Droit du travail et de la sécurité sociale
le 24/03/2022
Benoît ROSEIRO
Karim DE MEDEIROS

Forfait-jours et contraintes liées à l’organisation du travail : le salarié peut être contraint à des journées ou demi-journées de présence dans l’entreprise

Cass. Soc., 2 février 2022, n° 20-15.744

Par un arrêt du 2 février 2022[1], la Chambre sociale de la Cour de cassation a approuvé les juges du fond d’avoir considéré que l’employeur pouvait licencier, pour faute grave, un salarié bénéficiaire d’une convention individuelle de forfait en jours, en raison de ses absences aux journées et demi-journées de présence « imposées » du fait des contraintes liées à l’activité de l’entreprise.

Faits de l’espèce, une salariée a été engagée dans le cadre d’une convention de forfait fixée à 216 jours annuels réduits à 198 jours suivant avenant du 1er janvier 2012.

Répondant favorablement à la demande de la salariée d’une réduction de son temps de travail, l’employeur lui a notifié, par courrier recommandé du 27 novembre 2012 et courriel de rappel du 30 décembre 2013, un planning de ses jours de présence, organisé en journées ou demi-journées,

La salariée a accepté cet emploi du temps mais n’a finalement pas respecté ce planning, en étant notamment, absente certains jours.

Dans ce contexte, la salariée a été licenciée pour faute grave le 31 mars 2014 pour :

  • non-respect de planning imposé,
  • et en raison du fait qu’elle quittait son lieu de travail sans prévenir ses collaborateurs.

La lettre de licenciement exposait, notamment, que le non-respect du planning rendait impossible l’anticipation des : « présences et absences [de la salariée] au sein de la Clinique et de fixer des rendez-vous à la patientèle », puisqu’ elle ne se présentait pas dans l’entreprise selon les prévisions de l’emploi du temps.

La salariée a, alors, saisi la juridiction prud’homale en contestation de son licenciement et l’affaire a fait l’objet d’un appel.[2]

La Cour d’appel avait, notamment, retenu qu’il était établi que la salariée était libre de ses horaires et qu’elle pouvait organiser ses interventions à sa guise, sous réserve de respecter les contraintes liées à l’activité de son employeur.

Pour ce faire, elle se fondait, notamment, sur le fait que la fixation de demi-journées ou de journées de présence n’a jamais empêché la salariée d’organiser sa journée de travail comme bon lui semblait.

Elle retenait, par ailleurs, des éléments démontrant que ce non-respect du planning mettait ses collègues en difficulté et rendait difficile la fixation de rendez-vous.

Les moyens du pourvoi en cassation. Dans le cadre de son pourvoi en cassation, la salariée tentait notamment, et sans succès, de faire valoir :

« qu’un cadre au forfait jours doit bénéficier d’une liberté dans l’organisation de son travail et ne peut donc se voir reprocher de ne pas avoir respecté un planning déterminé unilatéralement par son employeur ».

Elle poursuivait en indiquant que la Cour d’appel avait constaté, d’une part, qu’elle était soumise à un forfait jours et devait donc, à ce titre, bénéficier d’une large autonomie dans l’organisation de son travail ce qui n’était pas le cas avec la mise en place de plannings qui lui imposait des interventions.

La réponse de la Cour de cassation. La Cour de cassation n’a pas été convaincu par les arguments de la salariée.

Elle a, en conséquence, rejeté son moyen en énonçant dans les termes généraux suivants :

« une convention individuelle de forfait annuel en jours n’instaure pas au profit du salarié un droit à la libre fixation de ses horaires de travail indépendamment de toute contrainte liée à l’organisation du travail par l’employeur dans l’exercice de son pouvoir de direction ».

Dès lors, la Cour de cassation a approuvé les juges du fond d’avoir pu déduire que l’employeur pouvait reprocher à la salariée ses absences du fait que la fixation des journées ou demi-journées de présence imposées en raison des contraintes liées à l’activité clinique vétérinaire n’avait pas empêché cette dernière d’organiser sa journée de travail comme bon lui semblait, en dehors ces périodes.

Portée de la décision. L’arrêt du 2 février 2022 est un arrêt qui consolide de ce qu’avait déjà retenu la Cour de cassation dans un précédent cas d’espèce.

En effet, l’opposabilité d’une convention de forfait en jours est, notamment, soumise à la possibilité du salarié bénéficiaire d’organiser son temps de travail en toute autonomie.

Toutefois, il est confirmé que cette autonomie n’est pas synonyme de totale indépendance. 

En effet, dans la droite lignée de ce qu’avait déjà retenu la Cour de cassation, la convention individuelle de forfait en jour ne confère pas :

« au profit du salarié un droit à la libre fixation de ses horaires de travail indépendamment de toute contrainte liée à l’organisation du travail par l’employeur ».(Cass. soc., 2 juillet 2014, nº 13-11.904)

Ainsi, il y a lieu de retenir que dès lors que le salarié bénéficiaire d’une convention individuelle de forfait en jours dispose, eu égard aux faits de l’espèce, d’une certaine autonomie dans l’organisation de son temps de travail, l’employeur peut légitimement lui fixer des jours ou demi-journées de présence dans l’entreprise en raison des contraintes liées à l’organisation du travail.

Cette possibilité résulte de son pouvoir de direction qui est ici renforcée.

 

[1] Cass. soc., 2 février 2022, n°20-15.744 (https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000045133493?init=true&page=1&query=20-15744&searchField=ALL&tab_selection=all)

[2] Cour d’appel de Versailles, 17e chambre 18 décembre 2019 (n°17/02003)