La Cour des comptes plaide en faveur d’une réforme de la décentralisation

La Cour des comptes a consacré son rapport public annuel à l’analyse de la performance de l’organisation territoriale de la France.

Intitulé « La décentralisation 40 ans après », le bilan de la Cour publié le 10 mars dernier est pour le moins critique et conclut à la nécessité d’une nouvelle étape de la décentralisation.

Selon les magistrats financiers, les objectifs fondateurs de l’acte I de la décentralisation initié en 1982, à savoir renforcer la démocratie locale, rapprocher la décision politique et administrative du citoyen et améliorer la gestion des services publics, ne sont pas encore atteints 40 ans après.

Les critiques portent tant sur l’organisation territoriale que sur les modalités de financement des collectivités territoriales.

Sur le premier point, la Cour synthétise la situation en indiquant que « les compétences sont de plus en plus intriquées, le plus souvent exercées par plusieurs niveaux différents de collectivités ; l’organisation de l’État reste en décalage avec le maillage territorial ; la diminution des effectifs, qui a plus pesé sur ses services déconcentrés que sur les administrations centrales des ministères, a été ressentie par la population comme un désengagement et parfois même un abandon ».

S’agissant des modalités de financement des collectivités territoriales, la Cour constate que « les ressources dont [celles-ci] disposent (dotations de l’État, parts d’impôts nationaux, éléments de fiscalité et redevances locales) forment une construction de plus en plus complexe, qui rend ce financement peu compréhensible, tant pour les responsables locaux que pour les contribuables, et inégalitaire entre les territoires. Si le niveau global de ces ressources est actuellement sécurisé par l’État et protège les collectivités des risques liés aux retournements de la conjoncture économique, l’autonomie de décision des élus locaux sur l’évolution de leurs recettes s’est réduite ».

Une réforme de la décentralisation devrait ainsi avoir pour objet de « revoir la répartition des compétences entre l’État et les différents échelons de collectivités territoriales et doter chaque niveau de gestion locale des moyens lui permettant de les assumer dans des conditions d’efficience et d’efficacité mesurables ».

Consciente du caractère peu réaliste d’une refonte globale du dispositif à court terme, la Cour affirme toutefois que le statu quo ne peut perdurer et suggère, dans un premier temps, une réforme permettant d’« approfondir et simplifier la coopération intercommunale, tout en continuant à favoriser la fusion des communes les moins peuplées avec des communes voisines, renforcer le rôle des collectivités cheffes de file de politiques faisant intervenir un grand nombre d’acteurs, mieux utiliser les possibilités de différenciation territoriale et d’expérimentation  pour adapter l’organisation et les modalités de gestion des collectivités territoriales à la diversité des situations locales », et de « recentrer l’État sur son rôle de stratège, régulateur et partenaire des collectivités territoriales ».

Hasard du calendrier ou non, Emmanuel Macron a reçu le 13 mars les représentants des associations d’élus locaux afin de les sonder sur la décentralisation et une éventuelle réforme des institutions.

Permis de construire : les inconvénients pour les conditions et le cadre de vie des riverains ne portent pas atteinte à la salubrité publique au sens de l’article R. 111-2 du Code de l’urbanisme

Par une décision en date du 1er mars 2023, le Conseil d’Etat a apporté des précisions sur l’application des dispositions de l’article R. 111-2 du Code de l’urbanisme et considéré que les inconvénients importants que présenterait un projet pour les conditions et le cadre de vie des riverains, sont des considérations relatives à la commodité du voisinage qui ne relèvent pas de la salubrité publique au sens de ces dispositions.

Dans cette affaire, la société Energie Ménétréols a effectué quatre demandes de permis de construire pour l’implantation d’éoliennes sur le territoire de la commune de Ménétréols-sous-Vatan (Indre), ayant fait l’objet de quatre décisions implicites de rejet par le Préfet de l’Indre, suivies de quatre arrêtés de rejet en date du 23 octobre 2017. Par un jugement du 6 juin 2019, le Tribunal administratif de Limoges a rejeté les demandes de la société Energie Ménétréols tendant à l’annulation de ces décisions de refus. La Cour administrative d’appel Bordeaux a, également, rejeté l’appel formé par la société pétitionnaire contre ce jugement.

Saisi d’un pourvoi en cassation formé par la société Energie Ménétréols, le Conseil d’Etat a eu l’occasion de préciser la notion d’atteinte à la salubrité au regard des dispositions de l’article R. 111-2 du Code de l’urbanisme – sur lesquelles le Préfet de l’Indre avait fondé ses arrêtés portant refus de permis de construire – qui prévoient que :

« Le projet peut être refusé ou n’être accepté que sous réserve de l’observation de prescriptions spéciales s’il est de nature à porter atteinte à la salubrité ou à la sécurité publique du fait de sa situation, de ses caractéristiques, de son importance ou de son implantation à proximité d’autres installations ».

Après avoir rappelé qu’il appartient « à l’autorité d’urbanisme compétente et au juge de l’excès de pouvoir, pour apprécier si les risques d’atteintes à la salubrité ou à la sécurité publique justifient un refus de permis de construire sur le fondement de ces dispositions, de tenir compte tant de la probabilité de réalisation de ces risques que de la gravité de leurs conséquences, s’ils se réalisent », le Conseil d’Etat a considéré que les refus de permis de construire étaient illégaux en ce qu’ils étaient fondés sur la circonstance que les projets de construction présentaient des inconvénients « pour les conditions et le cadre de vie des riverains alors que de telles considérations relatives à la commodité du voisinage ne relèvent pas de la salubrité publique au sens de ces dispositions » et que « ni la teneur, ni la gravité des atteintes à la salubrité publique qui seraient induites par le projet » n’étaient explicités.

Ainsi, les inconvénients pour les conditions et le cadre de vie des riverains, qui sont des considérations relatives à la commodité du voisinage ne relevant pas de la salubrité publique au sens des dispositions de l’article R. 111-2 du Code de l’urbanisme, ne peuvent pas justifier le refus d’un permis de construire.

Interdiction d’événements en cas de risques avérés d’atteinte à l’ordre public : une application intéressante des jurisprudences classiques en matière de police

Par deux ordonnances récentes en date des 24 février et 4 mars 2023, les Juges du référé liberté du Tribunal administratif de Lille et du Conseil d’Etat se sont prononcés à propos de deux interdictions d’événements, dont le contenu était de nature à porter atteinte à l’ordre public.

Rappelons que le Conseil d’Etat s’est déjà prononcé à propos de l’interdiction d’une réunion publique, en jugeant que l’interdiction par un maire d’une réunion publique n’est légale que lorsque la menace d’atteinte à l’ordre public est exceptionnellement grave et que le maire ne dispose en l’espèce pas des forces de police nécessaires pour permettre la tenue de la réunion tout en préservant l’ordre (CE, 19 mai 1933, Benjamin, n° 17413 et 17520).

Très récemment, le Tribunal administratif de Lille a fait une application de la jurisprudence « Benjamin » du Conseil d’Etat à propos d’une réunion organisée par une association en soutien au député Grégoire de Fournas intitulé « Qu’ils retournent en Afrique », dont la programmation a entraîné une réaction de groupuscules d’ultra-gauche, qui a appelé à un rassemblement contre l’événement.

Afin de prévenir les troubles à l’ordre public, le Tribunal administratif de Lille a considéré que l’interdiction de cette réunion ordonnée par le Préfet sur le fondement du 4° de l’article L. 2215-1 du CGCT qui permet en cas d’urgence de « prescrire toute mesure utile jusqu’à ce que l’atteinte à l’ordre public ait pris fin ou que les conditions de son maintien soient assurées », était justifiée « eu égard au retentissement médiatique de cette affaire, le risque d’affrontement en plein centre-ville de Lille, entre de nombreux représentants des groupuscules d’extrême gauche et antifascistes, d’une part, et les personnes soutenant l’évènement organisé par l’association requérante, d’autre part, est très sérieux » (TA Lille, 24 février 2023, n° 2301587).

Dans le même sens, le Juge du référé liberté du Conseil d’Etat a fait une application récente de sa jurisprudence « Dieudonné » par laquelle il avait antérieurement légalement autorisé, l’interdiction d’un spectacle contenant des propos pénalement répréhensibles en considérant que si la liberté d’expression est une condition de la démocratie et l’une des garanties du respect des autres droits et libertés, celle-ci peut être restreinte pour des exigences d’ordre public, à condition que ces restrictions portées à l’exercice de cette liberté fondamentale soient nécessaires, adaptées et proportionnées (CE, ord. 9 janvier 2014, Dieudonné, n° 374508).

En effet, le Conseil d’Etat a considéré dans la présente affaire, que l’arrêté du maire portant sur l’interdiction d’une conférence dont les propos tenus par les intervenants portent « atteinte aux principes et valeurs de la République, à la cohésion nationale et à la dignité des femmes » est légalement justifiée en raison des risques avérés de trouble à l’ordre public.

Plus précisément, le Conseil d’Etat a estimé que dans la mesure où les intervenants sont issus de la mouvance salafiste et que leurs « idées et théories récurrentes justifient également l’infériorité des femmes, leur soumission totale à leur époux, y compris par la violence, la supériorité de la religion sur les principes de la République », il existait un risque avéré de trouble à l’ordre public compte tenu de la pluralité d’intervenants et de la nature de cette réunion accueillant un public nombreux (CE, 4 mars 2023, n° 471871).

L’absence de tribunes libres de l’opposition dans le bilan municipal annuel, joint au bulletin municipal, n’est pas de nature à caractériser une situation d’urgence au sens de l’article L. 521-2 du Code de justice administrative (référé liberté)

Par une ordonnance récente en date du 8 février 2023, le Juge du référé liberté du Conseil d’Etat a confirmé la jurisprudence établie en matière de refus de réserver un emplacement aux élus de l’opposition dans les outils de communication de la municipalité.

En effet, en application de l’article L. 2121-27-1 du Code général des collectivités territoriales :

« Dans les communes de 1 000 habitants et plus, lorsque des informations générales sur les réalisations et sur la gestion du conseil municipal sont diffusées par la commune, un espace est réservé à l’expression des conseillers élus sur une liste autre que celle ayant obtenu le plus de voix lors du dernier renouvellement du conseil municipal ou ayant déclaré ne pas appartenir à la majorité municipale.

Les modalités d’application du présent article sont définies par le règlement intérieur du conseil municipal ».

