Continuité écologique : transmission d’une QPC sur les dispositions applicables aux moulins de production hydroélectrique

La décision France Nature Environnement rendue le 8 mars 2022 par les 6ème et 5ème chambres réunies du Conseil d’Etat renvoie au Conseil Constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité portant sur l’examen de la constitutionnalité de l’article L. 214-18-1 du Code de l’environnement. Cette QPC a été demandée à l’occasion d’un recours en annulation, formulé par plusieurs associations environnementales, dont France Nature Environnement, de la décision implicite de la Ministre de la transition écologique rejetant leur demande d’abrogation des dispositions de l’article L. 214-18-1 du Code de l’environnement, ainsi que celui de leur demande de prendre toute mesure afin de « permettre l’application de la continuité écologique et sédimentaire à l’ensemble des ouvrages implantés sur les cours d’eau classés ». Des associations France Nature Environnement et autres l’ayant saisi dans le cadre de leur recours en annulation de la décision implicite rejetant leur demande d’abrogation des dispositions de l’article L. 214-18-1 du Code de l’environnement, ainsi que celui de leur demande de prendre toute mesure afin de « permettre l’application de la continuité écologique et sédimentaire à l’ensemble des ouvrages implantés sur les cours d’eau classés ».

L’article L. 214-18-1 du Code de l’environnement exonère les moulins à eau équipés pour produire de l’électricité et régulièrement installés sur les cours d’eau, des obligations qui s’imposent aux cours d’eau classés liste 2 pour permettre le franchissement des poissons migrateurs et le transport des sédiments, prévues l’article L. 214-17 du même Code), et ce dans une perspective de préservation du patrimoine hydraulique. Dans l’attente de la décision du Conseil Constitutionnel sur la constitutionnalité de ces dispositions, le Conseil d’Etat sursoit à statuer sur les requêtes.

Intégration de la « clause filet » pour les projets non soumis à étude d’impact

A la suite de l’arrêt du Conseil d’Etat du 15 avril 2021 n° 425424, le décret du 25 mars 2022 n° 2022-422 relatif à l’évaluation environnementale des projets, a été publié. Le Juge administratif avait, dans la décision précitée, enjoint au Premier Ministre, à la demande de l’association France Nature Environnement, de réviser, dans un délai de neuf mois, la nomenclature des projets soumis à autorisation environnementale, annexée à l’article R122-2 du Code de l’environnement. Le décret du 25 mars introduit donc une « clause filet » afin de compléter la nomenclature annexée à l’article R. 122-2 du Code de l’environnement qui ne permettait pas jusqu’alors de garantir que tous les projets susceptibles d’avoir des incidences notables sur l’environnement fassent l’objet d’une telle évaluation. Ce décret emporte la création d’un nouvel article R. 122-2-1 du Code de l’environnement, qui prévoit que l’autorité compétente, ,le préfet, « soumet à l’examen au cas par cas tout projet y compris de modification ou d’extension, situé en deçà des seuils fixés à l’annexe de l’article R. 122-2 [c’est-à-dire des seuils à partir desquels le projet est soumis à étude d’impact], que ce soit dans le cadre d’une procédure d’autorisation ou d’une déclaration (lorsque le projet lui apparaît susceptible d’avoir des incidences notables sur l’environnement ou la santé humaine». Par ailleurs, le décret prévoit que le maître d’ouvrage pourra, de sa propre initiative, saisir l’autorité chargée de l’examen au cas par cas, pour tout projet situé en deçà des seuils précités.

C’est à cette même autorité, qu’il revient d’informer le maître d’ouvrage de sa décision motivée de soumettre ou non le projet à un examen au cas par cas, au plus tard quinze jours à compter du dépôt du dossier de cette demande.

Enfin, le décret prévoit l’adaptation de plusieurs procédures existantes notamment d’autorisation et de déclaration, concernant les délais d’instruction des IOTA, des sites inscrits et classés…, afin de permettre une bonne articulation de ce nouveau dispositif.

Perception de la Taxe Communale sur la Consommation Finale d’Electricité par un syndicat d’énergie avant le 31 décembre 2010 et évolution démographique des communes

Par un arrêt en date du 10 mars 2022, le Conseil d’Etat a jugé que la circonstance que le critère de la population agglomérée au chef-lieu, figurant dans les dispositions relatives à la Taxe Communale sur la Consommation Finale d’Electricité (ci-après TCCFE) en vigueur au moment de son institution, n’a pas été remplacé par celui de la population totale, retenu depuis 2004 par ces mêmes dispositions, et que la population avait, dès avant 2010, dépassé le seuil de 2000 habitants, n’est pas de nature à rendre la délibération instituant ladite taxe illégale.

 

Pour mémoire, la taxe communale sur la consommation finale d’électricité (ci-après, TCCFE) est définie et régie notamment par les articles L. 2333-2 à -5 et L. 5212-24 du Code général des collectivités territoriales (ci-après, CGCT).

 

En vertu de ce dernier article, la perception et la conservation de la TCCFE par le Syndicat intercommunal exerçant la compétence d’autorité organisatrice de la distribution publique d’électricité (ci-après, AODE) est obligatoire d’une part, lorsque la population de la commune membre est inférieure ou égale à 2.000 habitants et, d’autre part, lorsque la taxe était perçue par le syndicat intercommunal au 31 décembre 2010, indépendamment de l’évolution démographique de la commune concernée.

 

Pour les communes avec une population égale ou supérieure à plus de 2.000 habitants, il est possible de prévoir, par délibérations concordantes du syndicat et de la commune, que la taxe soit perçue par le syndicat en lieu et place de la commune.

 

En l’espèce, une commune de moins de 2.000 habitants a saisi le syndicat intercommunal d’énergie de son ressort, d’une demande tendant au reversement du produit de la taxe sur l’électricité perçue par ledit syndicat sur le territoire de la commune. Ladite TTCFE a, en effet, été instituée par délibération du Comité syndical en date du 22 décembre 1971.

 

Après avoir rappelé les dispositions applicables au litige, le Conseil d’Etat remarque que le syndicat d’énergie en cause percevait, à la date du 31 décembre 2010, la TCCFE sur le territoire de la commune requérante, sans que cette perception n’ait été contestée au titre de l’année 2010. Le Conseil d’Etat en conclut, au regard des dispositions du CGCT, que le syndicat était tenu de poursuivre cette perception dans ces mêmes conditions et ne pouvait, en conséquence, que rejeter la demande présentée par la commune.

 

Le Conseil d’Etat estime, par ailleurs, que la commune ne peut utilement faire valoir, pour contester la légalité du refus du syndicat, que la délibération du 22 décembre 1971 « serait devenue illégale au motif que le critère de la population agglomérée au chef-lieu, figurant dans les dispositions relatives à la [TCCFE] en vigueur au moment de l’adoption de cette délibération, aurait dû être remplacé par celui de la population totale, retenu depuis 2004 par ces mêmes dispositions, et que sa population avait, dès avant 2010, dépassé le seuil de 2 000 habitants ».

 

En conséquence, la Haute juridiction rejette le pourvoi introduit par la Commune.

Travaux d’électrification en zone rurale – répartition des montants d’aides et reports de crédits 2021 au bénéfice des Autorités Organisatrices de la Distribution d’Electricité

Arrêté du 15 mars 2022 relatif à la répartition pour l’année 2022 des financements au titre de la mesure « Amélioration de la résilience des réseaux électriques et transition énergétique en zone rurale » de la mission « Plan de relance » créée par la loi n° 2020-1721 du 29 décembre 2020 de finances pour 2021

 

Par deux arrêtés en date du 15 mars 2022, la Ministre de la transition écologique a dévoilé la répartition des aides et le report de crédits de l’année 2021 au bénéfice des Autorités Organisatrices de l’Energie (AODE) pour le financement des travaux d’électrification.

 

D’abord, s’agissant du premier arrêté relatif à la répartition annuelle des montants d’aides et des reports de crédits 2021 précité[1], dans le cadre du compte d’affectation spéciale du FACE, est créé un sous-programme exceptionnel pour 2022 intitulé « Transition énergétique opération exceptionnelle ».

 

Ce sous-programme vise à financer les opérations de transition énergétique et de développement de solutions innovantes permettant une gestion plus efficace du réseau électrique et notamment le déploiement d’infrastructure de recharge pour véhicule électriques dans les territoires peu équipés.

 

La répartition des montants d’aides de ce compte d’affectation spéciale du FACE est organisée en ces termes :

  • Le programme principal, portant un budget de 353,5 millions d’euros, est partagé comme suit :
    • 170 millions d’euros pour le sous-programme « renforcement des réseaux» ;
    • 33 millions d’euros pour le sous-programme « extension des réseaux » ;
    • 40 millions d’euros pour le sous-programme « enfouissement ou pose en façade, pour des raisons d’ordre esthétique » ;
    • 97 millions d’euros pour le sous-programme « sécurisation des fils nus» ;
    • 0,5 million d’euros pour le sous-programme « déclaration d’utilité publique – très haute tension » ;
    • 12,7 millions d’euros pour le sous-programme « intempéries » ;
    • 0,3 millions d’euros pour le fonctionnement du compte d’affectation spéciale (CAS) ;
  • Quant au budget du programme spécial, porté à 6,5 millions d’euros, il est réparti comme suit :
    • 1 million d’euros pour le sous-programme « sites isolés » ;
    • 3 millions d’euros pour le sous-programme « installations de proximité en zone non interconnectée » ;
    • 0,5 million d’euros pour le sous-programme « maîtrise de la demande de l’énergie» ;
    • 1 million d’euros pour le sous-programme « transition énergétique » ;
    • 1 million d’euros pour le sous-programme « solutions innovantes ».

 

Est également fixée la répartition des aides provenant des crédits mentionnés à l’arrêté du 24 février 2024 portant report des programmes 793 et 794 du compte d’affectation spéciale du FACE pour 2022 :

  • S’agissant du programme principal, un montant de 26,65 millions d’euros[2] est réparti à hauteur de :
    • 11 millions d’euros pour le sous-programme « renforcement des réseaux » ;
    • 5 millions d’euros pour le sous-programme « sécurisation des fils nus » ;
    • 0,2 million d’euros pour le sous-programme « déclaration d’utilité publique – très haute tension » ;
    • 5,3 millions d’euros pour le sous-programme « intempéries » ;
    • 0,2 millions d’euros pour le fonctionnement du compte d’affectation spéciale (CAS) ;

 

  • S’agissant du programme spécial, un montant 24,3 millions d’euros est réparti à hauteur de :
    • 0,7 millions d’euros pour le sous-programme « sites isolés » ;
    • 6,8 millions d’euros pour le sous-programme « installations de proximité en zone non interconnectée » ;
    • 16,8 millions d’euros pour le sous-programme « transition énergétique opération exceptionnelle».

