Compteurs Linky : le juge des référés refuse de prononcer des mesures conservatoires sans preuve de l’aggravation automatique de l’électrosensibilité par la pose du compteur

Par une décision rendue par le juge des référés, la Cour d’appel de Caen vient contribuer au contentieux abondant en matière d’acceptabilité des compteurs communicants d’électricité, dits compteurs « Linky ».

Dans cette instance, plusieurs particuliers avaient demandé au juge des référés du Tribunal de grande instance de Caen de prononcer des mesures conservatoires à l’égard de la société Enedis.

Déboutés de leurs demandes, les requérants ont alors saisi le juge des référés de la Cour d’appel de Caen afin d’obtenir la réformation de l’ordonnance de première instance.

Ils ont alors demandé à la Cour d’enjoindre à la société Enedis de leur délivrer une électricité exempte de tout courant porteur en ligne de type Linky par la pose d’un filtre et notamment dans les fréquences comprises entre 35.000 Hertz et 95.000 Hertz, et à remettre en état les points de livraison concernés sans aucun appareil Linky ou assimilé.

Pour rappel, aux termes de l’alinéa 1er de l’article 835 du Code de procédure civile, des mesures conservatoires peuvent être prescrites par le juge des référés, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite dont la preuve est à rapporter par celui qui l’invoque.

A ce titre, le juge des référés de la Cour d’appel de Caen rappelle que « le dommage imminent est celui qui n’est pas encore réalisé, mais qui se produira sûrement. Il doit donc s’agir d’un dommage certain et non d’un dommage potentiel » alors que le trouble manifestement illicite « doit résulter d’une situation apparente qu’il peut constater sans avoir à appréhender le fond du litige », car, tel qu’il le rappelle, le juge des référés est le juge de l’évidence.

Dans cette affaire, les requérants ont invoqué de nombreux moyens au soutien de leurs prétentions :

  • Au titre du dommage imminent : l’hypersensibilité aux champs électromagnétiques et l’existence d’un dommage psychologique ;
  • Au titre du trouble manifestement illicite : l’existence d’un conflit d’intérêt dans la procédure d’évaluation économique du compteur Linky ; la violation du droit de la consommation ; l’ajout par la société Enedis d’une fonction intrusive de détection des appareils électriques sans en informer les utilisateurs ; l’existence de pratiques commerciales trompeuses de la part d’Enedis ; la violation du RGPD ; la violation du principe de précaution ; et enfin, la violation de la réglementation anti-incendie.

Confirmant l’ordonnance du juge des référés, la Cour d’appel de Caen a écarté les différents moyens présentés par les requérants.

Plus précisément sur le moyen tiré de l’hypersensibilité aux champs électromagnétiques, à propos duquel plusieurs jurisprudences présentées dans une de nos précédentes LAJEE ont été rendues[1], le juge des référés constate que le certificat médical versé au débat par la requérante et présentant un syndrome d’hypersensibilité aux champs électromagnétiques n’est étayé d’aucun élément extérieur et, de ce fait, ne prouve pas que ce syndrome « sera automatiquement aggravé ou amplifié par l’installation d’un compteur Linky ».

Autrement dit, la requérante ne prouve pas l’existence d’une causalité entre la présence du compteur Linky et l’aggravation de son électrosensibilité. Le dommage n’étant pas certain, il n’apparait pas imminent.

Dans ces conditions, le juge des référés ne prononce pas de mesures conservatoires à l’égard de la société Enedis qui aurait notamment pu résider en la pose de dispositifs filtrant pour protéger la requérante des champs électro-magnétiques générés par le compteur Linky.

On notera que dans le cadre d’une instance différente, commentée dans une précédente LAJEE[2], la Cour d’appel de Bordeaux avait fait droit à une demande similaire constatant que le caractère précis et détaillé des certificats médicaux présentés ne faisait pas de doute sur la nature imminente du dommage.

En outre, sur le moyen tiré de la violation de la réglementation anti-incendie, la requérante argue notamment que la pose des compteurs Linky ne respecterait pas la norme NF C14-100 imposée par les règlements sanitaires départementaux pour éviter que les départs de feu se transforment en incendies.

Le juge des référés de la Cour d’appel de Caen écarte ce moyen en considérant que la question de la norme applicable n’entre pas dans sa compétence et refuse donc de la trancher.

Il conviendra alors de rester attentifs sur les suites qui pourraient être données par le juge du fond saisi d’une telle question.

En définitive, le juge des référés de la Cour d’appel de Caen ne reconnait pas l’existence d’un dommage imminent ou d’un trouble manifestement illicite et ne prononce pas de mesures conservatoires à l’adresse de la société Enedis.

 

[1] https://www.seban-associes.avocat.fr/nouveau-point-detape-sur-lopposition-au-deploiement-des-compteurs-linky/

[2] https://www.seban-associes.avocat.fr/compteurs-linky-pas-dobligation-legale-pour-le-consommateur-daccepter-la-pose/

CEE : les actualités du début de la cinquième période du dispositif

La cinquième période du dispositif des certificats d’économie d’énergie (CEE), qui n’a débuté que depuis le 1er janvier 2022[1], est déjà marquée par de nombreuses actualités.

Plusieurs opérations standardisées et programmes ont été modifiés par arrêtés :

Un arrêté du 26 janvier 2022 sur certains délais de dépôt de demandes de certificats d’économies d’énergie déroge à l’article 4-1 de l’arrêté du 4 septembre 2014[2], en allongeant jusqu’au 15 mars 2022 le délai de dépôt de la demande de CEE pour les opérations d’économies d’énergie achevées du 1er avril 2020 au 30 septembre 2020 relevant des fiches d’opérations standardisées BAR-EN-101 ou BAR-EN-103 (relatives à des opérations d’isolation) et qui n’ont pu faire l’objet d’une demande de CEE recevable dans le délai de douze mois après leur date d’achèvement.

Un deuxième arrêté du 26 janvier 2022[3] vient quant à lui réviser la fiche d’opération standardisée définissant l’opération standardisée BAT-TH-158 « Pompe à chaleur réversible de type air/air ».

Un arrêté du 10 février 2022[4] crée la fiche d’opération standardisée portant la référence TRA-EQ-126 et relative aux opérations de remotorisation en propulsion électrique ou hybride d’un bateau naviguant en eaux intérieures.

Enfin, un arrêté du 11 février 2022[5] vient prolonger l’éligibilité au dispositif de CEE de plusieurs programmes d’économies d’énergies jusqu’au 31 décembre 2023 ou au 31 décembre 2024 selon les programmes.

Par ailleurs, le Ministère a annoncé la sélection de cinq nouveaux programmes d’économie d’énergie :

En effet, par une publication du 17 février 2022 sur son site, le Ministère de la transition écologique a annoncé qu’à l’issue de l’appel à programmes d’accompagnement qu’il avait lancé en novembre 2021, cinq programmes d’accompagnement dans le cadre du dispositif de CEE ont été sélectionnés :

  • Le programme « SONUM – SObriété NUMérique » porté par l’ADEME en lien avec le CNRS et l’INRIA visant la réduction des consommations d’énergie liées à l’usage du numérique ;
  • Le programme « Baisse les Watts » porté par La Poste accompagnant des PME et TPE dans la réduction de leurs consommations d’électricité ;
  • Des programmes sur le secteur des transports, prochainement présentés par le ministre délégué en charge des Transports ;
  • Le programme « Lum’ACTE », porté par la FNCCR ayant pour but d’accompagner les collectivités locales dans la rénovation de l’éclairage public.

Enfin, en cette cinquième période, les modifications du dispositif des CEE ont été intégrées dans plusieurs publications :

Un bilan de la 4ème période des CEE a ainsi été publié, lequel retrace les actions menées, les résultats obtenus et les évolutions ayant marqué la 4ème période du dispositif.

La fiche technique rédigée par la Direction des Affaires Juridiques du Ministère de l’économie intitulée « certificats d’économie d’énergie et commande publique » a été actualisée afin de tenir compte de la cinquième période des CEE.

 

 

[1]Décret n° 2021-712 du 3 juin 2021 relatif à la cinquième période du dispositif des certificats d’économies d’énergie

[2] Arrêté du 4 septembre 2014 fixant la liste des éléments d’une demande de certificats d’économies d’énergie et les documents à archiver par le demandeur

[3] Arrêté du 26 janvier 2022 modifiant l’arrêté du 22 décembre 2014 définissant les opérations standardisées d’économies d’énergie

[4] Arrêté du 10 février 2022 modifiant l’arrêté du 22 décembre 2014 définissant les opérations standardisées d’économies d’énergie

[5] Arrêté du 11 février 2022 relatif à la prolongation de plusieurs programmes dans le cadre du dispositif des certificats d’économies d’énergie

Service public de la performance énergétique de l’habitat : les contours de l’accompagnement des ménages dans leurs projets de rénovation énergétique

Le Ministère de la Transition Ecologique a mis en ligne, du 4 au 25 février 2022, une consultation publique sur un projet de décret permettant de clarifier la mission d’accompagnement instaurée, dans le cadre du service public de la performance énergétique de l’habitat (ci-après « SPPEH »), par l’article 164 de la loi Climat et Résilience du 22 août 2021 codifié à l’article L. 232-3 du Code de l’énergie.

Pour rappel, le SPPEH a d’abord été créé pour une intervention en amont de la réalisation des travaux de rénovation par l’information, le conseil, l’accompagnement et l’assistance des consommateurs dans leurs démarches.

Par la suite, l’article 164 de la loi Climat et Résilience a étendu les missions du SPPEH, qui a désormais aussi pour objet « d’encourager les rénovations performantes et les rénovations globales ».

En effet, les dispositions de l’article L. 232-3 au Code de l’énergie tel que modifié par cette loi couvrent désormais aussi une mission d’accompagnement dont peuvent bénéficier les ménages dans la définition et la réalisation des travaux d’amélioration thermique de leur logement : appui à la réalisation d’un plan de financement et d’études énergétiques, assistance à la prospection et à la sélection des professionnels, évaluation de la qualité des travaux réalisés par ces professionnels.

Le projet de décret prévu par l’article L. 232-3 du Code de l’énergie, tel que soumis à la consultation, vient ainsi préciser l’étendue et les modalités d’exécution de cette mission d’accompagnement à la rénovation énergétique, ainsi que promouvoir son utilisation en conditionnant la délivrance de certaines primes à la rénovation énergétique de l’agence nationale de l’habitat (ci-après « l’Anah ») au recours à l’accompagnement. Enfin, il précise également les missions de l’Anah dans le cadre du SPPEH.

