Précisions du Médiateur National de l’Energie sur l’invocabilité de la force majeure par le gestionnaire du réseau de distribution de gaz naturel pour s’exonérer de sa responsabilité à l’égard des usagers

Dans une recommandation du 10 décembre 221, le Médiateur National de l’Energie (ci-après, MNE) a apporté d’intéressantes précisions sur l’invocabilité par le Gestionnaire du Réseau de Distribution (ci-après, GRD) de gaz naturel de la force majeure pour être exonéré de sa responsabilité à l’égard des usagers.

Dans cette affaire, un GRD avait été amené à couper durant 30 heures l’alimentation en gaz d’une copropriété de manière non programmée. Les copropriétaires sollicitaient une indemnisation, refusée par le GRD, pour les dédommager du préjudice découlant pour eux de la coupure inopinée.

Le GRD, pour refuser d’y faire droit, invoquait l’existence, selon lui, d’une situation de force majeure tenant à ce que la coupure était inévitable pour mettre en sécurité le réseau qui avait été détérioré par une société réalisant des travaux de voirie à proximité.

Le MNE ne souscrit pas à cet argumentaire du GRD et formule d’intéressantes observations.

D’une part, sur la notion de force majeure, le MNE considère que la condition d’imprévisibilité ne saurait être regardé comme remplie :

  • Les circonstances dans lesquelles la coupure est intervenue sont des avaries qui surviennent fréquemment dans le cadre de travaux. Cette circonstance n’est donc pas imprévisible pour le GRD qui, en tant que gestionnaire du réseau de distribution, doit faire face à ce type d’incidents qui ne s’apparente pas à un cas de force majeure ;
  • En particulier, une déclaration de travaux (DT-DICT) avait été effectuée par la société préalablement à la réalisation des travaux, de sorte que le GRD n’ignorait pas que des travaux allaient avoir lieu à proximité du réseau de distribution et n’ignorait donc pas que ces travaux pouvaient, malgré cette précaution, être à l’origine de dommages, comme cela est déjà arrivé, en raison d’une exécution défectueuse.

Le Médiateur estime donc que le GRD ne peut invoquer la force majeure à l’égard des consommateurs. Il souligne en revanche que le GRD peut parfaitement se retourner contre la société à l’origine du dommage afin d’obtenir une indemnisation.

D’autre part, en réponse à l’argumentaire invoqué par le GRD et tenant à la définition de la force majeure retenue par le cahier des charges de concession applicable (qui lie le GRD à une autorité organisatrice de distribution de gaz), le MNE estime que la clause invoquée doit être regardée comme abusive, et donc illégale.

Le GRD invoquait en effet l’article 13 du cahier des charges de concession qui stipulait :

«  Les Parties sont déliées de leurs obligations respectives au titre des Conditions de Distribution dans les cas et circonstances ci-après pour la durée et dans la limite des effets desdits cas et circonstances sur lesdites obligations :

  1. cas de force majeure, entendu comme tout événement extérieur à la volonté de la Partie qui l’invoque et ne pouvant être surmonté par la mise en œuvre des efforts auxquels celle-ci est tenue en sa qualité d’Opérateur Prudent et Raisonnable, ayant pour effet d’empêcher l’exécution de ladite Partie de tout ou partie de l’une quelconque de ses obligations découlant des Conditions de Distribution »

L’article 13 disposait également que « toute circonstance qui, conformément à l’article R. 121-11 du Code de l’énergie, rendrait nécessaire ou inévitable la réduction ou l’interruption de l’acheminement du Gaz, sans qu’elle ait à réunir les critères de la force majeure, libère le Distributeur de son obligation d’acheminer le Gaz et d’exécuter tout ou partie des obligations qui lui incombent au titre des Conditions de Distribution. Il s’agit des circonstances suivantes : […] fait d’un tiers, de l’administration ou des pouvoirs publics, dont les conséquences ne peuvent être surmontées par le distributeur agissant en opérateur prudent et raisonnable ».

Le MNE, s’appuyant sur la jurisprudence de la commission des clauses abusives, considère abusive cette définition extensive de la force majeure, plus large que la définition de droit commun reposant sur trois conditions : imprévisibilité, extériorité et irrésistibilité.

Le MNE recommande donc au GRD de modifier la clause du cahier des charges de concession pour en revenir à la définition de droit commun de la force majeure.

Dans un contexte de renégociation actuelle du modèle national de cahier des charges de concession de distribution de gaz naturel, cette recommandation pourrait utilement être prise en compte par les négociateurs.

Constitutionnalité des restrictions apportées au développement des installations de tri mécano-biologiques des déchets

Par une décision en date du 22 avril 2022, le Conseil constitutionnel s’est prononcé sur la question prioritaire de constitutionnalité (QPC) contestant la conformité avec diverses normes constitutionnelles des dispositions de l’article L. 541-1 du Code de l’environnement instaurant diverses restrictions au développement des installations de tri mécano-biologique (TMB). Pour information et selon la définition de l’ADEME, le TMB « vise à recycler ou optimiser le traitement des ordures ménagères résiduelles. Il consiste en l’imbrication d’opérations mécaniques [dilacérations et tri] et d’étapes biologiques [compostage, méthanisation] »[1] et se distingue donc du tri à la source.

En son paragraphe I, l’article L. 541-1 du Code de l’environnement conditionne l’autorisation de nouvelles installations TMB, l’augmentation de capacités des installations existantes ou encore leur modification notable au respect de la généralisation du tri à la source des biodéchets par les collectivités territoriales et établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) compétents. En outre, ces installations ne peuvent bénéficier d’aides de personnes publiques. La rédaction de cette disposition est issue de l’article 90 de la loi du 10 février 2020 relative à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire, dite loi AGEC, et vise à privilégier le tri à la source des biodéchets plutôt que leur traitement en TMB. Pour être complet, on indiquera que les conditions de mise en œuvre de ces restrictions ont été précisées par le décret n° 2021-855 du 30 juin 2021[2] et un arrêté du 7 juillet 2021[3].

Les auteurs de la QPC soutenaient que cette disposition méconnaissait le principe de libre administration des collectivités territoriales ainsi que le droit de propriété, dès lors qu’elle entraverait « les choix opérés par les collectivités territoriales au titre de la compétence que la loi leur reconnaît en matière de gestion des déchets » (§3). En outre, les requérants considéraient que cette restriction était trop imprécise, portant une atteinte irrégulière aux exigences de sécurité juridique et d’intelligibilité de la loi et qu’elle caractériserait une incompétence négative du législateur. Enfin, selon les requérants, le texte aurait également pour effet d’instituer une rupture d’égalité entre les communes et EPCI ayant choisi de mettre en place une installation TMB et les autres.

Le Conseil constitutionnel relève toutefois que la priorisation du tri à la source des biodéchets sur les installations TMB induite par l’article L. 541-1 du Code de l’environnement découle des objectifs de réduction et de valorisation des déchets ménagers et de l’estimation par le législateur de l’insuffisance des performances de valorisation des installations TMB. Dès lors, le législateur « a poursuivi l’objectif de valeur constitutionnelle de protection de l’environnement » (§12) et a défini des modalités qui ne sont pas manifestement inappropriées à cet objectif. Dans cette mesure, le Conseil constitutionnel n’était pas tenu d’examiner si d’autres voies plus pertinentes auraient pu être retenues pour atteindre ce même objectif. Les juges énoncent en outre que cette disposition, qui n’est pas imprécise et qui n’institue pas de différence de traitement, n’empêche pas les communes et EPCI de mettre en place des installations TMB et d’exploiter les installations existantes.

La QPC est donc rejetée.

 

[1] https://expertises.ademe.fr/economie-circulaire/dechets/passer-a-laction/tri-pretraitement/traitement-mecano-biologique

[2] Décret n° 2021-855 du 30 juin 2021 relatif à la justification de la généralisation du tri à la source des biodéchets et aux installations de tri mécano-biologiques

[3] Arrêté du 7 juillet 2021 pris en application de l’article R. 543-227-2 du code de l’environnement

Rappel par le CORDIS des règles relatives aux servitudes en cas de raccordement au réseau de distribution d’électricité

Décision du CORDiS n° 18-38-21 du 21 avril 2022 sur le différend qui oppose la société Elec’Chantier 44 à la société Enedis relatif au raccordement d’une installation de consommation au réseau public de distribution

Dans le cadre de deux différends ayant trait à des raccordements d’installations de consommation au réseau de distribution d’électricité, le CORDIS (Comité de Règlement des Différends et des Sanctions) de la Commission de Régulation de l’Energie (CRE) a notamment formulé d’intéressants rappels sur les obligations des Gestionnaires de Réseaux de Distribution (ci-après, GRD) d’électricité en matière d’obtention de servitudes permettant l’établissement des réseaux.

Pour mémoire, les servitudes de passage du réseau public de distribution d’électricité sur des propriétés privées sont soumises à des règles particulières édictées aux articles L. 323-3 et suivants du Code de l’énergie (sur les servitudes administratives) et aux dispositions en vigueur du décret n° 67-886 du 6 octobre 1967 (sur les servitudes conventionnelles). Ces servitudes peuvent ainsi être, soit conventionnelles en cas d’accord des propriétaires dont les terrains doivent être occupés, soit administratives lorsqu’une procédure de déclaration d’utilité publique est menée.

Dans les deux espèces dont il était saisi, le CORDIS rappelle tout d’abord, en réponse à l’argumentaire d’Enedis, gestionnaire du réseau de distribution d’électricité concerné, qui soutenait que l’obtention d’une servitude de passage n’était pas requise pour la partie relative au branchement, que la nécessité de disposer d’un droit d’accès vaut tant pour les ouvrages d’extension que pour ceux de branchement : « l’implantation d’ouvrages de réseau public sur le domaine privé, que ce soient des ouvrages d’extension ou de branchement, requiert notamment, en vue de la réalisation des missions de service public assignées par la loi au gestionnaire de ce réseau, un droit d’accès permanent au CCPI afin d’entretenir le réseau et d’assurer la sécurité de son fonctionnement ».

Ensuite, la société Enedis soutenait qu’elle n’était pas responsable des refus de conclure des conventions de servitude opposés, soit par le demandeur du raccordement, soit par des tiers dont les parcelles avaient vocation à être traversées par le raccordement à réaliser. Elle considérait également qu’il appartenait « au demandeur d’engager toutes les démarches nécessaires pour assurer le respect de ses droits ».

A cet égard, le CORDIS rappelle, au contraire, que c’est au seul GRD qu’il incombe de s’assurer que les conditions juridiques nécessaires à la mise en œuvre des travaux de raccordement sont réunies, le cas échéant en sollicitant la déclaration d’utilité publique des servitudes requises :

« Le gestionnaire de réseau public de distribution d’électricité doit pouvoir réaliser les travaux nécessaires et accéder à ces ouvrages par la conclusion au préalable d’une convention de servitude afin d’obtenir l’accord de la part de l’ensemble des propriétaires de la ou des parcelles traversées, dès lors qu’elles n’appartiennent pas toute en propre au demandeur au raccordement. Dans l’hypothèse d’un refus des propriétaires de signer une telle convention, il incombe au seul gestionnaire de réseau public de distribution d’électricité de demander que les travaux nécessaires à l’établissement et à l’entretien des ouvrages de distribution d’électricité soient déclarés d’utilité publique par l’autorité administrative compétente, sans que le demandeur n’ait à engager de démarches auprès des juridictions compétentes pour assurer le respect de ses droits ».

Le CORDIS ajoute que l’éventualité pour le GRD d’avoir à mettre en œuvre la procédure de servitude d’utilité publique en cas de refus opposés à des propositions de servitudes conventionnelles doit être prise en compte lors de l’établissement de la proposition de raccordement :

« il appartient au gestionnaire de réseau public de distribution d’électricité d’apprécier exactement, lors de l’élaboration de sa proposition de raccordement, l’ensemble des conditions de droit et de fait dont la réunion est nécessaire pour rendre possible l’opération de raccordement de référence qu’il propose, alors même que la prévision de consentements ou de décisions attendus de tiers serait de nature à introduire un degré d’aléa dans la réalisation de cette opération de raccordement. Plus généralement, la seule prise en compte de la nécessité d’établir une servitude, par la voie conventionnelle ou par une déclaration d’utilité publique, suffit à ce gestionnaire, sans qu’il lui soit besoin de s’assurer préalablement du consentement des parties intéressées, pour lui permettre l’appréciation et la comparaison des solutions techniques en présence en vue de déterminer l’opération de raccordement de référence ».

Ces deux décisions rappellent donc utilement les obligations du GRD maître d’ouvrage des branchements comme des extensions (dans cette affaire) en matière de servitudes, sujet qui donne lieu à des contentieux relativement abondants. La précision apportée sur l’incidence de ces obligations sur le délai de raccordement est toutefois surprenante et devrait nécessiter du GRD la plus grande vigilance pour que cette contrainte ne vienne pas rallonger de manière injustifiée les délais de raccordement.

