soient obtenus auprès de toute personne ou organisme.

Le juge constitutionnel en conclut que le paragraphe VIII de l’article 21 bis de la loi du 13 juillet 1983 porte une atteinte disproportionnée au respect de la vie privée et déclare ses dispositions contraires à la Constitution.

Il convient de préciser que cette décision est d’application immédiate et s’applique alors à toutes les affaires non jugées définitivement à cette date.

Autrement posé, dans l’attente d’une intervention du législateur précisant des conditions d’accès conformes à la Constitution, les administrations ne peuvent plus solliciter de tels renseignements médicaux lors de l’examen d’un CITIS auprès des organismes.

Une nouvelle prime temporaire de revalorisation pour certains personnels relevant de la fonction publique hospitalière

Le décret n° 2021-740 du 8 juin 2021 a créé au profit des agents publics titulaires et contractuels de la fonction publique hospitalière exerçant au sein des services et établissements sociaux et médico-sociaux rattachés aux établissements publics de santé ou aux établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes, des groupements de coopération sociale et médico-sociale comprenant au moins un établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes, et de certains groupements d’intérêt public à vocation sanitaire une prime temporaire dite « de revalorisation ». Elle concerne ainsi les infirmiers, aides-soignants, sages-femmes, manipulateurs-radio, secrétaires médicaux…

Pour mémoire, les fonctionnaires et agents contractuels de droit public des EPS, des EHPAD et des GCS bénéficient déjà pour leur part d’un complément de traitement indiciaire depuis le mois de septembre 2020: (https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000042345102?r=fjqmyA0Vbz), dont la prime du décret du 8 juin 2021 est l’équivalent.

La prime temporaire de revalorisation sera versée mensuellement entre juin et décembre 2021 et larrêté du 8 juin en fixe le montant à 49 points d’indices majorés, soit 183 euros mensuels.

Pour les agents exerçant leur activité dans plusieurs structures, le montant de la prime de revalorisation est calculé au prorata du temps accompli dans l’une des structures ouvrant droit à son versement.

Le Conseil d’Etat suspend la réforme de l’assurance-chômage programmée pour ce 1er juillet 2021

Par une décision du 22 juin 2021, la juge des référés du Conseil d’État suspend les règles de calcul du montant de l’allocation chômage prévu par le décret n° 2021-346 du 30 mars 2021 qui devaient entrer en vigueur le 1er juillet conformément.

Avec les nouvelles règles de calcul de l’allocation chômage, le Gouvernement poursuivait un objectif : favoriser les emplois durables. Le Gouvernement souhaitait pour ce faire rendre moins favorable l’indemnisation chômage des salariés alternant périodes d’emploi et périodes d’inactivité mais aussi mettre en place un système de bonus-malus sur les cotisations chômage dues par les employeurs, pour inciter ces derniers à proposer des contrats longs.

La juge des référés du Conseil d’État observe qu’alors même que le contexte économique s’améliore ces dernières semaines, de nombreuses incertitudes subsistent quant à l’évolution de la crise sanitaire et ses conséquences économiques sur la situation de celles des entreprises qui recourent largement aux contrats courts pour répondre à des besoins temporaires. Or, ces nouvelles règles de calcul des allocations chômage pénaliseront de manière significative les salariés de ces secteurs, qui subissent plus qu’ils ne choisissent l’alternance entre périodes de travail et périodes d’inactivité.

Alors que la réforme prévoit de différer au 1er septembre 2022, la mise en œuvre du système de bonus-malus pour les cotisations dues par les employeurs, précisément en raison des incertitudes sur l’évolution de la situation économique et du marché du travail, les nouvelles règles de calcul pour les salariés devaient s’appliquer dès ce 1er juillet 2021.

La juge des référés considère donc sérieuse la contestation portant sur l’erreur manifeste d’appréciation entachant ainsi l’application immédiate de la réforme pour les salariés.

Après cette ordonnance rendue en urgence, les recours « au fond » des syndicats contre le décret réformant l’assurance-chômage seront jugés par le Conseil d’État « d’ici quelques mois ».

Face à cette suspension, le Gouvernement est contraint d’agir et à ce titre, la Ministre du travail a indiqué ce 23 juin 2021 qu’un nouveau décret va être pris « en urgence » dans les prochains jours pour prolonger les règles actuelles à partir du 1er juillet.

La confirmation du nouveau critère pour la reconnaissance d’un établissement distinct : l’effectivité de l’exercice des missions du CSE

Cass. Soc., 9 juin 2021, n° 19-23.745

 

A travers ces deux arrêts du 9 juin 2021 destinés à être publiés dans son Rapport annuel, la Cour de cassation juge que le niveau de mise en place des CSE doit être de nature à permettre l’exercice effectif de ses prérogatives.