1. Une clarification des missions d’accompagnement

A partir du 1er janvier 2023, le recours à l’accompagnement sera amplifié dès lors que le projet d’article R. 232-8 du Code de l’énergie le rend obligatoire pour bénéficier de certaines aides à la rénovation énergétique de l’Anah.

Seront d’abord concernés au 1er janvier 2023 les travaux bénéficiant de l’aide à la rénovation globale MaPrimeRénov’ Sérénité et dont le montant est supérieur à 5.000 euros, puis à partir du 1er septembre 2023, les travaux bénéficiant du forfait MaPrimeRénov’, rénovation globale, ainsi que les bouquets de travaux (2 gestes ou plus) bénéficiant de l’aide MaPrimeRénov’ supérieurs à 10.000 euros de prime. L’ensemble des logements individuels rentreront dans le dispositif (maisons individuelles et logements individuels en collectifs).

Concernant le contenu de cette mission d’accompagnement, l’article L. 232-3 du Code de l’énergie précise qu’elle comprend un appui à la réalisation d’un plan de financement et d’études énergétiques, une assistance à la prospection et à la sélection des professionnels, ainsi que, le cas échéant, une évaluation de la qualité des travaux réalisés par ces professionnels.

Autrement dit, l’accompagnement vise à délivrer au ménage des informations détaillées, objectives et adaptées à son projet de travaux de rénovation énergétique, concernant l’ensemble des aspects financiers, techniques, administratifs et sociaux du projet, identifiés par le ménage ou l’accompagnateur.

Plus précisément encore, le projet de décret a indiqué que l’accompagnement se réalise tout au long du projet de travaux de rénovation énergétique et comprend :

  • une évaluation de l’état du logement et de la situation du ménage, qui inclut également, au regard du projet d’arrêté joint à la consultation, un diagnostic relatif à l’indécence du logement, à l’habitat indigne, à l’insalubrité et à la perte d’autonomie, élargissant de la sorte le service d’accompagnement aux enjeux globaux de l’habitat ;
  • un audit énergétique, ou le recours à un audit énergétique existant répondant aux exigences de l’article L. 126-28-1 du Code de la construction et de l’habitation ;
  • la préparation et l’accompagnement à la réalisation du projet de travaux (aide au choix du projet, des entreprises et du maître d’œuvre, information sur les procédures d’urbanisme, appui au montage des demandes d’aides financières et du dossier de prêt s’agissant du reste à charge, aide à la compréhension des démarches en ligne et à l’utilisation des plateformes numériques, conseils quant au suivi des travaux).

Outre ces prestations obligatoires, le projet d’arrêté proposé dans le cadre de la consultation précise les prestations complémentaires qui pourront être incluses dans l’accompagnement, à savoir notamment un test d’étanchéité de l’air et un contrôle de ventilation du logement, des propositions de scenarii de travaux en cas de logement indigne, indécent ou insalubre, des missions de mandataire financier et de mandataire administratif pour assister les ménages dans l’obtention du financement et dans leurs démarchées administratives.

2. Les modalités de délivrance de l’agrément aux opérateurs

Afin de garantir un nombre d’accompagnateurs suffisant, la mission d’accompagnement pourra certes être réalisée par les acteurs publics déjà en fonction (espaces conseils France Rénov’ et opérateurs de l’Anah), mais également par des opérateurs privés agréés, ce qui pose immédiatement le problème du contrôle de leur compétence, de leur probité et de leur neutralité dans les conseils qu’ils prodiguent.

Il en résulte que les opérateurs seront soumis à la délivrance d’un agrément par décision expresse du directeur général de l’Anah dans un délai de trois mois à compter du dépôt du dossier complet, après avis simple du comité régional de l’habitat et de l’hébergement, et pour une durée de cinq ans renouvelable.

Outre la démonstration de leur probité et de nombreuses compétences listées par arrêté, la procédure d’instruction des demandes d’agrément visera à s’assurer que les opérateurs chargés de cette mission répondent aux conditions d’indépendance et d’impartialité en termes de ressources et d’organisation.

A cet égard, l’article R. 232-2 du Code de l’énergie envisagé par le décret indique :

  • leur impossibilité de réaliser directement des activités d’exécution d’ouvrage, ce qui pourrait limiter le nombre d’opérateurs privés dès lors qu’ils interviennent souvent en amont et en aval de la rénovation, du conseil à la réalisation des travaux. Néanmoins, le terme « directement » pourrait entrouvrir la possibilité de la sous-traitance ;
  • leur nécessaire neutralité, à performance égale, vis-à-vis des équipements, solutions technologiques et scénarios de travaux proposés ;
  • leur connaissance complète des types d’isolation, de ventilation et de chauffage bas carbone accessibles sur le marché ;
  • leur neutralité, à qualité égale, vis-à-vis des entreprises de travaux proposées.
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Malgré ces dispositions, la garantie d’indépendance des futurs accompagnateurs des ménages dans leurs projets de rénovation énergétique a fait l’objet de réserves dans le cadre des avis rendus lors de la consultation.

Logiquement, certaines entreprises proposant des prestations en amont et en aval auraient ainsi fait valoir leur souhait de conserver leur activité de conseil des ménages, le cas échéant en les filialisant.

Au contraire, le Conseil supérieur de la construction et de l’efficacité énergétique a rendu un avis favorable « sous réserve que les modalités de prévention du conflit d’intérêt soient définies en concertation avec les acteurs de la filière, en prenant le temps d’une réflexion pour évaluer précisément son impact potentiel sur le marché de la rénovation et s’assurer que l’offre soit de qualité et suffisante sur tous les territoires ».

Clairement opposées à un accompagnement des ménages par des opérateurs privés, les associations telles qu’Amorce (Réseau national des territoires engagés dans la transition écologique), le CLER –  Réseau pour la transition énergétique, l’Anil (Association nationale d’information sur le logement) et la FNCAUE (Fédération nationale des conseils d’architecture, d’urbanisme et de l’environnement) ont adopté une position commune adressée à la Ministre chargée du Logement, estimant notamment que « les garanties de neutralité de l’Accompagnateur Rénov’ vis-à-vis des solutions technologiques sont insuffisantes ».

A cet égard, elles ont proposé que le décret retienne l’impossibilité de recevoir l’agrément d’Accompagnateur Rénov’ pour toute entreprise ayant des liens capitalistiques ou économiques ou structurels avec une entreprise de travaux, des fournisseurs d’énergie, ou pour toute entreprise ayant un intérêt dans un équipement, des solutions technologiques ou des scénarios de travaux particuliers.

La Capeb (Confédération de l’Artisanat et des Petites Entreprises du Bâtiment) a également regretté que « les garanties quant à l’indépendance et à la neutralité des accompagnateurs ne [soient toujours pas réunies » en estimant que « les entreprises générales du bâtiment ou les délégataires dans le cadre des CEE (certificats d’économies d’énergie) pourraient, selon le texte actuel, être agréées pour accompagner les particuliers ».

Par ailleurs, les associations ont regretté l’absence des collectivités ou leurs groupements dans l’instruction de l’agrément et ont proposé la mise en place d’un comité d’agrément des accompagnateurs intégrant, outre l’Anah, les fédérations de collectivités.

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Au contraire, la procédure d’agrément sera simplifiée pour certains acteurs qui disposent déjà de garanties d’indépendance du fait de leur statut, notamment pour les collectivités territoriales et leurs groupements, ou pour les structures ayant contractualisé avec une collectivité territoriale ou son groupement pour assurer le rôle de guichets d’information, de conseil et d’accompagnement au sens de I de l’article L. 232-2 du Code de l’énergie.

A ce titre, à la différence des autres opérateurs dont l’agrément sera valable sur le périmètre national, celui des collectivités et leurs groupements ne sera toutefois valable que dans leur ressort territorial respectif.

Enfin, l’article R. 232-6 du Code de l’énergie prévoit que la procédure de vérification pourra être complétée d’opérations de contrôle en vue de s’assurer des engagements et obligations qui s’imposent aux accompagnateurs. A cet égard, l’Anah devra mettre en place une programmation pluriannuelle de contrôle et, les collectivités, leurs groupements, ainsi que les structures ayant contractualisés avec eux pour assurer le rôle de guichets, pourront procéder à des signalements auprès de l’Agence.

En cas de manquements graves ou répétés constatés et/ou si l’opérateur ne satisfait plus aux conditions de compétence, de probité et d’indépendance, il ressort du projet d’article R. 232-5 du Code de l’énergie que l’Anah pourra retirer l’agrément à tout moment après avoir mis l’accompagnateur en mesure de présenter ses observations dans un délai qui ne saurait être inférieur à 15 jours.

Afin de protéger le ménage d’un éventuel retrait de l’agrément de son accompagnateur, il est prévu que ce retrait ne remette toutefois pas en cause la validité de l’accompagnement pour la délivrance des primes à la rénovations énergétique.

En cohérence avec ce qui précède, les articles 2 et 3 du projet de décret confient à l’Anah de nouvelles missions en lien avec les dispositions sur l’agrément des accompagnateurs. En outre ces dispositions lui donnent également pour mission « de susciter, animer, coordonner, faciliter et, le cas échéant, réaliser toutes opérations visant à promouvoir le développement et la qualité du parc existant de logements privés » et ayant pour objet la réalisation d’économies d’énergie et de réduction d’émissions de gaz à effet de serre et la lutte contre le réchauffement climatique et l’adaptation au changement climatique.

De même, il est précisé que l’Anah peut « participer sous forme de subventions ou par voie de convention à l’accompagnement des ménages s’engageant dans des projets de rénovation énergétique ».

3. L’articulation entre les guichets et les opérateurs d’accompagnement

L’articulation entre les opérateurs d’accompagnement et les guichets d’information, de conseil et d’accompagnement du service public est précisée par le projet d’article R. 232-4 du Code de l’énergie.

A ce titre, il est indiqué que les guichets mentionnés au I de l’article L. 232-2 du Code de l’énergie sont constitués soit des collectivités territoriales ou de leurs groupements qui contribuent au SPPEH en régie, soit des structures de droit privé ayant contractualisé avec ces derniers pour la mise en œuvre du SPPEH.

Ces dispositions précisent que ces guichets constituent le point d’entrée privilégié du ménage dans son parcours d’accompagnement. Pour les projets de travaux conditionnés à l’accompagnement obligatoire au titre de l’article L. 232-3 du Code de l’énergie, ces guichets orientent le ménage vers un accompagnateur agréé adapté à sa situation personnelle, notamment lorsqu’un besoin d’accompagnement social renforcé est identifié, et peuvent assurer un rôle d’assistance auprès des accompagnateurs et des ménages en cours de prestation.