Dans la présente affaire, la majorité municipale a édicté, en sus du bulletin mensuel d’information municipal, un supplément portant sur les actions menées par la municipalité durant l’année 2022, sans que celui-ci ne prévoit un emplacement réservé aux tribunes de l’opposition.

C’est dans ce contexte qu’une élue de l’opposition a saisi le Juge du référé liberté afin qu’il soit ordonné à la commune de suspendre la distribution de ce document et de procéder à un nouveau tirage comprenant un espace d’expression réservé aux élus de l’opposition.

Ainsi, il revenait au Juge du référé liberté de se demander si l’omission ponctuelle d’une tribune dans un supplément du bulletin municipal et non dans la publication mensuelle du magazine d’information municipale, était de nature à porter une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté d’expression de l’élue, justifiant qu’il prononce dans un délai de 48 heures, des mesures pour sauvegarder cette liberté fondamentale.

Le Juge du référé liberté du Conseil d’Etat a déjà eu l’occasion de se prononcer à ce sujet, en considérant qu’il n’existait pas d’urgence particulière, à insérer un article de l’opposition dans un bulletin municipal, dans la mesure où le bulletin est publié tous les mois (CE, ord., 6 avril 2007, n° 304361) et que les élus de l’opposition, disposeraient de la possibilité d’exprimer leur point de vue dans le prochain numéro de la publication mensuelle (CE, ord., 29 avril 2011, n° 348653).

Enfin, très récemment le Juge des référés du Tribunal administratif d’Orléans a statué dans le même sens que le Conseil d’Etat en jugeant que le refus du maire de publier un libre-propos d’un conseiller municipal dans le bulletin d’information municipal n’est pas de nature à caractériser une situation d’urgence au sens de l’article L. 521-2 du Code de justice administrative (TA Orléans, 15 juillet 2022, n° 2202414 ).

C’est donc dans la lignée jurisprudentielle que le Conseil d’Etat a considéré que l’absence d’espace réservé à l’expression des élus de l’opposition dans le supplément litigieux ne caractérise pas, « en l’absence de circonstances particulières exigeant que ses lecteurs aient connaissance de l’expression des groupes d’opposition dans les jours suivants sa distribution, une situation d’urgence impliquant qu’une mesure visant à sauvegarder une liberté fondamentale doive être prise dans un très bref délai ».

Financement du raccordement d’une maison aux réseaux de communications électroniques / Réseau téléphonique / Fibre optique / Article L. 332-15 du Code de l’urbanisme

Deux réponses ministérielles viennent préciser le régime des adductions des nouvelles constructions nécessaires à leur raccordement aux réseaux de communications électroniques.

  1. Les réseaux de télécommunications ne sont pas des équipements publics au sens de l’article L. 332-15 du Code de l’urbanisme

Confirmant plusieurs réponses ministérielles précédentes (notamment le ministère de la cohésion des territoires, JO Sénat du 23/01/2020 – page 409), le Ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargé de la ville et du logement a à nouveau indiqué, dans une réponse à une question parlementaire, que les réseaux de télécommunications ne constituent pas des équipements publics et n’entrent donc pas dans le champ de l’article L. 332-15 du Code de l’urbanisme.

Plus précisément, la question parlementaire portait sur le fait de savoir si, lorsque la maison est construite, qui du propriétaire, de la commune ou du gestionnaire des réseaux, a la charge de financer la prolongation des conduites d’eau et d’assainissement permettant de raccorder l’immeuble concerné. La question parlementaire posait la même question pour ce qui concerne le raccordement au réseau téléphonique.

Le Ministre a rappelé le principe selon lequel, « le financement des équipements publics et de leur prolongement est assuré par le budget des collectivités locales. Par exception, les articles L. 332-6 et L. 332-6-1 du code de l’urbanisme énumèrent de manière exhaustive les contributions pouvant être mises à la charge des constructeurs pour contribuer à financer les équipements publics d’infrastructures induits par l’urbanisation ainsi que les équipements propres aux opérations d’aménagement prévus à l’article L. 332-15 du code de l’urbanisme. Ce dernier article prévoit ainsi la possibilité d’imposer via l’autorisation d’urbanisme, la réalisation et le financement de certains équipements propres à l’opération, ainsi que leur branchement aux équipements publics existants au droit du terrain. Il prévoit également pour les seuls réseaux d’eau et d’électricité, la possibilité de demander au constructeur le financement du raccordement à usage individuel sur les réseaux d’eau potable ou d’électricité existants situés sur des emprises publiques, dans une limite de distance de 100 mètres ».

En revanche, s’agissant du réseau téléphonique, le ministère indique que « c’est l’opérateur Orange qui assure la gestion, le développement et la maintenance du réseau de téléphonie. Toute demande de raccordement est à adresser à l’opérateur. La charge financière est à assurer par le demandeur ».

Si la réponse ministérielle est sans doute à nuancer quant à l’identité de l’opérateur chargé de raccorder les maisons neuves du fait qu’Orange n’est plus l’opérateur en charge du service universel depuis le 3 décembre 2020, la réponse est intéressante car, malgré la privatisation du secteur des télécommunications depuis 1997, certains acteurs du secteur des réseaux de communications électroniques continuent d’assimiler les réseaux de télécommunications à des équipements publics (pour un exemple récent, voir : ARCEP, Consultation publique du 12 janvier 2023 au 13 février 2023, Synthèse des travaux sur les modalités tarifaires des raccordements finals des réseaux en fibre optique jusqu’à l’abonné, 12 janvier 2023).

L’article L. 332-15 du Code de l’urbanisme ayant pour objet de substituer au financement par les collectivités et leurs groupements d’équipements publics une contribution des constructeurs, il est logique que cet article ne s’applique plus aux réseaux de télécommunications qui sont propriété des opérateurs de communications électroniques.

Cette réponse ministérielle confirme le fait que :

  • La mise en œuvre de l’article L. 332-15 du Code de l’urbanisme est une simple possibilité ;
  • les autorités chargées d’octroyer les autorisations d’urbanisme ne peuvent pas se fonder sur l’article L. 332-15 du Code de l’urbanisme pour imposer aux pétitionnaires des prescriptions relatives aux réseaux de télécommunications des opérateurs privés.

http://www.senat.fr/basile/visio.do?id=qSEQ220701893

  1. Les obligations des constructeurs en matière d’équipements des constructions neuves en fibre optique relèvent du Code de la construction et de l’habitation

Dans une autre réponse ministérielle, le ministère auprès du Ministre de l’Économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé de la transition numérique et des télécommunications rappelle que, s’agissant d constructions neuves, le raccordement à la fibre optique de tous les bâtiments neufs nouvellement construits est prévu en application de l’article L. 113-10 du Code de la construction et de l’habitation.

Plus précisément, la question parlementaire portait sur les difficultés rencontrées par les administrés souhaitant faire raccorder à la fibre une construction neuve et « qui ne bénéficierait pas de l’arrivée de la fibre du bon côté de la chaussée ou nécessitant toute opération de génie civil idoine. Son propriétaire se voit dès lors contraint de débourser l’intégralité du coût de la traversée de chaussée par la fibre, via un support aérien ou souterrain selon les cas. Le coût du raccordement devient alors prohibitif pour ces ménages, comparativement à celui supporté par l’ensemble des habitations existantes qui les entourent ».

Le Ministre répond notamment que « s’agissant des obligations applicables pour les constructions neuves, le raccordement à la fibre optique de tous les bâtiments neufs nouvellement construits est obligatoire, en application de l’article L. 113-10 du code de la construction et de l’habitation. Ainsi, les promoteurs sont tenus d’équiper chaque logement en infrastructures nécessaires à l’installation des lignes de fibre optique. Face à certaines difficultés rencontrées lors du raccordement final permettant de faire aboutir le réseau FttH dans le logement ou le local de l’utilisateur final, une réflexion a été menée associant les différents acteurs concernés (opérateurs télécoms, Arcep, Gouvernement…). Une expérimentation et une étude ont été pilotées par la Direction générale des entreprises (DGE) et l’Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT) en 2021, afin de mieux appréhender les difficultés pouvant empêcher certains locaux d’être raccordés. L’étude a recensé les complexités survenant lors du raccordement final, et formulé des préconisations. En particulier, l’étude a constaté que l’absence de génie civil en aval des points de branchement optique et en domaine public peut concerner un nombre conséquent de locaux situés en zone d’initiative publique, et constituer un frein aux déploiements concernant le raccordement final des locaux concernés. Par conséquent, en 2022, un soutien financier supplémentaire de l’Etat au financement de la création en domaine public des infrastructures nécessaires aux raccordements finals dans les zones d’initiatives publiques, à hauteur de 150 M€, a été décidé, pour soutenir la généralisation de la fibre optique (ou de débits équivalents) Ce soutien vise à assurer le succès plein et effectif du déploiement de la fibre sur tout le territoire. L’arrêté du 19 avril 2022, publié au Journal officiel du 23 avril 2022, a approuvé le cahier des charges de l’appel à projets « Création d’Infrastructures de génie civil nécessaires aux Raccordements finals ». Par ailleurs, l’Arcep a engagé fin 2020 un travail sur les enjeux des raccordements finals FttH afin d’identifier les problématiques financières et opérationnelles liées à la réalisation de tous les raccordements finals. Ces travaux visaient également à identifier les solutions à mettre en œuvre afin de favoriser le raccordement de tous les utilisateurs aux réseaux FttH ».

Il est intéressant de noter, d’une part, que ne sont visées par le Ministre que les dispositions du Code de la construction et de l’habitation et, d’autre part, que le soutien financier supplémentaire au financement de la création en domaine public des infrastructures nécessaires aux raccordements finals dans les zones d’initiative publique est mis en place par l’Etat au bénéfice des porteurs de projets de réseaux, et non des pétitionnaires d’autorisations d’urbanisme. Ce qui tend à confirmer que les seules dispositions législatives régissant les obligations des constructeurs en matière de fibre optique sont celles du Code de la construction et de l’habitation, à l’exclusion du Code de l’urbanisme.

http://www.senat.fr/questions/base/2022/qSEQ220902664.html

Le Sénat a approuvé le traitement algorithmique, à titre expérimental, des images captées lors des JO 2024

Le 31 janvier 2023, le Sénat a adopté en première lecture le projet de loi relatif aux Jeux Olympiques et Paralympiques de 2024.

Ce texte ambitionne notamment de mettre en place, à titre expérimental, l’ajout d’une couche d’algorithme aux dispositifs de vidéoprotection[1].

