le 24/06/2021

Télétravail : qui décide quoi ou l’occasion ratée

CAA Lyon, 7ème chambre, 3 juin 2021, n° 19LY02397

Peu est de dire que la crise sanitaire aura été un accélérateur de la mise en place du télétravail dans les collectivités, alors qu’une infime minorité d’entre elles avaient délibéré afin de l’organiser, dans les conditions prévues par la loi n° 2012-347 du 12 mars 2012 et ses décrets d’application, le premier intervenu en 2016 (décret n° 2016-151 du 11 février 2016) et le second, à la faveur de la crise sanitaire, en 2020 (décret n° 2020-524 du 5 mai 2020).

Pour mémoire, le télétravail désigne « toute forme d’organisation du travail dans laquelle les fonctions qui auraient pu être exercées par un agent dans les locaux où il est affecté sont réalisées hors de ces locaux en utilisant les technologies de l’information et de la communication ».

Il ne fait cependant aucun doute que la décision ci-dessous, dont les faits se sont déroulés en 2016 soit bien avant la crise sanitaire, a été lourdement influencée par cette dernière.

Alors qu’une fonctionnaire avait demandé à son employeur, la Communauté de communes des Collines du Nord Dauphiné, de délibérer afin de mettre en place le télétravail après que sa demande de télétravail à titre individuel pour motif de santé ait été rejetée par deux fois, le conseil communautaire a répondu à sa demande en adoptant, le 17 novembre 2016, une délibération par laquelle il a examiné le nombre des emplois de la collectivité, leur nature, leurs conditions d’exercice et les missions exercées par les agents, pour considérer que la mise en place du télétravail ne correspondait pas à l’intérêt du service et de l’ensemble des agents et décider qu’aucune des activités de la communauté de communes des Collines du Nord Dauphiné n’était ainsi éligible à ce mode d’organisation du service.

C’était la délibération attaquée, et le Tribunal administratif avait initialement rejeté le recours de la fonctionnaire. Cette dernière a donc saisi le 21 juin 2019 la Cour administrative d’appel de Lyon d’une contestation du jugement de rejet, et on notera avec intérêt qu’un mémoire complémentaire est intervenu en avril 2020, soit en plein confinement, quand le télétravail a été mis en place « de force » au sein de toutes les collectivités.

Le raisonnement de la Cour est particulièrement alambiqué et nécessite d’être relu à plusieurs reprises pour en retirer la substantifique moëlle.

A titre liminaire, on rappellera que la collectivité ayant délibéré sur le télétravail, le débat ne portait pas sur le fait d’y être obligé ou non, alors que la question pourrait se poser : jusqu’à présent, et en réalité jusqu’à la crise sanitaire, il était communément admis que les organes délibérants pouvaient, en vertu du principe de libre administration des collectivités territoriales, ne pas délibérer sur le télétravail et ainsi ne pas le mettre en place.

En effet, l’article 133 de la loi du 12 avril 2012 précitée laissait place à une certaine latitude notamment par l’utilisation du verbe « pouvoir » :

« Les fonctionnaires relevant de la loi n°83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires peuvent exercer leurs fonctions dans le cadre du télétravail tel qu’il est défini au premier alinéa de l’article L. 1222-9 du code du travail. L’exercice des fonctions en télétravail est accordé à la demande du fonctionnaire et après accord du chef de service. »

Et il a déjà été dit que les collectivités n’avaient que marginalement mis en place le télétravail alors que le décret du 11 février 2016, dans son article 7.I précisait : « une délibération de l’organe délibérant pour la fonction publique territoriale […] fixe : 1° Les activités éligibles au télétravail […] » et que son article 5 disposait, en son deuxième alinéa : « l’autorité territoriale ou l’autorité investie du pouvoir de nomination apprécie la compatibilité de la demande avec la nature des activités exercées et l’intérêt du service ».

C’est pourquoi la Cour indique, en premier lieu, que ces dispositions « donnent à leur organe délibérant la faculté d’ouvrir aux agents la possibilité de demander de recourir au télétravail, par la désignation des tâches et missions qu’il estime éligibles à ce mode d’organisation du travail ».

Donc, si l’on comprend bien ce premier considérant – mais rien n’est moins sûr – l’organe délibérant peut décider de permettre aux agents de demander la mise en place du télétravail, ce qui, a contrario, signifierait qu’il ne s’agit pas là d’une obligation (« peut » décider) et que les collectivités ne seraient pas tenues de le mettre en place. Pour autant, la Cour juge ensuite qu’ « il appartient à l’organe délibérant d’organiser la mise en oeuvre du télétravail dans la collectivité selon la nature et les conditions d’exercice des activités et missions qu’elle exerce ».

A priori, on ne saurait retirer d’une formulation aussi alambiquée une quelconque obligation de mettre en place le télétravail, et ce d’autant plus que la Cour affirme que ces mêmes dispositions « n’ont pas pour portée de de poser un droit individuel au télétravail ».

Pour autant, la fin de ce même considérant impose que les organes compétents « doivent chacun respectivement, pour le premier, déterminer collectivement l’éligibilité au télétravail des missions exercées dans la collectivité et, pour la seconde, régler l’exercice individuel de celui-ci par l’agent demandeur ». On voit bien que l’impératif utilisé fait de nouveau peser un doute sur l’éventualité d’une obligation de mise en place.

En conclusion, la Cour a certes esquivé la question de l’obligation de mettre en place le télétravail, mais après plus d’un an de télétravail forcé, cette question est-elle toujours pertinente ?

Au final, on retiendra, et c’est le point principal, que si la collectivité décide de mettre en place le télétravail – comme cela va probablement être le cas de nombre d’entre elles – l’organe délibérant ne devra décider que des critères permettant à l’autorité territoriale de définir quels sont les postes concernés.