Droit des agents aux tickets-restaurant dans le cadre du télétravail

Par un arrêt en date du 7 juillet 2022 le Conseil d’Etat a répondu par l’affirmative à la question de savoir si, lorsqu’il est en télétravail, l’agent public est éligible aux tickets restaurants.

Il ne s’agit pas là d’une décision particulièrement surprenante en ce que le décret n° 2016-151 du 11 février 2016 relatif aux conditions et modalités de mise en œuvre du télétravail dans la fonction publique et la magistrature prévoit au premier alinéa de son article 6 que « Les agents exerçant leurs fonctions en télétravail bénéficient des mêmes droits et obligations que les agents exerçant sur leur lieu d’affectation. ». En se fondant sur cette disposition, le Conseil d’Etat a donc jugé que :

« pour annuler la décision refusant à M. A… l’attribution de titres-restaurant, le tribunal administratif a jugé que le droit au bénéfice de cet avantage devait, pour les agents exerçant leurs fonctions en télétravail à domicile ou dans des locaux distincts de ceux de leur employeur public, être apprécié en tenant compte de l’éloignement de leur lieu de télétravail avec un dispositif de restauration collective. En statuant ainsi, alors qu’il lui revenait seulement de rechercher si l’intéressé aurait bénéficié de cet avantage s’il avait exercé ses fonctions sur son lieu d’affectation, le tribunal administratif a commis une erreur de droit ».

La question étant régulièrement posée et ayant donné lieu, notamment en droit du travail, à quelques positions jurisprudentielles divergentes, la réponse au cas des agents publics est désormais posée clairement et simplement.

Circulaire du 4 août 2022 : Rappel sur l’application en deux temps de l’objectif zéro artificialisation nette (ZAN)

L’objectif « zéro artificialisation nette » (dit « ZAN »), introduit par la loi Climat et Résilience, n° 2021-1104, en date du 22 août 2021 a fait l’objet d’une nouvelle circulaire, signée le 4 août dernier par Le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, pour rappeler aux préfets le régime de mise en œuvre en deux temps de cet l’objectif.

Cette circulaire s’inscrit dans la continuité des contestations survenues contre les décrets d’application de cette loi, notamment par l’Association des maires de France (AMF). Dans contexte, le Ministre avait annoncé, le 13 juillet dernier, être ouvert à une réécriture desdits décrets.

Pour mémoire, l’objectif ZAN vise, tout d’abord, à réduire de 50 % la consommation d’espaces naturels, agricoles et forestiers, observés au cours des 10 années précédant la loi, au niveau national (hors Ile-de-France, Corse et outremers), d’ici 2031. Il vise, ensuite, à atteindre le zéro artificialisation nette des sols, avec un objectif de réduction du rythme de l’artificialisation par tranches de 10 ans, d’ici 2050.

La circulaire ministérielle du 4 août 2022 rappelle, à ce titre, que les mesures de réduction de la consommation des espaces doivent être inscrites dans les documents de planification des régions (SRADDET) avant d’être traduites les documents d’urbanisme locaux des collectivités (SCoT et PLU).

La loi Climat et Résilience fixe les délais impartis pour procéder à l’inscription de l’objectif ZAN dans les différents documents d’urbanisme, à savoir :

  • Jusqu’au 22 octobre 2022 pour la présentation, par les conférences des SCoT, des propositions pour fixer les objectifs régionaux de réduction de l’artificialisation ;
  • Jusqu’au 22 août 2026 pour l’inscription de l’objectif ZAN dans les SCoT ;
  • Jusqu’au 22 août 2027 pour l’inscription de l’objectif ZAN dans les PLU et PLUi.

Cela étant, dans le cadre de la circulaire du 4 août 2022, le Ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires a rappelé aux préfets que le législateur a laissé aux collectivités la possibilité de moduler l’application de la règle visant à réduire de 50 % la consommation d’espaces naturels, agricoles et forestiers d’ici 2031, en fonction des résultats de la concertation effectuée dans le cadre de la conférence des SCoT au sein de chaque Région (article 194 de la loi Climat et Résilience).

A ce titre, le Ministre a invité les collectivités « à ne pas imposer dès à présent une réduction de moitié de la consommation des espaces naturels, agricoles et forestiers de manière uniforme dans tous les documents qui entrent actuellement dans des procédures de modification ou de révision afin de ne pas anticiper le résultat du dialogue entre les collectivités et celui du processus de déclinaison de l’objectif à chaque échelle territoriale ».

Pour autant, la circulaire rappelle aux élus qu’ils doivent être « sensibilisés au fait qu’une règle de réduction de la consommation des espaces » à vocation à s’appliquer aux SCoT et PLU, « ce qui implique de ne pas retenir des hypothèses de consommation manifestement incompatibles avec une politique de sobriété foncière et de maîtrise de l’étalement urbain ».

Sur l’appréciation du caractère disproportionné de la démolition d’un immeuble d’habitation collective au sein d’un lotissement en cas de violation du cahier des charges et de ressenti négatif du propriétaire voisin.

Au sein d’un lotissement, le cahier des charges peut fixer certaines règles de construction devant être respectées par les colotis.

Suivant un arrêt en date du 13 juillet 2022, la troisième chambre civile de la Cour de cassation entend apprécier la proportionnalité de la sanction tendant à la démolition de l’édifice construit en violation des règles du cahier des charges et l’éventuel préjudice subi par les propriétaires colotis.

Dans cet arrêt, des personnes ont acquis un lot constitué d’une villa au sein d’un lotissement. Quelques années plus tard, une société civile immobilière a acquis un lot voisin au sein de ce lotissement et a obtenu un permis de construire afin d’y réaliser la construction d’un immeuble de six logements avec piscine.

Il s’est avéré que la construction édifiée violait l’article 8 du cahier des charges du lotissement, dès lors qu’elle n’était pas implantée dans un carré de trente mètres sur trente mètres.

Dans ces conditions, les propriétaires voisins ont sollicité, à titre principal, la démolition de l’ouvrage édifié et à titre subsidiaire, l’allocation de dommages et intérêts, se prévalant de la violation du cahier des charges du lotissement.

Bien que la Cour d’appel constate que la construction contrevient au cahier des charges du lotissement, elle rejette la demande principale aux fins de démolition de l’édifice, retenant que la SCI ne leur a causé qu’un préjudice, dont elle leur doit réparation à hauteur de 20.000 euros.

La Cour d’appel retient que le juge peut apprécier si la sanction tendant à la démolition de l’immeuble est adaptée au préjudice allégué par la partie demanderesse.

En l’occurrence, les juges du fond considèrent qu’il existe une disproportion entre la démolition d’un immeuble d’habitation collective et le désagrément subi par le voisinage, dès lors que l’ensemble immobilier avait été construit dans l’esprit du règlement du lotissement et qu’il n’occasionnait aucune perte de vue ou aucun vis-à-vis.

 La Cour de cassation confirme la position de la Cour d’appel, qui a « fait ressortir l’existence d’une disproportion manifeste entre le coût de la démolition pour le débiteur et son intérêt pour les créanciers ».

Ainsi, aux termes de cet arrêt, la Cour de cassation entend valider le raisonnement des juges du fond fondé sur l’appréciation de la proportionnalité entre la sanction tendant à la démolition d’une construction et le préjudice subi par les colotis.

Force est de constater que la Cour de cassation tend à tempérer sa position traditionnelle suivant laquelle elle considérait rigoureusement que toute construction édifiée en violation du cahier des charges devait faire l’objet d’une démolition.

Dès lors, la violation du cahier des charges d’un lotissement pourra être sanctionnée par l’allocation de dommages et intérêts, dans l’hypothèse où la démolition de la construction se révèlera disproportionnée.

L’interdiction pour le responsable de service de demander à son subordonné le motif de son arrêt de travail

Lorsque l’agent bénéfice d’un arrêt de travail, il doit produire à son administration un certificat médical établissant son inaptitude physique d’effectuer son service.

L’agent transmet alors le deuxième feuillet de l’arrêt médical, qui ne comporte aucune information d’ordre médial concernant sa pathologie.

Son employeur n’a en effet pas à connaître le motif de son arrêt de travail, donnée couverte par le secret médical.

La seule voie ouverte à l’administration pour contrôler l’arrêt est celle prévue par la procédure spécifique de contrôle des arrêts de travail. En dehors, elle ne peut demander à son agent d’en justifier le motif.

En l’espèce, lors d’une réunion de service, un responsable de service a demandé à une de ses subordonnées les motifs de son arrêt de travail, sans se contenter de demander s’il était en lien avec ses fonctions.

Compte tenu du positionnement hiérarchique de l’agent et de son expérience de l’encadrement, la Cour considère que la sollicitation de telles informations, qui ne peuvent être obtenues que lors de procédures particulières de contrôle des arrêts de travail établies par des textes réglementaires auxquelles le supérieur hiérarchique des agents n’est pas associé, dans le cadre d’une réunion de service regroupant d’autres agents parmi lesquels un subordonné de la personne en cause et dans un contexte de tensions au sein du service, révèle un manquement fautif de nature à justifier une sanction disciplinaire.

La sanction de blâme infligée par l’autorité territoriale au supérieur hiérarchique a ainsi été reconnue comme proportionnée aux faits qui lui était reprochés.

Fonction publique territoriale : un nouveau décret tend à harmoniser les droits des agents contractuels sur ceux des agents titulaires

Le décret n° 2022-1153 du 12 août 2022, dont les dispositions sont entrées en vigueur le 15 août dernier, est venu modifier au sein de plusieurs décrets les dispositions générales applicables aux agents contractuels de la fonction publique territoriale afin de transposer certaines évolutions issues de la loi du 6 août 2019 de transformation de la fonction publique.

Poursuivant une logique d’harmonisation, ce décret étend et aligne les droits des agents contractuels sur ceux des agents titulaires dans certains domaines, notamment en matière de discipline et de congés.

Le décret du 12 août 2022 présente également le mérite d’actualiser les dispositions générales règlementaires applicables aux agents contractuels, afin de tenir compte de l’entrée en vigueur du Code général de la fonction publique (CGFP) le 1er mars 2022, en introduisant, dans les dispositions règlementaires concernées, les nouveaux renvois aux articles du CGFP en lieu et place des articles issus des lois statutaires.

Le décret du 12 août 2022 modifie le décret n° 88-145 du 15 février 1988 relatif aux agents contractuels de la FPT sur plusieurs pans, notamment en matière de discipline afin d’harmoniser les règles avec celles applicables aux fonctionnaires.