En d’autres termes, il s’agit d’automatiser l’analyse des images captées par ces dispositifs, pour l’instant faite par l’homme, afin de détecter en temps réel des comportements susceptibles de porter atteinte à la sécurité des personnes (mouvements de foule par exemple).

Cette expérimentation ayant vocation à être mise en œuvre jusqu’au 30 juin 2025, elle couvrira donc les JO 2024, mais également toutes les « manifestations sportives, récréatives ou culturelles qui, par leur ampleur ou leurs circonstances, sont particulièrement exposées à des risques d’actes de terrorisme ou d’atteintes graves à la sécurité́ des personnes ».

Elle fait toutefois l’objet de nombreuses critiques au regard de l’atteinte aux libertés qu’elle est susceptible de porter.

En effet, comme l’a relevé la CNIL dans son avis sur le projet de loi[2], il ne s’agit pas d’ « une simple évolution technologique, mais [d’] une modification de la nature des dispositifs vidéo, pouvant entraîner des risques importants pour les libertés individuelles et collectives et un risque de surveillance et d’analyse dans l’espace public ».

Un certain nombre de garanties sont néanmoins prévues par le texte :

  • Le déploiement sera limité dans le temps (de la promulgation de la loi jusqu’au 20 juin 2025) et dans l’espace (seuls certains types de manifestations étant concernés) ;
  • Ces dispositifs ne pourront être mis en œuvre que par les services de la police et de la gendarmerie nationales, les services d’incendie et de secours, les services de police municipale et les services internes de sécurité́ de la SNCF et de la RATP, en qualité de responsables de traitement ;
  • Aucun système d’identification biométrique, de traitement de données biométriques ou de reconnaissance faciale ne sera utilisé ;
  • Le traitement comportera des mesures de contrôle humain et un système de gestion des risques permettant de prévenir et de corriger la survenue de biais éventuels ou de mauvaise utilisation.

Cet encadrement a dès lors été jugé suffisant par la CNIL, dans la mesure où il tient compte des recommandations qu’elle avait formulées dans sa prise de position sur les caméras augmentées de juillet 2022[3].

Au plus tard six mois avant le terme de cette expérimentation, un rapport d’évaluation de sa mise en œuvre, dont le contenu est fixé par décret en Conseil d’État après avis de la CNIL, devra par ailleurs être remis par le Gouvernement au Parlement.

 

[1] Article 7 du projet de loi.

[2] Délibération n° 2022-118 du 8 décembre 2022 portant avis sur un projet de loi portant sur les jeux Olympiques et Paralympiques de 2024 (demande d’avis n° 22017438).

[3] Prise de position disponible en ligne : https://www.cnil.fr/sites/default/files/atoms/files/cameras-intelligentes-augmentees_position_cnil.pdf.

Communes carencées au terme du bilan triennal 2020-2022 de la loi SRU : quelles stratégies contentieuses ?

Pour faire face à la pénurie de logements sociaux, l’article 55 de la loi no 2000-1208 du 13 décembre 2000 relative à la solidarité et au renouvellement urbains (dite « loi SRU ») impose à certaines communes[1] un seuil minimum de production de logements sociaux sur leur territoire.

Les communes concernées devaient ainsi atteindre leurs objectifs d’ici 2025, par période triennales décomptées à compter du 1er janvier 2022, afin de disposer à terme d’au moins 25 % – ou 20 % dans certains cas – de logements sociaux en résidences principales.

Depuis la loi 3DS[2], l’échéance de 2025 a été supprimée et remplacée par un dispositif pérenne avec un taux triennal de référence fixé à 33 %[3], qui se substitue dès lors aux taux de 50 % pour le triennal 2020-2022 et de 100 % pour le triennal 2023-2025[4].

En ce début d’année 2023, les préfets effectuent le bilan de la période triennale 2020-2022 et pourront, en tenant compte de l’importance de l’écart entre les objectifs et les réalisations constatées au cours de la période triennale échue, des difficultés rencontrées le cas échéant par les communes et des projets de logements sociaux en cours de réalisation, prononcer la carence[5].

Ce constat de carence est d’autant plus fort pour les communes qu’il peut entraîner le prononcé de sanctions pécuniaires, à savoir la majoration du prélèvement annuel dû par celles-ci, mais également la possibilité, pour le préfet, de se substituer au maire pour la délivrance des autorisations d’urbanisme[6]. Tel est par exemple le cas de la commune de Saint-Cloud, dont la carence a été récemment confirmée par le Tribunal administratif de Cergy-Pontoise[7], qui reste donc soumise à une majoration de 170 % du prélèvement effectué chaque année sur ses ressources fiscales et subit le transfert à l’État de sa compétence en matière de délivrance des autorisations d’urbanisme.

Une première voie contentieuse envisageable est alors celle de la contestation de la légalité de l’arrêté de carence afin de remettre en cause soit l’état de carence lui-même, soit les sanctions infligées sur le fondement de cette carence. Toutefois, cette remise en cause reste complexe dans la mesure où l’arrêté ne fait que tirer les conséquences du non-respect des obligations préalablement assignées à la collectivité.

Dans ces conditions, il pourrait également être envisagé de contester l’arrêté fixant les obligations de production de logements sociaux pris a priori, les obligations assignées étant souvent difficilement atteignables et pouvant, à ce titre, être débattues au regard de la situation particulière de la commune concernée.

 

[1] Sont soumises à ce dispositif les communes d’au moins 1 500 habitants en IDF et 3 500 habitants sur le reste du territoire, qui sont comprises dans une agglomération ou un EPCI de plus de 50 000 habitants comprenant au moins une commune de plus de 15 000 habitants, et dans lesquelles le nombre total de logements locatifs sociaux représente, au 1er janvier de l’année précédente, moins de 25 % des résidences principales ; ce taux peut être ramené à 20 % pour les communes appartenant à des territoires dont la situation locale ne justifie pas un renforcement des obligations de production de logements sociaux (Art. L. 302-5 du Code de la construction et de l’habitation).

[2] Loi n° 2022-217 du 21 février 2022 relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l’action publique locale.

[3] Art. L. 302-8, VII du Code de la construction et de l’habitation.

[4] https://www.ecologie.gouv.fr/sites/default/files/adaptation_dispositif_article_55_loi_sru.pdf.

[5] Art. L. 302-9-1 du Code de la construction et de l’habitation.

[6] Art. L. 302-9-1 du Code de la construction et de l’habitation.

[7] TA Cergy-Pontoise, 17 janv. 2023, n° 2102533.

Incendie d’un datacenter et pertes de données : condamnation de la société OHV pour manquement contractuel à l’option de sauvegarde des données dans une infrastructure isolée du serveur principal

Par un jugement en date du 26 janvier 2023, le Tribunal de commerce de Lille a condamné la société OVH pour manquement contractuel à son obligation d’assurer la sauvegarde des données de son cocontractant isolément du serveur principal.

Dans cette affaire, la société France Bati Courtage avait souscrit auprès d’OVH un contrat de location de serveur virtuel VPS. Ce contrat comprenait une option de sauvegarde automatisée, permettant de récupérer les données auprès d’un serveur de secours en cas de perte éventuelle de celles-ci.

Toutefois, en mars 2021, un incendie a détruit une partie des datacenters d’OVH à Strasbourg, entraînant la perte des données de la société France Bati Courtage. Celle-ci a donc assigné en responsabilité la société OVH devant le Tribunal de commerce de Lille.

Les juges ont d’abord refusé de retenir la faute lourde ou les manquements à la sécurité anti-incendie invoqués par la requérante à l’encontre d’OVH, la société ayant pris toutes les mesures de précaution nécessaires.

Le Tribunal a toutefois retenu un manquement contractuel d’OVH à l’option de sauvegarde prévue au contrat, l’hébergeur s’étant engagé à ce que l’espace de stockage des sauvegardes soit physiquement isolé de l’infrastructure où se trouvait le serveur virtuel privé du client.

Les différentes clauses limitatives de responsabilité invoquées par OVH ont par ailleurs été écartées par le Tribunal.

En effet, d’une part, la clause de force majeure conduisait à exonérer OVH en cas de sinistre entraînant la perte des données stockées. Celle-ci privant de sa substance l’obligation essentielle de l’hébergeur, elle est donc réputée non-écrite.

D’autre part, la clause figurant dans les conditions générales d’OVH limitait sa responsabilité au montant des sommes versées par son client, soit à 1 800 euros. Dans la mesure où cette clause octroyait un avantage injustifié à OVH en l’absence de contrepartie pour son client, celle-ci est également réputée non-écrite.

Par conséquent, la société OVH a été condamnée à verser 93 000 euros de dommages-intérêts à la société France Bati Courtage.

Création par la CNIL d’un « club conformité » dédié aux acteurs du véhicule connecté et de la mobilité

Dans le cadre de sa mission d’accompagnement sectoriel, la CNIL a mis en place le 1er mars 2023 un « club conformité » dédié aux acteurs de la mobilité connectée (constructeurs, équipementiers, loueurs de véhicules, opérateurs de services de mobilité, etc.).

La CNIL rappelle que cette initiative a lieu dans un contexte de multiplication des véhicules connectés et, par conséquent, des données collectées à l’occasion de leur utilisation.

Or, si cette récolte de données peut être source d’innovation, elle comporte des incidences significatives en matière de respect des droits et libertés fondamentaux des usagers, et notamment de leur vie privée.

L’objectif de ce club est donc d’instaurer un espace de dialogue régulier afin de « favoriser une innovation respectueuse des droits et libertés ».

Dès lors, ces échanges devraient permettre au régulateur d’accompagner les acteurs du secteur face aux différentes problématiques posées par l’utilisation des données de mobilité, au regard de l’articulation complexe des réglementations nationale et européenne avec le RGPD.

 

Ces travaux s’inscrivent dans la continuité de ceux précédemment initiés par la CNIL et qui avaient abouti à la publication d’un pack de conformité « véhicules connectés et données personnelles » en 2017[1].

 

[1] https://www.cnil.fr/sites/default/files/atoms/files/pack_vehicules_connectes_web.pdf.

Évolution de l’intervention du maire dans la procédure d’autorisation d’instruction à domicile depuis la loi du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République

Une réponse ministérielle a récemment éclairci les questions suscitées par l’évolution législative du rôle du maire dans le contrôle de l’instruction à domicile[1].