En l’espèce, dans la première affaire (n° 19-23.153), l’employeur avait décidé unilatéralement de la mise en place d’un seul CSE, décision contestée par les organisations syndicales. L’administration saisie du recours avait fixé à 3 le nombre d’établissements distincts. Son analyse avait été approuvée par le tribunal d’instance.

Dans la seconde espèce (n° 19-23.745), l’association avait été unilatéralement découpée en 7 établissements distincts, mais la Direccte (devenue Dreets depuis le 1er avril 2021), saisi d’un recours par plusieurs délégués syndicaux, avait annulé cette décision et dit qu’un seul CSE devait être mis en place. L’employeur avait contesté cette décision devant le tribunal d’instance (devenu tribunal judiciaire), qui lui a donné raison.

Les deux décisions sont cassées par la Cour de cassation qui reproche aux juges du fond de ne pas avoir recherché, au regard des éléments de preuve produits par les parties, si les responsables d’établissement avaient effectivement une autonomie suffisante, mais également si « la reconnaissance à ce niveau d’établissements distincts pour la mise en place des CSE était de nature à permettre l’exercice effectif des prérogatives de l’institution représentative du personnel ».

Dans une note explicative jointe à un arrêt de 2018 (Cass. Soc., 19 décembre 2018, n° 18-23.655), la Cour de cassation avait en effet affirmé sa volonté de reprendre la jurisprudence dégagée par le Conseil d’Etat, compétent en la matière avant la loi Travail de 2016, : « la jurisprudence du Conseil d’Etat s’attachait ainsi essentiellement à vérifier les pouvoirs consentis au responsable de l’établissement et l’autonomie de décision dont il pouvait disposer pour que « le fonctionnement normal des comités d’établissement puisse être assuré à son niveau”, pouvoirs qui devaient être caractérisés en matière de gestion du personnel et d’exécution du service ».

Par conséquent, l’employeur, faute d’un accord collectif, devra utilement, pour décider unilatéralement du périmètre de ses établissements distincts ou de l’établissement d’un CSE unique, s’attacher à qualifier la présence ou l’absence d’une autonomie de gestion mais également désormais l’exercice effectif des prérogatives de l’institution représentative du personnel.

D’un point de vue pratique, ce nouveau critère permettra de s’opposer à la multiplication d’établissements distincts en faisant valoir par exemple que les prérogatives du CSE notamment en matière d’information et de consultation des salariés sont vidées de sa substance du fait d’un périmètre retenu trop restreint.

Précisions apportées par le Conseil d’Etat sur la procédure préalable à mettre en œuvre par l’ANCOLS en vue d’infliger une sanction à un organisme de logement social et sur le quantum de la sanction infligée

CE, chambres réunies, 16 juin 2021, n° 435315

 

Par deux arrêts en date du 16 juin 2021, le Conseil d’Etat (CE, 16 juin 2021, Office public de l’habitat Drôme Aménagement Habitat, n° 432682 et 436311 ; CE, 16 juin 2021, Office public de l’habitat du Territoire de Belfort, n°435315) a précisé l’exercice par l’Agence nationale de contrôle du logement social (« ANCOLS ») de son pouvoir de proposition aux ministres compétents d’infliger une sanction à un organisme de logement social ainsi que les modalités de calcul du quantum de la sanction.

S’agissant de la procédure préalable à respecter par l’ANCOLS en vue de proposer une sanction, le Conseil d’Etat a – dans son arrêt « Office public de l’habitat Drôme Aménagement Habitat » – rappelé qu’« il résulte [du respect des droits de la défense] ainsi que des dispositions des articles L. 342-12 et L. 342-14 du code de la construction et de l’habitation […] que l’ANCOLS ne peut régulièrement proposer au ministre chargé du logement et, le cas  échéant, au ministre chargé des collectivités territoriales, de prononcer une sanction contre un organisme qu’elle a contrôlé qu’après que le conseil de surveillance, le conseil d’administration ou l’organe délibérant de cet organisme a été mis en mesure de présenter ses observations sur le rapport de contrôle établi par l’agence, en ayant été informé de ceux des constats du rapport pour lesquels l’agence envisage de proposer une sanction ».

Le Conseil d’Etat a ensuite précisé que le Code de la construction et de l’habitation (CCH, art. L. 342-9, R. 342-13 et R. 342-14) prévoit, d’une part, la communication du rapport provisoire et du rapport définitif établis par l’ANCOLS aux organismes de logement social contrôlés et, d’autre part, la possibilité offerte à ces derniers d’adresser des observations sur le rapport provisoire ainsi que sur le rapport définitif dans un délai, respectivement, d’un mois et de quatre mois.