Par ailleurs, le projet de décret indique que ces structures peuvent également assurer elles-mêmes la mission d’accompagnement, à condition qu’elles soient agréées conformément à l’article R. 232-3 du Code de l’énergie susmentionné.

Cette possibilité d’entrer dans le parcours d’accompagnement par un tel guichet est toutefois mentionnée sans préjudice de la possibilité d’y entrer directement par un accompagnateur agréé.

A cet égard, Amorce, le CLER, la FNCAUE et l’Anil ont néanmoins demandé qu’il soit obligatoire, pour que le ménage bénéficie de l’aide à l’Accompagnateur Rénov’, de passer par le guichet unique afin de bénéficier d’un échange avec un conseiller France Rénov’. Selon ces associations, cette obligation permettrait de mieux garantir la qualité des projets de travaux en permettant au conseiller France Rénov’ de présenter au ménage les différentes solutions de rénovation énergétique à envisager (dont la rénovation globale) avant de le renvoyer vers l’Accompagnateur Rénov’.

Ces guichets sont en outre informés des accompagnements réalisés et en cours de réalisation via un système d’information mis en place par l’Anah qui traite toutes les données relatives aux opérateurs agréés et aux prestations d’accompagnement.

La concertation ayant pris fin depuis le 25 février, le décret devrait être publié au printemps 2022.

 

Yann-Gaël NICOLAS et Thomas ROUVEYRAN

Les apports de la loi 3 DS en matière énergétique

La loi n° 2022-217 du 21 février 2022 relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l’action publique locale, dite loi 3 DS, a été publiée le 22 février 2022.

Cette loi comporte nombre d’apports, sur lesquels nous aurons l’occasion de nous pencher dans une prochaine Lettre d’actualité juridique spéciale loi 3 DS. D’ores et déjà, en voici un aperçu s’agissant de ses dispositions en matière énergétique.

Celles-ci ont d’abord pour objet de compléter l’encadrement du développement des énergies renouvelables que sont l’électricité à partir d’éoliennes et le biogaz. Elles visent ensuite à préciser le statut des canalisations et conduites de gaz à l’intérieur des immeubles et les responsabilités afférentes en matière d’entretien et de renouvellement, dans la continuité de ce qui a été déjà prévu pour les colonnes montantes électriques aux termes de la loi ELAN[1]. Enfin, et parce que les installations de gaz sont éminemment à risque ainsi que des évènements encore récents ont pu le montrer, la loi 3 DS ajoute de nouvelles dispositions pour renforcer la sécurité des réseaux de gaz.

1. Encadrer le développement de certaines énergies renouvelables

L’implantation d’éoliennes susceptible d’être réglementée dans le PLU ou le PLUI

La loi 3 DS consacre la possibilité pour le règlement du PLU ou du PLUI de délimiter des secteurs dans lesquels l’implantation d’éoliennes est soumise à conditions, dès lors qu’elles sont incompatibles avec le voisinage habité ou avec l’usage des terrains situés à proximité ou qu’elles portent atteinte à la sauvegarde des espaces naturels et des paysages, à la qualité architecturale, urbaine et paysagère, à la mise en valeur du patrimoine et à l’insertion des installations dans le milieu environnant (nouvel art. L. 151-42-1 du Code de l’urbanisme).

Les communes ou EPCI ont la possibilité de recourir à la procédure de modification simplifiée du PLU (ou PLUI) pour intégrer ce conditionnement de l’implantation des éoliennes.

Ces modifications des PLU et PLUI destinées à encadrer l’implantation des éoliennes sont en revanche limitées dans le temps puisqu’elles doivent (le cas échéant) entrer en vigueur avant le 24 août 2027.

En définitive, en donnant un pouvoir à la commune ou à l’intercommunalité en matière d’implantation de ces installations parfois décriées, ces dispositions seront l’occasion de clarifier les attentes locales et de donner une visibilité aux exploitants de ces installations.

De nouvelles mesures pour le développement du biogaz

De nouvelles dispositions sont intégrées au sein du Code de l’énergie afin d’intégrer, parmi les missions des gestionnaires des réseaux de transport et de distribution de gaz naturel, l’ensemble des activités liées au comptage de la production de biogaz incluant notamment la fourniture, la pose, l’entretien et le renouvellement des dispositifs de comptage ainsi que la gestion de l’ensemble des données afférentes.

Par ailleurs, les fournisseurs de gaz naturel soumis à l‘obligation de conclusion d’un contrat d’obligation d’achat de biogaz avec tout producteur de biogaz qui en fait la demande, et qui ne respectent pas cette obligation, sont désormais passibles de sanctions (pécuniaire ou retrait d’autorisation).

La loi 3 DS complète en outre le Code de l’énergie s’agissant des contrôles réalisés sur les installations de production de biogaz bénéficiant de dispositifs de soutien (complément de rémunération ou obligation d’achat). Ces contrôles seront effectués aux frais du producteur par des organismes agréés, selon des modalités qui seront précisées par décret.

Au total, ce sont là des dispositions de nature à compléter le cadre juridique de l’injection de biogaz dans les réseaux de transport et de distribution de gaz afin d’en favoriser le développement, en anticipation, à la date d’adoption de cette loi, des alternatives qui doivent être trouvées, aux plans stratégique comme économique, au gaz naturel, gaz d’origine fossile.

2. Une clarification bienvenue du statut des canalisations et conduites de gaz situées dans les immeubles

La clarification de la propriété des canalisations et conduites de gaz situées dans les immeubles

Il est désormais clarifié que les canalisations mises en service à compter de la promulgation de la loi 3DS font partie du réseau public de distribution de gaz appartenant aux autorités concédantes de la distribution de gaz.

Et, concernant les canalisations existantes, sauf opposition des propriétaires d’immeubles destinée à en revendiquer la propriété, les canalisations de gaz situées en amont du compteur entreront toutes dans le réseau public selon le calendrier suivant :

  • pour les canalisations situées dans les parties communes à compter du 1er août 2023, sauf si les propriétaires procèdent à un transfert anticipé avant cette date auquel cas le transfert intervient à ladite date ;
  • pour les canalisations situées à l’intérieur des parties privatives :
    • le 1er août 2023, si le contrat de concession de distribution de gaz localement applicable prévoit déjà que le gestionnaire est chargé d’assurer leur maintenance et leur renouvellement ;
    • dans le cas contraire : à compter du 1er août 2026, ou à une date antérieure sous réserve de la réalisation d’une visite de contrôle par le gestionnaire du réseau.

Les obligations qui pèsent en conséquence sur les propriétaires et les gestionnaires des réseaux de distribution de gaz

Dès lors que les canalisations situées en amont des compteurs auront été transférées dans le réseau public, les propriétaires ne demeureront responsables que des seules installations intérieures situées en aval des compteurs.

Les canalisations situées en amont des compteurs seront en revanche placées sous la responsabilité des gestionnaires des réseaux de distribution de gaz à qui il reviendra de les entretenir et de les renouveler, dans les conditions prévues par les contrats de concession conclus avec les autorités concédantes (communes ou syndicats d’énergie pour l’essentiel).

Les transferts s’effectuent à titre gratuit et les gestionnaires de réseaux ne peuvent, ni s’opposer au transfert automatique, ni réclamer de contrepartie, en particulier financière, aux propriétaires.

Le tarif supporté par les usagers à travers leurs factures de gaz (ce tarif étant dénommé « ATRD ») et fixé au niveau national intégrera les coûts générés par ces transferts.

3. De nouvelles mesures pour renforcer la sécurité des réseaux de gaz

Les nombreux incidents dernièrement survenus sur le réseau de gaz incitent à la prévention.

La 3 DS élargit ainsi la faculté pour un gestionnaire de distribution de gaz de couper l’accès au gaz d’un consommateur à de nouvelles hypothèses, et notamment à celle d’un refus opposé à deux reprises à des demandes de visites des canalisations situées en amont du compteur à l’intérieur des parties privatives, préalablement à leur intégration dans le réseau public.

La faculté de couper l’accès est en outre étendue au cas dans lequel le danger grave et immédiat pour la sécurité provient, non pas de ses appareils et équipements, mais d’une canalisation utilisée pour l’alimenter.

Il est par ailleurs explicitement prévu que le fait de porter atteinte volontairement au bon fonctionnement des ouvrages et installations de distribution ou de transport de gaz naturel, aux installations de production de biogaz, aux installations de stockage souterrain de gaz, aux installations de gaz naturel liquéfié ou aux ouvrages et installations de distribution ou de transport d’hydrocarbures, constitue une infraction pénale.

En conclusion et plus largement, dans ce domaine de la distribution publique de gaz naturel, l’attention sera utilement portée par les autorités organisatrices de la distribution publique de gaz, qui vont prochainement renouveler leurs contrats de concession, sur l’inventaire de leur réseau, en ce compris les canalisations et conduites de gaz situées dans les immeubles, sur son état d’entretien et sur l’élaboration d’un schéma directeur des investissements à la hauteur des enjeux de leur territoire et de l’état de leur réseau.

 

Marie-Hélène PACHEN-LEFEVRE et Marianne HAUTON

 

[1] LOI n° 2018-1021 du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique

Du nouveau dans la prise en charge des maladies nosocomiales

Dans un arrêt du 1er février 2022, ici commenté, le Conseil d’Etat fixe deux nouveaux principes susceptibles d’élargir le champ de la prise en charge, au titre de la solidarité nationale, des maladies nosocomiales, tel que fixé par les dispositions de l’article L. 1142-1-1 du Code de la santé publique.

Dans cette affaire, Monsieur B. avait subi en 2009 une intervention chirurgicale en suite de laquelle il a contracté une importante infection, lui ayant laissé des séquelles irréversibles. S’agissant d’une maladie contractée à l’hôpital, les premiers juges ont estimé qu’il s’agissait d’une maladie nosocomiale ouvrant droit à indemnisation par l’Office national d’indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM). La Cour administrative d’appel a infirmé ce jugement au motif que l’infection contractée par Monsieur B. avait pour cause directe un accident médical survenu après son opération et en lien avec la pathologie dont il était affecté.

Le Conseil d’Etat, sur le fondement de l’article L. 1142-1-1 du Code de la santé publique, juge que l’infection étant survenue au cours et par suite de la prise en charge du patient à l’hôpital, était caractéristique d’une maladie nosocomiale, sans qu’il y ait lieu de tenir compte de ce que la cause directe de cette infection avait le caractère d’un accident médical, fautif ou non. La Haute juridiction considère donc que la seule prise en charge dans un établissement de santé peut justifier la survenance d’une maladie nosocomiale indemnisée au titre de la solidarité nationale, quand bien même une erreur aurait été commise à l’occasion d’un acte médical ultérieur.