Indépendance à l’égard du gaz russe, sécurité d’approvisionnement : présentation du Plan « RePowerEU » par la Commission européenne et publication de l’arrêté relatif aux stocks minimaux de gaz naturel

Arrêté du 13 mai 2022 relatif aux stocks minimaux de gaz naturel pour garantir la sécurité d’approvisionnement en gaz naturel pendant la période comprise entre le 1er novembre 2022 et le 31 mars 2023

Compte tenu de l’invasion de l’Ukraine par la Russie et de ses conséquences sur le marché de l’énergie, la Commission européenne avait proposé, le 8 mars 2022, les grandes lignes d’un plan visant à rendre l’Europe indépendante des combustibles fossiles russes avant 2030. Ce plan exposait également des mesures pour répondre à la hausse des prix de l’énergie et permettre de reconstituer les stocks de gaz pour l’hiver prochain.

Sur cette base et, ainsi que l’indique la Commission européenne sur son site, le Conseil européen des 24 et 25 mars 2022 a invité la Commission à présenter de façon détaillée ce plan, intitulé « REPowerEU ». L’urgence à prévoir de telles mesures permettant de garantir un approvisionnement et un stockage suffisant du gaz a été renforcée par la décision de Gazprom d’interrompre l’approvisionnement en gaz de la Bulgarie et de la Pologne.

C’est dans ce cadre que la Commission européenne a présenté, le 18 mai 2022, son plan « REPowerEU » ayant pour double objectif de mettre fin à la dépendance de l’Union Européenne à l’égard des combustibles fossiles russes donc, mais également de lutter contre la crise climatique.

Pour ce faire, plusieurs leviers sont actionnés par la Commission européenne :

  • Les économies d’énergie : la Commission propose à ce titre de relever les objectifs contraignant en matière d’efficacité énergétique et publie une communication sur les économies d’énergie.
  • La diversification énergétique et des approvisionnements en établissant des partenariats de long terme avec des fournisseurs dont les axes sont précisés dans la stratégie énergétique extérieure de l’UE publiée par la Commission.
  • L’augmentation massive de l’utilisation des énergies renouvelables dans plusieurs domaines (notamment production d’électricité, industrie, bâtiment et transports) : à ce titre, la Commission propose de relever de 40 à 45 % l’objectif pour 2030 en matière d’énergies renouvelables fixé par l’objectif « Ajustement à l’Objectif 55 » ainsi que plusieurs initiatives et obligations spécifiques en matière d’énergie solaire, de toitures solaires, de pompes à chaleur et d’hydrogène.

Ont ainsi notamment été publiés :

 

  • La réduction de la consommation de combustibles fossiles dans l’industrie et les transports afin de réduire les émissions de gaz à effet de serre et renforcer l’efficacité énergétique dans ces domaines.
  • Des investissements supplémentaires importants : la Commission indique notamment que 225 milliards d’euros sont d’ores et déjà disponibles sous forme de prêts au titre « de la facilité pour la reprise et la résilience ».

Il conviendra donc de rester attentif sur la portée exacte qu’il sera donné à l’ensemble de ces initiatives et propositions lors de leurs éventuelles évolutions ainsi qu’au cours du travail de transposition de ces textes en droit interne.

On notera qu’en parallèle, a été publié au JO du 17 mai 2022 l’arrêté fixant, conformément aux dispositions de l’article L. 1421-4 du Code l’énergie, les stocks minimaux de gaz naturel pour garantir la sécurité d’approvisionnement en gaz naturel pendant la période comprise entre le 1er novembre 2022 et le 31 mars 2023.

Cet arrêté prévoit que les stocks minimaux nécessaires au 1er novembre sont définis par un débit de soutirage fixé à 1845 GWh/j, ce qui est apparu adapté pour la CRE afin faire face à la baisse importante des exportations de gaz russe vers l’Union européenne et les éventuelles interruptions partielles ou totales des flux gaziers pour la période susvisée, ainsi qu’elle l’a relevé à l’occasion de l’avis favorable qu’elle avait émis sur le projet de cet arrêté.

Commission de régulation de l’énergie : publication du rapport d’activité 2021

La CRE a publié le 1er juin 2022 son rapport d’activité 2021 dans lequel elle décrit ses différentes interventions en qualité d’autorité de régulation dans le contexte de la flambée des prix de l’énergie.

Après avoir fait un tour d’actualité de ses activités de régulation, la CRE décrit ses actions en faveur de la protection du consommateur tout en veillant au bon fonctionnement du marché, en coordination avec les autorités françaises et ses partenaires européens.

La CRE a notamment renforcé la surveillance des pratiques des acteurs du marché de gros, et s′est attachée à vérifier la cohérence entre les prix de l′électricité et les fondamentaux, en particulier le prix des matières premières et des quotas d′émissions de CO2, et la disponibilité du parc de production nucléaire.

Le rapport annuel procède également à un rappel des différents évènements à l’origine de cette crise et les mesures mises en place au niveau national et européen, ainsi que les conséquences à envisager sur le plus long terme et notamment la nécessaire mutation et adaptation des infrastructures du secteur de l’énergie.

A cet égard, la CRE insiste sur la nécessité de soutenir l’innovation grâce à un cadre réglementaire favorable à une transition vers un système énergétique décarboné. Sur ce point, le rapport s’intéresse notamment à la question de la mutation des réseaux et renvoie notamment au mécanisme de bac à sable réglementaire et au recours aux flexibilités pour réduire les travaux et les investissements.

En fin de rapport, la CRE attire également l’attention sur la nécessité de tirer les leçons de la crise, s’agissant notamment de l’augmentation du plafond de l’ARENH.

Publication du décret fixant les modalités de procédure d’appel d’offres portant sur le développement de capacités de stockage d’électricité

On rappellera brièvement qu’ainsi qu’il est défini par l’article L. 352-1 du Code de l’énergie, le stockage d’énergie dans le système électrique est « le report de l’utilisation finale de l’électricité à un moment postérieur à celui auquel elle a été produite, ou la conversion de l’énergie électrique en une forme d’énergie qui peut être stockée, la conservation de cette énergie et la reconversion ultérieure de celle-ci en énergie électrique ou son utilisation en tant qu’autre vecteur d’énergie ».

Et, dans l’hypothèse où les capacités de stockage ne répondent pas aux objectifs de la Programmation Pluriannuelle de l’Energie (PPE) ou qu’il ressort des besoins de flexibilité du bilan prévisionnel évaluant le système électrique, l’article L. 352-1-1 du Code de l’énergie permet au Ministre de l’Énergie de recourir à des procédures d’appel d’offres portant sur le développement de capacités de stockage d’électricité, dont les modalités sont fixées par décret du Conseil d’Etat après avis de la Commission de Régulation de l’Energie (CRE).

Dans ce cadre, ainsi que nous l’avions commenté dans notre précédente Lettre d’actualité, la Direction générale de l’énergie et du climat avait saisi la CRE le 14 mars 2022 du projet de décret portant sur la procédure d’appel d’offres de stockage d’électricité, mais cette dernière avait toutefois considéré qu’en l’état, celui-ci, ayant une visée essentiellement procédurale, ne tenait pas compte du contexte actuel de crise énergétique et du besoin de flexibilité à venir important.

C’est dans ce contexte qu’est paru au JO du 7 mai 2022 le décret fixant ces modalités de procédure d’appel d’offres sur le développement des capacités de stockages d’électricité, qui semble toujours traiter essentiellement de questions procédurales, en déterminant notamment :

  • le rôle du Ministre chargé de l’énergie, lequel est notamment chargé de la validation du cahier des charges et de la sélection des offres sur la base de l’examen des offres opéré par RTE ;
  • le rôle de RTE, qui en plus d’examiner les offres donc, élabore le projet de cahier des charges et conduit plusieurs des étapes de l’appel d’offres ;
  • le contenu du cahier des charges de la consultation.

Guichet ARENH 2022 : face au dépassement du plafond, la Commission de Régulation de l’Energie rappelle sa méthode de répartition des volumes d’ARENH

Délibération de la CRE du 12 mai 2022 portant décision sur la méthode de répartition des volumes d’ARENH en cas de dépassement du plafond prévu par la loi

Pour mémoire, l’article L. 336-2 du Code de l’énergie fixe le volume global maximal d’électricité pouvant être cédé par EDF aux fournisseurs alternatifs au titre de l’ARENH à 100 térawattheures (TWh) par an jusqu’au 31 décembre 2019 et 150 térawattheures (TWh) par an à compter du 1er janvier 2020. Ainsi qu’annoncé par le Gouvernement en janvier et comme commenté dans notre précédente lettre d’actualité, l’Etat n’a toutefois fixé pour l’heure ce plafond qu’à hauteur de 120 térawattheures (TWh) pour l’année 2022.

Et, en cas de dépassement de ce plafond, il revient à la CRE de préciser la méthode de répartition des volumes d’ARENH (appelé écrêtement) entre les fournisseurs « de manière à permettre le développement de la concurrence sur l’ensemble des segments du marché de détail ».

Par une communication sur son site en date du 31 mai 2022, la CRE indique qu’en raison de l’atteinte dudit plafond, les volumes d’ARENH alloués lors du guichet infra annuel de l’année 2022, clos le 21 mai 2022, représentent 65,85 % de la demande exprimée à cette occasion.

L’occasion donc pour la CRE de rappeler les éléments essentiels de sa méthode de répartition des volumes ARENH en cas d’un tel dépassement du plafond, tels que précisés dans sa délibération du 12 mai 2022 :

  • D’une part, les fournisseurs n’ayant pas demandé d’ARENH lors de ce guichet de mai 2022 conservent l’intégralité des quantités d’ARENH obtenues lors du guichet précédent de novembre 2021 (à l’inverse, un fournisseur ayant demandé de l’ARENH en novembre 2021 et effectuant une nouvelle demande au guichet de mai 2022 remet en jeu l’intégralité des volumes d’ARENH qui devaient lui être livrés sur la seconde moitié de l’année 2022) ;
  • D’autre part, les volumes d’ARENH additionnels qui ont été alloués pour l’année 2022 à travers le dispositif exceptionnel pour faire face à la flambée des prix de gros de l’électricité, largement commenté dans notre précédente lettre d’actualité, ne sont pas affectés, ni à la hausse ni à la baisse, par les demandes effectuées lors du guichet de mai 2022.

Rejet des référés suspension contre les mesures réglementaires relatives au volume additionnel d’ARENH

CE, 17 mai 2022, n° 463531

 

Le Conseil d’Etat s’est récemment prononcé sur des demandes de suspension de l’exécution :

  • du décret n° 2022-342 du 11 mars 2022 définissant les modalités spécifiques d’attribution d’un volume additionnel d’électricité pouvant être alloué en 2022, à titre exceptionnel, dans le cadre de l’accès régulé à l’électricité nucléaire historique (ARENH),
  • et, d’autre part, de l’arrêté du 11 mars 2022 fixant à 20 TWh le volume global maximal d’électricité devant être cédé par Electricité de France au titre de l’ARENH, en complément du volume global maximal fixé à 100 TWh par un précédent arrêté du 28 avril 2011.

Pour démontrer l’urgence, les requérants se sont notamment prévalus d’une atteinte à la situation d’EDF ainsi qu’aux intérêts publics qui s’attachent à la pérennité de cette société et au financement de ses investissements à venir. Le Conseil d’Etat rejette ce moyen en considérant que les requérants n’apportent aucun élément permettant de caractériser l’ampleur de l’atteinte portée par les mesures qu’ils contestent au regard de l’ensemble de l’équilibre financier de la société (affaire n° 463531).

En réponse à un argument similaire dans la seconde affaire (n° 462841), le Conseil d’Etat a considéré qu’il « résulte de l’instruction et des échanges au cours de l’audience que le coût du rachat aux fournisseurs bénéficiaires des volumes d’électricité correspondant à l’ARENH cédé en application des dispositions contestées est estimé à 4,2 milliards d’euros pour EDF. Les requérants ne justifient pas des pertes de bénéfice qui seraient liées également selon eux aux effets indirects de cette mesure sur les tarifs pratiqués par EDF vis-à-vis de ses propres clients ».

Le Conseil d’Etat valide ainsi les textes réglementaires en considérant que « les mesures contestées ont été prises dans le contexte d’une forte hausse des prix sur le marché de gros de l’électricité, à l’origine d’importantes répercussions tant pour les particuliers que pour les professionnels, et qui a d’ailleurs conduit la Commission européenne à adopter plusieurs communications sur les mesures de réduction des coûts de l’énergie susceptibles d’être prises par les Etats membres. Le Gouvernement a, dans un premier temps, cherché à limiter les effets de cette augmentation du coût de l’électricité en plafonnant à 4 % la hausse des tarifs réglementés de vente de l’électricité pour les consommateurs qui y sont éligibles, puis en réduisant à 1 euro le MWh pour les particuliers et assimilés et à 0,5 euro pour les professionnels le taux de la taxe intérieure sur la consommation finale d’électricité, devenue l’accise sur l’électricité ».

C’est donc en complétant ces premières solutions mises en œuvre qu’ont été prises les mesures tenant à l’augmentation du volume additionnel d’ARENH.

Le Conseil d’Etat relève ensuite l’efficacité de cette nouvelle mesure, observant que, « selon les estimations du Gouvernement, qui ne sont pas contestées, l’attribution du volume additionnel d’ARENH devrait limiter l’augmentation du prix de l’électricité à une fourchette comprise entre 14 et 16 % pour les professionnels peu consommateurs, à environ 20 % pour les autres entreprises et collectivités et à une fourchette comprise entre 60 et 100 % pour les industriels dits électro-intensifs, alors que, en l’absence de cette mesure ces augmentations s’établiraient respectivement à 23 %, 40 % et une fourchette comprise entre 100 et 130 % ».

