Prise en compte de la pollution dans la vente immobilière : actualité règlementaire et jurisprudentielle

Décret n° 2022-1289 du 1er octobre 2022 relatif à l’information des acquéreurs et des locataires sur les risques

La question n’est pas nouvelle mais apparait devenir de plus en plus fréquente au regard du nombre croissant de contentieux la concernant; lors des ventes et acquisitions de sites, il arrive de découvrir avant ou après la conclusion de l’acte de vente que les sols sont pollués, entrainant alors des travaux coûteux pour procéder à la dépollution.

Plusieurs dispositifs légaux et contractuels permettent alors de protéger l’acquéreur.

Il importe de présenter les actualités relatives à ces dispositifs, qui concernent la portée de l’obligation d’information du vendeur (I) et les actions ouvertes à l’acquéreur contre le vendeur (II).

 

I. Actualité relative à la portée de l’obligation d’information du vendeur

1°) Tout d’abord, le vendeur est tenu d’une obligation d’information et doit informer l’acquéreur lorsqu’une installation soumise à autorisation ou à enregistrement a été exploitée sur le terrain objet de la vente, ainsi que, le cas échéant, des dangers et inconvénients découlant de son exploitation, conformément à l’article L. 514-20 du Code de l’environnement.

Il s’agit d’une obligation de résultat pour laquelle doit être pris en compte l’ensemble du site d’une installation classée, et c’est ce qu’a récemment rappelé la Cour de cassation.

Dans cette affaire, une communauté urbaine avait fait l’acquisition de parcelles, sur lesquelles se trouvaient d’anciennes constructions, pour réaliser des travaux d’extension d’une ligne de tramway. Toutefois, différents métaux et produits chimiques en quantités anormales ont été découverts dans les sols, caractérisant une pollution industrielle.

La communauté urbaine reprochait alors au vendeur de ne pas l’avoir informée qu’une installation soumise à autorisation avait été exploitée sur le site. Le vendeur soutenait qu’une telle information n’était pas due dès lors que la parcelle cédée constituait seulement l’entrée de l’usine et abritait la maison du gardien, et devait donc être regardée comme n’étant pas incluse dans le périmètre de l’installation classée soumise à autorisation.

Ainsi, par un arrêt n° 21-21.933 en date du 21 septembre 2022, la Cour de cassation censure le raisonnement de la Cour d’appel qui avait retenu qu’il n’était pas démontré qu’une activité classée avait été exercée sur les parcelles cédées alors que cette juridiction avait par ailleurs relevé que la parcelle objet de la vente était incluse dans le périmètre d’une installation classée soumise à autorisation.

La Cour de cassation casse donc l’arrêt de la Cour d’appel sur ce fondement. Partant, peu importe que la parcelle objet de la vente ait accueilli l’installation polluante, il suffit que cette parcelle ait été incluse dans le périmètre de l’autorisation ICPE pour que l’obligation d’information prévue à l’article L. 514-20 du Code de l’environnement s’impose au vendeur.

2°) Il existe également d’autres obligations d’information du vendeur, spécifiques aux risques liés à un bien immobilier. A cet égard, doit être cité le décret n° 2022-1289 en date du 1er octobre 2022 relatif à l’information des acquéreurs et des locataires sur les risques qui a mis à jour et renforcé l’obligation d’information dues par les vendeurs et bailleurs de biens immobiliers situés dans des zones couvertes par un plan de prévention des risques technologiques, par un plan de prévention des risques naturels prévisibles ou par un plan de prévention des risques miniers, prescrit ou approuvé, dans des zones de sismicité faible à forte, une zone à potentiel radon significatif, dans une zone exposée au recul du trait de côte ou dans un secteur d’information sur les sols.