 

Ensuite, s’agissant de l’arrêté relatif au financement de la mission « Plan de relance »[3], l’enveloppe budgétaire consacrée à l’« Amélioration de la résilience des réseaux électriques et transition énergétique en zone rurale » pour l’année 2022 est fixée à hauteur de 15 millions d’euros s’agissant des sous-programmes « transition énergétique » et « solutions innovantes ».

________________

[1] Arrêté du 15 mars 2022 à la répartition annuelle des montants d’aides provenant de la loi n° 2021-1900 du 30 décembre 2021 de finances pour l’année 2022 et des reports de crédits 2021 au bénéfice des autorités organisatrices de la distribution d’électricité pour le financement des travaux d’électrification visés à l’article L. 322-6 du code de l’énergie

 

[2] Cet arrêté prévoit la publication d’un arrêté complémentaire portant sur la répartition des 4,95 millions d’euros de fonds de réserve restant à affecter sur ce programme principal, en fonction de besoins nouveaux identifiés en cours d’année.

[3] Arrêté du 15 mars 2022 relatif à la répartition pour l’année 2022 des financements au titre de la mesure « Amélioration de la résilience des réseaux électriques et transition énergétique en zone rurale » de la mission « Plan de relance » créée par la loi n° 2020-1721 du 29 décembre 2020 de finances pour 2021.

Pratique discriminatoire d’un distributeur d’électricité à l’égard de fournisseurs

Par une décision en date du 16 mars 2022, la Chambre commerciale de la Cour de cassation a fait application du principe de primauté du droit de l’Union en refusant d’appliquer les dispositions de l’article L. 452-3-1 II du Code de l’énergie qui prévoient la rémunération de certains fournisseurs assurant des services au gestionnaire du réseau de distribution d’électricité et la refusent à d’autres. Sans une justification objective de cette pratique par le gestionnaire du réseau de distribution, est constatée une discrimination au regard du coût à supporter pour l’utilisation de ce réseau.

En l’espèce, six fournisseurs d’électricité avaient conclu avec Enedis, gestionnaire de réseau de distribution, un contrat de prestation de service de gestion de clientèle (CPS) pour la rémunération des frais de gestion de clientèle. La société Joul, fournisseur d’électricité, avait conclu avec Enedis une convention d’accès au réseau de distribution qui ne prévoyait pas de contrepartie financière aux prestations de gestion de clientèle mises à la charge de la première pour le compte de la seconde. Elle a demandé, le 7 septembre 2016, à conclure un contrat de prestation de service de gestion de clientèle (CPS) pour la rémunération de ces prestations.

La société Joul n’ayant pas obtenu satisfaction, elle a saisi le Comité de règlement des différends et des sanctions de la Commission de régulation de l’énergie (le Cordis) qui, par une décision n° 08-38-17 du 13 juillet 2018, a constaté une infraction au principe de non-discrimination. La société Enedis a fait appel de cette décision et la Cour d’appel de Paris a accueilli ses demandes en rejetant le moyen de la société Joul tendant à faire juger que la société Enedis avait méconnu son obligation de traitement non discriminatoire des fournisseurs.

La société Joul s’est pourvue en cassation et a invoqué sur ce point le moyen suivant :

« qu’en privant les fournisseurs d’électricité de la possibilité de faire constater l’existence d’une pratique discriminatoire résultant du fait que certains d’entre eux ont été contraints de supporter des coûts au titre de prestations effectuées pour le compte du gestionnaire de réseau, et ce sans qu’aucune mesure de réparation telle qu’une compensation financière puisse leur être octroyée, l’article L. 452-3-1 du code de l’énergie est contraire à la directive 2009/72/CE concernant des règles communes pour le marché intérieur de l’électricité, laquelle impose aux autorités de régulation de mettre un terme aux situations discriminatoires ; qu’en ne laissant pas inappliquées ces dispositions de droit national, la cour d’appel a violé la directive 2009/72/CE, l’article 20 de la Charte des droits fondamentaux, ensemble de principe de primauté du droit de l’Union européenne ».

La Chambre commerciale de la Cour de cassation, par un arrêt rendu le 16 mars 2022, casse donc, et annule, l’arrêt rendu par la Cour d’appel et laisse inappliquées les dispositions litigieuses du Code de l’énergie.

Sur celles-ci, la loi n° 2017-1839 du 30 décembre 2017 mettant fin à la recherche ainsi qu’à l’exploitation des hydrocarbures et portant diverses dispositions relatives à l’énergie et à l’environnement crée au sein du Code de l’énergie l’article L. 341-4-3 qui prévoit que les prestations de gestion de clientèle réalisées par les fournisseurs d’électricité pour le compte des gestionnaires de réseaux de distribution dans le cadre de l’exécution des contrats portant sur l’accès aux réseaux et la fourniture d’électricité puissent donner lieu à une rémunération. L’article L. 452-3-1 II du Code de l’énergie prévoit quant à lui : « sous réserve des décisions de justice passées en force de chose jugée, sont validées les conventions relatives à l’accès aux réseaux conclues entre les gestionnaires de réseaux […] et les fournisseurs d’électricité, en tant qu’elles seraient contestées par le moyen tiré de ce qu’elles imposent aux fournisseurs la gestion de  clientèle pour le compte des gestionnaires de réseaux ou laissent à la charge des fournisseurs tout ou partie des coûts supportés par eux pour la gestion de clientèle effectuée pour le compte des gestionnaires de réseaux antérieurement à l’entrée en vigueur de la présente loi. Cette validation n’est pas susceptible de donner lieu à réparation ».

La Chambre commerciale confirme la décision susvisée du Cordis en rappelant l’interprétation donnée par la Cour de justice de l’Union européenne des directives concernant les règles communes pour le marché intérieur de l’électricité. 

A titre liminaire, elle procède au rappel du principe de primauté du droit de l’Union et de la jurisprudence de la Cour de justice selon laquelle le juge national est chargé d’appliquer, dans le cadre de sa compétence, les dispositions du droit communautaire et d’assurer le plein effet de ces normes en laissant au besoin inappliquée, de sa propre autorité, toute disposition contraire de la législation nationale, même postérieure (CJCE, 9 mars 1978, Administration des finances de l’Etat/société anonyme Simmenthal, 106/77).

Puis, s’agissant des dispositions des directives mentionnées applicables au litige :

D’une part, l’article 32, §1 de la directive n° 2009/72/CE du Parlement européen et du Conseil du 13 juillet 2009 concernant des règles communes pour le marché intérieur de l’électricité, interprété conformément à la jurisprudence de la CJUE, fait interdiction aux Etats membres d’organiser l’accès au réseau de distribution d’une manière discriminatoire y compris sur le plan du coût à supporter pour l’utilisation du réseau de distribution (CJUE, 29 septembre 2016, Essent, C-492/14).

Se fondant sur ces dispositions, la chambre commerciale s’oppose à la pratique constatée qui crée une discrimination au regard du coût à supporter pour l’utilisation du réseau de distribution.

D’autre part, l’article 37, § 10 de la directive susmentionnée habilite les autorités de régulation à demander aux gestionnaires de réseau de transport et de distribution de modifier au besoin les conditions, y compris notamment les tarifs, pour faire en sorte que celles-ci soient proportionnées et appliquées de manière non discriminatoire.

Sur le fondement de ces dispositions, la chambre commerciale de la Cour de cassation constate qu’en l’absence de motif apporté par la société Enedis « justifiant une telle différence de traitement entre les fournisseurs d’électricité, autre que celui invoqué devant la cour d’appel tiré de la date à laquelle ces fournisseurs avait formulé une demande de CPS, sans pertinence avec la discrimination invoquée, il doit être retenu, ainsi que l’a décidé le Cordis […], qu’en refusant de faire droit à la demande de la société Joul tendant à bénéficier d’un contrat permettant le versement d’une compensation pour les services de gestion de clientèle accomplis au bénéfice de la société Enedis, celle-ci a méconnu son obligation de traitement non discriminatoire énoncée par l’article L. 322-8, 4° du code de l’énergie, de sorte que le recours formé par le société Enedis contre cette décision doit être rejeté ».

Plus largement, l’interdiction de toute action en réparation, prévue à l’article L. 452-3-1, II, du Code de l’énergie précité, ne peut être appliquée par le juge national, car contraire au droit de l’Union européenne.

La gestion de l’eau et de l’assainissement après la loi 3DS

La loi n° 2022-217 en date du 21 février 2022 relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l’action publique locale, dite loi 3DS, a été publiée le 22 février 2022.

Elle comporte un certain nombre de dispositions qui ont trait à la transition énergétique ou à l’environnement et la biodiversité dans leur ensemble, tandis que d’autres portent plus spécifiquement sur l’organisation des collectivités dans la gestion de l’eau (petit et grand cycle) et de l’assainissement. Nous examinerons ici les dispositions de la loi qui portent sur l’organisation territoriale de l’exercice de ces compétences (1), celles qui renforcent les prérogatives des collectivités compétentes dans le domaine de l’eau plus particulièrement (2). Nous exposerons enfin les nouveaux outils financiers dont disposent les collectivités pour exercer leur compétence en ces matières (3).

I) Les évolutions en matière d’organisation territoriale des compétences eau (petit et grand cycle) et assainissement

1/ La possibilité pour un syndicat mixte de détenir les qualités à la fois d’EPTB et d’EPAGE

En premier lieu, la loi 3DS fait quelque peu évoluer l’organisation de l’exercice de la compétence GeMAPI en permettant à un syndicat mixte d’avoir la double qualité d’EPAGE et d’EPTB.

L’article L. 213-12 du Code de l’environnement est modifié en ce sens, et permet à un syndicat mixte d’être à la fois EPAGE et EPTB, dès lors qu’il remplit les conditions fixées par ce même article pour chaque type d’établissement.