Parmi les modifications notables figurent l’introduction d’un délai de prescription de l’action disciplinaire de trois ans et l’introduction règlementaire de la suspension de fonctions à titre conservatoire en cas de faute grave. De mémoire auparavant, la suspension conservatoire des agents contractuels, si elle était autorisée en vertu de la jurisprudence, n’était encadrée par aucun texte, contrairement à la situation des fonctionnaires, de sorte que les agents contractuels suspendus ne pouvaient notamment se prévaloir d’aucun droit au maintien de leur rémunération.

Les modifications apportées au décret du 15 février 1988 par le décret du 12 août 2022 en matière disciplinaire portent également sur :

  • La liste des sanctions pouvant être prononcées avec l’ajout de l’exclusion temporaire de fonctions d’une durée maximale de trois jours et l’introduction du sursis partiel ou total ;
  • Les modalités d’inscription et d’effacement des sanctions dans le dossier individuel ;
  • Le champ de compétence de la Commission consultative paritaire ; celle-ci n’ayant plus à être saisie lorsqu’est envisagée la sanction de l’exclusion temporaire de fonctions pour une durée comprise entre 1 et 3 jours.

Par ailleurs, prenant en compte la modification du Code du travail, le décret du 12 août 2022 allonge la durée de la période de protection contre le licenciement des agents contractuels ayant accueilli un enfant, en interdisant le prononcé d’un licenciement avant l’expiration d’une période de dix semaines suivant la fin des différents congés en la matière (congé de maternité, congé de naissance, congé d’adoption…).

Notons également le relèvement de l’âge maximal de l’enfant (12 ans) pour bénéficier d’un congé sans rémunération pour élever un enfant, ainsi que l’allongement de la durée du congé sans rémunération pour convenances personnelles en la faisant porter à 5 ans renouvelable.

Toujours en matière de congés, le décret du 12 août 2022 étend les cas de versement de l’indemnité compensatrice de congés annuels en y ajoutant la démission.

En outre, ledit décret modifie les modalités d’octroi et de prise en compte au titre de l’ancienneté et des services effectifs de plusieurs congés (congé parental, congé sans rémunération pour convenances personnelles ou pour élever un enfant, congé sans rémunération pour créer ou reprendre une entreprise…) et élargit les cas de congés à l’issue desquels les agents contractuels peuvent bénéficier d’un réemploi.

Enfin, relevons que le décret du 12 août 2022 procède également à la modification du décret n° 2004-777 du 29 juillet 2004 en allongeant la liste des cas lors desquels les services à temps partiel sont assimilés à des services à temps plein.

Les collectivités territoriales doivent donc être attentives sur les modifications et apports importants de ce décret, tout comme l’Etat et le domaine hospitalier pour lesquels des décrets modifiants celui du 17 janvier 1986 et du 6 février 1991 étaient déjà intervenus en avril et mai dernier.

Distinction des modalités de publicité dans les journaux des avis relatif à l’enquête publique préalable à la déclaration d’utilité publique et à l’enquête parcellaire

Dans cette affaire, le juge de l’expropriation a refusé de prononcer l’expropriation d’une parcelle au motif que l’arrêté d’ouverture de l’enquête parcellaire avait été publié dans un seul journal diffusé dans le département. Le juge a en effet considéré que l’obligation de publicité n’avait pas été respectée car, selon lui, une annonce légale doit paraitre dans deux périodiques différents.

Au présent cas, deux avis avec quinze jours d’intervalle ont été publiés au sein d’un même journal.

Saisie sur pourvoi, la Cour de cassation a d’abord rappelé dans ses motifs les articles R.131-4 à R. 131-6, R. 131-11, R. 112-14, R. 221-1 et R. 221-5 du Code de l’expropriation.

Précisément, l’article R. 131-5 du Code dispose au sujet de l’avis de l’enquête parcellaire que :

« Un avis portant à la connaissance du public les informations et conditions prévues à l’article R. 131-4 est rendu public par voie d’affiches et, éventuellement, par tous autres procédés, dans chacune des communes désignées par le préfet, dans les conditions prévues à l’article R. 112-16. Cette désignation porte au minimum sur toutes les communes sur le territoire desquelles l’opération doit avoir lieu.

L’accomplissement de cette mesure de publicité incombe au maire et doit être certifié par lui.

Le même avis est, en outre, inséré en caractères apparents dans l’un des journaux diffusés dans le département, dans les conditions prévues à l’article R. 112-14 ».

Et l’article R. 112-14 auquel l’article précité renvoie, dispose que :

« Le préfet qui a pris l’arrêté prévu à l’article R. 112-12 fait procéder à la publication, en caractères apparents, d’un avis au public l’informant de l’ouverture de l’enquête dans deux journaux régionaux ou locaux diffusés dans tout le département ou tous les départements concernés. Cet avis est publié huit jours au moins avant le début de l’enquête. Il est ensuite rappelé dans les huit premiers jours suivant le début de celle-ci.

Lorsque l’opération projetée est d’importance nationale, cet avis est, en outre, publié dans deux journaux à diffusion nationale huit jours avant le début de l’enquête ».

En l’espèce, la Cour de cassation a relevé que : « Pour refuser de prononcer l’expropriation, après avoir visé les avis parus dans le journal « Tout [Localité 6] essor Rhône » les 5 et 19 septembre 2020, l’ordonnance retient qu’en matière d’expropriation, une annonce légale doit paraître dans deux journaux départementaux différents ».

Or, selon la Cour de cassation, la mise à la connaissance du public de l’avis relatif à l’enquête parcellaire n’est exigée que dans un journal diffusé dans le département, et non dans deux journaux.

Il convient ici de distinguer la publicité donnée à l’avis dans le cadre de l’enquête parcellaire et celui de l’ouverture de l’enquête publique préalable à la déclaration d’utilité publique.

Pour le premier, l’avis doit être publié dans l’un des journaux diffusés dans le département, selon les conditions de l’article R. 112-4 du Code précité, à savoir « publié huit jours au moins avant le début de l’enquête. Il est ensuite rappelé dans les huit premiers jours suivant le début de celle-ci ». Autrement posé, une seule publication suffit.

En revanche, pour le second, l’avis relatif à l’ouverture de l’enquête publique préalable à la déclaration d’utilité publique doit avoir un plus grand écho, et être ainsi publié dans « deux journaux régionaux ou locaux diffusés dans tout le département », en plus de respecter l’obligation de le publier « huit jours au moins avant le début de l’enquête. Il est ensuite rappelé dans les huit premiers jours suivant le début de celle-ci ».

Par conséquent, la Cour a ici considéré que le juge de l’expropriation, en statuant comme il l’a fait, avait violé les articles susvisés. La Cour a donc renvoyé l’affaire et les parties devant le juge de l’expropriation.

Qui est compétent pour statuer sur le recouvrement des frais d’hébergement des résidences pour personnes âgées, lorsque l’action est engagée après le décès du débiteur ?

L’article L 314-12-1 du Code de l’action sociale des familles dispose :

« Les établissements sociaux et médico-sociaux peuvent exercer leur recours, s’il y a lieu, contre les résidents, contre leurs débiteurs et contre les personnes désignées par les articles 205206207 et 212 du code civil. Ces recours relèvent de la compétence du juge aux affaires familiales ».

Par ailleurs l’article L 312-1 6 du même Code dispose que ;

« I.-Sont des établissements et services sociaux et médico-sociaux, au sens du présent code, les établissements et les services, dotés ou non d’une personnalité morale propre, énumérés ci-après :

6° Les établissements et les services qui accueillent des personnes âgées ou qui leur apportent à domicile une assistance dans les actes quotidiens de la vie, des prestations de soins ou une aide à l’insertion sociale ».

Selon une jurisprudence bien établie, les frais d’hébergement sont considérés comme relevant de la dette alimentaire. Le juge aux affaires familiales est compétent pour statuer sur celle-ci. Or la dette alimentaire s’éteint avec le décès de son créancier. Une difficulté se pose donc, lorsque l’action en recouvrement des frais d’hébergement impayés, est engagée après le décès du résident à l’encontre de ses descendants tenus d’une dette alimentaire.

Dans ces conditions le juge aux affaires familiales demeure-t-il compétent sur le fondement de l’article L 314-12-1 du Code de l’action sociale des familles, ou faut-il agir devant le juge judiciaire en répétition de l’indu ? Aucune précision n’est apportée par la loi.

La Cour d’appel de Metz donne une réponse dans un arrêt récent en date du 7 juin 2022. Dans cette espèce, la résidente d’un établissement de santé était débitrice de frais d’hébergement.

Ses héritiers débiteurs à son égard d’une dette alimentaire ont été assignés en répétition de l’indu sur le fondement de l’article 1303 du Code civil devant le juge judiciaire. Condamnés en première instance, ils ont interjeté appel.

La Cour d’appel a fait droit à leur demande et a infirmé le jugement déféré. Elle rappelle le caractère subsidiaire de l’action fondée sur l’enrichissement sans cause.

Elle indique qu’en l’espèce les conditions inhérentes à cette action ne sont pas réunies dans la mesure où l’établissement demandeur disposait d’un recours sur le fondement de l’article L 314-12-1 du Code de l’action sociale des familles.

On peut donc en conclure que le décès du résident, débiteur de frais d’hébergement, auprès d’une résidence pour personnes âgées, ne supprime pas le recours dont dispose cet établissement de santé, devant le juge aux affaires familiales.

Qu’en dira la Cour de cassation ?  Affaire à suivre…

Procédure de référé en matière de presse – trouble manifestement illicite et excuse de bonne foi : agir vite oui, mais pas trop !!!

En matière de droit de la presse, il n’est pas toujours aisé de distinguer ce qui pourrait relever de la procédure de référé ou non. Le Juge des référés du Tribunal Judiciaire de Paris est venu apporter quelques précisions notamment s’agissant de la bonne foi qui peut être invoquée en défense.

En l’espèce, cette procédure faisait suite à la diffusion en janvier 2022, d’une émission diffusée sur Youtube et Facebook au cours de laquelle, l’invité Juan B. déclarait au sujet d’un ancien directeur d’hôpital d’avoir « pillé le capital symbolique d’EMMAUS », déclarant qu’il allait « pilier les ressources » et qu’ « il va y avoir un désaccord avec des oligarques comme N. sur la question du musée enfin des hôtels particuliers qui vont être vendus pour des sommes dérisoires […] revendus 5 fois plus chers, il va gagner des dizaines de millions d’euros de plus-value au détriment de l’État. Ça ce sont les affaires de corruption pures ».