La loi n° 2021-1109 en date du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République avait en effet modifié les modalités d’intervention du maire en la matière, tant au stade du recensement des enfants soumis à obligation scolaire (I) qu’à celui de l’enquête diligentée sur l’instruction dans la famille (II).

I. Lors de la phase de recensement, le maire est tenu, à chaque rentrée scolaire, de dresser la liste de tous les enfants résidant dans sa commune soumis à obligation scolaire[2].

Avant l’intervention du législateur, le maire procédait jusqu’à la rentrée scolaire au recueil des déclarations d’instruction à domicile, ce dispositif étant soumis à un simple régime de déclaration.

Avec la loi du 24 août 2021, l’instruction à domicile répond, et ce depuis la rentrée scolaire 2022, à un régime d’autorisation préalable délivrée par l’autorité de l’État compétente en matière d’éducation[3].

L’autorisation est alors accordée pour un ou plusieurs des motifs limitativement prévus par le texte et sans que puissent être invoquées d’autres raisons que l’intérêt supérieur de l’enfant. Il s’agit de l’état de santé de l’enfant ou son handicap, de la pratique d’activités sportives ou artistiques intensives, de l’itinérance de la famille en France ou l’éloignement géographique de tout établissement scolaire public, et de l’existence d’une situation propre à l’enfant motivant le projet éducatif[4].

Le maire est informé de la délivrance de l’autorisation[5] et entame dès lors une enquête afin de vérifier les modalités d’instruction dans la famille ayant bénéficié de l’autorisation.

II. Lors de la phase d’enquête, le maire est tenu, en sa qualité d’agent de l’État, de vérifier que l’enfant bénéficie du droit à l’éducation garanti par l’article L. 111-1 du Code de l’éducation.

Dans son ancienne rédaction, le Code de l’éducation prévoyait que l’enquête menée par le maire était réalisée afin d’établir, d’une part, les raisons alléguées par la famille et, d’autre part, s’il est donné à l’enfant une instruction compatible avec son état de santé et les conditions de vie de la famille.

Depuis la loi du 24 août 2021, si le maire est toujours tenu de vérifier la compatibilité de l’instruction avec l’état de santé de l’enfant et son environnement familial, il doit désormais non plus simplement établir les raisons alléguées par la famille, mais vérifier la réalité des motifs avancés par celle-ci pour obtenir l’autorisation d’instruction à domicile[6].

Le maire communique ensuite les résultats de l’enquête à la famille concernée et aux services de l’éducation nationale[7], seuls compétents pour évaluer le contenu de l’enseignement dispensé et apprécier les compétences et connaissances acquises par l’enfant[8].

La réponse ministérielle indique que les modalités pratiques de ce nouveau rôle des maires devraient être développées à l’occasion de l’actualisation du guide interministériel de novembre 2017 intitulé « Le rôle des acteurs locaux dans le cadre de l’instruction dans la famille ».

Par ailleurs, afin d’assurer le suivi de cette instruction à domicile par le maire, la loi du 24 août 2021 a prévu l’attribution d’un identifiant national à chaque enfant soumis à l’obligation d’instruction[9]. Concrètement, pour que l’enfant puisse se voir attribuer un identifiant national, il est administrativement rattaché à un établissement scolaire public.

À cet égard, la réponse ministérielle susvisée a précisé que l’attribution d’un identifiant national élève était sans influence concrète sur la fermeture ou l’ouverture de classe. En somme, ces élèves ne sont pas pris en compte dans les prévisions d’effectifs sur la base desquelles sont décidées les ouvertures ou fermetures de classe.

 

[1] Rép. Min. JO Sénat 26 janv. 2023, p. 537.

[2] Art. L. 131-6 du Code de l’éducation.

[3] Art. L. 131-5 al. 1 du Code de l’éducation.

[4] Art. L. 131-5 al. 4 du Code de l’éducation.

[5] Art. L. 131-5 al. 9 du Code de l’éducation.

[6] Art. L. 131-10 al. 1 du Code de l’éducation.

[7] Art. L. 131-10 al. 1 du Code de l’éducation.

[8] Circulaire n° 2017-056 du 14 avril 2017 relative au contrôle de l’instruction dans la famille.

[9] Art. L. 131-6-1 du Code de l’éducation.

Point focus : la protection d’une marque et celle d’un nom de domaine

Une marque est un signe verbal et/ou figuratif permettant de distinguer les produits et services qu’elle désigne.

Par l’enregistrement, le déposant devient titulaire de sa marque et obtient un titre de propriété qui lui permet diverses actions de protection, directement devant l’office des marques, telles que :

  • une opposition à un dépôt de marque lorsque celui-ci porte atteinte à la marque antérieure ;
  • une action en nullité d’une marque enregistrée.

Il permet également de former des demandes directement devant les juridictions judiciaires en matière notamment de contrefaçon et d’action en concurrence déloyale. Si une telle action est engagée devant les juridictions judiciaires, celles-ci sont compétentes pour trancher les questions connexes, même s’il s’agit d’une action en nullité.

A titre d’illustration, à la suite de l’enregistrement du nom de domaine reprenant le terme « fuckbook » par un tiers, Facebook en qualité de titulaire de sa marque « facebook » a pu engager une action devant les tribunaux judiciaires pour contrefaçon de marque et atteinte à un nom commercial et parasitisme[1].

Comme la marque, le nom de domaine dispose d’une valeur commerciale, mais ne revêt pas la qualité d’un titre de propriété.

Ainsi, le nom de domaine ne s’enregistre pas auprès d’un office de propriété industrielle, mais se « réserve » auprès d’un organisme gestionnaire, sous réserve de ne pas porter atteinte à une marque déjà enregistrée.

Devenant indisponible aux tiers, certaines actions sont envisageables en cas de dépôt postérieur d’une marque identique ou similaire.

Il peut s’agir d’une procédure administrative contradictoire devant l’association française pour le nommage internet en coopération (AFNIC), telle que la procédure de résolution de litige « SYRELI », ou bien la procédure alternative de résolution des litiges « PARL » dont demande est examinée par l’OMPI qui nomme ensuite un expert indépendant.

Une action judiciaire peut également être envisagée en concurrence déloyale ou parasitaire. De même qu’il est possible d’obtenir le transfert de la marque déposée postérieurement au nom de domaine si ce dépôt est effectué en fraude des droits du titulaire du nom de domaine[2]. Cette démonstration s’avère souvent plus complexe qu’une action en contrefaçon qui ne peut être engagée en cas de simple réservation d’un nom de domaine, qui n’est pas un titre de propriété intellectuelle.

De manière générale, la protection d’un nom de domaine reste moins forte que celle d’une marque.

En cas d’utilisation de son signe, il est ainsi recommandé de le déposer comme marque, et de ne pas se contenter de l’utiliser à travers son nom de domaine.

 

[1] CA Paris, pôle 5 ch. 2, 28 oct. 2022, n° 20/16611

[2] CA Lyon, 1re ch. civ., 18 déc. 2014, n° 13/10118

De la caractérisation du lien direct pour définir l’imputabilité au service d’une pathologie survenue plusieurs mois après l’accident de service

Classiquement, la maladie contractée par un fonctionnaire, ou son aggravation, doit être regardée comme imputable au service si elle présente un lien direct avec l’exercice des fonctions ou avec des conditions de travail de nature à susciter le développement de la maladie en cause, sauf à ce qu’un fait personnel de l’agent ou toute autre circonstance particulière conduisent à détacher la survenance ou l’aggravation de la maladie du service.

Il appartient alors à l’administration puis au juge administratif d’apprécier l’existence de ce lien direct notamment au regard des éléments médicaux portés sa connaissance.

Il en est de même d’une pathologie survenue après un accident de service : elle doit présenter un lien direct mais non nécessairement exclusif avec l’accident de service (CE, 23 janvier 2013, n° 35093).

C’est le principe sur lequel s’est fondé le Conseil d’Etat dans l’affaire du 8 mars 2023 ici commentée dans laquelle il devait apprécier le lien direct entre un accident vasculaire cérébral dont un agent avait été victime cinq mois après un accident de trajet reconnu imputable au service.

L’expert désigné par la Cour administrative d’appel avait alors constaté que l’agent, qui n’avait pas d’antécédents neurologiques ou vasculaires, avait développé, après l’accident de la circulation, une hypertension artérielle, un syndrome de stress post-traumatique et des céphalées importantes.

Le même expert concluait que cet accident, associé à l’élévation anormale de la tension artérielle, exposait l’agent à un risque élevé de rupture d’anévrisme dans les mois suivants.

Se fondant notamment sur ce rapport d’expertise, le Conseil d’Etat a censuré l’arrêt de la Cour qui avait considéré que les pièces médicales ne reposaient que sur des probabilités et ne permettaient pas d’établir avec certitude un lien direct entre la rupture d’anévrisme et l’accident de service.

En effet, selon le Conseil d’Etat, le « risque élevé » de survenance de la pathologie – médicalement constaté – est de nature à caractériser le lien direct, bien qu’elle soit survenue plusieurs mois après l’accident.

Evidemment, l’absence d’état antérieur reste un élément déterminant dans l’appréciation du lien entre la pathologie et le service.

Peut-on sanctionner un fonctionnaire atteint de troubles psychiques ?

CE, 27 mai 2019, n° 426363

Un fonctionnaire a tenu à de nombreuses reprises, sur une période d’avril à septembre 2016, des propos outranciers à caractère sexuel à l’égard d’une collègue, de sa supérieure et d’une élue de sa collectivité employeur, ainsi que des menaces de violences physiques. Par ailleurs, il a exercé un harcèlement à l’encontre de ces mêmes personnes par l’envoi d’un très grand nombre de courriers électroniques comminatoires en donnant des ordres perturbant le bon fonctionnement du service.

L’employeur a prononcé sa révocation en 2017, que l’agent a contesté au motif qu’il était alors atteint de troubles du discernement, les troubles bipolaires dont il souffrait étant connus de son employeur, puisqu’une première révocation avait été rapportée sur ce motif en 2008.

Alors que le Tribunal administratif avait rejeté sa requête, la Cour administrative d’appel de Marseille devait considérer que l’état pathologique dans lequel il se trouvait alors, état attesté par le classement sans suite des plaintes déposées par les agents victimes et par un certificat médical établi en mai 2016 adressé à la maison départementale des personnes handicapées, rendait la sanction de la révocation disproportionnée.