Ainsi, là où, auparavant, un syndicat mixte pouvait être transformé en EPTB, d’une part, et en EPAGE, d’autre part, formant ainsi deux structures distinctes, une même structure peut désormais détenir ces deux qualités. Cette double qualité peut s’acquérir par transformation mais également par simple modification statutaire. La procédure jusqu’alors valable pour la transformation, décrite à l’article L. 213-12 du Code de l’environnement, intègre dorénavant l’hypothèse de la modification statutaire. Le texte précise également qu’en cas de modification statutaire, le syndicat mixte conserve l’ensemble de ses biens et obligations et continue à exercer les compétences dont il est chargé à la date de la modification de ses statuts.

 

2/ Le transfert partiel des compétences en matière de gestion des eaux pluviales et de défense extérieure contre l’incendie par un EPCI-FP à un syndicat

En deuxième lieu, les compétences « gestion des eaux pluviales urbaines » et « défense extérieure contre l’incendie » peuvent désormais, elles aussi, au même titre que l’eau, la GeMAPI, l’assainissement, la collecte et le traitement des déchets et la distribution d’électricité et de gaz, faire l’objet d’un transfert partiel, par un EPCI-FP ou par un EPT, à un syndicat mixte.

Ainsi, ces compétences pourront être transférées soit pour la totalité du périmètre de l’EPCI ou de l’EPT, soit pour une partie seulement de son territoire. Le transfert peut alors s’opérer au profit de plusieurs syndicats situés chacun sur des parties distinctes de son territoire (l’article L. 5211-61 du Code général des collectivités territoriales est en ce sens modifié).

3/ Anticipation des transferts obligatoires en matière d’eau et d’assainissement aux communautés de communes

En troisième lieu, alors que la loi ne revient pas sur l’échéance au 1er janvier 2026 pour le transfert obligatoire des compétences eau et assainissement aux communautés de communes, l’article 30 tente tout de même d’anticiper, en amont de cette date, l’organisation de ces transferts. Il propose ainsi que dans l’année qui précède ce transfert obligatoire, les communes et leur communauté de communes organisent un débat sur la tarification des services publics d’eau et d’assainissement des eaux usées et sur les investissements liés aux compétences transférées à l’EPCI (ce débat pouvant d’ailleurs être renouvelé annuellement).

À l’issue de ce débat, une convention peut être conclue. Cette convention précise alors les conditions tarifaires des services publics en cause, en tenant compte notamment du mode de gestion du service, des caractéristiques des réseaux ainsi que des coûts de production, de traitement et de distribution. Elle détermine par ailleurs les orientations et les objectifs de la politique d’investissement sur les infrastructures ainsi que les modalités des délégations de compétences aux communes qui en feraient la demande dans les conditions prévues au I de l’article L. 5214‑16 du CGCT.

4/ La pérennisation du maintien des syndicats d’eau, d’assainissement ou de gestion des eaux pluviales urbaines inclus en totalité dans le périmètre d’une communauté de communes

En quatrième lieu, à la suite des discussions en commission mixte paritaire, la loi 3DS pérennise la possibilité pour les syndicats compétents en matière d’eau, d’assainissement et de gestion des eaux pluviales urbaines d’être maintenus, lorsqu’ils sont inclus en totalité dans le périmètre d’une communauté de communes (le texte n’évoque que les communautés de communes en dérogeant toutefois également expressément à l’article L. 5216-6 du CGCT, applicable aux communautés d’agglomération, ce qui peut créer une incertitude quant aux EPCI concernés), malgré le transfert, à cette communauté de communes, des compétences qu’ils exercent. Ce maintien des syndicats existait déjà mais il est désormais pérennisé après le transfert obligatoire de ces compétences aux communautés de communes au 1er janvier 2026. La communauté de communes pourra néanmoins délibérer contre ce maintien.

 

II) Le renforcement des prérogatives des collectivités compétentes dans le domaine de l’eau

1/ L’élargissement du droit de préemption des terres agricoles aux syndicats mixtes compétents en eau potable

La loi 3DS prévoit l’élargissement du droit de préemption des terres agricoles sur les aires d’alimentation des captages d’eau potable aux syndicats mixtes. Les articles L. 218-1 et L. 218-3 du Code de l’urbanisme évoquaient jusqu’alors les seuls « groupements de communes ». Cet ajout permet, sans ambiguïté désormais, aux syndicats composés d’autres collectivités que les communes, de se prévaloir de ce droit de préemption.

Cet élargissement du droit de préemption va d’ailleurs plus loin, l’article L. 218-3 du Code de l’urbanisme étant enrichi par la loi 3DS de la possibilité pour le titulaire du droit de préemption (à savoir donc la commune, le groupement de communes ou le syndicat mixte) de déléguer ce droit à un établissement public local mentionné à l’article L. 2221-10 du Code général des collectivités territoriales (à savoir les régies dotées de la personnalité morale et de l’autonomie financière), « lorsque tout ou partie du prélèvement en eau utilisée pour l’alimentation en eau potable » est confié à cet établissement.

La loi 3DS intervient également afin d’imposer l’intégration de clauses environnementales lors de la conclusion de nouveaux baux des biens acquis dans le cadre de la préemption précitée, visant à garantir la préservation de la ressource en eau (prévues à l’article L. 411-27 du Code rural et de la pêche maritime). Les biens acquis peuvent également être cédés de gré à gré, à des personnes publiques ou privées. Un tel contrat doit également contenir des obligations réelles environnementales, auxquelles l’acquéreur doit consentir. Enfin, il est conclu pour une durée maximale de quatre-vingt-dix-neuf ans, entre l’acquéreur et le titulaire ou le délégataire du droit de préemption (modification de l’article L. 218-13 du Code de l’urbanisme).

2/ Le renforcement des prérogatives des autorités locales compétentes pour le contrôle du raccordement des immeubles au réseau public de collecte des eaux pluviales urbaines

L’article L. 2226-1 du CGCT modifié par la loi 3DS renforce quant à lui les prérogatives incombant aux collectivités et groupements en charge du service de la gestion des eaux pluviales urbaines. Il leur confie en effet dorénavant le contrôle du raccordement des immeubles au réseau public de collecte des eaux pluviales urbaines. Ce contrôle s’effectue à la fois au regard des prescriptions techniques fixées par la collectivité compétente pour réaliser les raccordements des immeubles aux réseau public de collecte des eaux usées et des eaux pluviales (article L. 1331-1 du Code de la santé publique) mais également de celles issues du plan de zonage prévu à l’article L. 2224-10 du CGCT ou même de tout autre règlement pris en la matière.

 

III) La mise en place de nouveaux outils financiers pour les compétences d’eau et d’assainissement

La loi 3DS a mis en place plusieurs nouveaux outils financiers pour les compétences en matière d’eau et d’assainissement et expérimente un nouvel outil pour la GeMAPI.

1/ L’expérimentation d’un financement des missions de défense contre les inondations et contre la mer d’un EPTB par des contributions fiscalisées

La loi 3DS prévoit la mise en place d’une expérimentation, pour une durée de cinq ans, visant à permettre le financement des missions de défense contre les inondations et contre la mer par un établissement public territorial de bassin (EPTB) par des contributions fiscalisées. Autrement dit, il est prévu, dans le cadre de cette expérimentation, que les EPTB exerçant en tout ou partie la compétence de défense contre les inondations et contre la mer peuvent remplacer  tout ou partie de la contribution budgétaire de ses EPCI-FP membres par un produit de contributions fiscalisées composées notamment de la taxe d’habitation, des taxes foncières, de la cotisation foncière des entreprises en vue de financer la gestion des milieux aquatiques et la prévention des inondations. Les contributions fiscalisées sont instituées par une délibération de l’EPTB et leur produit devra être arrêté chaque année par son organe délibérant. Le produit voté de la taxe est au plus égal au montant annuel prévisionnel des charges de fonctionnement et d’investissement résultant de l’exercice de tout ou partie de la mission de défense contre les inondations et contre la mer (5° de l’article L. 211-7 du Code de l’environnement). Si cette taxe se rapproche de la taxe GeMAPI prévue à l’article L. 1530 bis du Code général des impôts, cette dernière n’est pas expressément citée. Et pour cause, les règles d’instauration diffèrent sur certains points, et notamment sur le fait que la contribution fiscalisée levée par les EPTB n’est pas plafonnée (tandis que la taxe GeMAPI ne peut dépasser 40 euros par habitant et par an).

L’organe délibérant de l’EPCI-FP peut s’opposer au recouvrement de cette contribution dans un délai de quarante jours à compter du moment où la délibération instituant les contributions a été transmise pour consultation aux communes et aux EPCI-FP membres de l’EPTB. Passé ce délai, la mise en recouvrement de la contribution fiscalisée ne peut être contestée.

Pour être complet, on relèvera que cette expérimentation peut être réalisée au profit d’un EPTB qui exerce par délégation, tout ou partie de la mission de défense contre les inondations et contre la mer, et dans les conditions prévues à l’article L. 5211-61 du CGCT.

2/ De nouvelles dérogations au principe d’interdiction du financement des services publics industriels et commerciaux (SPIC) par les EPCI spécifiques en matière d’eau et d’assainissement

Enfin, la loi 3DS rajoute des dérogations au principe d’interdiction du financement des SPIC par les budgets propres des collectivités, concernant les services de distribution d’eau potable et d’assainissement prévu à l’article L. 2224-2 du CGCT. Les EPCI compétents dans ce domaine pourront dorénavant, en plus des exceptions déjà formulées, financer ces SPIC sur leur budget principal :

  • lorsque ces services ne peuvent être financés autrement sans augmenter de manière excessive les tarifs pour les usagers.
  • durant la période d’harmonisation des tarifications de l’eau et de l’assainissement après la prise de compétence par l’EPCI-FP.

 

Clémence Du Rostu, 
Avocate Directrice 

La démonstration d’un préjudice personnel au créancier n’est pas exigée avant la procédure collective

Par un arrêt inédit en date du 12 janvier 2022, la Cour de cassation a rappelé que l’exigence d’un préjudice personnel au créancier ne vaut pas avant la procédure collective.

En l’espèce, un gérant de SARL a été assigné le 29 mai 2018 en responsabilité par des créanciers au titre d’une faute détachable, c’est-à-dire une faute intentionnelle d’une particulière gravité, de ses fonctions de dirigeant.

Quelques mois plus tard la SARL est mise en redressement puis en liquidation et les créanciers déclarent leur créance à la procédure.

