le 08/07/2021

Accord-cadre : l’acheteur doit indiquer un maximum de commandes en valeur ou en quantité

CJUE, 17 juin 2021, Simonsen & Weel A/S c Region Nordjylland og Region Syddanmark, aff. C-23/20

Aux termes de l’article R. 2162-4 du Code de la commande publique (CCP), les accords-cadres peuvent être conclus sans maximum en valeur ou en quantité. La seule conséquence de l’absence de maximum est que l’acheteur est tenu de recourir à une procédure formalisée, la valeur estimée du besoin étant, dans cette hypothèse, réputée au-dessus du seuil européen (cf. article R. 2121-8 du CCP).

 

Il est à noter que ces dispositions nationales ne s’opposent frontalement à aucune disposition de la directive 2014/24 du 24 février 2014 sur la passation des marchés publics, celle-ci ne prévoyant expressément aucune obligation pour les acheteurs de prévoir un maximum pour leurs accords-cadres.

 

Toutefois, par un arrêt du 17 juin 2021, la Cour de justice de l’Union Européenne (CJUE) vient de juger, en s’appuyant sur une interprétation de « l’économie générale » de la directive, que dans le cadre de la passation d’un accord-cadre, l’avis de marché doit indiquer un montant maximal de produits à fournir en vertu dudit accord-cadre et qu’une fois que cette limite a été atteinte, ledit accord-cadre a épuisé ses effets.

 

Cet arrêt a été rendu à l’occasion d’un litige relatif à la passation d’un accord-cadre pour l’achat d’équipements permettant l’alimentation par sonde destinés à des patients à domicile et à des établissements entre, d’une part, les régions danoises du Jutland du nord et du Danemark du sud agissant en tant que pouvoirs adjudicateurs et, d’autre part, la Société Simonsen & Weel, candidate dont l’offre n’a pas été retenue et qui a saisi la commission de recours en matière de marchés publics.

 

En premier lieu, la Société requérante soutenait qu’en n’indiquant pas, dans l’avis de marché, la quantité estimée ou la valeur estimée des produits à fournir en vertu de l’accord-cadre en cause au principal, les Régions auraient notamment méconnu l’article 49 de la directive 2014/24, les principes d’égalité de traitement et de transparence consacrés à l’article 18, paragraphe 1, de cette directive ainsi que le point 7 de la partie C de l’annexe V de ladite directive. En second lieu, la Société requérante arguait que les Régions étaient tenues d’indiquer la quantité maximale des produits pouvant être acquis en exécution de l’accord-cadre ou la valeur totale maximale de celui-ci, à défaut de quoi elles pouvaient fractionner de manière artificielle cet accord-cadre pendant toute sa durée, contrairement à la jurisprudence qui résulte de l’arrêt du 19 décembre 2018, Autorità Garante della Concorrenza e del Mercato – Antitrust et Coopservice (C‑216/17).

 

La commission de recours en matière de marchés publics a sursis à statuer et saisi la CJUE de questions jurisprudentielles afin d’être éclairée sur le bien-fondé des arguments de la Société requérante.

 

En réponse, la CJUE commence par concéder que la seule interprétation littérale des dispositions de la directive 2014/24 n’est pas concluante aux fins de déterminer si un avis de marché doit indiquer la quantité et/ou la valeur estimée ainsi qu’une quantité et/ou une valeur maximale des produits à fournir en vertu d’un accord-cadre.

 

Pour autant, elle juge qu’ « au regard des principes d’égalité de traitement et de transparence énoncés à l’article 18, paragraphe 1, de la directive 2014/24 ainsi que de l’économie générale de cette directive, il ne saurait être admis que le pouvoir adjudicateur s’abstienne d’indiquer, dans l’avis de marché, une valeur maximale des produits à fournir en vertu d’un accord-cadre ».

 

Ce faisant, la Cour confirme sa jurisprudence Autorità Garante della Concorrenza e del Mercato du 19 décembre 2018 selon laquelle « les principes de transparence et d’égalité de traitement des opérateurs économiques intéressés par la conclusion de l’accord-cadre, énoncés notamment à l’article 18, paragraphe 1, de la directive 2014/24, seraient affectés si le pouvoir adjudicateur originairement partie à l’accord-cadre n’indiquait pas la valeur ou la quantité maximale sur laquelle porte un tel accord » et qu’ « il découle des considérations qui précèdent que le pouvoir adjudicateur originairement partie à l’accord-cadre ne saurait s’engager, pour son propre compte et pour celui des pouvoirs adjudicateurs potentiels qui sont clairement désignés dans cet accord, que dans la limite d’une quantité et/ou d’une valeur maximale et qu’une fois que cette limite atteinte, ledit accord aura épuisé ses effets ».

 

De plus, la Cour précise que l’indication de la quantité ou de la valeur maximale des produits à fournir en vertu d’un accord-cadre peut figurer indifféremment dans l’avis de marché ou dans le cahier des charges, sous réserve que ce dernier soit accessible par moyen électronique, gratuit, sans restriction, complet et direct à partir de la date de publication d’un avis. A défaut, l’indication doit impérativement figurer dans l’avis de marché.

 

En outre, la Cour considère que si l’indication peut apparaître de manière globale dans l’avis de marché, rien ne s’oppose à ce qu’un pouvoir adjudicateur, pour parfaire l’information des soumissionnaires et leur permettre d’apprécier au mieux l’opportunité de présenter une offre, fixe des exigences supplémentaires et subdivise la quantité ou la valeur estimée globale des produits à fournir au titre de l’accord-cadre afin de caractériser les besoins du pouvoir adjudicateur originaire qui entend conclure un accord-cadre et ceux du ou des pouvoir(s) adjudicateur(s) originaire(s) qui ont émis le souhait de participer à cet accord-cadre de manière optionnelle. De même, un pouvoir adjudicateur peut présenter distinctement, dans l’avis de marché, la quantité et/ou la valeur estimée ainsi qu’une quantité et/ou une valeur maximale des produits à fournir en vertu d’un accord-cadre pour chacun des pouvoirs adjudicateurs que ceux-ci aient l’intention de conclure l’accord-cadre ou qu’ils disposent d’une option à cet effet. Tel pourrait notamment être le cas lorsque, eu égard aux conditions d’exécution des marchés publics subséquents, les opérateurs économiques sont invités à soumissionner pour l’ensemble des lots ou pour tous les postes mentionnés dans l’avis de marché ou encore lorsque les marchés subséquents doivent être exécutés en des lieux éloignés.

 

Toutefois, la Cour considère que le manquement du pouvoir adjudicateur à son obligation de mentionner l’étendue d’un accord-cadre n’atteint pas le degré de gravité requis pour priver d’effet ledit accord-cadre dès lors que l’acheteur a publié un avis de marché au JOUE et rendu accessible le cahier des charges, ce qui était le cas en l’espèce. En effet, la Cour considère que, dans un tel cas, le manquement est « suffisamment perceptible pour pouvoir être décelé par un opérateur économique qui entendait soumissionner et qui devait, de ce fait, être considéré comme étant averti ».

 

Compte tenu de ce qui précède, il est probable que le pouvoir réglementaire français modifie à brève échéance les dispositions du Code de la commande publique relatives aux accords-cadres, afin d’y intégrer l’obligation pour les acheteurs d’indiquer systématiquement un maximum en valeur ou en quantité dans leur avis de marché, ou dans le cahier des charges lorsque celui-ci est accessible librement dès le jour de la publication de l’avis.