Ce décret est pris en application de l’article 236 de la loi n° 2021-1104 en date du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, qui avait étendu la liste des zones dans lesquelles l’acquéreur ou le locataire doit recevoir une information sur l’état des risques aux plans de prévention des risques miniers et aux zones susceptibles d’être atteintes par le recul du trait de côte. Cette disposition prévoyait en outre que l’existence d’un état des risques ainsi que des moyens d’accéder à son contenu devaient être indiqués dès le stade de l’annonce immobilière, mais également que l’état des risques devait être communiqué lors de la première visite du bien, dans le cadre du diagnostic technique, de l’acte authentique de vente ou contrat de location ou du contrat préliminaire (dans le cadre d’une VEFA). Le défaut de communication de cet état des risques a pour effet de reporter le point de départ du délai de rétractation au lendemain de la communication de ce document à l’acquéreur, et le locataire peut solliciter la résolution du bail ou une diminution du prix du loyer.

Le décret en date du 1er octobre 2022 réécrit ainsi les articles R. 125-23 à R. 125-27 du Code de l’environnement, afin de prendre en compte ces modifications législatives.

L’extension aux risques miniers et aux risques liés au recul du trait de côte est ainsi prise en compte. L’article R. 125-23 précise à cet égard désormais que sont concernés par cette obligation les acquéreurs ou locataires de biens situés, notamment, dans une des zones exposées au recul du trait de côte ou dans le périmètre mis à l’étude dans le cadre de l’élaboration d’un plan de prévention des risques miniers. Il est en outre indiqué que l’état des risques devra notamment comprendre l’indication de l’horizon temporel d’exposition au recul du trait de côte identifié et le rappel des prescriptions applicables à la zone, ou encore le rappel du caractère provisoire du zonage.

S’agissant du moment où l’information doit être communiquée à l’acquéreur ou au locataire, l’article R. 125-25 du Code de l’environnement indique désormais que « l’annonce relative à la vente ou la location d’un bien pour lequel doit être établi l’état des risques mentionné à l’article L. 125-5, quel que soit son support de diffusion, comporte la mention suivante : “ Les informations sur les risques auxquels ce bien est exposé sont disponibles sur le site Géorisques : www. georisques. gouv. fr ». Et le document transmis lors de la première visite du bien devra avoir été établi moins de six mois auparavant. Il devra en outre être actualisé si les informations qu’il contient ne sont plus exactes à la date de signature de l’acte auquel il doit être annexé.

Par ailleurs, des dispositions spécifiques s’appliquent également s’agissant de la pollution des sols, lorsque le bien est situé au sein d’un secteur d’information sur les sols (article L. 125-7 du Code de l’environnement). Le document d’information devant être annexé à la promesse de vente, au contrat préliminaire, à l’acte authentique de vente ou au contrat de location devra être à jour à la date de signature de ces actes et reprendre le dernier arrêté préfectoral établissant la liste de ces secteurs, les informations mises à disposition sur le site Géorisques ainsi que les dispositions de l’article L. 556-2 du Code de l’environnement.

Ces obligations entreront en vigueur au 1er janvier 2023.

 

II. Actualité jurisprudentielle relative aux actions ouvertes à l’acquéreur contre le vendeur

 

Il conviendra de revenir sur les règles applicables en la matière (1) avant d’examiner l’actualité jurisprudentielle (2).

1. Rappel des règles applicables

Le Code civil prévoit un certain nombre d’hypothèses permettant à l’acquéreur d’un bien de se retourner contre le vendeur.

D’une part, l’acquéreur peut introduire une action en nullité du contrat en raison d’un vice du consentement. En effet, l’article 1130 du Code civil prévoit que « l’erreur, le dol et la violence vicient le consentement lorsqu’ils sont de telle nature que, sans eux, l’une des parties n’aurait pas contracté ou aurait contracté à des conditions substantiellement différentes ». Et le dol, qui nous intéresse plus particulièrement ici, est défini à l’article 1137 du Code civil comme « le fait pour un contractant d’obtenir le consentement de l’autre par des manœuvres ou des mensonges. Constitue également un dol la dissimulation intentionnelle par l’un des contractants d’une information dont il sait le caractère déterminant pour l’autre partie. Néanmoins, ne constitue pas un dol le fait pour une partie de ne pas révéler à son cocontractant son estimation de la valeur de la prestation ».