La Cour d’appel de Poitiers dans un arrêt en date du 5 janvier 2021 a déclaré l’action en responsabilité personnelle irrecevable car elle a estimé que les intimés ne se prévalaient pas, en leur qualité de créancier, d’un préjudice différent du paiement de leur créance qui avait par ailleurs été fixée au passif de la procédure collective. 

Les juges du fond ont par conséquent considéré que les créanciers n’avaient pas établi un préjudice personnel et distinct de celui de la collectivité des créanciers.

***

La Cour de cassation a censuré la décision de la cour d’appel de Poitiers au visa des articles 31 et 32 du Code de procédure civile et L. 622-20 du Code de commerce.

En effet, la Cour de cassation a rappelé que l ’ « intérêt au succès ou au rejet d’une prétention s’apprécie au jour de l’introduction de la demande en justice ». Que dès lors, la recevabilité de la demande en responsabilité personnelle du dirigeant, qui a été introduite avant l’ouverture de la procédure collective, n’est pas soumise à la justification par le demandeur d’un préjudice personnel et distinct de celui des autres créanciers.

La Cour de cassation a ainsi censuré l’analyse de la Cour d’appel de Poitiers qui avait appliqué le principe du monopole du représentant des créanciers de l’article L. 622-20 du Code de commerce selon lequel le mandataire judiciaire désigné par le tribunal a seul qualité pour agir au nom et dans l’intérêt collectif des créanciers et qu’il fallait dès lors démontrer un préjudice personnel distinct de celui de la collectivité des créanciers.

Cet arrêt inédit permet ainsi de rappeler que les règles de la procédure collective ne s’appliquent pas en dehors de la procédure collective et qu’en conséquence les créanciers agissant contre un dirigeant de société pouvaient agir en responsabilité civile en prouvant une faute détachable et non pas en ayant à établir que leur préjudice était distinct de celui des autres créanciers quand l’action a été introduite avant le jugement d’ouverture de la procédure collective.

Forfait-jours et contraintes liées à l’organisation du travail : le salarié peut être contraint à des journées ou demi-journées de présence dans l’entreprise

Par un arrêt du 2 février 2022[1], la Chambre sociale de la Cour de cassation a approuvé les juges du fond d’avoir considéré que l’employeur pouvait licencier, pour faute grave, un salarié bénéficiaire d’une convention individuelle de forfait en jours, en raison de ses absences aux journées et demi-journées de présence « imposées » du fait des contraintes liées à l’activité de l’entreprise.

Faits de l’espèce, une salariée a été engagée dans le cadre d’une convention de forfait fixée à 216 jours annuels réduits à 198 jours suivant avenant du 1er janvier 2012.

Répondant favorablement à la demande de la salariée d’une réduction de son temps de travail, l’employeur lui a notifié, par courrier recommandé du 27 novembre 2012 et courriel de rappel du 30 décembre 2013, un planning de ses jours de présence, organisé en journées ou demi-journées,

La salariée a accepté cet emploi du temps mais n’a finalement pas respecté ce planning, en étant notamment, absente certains jours.

Dans ce contexte, la salariée a été licenciée pour faute grave le 31 mars 2014 pour :

  • non-respect de planning imposé,
  • et en raison du fait qu’elle quittait son lieu de travail sans prévenir ses collaborateurs.

La lettre de licenciement exposait, notamment, que le non-respect du planning rendait impossible l’anticipation des : « présences et absences [de la salariée] au sein de la Clinique et de fixer des rendez-vous à la patientèle », puisqu’ elle ne se présentait pas dans l’entreprise selon les prévisions de l’emploi du temps.

La salariée a, alors, saisi la juridiction prud’homale en contestation de son licenciement et l’affaire a fait l’objet d’un appel.[2]

La Cour d’appel avait, notamment, retenu qu’il était établi que la salariée était libre de ses horaires et qu’elle pouvait organiser ses interventions à sa guise, sous réserve de respecter les contraintes liées à l’activité de son employeur.

Pour ce faire, elle se fondait, notamment, sur le fait que la fixation de demi-journées ou de journées de présence n’a jamais empêché la salariée d’organiser sa journée de travail comme bon lui semblait.

Elle retenait, par ailleurs, des éléments démontrant que ce non-respect du planning mettait ses collègues en difficulté et rendait difficile la fixation de rendez-vous.

Les moyens du pourvoi en cassation. Dans le cadre de son pourvoi en cassation, la salariée tentait notamment, et sans succès, de faire valoir :

« qu’un cadre au forfait jours doit bénéficier d’une liberté dans l’organisation de son travail et ne peut donc se voir reprocher de ne pas avoir respecté un planning déterminé unilatéralement par son employeur ».

Elle poursuivait en indiquant que la Cour d’appel avait constaté, d’une part, qu’elle était soumise à un forfait jours et devait donc, à ce titre, bénéficier d’une large autonomie dans l’organisation de son travail ce qui n’était pas le cas avec la mise en place de plannings qui lui imposait des interventions.

La réponse de la Cour de cassation. La Cour de cassation n’a pas été convaincu par les arguments de la salariée.

Elle a, en conséquence, rejeté son moyen en énonçant dans les termes généraux suivants :

« une convention individuelle de forfait annuel en jours n’instaure pas au profit du salarié un droit à la libre fixation de ses horaires de travail indépendamment de toute contrainte liée à l’organisation du travail par l’employeur dans l’exercice de son pouvoir de direction ».

Dès lors, la Cour de cassation a approuvé les juges du fond d’avoir pu déduire que l’employeur pouvait reprocher à la salariée ses absences du fait que la fixation des journées ou demi-journées de présence imposées en raison des contraintes liées à l’activité clinique vétérinaire n’avait pas empêché cette dernière d’organiser sa journée de travail comme bon lui semblait, en dehors ces périodes.

Portée de la décision. L’arrêt du 2 février 2022 est un arrêt qui consolide de ce qu’avait déjà retenu la Cour de cassation dans un précédent cas d’espèce.

En effet, l’opposabilité d’une convention de forfait en jours est, notamment, soumise à la possibilité du salarié bénéficiaire d’organiser son temps de travail en toute autonomie.

Toutefois, il est confirmé que cette autonomie n’est pas synonyme de totale indépendance. 

En effet, dans la droite lignée de ce qu’avait déjà retenu la Cour de cassation, la convention individuelle de forfait en jour ne confère pas :

« au profit du salarié un droit à la libre fixation de ses horaires de travail indépendamment de toute contrainte liée à l’organisation du travail par l’employeur ».(Cass. soc., 2 juillet 2014, nº 13-11.904)

Ainsi, il y a lieu de retenir que dès lors que le salarié bénéficiaire d’une convention individuelle de forfait en jours dispose, eu égard aux faits de l’espèce, d’une certaine autonomie dans l’organisation de son temps de travail, l’employeur peut légitimement lui fixer des jours ou demi-journées de présence dans l’entreprise en raison des contraintes liées à l’organisation du travail.

Cette possibilité résulte de son pouvoir de direction qui est ici renforcée.

 

[1] Cass. soc., 2 février 2022, n°20-15.744 (https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000045133493?init=true&page=1&query=20-15744&searchField=ALL&tab_selection=all)

[2] Cour d’appel de Versailles, 17e chambre 18 décembre 2019 (n°17/02003)

 

Du nouveau en matière de médiation

De nouvelles dispositions en matière de mesure de médiation sont dorénavant applicables aux instances en cours depuis le 27 février 2022, ainsi :

  • Le juge peut enjoindre aux parties à une procédure de rencontrer un médiateur pour qu’il leurs expose l’objet et le déroulement d’une médiation même si elles n’ont pas accepté d’entrée en médiation (nouvel article 127 du Code de procédure civile – CPC-).

Le juge fixera la durée de cette mesure d’administration judiciaire permettant aux parties soit de mettre en place une médiation conventionnelle soit de demander une médiation judiciaire régit par l’article 131-15 du CPC et donc de demander ensuite soit la poursuite de cette mesure ou d’y mettre fin.

Cette mesure d’injonction interrompt les délais pour conclure et former un appel incident et ce, jusqu’à la fin de la mission du médiateur

  • La provision sur la rémunération du médiateur est fixée par le juge mais doit être maintenant versée directement entre les mains du médiateur qui doit en accuser réception et programmer la première réunion de médiation. Sa mission débute pour une durée de 3 mois (renouvelable) à compter de cette consignation. A défaut de consigner dans les délais impartis par le juge cette mesure devient caduque et la procédure reprends son cours.

La rémunération définitive du médiateur est fixée d’un commun accord avec les parties qui peut être homologuée par le juge et rendu exécutoire à la demande de chacune des parties et du médiateur, à défaut elle est fixée par le juge.

  • Lors de la médiation les parties peuvent ou pas se faire assister par toute personne ayant qualité pour le faire devant la juridiction qui a ordonné la médiation, ainsi si le ministère d’avocat est obligatoire seuls les avocats pourront assister les parties.
  • La médiation est également prévue devant la Cour de cassation

La distinction consommateur/non-professionnel est conforme au principe d’égalité

L’article L.218-2 du Code de la consommation dispose que « l’action des professionnels, pour les biens ou les services qu’ils fournissent aux consommateurs, se prescrit par deux ans ».

Le Code de la consommation opère une distinction entre les consommateurs et les non-professionnels, en fonction de leur personnalité juridique. Ainsi, la Cour de cassation, de jurisprudence constante, écarte toutes les personnes morales du bénéfice des dispositions réservées aux consommateurs, notamment l’article L. 218-2 du Code de la consommation (Cass. Civ., 1ère, 13 juillet 2016, n° 15-17.702).

En l’espèce, en 2016, un syndicat de copropriétaires chargeait une société de réaliser divers travaux. En 2020, la société assignait le syndicat en paiement d’une provision correspondant à des factures impayées. Par arrêt du 20 mai 2021, la Cour d’appel de Paris rejetait la fin de non-recevoir tirée d’une prescription biennale de l’action.

Après s’être pourvu en cassation, le syndicat de copropriétaires demandait à la Cour de transmettre au Conseil constitutionnel une question prioritaire de constitutionnalité ainsi formulée : « l’article L. 218-2 du Code de la consommation, en ce qu’il ne prévoit pas expressément que la prescription biennale qui s’applique à l’action des professionnels pour les biens ou les services qu’ils fournissent aux consommateurs, bénéficie également au non-professionnels, méconnaît-il les principes constitutionnels d’égalité devant la loi et d’égalité devant la justice ? ».