Constatant que l’ANCOLS n’est « […] pas tenue, au titre de ces communications, d’indiquer à l’organisme contrôlé ceux des constats pour lesquels elle envisage, le cas échéant, de proposer aux ministres compétents de prononcer une sanction […] », le Conseil d’Etat a estimé qu’il incombait donc à l’ANCOLS « […] d’assurer spécifiquement l’information de l’organisme sur ce point ».

La satisfaction de cette dernière information de l’organisme contrôlé peut, selon le Conseil d’Etat, résulter « de la transmission à l’organisme contrôlé […] de la décision par laquelle le comité du contrôle et des suites de l’ANCOLS, […] après avoir été saisi du rapport définitif de contrôle, indique au conseil d’administration de l’agence ceux des griefs figurant dans ce rapport pour lesquels il lui demande de proposer aux ministres compétents de prononcer une sanction ».

 A noter que le Conseil d’Etat a considéré que la proposition de sanction transmise aux ministres concernés ne peut se fonder sur d’autres griefs que ceux retenus par le comité du contrôle et des suites de l’ANCOLS.

Sur le quantum de la sanction en cas d’attributions irrégulières de logements, le Conseil d’Etat a apporté des précisions opportunes.

Il a en effet considéré – dans son arrêt « Office public de l’habitat Drôme Aménagement Habitat » – qu’en « […] se fondant exclusivement sur l’ampleur des dépassements constatés dans l’attribution irrégulière de onze logements, sans tenir compte, ni de ce que les attributions irrégulières ne représentaient que 0,2 % des attributions effectuées au cours des cinq années couvertes par le contrôle, ni de ce que la moitié d’entre elles avaient permis, dans des contextes locaux de faible tension sur le marché du logement, l’attribution de logements sociaux, parfois situés dans des quartiers prioritaires, à des familles dont les ressources demeuraient très faibles, ni enfin de ce que le rapport définitif de l’ANCOLS relevait de manière générale la rigueur de l’instruction des dossiers et l’efficacité de la procédure d’attribution des logements, les ministres ont méconnu les principes [de détermination du quantum d’une telle sanction figurant aux articles L. 342-14 et L. 342-16 du CCH] ».

Et dans son arrêt « Office public de l’habitat du Territoire de Belfort », le Conseil d’Etat a précisé que le montant de la sanction pécuniaire en cas d’attribution irrégulière de logements doit être fixé « en tenant compte, non seulement de l’ampleur des dépassements, mais aussi, notamment, de leur fréquence, des raisons pour lesquelles ils sont intervenus, des conséquences de ces attributions irrégulières sur les objectifs fixés par les articles L. 441 et L. 441-1 du code de la construction et de l’habitation, de la taille de l’organisme ou de sa situation financière et, le cas échéant, des mesures qu’il a prises pour les faire cesser ».

Précisions sur l’appel en garantie du maître d’ouvrage pour des dommages de travaux publics : réception sans réserve vs intangibilité du décompte général définitif

Cette décision intéressante de référé-provision est venue élargir la portée d’une jurisprudence bien établie sur les conditions d’appel en garantie du maître d’ouvrage par le constructeur, mis en cause par un tiers victime de dommages de travaux publics (CE, 6 avril 2007, Centre hospitalier général de Boulogne-sur-Mer, n° 264491 ; CE, 6 février 2019, Société Fives Solios, n° 414064).

 La problématique de cette affaire, parfaitement mise en évidence par le rapporteur public, était notamment la suivante : est-ce que l’intervention du décompte général et définitif, pour lequel il n’a été fait aucune réserve, est susceptible de rendre irrecevable l’appel en garantie formé par un constructeur à l’encontre du maître d’ouvrage public.

Autrement dit, comment s’articulent, dans le cadre de dommages aux tiers, les effets de la réception et ceux du décompte général et définitif ?

Le Conseil d’Etat, tout en rappelant les conditions cumulatives nécessaires pour qu’un constructeur puisse demander à être garanti en totalité par le maître d’ouvrage, retient que l’intangibilité du décompte général et définitif est sans influence sur la recevabilité d’un tel recours :

«  […] lorsque sa responsabilité est mise en cause par la victime d’un dommage dû à l’exécution de travaux publics, le constructeur est fondé, sauf clause contractuelle contraire et sans qu’y fasse obstacle la circonstance qu’aucune réserve de sa part, même non chiffrée, concernant ce litige ne figure au décompte général du marché devenu définitif, à demander à être garanti en totalité par le maître d’ouvrage, dès lors que la réception des travaux à l’origine des dommages a été prononcée sans réserve et que ce constructeur ne peut pas être poursuivi au titre de la garantie de parfait achèvement ou de la garantie décennale. Il n’en irait autrement que dans le cas où la réception n’aurait été acquise au constructeur qu’à la suite de manœuvres frauduleuses ou dolosives de sa part ».