Pour mémoire, l’article L. 1142-1-1 du Code de la santé publique dispose :

« Sans préjudice des dispositions du septième alinéa de l’article L. 1142-17, ouvrent droit à réparation au titre de la solidarité nationale :

1° Les dommages résultant d’infections nosocomiales dans les établissements, services ou organismes mentionnés au premier alinéa du I de l’article L. 1142-1 correspondant à un taux d’atteinte permanente à l’intégrité physique ou psychique supérieur à 25 % déterminé par référence au barème mentionné au II du même article, ainsi que les décès provoqués par ces infections nosocomiales ; […] ».

Dans ce même arrêt, le Conseil d’Etat, d’autre part, affirme que la communication par un établissement de santé d’un dossier médical incomplet n’est pas constitutive d’un manquement fautif de la part de cet établissement, semblant assouplir l’obligation de communication des informations médicales pesant sur les établissements de santé posée par l’article L. 1111-7 du Code de la santé publique.

L’absence de besoins sur le territoire en matière de lieu de vie et d’accueil : pas un motif de refus de création de ces lieux d’accompagnement continu !

Par un arrêt du 18 novembre 2021, les juges de la Cour administrative d’appel de Lyon se sont prononcés sur les motifs pouvant justifier la décision refusant la création d’un lieu de vie et d’accueil (LVA).

Les LVA, lieux d’accompagnement continu et quotidien de petits groupes notamment constitués de mineurs, sont soumis à une autorisation de création et à certains contrôles effectués par le département, tout en leur reconnaissant une souplesse dans le mode de fonctionnement. En ce sens, leur régime ressemble à celui des établissements et services sociaux et médico-sociaux (ESSMS) tout en constituant une catégorie bien distincte de ces derniers.

Dans l’arrêt analysé, il s’agissait d’une personne qui avait sollicité auprès du Président du Conseil départemental concerné une autorisation de créer un LVA de six places, destiné à accueillir des enfants confiés à l’aide sociale à l’enfance (ASE) et présentant des troubles psychologiques, du comportement et de l’attachement. Le Président du Conseil départemental avait pris la décision de refuser le projet de la demanderesse au motif que la création d’un tel LVA ne répondait pas aux besoins du département. La demandeuse a alors formé un recours afin de voir cette décision annulée.

Le Tribunal administratif de Dijon avait d’abord confirmé la décision du Département en considérant qu’il n’avait pas commis d’erreur d’appréciation en refusant, sur ce motif, de faire droit à la demande de création du LVA. Pour cela, les juges s’étaient notamment fondés sur l’article L. 221-2 du Code de l’action sociale et des familles (CASF) relatif au service de l’ASE qui prévoit que «  […] le département organise sur une base territoriales les moyens nécessaires à l’accueil et à l’hébergement des enfants confiés au service » et avaient relevé, notamment, l’existence de huit LVA correspondant à une soixantaine de places, lesquelles n’étaient occupées qu’à hauteur de la moitié (TA Dijon, 19 décembre 2019, n° 1901543).

En appel, les juges ont annulé la décision du Tribunal. Ils ont rappelé que l’autorisation d’ouvrir un LVA ne pouvait être refusée qu’à l’appui d’un des motifs énumérés à l’article L. 313-4 du CASF (et non sur le fondement de l’article L. 221-2 suscité) et que les conditions posées au 1 et 4° de cet article (prévoyant notamment la nécessaire comptabilité du projet avec les besoins sociaux et médico-sociaux fixés par le schéma régional de santé ou par le schéma d’organisation sociale et médico-sociale) ne s’appliquaient pas aux LVA (et seulement aux ESSMS). Ils ont ainsi conclu que le refus opposé par le Département à la demanderesse au motif que la création d’un LVA n’était pas justifiée au regard des besoins du département, qui ne figure pas parmi les critères applicables aux LVA, était illégal.

Cet arrêt revient ainsi sur la position antérieure de la jurisprudence qui avait pu considérer que la décision refusant la création d’un LVA avait pu se fonder, notamment, sur le fait que le nombre de LVA existants satisfaisait les demandes de placement et que le nombre d’assistantes maternelles employées par le Département répondait de manière satisfaisante tant aux besoins spécifiques d’accueil qu’aux problématiques liées plus particulièrement à celles ciblées par le projet de l’association requérante pour considérer que la décision du Département (CA de Nancy, 22 juin 2009, n° 07NC01669).

Cependant, cet arrêt relevait que le Président du Conseil départemental avait également apprécié la pertinence du projet présenté.

Ainsi, la décision du 18 novembre dernier nous précise qu’un refus de création d’un LVA ne peut être motivé par le seul fait que les besoins du territoire seraient déjà satisfaits. Il revient au Président du Conseil départemental d’analyser le projet et, en outre, de préciser, conformément à l’article L. 313-4 du CASF, quelle(s) règle(s) d’organisation et de fonctionnement prévue(s) par le CASF le projet ne respecte pas.

Si la décision des juges en appel est conforme à la lettre de l’article L. 313-4 du CASF, ses fragilités peuvent néanmoins être soulevées. D’une part, le législateur a prévu, au titre des critères de délivrance d’une autorisation, la prise en compte de l’adéquation du projet aux besoins sociaux et médico-sociaux du territoire. Si les LVA ne relèvent pas de ces schémas dans la mesure où ils n’ont pas être prévus dans ces derniers, il n’est pas certain que le législateur, en visant les besoins sociaux et médico-sociaux fixés par ces schémas, ait entendu exclure les LVA de ce critère. D’autre part, il ressort de cette décision que tout projet de LVA respectant les règles de fonctionnement et d’organisation devrait être autorisé. Or, la création d’un LVA n’est pas un acte sans conséquence pour le département. Au-delà de l’octroi de l’autorisation, le département aura une mission de contrôle, impliquant une mobilisation de moyens humains au sein de la collectivité et l’engagement de la responsabilité du Président en cas de dysfonctionnement rencontré dans la prise en charge des jeunes confiés.

Extension du régime des logiciels créés par des salariés ou des agents publics à toutes les personnes exerçant une mission de recherche (notamment les stagiaires et doctorants)

Depuis cette ordonnance du 15 décembre 2021, le régime des logiciels créés par des personnes non-salariées accueillies au sein d’une personne morale (de droit public ou privé) réalisant de la recherche a été aligné sur celui des salariés et agents publics.

Ainsi, a été inséré, dans le Code de la propriété intellectuelle, un nouvel article L. 113-9-1 qui dispose que :

« Sauf stipulations contraires, lorsque des personnes qui ne relèvent pas de l’article L. 113-9 et qui sont accueillies dans le cadre d’une convention par une personne morale de droit privé ou de droit public réalisant de la recherche créent des logiciels dans l’exercice de leurs missions ou d’après les instructions de la structure d’accueil, leurs droits patrimoniaux sur ces logiciels et leur documentation sont dévolus à cette structure d’accueil, seule habilitée à les exercer, si elles se trouvent à l’égard de cette structure dans une situation où elles perçoivent une contrepartie et où elles sont placées sous l’autorité d’un responsable de ladite structure. Toute contestation sur l’application du présent article est soumise au tribunal judiciaire du siège social de la structure d’accueil ».

Cette disposition instaure donc une dévolution automatique des droits patrimoniaux de l’auteur du logiciel (et de sa documentation) au profit de la personne morale qui accueille l’auteur de ce logiciel, y compris lorsque cette personne n’est ni salariée ni agent public, sous réserve des conditions cumulatives suivantes :

  • La personne morale concernée réalise de la recherche (il n’est pas précisé si cette activité doit être réalisée à titre principal ou non) ;
  • Le logiciel a été créé dans l’exercice des missions de son auteur, ou d’après les instructions de la structure d’accueil ;
  • L’auteur du logiciel perçoit une contrepartie ; il n’est pas précisé s’il s’agit d’une contrepartie à la dévolution du logiciel ou une contrepartie pour la mission qui lui est confiée au sein de la structure, toutefois, on voit mal pourquoi il serait institué un régime plus favorable que le régime de droit commun (celui des salariés et agents publics, prévu à l’article L. 113-9 du Code de la propriété intellectuelle) qui ne prévoit aucune contrepartie à la dévolution des droits d’auteur à l’employeur ;
  • L’auteur est placé sous l’autorité d’un responsable de la structure.

Cette disposition vise spécifiquement les stagiaires, doctorants ou professeurs qui ne sont souvent pas liés par un contrat de travail à leur structure d’accueil (ou bien dont le contrat est insuffisamment précis sur la question des droits de la propriété intellectuelle), ce qui avait traditionnellement pour conséquence d’écarter toute dévolution de leurs droits d’auteurs sur les logiciels créés au profit de leur structure d’accueil, qui n’ont que rarement le réflexe de faire signer des contrats de cession de droits à leurs stagiaires.

Une disposition similaire a été prévu par cette même ordonnance s’agissant des inventions, en introduisant un article L. 611-7-1.

Accords-cadres : précisions sur le champ d’application de l’obligation d’indiquer un maximum de commandes

CE, 3 février 2022, Société Fore Iles du Nord, n° 457233

 

Le 17 juin 2021, la Cour de justice de l’Union Européenne (CJUE) avait rendu un arrêt Simonsen & Weel A/S (aff. C-23/20) par lequel elle avait dit pour droit que les avis de marché ayant pour objet la passation d’un accord-cadre doivent indiquer la quantité et/ou la valeur estimée ainsi qu’une quantité et/ou une valeur maximale des produits à fournir. La CJUE avait déduit ce principe non pas d’une interprétation littérale de la directive 2014/24/UE du 26 février 2014 – qui n’imposait aucune obligation expresse de prévoir un maximum de commandes dans les accords-cadres – mais des principes de transparence et d’égalité de traitement, ainsi que de l’économie générale de la directive (cf. notre brève sur cet arrêt ici).

Cette jurisprudence a été rapidement transposée en droit national, par le décret n° 2021-1111 du 23 août 2021 qui a supprimé la possibilité pour les acheteurs de passer des accords-cadres sans maximum. Néanmoins, le décret a précisé que ces nouvelles dispositions relatives aux accords-cadres ne s’appliqueraient qu’aux marchés pour lesquels une consultation est engagée ou un avis d’appel à la concurrence est envoyé à la publication à compter du 1er janvier 2022.   

Dans l’affaire ayant donné lieu à la décision n° 456418 du 28 janvier 2022 ici commentée, le Conseil d’Etat a été amené à se prononcer pour la première fois sur les conséquences à tirer de l’arrêt Simonsen & Weel A/S en matière de référé précontractuel, et ce dans l’hypothèse particulière où le recours visait une procédure pour laquelle un avis d’appel public à la concurrence avait été publié au BOAMP le 8 mai 2021, soit antérieurement à l’arrêt Simonsen & Weel A/S du 17 juin 2021 et, a fortiori, à l’entrée en vigueur des dispositions du décret du 23 août 2021.