Le Conseil d’Etat écarte également l’argument tenant à l’inefficacité de ces mesures dès lors que les fournisseurs pourraient ne pas répercuter sur leurs clients l’avantage économique qu’ils en ont obtenu. Le Conseil d’Etat retient à cet effet qu’un suivi de ces mesures a été confié à la Commission de Régulation de l’Energie (CRE) et que ce suivi a fait l’objet d’une délibération de la CRE du 31 mars 2022.

Ce faisant, le Conseil d’Etat rejette les demandes de suspension dès lors que l’incidence des mesures contestées sur les prix de l’électricité est de nature à caractériser un intérêt public à poursuivre leur exécution.

Un nouveau pas vers l’accélération et le déploiement de la recharge de véhicule électrique dans les immeubles collectifs

Les articles L. 353-12 et L. 342-3-1 du Code de l’énergie prévoient que les coûts de raccordement des infrastructures collectives de recharge relevant du réseau public de distribution d’électricité qui ont vocation à permettre l’installation de points de recharge pour véhicules électriques ou hybrides rechargeables dans les immeubles collectifs, peuvent bénéficier d’un préfinancement couvert par les tarifs d’utilisation des réseaux publics d’électricité (TURPE).

En pratique, pour bénéficier d’un tel préfinancement, les propriétaires ou les syndicats de copropriétaires devront justifier auprès d’un opérateur de la recharge, d’au moins un devis pour l’installation d’une telle infrastructure.

Quant à l’utilisateur d’une telle infrastructure de recharge, qui demande la création d’un branchement individuel, il est redevable de deux contributions : l’une au titre de l’infrastructure collective et l’autre au titre des ouvrages de branchements individuels.

L’article L. 353-12 du Code de l’énergie ajoute : « […] Les modalités d’application [de cet] article, notamment le dimensionnement et les caractéristiques techniques de l’infrastructure collective ainsi que la détermination de la contribution au titre de l’infrastructure collective, sont précisées par un décret pris après avis de la Commission de régulation de l’énergie ».

En application de ces dispositions, la Commission de Régulation de l’Energie (CRE) a été saisie par courrier de la DGEC le 21 avril 2022 du projet de décret susmentionné.

Ce dernier définit les modalités de préfinancement par le TURPE des travaux de raccordement des infrastructures de recharge des véhicules électriques (IRVE) dans les immeubles collectifs en application des articles L. 353-12 et L. 342-3-1 du Code de l’énergie, notamment :

  • Le périmètre de l’infrastructure collective ;
  • Le contenu de la convention, d’une durée de 20 ans, conclue entre le gestionnaire de réseau et le propriétaire ou le syndicat des copropriétaires ;
  • Les principes de détermination de la contribution au titre de l’infrastructure collective : cette contribution est comprise entre une valeur plafond et plancher ;
  • Les modalités de prise en charge des coûts échoués ;
  • Les indemnités en cas de retard du raccordement.

Sur ce projet de décret, la CRE émet un avis favorable en ce qu’il permettra une mise en œuvre efficace de ce dispositif de préfinancement, notamment en incitant les gestionnaires des réseaux publics de distribution d’électricité (GRD) à intervenir en priorité lorsque l’offre privée est défaillante ou insuffisamment présente. Selon la CRE, ce projet de décret répond à l’objectif d’accélération du déploiement de la recharge de véhicule électrique dans les immeubles collectifs tout en limitant les risques de coûts échoués à la charge de la collectivité.

L’extension du réseau public de distribution avec un financement porté par le TURPE est justifiée selon la CRE par l’intérêt public qui s’attache au bon développement des infrastructures de recharge des véhicules électrique dans l’habitat collectif. Néanmoins, ce domaine étant concurrentiel, la CRE rappelle la nécessité que l’offre privée soit inexistante ou insuffisamment présente. Par conséquent, les GRD seront tenus de n’exercer aucune discrimination selon que l’infrastructure inférieure à un immeuble collectif est développée par le GRD ou une entreprise tierce.

S’agissant du dimensionnement de ces infrastructures de recharge, et donc du réseau amont qui les alimente, la CRE rappelle qu’il s’agit d’un enjeu important pour le développement des réseaux publics d’électricité. Or, certains paramètres importants pour le dimensionnement de ces infrastructures, notamment le taux d’équipement national en points de recharge et la puissance de référence par point de recharge, seront fixés ultérieurement par les Ministres chargés de l’énergie et des transports. Le projet de décret ne fait cependant pas mention d’une consultation préalable de la CRE. En conséquence, la CRE demande à être saisie pour avis de l’arrêté fixant le taux d’équipement à long terme et la puissance de référence par point de recharge.

La CRE émet également un avis favorable à l’introduction d’indemnités dues par le gestionnaire de réseau en cas de retard dans la mise en service des infrastructures objet du préfinancement. Elle considère toutefois que ces indemnités ne doivent pas être limitées au raccordement d’infrastructures de recharge bénéficiant du dispositif de préfinancement par le TURPE, mais doivent être élargies à l’ensemble des schémas de raccordement d’IRVE.

Enfin, concernant le traitement des coûts échoués, la CRE souligne la prise en compte des incertitudes liées au rythme de développement de la mobilité électrique dans les immeubles collectifs à usage d’habitation. En pratique, cette prise en compte passe par la possibilité d’échelonner les travaux amont de raccordement. Les travaux ne seront alors lancés que si le besoin est avéré pour éviter les coûts échoués. Ces dispositions, qui limiteront l’impact sur le TURPE, permettent de protéger la facture d’électricité du consommateur.

On précisera qu’à notre sens, l’étalement de ces travaux amont sur le réseau ne devra pas empêcher une certaine anticipation des travaux de développement du réseau de distribution d’électricité compte tenu de l’émergence de ces besoins nouveaux et essentiels.

Bilan de la Commission de Régulation de l’Energie des marchés de gros de l’électricité et du gaz naturel

Le rapport annuel de la surveillance des marchés de gros de l’électricité et du gaz naturel de la Commission de Régulation de l’Energie (CRE) a été publié le 31 mai 2022.

Les principaux sujets abordés sont les suivants :

  • La CRE fait état d’une crise d’approvisionnement sans précédent qui porte sur les prix de gros, due en partie au détachement des imports en gaz européens de l’approvisionnement russe. Cette crise a entrainé une volatilité des prix et par voie de conséquence, des risques de manipulation de marché et de délits d’initiés à l’échelle européenne. Pour cette année, la CRE ne s’estime pas en mesure, contrairement aux années précédentes, d’assurer avec un degré de confiance raisonnable que le marché de gros du gaz naturel a fonctionné de manière satisfaisante. La crise électrique a par ailleurs été accentuée en France par la réduction de la disponibilité du parc nucléaire suite à la découverte d’anomalies sur des systèmes de sécurité. La France connait aujourd’hui les prix d’électricité les plus hauts d’Europe, reflet d’un déséquilibre offre-demande.

A titre d’illustration :

– Pour l’électricité : 109,2€/MWh en moyenne des prix spot, soit + 239 % par rapport à 2020. 94,7€/MWh en moyenne des prix à terme annuels, soit + 111 % par rapport à 2020 ;

– Pour le gaz : 46,4€/MWh en moyenne des prix sport soit + 398 % par rapport à 2020. 33,7€/MWh en moyenne des prix à terme annuels, soit +151 % par rapport à 2020 ;

 

  • Face à un tel constat, la CRE identifie des dysfonctionnements du système de formation des prix sur les marchés de gros de l’électricité. Elle se base sur un rapport de l’ACER remis en avril 2022 à la Commission européenne et portant sur le fonctionnement du marché de gros européen de l’électricité. Il est dressé le constat suivant : le marché intérieur européen permet l’optimisation à court terme du système électrique européen, et il est irremplaçable pour atteindre les objectifs climatiques de l’Union européenne de façon efficace. Toutefois, deux problèmes ne sont pas réglés :

– Ce marché ne délivre pas aujourd’hui une visibilité suffisante à long terme ;

– La question de la protection des consommateurs contre les périodes de prix élevés reste posée.

Pour y remédier deux mesures sont proposées par la CRE :

– L’Union européenne doit se préparer à une interruption des livraisons de gaz russe, en prévoyant des mesures exceptionnelles telles qu’un plafond des prix de gros du gaz et des garanties publiques temporaires pour éviter des défaillances en cascade d’acteurs du marché de gros de l’électricité ou du gaz ;

– Un effort de la maîtrise de la consommation doit être réalisé pour faire face à la crise d’approvisionnement physique que reflètent les prix de gros. Il faut donc inciter les consommateurs à réduire leur consommation.

 

  • La CRE a renforcé sa surveillance des marchés de gros, en lien avec l’ACER et les autres régulateurs européens :

– Sur le marché du gaz : une surveillance accrue s’est portée sur les transactions sur les périodes où les prix du gaz étaient sensibles aux annonces souvent de nature politique concernant l’approvisionnement européen ;

– Sur le marché de l’électricité : une surveillance accrue également a été portée sur la qualité des publications concernant l’état du parc de production d’électricité ;

– Dans le cadre du règlement dit « REMIT » : la CRE est responsable depuis 2006 de la surveillance des marchés de gros français de l’électricité et du gaz naturel. Cette mission de surveillance s’inscrit dans le cadre du règlement européen n° 1227/2011 du Parlement européen et du Conseil du 25 octobre 2011 concernant l’intégrité et la transparence du marché de gros de l’énergie. Pour accroitre sa surveillance, elle s’appuie sur des outils de détection interne dans le but d’identifier les possibles abus de marché mais aussi sur les notifications de suspicions reçues par différentes sources et notamment par les personnes organisant des transactions à titre professionnel (à savoir les organisateurs des opérations de négoce sur leurs plateformes, ou persons professionally arranging transactions (« PPAT »)).

Les textes d’application de la loi Climat-Résilience sur la prise en compte des installations de production d’énergie photovoltaïque dans la lutte contre l’artificialisation des sols : bilan de la concertation

Projet d’arrêté définissant les caractéristiques techniques des installations de production d’énergie photovoltaïque exemptées de prise en compte dans le calcul de la consommation d’espace naturels, agricoles et forestiers (NOR : LOGL2211878A)

 

En matière de lutte contre l’artificialisation des sols, l’article 191 de la loi n° 2021-1104 du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets (dite « loi Climat-Résilience ») a fixé au sein de l’article L. 101-2 du Code de l’urbanisme un « objectif national d’absence de toute artificialisation nette des sols en 2050 » au moyen d’une réduction du rythme de l’artificialisation par tranches de dix années.

Le III de l’article 194 de ce même texte a ainsi introduit « un objectif de réduction de la consommation des espaces naturels, agricoles et forestiers » (« NAF ») par rapport à la consommation réelle de ces espaces observée au cours des dix années précédentes, à inscrire et à décliner dans les documents de planification régionaux et les documents d’urbanisme.

Dans cette perspective, cet article a également instauré une dérogation à la nouvelle adaptation des règles régissant l’élaboration des documents d’urbanisme, en prévoyant qu’un espace naturel ou agricole occupé par une installation de production d’énergie photovoltaïque ne sera pas comptabilisé dans le calcul de la consommation d’espaces naturels, agricoles et forestiers pour la première tranche de dix années de l’objectif de réduction du rythme de l’artificialisation des sols, si deux conditions s’avèrent réunies :

 

) les modalités de cette installation permettent qu’elle n’affecte pas durablement les fonctions écologiques du sol, ainsi que son potentiel agronomique ;

) l’installation n’est pas incompatible avec l’exercice d’une activité agricole ou pastorale sur le terrain sur lequel elle est implantée, si la vocation de celui-ci est agricole.

C’est ainsi qu’a été établi par le ministère de la transition écologique et solidaire un projet de décret soumis à consultation publique du 4 mai au 25 mai 2022 visant à préciser les conditions d’implantation des projets photovoltaïques dans un espace à vocation naturelle ou agricole, qui conduiraient à ne pas les comptabiliser dans la consommation d’espaces naturels, agricoles ou forestiers.

En premier lieu, le projet de décret a traduit la première condition précitée du 5° du III l’article 194 de la loi Climat par la prise en compte de deux critères.

D’une part, cette condition se décline par le maintien, sur toute la durée de l’exploitation, au droit de l’installation :

  • d’un couvert végétal adapté à la nature du sol ;
  • des éventuels habitats naturels préexistants sur le site d’implantation ;
  • de la perméabilité du sol au niveau des voies d’accès.

Dès lors que ce critère s’applique sur toute la durée de l’exploitation, le ministère a précisé, dans sa présentation du projet de décret, qu’il doit être respecté non seulement lors de la délivrance de l’autorisation d’urbanisme ou à l’achèvement des travaux, mais également tout au long de l’exploitation de l’installation.

D’autre part, cette première condition se traduit également par « la réversibilité de l’installation » de telle sorte que les caractéristiques de l’installation doivent ainsi permettre son démantèlement à terme.