D’autre part, dans un contrat de vente, le Code civil met à la charge du vendeur plusieurs obligations – outre celle d’information évoquée ci-avant –, à l’instar de l’obligation de délivrance conforme (articles 1603 et 1604 du Code civil) ainsi que celle de garantir l’acquéreur contre les vices cachés de la chose vendue (articles 1641 et suivants du Code civil). Et le non-respect de ces obligations ouvre droit à réparation pour l’acquéreur :

  • La non-conformité de la chose vendue aux spécifications convenues par les parties est une inexécution de l’obligation de délivrance. Dès lors, le défaut de conformité se définit comme le défaut de correspondance entre la chose vendue et la chose délivrée à l’acquéreur;
  • L’action en garantie des vices cachés est ouverte au profit de l’acquéreur en cas de défauts cachés de la chose vendue qui la rendent impropre à l’usage auquel on la destine, ou qui diminuent tellement cet usage que l’acheteur ne l’aurait pas acquise, ou n’en aurait donné qu’un moindre prix, s’il les avait connus.

C’est à l’aune de ces règles contractuelles que l’actualité jurisprudentielle environnementale sera examinée ici.

 

2. Actualité jurisprudentielle

Plusieurs décisions récentes de la Cour de cassation permettent de revenir sur les différentes actions exposées précédemment.

En premier lieu, la Cour de cassation a apporté des précisions quant à l’action en garantie des vices cachés ouverte à l’acquéreur dans le cadre de la cession d’un site pollué.

Après avoir rappelé la règle selon laquelle l’obligation de remise en état pesant sur le dernier exploitant de l’ICPE se limite à l’usage défini à l’article L. 556-3 du Code de l’environnement et qu’en cas de changement d’usage du site il appartient à celui qui opère ce changement d’usage de prendre les mesures de mise en compatibilité qui s’impose, la Cour s’est ensuite prononcée sur l’action en garantie des vices caché opposée par la SCI requérante.

S’estimant lésée, la SCI acquéreur du site pollué avait en effet cherché à engager une action en garantie des vices cachés sur le fondement de l’article 1641 du Code civil. La SCI reprochait à la Cour d’appel d’avoir déclaré sa demande irrecevable, soutenant que le point de départ de l’action courait à compter de la découverte du vice dans son ampleur réelle.

Confirmant l’arrêt de la Cour d’appel, la Cour de cassation précise toutefois que le délai de prescription de deux ans de l’action en garantie des vices cachés part à compter de la date de connaissance du vice et non pas à compter de la connaissance du coût des travaux nécessaires pour y remédier.

 

« 18. La cour d’appel a souverainement retenu que le diagnostic approfondi de pollution, établi le 31 mai 2011, avant la vente, par la société Géotechnique appliquée Ile-de-France à la demande de la gérante de la SCI avait révélé l’ampleur de la pollution au regard du nouvel usage que le candidat acquéreur voulait donner au lieu, et qu’il avait été corroboré par un rapport du 12 septembre 2011 de la société HPC Envirotec, également missionnée par la SCI.

    1. Elle en a exactement déduit que, les vices invoqués par la SCI étant connus d’elle dès ces rapports, l’action engagée le 22 septembre 2014 contre les venderesses était irrecevable, dès lors que la connaissance du vice n’est pas conditionnée par la connaissance du coût des travaux nécessaires pour y remédier. (Cass. Civ.,3ème, 29 juin 2022, n° 21-17.502) ».

 

Cette jurisprudence récente rappelle que tout contrat de vente de droit privé, y compris celui portant sur la cession d’un terrain pollué, est susceptible d’ouvrir droit à une action fondée sur la garantie des vices cachés. En 2020, la Cour de cassation avait rappelé ce principe en matière de cession amiable consentie après une déclaration d’utilité publique, cette dernière demeurant un contrat de droit privé (Cass. Civ.,3e, 23 septembre 2020, n° 19-18.031).

En deuxième lieu, la Cour apporte des précisions quant à la qualification même du vice caché en même temps qu’elle se prononce sur une hypothèse de dol.

Dans cette espèce, l’acquéreur d’une maison d’habitation près de l’océan avait engagé une action en garantie des vices cachés en raison de nuisances provenant de l’échouage saisonnier d’algues sargasses. Invoquant un défaut d’information, l’acquéreur a assigné la venderesse en annulation de la vente sur le fondement du dol et, subsidiairement, en résolution de la vente sur le fondement de la garantie des vices cachés.