L’ancien directeur, estimant ses propos diffamatoires, saisissait le Juge des référés de Paris afin de voir supprimer la vidéo de l’émission sous astreinte, condamner le défendeur à une provision de 10.000 € de dommages et intérêts en réparation de son préjudice moral ainsi que 3.500 € au titre de l’article 700 du Code de procédure civile.

Le Juge des référés retient dans son ordonnance que les faits imputés d’avoir bradé les biens immobiliers à des oligarques en contrepartie de « trouver le point de chute qui va suivre », c’est-à-dire être promu, constitue un fait précis portant atteinte à l’honneur et à la considération de l’ancien directeur en sa qualité de fonctionnaire public ce qu’ils constituent des agissements contrevenant à son devoir de probité.

Néanmoins, comme le relève le magistrat dans son ordonnance, le défendeur invoque sa bonne foi en produisant de nombreuses pièces sur ces opérations immobilières, tout en soulignant que ses propos s’inscrivaient dans un débat d’intérêt général.

Le Juge des référés, pour rendre son ordonnance de non-lieu à référé, retient qu’il « apparait ainsi, au terme des débats, qu’il existe des éléments de conviction susceptibles d’être utilement discutés devant le juge du fond de la diffamation. En l’état, rien ne permet d’exclure a priori, avec l’évidence exigée en matière de référé, les défendeurs du bénéfice du fait justificatif tiré de l’excuse de bonne foi. Dès lors, le trouble allégué ne revêt pas le caractère manifestement illicite autorisant le juge des référés à prononcer les mesures sollicitées ».

Ainsi, il convient de rappeler qu’une attention particulière doit être portée sur la nature des imputations litigieuses avant toute décision d’action en référé. Si le contenu de certains propos peut inciter à opter pour ce mode d’action pour faire retirer rapidement les publications litigieuses, la prudence doit amener à une analyse détaillée des éléments de défense pouvant être invoqués lors de l’audience.

En effet, dès lors qu’il existera une potentialité (un risque) que la bonne foi soit invoquée en défense, le trouble manifestement illicite risquera très vraisemblablement de faire défaut. De ce fait, il conviendra d’exclure immédiatement ce mode d’action et d’agir directement au fond, soit par la voie de l’assignation, soit de la citation directe ou d’une plainte avec constitution de partie civile.

Les dark stores – avec ou sans point de retrait – seront donc des entrepôts

En mars 2022, le Gouvernement définissait les dark stores comme « d’anciens magasins transformés pour l’entreposage, le stockage et la préparation des livraisons, sans accueil du public » (instruction du gouvernement, Modalités de régulation des dark stores, mars 2022).

Ainsi, deux cas de figure étaient distingués au titre du droit de l’urbanisme :

« […] Un dark store, dès lors qu’il est exclusivement utilisé pour de la livraison, doit être considéré comme un entrepôt, et non comme un commerce. Dès lors, un « dark store » qui s’installe dans un ancien supermarché / supérette doit procéder à un changement de destination du local pour se mettre en conformité avec la réglementation.

[…] Si, en revanche, le « dark store » exerce aussi une activité en « drive » (piéton ou non) permettant de façon habituelle le retrait de commandes sur place par le client, alors il est à considérer comme un commerce et il n’a pas à procéder au changement de destination » (communiqué de presse du 17 mars 2022, n° 2190) .

Un projet d’arrêté mis en discussion en juillet dernier proposait de confirmer cette distinction en modifiant l’arrêté du 10 novembre 2016 (« définissant les destinations et sous-destinations de constructions pouvant être réglementées par le règlement national d’urbanisme et les règlements des plans locaux d’urbanisme ou les documents en tenant lieu ») en incluant dans la sous-destination « commerce de détail » les « points permanents de retrait par la clientèle d’achats au détail commandé par voie télématique ».

Ce projet d’arrêté a fait l’objet de vives contestations de la part d’élus locaux qui considéraient que cela ne permettait pas une réglementation suffisante des dark stores.

Après concertation et par un communiqué de presse du 6 septembre dernier, le Gouvernement indique revenir sur le projet initial dans le cadre d’un consensus trouvé avec les associations d’élus, les élus des villes et les métropoles concernées par l’implantation de dark stores et de dark kitchens.

Ainsi, un projet d’arrêté devrait être rédigé prochainement afin que les dark stores soient considérés comme des « entrepôts » et, ce qu’ils disposent ou non d’un point de retrait :

« Le principal point portait sur la classification des dark stores en matière d’urbanisme, ceux-ci pouvant être considérés soit comme des entrepôts soit comme des commerces, ce qui complexifiait le travail des maires.

Un consensus des participants s’est clairement dégagé, à savoir que les dark stores soient considérés comme des entrepôts, même s’ils disposent d’un point de retrait ».

Par ailleurs et toujours selon ce communiqué de presse, une nouvelle catégorie devrait être crée pour les dark kitchen.

Sur les critères cumulatifs permettant de qualifier le contrat conclu à distance

Le contrat de vente à distance, qui a connu un développement considérable grâce à l’essor des nouvelles technologies, fait l’objet d’une règlementation tant interne qu’européenne.

Au niveau national, son régime est prévu par les articles L221-1 à L222-19 du Code de la consommation.

L’article L221 du Code précité définit ainsi le contrat conclu à distance comme « tout contrat conclu entre un professionnel et un consommateur, dans le cadre d’un système organisé de vente ou de prestation de services à distance, sans la présence physique simultanée du professionnel et du consommateur, par le recours exclusif à une ou plusieurs techniques de communication à distance jusqu’à la conclusion du contrat ».

A la lecture de cette disposition, il apparait dès lors que trois critères cumulatifs sont indispensables pour qualifier un tel contrat.

Ce principe a été récemment réaffirmé par la Cour de cassation, dans un arrêt important du 31 aout 2022.

En l’espèce, au cours du mois de février 2017, une personne physique a pris contact avec un professionnel, aux fins de procéder à des travaux d’aménagement, d’ameublement et de décoration de son appartement.

Après le versement de différents acomptes par son client, le professionnel émettait une facture de solde des travaux le 7 juillet 2017.

Son cocontractant l’assignait quelque temps plus tard, en restitution des sommes indûment versées et, subsidiairement, en indemnisation.

La demanderesse considérait en effet être en présence de plusieurs contrats à distance, au regard du fait que les conventions avaient été conclues sans la présence physique simultanée des parties, et par le recours exclusif à une ou plusieurs techniques de communication à distance jusqu’à leurs conclusions.

La Cour d’appel de Douai ne faisait pas droit à sa demande tendant à l’annulation des contrats litigieux, au motif qu’il n’était ni soutenu, ni établi que les conventions avaient été conclues au titre d’un système organisé de vente ou de prestation de service.

Ainsi, les contrats ne pouvaient avoir été conclus à distance au sens de l’article L.221-1 du Code de la consommation.

Par cet arrêt, la Cour de Cassation est venue confirmer l’analyse des juges du fond, en considérant que l’ensemble des critères fixés par le législateur à l’article L221-1 devaient être réunis pour qu’une convention soit qualifiée de contrat à distance, à savoir que les contrats doivent avoir été conclus sans la présence simultanée des cocontractants, exclusivement par un recours à des techniques de communication à distance, et dans le cadre d’un système organisé de vente ou de prestation de service à distance.

Si cet arrêt a le mérite de questionner sur le champ d’application de la notion de contrat de vente à distance, il est en revanche à regretter qu’aucune indication n’ait été donnée par la Cour de cassation sur la définition d’un système organisé de vente ou de prestation de service à distance.

Précisions réglementaires sur les modalités d’application des dispositions de la loi 3DS en matière de droit funéraire

Pour mémoire, les articles 237 et 238 de la loi 3DS[1] portent diverses dispositions en matière de droit funéraire et ont ainsi modifié le chapitre consacré aux cimetières et opérations funéraires du Code Général des Collectivités territoriales (ci-après CGCT).

Celles-ci ont été récemment précisées par le décret du 5 août 2022 ici commenté.

Les nouveautés apportées par la loi 3DS en la matière ainsi que le cadre règlementaire afférent est le suivant :

  • Pour simplifier les reprises de concessions funéraires à leur échéance, il est prévu, depuis la loi 3DS, que les communes puissent reprendre la concession dont le concessionnaire et ses ayants cause n’ont pas réglé la redevance fixée par délibération des communes à la date d’expiration de leur concession funéraire en vue de son renouvellement. Il incombe toutefois aux communes d’informer les concessionnaires et leurs ayants cause « par tout moyen » de leur droit au renouvellement de ladite concession durant un délai de deux ans suivant l’expiration de la période pour laquelle le terrain a été concédé. Faute de paiement de la redevance due pour ce renouvellement, le terrain concédé fera retour à la commune[2]; cette nouvelle disposition s’applique aux concessions non perpétuelles.
  • S’agissant des concessions funéraires en état d’abandon, la loi 3DS a réduit de trois à un an le délai à l’issue duquel une concession funéraire constatée comme en état d’abandon peut être reprise par la commune, ce délai courant à compter du procès-verbal qui constate l’état d’abandon et est porté à la connaissance du public et des familles[3].

Le décret du 5 août vient donc harmoniser l’article R. 2223-18 du CGCT avec cette modification législative.

  • La loi 3DS a également ajouté des obligations d’actualisation et de publication des devis portant sur les prestations fournies par les opérateurs funéraires (lesquels sont pour rappel établis conformément à des modèles fixés par arrêté) [4].

La loi 3DS a inséré un second alinéa à l’article L. 2223-25 du CGCT, lequel prévoit qu’en cas de cessation de l’activité d’un opérateur funéraire, le préfet prend automatiquement une décision mettant fin à l’habilitation à exercer les prestations du service extérieur des pompes funèbres[5]. Et ce, alors que sous l’empire de l’ancienne rédaction de l’article L. 2223-25, le préfet avait seulement la possibilité, après constatation de la cessation d’activité de l’opérateur, de suspendre pour une durée maximum d’un an ou de retirer, après mise en demeure, cette habilitation.

A ce titre, le décret du 5 août 2022 ajoute à la liste des actes publiés au registre des actes de la préfecture cette décision du préfet de mettre fin à une habilitation en cas de cessation d’activité de l’opérateur conformément à la nouvelle rédaction de l’article L. 2223-25 du CGCT.

  • La loi 3DS a ajouté la possibilité pour le maire de délivrer, sous conditions, sur demande de la personne ayant qualité pour pouvoir aux funérailles et lorsque le corps du défunt a été placé dans un cercueil inadapté à la crémation pour assurer son transport, une autorisation de transfert du corps vers un cercueil adapté à cette fin[6].