La Cour de cassation, dans son arrêt du 17 février 2022, refuse la transmission de la question, au motif qu’elle ne présente pas de caractère sérieux, « en ce qu’à la différence d’un consommateur, un non-professionnel est une personne morale, de sorte que la différence de traitement critiquée qui est ainsi fondée sur une différence objective de situation, est en rapport avec l’objet de la loi tendant à assurer la protection des consommateurs dans leurs rapports avec les professionnels ».

En raison de sa personnalité morale et de son objet social, qui est la conservation et l’amélioration de l’immeuble ainsi que l’administration des parties communes, le syndicat de copropriétaires reçoit la qualification de non-professionnel, et ne peut bénéficier de la prescription biennale inscrite à l’article L. 218-2 du Code de la consommation.

Acquisition d’un bien indivis à l’aide d’un prêt relais : l’indivisaire qui rembourse a droit à une indemnité

Selon l’article 815-13 du Code civil, « lorsqu’un indivisaire a amélioré à ses frais l’état d’un bien indivis, il doit lui en être tenu compte selon l’équité, eu égard à ce dont la valeur du bien se trouve augmentée au temps du partage ou de l’aliénation. Il doit lui être pareillement tenu compte des dépenses nécessaires qu’il a faites de ses deniers personnels pour la conservation desdits biens, encore qu’elles ne les aient point améliorés. Inversement, l’indivisaire répond des dégradations et détériorations qui ont diminué la valeur des biens indivis par son fait ou par sa faute ».

En l’espèce, des particuliers font l’acquisition en indivision d’un bien immobilier à l’aide d’un crédit relais en 2013.

Plusieurs années plus tard, les héritiers d’un coïndivisaire font valoir une créance à l’encontre de l’indivision, dans la mesure où le défunt avait engagé des dépenses de conservation en remboursant une partie des mensualités du prêt relais.

La Cour d’appel fait droit à leur demande, et les autres coïndivisaires portent l’affaire en cassation, affirmant que la nature et l’objet du prêt relais s’opposent à ce que son remboursement puisse être assimilé à une dépense de conservation.

La Cour de cassation rejette le pourvoi, au motif que « le règlement d’échéances d’emprunts ayant permis l’acquisition d’un immeuble indivis, lorsqu’il est effectué par un indivisaire au moyen de ses deniers personnels au cours de l’indivision, constitue une dépense nécessaire à la conservation de ce bien et donne lieu à indemnité sur le fondement de l’article 815-13, alinéa 1er, du code civil, peu important que le prêt soit un prêt amortissable ou un crédit relais ».

L’acheteur d’un bien occupé qui dissimule sa libération manque à son obligation de loyauté

L’obligation de loyauté et de bonne foi dans les relations contractuelles découle des articles 1103 et 1104 du Code civil, selon lesquels les contrats, qui « tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits », doivent être « négociés, formés et exécutés de bonne foi ».

En l’espèce, une promesse unilatérale de vente est conclue le 5 octobre 2011, pour cinq lots d’un immeuble en copropriété, donnés à bail à usage d’habitation.

L’acte authentique de vente est conclu le 17 janvier 2012.

Ayant appris l’existence d’un accord de résiliation amiable du bail avec indemnité de départ, conclu le 23 novembre 2011, avant la signature de l’acte authentique, entre l’acheteur et l’occupant des lors, le vendeur assigne l’acheteur en paiement de dommages-intérêts au motif que le bien aurait pu être vendu à un prix correspondant à un bien libre d’occupation.

La Cour de cassation, dans son arrêt du 19 janvier 2022, confirme l’arrêt d’appel qui a condamné l’acheteur au paiement de dommages-intérêts. Considérant que c’est à la date de la signature de l’acte de vente qu’il convient d’apprécier la loyauté, la bonne foi et la sincérité des cocontractants, la Cour affirme que « la dissimulation de la libération des lieux par l’occupant en titre, de nature à augmenter de façon significative la valeur du bien, manifestait l’absence de loyauté, de bonne foi et de sincérité de l’acquéreur, ouvrant droit à dommages-intérêts pour le vendeur ».

Sanction du déséquilibre significatif du contrat conclu entre professionnels sous l’empire de l’article 1171 du Code civil

Selon l’article 1171 du Code civil, « dans un contrat d’adhésion, toute clause non négociable, déterminée à l’avance par l’une des parties, qui crée un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat est réputée non écrite ».

La Cour de cassation, dans un arrêt du 26 janvier 2022, est venue apporter des précisions sur les conditions d’application de cet article, introduit dans le Code civil par l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats.

En l’espèce, une société, exerçant une activité de restauration et de sandwicherie, conclut avec une entreprise de financement un contrat de location financière pour les besoins de son activité.

Après une mise en demeure visant la clause résolutoire, la société de financement assigne la société de restauration en paiement.

Alors que la société locataire invoque l’article 1171 du Code civil pour voir déclarer non écrite la clause résolutoire, la société de financement soutient que ce texte est inapplicable, car le contrat conclu entre professionnels relève de l’article L. 442-6 du Code de commerce, qui régit le déséquilibre significatif entre commerçants.

La Cour de cassation, dans son arrêt du 26 janvier 2022, rejette l’argument de la société de financement : l’article 1171 du Code civil s’applique aux contrats, même conclus entre producteurs, commerçants, industriels ou artisans, lorsqu’ils ne relèvent pas de l’article L. 442-6 du Code de commerce. Tel est le cas des contrats de location financière contractés auprès d’établissements de crédit et de sociétés de financement, lesquels ne sont pas soumis aux textes relatifs aux pratiques restrictives de concurrence.

L’extension de la terrasse d’une brasserie justifie-t-elle le déplafonnement du loyer commercial ?

L’agrandissement de la terrasse extérieure d’une brasserie sur le domaine public n’affecte pas les caractéristiques des locaux loués mais il peut constituer une modification notable des facteurs locaux de commercialité justifiant un déplafonnement du loyer.

Le loyer d’un bail commercial renouvelé échappe à la règle du plafonnement en cas de modification notable des éléments permettant la détermination de la valeur locative, et notamment des caractéristiques du local loué ou des facteurs locaux de commercialité (Code du commerce, art. L. 145-34).

Se fondant sur ces dispositions, le propriétaire d’un local commercial loué à usage de brasserie demande le déplafonnement du bail, se prévalant de l’agrandissement de la terrasse extérieure exploitée depuis des dizaines d’années en vertu d’une d’autorisation d’occupation du domaine public.

L’extension de cette terrasse de plein air devant l’établissement, installée sur le domaine public et exploitée en vertu d’une autorisation administrative, ne constitue pas une modification des caractéristiques des locaux loués selon le juge de première instance.

En revanche, en permettant d’étendre l’exploitation d’une terrasse sur le domaine public, l’autorisation municipale accordée contribue au développement de l’activité commerciale. Selon la Cour de cassation, la Cour d’appel aurait donc dû vérifier si cette situation modifiait notablement les facteurs locaux de commercialité, de sorte qu’elle aurait constitué un motif de déplafonnement. 

La Cour de cassation réaffirme la solution qu’elle avait déjà posée, selon laquelle une terrasse n’appartient pas à l’assiette des locaux, et partant, à ses caractéristiques (Cass. Civ., 3ème, 25 novembre 2009, n° 08-21.04,9 FS-PB :  RJDA 3/10 n° 223), soulignant alors le caractère précaire du titre d’occupation.

Les facteurs locaux de commercialité, quant à eux, dépendent principalement de l’intérêt que présente, pour le commerce considéré, l’importance de la ville, du quartier ou de la rue où il est situé, du lieu de son implantation, de la répartition des diverses activités dans le voisinage, des moyens de transport, de l’attrait particulier ou des sujétions que peut présenter l’emplacement pour l’activité considérée et des modifications que ces éléments subissent d’une manière durable ou provisoire (Code du commerce,. art. R 145-6). Le déplafonnement du loyer est, dans cette hypothèse, subordonné à une modification effective de l’environnement des locaux loués, ayant une incidence favorable sur l’activité exercée par le locataire.

Une telle décision amène alors à considérer qu’il pourrait y a voir un risque important de déplafonnement pour toutes les activités qui ont pu bénéficier d’autorisations pour la création ou l’agrandissement de terrasses à la suite de la crise sanitaire.

La notion d’unanimité des associés précisée pour la première fois par la Cour de cassation

L’associé d’une société civile immobilière (SCI) a sollicité l’annulation d’une assemblée générale du 24 juillet 2015, portant sur l’approbation des comptes de divers exercices, l’affectation des résultats et la rémunération de l’administrateur provisoire, pour non-respect de la règle de l’unanimité des associés.

En l’espèce, au cours de cette assemblée générale, les décisions avaient été prises à l’unanimité des associés présents, représentant 75 % des parts de la société.

Les juges de première instance ont d’abord constaté la nullité de la convocation à l’assemblée générale faisant l’objet du litige, et constaté que la règle d’unanimité n’avait effectivement pas été respectée (Tribunal de grande instance Pointe-à-Pitre, décision du 22 février 2018).

A la suite de l’appel interjeté par la SCI le 9 avril 2018, la Cour d’appel a considéré que la règle portant sur l’unanimité des associés n’avait pas été respectée.  

La SCI a alors formé un pourvoi en cassation, que la Cour a rejeté dans sa décision du 5 janvier 2022, puisqu’elle a confirmé l’arrêt rendu par la Cour d’appel.

***

Selon l’article 1852 du Code civil, en l’absence de disposition particulière des statuts, toute décision excédant les pouvoirs reconnus aux gérants, incluant l’approbation des comptes, doit être prise « à l’unanimité des associés ».

La question portait principalement sur la question de savoir ce que constituait la notion d’unanimité des associés.

D’un côté, la SCI considérait que cette notion devait s’entendre par l’unanimité des associés présents ou représentés lors de l’assemblée générale.

De son côté, l’associé ayant demandé l’annulation de l’assemblée générale litigieuse, avançait que l’unanimité s’entendait de la totalité des associés de la société détenant l’ensemble des parts sociales. La Cour de cassation est d’ailleurs venue confirmer cette dernière acception de la notion d’unanimité des associés.