D’une part, s’agissant du dol, selon l’alinéa 1er de l’article 1137 du Code civil, et ainsi que cela a été évoqué ci-avant, ce dernier « est le fait pour un cocontractant d’obtenir le consentement de l’autre par des manœuvres ou des mensonges ». Dès lors, le simple constat de réponses mensongères avec la volonté de tromper caractérisent un dol susceptible de constituer une cause de nullité du contrat conclu. C’est selon ce raisonnement que la Cour de cassation a retenu que :

 

« En statuant ainsi, alors qu’elle avait constaté que la venderesse avait apporté des réponses mensongères aux demandes répétées de l’acquéreure relatives à la présence des algues sargasses, avec la volonté de tromper, la cour d’appel, qui n’a pas tiré les conséquences légales de ces constatations, a violé le texte susvisé » (Cass. Civ.,3ème,15 juin 2022, n° 21-13.286).

 

D’autre part, l’apport de cette décision réside en ce que la Cour censure également l’arrêt d’appel sur le fondement de la garantie des vices cachés.

En l’espèce, la Cour d’appel avait rejeté la demande en résolution de la vente au motif que les émanations dues aux sargasses trouvaient leur cause dans un phénomène extérieur, naturel, dont la survenue était imprévisible. Selon la Cour d’appel, ce phénomène ne pouvait constituer un vice caché.

Or, la Cour de cassation retient que la Cour d’appel avait ajouté une restriction aux conditions légales et que le vice caché pouvait être caractérisé par un tel évènement extérieur et naturel, fut-il imprévisible :

 

« 9. Pour rejeter la demande en résolution de la vente, l’arrêt retient qu’un phénomène extérieur, naturel, dont la survenue était imprévisible, ne constitue pas un vice caché.

    1. En statuant ainsi, la cour d’appel, qui a ajouté à la loi une restriction qu’elle ne comporte pas, a violé le texte susvisé » (Cass. Civ.,3ème,15 juin 2022, n° 21-13.286).

 

Cette décision ouvre la possibilité de reconnaître des phénomènes naturels comme des vices cachés, à condition qu’ils rendent la chose vendue impropre à l’usage auquel on la destine, conformément à l’article 1641 du Code civil. L’apport est donc bienvenu, d’autant plus que les algues en l’espèce créent des conséquences sanitaires dommageables.

La Cour confirme ainsi sa position classique selon laquelle l’action en garantie des vices cachés n’est pas exclusive du dol. En revanche, un tel cumul n’est pas possible s’agissant de l’action fondée sur le défaut de conformité (articles 1603 et 1604 du Code civil), comme l’a récemment rappelé la Cour.

En effet, en troisième lieu, dans une décision du 30 septembre 2021, la Cour de cassation apporte des précisions quant aux obligations pesant sur le vendeur à l’occasion de la vente d’un terrain pollué ou potentiellement pollué au regard des actions ouvertes aux acquéreurs successifs sur le fondement de l’obligation de délivrance conforme et de la garantie des vices cachés.

En l’espèce, une parcelle de terrain appartenant à la société Total Mayotte, sur laquelle avait été exploitée une station-service et avait fait l’objet d’un échange avec la société Nel. L’acte d’échange initial contenait une « clause de pollution » aux termes de laquelle la société Nel avait déclaré « renoncer de manière générale, à tout recours contre la société Total Mayotte ayant pour cause l’état du sol et du sous-sol de l’immeuble vendu », assortie d’un rapport technique qui accréditait l’idée d’une dépollution complète du site.

La société Nel avait ensuite vendu ce terrain à une troisième société (Kaweni). Or, la « clause de pollution » n’avait pas été reprise dans l’acte de vente. La parcelle avait enfin été cédée à bail par cet acquéreur à une quatrième société (Sodifram) pour y édifier des parkings, des commerces et des bureaux.

A l’occasion des premiers travaux par la société Sodifram, une pollution aux hydrocarbures a été découverte sur ce terrain et les sociétés Kaweni et Sodifram ont assigné les vendeurs successifs en indemnisation de leurs préjudices.