Le décret précise sur ce point les modalités de la demande de transfert, de délivrance de l’autorisation afférentes ainsi que les conditions dans lesquelles il est procédé à l’ouverture et au changement de cercueil[7].

  • La loi 3DS a enfin intégré un article 2223-18-1-1 au CGCT relatif à la récupération par le gestionnaire du crématorium, des métaux issus de la crémation des défunts en vue de leur cession à titre gratuit ou onéreux.

Ce nouveau dispositif prévoit que le produit éventuel d’une telle cession doit être inscrit en recette de fonctionnement au budget du crématorium concerné et peut uniquement venir financer la prise en charge des obsèques de personnes dépourvues de ressources suffisantes ou un don à une association d’intérêt général ou une fondation reconnue d’utilité publique. Il devra être rappelé sur les documents contractuels prévoyant la crémation du défunt et être affiché dans la partie des crématoriums ouverte au public.

C’est à ce titre que le décret commenté intègre un article R. 2223-103-1 au sein du CGCT, lequel vient préciser les modalités de mise en œuvre dudit dispositif, en fixant notamment que :

  • Lorsque la cession susvisée sert à la prise en charge d’obsèques de personnes dépourvues de ressources suffisantes, le gestionnaire du crématorium se charge de verser le produit de la cession à une ou plusieurs communes, qui s’occupent d’affecter ainsi la somme récoltée ;
  • Les associations ou fondations pouvant bénéficier du don issu de ce dispositif figurent sur une liste établie par la collectivité compétente en matière de création et de gestion de crématorium, avec une consultation éventuelle et préalable de son délégataire ;
  • Les informations relatives à la possibilité de récupération des métaux issus de la crémation et à l’affectation du produit éventuel de la cession sont indiquées dans le devis relatif à la crémation ;
  • Les montants et bénéficiaires des financements et dons éventuels effectués en application de ce dispositif doivent être annuellement publiés par le gestionnaire du crématorium.

Reste à savoir comment ce dispositif de récupération des métaux issus de la crémation par les gestionnaires de crématoriums, dont les contours réglementaires sont désormais précisés, sera accueilli par les ayants droit des personnes défuntes.

 

Ana NUYTTEN et Marie-Hélène PACHEN-LEFEVRE

 

[1] LOI n° 2022-217 du 21 février 2022 relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l’action publique locale dite loi « 3DS ».

[2] Article L. 2223-15 du CGCT

[3] Article L. 2223-17 du CGCT

[4] Voir en ce sens article L.2223-21-1 du CGCT

[5] Habilitation prévue à l’article L. 2223-23 du CGCT

[6] Article L. 2223-42-1 du CGCT

[7] Article R. 2213-34-1   du CGCT

Le Conseil d’État rappelle les conditions dans lesquelles un référé mesures utiles peut être accueilli

Dans cette affaire, une administrée de la commune de Fréjus soutient avoir été victime d’une chute sur une voie communale en lien avec un défaut d’entretien connu des services municipaux, lesquels n’auraient pas pris les mesures nécessaires pour remédier à ce problème malgré une pétition en ce sens.

En parallèle d’un recours au fond tendant à l’indemnisation de son préjudice, elle saisit le Juge des référés du Tribunal administratif de Toulon, lui demandant de prescrire une mesure d’expertise aux fins d’évaluer le préjudice qu’elle aurait subi, mais la juridiction refuse de faire droit à cette demande. De même, la Cour administrative de Marseille a rejeté l’appel formée par la riveraine contre cette ordonnance de première instance.

Ainsi saisi d’un pourvoi en cassation contre l’ordonnance rendue par la Cour administrative d’appel de Marseille, le Conseil d’Etat commence par rappeler les dispositions de l’article R. 532-1 du Code de justice administrative relatives au référé mesures utiles puis les éléments d’appréciation de l’utilité de la mesure d’instruction ou d’expertise qu’il est demandé au juge des référés d’ordonner sur ce fondement, permettant ou non, de l’accueillir.

A ce titre, la Haute juridiction rappelle, tel que cela ressort d’une jurisprudence constante[1] que l’utilité d’une telle mesure est appréciée :

  • D’une part, au regard des éléments dont le demandeur dispose ou peut disposer par d’autres moyens ;
  • D’autre part, au regard de l’intérêt que la mesure présente dans la perspective, d’un litige principal au fond, actuel ou éventuel, auquel elle est susceptible de se rattacher.

Au titre de cette seconde condition, le Conseil d’Etat précise[2]  qu’en l’absence manifeste de fait générateur, de préjudice ou de lien de causalité entre celui-ci et le fait générateur le juge des référés ne peut accéder à une demande d’expertise permettant d’évaluer un préjudice.

C’est dans ce cadre que le Conseil d’Etat considère que la Cour administrative d’appel de Marseille ayant statué avant lui a commis une erreur de droit en justifiant le défaut d’utilité de la mesure demandée par la requérante par le caractère insuffisamment probable du fait générateur (défaut d’entretien normal de l’ouvrage public), alors qu’elle ne pouvait donc le faire qu’en l’absence manifeste d’un tel fait générateur.

Sur le fond, le Conseil d’Etat considère qu’en l’espèce, la requérante ne se prévaut d’aucune circonstance particulière qui serait de nature à conférer à la mesure qu’il est demandé au juge des référés d’ordonner un caractère d’une utilité différent de celui de la mesure que pourra prononcer le juge du fond également saisi d’un recours de cette-dernière. Il rejette donc la demande d’expertise sollicitée dans le cadre de ce référé mesures utiles.

 

 

[1] Voir notamment en ce sens CE, 11 juillet 20128, 416635 ; CE, 14 février 2017, n° 401514 ; CAA Bordeaux, 13 juillet 2022, n° 22BX00934 ou encore CAA Nancy 20 juin 2022, n° 22NC01517.

[2] Voir également en ce sens plus récemment, CAA Bordeaux, 8 août 2022, n° 22BX01010.

Irrecevabilité d’une demande tendant à l’annulation de la décision de non-renouvellement d’un contrat administratif

Il est de jurisprudence désormais constante que le juge de plein contentieux saisi d’un litige relatif à une mesure d’exécution d’un contrat ne peut que rechercher si cette mesure est intervenue dans des conditions de nature à ouvrir droit à indemnité au bénéfice du cocontractant de la personne publique. Une exception est cependant admise s’agissant de la contestation de la validité de la décision de résiliation d’un contrat, le juge administratif pouvant aller jusqu’à ordonner la reprise des relations contractuelles (CE, 21 mars 2011, Béziers II, req. n° 304806).

Par une décision en date du 13 juillet 2022 (CE, 13 juillet 2022, req. n° 458488), le Conseil d’Etat rappelle l’irrecevabilité d’un tel recours dirigé à l’encontre d’une simple décision de non-renouvellement du contrat (CE, 21 novembre 2018, req. n° 419804).

Au cas de l’espèce, le bénéficiaire d’une convention d’occupation temporaire du domaine public portuaire de la Commune de Sanary-sur-Mer demandait l’annulation de la décision de non-renouvellement de cette convention, et la reprise des relations contractuelles.

Le Conseil d’Etat rejette ses conclusions en rappelant que l’exception portant sur les décisions de résiliation ne s’étend pas aux décisions de la personne publique refusant de faire application de stipulations contractuelles relatives à renouvellement de la convention, en ce sens qu’il ne s’agit pas d’une décision mettant unilatéralement un terme à la convention en cours.

En d’autres termes, le non-renouvellement du contrat n’est pas une décision de résiliation, et le requérant ne saurait se prévaloir d’une action en renouvellement des relations contractuelles.

Irrecevabilité d’un recours en annulation dirigé contre une simple interprétation d’un texte faite par l’administration

Par un arrêt en date du 21 juillet 2022, le Conseil d’Etat confirme sa position sur la justiciabilité des actes de droit souple et leur contestation devant le juge de l’excès de pouvoir.

Dans cette affaire, la Fédération des employés et cadres Force ouvrière avait saisi le ministère de l’intérieur d’une demande relative au fonctionnement des tables de jeux de blackjack et aux personnels habilités.

Par un courriel de réponse reçu par la Fédération le 7 janvier 2021, la cheffe du bureau des établissements de jeux de la direction des libertés publiques et des affaires juridiques du ministère de l’intérieur a fait part à la Fédération de l’interprétation à donner à la règlementation applicable aux casinos résultant de l’arrêté du 14 mai 2007 relatif à la réglementation des jeux dans les casinos.

La Fédération a alors demandé au Conseil d’Etat d’annuler pour excès de pouvoir la décision qu’il estimait être contenue dans ledit courrier de réponse.

Le Conseil d’Etat a toutefois rejeté cette demande pour cause d’irrecevabilité, considérant que le courriel de réponse litigieux ne révélait ni ne contenait aucune décision et ne faisait donc pas grief.

En effet, faisant application du considérant de principe de son arrêt « GISTI » rendu le 12 juin 2020, aux termes duquel « les documents de portée générale émanant d’autorités publiques, matérialisés ou non, tels que les circulaires, instructions, recommandations, notes, présentations ou interprétations du droit positif peuvent être déférés au juge de l’excès de pouvoir lorsqu’ils sont susceptibles d’avoir des effets notables sur les droits ou la situation d’autres personnes que les agents chargés, le cas échéant, de les mettre en œuvre […] », le Conseil d’Etat a considéré que le courriel litigieux se bornait à répondre à une demande d’information présentée par la Fédération et qu’ainsi « il ne pouvait être regardé comme constituant un document de portée générale susceptible d’avoir des effets notables sur les droits ou la situation des établissements de jeux ou leur salariés ».

Ainsi, le Conseil d’Etat confirme que le critère permettant de déterminer si un acte de droit souple peut être déféré au juge de l’excès de pouvoir tient à l’existence d’effets notables sur les droits ou la situation du requérant.

En jugeant ainsi, le Conseil d’Etat s’inscrit dans la continuité d’autres arrêts rendus antérieurement (à titre d’exemple : CE, 14 juin 2021, Fédération Départementale des Chasseurs du Gard, n°431832 ; CE, 21 juin 2021, Société Forseti, n°428324) et vient généraliser cette solution aux documents de l’administration ayant pour seul objet de répondre à une demande d’information sur une règlementation.