En deuxième lieu, concernant la seconde condition relative à la comptabilité de l’installation avec l’exercice d’une activité agricole ou pastorale sur le terrain sur lequel elle est implantée, le projet de décret a repris l’interprétation jurisprudentielle de la notion de « compatibilité avec l’exercice d’une activité agricole ou pastorale » (CE, 8 février 2017, Société Photosol, n° 395464).

Ainsi, les caractéristiques techniques des installations de production d’électricité photovoltaïque doivent permettre « le maintien, sur les espaces à vocation agricole, d’une activité agricole ou pastorale significative, sur le terrain sur lequel elles sont implantées, en tenant compte de l’impact du projet sur les activités qui y sont effectivement exercées ou, en l’absence d’activité agricole ou pastorale effective, qui auraient vocation à s’y développer ».

En troisième lieu, le projet d’arrêté, également soumis à consultation, a précisé la liste des caractéristiques techniques que les installations de production d’énergie photovoltaïque mentionnées doivent respecter afin d’être exemptées du calcul de la consommation d’espace naturels, agricoles et forestiers, ainsi que, pour chacune d’entre elles, les valeurs ou seuils d’exemption de ce calcul.

Ces caractéristiques portent sur la hauteur des modules, sur la densité des panneaux ou le taux de recouvrement du sol par les panneaux, sur le type d’ancrages au sol (lesquels ne doivent pas être imperméabilisants et garantir une réversibilité des installations), sur le type de clôtures autour de l’installation ainsi que sur le revêtement des voies d’accès à l’installation.

Si les dispositions du décret et de l’arrêté devraient entrer en vigueur le 1er octobre 2022, la notice de présentation du projet de décret précise qu’il s’inscrit dans un plus large corpus doctrinal, réglementaire, voire législatif, en cours d’élaboration concernant les installations solaires au sol.

En dernier lieu, il ressort des consultations que les projets de textes ont fait l’objet d’avis plutôt défavorables.

Il en va notamment ainsi de la plupart des associations qui ont pour objet la promotion et la défense de l’environnement dans la mesure où elles semblent contester l’exemption législative elle-même.

A cet égard, France Nature Environnement a notamment critiqué l’insuffisante prise en compte des effets des installations photovoltaïques « sur les sols, les milieux naturels, la biodiversité et les connectivités écologiques ».

De même, les professionnels du secteur ont quant à eux parfois souligné l’imprécision des critères évoqués par le projet de décret soumis à consultation et ont proposé divers amendements.

Par exemple, ENGIE et Enerplan – Syndicat des professionnels du Solaire – ont demandé que les projets solaires développés sur les espaces forestiers qui ont bénéficié d’une autorisation de défrichement – accordée sous condition de compensation – soient également exemptés du calcul de la consommation d’espaces naturels, agricoles et forestiers.

De même, ce syndicat a critiqué le contrôle du respect du premier critère « durant toute la durée d’exploitation ». Selon lui, il est nécessaire « qu’un projet respectant les critères du décret et de l’arrêté ne puisse voir sa qualité de non artificialisant remise en cause dans le temps ».

En outre, de nombreux acteurs ont demandé que les projets agrivoltaïques soient considérés par défaut comme répondant aux critères énoncés dans le projet de décret dès lors qu’ils assureraient dans leur conception même une compatibilité entre exploitation agricole et production solaire.

 

 

Yann-Gaël NICOLAS et Mathis

La « stratégie nationale biodiversité 2030 » et l’actualité jurisprudentielle récente en matière de protection de la biodiversité et de dérogation à l’interdiction de destruction des espèces protégées

Dévoilé en mars 2022, le premier volet de la « stratégie nationale biodiversité 2030 » marque l’engagement de la France vers une inversion du déclin de la biodiversité. La convention sur la diversité biologique, ouverte à la signature lors du Sommet de la Terre de Rio de Janeiro de 1992, est à l’origine des stratégies nationales et européennes de protection de la biodiversité, dont la « stratégie nationale biodiversité 2030 » en est aujourd’hui la concrétisation. Le premier volet de cette stratégie est le fruit d’une concertation large avec les différentes parties prenantes (élus, experts, usagers et associations, instances représentatives, services publics et opérateurs…), qui s’inscrit dans le cadre des grands rendez-vous nationaux ayant eu lieu en 2021. Lors de la COP15, qui devrait se dérouler à l’automne en Chine, un nouveau cadre mondial sera établi afin de mettre un terme au déclin de la biodiversité et d’encourager sa régénération.

Cette actualité nous donne ainsi l’occasion de revenir sur les décisions très récentes à propos desquelles le juge administratif s’est prononcé sur la question de la dérogation à l’interdiction de destruction des espèces dites protégées. Consacré par le droit de l’Union européenne à l’article 2 de la directive du Conseil du 21 mai 1992 concernant la conservation des habitats naturels, de la faune et de la flore sauvages ainsi qu’à l’article 1er de la directive du 30 novembre 2009 concernant la conservation des oiseaux sauvages, ce principe vise à garantir la protection du patrimoine naturel protégé en interdisant sa destruction. En droit interne, c’est l’article L. 411-1 du Code de l’environnement qui traduit ce principe de protection du patrimoine naturel protégé.

La stratégie nationale biodiversité 2030 retiendra ainsi notre attention (I), avant d’étudier plus en détails l’actualité jurisprudentielle récente concernant la protection de la biodiversité au travers de la question de la dérogation à l’interdiction de destruction des espèces protégées (II).

 

I. La « stratégie nationale biodiversité 2030 »

La « stratégie nationale biodiversité 2030 » a vu son premier volet être dévoilé en mars 2022. Il est le fruit d’un travail de concertation et de consultation de 18 mois entre les différentes parties prenantes.

Cette stratégie s’organise autour de cinq axes, concernant la protection et la restauration des écosystèmes, l’utilisation durable et équitable des ressources naturelles et des services écosystémiques, la sensibilisation, la formation et la mobilisation de la société, le pilotage transversal orienté sur les résultats et piloté par la connaissance ainsi que des financements au service des politiques de biodiversité. Elle s’appuie notamment sur trois principes, la sobriété dans l’usage des ressources naturelles, la cohérence des actions au niveau des politiques publiques et des partenariats avec le secteur privé, ainsi que l’opérationnalité, afin d’entraîner des changements concrets nécessaires à la transition écologique. Elle bénéficie également d’une gouvernance interministérielle et est accompagnée d’indicateurs et de cibles afin de suivre sa mise en œuvre et les inflexions à y apporter.

Les premiers axes mis en œuvre de la stratégie concernent le soutien de l’évolution d’une société plus en harmonie avec l’environnement, l’accompagnement de la transition écologique des activités humaines les plus néfastes ainsi que la protection et la restauration de la nature. Pour chacun de ces axes, des objectifs à atteindre sont établis, tels que la lutte contre les espèces exotiques envahissantes, le déploiement des aires protégées sur 30 % du territoire, la réduction de l’artificialisation des sols, la protection de la santé des citoyens et les mesures associées sont également décrites. Plus de 500 opérations dites « coup de poing » sont en ce sens envisagées d’ici 2025 afin de lutter contre les espèces exotiques envahissantes, des opérations de restauration des continuités écologiques dégradées sont également prévues et devront débuter dès 2022. Trois décharges littorales, menacées par l’érosion côtière, devraient également être réhabilitées en 2022 (plus de cinquante devant l’être par ailleurs, d’ici 2025).

Au-delà de cette nouvelle stratégie, il est intéressant d’examiner l’actualité jurisprudentielle qui participe également à la protection de la biodiversité.

 

II. Les décisions récentes des juridictions administratives en matière de biodiversité

A. Le souci du juge administratif de veiller au respect des conditions de délivrance d’une dérogation espèce protégée

L’article L. 411-2 du Code de l’environnement pose des conditions à remplir afin d’obtenir une dérogation au principe d’interdiction de destruction des espèces protégées posé à l’article L. 411-1 du même Code. Selon ces dispositions, une dérogation est possible à condition qu’elle réponde à une raison impérative d’intérêt public majeur, qu’il n’existe pas d’autre solution satisfaisante et que la dérogation ne nuise pas au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle.

Par deux jurisprudences récentes, le juge a veillé au respect de ces conditions, ce qui a abouti au rejet de deux projets impactant des espèces protégées.

D’abord, le 10 mars 2022, le Conseil d’Etat s’est prononcé sur la question de l’essentialité du critère de la raison impérative d’intérêt public majeur, dans son arrêt Association Sauvegarde des Avant-Monts et autre, n° 439784. En effet, il avait considéré que dès lors que ce critère n’était pas rempli, l’autorisation d’un projet d’aménagement ou de construction portant ou risquant de porter atteinte à des espèces protégées, ne pouvait être délivrée (voir la brève de la LAJEE de mai 2022 en ce sens[1]).

Puis, par une décision du 30 mai 2022 n° 20MA00986 de la Cour administrative d’appel de Marseille, le juge administratif s’est prononcé en faveur de la confirmation de l’arrêté préfectoral, déjà prononcée en première instance, qui refusait l’autorisation d’implantation d’un parc d’activités économiques sur le territoire de plusieurs communes et a rejeté les prétentions de la communauté d’agglomération.

La communauté d’agglomération de la Provence vert (initialement communauté de communes Sainte-Baume Mont-Aurélien), pétitionnaire avait déposé une demande de dérogation (prévue à l’article L. 411-2 du Code de l’environnement) au principe d’interdiction de destruction des espèces protégées, mais le Préfet du Var avait refusé de lui accorder en raison des destructions et altérations d’habitats d’espèces protégées risquant d’être engendrées.

En effet, le projet envisagé avait notamment pour effet d’altérer et réduire un corridor écologique majeur situé dans cette région. Le Préfet du Var avait alors considéré que les mesures compensatoires environnementales n’étaient pas suffisantes et que les conditions définies à l’article L. 411-2 du Code de l’environnement n’étaient pas remplies. Si des solutions alternatives de moindre impact environnemental avaient été envisagées, la solution finalement retenue était considérée par le préfet et le conseil national de protection de la nature comme étant la plus favorable du point de vue économique, mais la moins intéressante du point de vue environnemental. Dans ces conditions, le juge confirme l’arrêt rendu en première instance par le Tribunal administratif de Toulon, confirmant le refus d’accorder la dérogation à l’interdiction d’atteinte aux espèces protégées décidé par le Préfet du Var et rejetant les prétentions de la communauté d’agglomération.

Avec cette décision et l’attention particulière portée par le juge au respect des conditions de la dérogation à l’interdiction prévue à l’article L.411-2 du Code de l’environnement, le juge administratif veille au respect des règles visant à la protection de la biodiversité avec une appréciation au cas par cas.

 

B. Le surseoir à statuer du juge administratif concernant l’obligation de dépôt de la demande de dérogation à l’interdiction de destruction

Dans sa décision du 27 avril 2022 n° 20DA01392, la Cour administrative d’appel de Douai a sursis à statuer dans un litige opposant la société Parc éolien du Sud Artois autorisée par le Préfet du Pas-de-Calais à construire et exploiter un parc éolien, à la société pour la protection de l’environnement Association Sud-Artois.

Le litige opposant la société de protection de l’environnement à la société du parc éolien porte sur l’autorisation environnementale, délivrée par le préfet au bénéfice de cette dernière.

Sur ce point, on rappellera que l’autorisation environnementale délivrée en application de l’article L. 181-2 du Code de l’environnement peut valoir dérogation à l’interdiction de porter atteinte aux espèces protégées (article L. 4111-1 du Code de l’environnement). Or tel n’était pas le cas en l’espèce.

L’étude environnementale présentée par la société pétitionnaire dans sa demande d’autorisation montrait que des espèces protégées risquaient d’être impactées par ce projet. En ce sens, il était alors reproché à l’arrêté préfectoral de ne pas avoir intégré cette dérogation dans l’autorisation environnementale et donc de ne pas avoir saisi le Conseil régional de la sauvegarde du patrimoine naturel (CRSPN), qui doit être consulté lorsqu’une décision d’autorisation vaut dérogation espèces protégées.

 Les services de l’Etat ont fait valoir dans leurs écritures que cette dérogation était nécessaire qu’en cas de « risque significatif » pour l’espèce protégée.

Dans ces conditions, la CAA a sursis à statuer jusqu’au prononcé de l’avis du Conseil d’Etat sur deux questions, sur le fondement de l’article L. 113-1 du Code de justice administrative, qui lui permet, avant de statuer sur une requête soulevant une question de droit nouvelle présentant une difficulté sérieuse et se posant dans de nombreux litiges, de transmettre le dossier de l’affaire au Conseil d’Etat pour qu’il examine la question soulevée.

S’agissant de la première question, elle porte sur le fait de savoir s’il suffit, pour que l’autorité qui délivre une autorisation environnementale exige du pétitionnaire qu’il sollicite une demande de dérogation « espèces protégées »  « que le projet soit susceptible d’entraîner la mutilation, la destruction ou la perturbation intentionnelle d’un seul spécimen d’une des espèces [concernées] ou la destruction, l’altération ou la dégradation d’un seul habitat, ou faut-il que le projet soit susceptible d’entraîner ces atteintes sur une part significative de ces spécimens ou habitats en tenant compte notamment de leur nombre et du régime de protection applicable aux espèces concernées ? ». En d’autres termes, la CAA se demande ici si, pour que le pétitionnaire soit tenu de solliciter l’octroi de la dérogation prévue à l’article L. 411-2 du Code de l’environnement, il faut que le projet soit susceptible d’entraîner des mutilations, destructions, ou perturbation d’un seul spécimen d’une des espèces en cause, ou bien s’il faut qu’une part significative de ces spécimens ou habitats soit susceptible d’être concernée. La Cour s’interroge donc sur le besoin de créer un seuil d’atteinte qui justifierait l’obtention d’une dérogation.