Cette solution avait déjà été énoncée par une Cour d’appel concernant une assemblée générale d’une société ayant voté la transformation d’une société anonyme en société par actions simplifiée (CA de Versailles, 24 février 2005, n° 03/07294). 

Cette décision semble par conséquent transposable aux autres types de société, et pas seulement aux SCI.

Il convient donc d’être attentif en cas d’absence ou de non-représentation de l’un des associés lors d’une telle assemblée générale, soit en obtenant le consentement préalable de cet associé, soit en opérant les modifications statutaires nécessaires pour déroger à cette règle de principe.

L’ordonnance n° 2021-1658 du 15 décembre 2021 concerne la dévolution des droits de propriété intellectuelle sur les actifs obtenus par des auteurs de logiciels ou inventeurs non-salariés ni agents publics accueillis par une personne morale réalisant de la recherche.

Elle vient préciser les contours de la règlementation relatives aux droits de propriété intellectuelle applicable aux logiciels et leur documentation (nouvel article L. 113-9-1 du Code de propriété intellectuelle inséré), ainsi qu’aux brevets d’invention (nouvel article L. 611-7-1 du même Code inséré).

Ces nouvelles dispositions insérées par l’ordonnance du 15 décembre 2021 sont entrées en vigueur le 17 décembre 2021.

Le Code de la propriété intellectuelle qui attribue en principe les droits d’auteur au créateur et les droits de propriété industrielle au premier déposant nuance ces principes pour les salariés/agents publics, et désormais également pour les inventeurs non-salariés ni agents publics accueillis par une personne morale réalisant de la recherche.

I. Pour rappel, il existe différents cas de figure pour les salariés

A. Concernant les logiciels (article L. 113-9 du Code de propriété intellectuelle)

S’ils sont créés dans l’exercice de leurs fonctions, ou d’après les instructions de l’employeurs, les droits de propriété intellectuelle sont dévolus automatiquement à l’employeur.

B. Concernant les inventions brevetées (article L. 611-7 du Code de propriété intellectuelle) 

Situation 1 : le salarié exécute un contrat comportant une mission inventive inhérente à ses fonctions, ou une mission inventive explicite et occasionnelle :

  • Dans ce cas, l’employeur est seul propriétaire de l’invention.

Situation 2 : l’invention n’est pas réalisée par le salarié dans le cadre de ses fonctions mais présente un lien avec l’employeur (soit par le domaine ou grâce aux moyens mis à sa disposition par l’employeur) :

  • Dans ce cas, l’employeur peut se faire attribuer la propriété de l’invention ou bénéficier d’une licence d’exploitation.

Situation 3 : l’invention est réalisée en dehors des missions confiées par l’employeur et ne présente aucun lien avec lui :

  • Dans ce cas, le salarié est seul propriétaire de l’invention.

Jusqu’ici, ces dispositions excluaient certaines personnes notamment les stagiaires, pour lesquels la jurisprudence a eu l’occasion de considérer que les dispositions générales (c’est-à-dire que la propriété appartenait à l’inventeur) s’appliquaient[1].

II. Concernant les nouvelles dispositions applicables aux non-salariés ni agents publics

Désormais, les nouvelles dispositions susmentionnées et créées par l’ordonnance du 15 décembre 2021 viennent compléter les dispositions L. 113-9 et L. 611-7 du Code de propriété intellectuelle applicables aux salariés.

Désormais le sort des droits de propriété intellectuelle sur les logiciels et brevets d’invention pour toutes les personnes non salariées accueillies dans le cadre d’une convention par une société de droit privé ou public réalisant de la recherche, c’est-à-dire en pratique les stagiaires ou encore les doctorants étrangers, est fixé.

A. Concernant les logiciels (article L. 113-9-1 du Code de propriété intellectuelle)

Ils cèdent automatiquement leurs droits patrimoniaux à leur structure d’accueil, si ces logiciels ou brevets d’invention sont créés dans l’exercice de leurs missions, ou d’après les instructions de la structure d’accueil.

Une contrepartie est mentionnée sans que sa nature et/ou son montant soit précisé. Elle pourrait se traduire par une indemnisation financière ou par une contrepartie matérielle.

B. Concernant les inventions brevetées (article L. 611-7-1 du Code de propriété intellectuelle) 

Dans le même sens que pour le salarié, les inventions réalisées dans le cadre de la convention qui comporte une mission inventive appartiennent à la structure d’accueil.

Dans ce cas, l’inventeur est informé du dépôt d’une demande de titre de propriété industrielle et de la délivrance du titre le cas échéant.

Les inventions réalisées dans l’exercice de ses missions, liées au domaine d’activité de la structure d’accueil, ou encore grâce aux moyens ou connaissances de cette structure appartiennent à l’inventeur.

Pour autant, durée la durée de son accueil, la structure peut se faire attribuer la propriété ou la jouissance des droits attachés au brevet protégeant l’invention.

Dans ces deux cas, la structure d’accueil a l’obligation de verser une contrepartie financière à l’inventeur.

Enfin, les inventions réalisées en dehors de ces situations appartiennent à l’inventeur. 

En cas de contestation portant sur l’application des articles L. 611-7 et L. 611-7-1, le litige sera soumis à une commission paritaire de conciliation, présidée par un magistrat de l’ordre judiciaire (article L. 615-21 du Code de propriété intellectuelle).

 

[1] CE 22 févr. 2010, n° 320319

Disparition de l’entreprise individuelle à responsabilité limitée et nouvelles mesures en faveur de l’activité professionnelle indépendante

La loi n° 2022-172 du 14 février 2022, en faveur de l’activité professionnelle indépendante, modifie le statut de l’entrepreneur individuel afin de renforcer sa protection et de simplifier le transfert de son patrimoine professionnel.

Elle modifie en conséquence les Codes de commerce, des procédures civiles d’exécution et de la consommation afin d’adapter leurs dispositions concernant les procédures collectives, les procédures civiles d’exécution et le surendettement.

Ce texte s’inscrit dans le plan en faveur des indépendants annoncé par le Président de la République le 16 septembre 2021.

A travers cette loi, le législateur a pour objectif principal la protection de l’entrepreneur individuel. Dans ce cadre, il a revu en profondeur le statut d’EI (Entreprise individuelle) et a mis fin au statut d’Entrepreneur Individuel à Responsabilité Limitée (EIRL).

Mais il ne s’agit pas là des seules mesures prévues.

 

I. La disparition de l’EIRL

L’EI proposait un fonctionnement simple. Sur le plan financier, on la distinguait de l’EIRL car elle ne séparait pas les biens personnels des biens affectés à l’exploitation. En conséquence, les biens personnels pouvaient faire l’objet de poursuites par le créancier professionnel resté impayé. Seule la résidence principale de l’entrepreneur pouvait être protégée en la rendant insaisissable.

Cette nouvelle loi a en quelque sorte fusionné l’EI et l’EIRL pour créer un nouveau statut unique.

Ce nouveau statut propose notamment une séparation du patrimoine personnel et professionnel de l’EI : la protection des biens personnels devient automatique.

Avec l’apparition de ce statut, il ne reste plus aucune raison pour l’entrepreneur d’opter pour l’EIRL. En conséquence, la loi organise la disparition progressive de l’EIRL.  

Les principaux avantages de ce statut étant repris dans le nouveau statut d’entrepreneur individuel, le statut d’entrepreneur individuel à responsabilité limitée (EIRL), institué par une loi du 15 juin 2010, cessera progressivement de s’appliquer.

Aucune nouvelle EIRL ne pourra être créée, après la promulgation de la loi, soit après le 15 février. Pour les entreprises déjà créées avant la réforme, le régime de l’EIRL continue toutefois à s’appliquer.

En revanche, la dissociation des patrimoines ne s’appliquera qu’aux nouvelles créances.

Ainsi :

  • si le bénéficiaire de la cession du patrimoine affecté est un entrepreneur individuel, autrement dit une personne physique qui exerce déjà une activité professionnelle indépendante en nom propre, l’affectation n’est pas maintenue (car le bénéficiaire ne peut plus opter pour le régime de l’EIRL). En effet, à compter de l’entrée en vigueur de la présente loi, nul ne peut affecter à son activité professionnelle un patrimoine séparé de son patrimoine personnel en application du régime de l’EIRL.
  • en revanche, si le bénéficiaire de la cession du patrimoine affecté est une personne physique qui n’exerce pas d’activité professionnelle indépendante en nom propre, l’affectation est maintenue, car le bénéficiaire devient alors entrepreneur individuel sous le régime de l’EIRL à la place du cédant. 

Enfin, à partir du 15 août 2022, en cas de décès de l’entrepreneur, les héritiers ne pourront plus poursuivre l’activité professionnelle.

 

II. La création d’un nouveau statut de l’entrepreneur individuel

L’article 1er de la loi, qui en est la mesure phare, insère deux nouvelles sections dans le Code de commerce :

  • l’une, intitulée « Du statut de l’entrepreneur individuel », comprenant cinq nouveaux articles (Code du commerce, art. L. 526-22 à L. 526-26) et dont l’objet est d’offrir une protection, de plein droit, à l’ensemble du patrimoine personnel d’un indépendant vis-à-vis de ses créanciers professionnels ;
  • l’autre, intitulée « Du transfert du patrimoine professionnel de l’entrepreneur individuel », comprenant cinq nouveaux articles (Code du commerce, art. L. 526-27 à L. 526‑31) et dont l’objet est de faciliter la transmission d’une entreprise individuelle (par vente ou donation) ou sa mise en société.

Ainsi, le nouvel article L. 526-22 du Code de commerce définit de manière large et générale l’entrepreneur individuel comme « une personne physique qui exerce en nom propre une ou plusieurs activités professionnelles indépendantes ».

Cette formulation recouvre donc les commerçants, artisans, agriculteurs et tous les autres professionnels indépendants, qu’ils relèvent ou nom d’une profession réglementée.

Ce même article opère ensuite une distinction entre le patrimoine personnel et le patrimoine professionnel de l’entrepreneur individuel, faisant de cette dissociation des patrimoines le cœur même du nouveau statut.

Dorénavant, le patrimoine de l’entrepreneur individuel sera scindé en 2 :

  • un patrimoine professionnel : il est composé des biens, droits, obligations et sûretés utiles à son activité ;
  • un patrimoine personnel : il s’agit des autres biens de l’entrepreneur.