Le seul fait de souffrir d’une pathologie ne saurait évidemment justifier d’une sanction disciplinaire, mais éventuellement d’une inaptitude. En l’espèce, l’agent avait été reconnu apte.

L’état de la jurisprudence administrative est à ce sujet quelque peu byzantin et reprend en réalité la distinction existant dans l’article 122-1 du Code pénal : il y a d’une part l’abolition du discernement, qui empêche tout prononcé d’une sanction (CE, 2 juillet 1980, n° 14018), et d’autre part l’altération du discernement, qui justifie d’une sanction minorée en tant que circonstance atténuante (CE, 12 mars 2010, n° 316969, CE 15 octobre 2020, n° 438488).

Mais en tout état de cause, le Juge administratif vérifie si au moment des faits l’agent était « dansun état psychique tel qu’il ne pouvait être regardé comme responsable de ses actes ».

En l’espèce, la Rapporteure publique, suivi en cela par la formation de jugement, a retenu que l’agent ne démontrait pas que son état de santé mentale, pour la période d’avril à septembre 2016, aurait été aboli ou altéré : aucun certificat médical ne l’établissait.

Or, l’engagement d’une procédure disciplinaire n’est pas, à peine d’irrégularité, subordonné à une formalité préalable destinée à vérifier l’état de santé mentale du fonctionnaire concerné.

Alors, quels enseignements concrets retirer de cette décision ?

D’une part, la maladie psychique d’un agent n’empêche pas de diligenter une procédure disciplinaire.

D’autre part, ce n’est pas à l’employeur de vérifier si le discernement de son agent était aboli ou altéré au moment des faits, mais à ce dernier de l’établir.

Droit souple : une réponse formulée dans une « foire aux questions » est susceptible de recours pour excès de pouvoir

Par un arrêt en date du 3 février 2023, le Conseil d’État juge qu’une prise de position des services du ministre de l’économie, des finances et de la relance dans une « foire aux questions » (FAQ) constitue un acte susceptible de recours.

En l’espèce, dans le cadre de la mise en œuvre pratique du fonds de solidarité institué durant l’épidémie de Covid en faveur des entreprises, le ministère de l’économie a publié sur son site internet une « foires aux questions ».

Plus précisément, au sein de la partie « Puis-je en bénéficier », à la question : « Les loueurs en meublés non professionnels sont-ils éligibles au fonds de solidarité ? », le ministère a apporté une réponse négative pour cette catégorie de loueurs.

Une requérante a alors demandé l’annulation de cette FAQ au motif qu’elle excluait, par principe, les loueurs en meublés non professionnels du bénéfice du fonds précité.

Le Conseil d’Etat a donc eu à s’interroger sur le point de savoir si cette FAQ pouvait être déférée à la censure du juge administratif, en particulier au regard de la jurisprudence qu’il a développé à propos du « droit souple » – laquelle admet qu’un certain nombre d’actes non normatifs (recommandations, communiqués, mises en gardes…) puisse faire l’objet d’un recours en raison des conséquences qu’ils sont susceptibles d’emporter[1].

En l’occurrence, après avoir rappelé sa jurisprudence récente en matière de droit souple (CE Sect., 12 juin 2020, GISTI, n° 418142), la Haute juridiction a considéré que cette FAQ constituait une interprétation de l’ordonnance n° 2020-317 du 25 mars 2020 portant création du fonds de solidarité et de son décret d’application en date du 8 février 2021.

Par suite, elle a estimé qu’« eu égard à sa teneur, cette interprétation du droit positif, émise par les services chargés d’instruire les demandes d’aides au titre du fonds de solidarité puis de procéder, le cas échéant, au versement de ces aides, est susceptible de produire des effets notables sur la situation des personnes qui souhaitent bénéficier de ces mesures de soutien ».

Cette circonstance a conduit le juge administratif à écarter la fin de non-recevoir opposée par le Ministre de l’Economie et à admettre la recevabilité du recours dirigé contre la réponse formulée dans la FAQ.

Au fond, le Conseil d’Etat a annulé cette réponse en jugeant qu’elle méconnaissait la définition du champ des personnes susceptibles de bénéficier du fonds résultant des dispositions de l’ordonnance et du décret précité.

Par cette importante décision, la Haute juridiction confirme sa jurisprudence relative aux actes de droit souple garantissant aux administrés une ouverture de son prétoire par la dissociation entre la normativité de l’acte et la recevabilité du recours dirigé contre lui.

A noter toutefois que le Conseil d’Etat s’était déjà prononcé sur la question des « foires aux questions » en admettant un recours à l’encontre d’une prise de position de la CNIL mise en ligne dans une FAQ (CE, 8 avr. 2022, n° 452668 et 459026, Syndicat national du marketing à la performance et Collectif des acteurs du marketing digital).

 

[1] Cette construction jurisprudentielle a été initiée par les arrêts « Fairvesta » et « Numéricable » de 2016 où le Conseil d’Etat a admis que des recommandations ou « mises en garde » pouvaient faire l’objet d’un recours s’ils étaient « de nature à produire des effets notables » ou avaient « pour objet d’influer de manière significative sur les comportements des personnes auxquelles ils s’adressent » (CE, Ass., 21 mars 2016, nos 368082, 368083, 368084 et 390023).

Changement d’affectation : l’existence d’un harcèlement moral exclue-t-elle la qualification de mesure d’ordre intérieur ?

Par une décision en date du 8 mars 2023, le Conseil d’Etat a franchi un pas supplémentaire dans le champ des exceptions permettant d’apprécier la légalité d’une mesure de changement d’affectation (CE, 8 mars 2023, n° 451970, mentionné aux tables du recueil Lebon).

Pour rappel, le Conseil d’Etat statuant en formation de Section en 2015, avait déterminé un considérant de principe relatif à une mesure de changement d’affectation en rappelant qu’il s’agissait d’une mesure d’ordre intérieur insusceptible de recours, sous réserve qu’elle ne porte pas atteinte aux droits et prérogatives que les fonctionnaires tiennent de leur statut ou à l’exercice de leurs droits et libertés fondamentaux, n’emporte pas de perte de responsabilités ou de rémunération et ne traduise pas une discrimination (CE, Sect., 25 septembre 2015, n° 372624, publié au recueil Lebon ; voir notre brève sur cette décision).

Ce considérant a par la suite été enrichi en 2018 afin de permettre l’application de ce principe aux agents contractuels, tout en précisant qu’une mesure d’affectation ne devait pas non plus caractériser une sanction déguisée (CE, 7 décembre 2018, n° 401812, mentionné dans les tables du recueil Lebon).

Dans la décision du 8 mars 2023, le Conseil d’Etat était saisi de la question de la recevabilité du recours dirigé contre un changement d’affectation d’office lorsque cette mesure révèle des agissements constitutifs de harcèlement moral.

Notons que la notion de harcèlement moral figurait déjà dans le considérant d’espèce de la décision précitée du 7 décembre 2018 dans lequel il était indiqué que la mesure attaquée ne constituait pas une sanction déguisée, ne traduisait pas l’existence d’un harcèlement moral ou d’une discrimination, sans que cette condition ne soit toutefois intégrée au considérant de principe ou visée dans les conclusions du Rapporteur public afin de déterminer de quel régime d’exception relèverait le harcèlement moral.

Le Rapporteur public sur l’affaire commentée, M. Thomas PEZ-LAVERGNE, a donc d’abord opéré un rappel utile des deux régimes d’exceptions à la qualification de mesure d’ordre intérieur, à savoir :

  • les effets de la mesure sur la situation de l’agent public (l’atteinte aux droits que l’agent tient de son statut ou de son contrat, l’atteinte à l’exercice de ses libertés ou droits fondamentaux, ou encore la perte de rémunération ou de responsabilités) ;
  • les motifs même de la mesure lorsqu’ils traduisent l’existence d’une discrimination ou d’une sanction.

Contrairement à ce que pouvait laisser supposer la rédaction du considérant d’espèce de la décision du 7 décembre 2018, M. PEZ-LAVERGNE a estimé que les agissements constitutifs de harcèlement moral devraient être rattachés à la première catégorie d’exceptions puisque, conformément aux dispositions de l’article L. 133-2 du Code général de la fonction publique (qui reprend la teneur de feu l’article 6 quinquies de la loi du 13 juillet 1983), le fait de ne pas être soumis à un harcèlement moral constitue un droit pour les agents publics qu’ils tiennent de leur statut (ou de leur contrat).

Suivant les conclusions du Rapporteur public, et sans pour autant modifier la rédaction de son considérant de principe tel qu’il avait été complété en 2018, le Conseil d’Etat a toutefois jugé qu’en l’espèce :

« Il ressort cependant des pièces du dossier soumis aux juges du fond que Mme B… faisait valoir que cette affectation d’office, alors qu’elle n’était pas candidate à ce poste, avait été retenue, parmi des agissements répétés et excédant les limites de l’exercice normal du pouvoir hiérarchique qui ont eu pour effet d’altérer sa santé, comme faisant partie des éléments caractérisant un harcèlement moral à son encontre par un jugement du tribunal administratif de Bastia devenu définitif du 25 juin 2020. En ne recherchant pas, au vu de cette argumentation, si la décision contestée portait atteinte au droit du fonctionnaire de ne pas être soumis à un harcèlement moral, que l’intéressée tenait de son statut, ce qui exclurait de la regarder comme une mesure d’ordre intérieur insusceptible de recours, la cour administrative d’appel de Lyon a commis une erreur de droit ».

Ainsi, le Conseil d’Etat estime que l’existence d’une situation de harcèlement moral relève des droits qu’un agent public tient de son statut et est, ce faisant, de nature à permettre l’examen d’une mesure d’affectation.

Néanmoins, comme cela ressort des conclusions de M. PEZ-LAVERGNE, un tel examen doit être circonscrit aux situations dans lesquelles le harcèlement moral a d’ores et déjà été établi.

Dans cette espèce, un jugement définitif du Tribunal administratif de Bastia avait reconnu l’existence d’agissements de harcèlement moral dont avait été victime la requérante, parmi lesquels ce changement d’affectation. C’est donc ce qui a permis au Conseil d’Etat de juger que la Cour ne pouvait regarder le changement d’affectation comme une mesure insusceptible de recours mais se devait d’en examiner la légalité.