Actualités droit du numérique et nouvelles technologies : bilan annuel des dernières décisions rendues en droit des contrats et marchés informatiques

Comme en chaque rentrée, l’heure du focus droit du numérique et nouvelles technologies est arrivée, dans la droite ligne des lettres d’actualités juridiques de septembre 2021 (lettre d’actualités juridiques numéro#124), septembre 2020 (numéro #112) et octobre 2019 (numéro #101). Au cours de l’année passée, la préoccupation pour la sécurité des environnements et infrastructures, et pour la prévention de cyberattaques est apparu particulièrement prégnante dans les discussions entre clients et prestataires informatiques. Cela était déjà le cas les années précédentes mais la multiplication des cyberattaques et des incidents (qui sont souvent le fruit d’erreurs humaines et non de manœuvres frauduleuses) conduit les clients, utilisateurs de services, à exiger de leurs prestataires informatiques (éditeurs de logiciels, hébergeurs…), tenus par une obligation de conseil, des garanties de plus en plus précises et importantes. Un autre sujet a particulièrement occupé les acteurs publics et de l’ESS œuvrant dans les secteurs sanitaire, social et médico-social : le déploiement du Dossier Médical Partagé et, au sein des ESSMS, du Dossier Usager Informatisé, poussé par les pouvoirs publics (plan ESMS Numérique). Cette informatisation des données des patients et des usagers soulève de nombreuses questions (sécurité, conformité RGPD, hébergement des données de santé…) auxquelles les prestataires informatiques sont tenus de répondre. Enfin, il se pose toujours les problèmes de sécurisation des actifs immatériels développés pour le compte des clients par les prestataires et qu’il convient de sécuriser lors des négociations. Dans ce dialogue avec les prestataires, il est important de bien connaître les dernières appréciations retenues par les juges. C’est dans cette perspective que nous nous attelons, pour la 4ème année consécutive, à l’établissement de ce bilan dernières décisions rendues en droit des contrats et marchés informatiques. Bonne lecture.

Audrey LEFEVRE et Sara BEN ABDELADHIM

1. Les pages de réseaux sociaux peuvent être des biens de retour

CE, 16 mai 2022, Commune de Nîmes, n° 459904

Au moment de la cessation d’un contrat de concession, tous les biens nécessaires au fonctionnement du service public concédé demeurent la propriété de la personne publique concédante.

Jusqu’à cette décision du Conseil d’Etat, une incertitude existait quant à l’applicabilité du régime des biens de retour aux biens immatériels.

Cette incertitude a été levée par la présente décision, aux termes de laquelle la Haute Juridiction a affirmé que « les droits d’administration des pages des réseaux sociaux relatives aux monuments faisant l’objet du contrat étant nécessaires au fonctionnement du service public tel qu’institué par la commune de Nîmes, ils doivent lui faire retour gratuitement au terme du contrat ».

Pour considérer qu’en l’espèce ces droits d’administration étaient nécessaires au contrat, les juges ont relevé que les stipulations du contrat mettaient expressément à la charge du délégataire la communication et la promotion via ces réseaux.

Les enseignements de cette décision pourront trouver à s’appliquer au-delà des seuls droits d’administration d’une page de réseau social. On pense par exemple à un nom de domaine réservé (associé à un site internet) ou une marque déposée par le concessionnaire en son nom propre en exécution du contrat de concession et qui seraient alors nécessaires à un nouveau contractant pour le fonctionnement du service.

Pour plus de détails sur cette décision, nous vous invitons à consulter notre brève publiée en juin dernier.

 

2. Propriété intellectuelle afférente aux logiciels

2.1 L’improbable soumission d’une cession de droits de PI à titre gratuit au régime des donations

TJ Paris, 3ème ch. – 3ème sec, 8 février 2022

Le Tribunal judiciaire de Paris, dans une décision très remarquée de février dernier, a estimé qu’une cession à titre gratuit de droits de propriété intellectuelle constitue « par définition » une donation « portant sur des droits incorporels » devant être passée devant notaire, à peine de nullité, en application de l’article 931 du Code civil.

Cette affaire portait en l’occurrence sur une cession de marques à titre gratuit. Toutefois, sa rédaction en termes généraux pourrait laisser craindre une application à tous droits de propriété intellectuelle (y compris le droit d’auteur appliqué aux logiciels).

Toutefois plusieurs éléments semblent limiter une potentielle généralisation.

Tout d’abord, il ne s’agit que d’une décision de première instance (dont il a peut-être été fait appel). et la jurisprudence antérieure (des Cours d’appel et de la Cour de cassation) est tout à fait constante : une cession à titre gratuit n’est susceptible de requalification en donation que lorsqu’il y a une intention libérale, c’est-à-dire une intention de s’appauvrir au profit d’autrui. Il est donc étonnant que, dans cette affaire, les juges n’aient pas pris le soin de vérifier l’existence d’une telle intention libérale.

Ensuite (et surtout), les faits de cette affaire sont un peu particuliers : les marques étaient détenues en indivision par le cessionnaire et le cédant qui étaient co-déposants des marques. Il est donc possible qu’il y ait bien eu une intention libérale dans cette espèce.

Pour ces raisons, nous estimons que cette décision ne constitue pas un revirement de jurisprudence. Les rédacteurs de contrats prendront toutefois désormais bien soin de rappeler que les parties à une cession à titre gratuit n’ont pas d’intention libérale, quitte à rappeler les contreparties autres que numéraires, notamment en préambule du contrat.

 

2.2 Extension du régime des logiciels créés par des salariés ou des agents publics à toutes les personnes exerçant une mission de recherche

Ordonnance n° 2021-1658 du 15 décembre 2021

Nous vous en avons fait part en février dernier : depuis cette ordonnance du 15 décembre 2021, le régime des logiciels créés par des personnes non-salariées accueillies au sein d’une personne morale (de droit public ou privé) réalisant de la recherche a été aligné sur celui des salariés et agents publics.

Cette ordonnance a ainsi inséré un nouvel article L. 113-9-1 au sein du Code de la propriété intellectuelle afin d’instaurer une dévolution automatique des droits patrimoniaux de l’auteur du logiciel (et de sa documentation) au profit de la personne morale qui accueille l’auteur de ce logiciel, lorsque cette personne (qui n’est ni salariée ni agent public) réalise de la recherche sous l’autorité d’un responsable de la structure contre une rémunération.

Ceci ne concerne toutefois que les logiciels créés dans l’exercice des missions de son auteur, ou d’après les instructions de la structure d’accueil.

Cette disposition vise donc spécifiquement les stagiaires, doctorants ou professeurs, ce qui devrait clarifier (pour l’avenir) de nombreuses situations complexes, dans la mesure où les contrats conclus entre ces personnes et les structures d’accueils ne prévoient pas souvent pas de clause de cession des droits de propriété intellectuelle.

 

2.3  L’acquéreur légitime d’un logiciel peut le décompiler pour en corriger les erreurs

CJUE 6 octobre 2021, aff. C‑13/20

Cette affaire portée devant la CJUE opposait, d’une part, un établissement public belge et, d’autre part, une société prestataire de ce dernier, à qui l’établissement avait confié une mission de développement et de maintenance de plusieurs applications.

L’établissement public disposait à ce titre d’une licence d’utilisation sur les applications développées par le prestataire.

Rencontrant des difficultés de fonctionnement et d’utilisation avec certaines de ces applications, l’établissement public a procédé, sans autorisation de son prestataire, à la décompilation de l’une des applications afin de corriger ces erreurs. La société prestataire a considéré qu’une atteinte avait été portée à son droit d’auteur.

Saisie de cette affaire, la CJUE a tranché en faveur de l’établissement public, considérant que « l’acquéreur légitime d’un programme d’ordinateur est en droit de procéder à la décompilation de tout ou partie de celui-ci afin de corriger des erreurs affectant le fonctionnement de ce programme, y compris quand la correction consiste à désactiver une fonction qui affecte le bon fonctionnement de l’application dont fait partie ledit programme ».

Toutefois, une telle décompilation ne reste possible, toujours selon la CJUE, que « dans la mesure nécessaire à cette correction et dans le respect, le cas échéant, des conditions prévues contractuellement avec le titulaire du droit d’auteur sur ledit programme ».

 

2.4 Contrefaçon de logiciel : condamnation à 3 millions d’euros sous astreinte

TJ Marseille, 23 septembre 2021

Cette décision se distingue par les montants de condamnation très importants. Le Tribunal judiciaire de Marseille a condamné une société, son fondateur et deux de ses salariés à un peu plus de trois millions d’euros de dommages-intérêts au titre de faits de contrefaçon par reproduction, répartis comme suit :

  • 054.806,06 € au titre du manque à gagner en raison de la résiliation de plusieurs contrats de clients ;
  • 000 € au titre des économies réalisées, « le détournement des codes sources les ayant dispensés des frais de mise au point d’un programme équivalent » ;
  • 000 € en réparation du préjudice moral constitué par la dévalorisation du savoir-faire de la société titulaire des droits sur le logiciel et la banalisation de son œuvre.

Dans cette affaire, le fondateur de la société contrefactrice était un ancien salarié qui avait quitté son ancien employeur en possession de codes sources et avait débauché d’autres anciens salariés.

De sorte, qu’outre la contrefaçon, la société a été condamnée au titre de faits de concurrence déloyale, notamment pour le débauchage massif de neuf salariés.

 

2.5  Droit d’accès aux codes sources pour assurer la maintenance du logiciel

CA Douai, 7 avr. 2022, n° 20/01452

Face au coût excessif de la maintenance d’un progiciel développé par un prestataire, une société avait décidé de faire appel à une société tierce afin de mettre en place une tierce maintenance applicative.

Pour mettre en place une telle tierce maintenance, et face au refus de la société fournissant le progiciel de fournir les codes sources nécessaires à cette prestation, la société cliente a décidé de saisir les tribunaux afin d’obtenir la condamnation de cette dernière à lui communiquer les codes sources du progiciel en se fondant sur l’article L. 122-6-1, I du Code de la propriété intellectuelle qui autorise le détenteur légitime d’un logiciel à reproduire, traduire, adapté ou arranger un logiciel lorsque ces actes « sont nécessaires pour permettre l’utilisation du logiciel, conformément à sa destination, par la personne ayant le droit de l’utiliser, y compris pour corriger des erreurs ».

Les juges ont retenu que la maintenance était bien un acte nécessaire à l’utilisation du logiciel conformément à sa destination, que le contrat n’obligeait pas le client à faire appel à l’éditeur du progiciel pour sa maintenance et que l’accès aux codes sources était, en l’espèce, nécessaire aux opérations de maintenance.