Le créancier professionnel ne pourra pas agir sur les biens personnels de l’entrepreneur.

Ainsi, il ne sera pas possible pour le créancier professionnel de saisir un bien de l’entrepreneur autre qu’un bien affecté à son patrimoine professionnel. L’entrepreneur aura donc une meilleure protection face aux créanciers professionnels en cas de difficultés financières liées à son activité.

Cette nouvelle mesure ne s’appliquera qu’aux nouvelles créances contractées par l’entrepreneur dès le 15 mai prochain.

En principe, l’entrepreneur ne pourra pas se porter caution pour garantir une dette professionnelle. Toutefois, si l’entrepreneur le souhaite, il peut volontairement se porter caution en renonçant de manière explicite à sa protection.

La séparation du patrimoine sera automatique : aucune formalité ne sera nécessaire. Il est possible de renoncer à cette séparation patrimoniale pour un engagement spécifique.

Toutefois, il existe des exceptions.

En cas de décès de l’entrepreneur individuel, si l’état de cessation des paiements est avéré à la date du décès, la procédure collective n’impactera que le patrimoine professionnel (dualité patrimoniale maintenue). À défaut, le droit commun des successions s’applique avec pour effet la réunion des deux patrimoines.

L’administration fiscale pourra saisir l’ensemble des biens de l’entrepreneur individuel pour le recouvrement de l’impôt sur le revenu, les prélèvements sociaux (sauf en cas d’option pour l’impôt sur les sociétés) et la taxe foncière. En revanche, les dettes dont l’entrepreneur individuel est redevable auprès des organismes de recouvrement des cotisations et contributions sociales ne relèveraient que du patrimoine professionnel.

 

III. Les autres mesures

1. L’article 1er de la loi facilite la transmission de l’entreprise individuelle et son passage en société en vue de faire évoluer l’activité.

Il prévoit ainsi que l’entrepreneur individuel peut vendre, donner ou apporter en société l’intégralité ou une partie seulement de son patrimoine professionnel, sans procéder à la liquidation de celui-ci. Il est précisé, en effet, que, l’entrepreneur individuel peut ne transférer que certains des éléments de son patrimoine professionnel pris isolément, dans les conditions du droit commun ou droit spécial prévues pour les éléments objets du transfert.

L’article 2 du même texte prévoit la transmission de tous les droits et obligations découlant du bail commercial au bénéficiaire du transfert de patrimoine professionnel.

Parallèlement, l’article L. 145-16 du Code de commerce prévoit désormais que seront également réputées non écrites, quelle qu’en soit la forme, les conventions tendant à interdire au locataire de céder son bail commercial au bénéficiaire du transfert universel de son patrimoine professionnel.

2. Créé par loi « avenir professionnel » de 2018, l’assurance chômage des indépendants – ou allocation des travailleurs indépendants (ATI) – permet depuis le 1er novembre 2019, aux travailleurs non-salariés dont l’activité a cessé de bénéficier d’une allocation de 800 € par mois pendant 6 mois, sous réserver d’avoir exercé cette activité en continu pendant 2 ans, qu’elle ait cessé pour liquidation ou redressement judiciaire, d’avoir généré 10.000 € de revenus par an en moyenne et de disposer, à titre personnel, de ressources inférieures au montant du RSA.

Afin de faciliter la reconversion des travailleurs indépendants, la loi élargit les conditions d’accès de l’allocation des travailleurs indépendants (ATI) aux indépendants qui arrêtent définitivement leur activité devenue non viable. Cette allocation, de 800 euros par mois, a été créée en 2018 pour les seuls ex-entrepreneurs indépendants en redressement ou en liquidation judiciaire.

Dans ce nouveau cadre, l’ATI sera toujours de 800 euros par mois, sauf pour les indépendants qui auraient eu des revenus inférieurs sur les deux dernières années. Elle ne pourra être inférieure à un certain montant fixé par décret qui, selon le Gouvernement, pourrait être fixé à 600 euros mensuels.

3. Afin de sécuriser la situation des gérants de SARL, la loi rend désormais possible l’effacement des dettes professionnelles dans le cadre d’une procédure de surendettement des particuliers.

Il permet ainsi que les dettes professionnelles d’une personne soient prises en compte, en même temps que ses autres dettes, pour l’appréciation de sa situation de surendettement ouvrant droit à l’ouverture d’une procédure de traitement du surendettement des particuliers.

 

IV. La disparition de l’EIRL

L’EI proposait un fonctionnement simple. Sur le plan financier, on la distinguait de l’EIRL car elle ne séparait pas les biens personnels des biens affectés à l’exploitation. En conséquence, les biens personnels pouvaient faire l’objet de poursuites par le créancier professionnel resté impayé. Seule la résidence principale de l’entrepreneur pouvait être protégée en la rendant insaisissable.

Cette nouvelle loi a en quelque sorte fusionné l’EI et l’EIRL pour créer un nouveau statut unique.

Ce nouveau statut propose notamment une séparation du patrimoine personnel et professionnel de l’EI : la protection des biens personnels devient automatique.

 Avec l’apparition de ce statut, il ne reste plus aucune raison pour l’entrepreneur d’opter pour l’EIRL. En conséquence, la loi organise la disparition progressive de l’EIRL.  

Les principaux avantages de ce statut étant repris dans le nouveau statut d’entrepreneur individuel, le statut d’entrepreneur individuel à responsabilité limitée (EIRL), institué par une loi du 15 juin 2010, cessera progressivement de s’appliquer.

Aucune nouvelle EIRL ne pourra être créée, après la promulgation de la loi, soit après le 15 février. Pour les entreprises déjà créées avant la réforme, le régime de l’EIRL continue toutefois à s’appliquer.

En revanche, la dissociation des patrimoines ne s’appliquera qu’aux nouvelles créances.

Ainsi :

  • si le bénéficiaire de la cession du patrimoine affecté est un entrepreneur individuel, autrement dit une personne physique qui exerce déjà une activité professionnelle indépendante en nom propre, l’affectation n’est pas maintenue (car le bénéficiaire ne peut plus opter pour le régime de l’EIRL). En effet, à compter de l’entrée en vigueur de la présente loi, nul ne peut affecter à son activité professionnelle un patrimoine séparé de son patrimoine personnel en application du régime de l’EIRL.
  • en revanche, si le bénéficiaire de la cession du patrimoine affecté est une personne physique qui n’exerce pas d’activité professionnelle indépendante en nom propre, l’affectation est maintenue, car le bénéficiaire devient alors entrepreneur individuel sous le régime de l’EIRL à la place du cédant. 

Enfin, à partir du 15 août 2022, en cas de décès de l’entrepreneur, les héritiers ne pourront plus poursuivre l’activité professionnelle.

 

Durcissement des critères de compensation à Paris

En application de l’article L. 631-7 du Code de la construction et de l’habitation, le fait de louer en meublé de manière répétée à une clientèle de passage qui n’y élit pas domicile un local à usage d’habitation constitue un changement d’usage soumis à autorisation du maire dans certaines communes.

Ces dernières peuvent par ailleurs, sur le fondement de l’article L. 631-7-1 du même Code, subordonner l’autorisation de changement d’usage à la compensation, soit la transformation concomitante par le demandeur à l’autorisation en local d’habitation d’un local ayant un autre usage.

La ville de Paris a adopté le 15 décembre 2021 un règlement durcissant les conditions de la compensation.

Pour rappel, les locaux proposés en compensation doivent cumulativement :

  • correspondre à la création d’unités de logement, et être de qualité et de surface équivalentes à celles faisant l’objet du changement d’usage, et répondre aux caractéristiques de décence fixées par le décret du 30 janvier 2002 et ne peuvent constituer une extension d’un logement existant,
  • être situés dans le même arrondissement que les locaux objets du changement d’usage.

Les règles relatives à la zone de compensation renforcée, précédemment définie, sont durcies : notamment, pour les locaux situés dans les arrondissements où le nombre de numéros d’enregistrements délivrés par la Ville est supérieur à 50 pour 1000 résidences principales, soit les 11 premiers arrondissements ainsi que le 18ème, les locaux proposés en compensation doivent représenter une surface triple de celle faisant l’objet de la demande de changement d’usage.

Par ailleurs, dans tous les arrondissements de Paris, si des locaux sont transformés et compensés par un même propriétaire en totalité au sein d’une même unité foncière, la surface minimale exigée, au titre de la compensation, correspond à la surface des locaux transformés.

Non application du rapport ou de la réduction aux primes versées sur un contrat d’assurance-vie racheté par son souscripteur

Au décès du souscripteur d’un contrat d’assurance-vie, le capital versé au bénéficiaire n’est pas soumis à rapport ou à réduction et ne rentre pas dans l’actif successoral, à moins que les primes versées ne soient manifestement exagérées eu égard aux facultés du souscripteur en vertu de l’article L. 132-13 du Code des assurances.

A l’occasion d’un litige entre la seconde femme du défunt, souscripteur d’un contrat d’assurance-vie, et sa fille née d’une précédente union, la Cour de cassation précise que cet article ne s’applique pas aux primes versées sur un contrat d’assurance sur la vie racheté par son souscripteur.

La réforme du délit de prise illégale d’intérêts

L’article 15 de la loi n°2021-1729 du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l’institution judiciaire a opéré une modification de l’élément matériel du délit de prise illégale d’intérêts relative à la définition de l’intérêt prohibé.

  1. Rappelons que, dans sa version qu’il faut aujourd’hui qualifier d’ancienne, l’article 432-12 du Code pénal sanctionnait « le fait, par une personne dépositaire de l’autorité publique ou chargée d’une mission de service public ou par une personne investie d’un mandat électif public, de prendre, recevoir ou conserver, directement ou indirectement, un intérêt quelconque dans une entreprise ou dans une opération dont elle a, au moment de l’acte, en tout ou partie, la charge d’assurer la surveillance, l’administration, la liquidation ou le paiement ».

La constitution du délit de prise illégale d’intérêts supposait ainsi en substance la réunion de quatre éléments :

  • La qualité de l’auteur, qui ne peut être que personne dépositaire de l’autorité publique, chargée d’une mission de service public ou investie d’un mandat électif ;
  • Le fait pour cette personne d’exercer un pouvoir de surveillance, de liquidation ou de paiement dans une entreprise ou une opération ;
  • L’existence concomitante d’un intérêt – qualifié de quelconque – dans cette entreprise ou opération ;
  • Une action commise sciemment.