Dans un second temps, la CAA de Douai demande au Conseil d’Etat si l’autorité administrative doit tenir compte de la probabilité de réalisation du risque d’atteinte à ces espèces pour exiger le dépôt de la demande de dérogation ou si elle doit le faire seulement si les mesures de la séquence ERC proposées par le pétitionnaire apparaissent comme insuffisantes.

L’avis du Conseil d’Etat devrait être rendu d’ici quelques semaines et apportera des réponses à ces interrogations concernant l’interprétation à donner des règles relatives à la protection de la biodiversité et à la dérogation faite à l’interdiction de porter atteinte aux espèces protégées.

 

[1] https://www.seban-associes.avocat.fr/especes-protegees-lessentialite-du-critere-de-la-raison-imperative-dinteret-public-majeur/

Les apports de la Loi 3DS en matière de conflits d’intérêts

Parmi les nombreux apports de la Loi n°2022-217 du 21 février 2022 dite Loi 3DS, figurent notamment des mécanismes destinés à sécuriser la représentation des Collectivités au sein de leurs organismes satellites. La création d’un nouvel article L.1111-6 du Code général des Collectivités territoriale, et la modification de son article L.1524-5 par l’ajout de deux alinéas, répond à cet objectif : poser un principe d’exclusion du conflit d’intérêt au profit de l’élu représentant sa Collectivité au sein de certaines entités tierces, et l’assortir de certaines exceptions. Ce mécanisme, est encore appelé à évoluer puisque certaines dispositions le concernant ne seront applicables qu’à compter du 1er janvier 2023. En tout état de cause, sa portée devra être précisée par la jurisprudence, pénale notamment ; elle peut toutefois d’ores et déjà être appréciée à l’aune d’une autre modification législative, cette fois de l’article 432-12 du Code pénal, portée par la Loi du 22 décembre 2021.

1. Synthèse des apports de la Loi 3DS en matière de conflits d’intérêts

D’emblée, il faut souligner que la Loi 3DS n’emporte pas en tant que telle de modification de la notion de conflit d’intérêts[1], pas plus que de l’incrimination de prise illégale d’intérêts – qui a certes fait l’objet d’une modification contemporaine à la Loi 3DS mais portée cette fois par la Loi du 22 décembre 2021[2].

Son apport sur ce point se situe sur un autre plan : consacrer dans le Code général des collectivité territoriale un principe de représentation des Collectivités au sein d’organismes tiers par leurs élus, en précisant que ceux-ci ne peuvent être considérés comme intéressés au sens notamment du délit de prise illégale d’intérêt. Ce principe doit alors classiquement s’apprécier au regard des dispositions de l’article 122-4 du Code pénal, aux termes duquel pour mémoire « n’est pas pénalement responsable la personne qui accomplit un acte prescrit ou autorisé par des dispositions législatives ou réglementaires ».

En ce sens, la substance des apports de la Loi 3DS en matière de conflit d’intérêts est à rechercher dans son article 217 qui, d’abord, ajoute au Code général des collectivités territoriales un nouvel article L.1111-6 prévoyant que « les représentants d’une collectivité territoriale ou d’un groupement de collectivités territoriales désignés pour participer aux organes décisionnels d’une autre personne morale de droit public ou d’une personne morale de droit privé en application de la loi ne sont pas considérés, du seul fait de cette désignation, comme ayant un intérêt, au sens de l’article L. 2131-11 du présent code, de l’article 432-12 du code pénal ou du I de l’article 2 de la loi n° 2013-907 du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique, lorsque la collectivité ou le groupement délibère sur une affaire intéressant la personne morale concernée ou lorsque l’organe décisionnel de la personne morale concernée se prononce sur une affaire intéressant la collectivité territoriale ou le groupement représenté ».

La lecture du texte se suffit à elle-même et nous verrons dans les développements qui suivent que le principe ainsi érigé souffre certaines exceptions. Relevons néanmoins dès à présent que si le texte vise – de manière large – la représentation au sein de structures publiques comme privées, c’est à la condition que ce mécanisme soit prévu par la Loi

Le même article 217 modifie également le 11e alinéa de l’article L1524-5 du Code général des collectivités territoriales, qui se trouve désormais ainsi rédigé : « nonobstant l’article L. 1111‑6 du présent code, les élus locaux agissant en tant que mandataires des collectivités territoriales ou de leurs groupements au sein du conseil d’administration ou de surveillance des sociétés d’économie mixte locales et exerçant les fonctions de membre ou de président du conseil d’administration, de président-directeur général ou de membre ou de président du conseil de surveillance, ne sont pas considérés, de ce seul fait, comme étant intéressés à l’affaire, au sens de l’article L. 2131-11 du présent code, de l’article 432‑12 du code pénal ou du I de l’article 2 de la loi n° 2013‑907 du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique, lorsque la collectivité ou le groupement délibère sur ses relations avec la société d’économie mixte locale ».

Rappelons que l’ancienne rédaction de l’article L.1524-5 contenait déjà un dispositif relatif aux conflits d’intérêts, dont la portée était toutefois limitée à la notion de conseiller intéressé, « au sens de l’article L. 2131-11 », ce qu’avait d’ailleurs relevé la Haute autorité sur la transparence de la vie publique (HATVP) en son temps [3].

Le principe, et son effet sur le plan de responsabilité pénale, est ainsi désormais clairement exprimé tant par l’article L.1111-6 que par l’article L.1524-5, et il n’est plus permis de douter des intentions du Législateur sur ce point. Relevons par ailleurs que le champ d’application du second est quant à lui plus précisément circonscrit aux « sociétés d’économie mixte locales » et aux fonctions exercées au sein de leurs Conseils d’administration ou de surveillance, outre les mandats de président du conseil d’administration, de président-directeur général ou de président du conseil de surveillance.

En application de ce double mécanisme, l’élu concerné n’est pas en situation de conflit d’intérêt au sens de l’article 2 de la Loi du 11 octobre 2013, ne peut être considéré comme conseiller intéressé à l’affaire au sens de l’article L.2131-11 du Code général des collectivités territoriales, et ne peut se voir imputer le délit de prise illégale d’intérêts prévu et réprimé par l’article 432-12 du Code pénal.

Reste que ce principe exonératoire souffre plusieurs exceptions[4], que l’on peut énumérer succinctement comme la participation aux décisions de la collectivité attribuant un marché à l’entité concernée, lui consentant une garantie d’emprunt ou une aide ; il faut y ajouter la participation aux commissions d’appel d’offre et les délibérations de la collectivité portant sur la désignation ou la rémunération de l’élu au sein de cette entité. L’article L.1111-6 ajoute enfin une exception à l’exception – revenant donc à l’exonération de principe – pour les élus « représentants des collectivités territoriales (…) qui siègent au sein des organes décisionnels d’un autre groupement de collectivités territoriales » ou « qui siègent au sein des organes décisionnels des établissements mentionnés aux articles L. 123-4 et L. 123-4-1 du code de l’action sociale et des familles et à l’article L. 212-10 du code de l’éducation »[5].

Dans le champ de l’exception, l’obligation de déport demeure, une participation de l’élu à la décision pouvant notamment consommer le délit de prise illégale d’intérêts. Rappelons sur ce point que la prudence invite à conserver une acception large de cette obligation de déport, et donc à s’extraire du processus d’instruction, d’élaboration et de présentation de la décision, de toute présence à l’assemblée délibérante, du vote de la décision – fût-ce par le biais d’un pouvoir – et de sa mise en œuvre.

Il est encore un apport de la Loi 3DS qui, s’il ne produira son plein effet qu’à compter du 1er janvier 2023, mérite d’ores et déjà l’attention : la représentation des Collectivités au sein des filiales des sociétés d’économie mixtes locales.

La portée générale de l’article L.1111-6 nouveau du Code général des collectivités territoriales invite en effet à considérer qu’un élu représentant sa Collectivité non pas au sein de la Société d’économie mixte dont elle est directement actionnaire, mais au sein d’une filiale de celle-ci, doit bénéficier des mécanismes d’exemption précitées dans les mêmes conditions et sous les mêmes réserves.

C’est toutefois à la condition que cette représentation au sein de la filiale considérée soit « prévue par la Loi » ; et c’est ici le nouvel article L.1524-5-1 du Code général des collectivités territoriales – introduit par l’article 216 de la Loi 3DS mais qui n’entrera en vigueur qu’à compter du 1er janvier 2023 – qu’il faut considérer.

Ces dispositions – futures donc – posent tout d’abord le principe de représentation de la Collectivité actionnaire d’une société d’économie mixte à l’assemblée générale des filiales de celle-ci – i.e. les structures qu’elle détient à plus de 50%. Dans ce cas, l’élu représentant la Collectivité au sein de cette Assemblée générale peut bénéficier des mécanismes de l’article L.1111-6 du Code général des collectivités territoriales.

En revanche, la représentation de la Collectivité au sein de la gouvernance de cette filiale n’est organisée par l’article L.1524-5-1 que pour les sociétés anonymes, et seulement pour les fonctions de membre du Conseil d’administration ou de surveillance.

Aussi pourrait-on considérer que la représentation d’une Collectivité au sein d’une filiale constituée sous une autre forme que celle de société anonyme, ou au sein d’autres instances que son assemblée générale, son conseil d’administration ou de surveillance, ne pourrait bénéficier du dispositif de l’article L.1111-6 ; et l’élu concerné se verrait alors contraint de s’astreindre aux mécanismes de déports précités.

Bien sûr, ces mécanismes sont encore neufs et leur application demeure contingente d’une Jurisprudence à venir, dont on peut tout au plus s’attacher en l’état à anticiper les contours.

2. Mesure de la portée de la Loi 3DS en matière de conflits d’intérêts

Sur le principe, l’intention du Législateur semble claire : doter les élus représentant leur Collectivité au sein de structures satellites – sociétés d’économie mixtes locales mais aussi d’autres structures pour lesquelles le principe de représentation est prévu par la Loi – de mécanismes de sécurisation de leur intervention au regard notamment du risque pénal.

Il faut en effet rappeler que la Jurisprudence pénale rendue en matière de prise illégale d’intérêt s’est progressivement mais résolument étendue à des actes pourtant perçus comme éloignés de considérations de probité ; des actions conformes à l’intérêt général, non préjudiciables, exempts de toute considération pécuniaire, voire dépourvus d’intention délictueuse établie[6] ont ainsi pu entrer dans le champ de la répression.

A ce titre, les dispositifs mis en place par la Loi 3DS doivent être salués : ils présentent l’intérêt de dessiner un cadre d’intervention pour les élus. Les contours précis de ce cadre devront néanmoins être façonnés par la Jurisprudence, notamment quant à la portée des exceptions prévues et donc des sujets sur lesquels l’élu devra se déporter.

A titre d’exemple, lorsque la Loi évoque l’attribution d’un marché, faut-il y inclure un avenant ? De même, pour la question des aides et cautionnements, qu’en sera-t-il de la souscription à une augmentation de capital ou d’un apport en compte courant d’associé ?

Autant de questions qui devront être tranchées par le Juge pénal, et auxquelles il conviendra d’être attentif pour mettre en œuvre à bon escient d’éventuelles obligations de déport, seuls moyens de neutraliser le risque.

*

Enfin, les apports de la Loi 3DS en matière de conflits d’intérêt ne peuvent être examinés sans mise en perspective avec la modification apportée à l’article 432-12 du Code pénal par la Loi du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l’institution judiciaire.

Rappelons que ce texte a substitué à la notion d’intérêt quelconque, celle d’un intérêt de nature à compromettre l’impartialité, l’indépendance ou l’objectivité de son détenteur qui, lorsqu’il est détenu par une personne chargée d’un pouvoir de surveillance sur une entreprise ou une opération, peut consommer le délit de prise illégale d’intérêt à son égard.

Là encore, la portée de cette modification ne pourra être pleinement mesurée qu’à la lumière de la Jurisprudence pénale à venir, dans le contexte des positions déjà exprimées par la HATVP en la matière ; l’on peut néanmoins s’accorder sur le fait que, parce qu’il exige désormais un intérêt non plus quelconque mais qualifié, le champ d’application du délit de prise illégale d’intérêt devrait s’en trouver réduit.

En ce sens et bien que la prudence reste de mise, ces deux textes pourraient constituer l’amorce d’une évolution de l’appréhension, notamment pénale, des conflits d’intérêts entre les collectivités et leurs satellites dès lors que leurs actions convergent et concourent à la satisfaction de l’intérêt général.