Dans cette affaire, la Communauté de communes Convergence Garonne avait engagé une procédure d’appel d’offres ouvert en vue de l’attribution d’un marché sous forme d’accord-cadre ayant pour objet la collecte en porte-en-porte et en apport volontaire, tri et valorisation des déchets. La Société COVED, candidate évincée pour l’attribution du lot n°1, a obtenu du Juge des référés du Tribunal administratif de Bordeaux l’annulation des décisions relatives à la procédure de passation de ce lot.

Saisi en cassation par la Communauté de communes, le Conseil d’Etat juge qu’il résulte de l’arrêt Simonsen & Weel A/S dégage le principe suivant :

« 6. Il résulte de l’arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne mentionné au point 5 que, pour tout appel à concurrence relatif à un marché destiné à être passé sous la forme d’un accord-cadre qui, eu égard à son montant, entre dans le champ d’application de cette directive, l’avis publié à cet effet doit comporter la mention du montant maximal en valeur ou en quantité que prévoit le pouvoir adjudicateur, cette indication pouvant figurer indifféremment dans l’avis de marché ou dans les documents contractuels mentionnés dans l’avis de marché et librement accessibles à toutes les personnes intéressées. Il n’en va différemment que pour les accords-cadres qui ne sont pas régis par cette directive, pour lesquels le décret du 23 août 2021, modifiant notamment les dispositions de l’article R. 2162-4 du code de la commande publique, a supprimé la possibilité de conclure un accord-cadre sans maximum, en différant, en son article 31, l’application de cette règle aux avis de marché publiés à compter du 1er janvier 2022 afin de ne pas porter une atteinte excessive aux intérêts privés et publics en cause ».

En d’autres termes, le Conseil d’Etat précise le champ d’application temporel de l’obligation d’indiquer dans l’avis de marché le montant maximal en valeur ou en quantité de la façon suivante :

  • Pour les marchés d’une valeur supérieure au seuil de procédure formalisée et entrant donc, de ce fait, dans le champ d’application de la directive 2014/24/UE : cette obligation s’applique quelle que soit la date de publication de l’avis de marché, par l’effet de l’arrêt Simonsen & Weel A/S, et ce même si la publication de l’avis de marché est antérieure audit arrêt, la jurisprudence de la CJUE étant revêtue d’un effet rétroactif (CJCE 27 mars 1980, Denkavit Italiana, Aff. C-61/79);
  • Pour les marchés d’une valeur inférieure au seuil de procédure formalisée : cette obligation s’applique lorsque l’avis de marché est publié postérieurement au 1erjanvier 2022, par l’effet des dispositions du Code de la commande publique telles que modifiées par le décret du 23 août 2021.

Faisant application de ce principe au cas d’espèce, le Conseil d’Etat constate que le Juge des référés du Tribunal administratif n’a pas dénaturé les pièces du dossier en jugeant, d’une part, que ni l’avis de marché, ni le cahier des clauses techniques particulières, ni aucune autre pièce du marché ne mentionnait la quantité ou la valeur maximale des produits à fournir dans le cadre du lot n° 1 de l’accord-cadre litigieux, lequel relevait du champ d’application de la directive 2014/24/UE et, d’autre part, que le défaut de mention d’un maximum de commandes n’avait pas mis la Société requérante à même de présenter une offre adaptée aux prestations maximales auxquelles elle pourrait être amenée à répondre, ce qui avait donc pu la léser. Le Conseil d’Etat en conclut que la Communauté de communes n’est pas fondée à demander l’annulation de l’ordonnance de référé et rejette son pourvoi.

Dans la foulée, le Conseil d’Etat a eu à connaitre d’une seconde affaire relative à la même problématique, concernant cette fois-ci une procédure d’appel d’offres lancée en janvier 2021 – donc, là encore, avant que ne soit rendue l’arrêt Simonsen & Weel A/S et l’entrée en vigueur des dispositions du décret du 23 août 2021 – par la collectivité de Saint-Martin en vue de la passation d’un accord-cadre à bons de commande en matière de formation professionnelle, contre laquelle un concurrent évincé pour l’attribution du lot n° 2 avait introduit un recours en référé précontractuel.

Saisi par la Collectivité de Saint-Martin (qui s’est désistée par la suite) et la société attributaire d’un pourvoi contre l’ordonnance du Juge des référés du Tribunal administratif de Saint-Martin ayant annulé la procédure, le Conseil d’Etat a dû déterminer si les marchés passés pour la fourniture de services sociaux entraient dans le champ d’application de l’arrêt Simonsen & Weel A/S. A cette question, il a répondu sans surprise par l’affirmative et pour cause : dès lors que les marchés en question sont d’une valeur égale ou supérieure aux seuils de procédure formalisée, ils entrent dans le champ de la directive 2014/UE/24, même si celle-ci prévoit, pour ces marchés particuliers, des procédures de passation allégées.

Par ailleurs, dans le cadre d’un raisonnement que le Rapporteur public Marc de Pichon de Vendeuil a lui-même qualifié d’ « astucieux », la Société requérante soutenait que les règles particulières applicables pour les marchés de services sociaux ne renvoyaient pas explicitement aux informations devant figurer dans les accords-cadres selon le C de l’annexe V, visé par l’arrêt Simonsen & Weel A/S, mais qu’au contraire, l’article 75 de la directive prévoit que les  pouvoirs adjudicateurs qui entendent passer un marché pour des services sociaux font connaître leur intention par un avis de marché ou un avis de pré-information qui comportent respectivement les informations mentionnées aux parties H ou I de l’annexe V, lesquelles ne comportent aucune référence à un montant  maximal en valeur ou en quantité.

Malgré la subtilité du raisonnement, le Conseil d’Etat écarte le moyen, dans les termes suivants :

« 7. Si la société requérante soutient cependant que la partie H de l’annexe V de la directive du 26 février 2014, relative au contenu des avis de marché passés pour la fourniture de services sociaux, n’impose pas de faire figurer un montant maximal en vue de la passation d’un accord-cadre, sa partie I prévoit toutefois que l’avis de préinformation doit comporter une  » brève description du marché en question comprenant la valeur totale estimée du marché  » et les formulaires prévus aux annexes XVIII et XIX du règlement d’exécution (UE) 2015/1986 du 11 novembre 2015, respectivement consacrés aux avis de préinformation et de marchés de services sociaux, comportent des mentions relatives, pour les accords-cadres, à leur valeur totale maximale pour toute leur durée. Par suite, contrairement à ce que soutient la société requérante, le juge des référés du tribunal administratif de Saint-Martin n’a pas commis d’erreur de droit en jugeant que cette obligation s’appliquait aux marchés de services sociaux et, par voie de conséquence, à la procédure de passation de l’accord-cadre en litige ».

Par suite, le Conseil d’Etat a considéré que le Juge des référés n’avait pas inexactement qualifié les faits en retenant que l’absence dans l’avis d’appel à concurrence de mention de la quantité ou valeur maximale des prestations à fournir en vertu de l’accord-cadre en litige n’avait pas mis la société requérante à même de présenter une offre adaptée aux prestations maximales auxquelles elle pourrait être amenée à répondre. Il a donc, comme pour l’affaire précédente, rejeté le pourvoi.

Suppression de la taxe d’habitation : intégration des rôles émis jusqu’au 15 novembre 2021 aux ressources compensées

La loi de finances pour 2020 a, en son article 16, acté la suppression de la taxe d’habitation sur les résidences principales (THP). Cette suppression entrainant une importante perte de ressources pour les collectivités, notamment pour les communes, les établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre (EPCI-FP), la Métropole de Lyon et la ville de Paris, des mécanismes de compensation ont également été définis par cette disposition. Ces mécanismes de compensation se fondent notamment sur les bases d’imposition de THP pour 2020.

A la suite de cette suppression, la loi de finances pour l’année 2022 a, par son article 41, notamment modifié les éléments pris en compte pour le calcul de la compensation de la suppression de la taxe d’habitation. En effet, en 2020, la crise sanitaire a affecté les opérations d’identification des bases d’imposition de THP et plusieurs collectivités ou groupement ont pu constater une minoration de leurs bases d’imposition de THP lors de l’émission du rôle général et des rôles supplémentaires en 2020 par rapport aux années précédentes, ainsi que l’émission de rôles supplémentaires importants en 2021 au titre de l’année 2020.

Or, aux termes de l’article 16 de la loi de finances pour 2020, ces rôles émis en 2021 n’étaient pas pris en compte pour le calcul de la compensation, entrainant par conséquent une minoration de la compensation accordée aux communes, aux EPCI-FP, à la Métropole de Lyon et à la ville de Paris, pour les années à venir. La loi de finances a donc intégré dans les ressources qui seront compensées les rôles supplémentaires de TH émis jusqu’au 15 novembre 2021, qui correspond à la date « à laquelle a pris fin la campagne de rattrapage de mise à jour des bases d’imposition à la THP » (motifs de l’amendement n° I-2034).

Les travaux parlementaires indiquent à cet égard que le montant de cette révision du mécanisme de compensation s’élève environ à 60 millions d’euros (Rapport n° 4787 de M. Laurent SAINT-MARTIN, fait au nom de la commission des finances, déposé le 8 décembre 2021). 

Par ailleurs, ce même article 41 retire du panier de ressources transférées la moyenne annuelle des rôles supplémentaires (RS) de taxe foncière sur les propriétés bâties (TFPB) émis au profit du département sur le territoire de la commune entre 2018 et 2020.

Communautés de communes et d’agglomération : l’illégalité de l’accord local sur la répartition des sièges équivaut à une absence d’accord

Par un jugement du 22 décembre 2021, le Tribunal administratif de Nantes a apporté des précisions sur l’autorité compétente pour définir le nombre et la répartition des sièges des conseils communautaires des communautés de communes et communautés d’agglomération.

En effet, en application de l’article L. 5211-6-1 du Code général des collectivités territoriales (CGCT), les conseils municipaux des communes membres d’une communauté de communes ou d’une communauté d’agglomération peuvent s’accorder selon des règles de majorité qualifiée prévues par cet article, avant chaque renouvellement général des conseils municipaux, sur le nombre et la répartition des sièges du conseil communautaire. A défaut d’accord, des critères légaux sont fixés par cette disposition, et le nombre de sièges et leur répartition sont constatés par arrêté préfectoral.