C’est la condition tenant à l’existence d’un intérêt dans l’entreprise ou l’opération que la loi pour la confiance dans l’institution judiciaire a précisé en imposant désormais que cet intérêt soit « de nature à compromettre l’impartialité, l’indépendance ou l’objectivité » de son détenteur, exerçant par ailleurs un pouvoir de surveillance de l’opération concernée.  

Parce qu’il qualifie l’intérêt prohibé, ce nouveau texte – contemporain de la Loi 3DS qui elle-même introduit plusieurs dispositifs d’exemption dans le cas de conflit d’intérêts public / public[1] – semble donc bien restreindre le champ du délit de prise illégale d’intérêts, jusque-là largement formulé et appliqué largement par la jurisprudence.

2. Quelle modification ? – Confronté à la pratique, le texte d’incrimination du délit de prise illégale d’intérêt s’est avéré particulièrement large, du fait notamment de la référence à deux notions climatériques très ouvertes, et que la Chambre criminelle de la Cour de cassation avait fait le choix d’interpréter littéralement.

La notion d’acte de surveillance – qui demeure inchangée – peut ainsi s’entendre d’un pouvoir personnel, mais encore partagé, voire même relever d’un simple pouvoir de préparation de décision, sans y participer soit même[2]. La vote, par la voie d’un pouvoir en blanc, peut également être considéré comme l’exercice d’un pouvoir de surveillance[3].

Mais c’est sur la notion d’intérêt qu’il nous faut aujourd’hui nous attarder, puisqu’elle l’objet de la modification apportée par le Législateur.

Puisque que le texte – ancien – de l’article 432-12 le qualifiait de quelconque, cet intérêt pouvait être de nature privée comme publique, matériel comme moral[4], s’avérer conforme à l’intérêt général[5] ou résulter de fonctions exercées ès qualités[6] – en tant que représentant d’une personne morale par exemple, gratuitement et alors même que cet intérêt serait conforme à l’intérêt général.

La Cour de cassation considérait ainsi que l’intérêt, matériel ou moral, direct ou indirect, pris par des élus municipaux en participant au vote des subventions bénéficiant aux associations qu’ils présidaient, fut-ce ès qualités, entrait dans les prévisions de l’article 432-12 du Code pénal, et ce alors même qu’ils n’en avaient tiré aucun bénéfice et que la collectivité n’avait souffert d’aucun préjudice[7]

Dès 2011, la Commission de réflexion pour la prévention des conflits d’intérêts dans la vie publique avait appelé de ses vœux la modification de l’article 432-12 du Code pénal, du fait de son champ d’application « potentiellement très large »[8].

Et la nouvelle formulation du délit de prise illégale d’intérêts semble directement inspirée des propositions faites par la Haute Autorité pour la Transparence de la Vie Publique (HATVP)[9], qui plaidait notamment pour une convergence des conceptions du conflit d’intérêt issues de l’article 432-12 du Code pénal et de la Loi sur la transparence de la vie publique.

Consacrée à l’article 2 de la loi n°2013-907 du 11 octobre 2013,  la notion de conflit d’intérêt s’entend en effet de « toute situation d’interférence entre un intérêt public et des intérêts publics ou privés qui est de nature à influencer ou à paraître influencer l’exercice indépendant, impartial et objectif d’une fonction ».

Dans son dernier rapport, la HATVP relevait en outre que l’article 432-12 du Code pénal, tel qu’appliqué par la jurisprudence, s’articulait difficilement avec les exigences du statut des élus locaux lorsqu’ils siégeaient ès qualités au sein d’un établissement public à caractère industriel et commercial (EPIC), de sociétés d’économie mixte (SEM) ou de sociétés publiques locales (SPL).

C’est peut-être dans ce champ, celui du conflit d’intérêts public / public, que l’impact de la modification du délit de prise illégale d’intérêt pourrait s’apprécier.

3. Pour quels effets ? – Rappelons, à titre d’exemple, que le Code général des collectivités territoriales[10] prévoit la représentation des collectivités territoriales au conseil d’administration ou de surveillance des SEM ou SPL dont elles sont actionnaires.

Ces élus – représentants de la collectivité au sein d’une SEM, d’un EPIC ou d’une SPL – se trouvaient dans la situation de devoir se déporter des décisions de la Collectivité intéressant cette structure – alors même qu’ils y siégeaient pour la représenter.

L’on peut penser que cette modification de l’article 432-12 du Code pénal devrait conduire le Juge pénal à infléchir sa jurisprudence vers une acception plus restrictive du délit de prise illégale d’intérêt, notamment dans de tels cas – conflits d’intérêts publics / publics.

En ce sens, cette modification pourrait être considérée comme une loi pénale plus douce, et avoir ainsi vocation à s’appliquer aux procédures en cours – principe de la rétroactivité in mitius (article 112-1 du Code pénal).

Certes, cette évolution demeure très contingente des décisions à venir.

Et s’il est une chose qui ne semble pas devoir évoluer, c’est la nature d’infraction obstacle du délit de prise illégale d’intérêts : il ne requiert pas la démonstration d’un impact avéré sur la décision concernée mais l’existence d’un intérêt « de nature » à affecter le processus de décision, une sorte d’impact potentiel apparent.

Mais cette modification du délit de prise illégale d’intérêt doit également être mise en perspective avec les termes de la loi n° 2022-217 relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l’action publique locale (« Loi 3DS »), promulguée le 21 février 2022.

Rappelons simplement sur ce point – qui sera plus largement abordé dans une prochaine Lettre d’actualités juridiques SEBAN & ASSOCIES – que l’article 217 de la loi 3DS a inséré un nouvel article L. 1111-6 dans le Code général des collectivités territoriales, selon lequel « les représentants d’une collectivité territoriale ou d’un groupement de collectivités territoriales désignés pour participer aux organes décisionnels d’une autre personne morale de droit public ou d’une personne morale de droit privé en application de la loi ne sont pas considérés, du seul fait de cette désignation, comme ayant un intérêt, au sens de l’article L. 2131-11 du présent Code, de l’article 432-12 du Code pénal ou du I de l’article 2 de la loi n° 2013-907 du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique, lorsque la collectivité ou le groupement délibère sur une affaire intéressant la personne morale concernée ou lorsque l’organe décisionnel de la personne morale concernée se prononce sur une affaire intéressant la collectivité territoriale ou le groupement représenté ».

Le second alinéa du nouvel article L. 1111-6 du CGCT prévoit toutefois que les représentants mentionnés au premier alinéa devront se déporter lorsque l’assemblée délibérera sur l’attribution à cette personne morale d’un contrat de la commande publique, d’une des aides financières listées par la loi et notamment d’une subvention ou sur leur propre désignation ou rémunération.

L’article 217 de la loi 3DS procède, par ailleurs, à la modification des alinéas 11 et 12 de l’article L. 1524-5 du CGCT qui disposent désormais :

« Nonobstant l’article L. 1111‑6 du présent Code, les élus locaux agissant en tant que mandataires des collectivités territoriales ou de leurs groupements au sein du conseil d’administration ou de surveillance des sociétés d’économie mixte locales et exerçant les fonctions de membre ou de président du conseil d’administration, de président-directeur général ou de membre ou de président du conseil de surveillance, ne sont pas considérés, de ce seul fait, comme étant intéressés à l’affaire, au sens de l’article L. 2131-11 du présent code, de l’article 432‑12 du code pénal ou du I de l’article 2 de la loi n° 2013‑907 du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique, lorsque la collectivité ou le groupement délibère sur ses relations avec la société d’économie mixte locale. Cette seule qualité emporte les mêmes conséquences lorsque l’élu local participe aux délibérations du conseil d’administration ou de surveillance de la société portant sur ses relations avec la collectivité ou le groupement qu’il représente. Elle n’entraîne pas davantage l’application des articles L. 225‑40 et L. 225‑88 du code de commerce.

Toutefois, lorsque la société d’économie mixte locale est candidate à l’attribution d’un contrat de la commande publique, ils ne peuvent participer aux commissions d’appel d’offres, ni aux commissions mentionnées à l’article L. 1411‑5, ni à la délibération attribuant le contrat. De la même façon, ils ne peuvent participer aux délibérations accordant à cette société une aide régie par le titre Ier du présent livre ou une garantie d’emprunt prévue aux articles L. 2252‑1, L. 3231‑4 ou L. 4253‑1, ni aux délibérations mentionnées aux premier, troisième et dixième alinéas du présent article ».

***

En résumé, les signaux semblent bien là, la volonté d’inflexion du Législateur semble bien présente comme en témoignent les récentes modifications de l’article 432-12 du Code pénal et les apports explicites de la Loi du 21 février 2022 ; leur portée demeure néanmoins incertaine en l’état, faute d’un recul jurisprudentiel suffisant à quelques mois de la promulgation de ces textes.

Les décisions à venir des Juridictions pénales, et notamment de la première d’entre elles, seront, espérons-le, éclairantes sur ce point.

Matthieu HENON et Lilia BEN MUSTAPHA

 

[1] Ce texte fera l’objet de prochaines analyses dans la Lettre d’actualités Juridiques SEBAN & ASSOCIES.

[2] Cass. Crim., 19 sept. 200,: JurisData n° 2003-021728

[3] Cass. Crim., 9 févr. 2005, n° 03-85.697:,JurisData n° 2005-027420,  RSC 2005, p. 560

[4] Cass. Crim., 5 avr. 2018, n° 17-81.912

[5] Cass. Crim., 19 mars 2008, n° 07-84.288 : JurisData n° 2008-043608

[6] Cass. Crim., 22 octobre 2008, Commune de Bagneux, n° 08-82.068

[7] Cass. Crim., 22 oct. 2008, n°97-80.419 ; Cass. Crim., 29 sept. 1999, n° 98-81.796

[8] Rapport de la Commission de réflexion pour la prévention des conflits d’intérêts dans la vie publique 2011: https://www.viepublique.fr/sites/default/files/rapport/pdf/114000051.pdf

[9] Rapport de la HATVP pour l’année 2020 publié le 3 juin 2021 : https://www.hatvp.fr/wordpress/wp-content/uploads/2021/06/HATVP_RA2020_web_PAP_VF.pdf

[10] Articles L. 1524-5 et L. 1531-1 du Code général des collectivités territoriales