Un article de Matthieu Hénon paru dans La Gazette des Communes n° 2613 du 2 mai 2022

 

_______________________________________

[1] Cette notion demeure ainsi définie par l’article 2 I de la Loi n° 2013-907 du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique dans les termes suivants : « Au sens de la présente loi, constitue un conflit d’intérêts toute situation d’interférence entre un intérêt public et des intérêts publics ou privés qui est de nature à influencer ou à paraître influencer l’exercice indépendant, impartial et objectif d’une fonction. »

[2] Loi n° 2021-1729 du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l’institution judiciaire.

[3] Guide déontologique II de la HATVP « Contrôle et prévention des conflits d’intérêts », Février 2021, p.16, consultable en ligne https://www.hatvp.fr/wordpress/wp-content/uploads/2021/02/HATVP_GuideDeontologiqueII_VF.pdf.

[4] Ces exceptions sont posées par l’article L.1111-6 II et L1524-5 al. 12 du Code général des collectivités territoriales.

[5] Il s’agit en substance des centre communaux et intercommunaux d’action sociale et des caisses des écoles.

[6] Cass. Crim. 22 octobre 2008, 08-82.068, Bull. Crim. 212 : « l’infraction est constituée même s’il n’en résulte ni profit pour les auteurs ni préjudice pour la collectivité et retiennent que le dol général caractérisant l’élément moral du délit résulte de ce que l’acte a été accompli sciemment ».

Le barème Macron, sur le plafonnement des indemnités d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse, a été validé par la Chambre sociale de la Cour de cassation

Par deux arrêts en date du 11 mai 2022[1], la chambre sociale de la Cour de cassation, statuant en formation plénière, a :

  • Précisé la conformité, in abstracto, du barème Macron à l’article 10 de la convention n° 158 de l’ « Organisation internationale du Travail » (OIT) ;
  • Neutralisé la possibilité d’un contrôle de conventionnalité in concreto au regard de l’article 10 de la convention n° 158 de l’OIT ;
  • Précisé l’absence d’effet direct horizontal de l’article 24 de la Charte Sociale Européenne.

Annonçant, ainsi, la fin d’un débat juridique qui aura duré plus de 4 ans, la Haute Cour a envoyé un signal fort aux justiciables et aux juges du fond sur le plan national, mais également international (le lecteur attentif remarquera, ainsi, la volonté de la Cour de cassation de donner le plus grand écho à ces arrêts, en les traduisant en anglais sur son site internet).

Contexte juridique de la décision

 

Ces décisions s’inscrivent dans un contexte particulièrement tumultueux.

Pour rappel, la loi n° 2015-990 en date du 6 août 2015 (dite loi Macron) annonçait la volonté d’encadrer les indemnités octroyées par le juge en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse, par l’établissement d’un barème impératif.

Censuré une première fois par le Conseil constitutionnel,[2] le format de barème prévu par la loi dite Macron de 2015 avait, finalement, été introduit dans le Code du travail par la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 (dite loi Travail ou loi El Khomri), sous la forme d’un référentiel indicatif que le juge était libre de ne pas appliquer.  

Par la suite, l’ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017 (une des ordonnances Macron) a repris cette idée de barème impératif.

Ce fut l’acte de naissance du « barème Macron », tel que nous le connaissons aujourd’hui.

Le barème Macron a, alors, subi un véritable baptême du feu, devant diverses juridictions. Il survivait, ainsi, aux fourches caudines du Conseil constitutionnel, qui déclarait, une première fois en 2017 et une seconde fois en 2018, le principe de la barémisation conforme à notre bloc de constitutionnalité.[3] Outre ces décisions, le Conseil d’Etat jugeait en référé que le principe de la barémisation n’était pas en contradiction avec le droit européen et international.[4]

Des contestations ont suivi, aux fins de confronter, devant les juges du fond, la validité du barème au regard de l’article 24 de la Charte sociale européenne et de l’article 10 de la convention n° 158 de l’ OIT.

Pour cause, l’article 55 de notre constitution du 4 octobre 1958 et notre jurisprudence interne prévoient que les conventions internationales ont, à certaines conditions, une autorité supérieure aux lois.[5]

Or, l’article 24 de la charte sociale européenne et l’article 10 de la convention n° 158 de l’OIT prévoient que le travailleur licencié sans motif valable a droit à une indemnité « adéquate » ou à une réparation « appropriée ».

Au visa de ces textes, la question principale des requérants était alors, en substance, la suivante :

L’encadrement des indemnités de licenciement sans cause réelle et sérieuse par le barème Macron permet-il une indemnisation adéquate ou une réparation appropriée du préjudice du travailleur injustement évincé de l’entreprise au regard de l’article 10 de la convention n° 158 de l’OIT et/ou de l’article 24 de la charte sociale européenne ?

A cette question, la formation plénière de la Cour de cassation, saisie pour avis en 2019, énonçait, alors, que le barème Macron était conforme à l’article 10 de la convention 158 de l’OIT.[6]

Elle énonçait, par ailleurs, que l’article 24 de la Charte sociale européenne n’avait pas d’effet direct dans un litige entre particuliers.[7]

A la lecture de cet avis, certains ont pu penser que la Cour de cassation soulignait, seulement, que le principe de la barémisation des indemnités de licenciement était objectivement conforme à l’article 10 de la convention n°158 de l’OIT (et donc conforme in abstracto).

Aussi, il a été soutenu que, dans certaines situations, les juges du fond pouvaient se fonder sur les articles des conventions internationales précitées pour écarter, in concreto, le barème, lorsque son application ne permettait pas de réparer intégralement le préjudice du salarié lésé.

Procédant, ainsi, à un contrôle in concreto, plusieurs juridictions de fond écartaient alors le barème, souvent dans des litiges concernant des salariés éloignés de la situation de l’emploi en raison de leur âge et, notamment, les Cours d’appel suivantes :

  • CA Paris, 18 septembre 2019 n° 17/00676 ;
  • CA Reims, 25 septembre 2019 n° 19/00003 ;
  • CA Paris, 30 octobre 2019 n° 16/05602 ;
  • CA Bourges, 6 novembre 2020, n° 19/00585 ;
  • CA Chambéry, 14 novembre 2019, n° 18/02184 ;
  • CA Colmar, 28 janvier 2020, n° 19/02184 ;
  • CA Grenoble, 30 septembre 2021, RG n° 20/02512…

Parallèlement à cette « résistance » des juges du fond, des décisions du « Comité Européen des Droit Sociaux » (CEDS), l’autorité interprétative et de contrôle de la Charte sociale européenne, laissaient penser que le barème Macron pourrait ne pas être conforme à l’article 24 de la charte sociale européenne.[8]

Des requérants français se saisissaient alors de cette occasion pour introduire un recours contre le barème Macron devant le CEDS, dont l’instance est encore pendante au jour de la publication de cet article.

En outre, des réclamations étaient également formées devant l’OIT, dont le Conseil d’administration a rendu un rapport sur les questions litigieuses concernant la convention n° 158 durant l’audience ayant donné lieu aux arrêts ci-commentés.[9]

C’est dans ce contexte juridique que la Cour de cassation s’est prononcée sur la validité du barème Macron.

Analyse de la décision

Le raisonnement global de la formation plénière de la Chambre sociale de la Cour de cassation s’est décomposé en plusieurs temps.

 

1. Un brevet de conventionnalité in abstracto, au regard de l’article 10 de la convention n° 158 de l’OIT

Sans surprise, la Cour de cassation a, tout d’abord, énoncé que le principe de la barémisation est, in abstracto, conforme à l’article 10 de la convention n° 1 58 de l’OIT.

Ce faisant, la Cour de cassation a confirmé l’avis qu’elle avait rendu en 2019 et a repris certains arguments précisés au point 26 d’une décision rendue en 1997, par le Conseil d’administration de l’OIT qui énonçait, alors, les critères que devait revêtir l’indemnisation « adéquate ».[10]

L’OIT soulignait, en effet, que l’un des critères de l’indemnisation adéquate résidait dans son caractère suffisamment dissuasif pour éviter le licenciement injustifié et qu’elle devait « raisonnablement permettre d’atteindre le but visé, à savoir l’indemnisation de la perte injustifiée de l’emploi ».

La Cour de cassation a repris mot pour mot ce raisonnement dans son arrêt du 11 mai 2022.

Afin de justifier que les critères de l’indemnité adéquate étaient satisfaits, elle a souligné, en substance, que notre droit interne était suffisamment dissuasif en ce qu’il imposait au juge, en cas de licenciement injustifié, d’ordonner d’office à l’employeur de rembourser jusqu’à 6 mois d’allocation chômage au Pôle Emploi.

Elle a, par ailleurs, souligné que le droit français permettait une indemnisation raisonnable en permettant au juge d’écarter le barème en cas de licenciement nul.

Dès lors, elle a retenu que le barème Macron prévoyait une indemnisation raisonnable de la perte injustifiée de l’emploi et que notre système d’indemnisation interne était suffisamment dissuasif.

Elle a, ainsi, considéré que le principe du barème était conforme, in abstracto, à l’article 10 de la convention n° 158 de l’OIT.

2. L’impossibilité d’opérer un contrôle de conventionnalité in concreto pour les juges du fond au regard de l’article 10 de la convention n° 158 de l’OIT

 

Le point qui a pu, cependant, surprendre certains défenseurs de salariés, opposés au barème, porte sur la position de la Cour de cassation concernant le contrôle in concreto.

En effet, il est traditionnellement admis que le rôle de la Cour de cassation est purement normatif et ne peut ou ne devrait pas concerner l’appréciation des faits (sauf exception, tel que le contrôle lourd ou léger ou encore la possibilité qu’elle a de statuer directement au fond dans certains cas).

La Cour de cassation reconnaît, d’ailleurs, dans un rapport de 2020, la délicatesse de la mise en œuvre d’un contrôle de conventionnalité in concreto ou du contrôle de la mise en œuvre de ce dernier au regard de son office.[11]

C’est peut-être là l’une des particularités techniques des arrêts rendus par la Chambre sociale de la Cour de cassation.

En effet, la Cour de cassation s’est dispensée d’avoir à contrôler les conditions de mise en œuvre du contrôle in concreto du barème Macron.

Il est, ainsi, intéressant de relever que l’employeur contestant le contrôle de conventionnalité in concreto du barème Macron a soulevé des arguments similaires aux inquiétudes que formulait déjà la Cour de cassation dans son rapport de 2020 sur le contrôle de conventionnalité.

Celle-ci énonçait, en effet, à cet égard :

« si le juge refuse d’appliquer une norme interne parce que cette application porterait une atteinte excessive à des droits fondamentaux, il répond peut-être à l’impératif de protection de la partie qui en est titulaire, mais il risque de porter un coup sérieux à d’autres principes fondamentaux, ceux de la sécurité juridique et de la prévisibilité du droit ».

Or, dans ses arrêts du 11 mai 2022, la Cour de cassation, après avoir reconnu l’effet direct de l’article 10 de la convention n° 158 de l’OIT dans un litige entre particulier, retient, pour rejeter le contrôle de proportionnalité in concreto :

  • qu’un tel contrôle amenant, selon les cas, à écarter le barème Macon en fonction de la situation concrète du salarié serait au principe de sécurité juridique,
  • qu’un tel contrôle serait contraire au principe d’égalité des citoyens devant la loi.

Déniant, la possibilité pour le juge du fond d’opérer un contrôle au cas par cas de la conformité du barème Macron, la Cour de cassation a précisé la mission de ces derniers, en énonçant qu’il leur appartenait (et qu’il leur appartiendra, désormais) :

« seulement d’apprécier la situation concrète de la salariée [ou du salarié] pour déterminer le montant de l’indemnité due entre les montants minimaux et maximaux déterminés par l’article L. 1235-3 du code du travail ».

Par ces termes, la Cour de cassation reprenait, par ailleurs, la position de Conseil constitutionnel dans sa décision de 2018 précitée.[12]

3. L’absence d’effet direct horizontal de l’article 24 de la Charte sociale européenne

Enfin, la Cour de cassation a confirmé son avis rendu en 2019, selon lequel l’article 24 de la Charte sociale européenne est dépourvu d’effet direct horizontal. Il en résulte qu’il ne peut être invoqué dans un litige entre particulier.

Cependant, la position de la Cour de cassation ne prive pas, pour autant, le justiciable d’invoquer l’article 24 de la Charte sociale européenne dans un litige dit vertical, c’est-à-dire avec l’Etat.

Certains requérant pourraient donc être tentés d’invoquer un tel argument si l’occasion s’en présentait.

Rappelons, d’ailleurs, que contrairement à la Cour de cassation, le Conseil d’Etat avait reconnu l’effet direct horizontal de l’article 24 de la charte sociale européenne.[13]

Les conséquences pratiques et les suites des arrêts de la Cour de cassation

Les deux arrêts en date du 11 mai 2022 s’inscrivent dans la volonté de permettre, aux employeurs, de prévoir les conséquences d’un licenciement qui pourrait s’avérer injustifié.

Certains requérants tenteront toujours de soulever l’inconventionnalité in concreto du barème Macron, la juges du fond devraient, cependant, globalement se conformer à la position de la Cour de cassation.

Les stratégies de contournement du barème Macron, consistant, notamment, à invoquer la nullité du licenciement, en faisant notamment état de discriminations, harcèlements, devraient, donc, perdurer.