Les notes de frais des élus locaux et agents publics sont des documents administratifs communicables

Par une décision en date du 8 février 2023, le Conseil d’Etat a jugé que les « notes de frais et reçus de déplacements ainsi que [les] notes de frais de restauration et reçus de frais de représentation d’élus locaux ou d’agents publics constituent des documents administratifs, communicables à toute personne qui en fait la demande dans les conditions et sous les réserves prévues par les dispositions du code des relations entre le public et l’administration ».

Notion de document administratif

L’article L. 300-2 du Code des relations entre le public et l’administration (CRPA) définit les documents administratifs comme « les documents produits ou reçus, dans le cadre de leur mission de service public, par l’Etat, les collectivités territoriales ainsi que par les autres personnes de droit public ou les personnes de droit privé chargées d’une telle mission », et ce « quels que soient leur date, leur lieu de conservation, leur forme et leur support ».

Si cet article énumère, à titre d’exemples, plusieurs catégories de documents administratifs (dossiers, rapports, études, comptes rendus, procès-verbaux, statistiques, instructions, circulaires, notes et réponses ministérielles, correspondances, avis, prévisions, codes sources et décisions), il ne s’agit pas d’une liste exhaustive et tout document entrant dans la définition précitée constitue un document administratif.

La Haute juridiction a ainsi considéré que tel était le cas des notes de frais des élus locaux et agents publics.

Régime d’accès aux documents administratifs

Deux régimes de communication distincts étaient susceptibles de fonder la communication des notes de frais : le régime général prévu par le CRPA (article L. 300-1 et suivants) et le régime spécial du Code général des collectivités territoriales (CGCT) en matière de documents budgétaires et comptables des collectivités territoriales (articles L. 2121-26, L. 3121-17, L. 4132-16 et L. 5211-46 du CGCT, s’agissant respectivement des communes, départements, régions et établissements publics de coopération intercommunale).

Dans l’affaire jugée par le Conseil d’Etat, les premiers juges avaient estimé que la communication des notes de frais relevait du régime prévu par le CGCT.

La commission d’accès aux documents administratifs (CADA) s’était également déjà prononcée en ce sens (avis n° 20202936 et 20202937 du 29 octobre 2020, Communauté d’agglomération Chartres Métropole et Commune de Chartres).

Toutefois, le Conseil d’Etat a considéré que :

« […] le droit de communication qu’instituent les dispositions de l’article L. 2121-26 du code général des collectivités territoriales s’agissant des « budgets » et des « comptes » des communes ne s’étend pas aux pièces justificatives des opérations et documents de comptabilité qu’il appartient à l’ordonnateur et au comptable public de conserver, en vertu des dispositions de l’article 52 du décret du 7 novembre 2012 relatif à la gestion budgétaire et comptable publique, lesquelles constituent des documents distincts des « comptes » visés par le droit de communication spécial établi par cet article du code général des collectivités territoriales ».

Il a en revanche estimé que la communication devait s’opérer sur le fondement général du CRPA.

Il a, en outre, consacré une obligation de communication étendue, excluant, en principe, l’anonymisation des documents.

Principe de l’absence d’anonymisation

L’article L. 311-6 du CRPA précise que les documents dont la communication porterait atteinte à la protection de la vie privée ne sont communicables qu’à l’intéressé.

Ces dispositions étaient invoquées dans l’affaire en cause par l’administration afin de justifier l’absence de communication des documents sollicités.

Le Conseil d’Etat a néanmoins jugé que :

« […] la communication des documents demandés, qui ont trait à l’activité de la maire de Paris dans le cadre de son mandat et des membres de son cabinet dans le cadre de leurs fonctions, ne saurait être regardée comme mettant en cause la vie privée de ces personnes. En outre, contrairement à ce que soutient la Ville de Paris, la communication des mentions faisant le cas échéant apparaître l’identité et les fonctions des personnes invitées ne porte pas davantage atteinte, par principe, à la protection de vie privée de ces autres personnes ».

Ainsi, l’anonymisation des notes de frais devra être l’exception en fonction d’une appréciation réalisée au cas par cas.

Plus précisément, ce n’est que « si, eu égard à certaines circonstances particulières tenant au contexte de l’évènement auquel un document se rapporte, la communication de ces dernières informations ou celle du motif de la dépense serait de nature, par exception, à porter atteinte aux secrets et intérêts protégés par les articles L. 311-5 et L. 311-6 du code des relations entre le public et l’administration », qu’une occultation d’informations sera possible.

Evolutions inquiétantes de la jurisprudence sur l’encadrement du droit de grève dans la fonction publique territoriale

Le moins que l’on puisse dire est que la période est propice à une réflexion sur l’exercice du droit de grève. Comme l’avait compris le pouvoir constituant, dès 1946, ce droit doit être concilié avec le rôle que tient le service public dans le fonctionnement du pays. La recherche du compromis entre droit de grève et continuité du service public a été à l’origine de limitations importantes au sein de la fonction publique de l’État, notamment dans les services pénitentiaires ou la police nationale. Dans la fonction publique territoriale, ces limitations ont été moins fréquentes, du fait, notamment, des considérables difficultés juridiques qu’implique leur définition.

La loi de transformation de la fonction publique du 6 août 2019 a, dans ce contexte, consacré un dispositif assez complet d’encadrement de l’exercice du droit de grève dans la fonction publique territoriale.

Malheureusement toutefois, l’efficacité juridique du dispositif consacré par le législateur semble progressivement rognée par la jurisprudence des tribunaux administratifs. Cette évolution méritait que l’on prenne le temps de quelques réflexions sur la question.

Rappelons que le dispositif était entièrement défini dans un article 7-2 de la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale, désormais codifié aux articles L. 114-7 à L. 114-10 du Code général de la fonction publique (CGFP).  Ils prévoient en réalité plusieurs outils d’encadrement de l’exercice du droit de grève.

Figure de proue du dispositif, l’article L. 114-7 consacre la possibilité, pour l’autorité territoriale, d’engager des négociations avec les organisations syndicales représentatives – c’est-à-dire disposant d’au moins un siège au comité social territorial de la collectivité – en vue de la signature d’un accord visant à assurer la continuité de certains services publics, à savoir la collecte et le traitement des déchets des ménages, le transport public de personnes, l’aide aux personnes âgées et handicapées, l’accueil des enfants de moins de trois ans, l’accueil périscolaire et la restauration collective et scolaire.

Conformément à l’article L. 114-8, cet accord a notamment pour objet de déterminer « les fonctions, le nombre d’agents indispensables, ainsi que les conditions dans lesquelles, en cas de perturbation prévisible de ces services, l’organisation du travail est adaptée et les agents présents au sein du service sont affectés ». Autrement dit, de définir un régime de service minimum, son cadre, et les pouvoirs dont sera investi l’employeur pour le mettre en œuvre.

Il s’agissait, en réalité, d’un pouvoir dont disposaient déjà les collectivités. Depuis la consécration du droit de grève par le Préambule de la Constitution de 1946, le droit de grève des fonctionnaires était définitivement consacré Le préambule prévoyait la possibilité, pour le législateur, d’en définir le cadre. Le Conseil d’État, constatant la nécessité de concilier le principe de continuité du service public avec le droit de grève reconnu aux fonctionnaires, avait reconnu pour sa part la possibilité pour les autorités administratives, en vertu de leur pouvoir d’organisation du service, de fixer la nature et l’étendue des limitations au droit de grève s’imposant[1]. Sur ce fondement, l’administration pouvait valablement désigner par circulaire le personnel nécessaire pour assurer la continuité du service public[2]. La ville de Paris avait d’ailleurs, en 2015, mis en place avec succès un dispositif assimilable à celui désormais consacré par le CGFP[3].

Pour autant, manier ce pouvoir restait délicat : la sécurité juridique du dispositif nécessitait une grande maitrise de la jurisprudence en la matière, sans garantie de la survie du dispositif par l’examen minutieux du juge administratif, qui fort légitimement contrôlait très strictement les restrictions que les administrations imposaient au droit constitutionnel à l’exercice du droit de grève. Par ailleurs, l’unilatéralité intrinsèque du dispositif ne jouait pas en faveur de son acceptabilité par les agents.

En donnant un cadre à cette possibilité, le législateur prive partiellement les collectivités de ce pouvoir unilatéral, puisqu’elle consacre de fait la législation annoncée par le Préambule de 1946, et remplit le vide que la jurisprudence Dehaene autorisait l’administration à combler. La récente ordonnance d’un tribunal administratif a d’ailleurs confirmé que, pour ce qui concerne ces services, la jurisprudence Dehaene n’était plus invocable[4]. En contrepartie, il donne à l’encadrement du droit de grève une légitimité renforcée par sa consécration explicite par le statut et sa mise en œuvre par une négociation avec les organisations syndicales, aboutissant à un accord approuvé par l’assemblée délibérante.

Le dispositif présente l’avantage de préserver un espace de dialogue social important, puisque la décision de l’assemblée délibérante ne peut intervenir unilatéralement qu’au terme d’une période de douze mois après le début des négociations. Il peut ainsi être mis en place unilatéralement par décision de l’assemblée délibérante, règle incitant donc fortement les organisations syndicales à rechercher activement et trouver un compromis dans le délai imparti.

La mise en place de ce dispositif, par accord ou à défaut unilatéralement, autorise alors l’administration à réaffecter, et surtout désigner, les agents indispensables à la continuité du service, en les privant donc, si nécessaire, de la possibilité d’exercer leur droit de grève.

Ce mécanisme est par ailleurs complété par d’autres dispositions, énoncées à l’article L. 114-9 du CGFP, qui prévoit deux dispositifs complémentaires.

D’une part, l’obligation, pour les agents territoriaux des services mentionnés à l’article L. 114-7 (déchets, transports, aide à la personne, etc.), d’informer leur administration de leur intention de participer au mouvement de grève quarante-huit heures avant, dispositif équivalent à celui qui existe, notamment, dans le secteur des transports[5] et dans l’éducation nationale[6].

D’autre part, la possibilité, prévue au dernier alinéa de l’article L. 114-9 du CGFP, d’imposer aux agents territoriaux ayant déclaré leur intention de participer à la grève d’exercer leur droit « dès leur prise de service et jusqu’à son terme », s’il apparaît que l’exercice du droit de grève en cours de service pourrait entraîner un risque de désordre manifeste dans l’exécution du service. La mesure est particulièrement utile dans la fonction publique territoriale, car au sein des services de l’État, la règle du trentième indivisible, qui implique la retenue de cette proportion de la rémunération quelle que soit la proportion de la journée de travail qui fait l’objet d’une cessation concertée, aboutit en pratique à ce que les personnels exercent leur droit sur l’ensemble de la journée de travail.