Dans l’affaire portée devant le Tribunal administratif de Nantes, les conseils municipaux des communes membres d’une communauté d’agglomération avaient adopté en 2019 et en vue du renouvellement général de 2020, à la majorité qualifiée légalement prévue, un accord local sur le nombre et la répartition des sièges du conseil communautaire. Considérant que cet accord ne répondait pas aux exigences de l’article L. 5211-6-1 du CGCT, le préfet a fixé ce nombre et cette répartition par arrêté préfectoral. Une commune a alors sollicité l’annulation de cette décision, soutenant que le préfet ne pouvait procéder à une telle répartition dès lors qu’il existait un accord local, que celui-ci aurait d’ailleurs pu déférer devant la juridiction s’il l’estimait illégal.

Le Tribunal administratif, considérant que l’accord local adopté méconnaissait en effet les dispositions de l’article L. 5211-6-1 du CGCT, a rejeté la requête et donc le raisonnement de la commune aux motifs que, « En l’absence d’accord local remplissant les conditions légales fixées au I de l’article L. 5211-6-1 du code général des collectivités territoriales, la composition de l’organe délibérant devait être établie selon les dispositions prévues aux II à VI du même article, conformément au I de cet article. Il en résulte que seul le préfet était compétent pour fixer et répartir le nombre de sièges de conseillers communautaires de la communauté  » Agglomération du Choletais  » ».

Ainsi, en cas d’accord local, le préfet peut, s’il considère cet accord illégal, directement adopter un arrêté de répartition sur la base des règles de droit commun, sans avoir à contester au préalable ledit accord.

Le droit de préemption urbain : un outil efficace pour garantir la pérennité des librairies

Par décret n° 2021-217 du 25 février 2021 modifiant les décrets n° 2020-1262 du 16 octobre 2020 et n° 2020-1310 du 29 octobre 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l’épidémie de Covid-19 dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire, les commerces de détail de livres – les librairies – ont été reconnus comme essentiels à la vie et donc autorisées à ouvrir en cas de confinement.

C’est dire l’importance que jouent les librairies dans une démocratie.

Par un arrêt en date du 25 janvier 2022, la Cour administrative d’appel de Douai rappelle que les collectivités titulaires du droit de préemption urbain peuvent intervenir pour s’assurer de la pérennité d’une librairie menacée de disparaître avec la vente des murs qui l’accueillent.

En l’espèce, les locaux de la librairie « La Bailleuloise » dans la commune de Bailleul ont été mis en vente par son propriétaire, à la suite du départ à la retraite du propriétaire du fonds de commerce de librairie et, l’acquéreur trouvé projetait d’y installer un cabinet d’assurances.

Par délibération en date du 12 octobre 2017, le conseil municipal de la ville a décidé d’exercer son droit de préemption pour l’acquisition des locaux accueillant cette librairie.

Dans cette décision, la Cour administrative d’appel de Douai considère que la commune pouvait légalement préempter pour s’assurer de la pérennité de la destination commerciale et du maintien, par sa mise à bail, d’une activité équivalente à celle de la librairie existante, dans les locaux actuels au regard de sa situation géographique stratégie, en plein centre-ville.

Elle ajoute, qu’un tel projet présente un intérêt général suffisant au regard de son prix d’acquisition qui est conforme aux données du marché immobilier local déterminé par le service des Domaines et non disproportionné au regard des capacités financières de la commune de Bailleul.

Enfin, elle considère qu’aucune pièce du dossier ne permet d’établir que les locaux acquis ne seraient pas adaptés à l’activité de librairie.

Ainsi, à condition de pouvoir justifier de la réalité du projet, cette décision donne aux collectivités titulaires du droit de préemption un outil précieux pour garantir la pérennité de ces commerces de première nécessité.

Responsabilité décennale : précisions sur la volonté tacite et non équivoque du maître de l’ouvrage de réceptionner les travaux

Dans cette affaire, un couple avait fait édifier en 2006 un immeuble à usage d’habitation selon un contrat de construction de maison individuelle par société en liquidation judiciaire depuis. Cette maison a, par la suite, été vendue en 2013.

Se plaignant de désordres (fissures affectant les murs de soutènement bordant la descente de garage et la découverte d’anomalies affectant la toiture), les acquéreurs ont recherché la responsabilité décennale des anciens propriétaires vendeurs.

Par arrêt du 24 septembre 2020, la Cour d’appel d’Amiens a déclaré leur action irrecevable au motif de l’expiration du délai de garantie décennale compte tenu de date de réception de l’ouvrage alors fixée au 3 avril 2006.

En l’espèce, à défaut de réception expresse, la Cour d’appel avait considéré que, même si les vendeurs ne justifiaient pas du paiement intégral du prix du contrat de construction, la date d’emménagement dans l’immeuble devait être considérée comme la date de réception tacite, puisqu’aucun élément ne permettait de conclure que l’immeuble n’était pas en mesure d’être réceptionné à cette date.

Les acheteurs se sont alors pourvus en cassation invoquant le fait qu’en se bornant à relever que les vendeurs avaient pris possession de l’ouvrage le 3 avril 2006, date à laquelle ils déclaraient avoir emménagé dans l’immeuble, pour fixer à cette date la réception tacite de l’ouvrage, la Cour d’appel avait statué par des motifs insuffisants à caractériser la volonté non équivoque du maître de l’ouvrage de recevoir les travaux et a violé les articles 1792-4-1 (relatif à l’action en responsabilité décennale) et 1792-6 du Code civil (qui définit la réception des travaux).

La date de réception des travaux est excessivement importante en ce qu’elle fixe le point de départ de la garantie décennale, d’où l’intérêt de caractériser la réception tacite à défaut de réception expresse.

La Haute juridiction a eu l’occasion de rappeler qu’aux termes de cet article, la réception de l’ouvrage peut être tacite si la volonté non équivoque du maître de l’ouvrage d’accepter les travaux est établie.

Selon la Cour de cassation, la seule prise de possession de l’immeuble par le maître de l’ouvrage ne saurait suffire à établir sa volonté tacite, non équivoque, de réceptionner les travaux.

En effet, si la Cour de cassation a déjà approuvé une Cour d’appel qui avait estimé que la date de prise de possession caractérisait la date de réception tacite (Cass. Civ., 3ème, 23 mai 2012, n° 11-10.502), la situation était différente étant donné l’absence de contestation sur le règlement des travaux.

Or, il en va différemment dans la présente affaire puisque le paiement du prix du contrat de construction n’avait pas été soldé dans son intégralité.

Dès lors, il ne saurait y avoir volonté non équivoque.

Cette règle est classiquement rappelée par la Haute juridiction (Cass. Civ., 3ème, 4 octobre 1989, n° 88-12.061).

Modalités d’appréciation de la prestation compensatoire et de la contribution à l’entretien des enfants

L’article 270 du Code civil dispose qu’en cas de divorce, « l’un des époux peut être tenu de verser à l’autre une prestation destinée à compenser, autant qu’il est possible, la disparité que la rupture du mariage crée dans les conditions de vie respectives ». Selon l’article 271, cette prestation est fixée « selon les besoins de l’époux à qui elle est versée et les ressources de l’autre ».

Par ailleurs, l’article 371-2 prévoit que « chacun des parents contribue à l’entretien et à l’éducation des enfants à proportion de ses ressources ».

Dans un arrêt rendu le 12 janvier 2022, la Cour de cassation revient sur les modalités d’appréciation de la prestation compensatoire et de la contribution à l’entretien et à l’éducation des enfants après la séparation des parents.

En l’espèce, il avait été fixé par jugement que l’époux devrait verser à l’épouse un capital de 9.600 euros au titre de la prestation compensatoire et 200 euros au titre de sa contribution mensuelle à l’entretien et à l’éducation des enfants.

En appel de ce jugement, l’époux avait produit de nouvelles pièces relatives à ses dettes et charges, qui diminuaient ses capacités contributives.

Dans un arrêt du 27 août 2019, la Cour d’appel de Colmar confirmait la décision de première instance.

La Cour de cassation casse partiellement cet arrêt.

 Elle affirme qu’il résulte des articles 270 et 271 du Code civil que, pour apprécier la demande de prestation compensatoire, le juge se place à la date à laquelle la décision prononçant le divorce prend force de chose jugée. Elle considère qu’en se déterminant « au vu d’éléments décrivant la situation financière de [l’époux] en première instance, sans rechercher, comme il le lui était demandé, offres de preuve à l’appui, si celle-ci n’avait pas évolué, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision ».

S’agissant de la fixation de la contribution à l’entretien de l’enfant, la Cour rappelle que le juge doit se placer au jour où il statue pour apprécier les ressources des parents. Elle en déduit là encore, qu’en se déterminant sur les éléments financiers avancés en première instance, la Cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision en ne recherchant pas si la situation financière de l’époux avait évolué.

Opposabilité au syndicat des copropriétaires de la clause de conciliation insérée dans un contrat de maîtrise d’œuvre conclu entre une SCI et un architecte

Après qu’une Société Civile Immobilière a fait appel à un architecte pour la construction d’un immeuble, le syndicat des copropriétaires fait constater par huissier des désordres et malfaçons. Après cette expertise, le syndicat décide d’assigner l’architecte en responsabilité et en indemnisation. Celui-ci oppose au syndicat une fin de non-recevoir tirée du défaut de mise en œuvre de la clause instituant une procédure de conciliation obligatoire et préalable à la saisine du juge insérée dans le contrat le liant à la SCI.

La clause prévoyait la saisine préalable du conseil régional de l’ordre des architectes, avant toute saisine du juge.

La Cour d’appel de Reims, dans un arrêt du 17 septembre 2019, déclare irrecevables les demandes du syndicat, au motif que ce dernier n’a pas mis en œuvre la clause de conciliation.

Dans son arrêt du 5 janvier 2022, la Cour de cassation rejette le pourvoi et confirme l’arrêt de la Cour d’appel, qui a « souverainement retenu que le syndicat avait eu connaissance de la teneur du contrat de maîtrise d’œuvre et de la clause lors des opérations d’expertise judiciaire avant l’assignation au fond de l’architecte. Elle a exactement déduit que la clause litigieuse était opposable au syndicat qui recherchait la responsabilité contractuelle de l’architecte ».

Délai biennal de la garantie des vices cachés : forclusion ou prescription ? Opposition entre les première et troisième chambres civiles de la Cour de cassation

Selon les articles 2241 et 2242 du Code civil, « la demande en justice, même en référé, interrompt le délai de prescription ainsi que le délai de forclusion », jusqu’à l’extinction de l’instance.