Au reste, la Cour de cassation a totalement neutralisé l’invocabilité de l’article 24 de la Charte sociale de l’union européenne, de sorte que la décision à intervenir du CEDS, qui n’aurait de toute façon pas été contraignante, sera dépourvue de portée dans un contentieux entre particuliers.

Le débat sur la validité du barème macron semble donc clos, jusqu’à ce jour …

______________________________

[1] Décision – Pourvoi n°21-14.490 | Cour de cassation ; Décision – Pourvoi n°21-15.247 | Cour de cassation

[2] https://www.conseil-constitutionnel.fr/decision/2015/2015715DC.htm

[3] https://www.conseil-constitutionnel.fr/decision/2018/2018761DC.htm ; https://www.conseil-constitutionnel.fr/decision/2017/2017751DC.htm

[4] https://www.legifrance.gouv.fr/ceta/id/CETATEXT000036386806/

[5] Article 55, Constitution du 4 octobre 1958 ; Cass. Ch. Mixte, 24 mai 1975, Sté des cafés Jacques Vabre n° 73-13.556, Bull ; CE, 20 octobre 1989, Nicolo, n° 108243.

[6] Cass. Formation plénière, avis n° 15013 du 17 juillet 2019

[7] Cass. Formation plénière, avis n° 15013 du 17 juillet 2019

[8] CEDS, 8 septembre 2016, n°106/2014 Finish Society Rights C/Finlande () ;  CEDS, 11 février 2020, Réclamation n° 158/2017 Confederazione Generale Italiana del Lavoro (CGIL) c. Italie (Décision sur le bien-fondé: onfederazione Generale Italiana del Lavoro (CGIL) c. Italie (coe.int)).

[9] GB.344/INS/16/3: Rapport du comité chargé d’examiner la réclamation alléguant l’inexécution par la France de la convention (no 158) sur le licenciement, 1982 (ilo.org)

[10]https://www.ilo.org/dyn/normlex/fr/f?p=NORMLEXPUB:50012:0::NO::P50012_COMPLAINT_PROCEDURE_ID,P50012_LANG_CODE:2507030,fr

[11] Groupe de travail sur le contrôle de conventionnalité, rapport 2020, Cour de cassation, page 5.

[12] https://www.conseil-constitutionnel.fr/decision/2018/2018761DC.htm

[13] Conseil d’État, 7ème et 2ème sous-sections réunies, 10/02/2014, 358992

Décret n° 2022-613 du 22 avril 2022 portant modification des dispositions relatives aux élections des locataires dans le parc social

Ce décret modifie les modalités des élections des représentants des locataires qui ont lieu au sein des OPH, des ESH et des SEM de construction et de gestion de logements sociaux au sens de l’article L. 481-1 du Code de la construction et de l’habitation (« SEM agréées ») (I) et les modalités des élections des représentants des locataires au sein des sociétés de coordination (II).

 

I. Nouvelles règles dans l’organisation des élections des représentants des locataires au sein des instances des OPH, des ESH et des SEM agréées à appliquer pour les prochaines élections de décembre 2022

Tous les quatre ans, les OPH, les ESH et les SEM agréées organisent les élections des représentants des locataires qui siègent dans les conseils d’administration ou de surveillance desdits organismes.

Ces modalités sont régies par :

  • L’article R. 421-7 du Code de la construction et de l’habitation (« CCH ») pour les OPH (art. 2 du décret);
  • L’article R. 422-2-1 du CCH pour les ESH (art. 3 du décret);
  • L’article R. 481-6 du CCH pour les SEM agréées (art. 4 du décret). Nous rappellerons que s’agissant des SEM agréées, l’article R. 481-6 du CCH opère un renvoi pur et simple aux dispositions applicables aux ESH de l’article R. 422-1-2 du CCH.

Le décret n° 2022-613 modifie chacun de ces trois articles et est d’ores et déjà entré en vigueur.

Par ailleurs, de nombreuses coopératives HLM ayant une activité locative ont adopté des dispositifs similaires pour désigner les administrateurs représentant les locataires appelés à siéger dans leurs conseils d’administration ou de surveillance.

En synthèse, pour les OPH, les ESH et les SEM agréées :

  1. Les définitions des électeurs et des candidats ont été précisées.
  2. Le calendrier a été allongé :

Affichage de la lettre-circulaire « fournissant toutes indications utiles sur la date des élections, la procédure électorale et les conditions requises des candidats » à porter à la connaissance des électeurs dix semaines et non plus deux mois avant la date des élections.

  • Envoi de la liste des candidats au siège de l’organisme de logement social au moins huit semaines et non plus six semaines avant la date des élections ;
  • Envoi des bulletins de vote par l’organisme de logement social aux électeurs au moins deux semaines avant la date des élections.

      3. Elaboration d’un protocole électoral local et création d’une commission électorale

Il était d’usage que chaque organisme de logement social élabore en concertation un protocole électoral local. Cet usage est désormais prévu et encadré par les textes réglementaires.

Ainsi, un protocole électoral local est élaboré en concertation notamment avec les associations de locataires comptant des représentants élus au sein du conseil d’administration ou de surveillance de l’organisme de logement social. Ce protocole doit être validé par le conseil d’administration ou de surveillance de l’organisme. Il définit les modalités de prise en charge financière et matérielle par l’organisme des frais de campagne engagés par les associations. Il définit les modalités de fonctionnement de la commission électorale chargée d’examiner la recevabilité des listes déposées.

Cette commission électorale est également consultée pour avis sur toute question ou difficulté se rapportant aux opérations électorales et ce, jusqu’à la proclamation des résultats.

Celle-ci est composée de représentants de l’organisme de logement social désignés par son conseil d’administration ou de surveillance et de membres des associations ayant déposé une liste. Elle est présidée par le président de l’organisme ou son représentant.

     4. Le vote a lieu par correspondance ou par dépôt du bulletin dans une urne ou, en plus de ces deux ou de l’une de ces deux modalités, par voie électronique.

   5. Lors du dépouillement, le président du conseil d’administration ou de surveillance de l’organisme peut désormais se faire représenter (ce qui n’était pas possible auparavant, le président devant être présent sans possibilité de délégation).

 

II. Elections des représentants des locataires dans les sacs : modification des clauses-types

Créées par la loi n° 2018-1021 en date du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique (loi ELAN), les sociétés de coordination comptent trois représentants des locataires parmi leurs membres du conseil d’administration ou de surveillance.

Les clauses-types des sociétés de coordination issues du décret n° 2019-911 du 29 août 2019 relatif aux sociétés de coordination mentionnées à l’article L. 423-1-2 du Code de la construction et de l’habitation prévoyaient d’une part des modalités transitoires d’élection de ces représentants dans l’attente des élections de décembre 2022 et, d’autre part, des modalités applicables après lesdites élections.

Le décret n° 2022-613 portant modification des dispositions relatives aux élections des locataires dans le parc social pérennise le dispositif transitoire en supprimant les dispositions qui avaient vocation à s’appliquer après décembre 2022 et l’amende quelque peu comme suit :

  • Sont électeurs : les administrateurs représentant les locataires qui siègent aux conseils d’administration ou de surveillance des organismes membres de la société de coordination (OPH, ESH, Coopératives HLM, SEM agréées et organismes agréés L. 365-2 du CCH) ;
  • Chacun de ces représentants, membres du collège des électeurs, dispose d’un nombre de voix égal à celui obtenu par la liste à laquelle il appartenait lors de la dernière élection prévue par les articles L. 422-2-1 et L. 422-3-1 du CCH, divisé par le nombre de représentants élus de cette liste ;
  •  Les trois administrateurs représentant les locataires sont élus au scrutin de liste à un tour avec dépôt de listes comportant au moins autant de candidats que de sièges à pourvoir, et au plus deux candidats supplémentaires, sans adjonction ni suppression de noms et sans modification de l’ordre de présentation ;
  • Les sièges sont répartis entre toutes les listes à la représentation proportionnelle avec répartition des sièges restant à pourvoir selon la règle du plus fort reste ;
  • Les sièges revenant à chaque liste en fonction du résultat du scrutin sont attribués dans l’ordre des noms figurant sur la liste. Les autres personnes figurant sur la liste succèdent, dans l’ordre où elles y sont inscrites, aux représentants qui cessent leurs fonctions avant l’expiration de la durée normale de leur mandat. Les fonctions du nouveau représentant des locataires expirent à la date où auraient normalement cessé celles du représentant qu’il a remplacé. En cas d’épuisement de la liste, il n’est pas procédé à une élection partielle.

L’article R. 423-86 du CCH précisant que « la mise en conformité des statuts avec les dispositions réglementaires qui les modifient est faite par la première assemblée générale extraordinaire tenue après la publication de ces dispositions », les SAC devront anticiper cette mise à jour des statuts à l’occasion de leur prochaine assemblée générale qui serait convoquée à titre extraordinaire.

Le juge statue ultra-petita lorsqu’il intègre au solde du marché une somme qui n’a fait l’objet d’aucune demande en ce sens

Par un arrêt en date du 21 avril 2022, le Conseil d’Etat a estimé qu’une Cour administrative d’appel statue au-delà des conclusions dont elle est saisie en jugeant qu’un acheteur est redevable d’une somme de 61,979,19 euros au titre du solde d’un marché, alors qu’elle n’était saisie d’aucune demande en ce sens.

En l’espèce, le centre hospitalier de Cannes a conclu un marché avec la société Somerco en 2002 portant sur la mission d’ordonnancement, pilotage et coordination (OPC) d’un projet de restructuration complète d’un ensemble immobilier. Ce projet a, par la suite, fait l’objet d’un avenant et d’un marché complémentaire en 2006.

Par décision du 2 mars 2009, l’acheteur a résilié les deux marchés de la société Somerco à ses torts exclusifs.

Cette dernière a alors transmis ses projets de décomptes finaux relatifs à ces deux marchés résiliés comportant des soldes en sa faveur de, respectivement, 925,243,88 euros TTC et 20,606,23 euros TTC. Le projet de décompte final intégrait ainsi un montant de réclamation de 925,243,88 euros TTC au titre de l’exécution du marché principal.

Quant au centre hospitalier, il a notifié à l’opérateur les décomptes généraux des marchés avec un solde en sa faveur de 123,999,73 TTC pour le marché principal et de 8,242,39 euros TTC s’agissant du marché complémentaire.

Le Tribunal administratif de Nice, saisi par la société Somerco, a condamné l’établissement public à verser à la société la somme de 27,134,24 euros TTC.

Sur appel de cette même société, la Cour administrative d’appel de Marseille a jugé, par un arrêt avant dire droit, que la décision de résiliation du marché aux torts exclusifs de la société n’était pas fondée et a ordonné une expertise sur la nature et le montant des surcoûts de travaux supplémentaires invoqués par la société requérante dans son projet de décompte.

A l’issue de cette expertise, la Cour a réformé le jugement du tribunal et condamné le centre hospitalier de Cannes à verser à la société la somme de 416,760,48 euros TTC.

En cassation, le Conseil d’Etat remarque que le montant des prestations prévues et réalisées dans le cadre du marché principal a fait l’objet d’un accord entre les deux parties sur un montant de 1,039,865,57 euros HT et que ce montant a été couvert en intégralité par le versement des différents acomptes.

La Haute juridiction annule ainsi l’arrêt de la Cour administrative d’appel de Marseille en considérant qu’« en jugeant que le centre hospitalier était redevable, en outre, d’une somme de 61,979,19 euros au titre du solde du marché alors qu’elle n’était saisie d’aucune demande en ce sens, la cour a statué au-delà des conclusions dont elle était saisie ».

Le mécénat de compétences, désormais ouvert au secteur public à travers la mise à disposition de fonctionnaires

Le mécénat de compétences peut être défini comme un don en nature : une société met à disposition d’un organisme d’intérêt général un ou plusieurs de ses salariés, qui seront rémunérés pour mettre à la disposition de cet organisme, leurs compétences et capacité de travail.

Il est régi par la loi Aillagon de 2003 et ne s’applique pas aux personnes publiques. 

C’est la loi n° 2022-217 du 21 février 2022 relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l’action publique locale, dite loi « 3DS », qui a finalement permis d’élargir les possibilités de mise à disposition de fonctionnaires auprès d’associations et fondations dans le cadre du mécénat de compétences.

Quels fonctionnaires concernés ?

Son article 209 dispose que pourront être mis à la disposition d’organismes privés d’intérêt général et associations reconnues d’utilité publique :

  • les fonctionnaires de l’Etat,
  • les fonctionnaires de départements,
  • les fonctionnaires de régions,
  • les fonctionnaires d’établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre, et
  • les fonctionnaires de communes de plus de 3.500 habitants.

Pour quelle durée ?

Cette mise à disposition ne pourra excéder une durée de 18 mois, renouvelable dans la limite d’une durée de 3 ans 

Sous quelles conditions et modalités ?

La hiérarchie du fonctionnaire devra préalablement apprécier la comptabilité de l’activité envisagée du fonctionnaire.

Ce type de ménécat spécifique ne donne pas automatiquement lieu à remboursement par l’organisme d’accueil. En cas d’absence de remboursement de cette mise à disposition, celle-ci sera considérée comme une subvention.

Chaque année, un état des fonctionnaires mis à disposition devra être établi à la fois par les structures publiques mais également par les structures bénéficiaires.