Dans la fonction publique territoriale, cette règle du trentième indivisible n’existe pas, et les tentatives de certaines collectivités de la mettre en place ont été censurées par le juge administratif. Les agents peuvent donc décider de n’exercer leur droit de grève que pendant une faible proportion de leur journée de travail, et ils font en pratique usage de cette possibilité pour limiter les retenues de rémunération opérées, tout en maintenant une pression suffisante sur le service public pour appuyer leurs revendications. Paradoxalement, la désorganisation du service provoquée est potentiellement plus importante de cette façon, puisqu’elle rend en pratique particulièrement difficile de suppléer à l’absence de l’agent.

Imposer l’exercice du droit de grève dès la prise de poste, et donc pour la journée, lorsque ces cessations sont susceptibles d’entraîner un risque de désordre manifeste dans l’exécution du service, permet donc d’assurer un meilleur fonctionnement du service pendant le mouvement de grève, sans remettre en cause l’exercice du droit de grève s’il y a bien cessation effective du travail. Elle lui impose seulement de l’exercer sur une journée complète.

Les deux dispositifs sont explicitement liés : les agents auxquels cet exercice du droit de grève à la prise de poste peut être imposé sont ceux qui ont signalé leur intention d’exercer le droit de grève, en application des premiers alinéas de l’article L. 114-9.

Le 20 décembre 2019 le Conseil d’État, saisi en appel dans le cadre d’un référé liberté, avait reconnu l’autonomie de ce dispositif, en jugeant que la mesure pouvait être imposée aux agents « sans que cette faculté instituée par la loi soit subordonnée à la conclusion de l’accord mentionnée au I de ces dispositions » c’est-à-dire, désormais, à l’article L. 114-7 du CGFP[7].

Mais, parallèlement, plusieurs tribunaux administratifs ont opposé à la mise en œuvre du dispositif plusieurs limites significatives.

Le 29 novembre 2019, le Tribunal administratif de Marseille a jugé que le directeur général des services d’une commune ne pouvait imposer d’office l’exercice du droit de grève dès la prise de fonction par une note de service adressée à l’ensemble des agents d’un service désignés à l’article L. 114-7 du CGFP. Selon ce tribunal, une telle obligation ne peut être imposée « indépendamment de toute appréciation de l’absence ou de la possibilité d’un risque de désordre manifeste lié à l’exercice du droit de grève ». En l’occurrence, le tribunal n’a pas cherché à examiner si un tel risque de désordre existait dans le service auquel il était imposé : le seul fait que cette obligation soit imposée « avant même de connaître leur intention », suffit à la rendre irrégulière[8].

Cette décision, qui laissait encore relativement imprécise l’interprétation que faisait le tribunal des conditions d’application du dispositif, a été précisée dans un nouveau jugement du même tribunal, deux ans plus tard, le 21 octobre 2021[9]. Dans ce cas, un dispositif similaire avait été mis en place, cette fois par une délibération validant le protocole qui le prévoyait : les agents des services d’accueil d’enfant et de restauration collective se sont tous vu imposer l’exercice du droit de grève dès la prise de fonction.

Saisi de la délibération, le Tribunal administratif de Marseille a réitéré : une telle obligation ne peut être imposée en présumant que le risque de désordre manifeste sera caractérisé sans cette précaution. Imposer à ces agents l’exercice du droit de grève dès la prise de service ne peut se faire, selon le tribunal, qu’une fois que l’autorité territoriale a pu effectivement constater l’existence de ce risque, c’est-à-dire une fois qu’il a connaissance du préavis de grève et des déclarations d’intention de participation au mouvement. Autrement dit, selon cette juridiction, l’obligation ne peut être imposée qu’au dernier moment, lorsque l’administration, qui a connaissance du taux potentiel d’absentéisme dans le service, peut constater l’existence d’un risque effectif de désordre du service.

Cette interprétation très restrictive des conditions d’application du dispositif ne s’imposait pas, et il pourrait d’ailleurs être soutenu qu’elle est contraire à la jurisprudence du Conseil d’État. En effet, en 2016[10], celui-ci avait jugé, concernant un dispositif mis en place par la ville de Paris, qu’« en imposant aux agents employés dans les équipements sportifs de la ville qui entendent exercer leur droit de grève de le faire à leur prise de service, le secrétaire général de la Ville de Paris a entendu prévenir les risques de désordres résultant notamment, en cas d’exercice du droit de grève en cours de service, de l’obligation d’évacuer de ces équipements le public qui y aurait déjà pénétré », et que, pour cette raison il n’avait pas porté une limitation illégale à l’exercice du droit de grève. Pourtant, ce dispositif, comme celui dont a eu à connaître le Tribunal administratif de Marseille, ne prévoyait pas la nécessité d’un constat du risque au dernier moment : il était présumé, du fait de la nature même du service auquel il s’appliquait.

Surtout, elle est une première atteinte à possibilité effective de mise en œuvre du dispositif. Par définition, l’administration ne pourra connaître des intentions de grève que 48 heures auparavant. Une fois cette connaissance acquise, et lorsque le risque de désordre est constaté, il lui faut alors notifier aux agents leur obligation d’exercer leur droit à la prise de service, ce qui n’est pas sans soulever de lourds problèmes matériels : la notification en recommandé est naturellement exclue dans un délai aussi court. La notification en main propre, si l’agent refuse d’attester de sa bonne réception, n’est pas davantage possible puisqu’elle posera alors des problèmes de preuve. La notification par courrier électronique, outre qu’elle posera également ce problème de preuve, n’est pas un moyen pertinent dans des services (accueil d’enfant, restauration, gestion des déchets) où les agents sont loin de disposer uniformément d’une adresse professionnelle de courriel, et encore moins de postes mis à disposition pour consulter leur messagerie professionnelle.

Ajoutons que la situation n’est pas sans poser de difficulté aux agents eux-mêmes, puisqu’ils ne pourront être informés qu’au tout dernier moment de cette obligation. Si, du fait des conséquences financières de cette obligation, l’agent entend renoncer à l’exercice du droit de grève, il s’exposera alors à des sanctions disciplinaires puisqu’il est censé informer son supérieur de cette renonciation vingt-quatre heures avant, en application L. 114-9 du CGFP, et que le respect de ce délai ne pourra en pratique être mis en œuvre.

Cet état du droit, assez regrettable, a encore récemment connu un nouveau revers à la suite d’une décision rendue cette fois par le Tribunal administratif de Lyon[11].

Jusqu’alors, l’arrêt du Conseil d’État conduisait à considérer que le dispositif imposant aux agents une déclaration d’intention de grève, et, le cas échéant, l’exercice du droit de grève à la prise de fonction, était indépendant du dispositif de service minimum qui pouvait être mis en place par la conclusion d’un accord : puisqu’imposer l’obligation d’exercice à la prise de confection n’était pas subordonné à la conclusion d’un accord, et que cette obligation ne pouvait être mise en œuvre qu’au vu des déclarations d’intention de grève, c’est nécessairement que l’ensemble de ce dispositif pouvait être mis en œuvre sans conclusion d’un accord.

Le Tribunal administratif de Lyon a retenu une interprétation différente : selon lui « les dispositions susmentionnées du II de l’article 7-2 de la loi du 26 janvier 1984 ne peuvent être lues que combinées avec celles du I du même article », c’est-à-dire, à jour de la codification du CGFP, que les dispositions de l’article L. 114-9 ne peuvent être lues que combinées avec celle des articles L. 114-7 et L. 114-8 du CGFP. Cette lecture conjointe implique, selon le tribunal, que seuls les agents désignés comme indispensables par l’accord conclu peuvent se voir imposer l’obligation de déclaration d’intention, et donc l’obligation d’exercice du droit de grève à la prise de fonction.

La restriction est considérable, et revient, en pratique, à invalider totalement le dispositif prévu à l’article L. 114-9 du CGFP. Les personnels indispensables, dans un dispositif de service minimum, sont « nécessaire au maintien des activités essentielles des services indispensables »[12]. Il s’agit donc d’une portion nécessairement congrue du personnel, et le juge administratif veillera d’ailleurs à ce que ce caractère indispensable ne soit pas attribué à un champ trop élargi d’agents[13].

Par conséquent, si l’on suit la logique du Tribunal administratif de Lyon, seuls de très rares agents pourraient se voir imposer une obligation de déclaration d’intention. Comment, dans ce cas, l’administration pourrait donc, en disposant d’une information aussi parcellaire, juger effectivement, comme le Tribunal administratif de Marseille entend le lui imposer, s’il existe un risque de désordre suffisamment conséquent pour autoriser l’adoption de mesures limitatives du droit de grève.

Surtout, dès lors que l’administration est informée qu’elle pourrait ne pas disposer des agents indispensables, on comprend mal à quoi lui servirait d’imposer à ces agents indispensables, non pas l’exercice obligatoire de leurs fonctions… mais l’exercice du droit de grève tout au long de la journée. Il va sans dire que, dans ce cas, l’administration n’aura d’autre choix dispositif de désignation dont elle sera dotée en application de l’accord et imposera à ses agents l’exercice de leurs fonctions afin d’assurer le service minimum.

On comprend que la volonté du Tribunal administratif de Lyon était de protéger le droit de grève des agents publics. Mais cette noble intention produira, à notre sens, l’effet inverse. Cette jurisprudence rend en pratique totalement inutilisable le dispositif, alors qu’il constituait avant tout une alternative à la mécanique de désignation moins attentatoire au droit de grève : au lieu d’interdire l’exercice de droit de grève aux agents indispensables, il permettait d’imposer un exercice encadré, pendant une journée entière, de ce droit. Le droit de grève était donc bien exercé, et l’était même, dans une certaine mesure, encore davantage.

Pourtant, la recherche de tels compromis est au cœur des enjeux qui entourent l’encadrement du droit de grève dans la fonction publique. Comme l’expliquait le commissaire au Gouvernement Gazier, dans ses conclusions sur l’arrêt Dehaene, le rôle de l’administration publique dans le fonctionnement du pays interdit d’envisager un exercice du droit de grève dans la fonction publique sans restriction. Pour autant, il n’est pas davantage envisageable d’interdire aux fonctionnaires l’exercice du droit de grève, alors que ce droit est tout autant au cœur du fonctionnement politique du pays et les avancées sociales qu’il a permises. Le dispositif mis en place par la loi en date du 6 août 2019, en prévoyant des dispositifs alternatifs à la réquisition et à la désignation, et surtout en plaçant l’encadrement du droit de grève dans le domaine nouveau de la négociation collective publique, ouvrait de nouveaux moyens de rechercher ce compromis.