En conséquence, la Cour d’appel a confirmé la condamnation du prestataire à remettre un exemplaire exploitable et compréhensible par un homme du métier des codes sources du logiciel avec la documentation correspondante.

 

3. Contrats informatiques

3.1 Vices du consentement

CA Grenoble, 24 juin 2021, n° 20/01245

La Cour d’appel de Grenoble a confirmé l’annulation d’un contrat de prestations de téléphonie fixe sur le fondement de l’erreur du client (professionnel) sur les prestations fournies et retient, pour cela, la particulière complexité de la documentation contractuelle du prestataire.

En effet, le contrat était composé de deux sous-contrats (un « contrat de prestation-installation / accès Web » et d’un « contrat de service téléphonie mobile »), chacun doté de conditions générales de vente particulières, composées de nombreux paragraphes et alors que seule la première page de chacun de ces sous-contrats avait été signée, page sur laquelle était apposée une mention concernant la prise de connaissance des conditions particulières et de leur acceptation.

Il en ressort que le vice du consentement peut donc résulter du manque de clarté de la documentation contractuelle fournie par un prestataire.

 

3.2 L’obligation de délivrance conforme du prestataire informatique

  • Manquement à l’obligation de délivrance conforme malgré la signature d’un PV de recette sans réserve

Cass. com., 13 avril 2022, n° 20-20.495

CA Limoges, 12 avril 2022, n° 21/00444

Il est rappelé, dans ces deux affaires, que la seule signature d’un procès-verbal de livraison et de conformité n’est pas, à elle seule, suffisante à démontrer la bonne exécution de son obligation de délivrance conforme par un prestataire.

Dans la première affaire, la Cour de cassation a censuré les juges d’appel de s’en être tenus à cette signature alors que, s’agissant d’un produit complexe, le client pouvait contester l’exécution de l’obligation de délivrance du prestataire, y compris après la signature dudit procès-verbal.

Dans la seconde affaire, les Juges de la Cour d’appel de Limoges ont conclu à l’absence de démonstration, par le prestataire, de la bonne exécution de son obligation de délivrance conforme, et ce malgré la signature par le client d’un procès-verbal de recette sans réserve.

Les juges ont relevé que le procès-verbal de recette ne pouvait pas produire d’effet dans la mesure où il avait été signé à peine 15 jours après la signature du contrat, avant même que le projet de maquette du site n’ait été communiqué au client, et alors que plusieurs modifications étaient intervenues ultérieurement à sa signature.

  • Efficacité d’une recette tacite d’une association

CA Paris, 28 janvier 2022, n° 19/02406

Si la signature d’un procès-verbal de recette n’est pas nécessairement la preuve de la bonne exécution de l’obligation de délivrance conforme du prestataire (cf. ci-avant), il est intéressant de constater que l’absence totale de procès-verbal n’exclut pas nécessairement une recette tacite.

En l’espèce, le contrat de développement conclu entre une association et le prestataire prévoyait une clause selon laquelle la recette serait prononcée d’office 15 jours après une mise en demeure, demeurée infructueuse, d’avoir à se prononcer sur la recette adressée au client par le prestataire.

Dans ces conditions, et le client ayant gardé le silence sur la conformité après l’envoi de ladite mise en demeure, la Cour retient qu’une recette tacite est bien intervenue.

  • Mise en conformité forcée du logiciel

CA Paris, 17 décembre 2021, n° 21/07089

Face à la particulière mauvaise exécution de ses objectifs et obligations par un prestataire, le client n’est pas limité à demander une réparation sous forme d’indemnisation.

En l’espèce, une société prestataire informatique a été condamnée, sous astreinte, à mettre en œuvre toutes les mesures de nature à améliorer l’installation et à permettre au logiciel d’atteindre les seuils de productivité présentés lors d’une simulation (démontrant que ces seuils étaient atteignables, contrairement aux objectifs contractures).

  • Des dysfonctionnements ponctuels et usuels ne caractérisent pas un manquement à l’obligation de délivrance conforme

CA Rennes, 1er juin 2021, n° 18/06246

De simples dysfonctionnements ponctuels résolus, bien que gênants mais n’excédant pas les « difficultés usuelles en la matière », ne suffisant pas à caractériser un manquement du prestataire à son obligation de délivrance et donc à justifier le refus de paiement de ses factures par le client, qui n’avait, au demeurant, pas fait précéder son refus de paiement de l’envoi, au prestataire, d’une mise en demeure de procéder à quelque prestation que ce soit.

 

3.3 L’obligation de conseil du prestataire informatique

  • Le prestataire a l’obligation de recueillir les besoins spécifiques de son client

CA Aix-en-Provence, 1er juill. 2021, n° 19/02078

Est résilié aux torts exclusifs du prestataire informatique, le contrat d’intégration d’un progiciel dès lors qu’il est établi que les incompatibilités du logiciel avec les besoins du client résultent du manquement du prestataire à son devoir d’information qui l’obligeait à recueillir l’expression des besoins spécifiques de son client au regard de son activité, sa structure, son organisation et son mode de fonctionnement. Le prestataire aurait dû conseiller son client sur l’adéquation du logiciel proposé.

In fine, l’absence de rédaction d’un cahier des charges est donc in fine reprochée au prestataire.

  • L’obligation de d’information et de conseil et de mise en garde du prestataire au regard du choix du système de sauvegarde installé

CA Rennes, 4 janvier 2022, n° 19/01179

La présente affaire opposait une société à son prestataire, auquel la société avait fait appel pour l’installation d’un logiciel de paie.

La société cliente a perdu une partie de ses données à la suite d’une attaque virale et a donc fait appel à un nouveau prestataire pour la récupération de ces données perdues mais sauvegardées.

Toutefois, à l’occasion de l’intervention pour la récupération des données sauvegardée, le nouveau prestataire a constaté que, en raison de l’inadaptation du système installé par le premier prestataire, les fichiers de sauvegarde ne consistaient en réalité qu’en des raccourcis ne permettant pas d’accéder aux données elles-mêmes, rendant la restauration impossible.

La Cour d’appel réfute donc l’argument du premier prestataire consistant à reporter la faute sur la société cliente pour ne pas avoir identifié la difficulté relative à la sauvegarde de ses données ou de ne pas avoir émis de réserves face à une installation défaillante.

La Cour d’appel a, au contraire, relevé qu’il ne pouvait être reproché à la société cliente, qui n’est pas un professionnel de l’informatique et qui, précisément, avait fait appel à une entreprise spécialisée pour qu’elle installe et paramètre un système efficace de sauvegarde, l’inefficience des opérations de sauvegarde.

Cette défaillance incombait bien au premier prestataire, non seulement au regard du choix du système de sauvegarde installé, mais également au regard de son obligation d’information et de conseil.

Ce prestataire aurait dû informer son client de la nécessité d’adapter son système afin que les données puissent être sauvegardées efficacement et, le cas échéant, restaurées en cas de sinistre affectant le serveur.

  • Cette obligation de conseil est contrebalancée par l’obligation du client de vérifier l’adéquation du progiciel à ses besoins, surtout lorsqu’il est doté d’un service informatique interne et même en l’absence de cahier des charges écrit

CA Versailles, 7septembre 2021, n° 20/01473

CA Bordeaux, 16 mars 2022, n° 19/01210

Bien que le prestataire soit tenu à une obligation d’information, de conseil et de mise en garde, il n’en reste pas moins que le client reste tenu de vérifier l’adéquation du logiciel à ses besoins, comme le rappellent ces deux décisions.

En effet, dans ces deux affaires, les juges ont refusé de faire droit aux demandes des sociétés clientes tendant à voir leur prestataire condamné pour manquement à leur obligation d’information dès lors que :

  • Exerçant une activité dans la « data intelligence » et disposant d’un service informatique interne actif, et compétent, le client était en mesure « d’apprécier les spécificités du progiciel» (première affaire) ;
  • Bien qu’aucun cahier des charges n’ait été rédigé, le prestataire a rapporté bien la preuve qu’il avait déterminé les besoins du client, notamment par la rédaction d’un brief (seconde affaire).

3.4 L’obligation de collaboration du client

CA Dijon, 20janvier 2022, n° 20/00215

Il ne peut pas être reproché au prestataire d’avoir manqué à son obligation de délivrance du fait de la non mise en ligne d’un module de boutique en ligne dès lors que le module n’avait pas été activé en raison du défaut de fourniture, par la cliente, des éléments indispensables à son fonctionnement, à savoir les références et tarifs des produits offerts à l’achat et alors que ces éléments avaient été réclamés par le prestataire à de nombreuses reprises.

 

3.5 La responsabilité contractuelle du prestataire en cas de retard de livraison

CA Aix-en-Provence, 27 mai 2021, n° 19/02282

Le prestataire ne peut invoquer l’adaptation du périmètre de ses prestations comme justification du délai de livraison d’un logiciel alors qu’aucun document n’établit les besoins du client et qu’il n’est donc pas possible de vérifier si lesdits besoins ont été pris en compte par le prestataire.

 

3.6 Réversibilité : la clause doit permettre l’exploitation effective des données migrées

CA Pau, 25 novembre 2021, n° 19/03573

Une société cliente souhaitait changer de prestataire informatique pour la fourniture de son logiciel de gestion de la paie. Afin de ne pas perdre l’ensemble des données traitées dans l’ancien logiciel de paie, la cliente a décidé de mettre en œuvre la clause de réversibilité de son ancien contrat, entrainant la restitution de l’ensemble des données lui appartenant au nouveau prestataire.

Cependant, le prestataire n’ayant restitué que les données purement comptables et sociales, sans restituer le paramétrage des rubriques, rendant ainsi les données inexploitables, plusieurs erreurs comptables sont apparues au préjudice du client en raison de cette restitution partielle.

Pour la Cour d’appel de Pau, la rédaction imprécise du contrat quant au périmètre de la réversibilité des données insérée par le prestataire n’était pas de nature à informer de manière suffisante la cliente des difficultés qui pourraient apparaître lors de l’exploitation des données récupérées à l’issue du contrat.

Ainsi, le silence du contrat sur le caractère partiel de la réversibilité n’a pas permis à la société cliente d’anticiper les inévitables conséquences techniques du transfert de la prestation de gestion à un autre opérateur.

Ceci est de nature à engager la responsabilité contractuelle de l’ancien prestataire.

 

3.7 Application de la clause limitative de responsabilité : appréciation du caractère dérisoire du plafond

CA Versailles, 16 décembre 2021, n° 20/00467

CA Montpellier, 26 mai 2021, n° 18/05776

Dans les deux affaires, les sociétés clientes contestaient la validité de la clause limitative de responsabilité prévue au profit du prestataire et prévoyant un plafond d’indemnisation calculé par référence au prix payé par la cliente pour le contrat.