En revanche, si le délai de prescription peut faire l’objet d’une suspension, conformément à l’article 2239 du Code civil selon lequel « la prescription est suspendue lorsque le juge fait droit à une demande de mesure d’instruction présentée avant tout procès », ce n’est pas le cas du délai de forclusion (Cass. Civ.,3ème, 3 juin 2015, n° 14-15.796).

L’article 1648 du Code civil dispose que « l’action résultant des vices rédhibitoires doit être intentée par l’acquéreur dans un délai de deux ans à compter de la découverte du vice ».

Dans son arrêt du 5 janvier 2022, la troisième chambre civile de la Cour de cassation considère que ce délai de deux ans est un délai de forclusion.

En l’espèce, l’acheteur découvre le 10 décembre 2012 que l’installation d’assainissement du bien qu’il a acheté le 5 juin 2009 est vétuste. Un expert judiciaire est désigné à sa demande par ordonnance du 24 juillet 2013, et rend son rapport le 20 novembre 2015.

Le 28 juin 2016, l’acquéreur assigne les vendeurs en nullité de la vente pour dol et erreur sur les qualités substantielles, puis invoque, pour la première fois en cause d’appel, la résolution de la vente sur le fondement de la garantie des vices cachés.

La Cour d’appel de Rennes, dans un arrêt du 15 septembre 2020, déclare sa demande irrecevable, parce que tardive, en application de l’article 1648 du Code civil, qu’elle qualifie de délai de forclusion.

Dans son arrêt du 5 janvier 2022, la Cour de cassation rejette le pourvoi, et confirme l’arrêt de la cour d’appel, qui a retenu que ce délai de forclusion avait été interrompu par l’assignation en référé du 28 mai 2013 jusqu’à l’ordonnance du 24 juillet 2013. A défaut de nouvel acte interruptif de forclusion dans le nouveau délai qui expirait le 24 juillet 2015, la demande de l’acquéreur, intentée le 28 juin 2016, était forclose en son action fondée sur la garantie des vices cachés.

En pratique, cette décision implique que l’acquéreur, dès l’expert désigné, doit prendre le soin d’interrompre à nouveau le délai, par l’introduction d’une demande au fond, avant l’expiration du délai de 2 ans depuis la désignation de l’expert, quand bien même l’expertise ne serait pas terminée.

Il faut noter que cette solution dégagée par la troisième chambre civile de la Cour de cassation est contraire à celle de la première chambre, qui a déjà affirmé que l’article 1648 du Code civil édictait un délai de prescription pouvant, à ce titre, faire l’objet d’une suspension lorsque le juge fait droit à une demande de mesure d’instruction présentée avant tout procès (Cass. Civ., 1ère, 25 novembre 2020, n° 19-10.824).

Création d’emplois d’expert de haut niveau et de directeur de projet dans la fonction publique territoriale

Décret n° 2022-49 du 21 janvier 2022 portant échelonnement indiciaire des experts de haut niveau et des directeurs de projet des collectivités territoriales et de leurs établissements publics

 

Deux décrets en date du 21 janvier 2022 (n° 2022-48 et n° 2022-49), publiés au Journal officiel le 23 janvier 2022 et entrés en vigueur le lendemain de cette publication fixent le régime juridique applicable aux emplois d’expert de haut niveau et de directeur de projet pouvant désormais être crées dans les collectivités et leurs établissements publics.

Le décret n° 2022-48 vient définir ce nouveau type d’emplois et fixer les modalités de sélection des agents ainsi que les conditions d’accès et d’emplois, tandis que le décret n° 2022-49 prévoit l’échelonnement indiciaire.

Un dispositif similaire pour ce même type d’emplois d’expert de haut niveau et de directeur de projet est déjà en vigueur de longue date au sein de la fonction publique d’Etat, depuis l’adoption de deux décrets n° 2008-382 et n° 2008-383 du 21 avril 2008, et de l’arrêté du 21 avril 2008. Dans la fonction publique territoriale, cette création était légalement possible depuis plus d’une dizaine d’années suivant les dispositions de l’article 6-1 de la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 mais les décrets d’application n’étaient pas intervenus.

Les emplois d’expert de haut niveau et directeur de projet sont répartis en trois groupes selon l’importance de la population de la collectivité :

  • le groupe I comprend les emplois des communes de plus de 400.000 habitants, des départements de plus de 900.000 habitants, des régions de plus de 2.000.000 d’habitants et des établissements publics assimilés ;
  • le groupe II comprend les emplois des communes de 150.000 à 400.000 habitants, des départements de moins de 900.000 habitants, des régions de moins de 2.000.000 d’habitants et des établissements publics assimilés
  • le groupe III comprend les emplois des communes de 40.000 à 150.000 habitants et des établissements publics assimilés dans les conditions prévues par le même décret.

De ce classement par groupes dépend le nombre maximum d’emplois qui pourront être crées au sein de la collectivité, ce nombre oscillant entre deux et trois.

Les missions pouvant leur être confiées sont largement définies puisque le décret prévoit qu’ils « peuvent être chargés d’animer la conduite de projets et de coordonner à cette fin l’action des services intéressés ou d’assurer des missions de conseil, d’audit ou de médiation qui requièrent une expérience diversifiée et une grande capacité d’analyse et de proposition » et que les missions confiées pourront évoluer durant la période d’occupation des fonctions (cf. art. 2). Une certaine marge de manœuvre est donc laissée aux collectivités pour la détermination des missions confiées.

Deux conditions cumulatives d’accès aux emplois d’expert de haut niveau et de directeur de projet sont prévues. Ces emplois sont ainsi réservés aux « fonctionnaires appartenant à un corps ou cadre d’emplois de catégorie A dont l’indice terminal brut est au moins égal à la hors-échelle B », et qui justifient « d’au moins six années d’activités professionnelles diversifiées les qualifiant particulièrement pour l’exercice de fonctions supérieures de direction, d’encadrement ou d’expertise ».

Le processus de recrutement s’effectue par étapes, dont la première, l’examen préalable, comprend l’étude du dossier de candidature et éventuellement une mise en situation professionnelle. Les candidats présélectionnés sont ensuite convoqués à un ou plusieurs entretiens de recrutement conduits par au moins deux personnes, lesquelles établissent un rapport à destination de l’autorité territoriale.

Les fonctionnaires nommés sur l’un de ces emplois par l’autorité territoriale sont placés en position de détachement pour une durée maximale de trois ans (renouvelable une fois) auprès de l’autorité territoriale ou, sur sa décision, auprès du DGS ou d’un DGA.

A l’instar du détachement sur des emplois fonctionnels, le décret prévoit expressément que les agents nommés pourront se voir retirer leur emploi agents dans l’intérêt du service, par une décision motivée et après entretien préalable. La perte de confiance pourra donc très certainement justifier la fin du détachement.

Reste à savoir maintenant si les collectivités feront usage de cette nouvelle possibilité qui leur est offerte, en complément des emplois fonctionnels.

Le renforcement de l’obligation de protection fonctionnelle face à la multiplication des menaces sur les agents publics

Le 2 novembre 2020, quatre ministres, dont celle de la Fonction publique, publiaient une circulaire visant à renforcer la protection des agents publics face aux attaques dont ils font l’objet dans le cadre de leurs fonctions.

La circulaire vise plusieurs axes de renforcement, en alertant notamment sur la multiplication des menaces et attaques sur les espaces numériques et en préconisant la mise en place d’un suivi systématique des menaces ou attaques dont sont l’objet leurs agents.

Mais il faut surtout en retenir la volonté du Gouvernement de mobiliser les managers à tous les niveaux de l’administration pour protéger les agents, en s’assurant qu’ils bénéficient d’un soutien renforcé et systématique de leur employeur en cas d’attaques ou de menaces, et notamment de l’octroi sans délai de la protection fonctionnelle prévue à l’article 11 de la loi du 13 juillet 1983 lorsque les circonstances et l’urgence le justifient, afin de ne pas les laisser sans défense dans une situation pouvant se traduire par une atteinte grave à leur intégrité.

Le statut général de Fonction publique prévoit effectivement en son article 11, 4e alinéa que : « la collectivité publique est tenue de protéger le fonctionnaire contre les atteintes volontaires à l’intégrité de la personne, les violences, les agissements constitutifs de harcèlement, les menaces, les injures, les diffamations ou les outrages dont il pourrait être victime sans qu’une faute personnelle puisse lui être imputée. Elle est tenue de réparer, le cas échéant, le préjudice qui en résulte ».

Consacrant la mesure phare de cette circulaire, la loi n° 2021-1109 du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République est venue compléter cette disposition, par un second paragraphe qui redéfinit les contours de l’obligation qui pèse sur l’administration.

Désormais, « lorsqu’elle est informée, par quelque moyen que ce soit, de l’existence d’un risque manifeste d’atteinte grave à l’intégrité physique du fonctionnaire, la collectivité publique prend, sans délai et à titre conservatoire, les mesures d’urgence de nature à faire cesser ce risque et à prévenir la réalisation ou l’aggravation des dommages directement causés par ces faits. Ces mesures sont mises en œuvre pendant la durée strictement nécessaire à la cessation du risque ».

La loi du 24 août 2021 fait donc peser sur la collectivité débitrice de l’obligation de protection fonctionnelle, la nécessité de réagir de manière urgente, au risque d’atteinte grave à l’intégrité physique d’un de ses agents. Pour ce faire, à titre conservatoire, elle devra prendre les mesures nécessaires pour protéger le fonctionnaire, en mettant en œuvre les moyens de faire cesser ce risque.

Le legislateur réaffirme ce principe déjà en réalité ici un principe déjà posé en par la jurisprudence (CE, 8 juillet 2020, n° 427002) selon laquelle une collectivité peut légalement accorder sa protection sans qu’une demande écrite formalisée lui soit adressée par le bénéficiaire.

Il est important de relever toutefois que la décision d’accorder la protection fonctionnelle est créatrice de droits, de sorte que si l’administration a fait fausse route dans son octroi elle pourra retirer sa décision, mais uniquement si elle est illégale et dans un délai de quatre mois (voir art. L. 242-1 du Code des relations entre le publics et l’administration).

De nouvelles obligations et clauses relatives à la laïcité et la neutralité des services publics dans les contrats de la commande publique

La loi n° 2021-1109 du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République a pour objectif de lutter contre le séparatisme, lutte qui passera désormais par le vecteur des services publics et donc, en toute logique, les contrats de la commande publique ayant pour objectif l’exécution desdits services.

La loi dispose en effet que le titulaire du contrat de commande publique doit assurer l’égalité des usagers devant le service public ainsi que le respect des principes de laïcité et de neutralité du service public.