Il faut donc espérer qu’en voulant protéger le droit de grève, le juge administratif ne viendra pas inutilement déséquilibrer le compromis mis en place par le législateur.

 

[1] CE, 7 juillet 1950, Dehaene, publié au recueil, p. 426, GAJA n° 58

[2] CE, Ass., 4 février 1966, syndicat national des fonctionnaires et agents du groupement des contrôles radioélectriques, publié au recueil, p. 80

[3] CE, 6 juillet 2016, n° 390031

[4] TA Melun, 16 février 2023, n° 2301353.

[5] L. 1324-7 du Code des transports

[6] L. 133-4 du Code de l’éducation

[7] CE, 20 décembre 2019, n° 436794.

[8] TA Marseille, 29 novembre 2019, n° 1909990.

[9] TA Marseille, 21 octobre 2022, n° 2103212.

[10] CE, 6 juillet 2016, n° 3900031.

[11] TA Lyon, 30 décembre 2022, n° 2106858

[12] CE, 14 octobre 1977, n° 98807

[13] CAA Bordeaux, 19 décembre 1996, n° 94BX01500

Recommandation du Médiateur de l’Energie à l’encontre d’un fournisseur qui n’a pas informé ses clients sur l’éventuelle évolution de ses prix liée aux risques d’écrêtement de l’ARENH

Le Médiateur de l’Energie a formulé une recommandation le 27 janvier 2023 relative à un différend de facturation d’électricité opposant un consommateur à un fournisseur et un distributeur d’électricité.

Le consommateur avait constaté une hausse du prix de ses factures d’électricité ainsi qu’une référence à une composante « ARENH – écrêtement » correspondant à la mise en œuvre par le fournisseur de son droit d’Accès Régulé à l’Electricité Nucléaire Historique.

Le Médiateur a d’abord, après analyse du contrat, constaté que les prix de fourniture applicables étaient indexés sur le prix de l’ARENH.

Pour rappel, le dispositif de l’ARENH permet aux fournisseurs alternatifs d’accéder à prix régulé, fixé à ce jour à 42 €/MWh, à de l’électricité produite par les centrales nucléaires historiques d’EDF. Et, lorsqu’un fournisseur alternatif ne peut effectivement acquérir au tarif de l’ARENH la quantité d’électricité nécessaire, il doit s’approvisionner pour la part restante sur le marché de gros et peut, par le mécanisme de l’écrêtement de l’ARENH, répercuter ce surcoût sur ses consommateurs.

Le consommateur qui a saisi ici le Médiateur de l’Energie était dans cette exacte situation. Son fournisseur, n’ayant pu obtenir suffisamment de « droits à l’ARENH », a directement répercuté le surcoût engendré sur sa facture d’électricité.

Toutefois, comme le souligne le Médiateur, le prix prévu dans le contrat de fourniture de ce consommateur était fixe et ne devait évoluer pendant trois ans, hors évolution du tarif d’utilisation des réseaux publics d’électricité (TURPE). Le consommateur ne pouvait donc anticiper une telle hausse du prix de sa facture.

Et ce, d’autant plus que le fournisseur a, selon le Médiateur, méconnu ses conditions générales de vente en omettant d’informer son cocontractant du coût supplémentaire répercuté sur ses factures.

Le Médiateur a donc considéré que l’information du fournisseur n’était pas suffisante et pouvait légitimement induire le consommateur en erreur.

Au surplus, le Médiateur dit s’interroger sur la méthode de vente du fournisseur concerné dès lors que l’augmentation du prix du kWh est intervenu un mois seulement après la signature du contrat de vente, tout en indiquant qu’il n’est pas en mesure d’évaluer si à la date de signature du contrat, le 3 décembre 2021, le fournisseur était en mesure de savoir que le prix qu’il proposait allait considérablement augmenter du fait de l’écrêtement de l’ARENH, dès lors que la Commission de Régulation de l’Energie a annoncé les taux d’écrêtement le 1er décembre 2021.

Le Médiateur de l’Energie recommande alors au fournisseur :

  • d’une part, de cesser d’indiquer que ses prix sont fixes dès lors qu’ils peuvent considérablement augmenter en cas d’écrêtement de l’ARENH ;
  • et, d’autre part, d’indiquer les anciens et les nouveaux prix au moment où il informe son client de l’actualisation de ses prix à la suite de la prise en compte de l’écrêtement de l’ARENH en mentionnant expressément le pourcentage d’augmentation.

Compensations des pertes des fournisseurs d’électricités dues aux dispositifs du « bouclier tarifaire » et de « l’amortisseur électricité »

Délibération n° 2023-69 du 23 février 2023 portant décision sur l’organisation du guichet de déclaration de charges de service public par les fournisseurs d’électricité au titre des dispositifs de boucliers et d’amortisseurs de mars 2023 

La loi n° 2022-1726 du 30 décembre 2023 de finances pour 2023 (ci-après, « Loi de finances pour 2023 ») prévoit plusieurs dispositifs de protection des consommateurs finals pour faire face à la hausse des prix de l’électricité. Il s’agit notamment du dispositif du bouclier tarifaire applicable aux consommateurs non domestiques et à celui de l’amortisseur électricité destiné à plusieurs catégories de consommateurs professionnels éligibles, dans les conditions posées par le Décret n° 2022-1774 du 31 décembre 2022 que nous commentions dans une de nos précédente lettre d’actualité.

Ces mesures ont entraîné des pertes de recettes pour les fournisseurs d’électricité qui constituent des charges de service public de l’énergie pouvant bénéficier d’une compensation.

Par conséquent, l’article 181 X de loi de finances pour 2023 a prévu deux guichets de déclaration par les fournisseurs d’électricité auprès de la Commission de Régulation de l’Energie (ci-après, « CRE ») de leurs pertes de recettes prévisionnelles. Et, aux termes de cet article, la CRE a ainsi été chargée de procéder à une première évaluation du montant de ces pertes au plus tard le 16 février 2023.

C’est ainsi qu’à l’issue du premier guichet simplifié, qui s’est tenu du 1er janvier 2023 au 20 janvier 2023, la CRE a publié le 16 février 2023 une délibération relative à l’évaluation des acomptes versés aux fournisseurs d’électricité pour la compensation des pertes de recettes définies à l’article 181 de la loi de finances pour 2023 par laquelle elle évalue le montant prévisionnelle des charges à 23 937 000 millions d’euros au titre des boucliers tarifaire et à 3 667 000 millions d’euros au titre des dispositions d’amortisseurs électricité.

Elle indique en outre qu’un acompte de 6 094 000 millions d’euros sera versé aux fournisseurs, en une fois, avant le 15 mars 2023 au titre de ce premier guichet.

Le second guichet d’évaluation des pertes supportées par les fournisseurs d’électricité, dont les règles de fonctionnement opérationnel ont été précisées par une délibération de la CRE du 23 février 2023 portant décision sur l’organisation du guichet de déclaration de charges de service public par les fournisseurs d’électricité au titre des dispositifs de boucliers et d’amortisseurs de mars 2023, se tient jusqu’au 15 mars 2023. La CRE entend réévaluer le montant des acomptes versés aux fournisseurs au plus tard au 17 mars en cas d’évolutions significatives de leurs pertes prévisionnelles.

Pour ce faire, la CRE précise notamment, au terme de sa délibération, que « tous les fournisseurs ayant participé aux guichets de déclaration du 20 janvier et/ou du 15 mars 2023 devront transmettre à la CRE une déclaration mise à jour de leurs pertes prévisionnelles au titre des dispositifs de boucliers et d’amortisseurs, avant le 30 avril 2023, dans le cadre de la réévaluation des charges de service public de l’énergie au titre de 2023 ».

Les propositions des tarifs réglementés de vente d’électricité de la CRE sont insusceptibles de recours

Saisi d’un recours contre la délibération de la Commission de Régulation de l’Energie (CRE) n° 2022-08 du 18 janvier 2022 portant proposition des tarifs réglementés de vente d’électricité (TRVE), le Conseil d’Etat rappelle la nature des actes adoptés par la CRE.

Le Conseil d’Etat rappelle que si aux termes de l’article L. 337-4 du Code de l’énergie, la CRE transmet aux Ministres chargés de l’économie et de l’énergie ses propositions motivées de TRVE, ces propositions ne constituent en elles-mêmes qu’un acte préparatoire à cet arrêté. Celles-ci sont donc insusceptibles de faire l’objet d’un recours en excès de pouvoir. Il pourra toutefois être excipé de l’illégalité de ces propositions à l’occasion d’une demande d’annulation de l’arrêté conjoint des Ministres chargés de l’économie et de l’énergie fixant les TRVE.

Il en va de même pour la fixation de la composante de rattrapage, intégrée aux TRVE dits « bleus » résidentiels, dès lors que la fixation de cette composante résultera du niveau des TRVE fixé par arrêté. Le Conseil d’Etat précise que « la seule circonstance que les tarifs proposés par la Commission de régulation de l’énergie soient susceptibles d’influer sur le niveau de la composante de rattrapage n’est pas de nature à conférer à cette délibération le caractère d’un acte pouvant être déféré au juge de l’excès de pouvoir ».

Par ailleurs, si les tarifs proposés par la CRE dans la délibération contestée sont pris en compte pour déterminer les pertes de recettes supportées par les entreprises locales de distribution et les fournisseurs alternatifs d’électricité en vue d’évaluer l’ampleur de la compensation pour charges de service public qui leur est due, cette compensation est toutefois déterminée par des actes spécifiques de la CRE. Par conséquent, l’illégalité de la délibération contestée ne pourra être soulevée qu’à l’appui d’une demande d’annulation des actes de la CRE fixant le montant de la compensation pour charges de service public.

Enfin, le Conseil d’Etat précise que « la délibération contestée qui ne consiste […] qu’en une proposition de tarifs à l’attention des ministres chargés de l’économie et de l’énergie, ne constitue pas, en tout état de cause, un acte de droit souple susceptible de faire l’objet d’un recours en excès de pouvoir, faute de produire, par elle-même, des effets notables, notamment de nature économique, sur la situation ou le comportement des fournisseurs d’électricité ».