Dans la première affaire, la Cour d’appel de Versailles a estimé que la clause n’était pas dérisoire et ne vidait pas l’engagement du prestataire de sa substance alors que, dans la seconde affaire, la Cour d’appel de Montpellier a retenu l’inverse.

Cela pourrait avoir de quoi surprendre, sauf que le prix payé par la société cliente était de 341.920 €, dans le premier cas, et de 2.700 € dans le second.

De telles clauses faisant référence au prix du contrat sont classiques. Pour autant ces deux décisions invitent à une certaine vigilance afin de respecter l’équilibre recherché par les juges lorsqu’ils sont amenés à statuer sur ces questions.

 

4. Expertises judiciaires à partir d’une sauvegarde non-contradictoire

CA Paris, 23 décembre 2021, n° 21/18036

Dans le cadre d’une expertise judiciaire, rien n’empêche l’expert d’examiner une sauvegarde d’un logiciel réalisée de manière non contradictoire dès lors que ladite sauvegarde est alors soumise à la libre discussion des parties et de l’expert et que le prestataire est mis en mesure de formuler toute critique sur les conditions de la sauvegarde et la valeur probante de celle-ci et que l’expert reste libre d’en tirer toutes conséquences.

Etant précisé que dans cette espèce la sauvegarde litigieuse n’était pas le seul élément soumis à l’appréciation de l’expert.

 

5. Prohibition de la perpétuité des engagements

Cass. com., 11 mai 2022, n° 19-22.015

La Cour de cassation a censuré une Cour d’appel qui a considéré qu’un contrat de location de matériels informatiques n’était pas entaché d’un vice de perpétuité alors que le contrat prévoyait que chaque modification apportée aux matériels loués avait pour effet de reconduire la durée du contrat de 42 mois.

La Cour de cassation a considéré que la société cliente se trouvait ainsi soit privée de toute possibilité d’adapter son matériel aux besoins de son exploitation (ce qui constitue pourtant une caractéristique substantielle du contrat), soit contrainte d’accepter la reconduction systématique du contrat.

 

Audrey LEFEVRE et Sara BEN ABDELADHIM

Comment faire face à la crise de l’énergie : le Sénat adresse aux collectivités territoriales ses préconisations et ses réflexions pour faire face à la hausse des coûts de l’énergie

Faisant suite à la table ronde qu’elle avait organisée le 7 juillet 2022 et prenant appui notamment sur les travaux de la Fédération nationale des collectivités concédantes et régies (FNCCR), la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales a rendu un rapport contenant des propositions d’actions et des pistes de réflexions pour faire face à la flambée des prix de l’électricité et du gaz.

En guise d’introduction, ce rapport rappelle tout d’abord la hausse inédite du coût de l’énergie liée à la crise sanitaire et à la guerre en Ukraine ainsi que ses conséquences, importantes, sur le budget des collectivités et par voie de conséquence sur la pérennité de certains services publics locaux, des projets d’investissements liés à la transition énergétique et de la stabilité des impôts locaux.

Il fait aussi état de la nécessité de mettre en œuvre rapidement des mesures, notamment en termes de rénovation énergétique et de transports collectifs pour tenter de parvenir à la neutralité carbone du territoire en 2050.

Le rapport dresse ensuite diverses préconisations et réflexions.

Les premières préconisations, qui sont sûrement les plus faciles et rapides à mettre en œuvre, concernent les modalités permettant un meilleur achat d’énergie. Il s’agit :

  • de passer ses contrats de fourniture d’énergie de manière anticipée, une ou deux années à l’avance, afin de réaliser des économies significatives ;
  • d’acheter au bon moment – le rapport rappelant à ce titre que l’achat d’électricité et de gaz « implique une technicité et une expertise sectorielle dont la majorité des collectivités ne dispose pas» ;
  • et de mutualiser les achats en recourant aux groupements de commandes pour la passation des contrats de fourniture d’électricité et de gaz afin de mutualiser, par exemple avec des syndicats départementaux d’énergie, cela notamment pour faciliter la mise en œuvre des procédures juridiques complexes.

 

Le rapport expose ensuite des réflexions concernant le développement des énergies renouvelables.

D’une part, est avancée la nécessité de simplifier le cadre juridique (code de l’énergie et code de la commande publique) afin de faciliter le recours à des contrats d’énergie à long terme ayant pour finalité, entre autres, de se couvrir dans le temps vis-à-vis de marchés de l’énergie extrêmement volatils.

Un focus est ainsi fait sur le « power purchase agreement » ou PPA issu de la pratique, lequel est un contrat d’achat direct d’électricité renouvelable entre un producteur et un consommateur conclu en général à prix fixe et pouvant prendre deux formes :

  • le PPA court terme dans lequel l’électricité provient d’un actif déjà existant sur le réseau mais ne bénéficiant plus de mécanisme de soutien ;
  • le PPA long terme (15 à 25 ans) dans lequel l’électricité est issue d’un actif à construire et permettant l’émergence de capacités de production renouvelable additionnelles sur le réseau

Le PPA est considéré comme « un outil efficient permettant à la fois de sécuriser les approvisionnements dans la durée, de bénéficier d’un prix de l’électricité stable et compétitif sur le long terme et de développer les énergies renouvelables électriques au niveau local ». Il nécessite néanmoins d’être bien sécurisé s’il est conclu par un pouvoir adjudicateur ou une entité adjudicatrice soumis aux règles du code de la commande publique.

D’autre part, le rapport préconise le développement du biométhane, en relevant qu’une usine de méthanisation permet :

  • de traiter et valoriser les déchets au plus proche du lieu de production ;
  • une double valorisation énergétique et organique.

En outre, le rapport expose deux recommandations destinées à privilégier la sobriété et l’efficacité.

La première consiste à dresser un état des lieux de la consommation énergétique afin, entre autres, d’identifier les bâtiments les plus énergivores.

La seconde concerne le financement de la rénovation thermique des bâtiments publics des collectivités territoriales, c’est-à-dire l’ensemble des travaux permettant de diminuer leur consommation énergétique.

A ce titre, le rapport rappelle que le gouvernement y a consacré une enveloppe de 950 millions d’euros dans le cadre du plan « France Relance ».

Et un focus est fait sur le mécanisme des certificats d’économies d’énergie (CEE), lequel est considéré comme insuffisamment utilisé par les collectivités territoriales alors qu’il peut constituer « un levier financier potentiel supplémentaire au service de leurs projets de maîtrise de l’énergie ».

Enfin, le rapport se positionne en faveur d’un bouclier énergétique et présente trois réflexions pour soutenir et protéger les collectivités face à la crise de l’énergie :

  • une revalorisation du montant de la dotation globale de fonctionnement dans le but de limiter les conséquences de la hausse des prix de l’énergie et, notamment, d’éviter l’arrêt des investissements de rénovation énergétique ;
  • une réintroduction des tarifs réglementés de vente (TRV) de l’électricité pour l’ensemble des collectivités qui le souhaitent (indépendamment de leur taille) ;
  • et un relèvement du plafond de l’accès régulé à l’électricité nucléaire (ARENH) à 160 TWh/an au lieu de 120 TWh/an décidé en mars 2022 par le gouvernement – toutefois, depuis la publication de ce rapport, la loi pouvoir d’achat du 16 août 2022 a limité ce volume à 120 TWh/an revenant ainsi sur la loi Energie-climat du 8 novembre 2019 qui avait permis au gouvernement de le porter jusqu’à 150TWh/an.

Sobriété énergétique en entreprise des démarches à élaborer avec les élus du Comité Social et Economique

Dans un contexte de tensions internationales et d’indisponibilité d’une partie du parc nucléaire français, le Gouvernement a fixé comme objectif de parvenir, d’ici fin septembre, à l’élaboration de propositions, de recommandations et d’une feuille de route dans le but de réaliser 10 % d’économie d’énergie en deux ans.[1]

Or, depuis l’entrée en application de la loi n° 2021-1104 en date du 22 août 2021, dite « climat et résilience », les élus représentants du personnel occupent un rôle central dans la prise en compte des aspects environnementaux des décisions des entreprises employant plus de 50 salariés.

La sobriété énergétique devrait alors s’inscrire, comme le préconise le rapport 2022 du groupe intergouvernemental sur l’évolution du climat, dans une démarche de protection de l’environnement.[2]

  • Un enrichissement des outils du dialogue social et des attributions du CSE

La réduction énergétique devrait logiquement passer par une démarche active des entités dans l’évaluation de l’impact environnemental de leur activité et de l’élaboration d’une politique à cet égard.

L’article L. 2312-21 du Code du travail prévoit, en effet, que lorsque le contenu de la base de données économiques, sociales et environnementales est déterminé par accord collectif, celle-ci doit comprendre, a minima, des informations sur les conséquences environnementales de l’activité de l’entreprise.

L’article L. 2312-36 du Code du travail peut, en outre, servir de point de départ à l’élaboration d’une démarche sobriété, en indiquant que la base de données économiques, sociales et environnementales, doit, en l’absence d’accord collectif, a minima, contenir :

  • des informations sur « la manière dont la société prend en compte les conséquences sociales et environnementales de son activité » ;
  • ainsi que, des informations sur les « conséquences environnementales de l’activité de l’entreprise ».

Les articles R. 2312-8 et R. 2312-9 du Code du travail précisent, également, que la BDESE devra, en l’absence d’accord collectif précisant son contenu, comprendre des informations sur les points suivants :

  • Politique générale en matière environnementale: organisation de l’entreprise pour prendre en compte les questions environnementales et les démarches d’évaluation ou de certification en matière d’environnement ;
  • Économie circulaire : prévention et gestion de la production de déchets (évaluation de la quantité de déchets dangereux) ; utilisation durable des ressources (consommation d’eau et d’énergie) ;
  • Changement climatique : identification des postes d’émission directes de gaz à effet de serre (produites par les sources fixes et mobiles nécessaires aux activités de l’entreprise) et évaluation du volume de ces émissions de gaz à effet de serre.

Ces informations seront tenues, via la BDESE, à la disposition des représentant du personnel.

Ensuite, les attributions du CSE ont été renforcées en matière environnementale, puisque l’article L. 2312-8 du code du travail prévoit que celui-ci a désormais pour mission d’assurer :

Une expression collective des salariés permettant la prise en compte permanente de leurs intérêts dans les décisions relatives à la gestion et à l’évolution économique et financière de l’entreprise, à l’organisation du travail, à la formation professionnelle et aux techniques de production, notamment au regard des conséquences environnementales de ces décisions.