Dans cette perspective le titulaire devra :

  • s’assurer que les salariés et les personnes sur lesquelles il exerce une autorité hiérarchique ou un pouvoir de direction qui participent à l’exécution du service respectent ces principes ;
  • veiller, dans le cadre des contrats de la commande publique à ce que leurs sous-traitants ou sous concessionnaires respectent les obligations prévues par la loi.

Pour conférer une force exécutoire à ces obligations les contrats de la commande publique devront prévoir des modalités de contrôle du cocontractant, et par suite ces mêmes contrats devront prévoir des sanctions dans le cas où le cocontractant : « N’a pas pris les mesures adaptées pour les mettre en œuvre et faire cesser les manquements constatés » (Article 1er II de la loi).

En complément de la loi, c’est par le biais d’une instruction du Gouvernement, en date du 31 décembre 2021 et dite « circulaire laïcité », que des instruction précises ont été émise quant au contrôle de légalité de la loi du 24 août 2021.

Ainsi, le Premier Ministre souligne qu’il faut faire preuve d’une « vigilance accrue dans la mission du contrôle de légalité » dans les stratégies locales de contrôle, et ce pour constituer un « socle minimum de contrôle » au travers de « trois priorités nationales » : la commande publique, la fonction publique territoriale et l’urbanisme.

En effet, pour les actes concernant les marchés et les délégations de service public, la suspension préfectorale est immédiatement exécutoire et le juge disposera d’un mois pour statuer sur celle-ci.

En sus, le Premier Ministre souligne que, concernant la commande publique :

« Les contrats ayant pour objet, en tout ou partie, l’exécution d’un service public devront comprendre des clauses rappelant les obligations prévues au II de l’article 1er de la loi du 24 août 2021. Elles devront préciser les modalités de contrôle et de sanction du cocontractant lorsque celui-ci n’a pas pris les mesures adaptées pour les mettre en œuvre et faire cesser les manquements ».

Il appartiendra donc aux collectivités de bien veiller à intégrer dans leurs marchés publics et conventions de délégations de services public les clauses prévues par ladite loi afin de passer avec succès un contrôle de légalité qui s’annonce accru.

Responsabilité décennale des constructeurs et erreur d’implantation d’un ouvrage

Cette décision revient sur la qualification d’une erreur d’implantation d’un bassin de rétention, empiétant sur une emprise foncière voisine (une autoroute au cas présent), en désordre de nature décennale, dès lors que cela rend l’ouvrage impropre à sa destination.

Dans cette affaire, un maître d’ouvrage recherchait la responsabilité décennale d’une part de la société qu’il avait mandatée pour réaliser une mission d’étude préalable à la création d’une zone d’activité et d’autre part du géomètre expert missionné aux fins de vérifier le calage topographique de la zone.

En effet, en raison d’une erreur d’implantation, le maître d’ouvrage avait dû régulariser, par le biais d’un protocole, l’emprise irrégulière constatée sur l’autoroute par une cession d’une fraction de la parcelle voisine.

Cette erreur avait par ailleurs entraîné des coûts importants liés à des travaux de recalibrage et d’enrochement du bassin de rétention rendus nécessaires pour permettre l’élargissement de l’autoroute en dépit de cette mauvaise implantation.

Le maître d’ouvrage, une communauté de communes aux droits de laquelle était ensuite venue une communauté d’agglomération en l’espèce, avait ainsi sollicité l’indemnisation de ses préjudices.

En première instance, le Tribunal administratif de Toulon avait condamné solidairement les sociétés à payer à la communauté d’agglomération une somme de 104.319,32 euros. Un appel avait alors été formé par le géomètre-expert.

La Cour confirme la responsabilité de l’assistant à maître d’ouvrage et du géomètre expert compte tenu de l’erreur d’implantation qui avait été faite.

Ainsi, elle confirme qu’une erreur d’implantation sur la propriété d’un tiers rend l’ouvrage impropre à sa destination et justifie la condamnation in solidum des constructeurs :

« 9. Enfin, contrairement à ce qui est soutenu par M. A… et la société Présents venue aux droits de la SAS Sitétudes, d’une part, il ne résulte pas de l’instruction que l’erreur d’implantation du bassin, au regard de limites séparatives de propriété, était apparente au jour de la réception, alors notamment que le maître de l’ouvrage n’était pas informé, à la date de la réception, de la persistance d’une incertitude sur ce point ; d’autre part, l’erreur d’implantation d’un ouvrage sur la propriété d’un tiers rend celui-ci impropre à sa destination, dès lors notamment, comme en l’espèce, que ce tiers entend faire valoir ses droits sur sa propriété, contraignant, par conséquent, le maître de l’ouvrage à acquérir la parcelle concernée ou à détruire l’ouvrage qui y est irrégulièrement implanté ».

En ce sens, la juridiction écarte tout caractère apparent du désordre à la réception, lequel n’aurait pas permis d’engager la responsabilité décennale des constructeurs, dès lors que le maître d’ouvrage n’était pas au courant de la persistance d’une incertitude quant aux limites de propriété.

En outre, la Cour écarte l’argumentation du géomètre expert qui soutenait ne pas être lié par un contrat de louage d’ouvrage et ainsi ne pas pouvoir se voir appliquer les dispositions de l’article 1792 du Code de la construction et de l’habitation.

Il est intéressant de relever que, devant les juridictions judiciaires également, une erreur d’implantation, impliquant en particulier un risque de perte de l’ouvrage, peut parfaitement caractériser un désordre de nature décennale (Cass. Civ., 3ème civ., 18 mars 2021, n° 19-21078).

Vue d’ensemble concernant les accusés du procès du 13 novembre 2015

La Cour d’assises de Paris spécialement composée en matière de terrorisme va devoir se prononcer sur la culpabilité de 20 accusés, dont 6 sont absents, à la suite des attentats du vendredi 13 novembre 2015.

En effet, au terme de l’Ordonnance de Mise en Accusation, confirmée par l’arrêt de renvoi de la Chambre de l’Instruction de la Cour d’appel de Paris, 20 personnes ont été renvoyées devant la Cour d’assises spécialement composée en matière de terrorisme dont cinq sont présumées mortes en zone irako-syrienne, et la 6ème reste incarcérée en Turquie. 

Cette dernière purge actuellement une peine de 10 ans et 9 mois d’emprisonnement à la suite de sa condamnation par la Cour d’assises de Manavgat (Turquie) pour des faits de faux en documents administratifs et d’affiliation à une organisation terroriste, son extradition ayant malheureusement été impossible.

La quasi-intégralité des accusés ont été renvoyés du chef de participation à une association de malfaiteurs terroriste, c’est-à-dire, conformément à l’article 421-2-1 du Code pénal, qu’ils ont été poursuivis pour leur participation à un groupement ou une entente établie en vue de la préparation, caractérisée par un ou plusieurs fait(s) matériel(s) en lien avec un projet terroriste, en l’occurrence, les attaques du 13 novembre 2015.

À titre d’illustrations, les éléments matériels retenus à charge, contre les accusés, sont notamment :

  • le voyage, puis le séjour en zone irako-syrienne pour rejoindre les rangs de l’État islamique et le suivi à la fois d’un enseignement religieux et militaire délivré par l’organisation ;
  • le départ de Syrie pour rejoindre la cellule terroriste en Belgique projetant des attaques, et ce, en profitant de la crise migratoire en 2015 ;
  • la fourniture et/ou l’utilisation de faux papiers pour se déplacer ou encore pour louer clandestinement des logements pour les assaillants dans les alentours de Bruxelles ;
  • la location de véhicules pour transporter les futurs assaillants du Bataclan, des terrasses parisiennes et du Stade de France ;
  • le visionnage de vidéos de propagande de l’État islamique au café des « Béguines», les mois précédant les attaques du 13 novembre 2015 ;
  • la contribution à l’envoi d’argent par mandat à d’autres membres du groupement ;
  • l’apport d’une aide logistique à des membres du groupement pour trouver des logements, des véhicules ou des armes.

Dès lors, les accusés encourent, de ce chef, une peine de réclusion criminelle de 20 ans et 350.000 euros d’amende, conformément à la version de l’article 421-6 du Code pénal en vigueur au moment des faits.

En outre, certains accusés, dont les liens avec les auteurs des attaques ont été mis en évidence au stade de l’information judiciaire, sont poursuivis sur le fondement de qualifications criminelles en raison des actes matériels accomplis en amont ou pendant les attaques.

C’est par exemple le cas de l’un des accusés, qui avait eu pour mission de conduire 3 kamikazes aux abords du Stade de France, puis d’activer sa ceinture explosive à un second endroit dans la région parisienne.

Ce dernier est renvoyé, à l’instar d’autres accusés, des chefs de :

  • meurtres en bande organisée, en relation avec une entreprise terroriste sur les sites des attaques ;
  • tentatives de meurtres en bande organisée, en relation avec une entreprise terroriste ;
  • séquestration, sans libération volontaire avant le septième jour, en bande organisée et en relation avec une entreprise terroriste pour les faits survenus au Bataclan.

De fait, cet accusé encourt la réclusion criminelle à perpétuité avec une période de sûreté que la Cour d’assises spécialement composée pourra, par décision motivée, porter à 30 ans, comme le prévoit l’article 421-7 du Code pénal.

Pour d’autres, le fait qu’ils aient pu apporter une aide ou un soutien en accompagnant certains des protagonistes décédés pendant les préparatifs des attaques ont contribué à leur renvoi sur le fondement de la complicité de tentatives de meurtres, notamment sur personnes dépositaires de l’autorité publique, en bande organisée, en relation avec une entreprise terroriste, faits leur faisant encourir la réclusion criminelle à perpétuité.

Cette dernière qualification explique la raison pour laquelle des policiers en service le soir des faits, ainsi que des syndicats de la profession se sont constitués partie civile.

Parallèlement, les magistrats instructeurs ont renvoyé trois des accusés devant la Cour d’assises du chef de recel de terroriste en relation avec une entreprise terroriste, et ce, en raison de leur participation au rapatriement de l’un des assaillants de Paris à Bruxelles dans la nuit du 13 au 14 novembre 2015 et à son hébergement à Bruxelles, soit postérieurement aux attentats.

À noter que parmi ces 3 accusés, 2 comparaissent libres à l’audience, mais demeurent sous contrôle judiciaire. 

Ainsi, pour le recel de terroriste, ces accusés encourent la peine délictuelle de 6 ans d’emprisonnement et 45.000 euros d’amende aux termes des articles 421-3 et 434-6 du Code pénal.

À l’issue des débats, il reviendra à la Cour d’assises spécialement composée d’apprécier les éléments débattus au cours des 10 mois d’audience et, en cas de condamnation des accusés, de fixer leur peine.