Fonction publique
le 16/03/2023

Changement d’affectation : l’existence d’un harcèlement moral exclue-t-elle la qualification de mesure d’ordre intérieur ?

CE, 07 décembre 2018, n° 401812

Par une décision en date du 8 mars 2023, le Conseil d’Etat a franchi un pas supplémentaire dans le champ des exceptions permettant d’apprécier la légalité d’une mesure de changement d’affectation (CE, 8 mars 2023, n° 451970, mentionné aux tables du recueil Lebon).

Pour rappel, le Conseil d’Etat statuant en formation de Section en 2015, avait déterminé un considérant de principe relatif à une mesure de changement d’affectation en rappelant qu’il s’agissait d’une mesure d’ordre intérieur insusceptible de recours, sous réserve qu’elle ne porte pas atteinte aux droits et prérogatives que les fonctionnaires tiennent de leur statut ou à l’exercice de leurs droits et libertés fondamentaux, n’emporte pas de perte de responsabilités ou de rémunération et ne traduise pas une discrimination (CE, Sect., 25 septembre 2015, n° 372624, publié au recueil Lebon ; voir notre brève sur cette décision).

Ce considérant a par la suite été enrichi en 2018 afin de permettre l’application de ce principe aux agents contractuels, tout en précisant qu’une mesure d’affectation ne devait pas non plus caractériser une sanction déguisée (CE, 7 décembre 2018, n° 401812, mentionné dans les tables du recueil Lebon).

Dans la décision du 8 mars 2023, le Conseil d’Etat était saisi de la question de la recevabilité du recours dirigé contre un changement d’affectation d’office lorsque cette mesure révèle des agissements constitutifs de harcèlement moral.

Notons que la notion de harcèlement moral figurait déjà dans le considérant d’espèce de la décision précitée du 7 décembre 2018 dans lequel il était indiqué que la mesure attaquée ne constituait pas une sanction déguisée, ne traduisait pas l’existence d’un harcèlement moral ou d’une discrimination, sans que cette condition ne soit toutefois intégrée au considérant de principe ou visée dans les conclusions du Rapporteur public afin de déterminer de quel régime d’exception relèverait le harcèlement moral.

Le Rapporteur public sur l’affaire commentée, M. Thomas PEZ-LAVERGNE, a donc d’abord opéré un rappel utile des deux régimes d’exceptions à la qualification de mesure d’ordre intérieur, à savoir :

  • les effets de la mesure sur la situation de l’agent public (l’atteinte aux droits que l’agent tient de son statut ou de son contrat, l’atteinte à l’exercice de ses libertés ou droits fondamentaux, ou encore la perte de rémunération ou de responsabilités) ;
  • les motifs même de la mesure lorsqu’ils traduisent l’existence d’une discrimination ou d’une sanction.

Contrairement à ce que pouvait laisser supposer la rédaction du considérant d’espèce de la décision du 7 décembre 2018, M. PEZ-LAVERGNE a estimé que les agissements constitutifs de harcèlement moral devraient être rattachés à la première catégorie d’exceptions puisque, conformément aux dispositions de l’article L. 133-2 du Code général de la fonction publique (qui reprend la teneur de feu l’article 6 quinquies de la loi du 13 juillet 1983), le fait de ne pas être soumis à un harcèlement moral constitue un droit pour les agents publics qu’ils tiennent de leur statut (ou de leur contrat).

Suivant les conclusions du Rapporteur public, et sans pour autant modifier la rédaction de son considérant de principe tel qu’il avait été complété en 2018, le Conseil d’Etat a toutefois jugé qu’en l’espèce :

« Il ressort cependant des pièces du dossier soumis aux juges du fond que Mme B… faisait valoir que cette affectation d’office, alors qu’elle n’était pas candidate à ce poste, avait été retenue, parmi des agissements répétés et excédant les limites de l’exercice normal du pouvoir hiérarchique qui ont eu pour effet d’altérer sa santé, comme faisant partie des éléments caractérisant un harcèlement moral à son encontre par un jugement du tribunal administratif de Bastia devenu définitif du 25 juin 2020. En ne recherchant pas, au vu de cette argumentation, si la décision contestée portait atteinte au droit du fonctionnaire de ne pas être soumis à un harcèlement moral, que l’intéressée tenait de son statut, ce qui exclurait de la regarder comme une mesure d’ordre intérieur insusceptible de recours, la cour administrative d’appel de Lyon a commis une erreur de droit ».

Ainsi, le Conseil d’Etat estime que l’existence d’une situation de harcèlement moral relève des droits qu’un agent public tient de son statut et est, ce faisant, de nature à permettre l’examen d’une mesure d’affectation.

Néanmoins, comme cela ressort des conclusions de M. PEZ-LAVERGNE, un tel examen doit être circonscrit aux situations dans lesquelles le harcèlement moral a d’ores et déjà été établi.

Dans cette espèce, un jugement définitif du Tribunal administratif de Bastia avait reconnu l’existence d’agissements de harcèlement moral dont avait été victime la requérante, parmi lesquels ce changement d’affectation. C’est donc ce qui a permis au Conseil d’Etat de juger que la Cour ne pouvait regarder le changement d’affectation comme une mesure insusceptible de recours mais se devait d’en examiner la légalité.