Avant de disposer que le CSE est informé et consulté sur les conséquences environnementales des mesures, concernant la marche générale de l’entreprise (notamment, les conditions d’emploi et de travail, l’introduction de nouvelles technologies, etc.).

Plus largement, l’article L. 2312-17 du Code du travail prévoit, également, que le comité est informé des conséquences environnementales de l’activité de l’entreprise au cours des consultation récurrentes sur :

  1. Les orientations stratégiques de l’entreprise ;
  2.  La situation économique et financière de l’entreprise ;
  3. La politique sociale de l’entreprise, les conditions de travail et l’emploi.

Ces éléments constituent autant de pistes sur lesquelles les entreprises peuvent se fonder pour entreprendre leurs démarches de sobriété énergétique en joignant le CSE à leur réflexion.

 

[1] Circulaire n° 6363-SG du 25 juillet 2022 relative à la sobriété énergétique et à l’exemplarité des administrations de l’État

[2] https://www.vie-publique.fr/en-bref/284713-nouveau-rapport-du-giec-des-solutions-face-au-rechauffement-climatique

Espèces protégées : précisions sur l’autorité compétente pour délivrer une dérogation

Le Conseil d’Etat apporte un éclairage s’agissant de l’autorité administrative compétente pour délivrer une dérogation aux interdictions de destruction d’espèces de flore et de faune sauvages protégées.

Cette décision intervient dans le cadre de l’exploitation du parc éolien en mer au large des îles d’Yeu et de Noirmoutier. Par un arrêté du 19 décembre 2018, le Préfet de la Vendée a autorisé la société exploitante Éoliennes en Mer Iles d’Yeu et de Noirmoutier à déroger à l’interdiction de destruction et de perturbation intentionnelle de plusieurs spécimens d’espèces animales protégées mentionnées à l’article L. 411-1 du Code de l’environnement. Deux associations ont demandé l’annulation de cet arrêté auprès de la Cour administrative d’appel de Nantes, qui rejette le recours par un arrêt en date du 3 juillet 2020.

Saisi en cassation, le Conseil d’Etat valide la légalité de l’arrêté litigieux et se prononce également sur la question de la compétence du préfet.

En droit, si l’article R. 411-6 du Code de l’environnement prévoit une compétence de principe en faveur du préfet territorialement compétent s’agissant des dérogations aux interdictions de destruction des espèces protégées, le Ministre chargé de la protection de la nature devient compétent par exception dans certains cas spécifiques, comme celui de l’article R. 411-8 du Code de l’environnement invoqué dans l’affaire qui nous occupe. Toutefois, la compétence du Ministre est soumise à deux conditions :

  • d’une part, doivent être concernés par la demande de dérogation les animaux appartenant à une espèce de vertébrés protégée, menacée d’extinction en France en raison de la faiblesse, observée ou prévisible, de ses effectifs et dont l’aire de répartition excède le territoire d’un département (listés par l’arrêté du 9 juillet 1999);
  • d’autre part, cette demande doit porter sur une des opérations suivantes : enlèvement, capture, destruction, transport en vue d’une réintroduction dans le milieu naturel, destruction, altération ou dégradation du milieu particulier des espèces précitées.

En l’espèce, les associations requérantes considéraient que l’arrêté litigieux aurait dû être pris par le Ministre. Le Conseil d’Etat valide cependant la compétence du préfet en la matière. Il retient en premier lieu que si l’arrêté préfectoral prévoit une autorisation de perturbation intentionnelle de deux spécimens d’espèces protégées visées à l’article R. 411-8 du Code de l’environnement, ce type d’opération ne figure pas à cet article. En second lieu, si l’arrêté autorise en revanche la destruction de certaines espèces protégées, ces dernières ne sont pas au nombre des espèces à compétence ministérielle en vertu de l’arrêté du 9 juillet 1999.

Le Haute juridiction considère ainsi que les dispositions de l’article R. 411-8 du Code de l’environnement ne confient pas au ministre « une compétence de principe pour délivrer les dérogations pour toutes les autres opérations concernant ces espèces, pour lesquelles l’article R. 411-6 renvoie au préfet de département ». En somme, la compétence du Ministre ne s’impose que si les critères de l’article R. 411-8 du Code de l’environnement sont remplis cumulativement, à défaut de quoi la compétence revient au préfet.

Par suite, le Préfet de la Vendée était bien compétent pour édicter l’arrêté litigieux.

Continuité écologique : inconventionnalité de l’exonération pour les moulins de production hydroélectrique

Après le Conseil constitutionnel, c’est au tour du Conseil d’Etat de se prononcer sur les dispositions applicables aux moulins de production hydroélectrique.

L’article L. 214-18-1 du Code de l’environnement, dans sa rédaction issue de la loi n° 2017-227 du 24 février 2017, exonère les moulins à eau équipés pour produire de l’électricité et régulièrement installés sur les cours d’eau classés liste 2 au titre de l’article L. 214-17 du Code de l’environnement, des obligations de continuité écologique qui s’imposent à ces cours d’eau en vertu du même article (transport suffisant des sédiments et circulation des poissons migrateurs).

Le Conseil Constitutionnel avait décidé le 13 mai 2022 que cette disposition était conforme aux exigences constitutionnelles car elle répondait à des motifs d’intérêt général de préservation du patrimoine hydraulique et de production d’énergie hydroélectrique.

Dans une affaire similaire, le Conseil d’Etat vient délimiter les contours de la dérogation prévue à l’article L. 214-18-1 du Code de l’environnement ainsi que sa portée.

En l’espèce, la société exploitante d’une centrale hydroélectrique alimentée par les eaux de la Creuse contestait un arrêté du Préfet de l’Indre fixant des prescriptions supplémentaires complétant l’autorisation d’exploiter l’énergie hydroélectrique sur un barrage dont elle était titulaire. La société exploitante invoquait à ce titre le bénéfice de l’article L. 214-18-1 du Code de l’environnement.

La Cour administrative de Bordeaux avait d’abord considéré « que seuls les moulins dont les installations sont exploitées dans le respect des obligations de mise en conformité » à la réglementation relative à la continuité piscicole, c’est-à-dire qui ont mis en place un dispositif permettant la circulation des poissons migrateurs et notamment des anguilles (tel que prévu par les dispositions antérieurement applicables de l’article L. 232-6 du Code rural, devenu l’article L. 432-6 du Code de l’environnement), « étaient exonérés des prescriptions définies par l’autorité administrative sur le fondement des dispositions du 2 du I de l’article L  214-17 du Code de l’environnement ».

Toutefois, le Conseil d’Etat considère que « les dispositions de l’article L. 214-18-1 du Code de l’environnement ne peuvent […] être interprétées comme limitant le bénéfice de cette exonération aux seuls moulins hydrauliques mis en conformité avec ces obligations ou avec les obligations applicables antérieurement ayant le même objet ». Dès lors, en adoptant une lecture restrictive de cet article, la Cour administrative d’appel a commis une erreur de droit.

Par conséquent, la Haute juridiction annule l’arrêt de la Cour et règle l’affaire au fond en se prononçant sur l’article L. 214-18-1 du Code de l’environnement.

Sans revenir sur l’ensemble du raisonnement du juge pour apprécier la légalité de la décision attaquée, on retiendra ici en particulier l’examen que le juge a opéré juge s’agissant de la conventionnalité des dispositions précitées.

Ainsi, si le Conseil Constitutionnel a déclaré l’article L. 214-18-1 du Code de l’environnement conforme aux exigences constitutionnelles, le Conseil d’Etat le considère quant à lui inconventionnel en méconnaissance des objectifs de la Directive-cadre sur l’eau du 23 octobre 2000 ainsi que du règlement (CE) n° 1100/2007 du 18 septembre 2007 instituant des mesures de reconstitution du stock d’anguilles européennes.

En effet, selon le Conseil d’Etat, les prescriptions imposées aux moulins installés sur les cours d’eau, « d’une part, apportent un concours essentiel aux objectifs définis par la directive du 23 octobre 2000 ainsi qu’à l’article L. 211-1 du même Code, d’autre part, constituent l’unique dispositif prévu par le plan de gestion de l’anguille adopté par la France en application du règlement du 18 septembre 2007 concernant les ouvrages identifiés comme susceptibles d’affecter les mouvements migratoires des anguilles aux fins d’atteindre l’objectif fixé au paragraphe 4 de l’article 2 de ce règlement ».

Par conséquent, « indépendamment de [son] incidence sur la continuité écologique des cours d’eau concernés et de [sa] capacité à affecter les mouvements migratoires des anguilles », le dispositif d’exemption prévu à l’article L. 214-18-1 du Code de l’environnement, en tant qu’il exonère les moulins à eau des obligations mentionnées au 2 du I de l’article L. 214-17 du même Code, méconnaît les objectifs de la directive du 23 octobre 2000 ainsi que le règlement du 18 septembre 2007.

La disposition litigieuse est donc écartée de l’ordre juridique : par suite, le juge indique qu’ « il incombe à l’autorité investie du pouvoir réglementaire de s’abstenir d’adopter les mesures réglementaires destinées à permettre la mise en œuvre de ces dispositions et, le cas échéant, aux autorités administratives nationales, sous le contrôle du juge, de donner instruction à leurs services de n’en point faire application tant que ces dispositions n’ont pas été modifiées ».

L’article L. 214-18-1 du Code de l’environnement étant écarté, la société requérante ne peut s’en prévaloir au principal et le Conseil d’Etat rejette la requête.

Renforcement de la dotation de soutien aux communes pour la protection de la biodiversité

La protection de la biodiversité connaît des évolutions importantes. En application de l’article 193 de la loi de finances pour 2022, le Gouvernement annonce une hausse du montant total de la dotation biodiversité, passant de 10 millions en 2021 à 24,3 millions d’euros en 2022.

Créée en 2019, cette dotation est destinée aux communes de moins de 10.000 habitants et répondant aux critères fixés à l’article L. 2335-17 du Code Général des Collectivités Territoriales afin de les soutenir dans la protection des espaces naturels situés sur leurs territoires.

Déjà disponible pour des communes localisées en cœur de parc national, en parc naturel marin et dans les zones classées Natura 2000, la dotation biodiversité est élargie au profit de communes situées dans des parcs naturels régionaux. Le montant global élargi est par ailleurs réparti en quatre factions, contre trois auparavant, chacune étant également définie à l’article L. 2335-17 du CGCT.