Cet état sera annexé au budget et communiqué à l’assemblée délibérante avant l’examen du budget de la personne publique.

Les modalités seront précisées par décret en Conseil d’Etat, qui permettra aux organismes d’intérêt général de bénéficier d’une telle mise à disposition de fonctionnaires pour une durée expérimentale de 5 ans.

Le Conseil d’Etat valide une méthode d’évaluation matérialisée par des flèches de couleur pour l’attribution d’un contrat de concession

La commune de Saint-Cyr-sur-Mer a engagé une procédure de mise en concurrence en vue de l’attribution de sous-concessions de la plage artificielle des Lecques. Pour évaluer les offres, l’autorité concédante a eu recours à des flèches de couleurs, associées à une appréciation littérale.

Dans le cadre de cette méthode, une flèche verte orientée vers le haut représentait la meilleure appréciation, une flèche rouge vers le bas la moins bonne, tandis que des flèches orange orientées en haut à droite ou en bas à droite constituaient deux évaluations intermédiaires.

La procédure d’attribution a été annulée par le Juge des référés du Tribunal administratif de Toulon aux motifs notamment qu’« une telle méthode, qui limite la valorisation des offres à cette utilisation de signes sans autre affinement ou conversion en une note chiffrée laisse une trop grande part à l’arbitraire et ne permet pas d’assurer l’égalité de traitement entre les candidats ».

Le Conseil d’Etat annule l’ordonnance de première instance dès lors qu’il « incombait seulement [au juge] de rechercher si la méthode d’évaluation retenue n’était pas, par elle-même, de nature à priver de leur portée les critères ou à neutraliser la hiérarchisation qu’avait retenue l’autorité concédante ».

Or, le juge administratif rappelle les principes régissant les critères d’appréciation des offres, la méthode de notation et leur pondération, définis notamment par la décision du Conseil d’Etat du 3 novembre 2014, Commune de Belleville ( n° 373362) en matière de marchés publics :

« L’autorité concédante définit librement la méthode d’évaluation des offres au regard de chacun des critères d’attribution qu’elle a définis et rendus publics. Elle peut ainsi déterminer tant les éléments d’appréciation pris en compte pour son évaluation des offres que les modalités de leur combinaison. Une méthode d’évaluation est toutefois entachée d’irrégularité si, en méconnaissance des principes fondamentaux d’égalité de traitement des candidats et de transparence des procédures, les éléments d’appréciation pris en compte pour évaluer les offres au titre de chaque critère d’attribution sont dépourvus de tout lien avec les critères dont ils permettent l’évaluation ou si les modalités d’évaluation des critères d’attribution par combinaison de ces éléments sont, par elles-mêmes, de nature à priver de leur portée ces critères ou à neutraliser leur hiérarchisation et sont, de ce fait, susceptibles de conduire, pour la mise en œuvre de chaque critère, à ce que la meilleure offre ne soit pas la mieux classée, ou, au regard de l’ensemble des critères, à ce que l’offre présentant le meilleur avantage économique global ne soit pas choisie. Il en va ainsi alors même que l’autorité concédante, qui n’y est pas tenue, aurait rendu publique, dans l’avis d’appel à concurrence ou les documents de la consultation, une telle méthode d’évaluation ».

Si ces principes sont applicables aux contrats de concession, la Rapporteure publique précisait dans ses conclusions sur la décision commentée que « la souplesse plus grande laissée à l’autorité concédante par rapport à l’acheteur public nous conduit à penser qu’au moins en ce qui concerne les concessions, [l’]évaluation ne revêt pas nécessairement l’habit d’un chiffrage » [1].

Le Conseil d’Etat valide ainsi « cette méthode d’évaluation des offres, qui permet de comparer et de classer tant les évaluations portées sur une même offre au titre de chaque critère que les différentes offres entre elles [dès lors qu’elle] n’est pas de nature à priver de leur portée ces critères ou à neutraliser leur hiérarchisation ».

 

[1] Voir en ce sens les conclusions de M. Le Corre sur CE, 3 mai 2022, Commune de Saint-Cyr-sur-Mer, n°s 459678, 460089, 460090, 460154, 460155, 460724.

Un contrat entre une collectivité et une personne agréée sur le traitement des matières issues des installations d’assainissement non-collectif est de droit privé

Par sa décision en date du 11 avril 2022, le Tribunal des conflits règle un conflit de compétence négatif entre les juridictions judiciaire et administrative qui s’estimaient toutes deux incompétentes pour connaitre d’un litige né de l’exécution d’une convention portant sur le traitement des matières de vidange issues des installations d’assainissement non collectif conclue entre la Métropole européenne de Lille et une personne agréée exerçant des activités de vidange, curage et réfection de fosses et égouts.

Cette convention, qui permettait à la personne agréée de déposer dans certaines stations d’épuration les matières issues des vidanges qu’elle avait effectuées dans des systèmes d’assainissement non collectif, avait été résiliée par la MEL pour faute, en particulier à la suite d’un déversement d’hydrocarbures dans le réseau d’assainissement ; par la suite, la MEL avait adressé à la personne agréée un titre exécutoire afin de mettre à sa charge le coût des opérations d’investigation et de curage qui avaient été rendues nécessaires par ces pollutions d’hydrocarbures.

Souhaitant obtenir l’annulation du titre exécutoire, la personne agréée a saisi le Tribunal de grande instance de Lille d’une demande en ce sens. Mais, par une ordonnance du 28 janvier 2019, le Tribunal s’est déclaré incompétent pour statuer sur une telle demande.

La personne agréée s’est donc tournée vers le Tribunal administratif de Lille. Mais celui-ci a, par jugement du 12 novembre 2021, saisi par renvoi le Tribunal des conflits afin que soit tranchée la question de la compétence juridictionnelle.

La réponse à cette question dépendait de l’analyse qui devait être faite de la situation de la personne agréée par rapport au service public de l’assainissement non collectif, lequel est par détermination de la loi un service public à caractère industriel et commercial : s’il s’agissait d’un simple usager du service, le contrat était de droit de droit privé et ressortait donc de la compétence de la juridiction judiciaire ; à l’inverse, si le contrat devait être regardé comme faisant participer cette personne à l’exécution du service, il était de droit public et le litige relatif à son exécution ressortait donc de la compétence du juge administratif.

Dans sa décision du 11 avril 2022, le Tribunal des conflits opte pour la première solution et statue en ces termes :

« Lorsqu’une collectivité territoriale décide, dans le cadre du service public de l’assainissement et en application du III de l’article L. 2224-8 du code général des collectivités territoriales, de permettre aux personnes agréées de déposer en station d’épuration des matières qu’elles ont collectées d’installations non collectives, la personne agréée, qui assure ainsi l’élimination des matières de vidange dont elle a pris la charge, doit être regardée comme un usager de ce service public. La convention par laquelle la collectivité territoriale organise avec la personne agréée le dépôt par cette dernière des matières qu’elle a collectées et transportées ne peut être regardée comme faisant participer cette personne à l’exécution du service public de l’assainissement ».

Concluant que le contrat litigieux correspondait des rapports de droit privé entre un service public industriel et commercial et l’un de ses usagers, le Tribunal des conflits renvoie donc logiquement l’affaire au Tribunal judiciaire de Lille.

Cette décision fait prévaloir une appréciation restrictive de la notion de contrat faisant participer le cocontractant à l’exécution du service public. Ce faisant, elle s’inscrit en cohérence avec la jurisprudence dégagée dans des situations analogues, notamment celle par laquelle le Tribunal des conflits avait qualifié de contrats de droit privé les marchés ayant pour objet la vérification de la conformité des installations d’assainissement non collectif et la transmission aux services de la collectivité de rapports techniques comportant des propositions de décision, au motif que leurs titulaires ne pouvaient être regardés comme gérant du service (Tribunal des conflits, 12 novembre 2018, SARL Millet BTP et SMABTP, req. n° 4139).

Quelques modifications apportées au statut du Directeur général d’OPH

Les articles R. 421-19 et suivants du CCH fixent le statut du Directeur général d’Office public de l’habitat, et ce depuis un décret de 2009.

Plusieurs de ces articles viennent d’être modifiés à la marge, afin de parfaire le statut.

Premièrement, sur la rémunération du Directeur général, celle-ci est plafonnée, en fonction du nombre de logements locatifs gérés par l’OPH.

La rédaction du CCH jusqu’alors n’avait permis une revalorisation des plafonds de la part forfaitaire qu’à hauteur de 1,2 %, en 2010, soit une seule revalorisation en dix années. Les plafonds étaient par ailleurs fixés directement dans le décret, de sorte que toute modification devait intervenir par décret en Conseil d’Etat.

Désormais, le CCH prévoit une fixation des plafonds toujours en fonction du nombre de logements locatifs gérés par l’office en qualité de propriétaire ou agissant pour le compte de tiers, mais en précisant que c’est un arrêté conjoint des ministres chargés du logement et du budget qui fixe ces plafonds.

A l’heure où nous écrivons ces lignes l’arrêté n’est pas encore paru. Son intervention est donc à surveiller car si elle contenait une révision des plafonds alors celle-ci, une fois intervenue, permettrait aux Conseils d’administration des OPH qui le souhaiteraient de réviser à la hausse la part forfaitaire de rémunération du Directeur général (ce qui pourrait in fine entraîner une hausse de la part variable qui, pour mémoire, a elle aussi un maximum exprimé en pourcentage de la part forfaitaire).

Deuxièmement, sur les avantages annexes, l’article R. 421-20-1 ne visait que la possibilité pour l’OPH de faire bénéficier le Directeur général d’une prise en charge de cotisations à un régime de prévoyance.

Mettant le Directeur général à égalité avec tous les autres membres du personnel de l’Office, le nouvel article R. 421-20-1 vise désormais la participation de l’Office au financement de la protection sociale complémentaire, incluant ainsi de manière certaine toute à la fois la prévoyance et la complémentaire santé.

Troisièmement, sur les congés pour raisons de santé, l’article R. 421-20-6 faisait, pour les Directeurs généraux ayant par ailleurs la qualité de fonctionnaire et occupant l’emploi de Directeur général dans le cadre d’un détachement, un renvoi à certaines dispositions, mais en omettant de les faire bénéficier des congés pour raisons de santé des fonctionnaires, dont le texte de l’article R. 421-20-5 prévoyant en revanche déjà le bénéfice pour les directeurs n’ayant pas cette qualité. Mettant fin à l’hésitation qu’il pouvait y avoir sur le bénéfice des congés maladie des fonctionnaires ou des contractuels pour les uns ou les autres le décret permet donc de mettre fin à toute interrogation : les congés de l’ensemble des directeurs généraux d’OPH, quel que soit leur statut, sont ceux des fonctionnaires tels que prévus aux articles L. 822-1 et suivants du Code général de la fonction publique (CGFP).

Quatrièmement, sur le cas du Directeur général licencié et qui aurait la qualité de fonctionnaire de l’Office, la rédaction du texte avait amené la Cour administrative d’appel de Versailles (19 mai 2020, Monsieur L., req. n° 17VE02774) à juger qu’il existait pour celui-ci un droit illimité au surnombre. Ceci plaçait par ricochet les ex-Directeurs généraux dans une situation délicate de maintien indéfini d’un lien avec l’OPH alors même qu’il n’existerait pas, comme dans nombre de structures, d’emploi vacant permettant une nouvelle affectation pourvue de missions suffisantes. Outre l’inconfort évident des parties (l’ex-directeur général présent dans les effectifs mais sans attributions), l’agent restait donc rémunéré indéfiniment par l’Office. C’est la raison pour laquelle il était utile de prévoir la possibilité pour l’agent de demander une prise en charge par le Centre de gestion en tant que fonctionnaire momentanément privé d’emploi. C’est désormais chose faite, le II de l’article R. 421-20-5 prévoyant :

  • D’une part, et comme précédemment, que lorsqu’il est mis fin au détachement d’un fonctionnaire relevant de l’office sur l’emploi de directeur général, soit à la demande de l’office, soit à la demande du fonctionnaire, celui-ci est réintégré dans son cadre d’emplois ou dans son corps et a droit, le cas échéant en surnombre, à une nouvelle affectation au sein de l’office, dans un emploi correspondant à son grade.
  • D’autre part, et là est la nouveauté, qu’en cas de placement en surnombre, l’ancien directeur général peut, à sa demande, bénéficier à tout moment de la prise en charge prévue par les articles L. 542-6 à L. 542-35 du CGFP.

Enfin, sur les pouvoirs du Directeur général, l’article R. 421-16 a été modifié s’agissant du pouvoir du Directeur général d’ester en justice, rendant obsolète la jurisprudence du Conseil d’Etat selon laquelle la rédaction antérieure du CCH ne permettait pas au Directeur général de bénéficier d’une autorisation permanente et impliquait dès lors de prendre une délibération pour chaque dossier (CE, 12 juillet 2013, Grand Lyon Habitat, req. n° 357134). En effet, le texte prévoit désormais que le directeur général peut être chargé pour la durée de l’exercice de ses fonctions d’intenter au nom de l’office les actions en justice ou de le défendre dans les cas définis par le conseil d’administration. Cette autorisation du conseil d’administration doit cependant intervenir à chaque nouvelle désignation de ses membres intervenant en application du I de l’article R. 421-8.