En d’autres termes, pour que l’action en garantie du constructeur soit recevable, il importe que :

  • il n’existe pas de clause contractuelle contraire ;
  • la réception définitive des travaux soit intervenue, mettant fin aux rapports contractuels, à la condition qu’elle n’ait pas été acquise à la suite de manœuvres frauduleuses ou dolosives de la part du constructeur ;
  • le constructeur ne soit pas tenu au titre de la GPA ou de la garantie décennale.

De surcroit et en définitive, seule compte la réception sans réserve des travaux, l’établissement du décompte entre les parties est sans incidence, quand bien même le constructeur n’aurait émis aucune réserve sur ce dernier.

L’inverse n’est pas vrai puisque, classiquement, la réception sans réserve des travaux ne permet pas au maître d’ouvrage d’appeler en garantie le constructeur dans le cadre de dommages aux tiers (CE, 4 juillet 1980, Forrer, n° 03433).

 Enfin, le Conseil d’Etat à également écarté d’autres moyens soulevés en considérant que la mention « la décision de réception ne dégage pas la responsabilité de l’entreprise de dommages collatéraux apparus pendant ou après ladite réception et résultant de l’exécution des travaux » au procès-verbal de réception n’était pas applicable aux dommages antérieurs à cette dernière, et que l’article L. 2131-10 du Code général des collectivités territoriales ne limitait pas les effets qui s’attachent à l’acte de réception par lequel le maître d’ouvrage déclare accepter l’ouvrage avec ou sans réserve.

Le maître d’ouvrage devra donc bien garantir intégralement le constructeur de sa condamnation au paiement d’une provision de 430.547,66 euros.

Standing de l’ouvrage et impropriété à destination

Cette décision vient illustrer l’appréciation de l’impropriété à destination en fonction du standing de l’ouvrage affecté par des désordres.

On rappellera que l’engagement de la responsabilité décennale des constructeurs, sur le fondement de l’article 1792 du Code civil, suppose notamment que les désordres observés présentent une certaine gravité.

A défaut, s’ils sont considérés comme simplement esthétiques (fissurations sans atteinte à l’étanchéité, simple non-conformité contractuelle etc.), ils n’offrent pas le caractère décennal indispensable.

Toutefois, l’impropriété à destination doit être appréciée par rapport à l’ensemble de l’ouvrage et en particulier en fonction de la destination convenue.

Ainsi, la jurisprudence peut admettre que, compte-tenu du standing de l’ouvrage en cause, les désordres constatés, bien qu’esthétiques, présentent bien un caractère décennal (Cass. Civ., 3ème, 11 mars 2008, n° 07-10651 ; Cass. Civ., 3ème, 10 octobre 2012, n° 10-28309).

 Dans notre affaire, la Cour de cassation, dans la continuité de sa jurisprudence antérieure, confirme la condamnation des constructeurs et de leurs assureurs en jugeant que :

«  la cour d’appel a retenu que les fêlures ou casses des carreaux sur les murs des salles de bains, le décollement en cueillies de plafonds et la fissuration verticale au droit des plaques murales compromettaient l’esthétique et l’habitabilité de l’immeuble, qu’ils le rendaient impropre à sa destination dès lors qu’ils affectaient des éléments essentiels des salles de bains et des WC, à savoir les carrelages, ainsi que les murs porteurs, rendant inhabitables des chambres d’une résidence hôtelière de haut standing, et qu’ils étaient donc de nature décennale au sens des dispositions de l’article 1792 du code civil ».

Encore faut-il pouvoir démontrer que l’ouvrage présente un caractère de grand standing :

« les désordres esthétiques sont constitutifs d’une impropriété à destination lorsqu’ils affectent un immeuble de grand standing, et que rien ne venait démontrer que l’ensemble d’immeubles de la copropriété relevait du grand standing » (Cass. Civ., 3ème, 14 janvier 2014, n° 11-25.074).

A défaut, le maître d’ouvrage pourra envisager de rechercher la responsabilité contractuelle du constructeur, en cas notamment de non-conformité aux stipulations contractuelles ou de manquement au devoir de conseil et à l’obligation de renseignement.