La Cour de cassation indique que le sous-acquéreur (en l’espèce, Kaweni) est fondé à soutenir que le vendeur initial (la Société Total Mayotte) avait manqué à son obligation de délivrance en raison de la pollution subsistante du terrain, ce qui engage sa responsabilité contractuelle vis-à-vis du sous-acquéreur. La société Total Mayotte ne pouvait donc pas s’exonérer de sa responsabilité par le biais de la clause de pollution qui attestait, en l’espèce, d’une dépollution complète du site.

En revanche, le preneur du bail, qui ne jouit pas des mêmes droits et actions attachés à la chose, ne peut engager que la responsabilité délictuelle de la société Total Mayotte :

 

« N’ayant pas constaté l’acceptation, par l’acquéreur, d’un risque connu de pollution résiduelle, mais retenu que le rapport technique joint à l’acte d’échange accréditait l’idée d’une dépollution complète du site, ce qui était loin d’être le cas, la cour d’appel a pu déduire de ces seuls motifs, dès lors que le bien n’était pas conforme à cette caractéristique, que la société Total Mayotte avait manqué à son obligation de délivrance et qu’il y avait lieu de retenir sa responsabilité contractuelle envers la société Station Kaweni, sous-acquéreur, et délictuelle envers la société Sodifram » (Cass. Civ.,3ème, 30 septembre 2021, n° 20-15.354, 20-16.156).

 

Cette décision comporte un intérêt supplémentaire résidant dans le fait qu’elle distingue entre le défaut de conformité et le vice caché.

En effet, la société Nel (vendeur intermédiaire) était quant à elle tenue de la garantie des vices cachés à l’égard de l’acquéreur (société Kaweni) et du locataire du terrain (société Sodifram).

Dans la mesure où l’état de pollution du site n’était pas entré dans le champ contractuel, aussi bien pour l’acte de vente que pour le bail, la Cour de cassation énonce que la présence d’hydrocarbures ayant pour effet de rendre le terrain inconstructible constitue un vice caché. Elle casse donc l’arrêt de la Cour d’appel en ce qu’il avait retenu un défaut de conformité :

 

« En statuant ainsi, alors que la clause de pollution n’avait pas été reprise dans l’acte de la vente conclue entre les sociétés Nel et Station Kaweni et que l’inconstructibilité du terrain constituait non un défaut de conformité, mais un vice caché de la chose vendue, la cour d’appel a violé les textes susvisé » (Cass. Civ.,3ème, 30 septembre 2021, n° 20-15.354, 20-16.156).

 

La jurisprudence est donc encore fournie s’agissant de l’application des règles du droit des contrats en matière environnementale. L’évolution de la législation en matière d’obligation d’information du vendeur et les nombreuses décisions de jurisprudence reconnaissant ou non la responsabilité de ce dernier au regard des enjeux environnementaux rencontrés dans le cadre de cessions immobilières invitent donc à la prudence dans la rédaction des contrats de vente, que l’on soit en situation de vendre ou d’acheter un site potentiellement pollué.

 

Textes :

Cass. Civ., 3ème, 29 juin 2022, SCI X., n° 21-17.502

Cass. Civ., 3ème, 23 septembre 2020, Bordeaux Métropole c/ Etablissements A . Gré et Cie, n° 19-18.031

Cass. Civ., 3ème, 15 juin 2022, Mme L., n° 21-13.286

Cass. Civ., 3ème, 30 septembre 2021, Société Total Mayotte, n° 20-15.354, 20-16.156

 

Par Clémence DU ROSTU, Julie CAZOU, Pauline DELETOILLE et Claire-Marie DUBOIS-SPAENLE

Contrôle des règles de construction : nouvelles règles au 1er janvier 2024

La loi n° 2021-1104 en date du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets dite « climat et résilience » votée l’an dernier a renforcé les mesures coercitives visant les propriétaires de logements qui consomment trop d’énergies.

Dans une volonté de « garantir des constructions plus sûres, plus saines, plus performantes dans leur consommation énergétique, plus respectueuses de l’environnement et plus résilientes face au changement climatique », cette loi avait habilité le Gouvernement à modifier la partie législative du Code de la construction et de l’habitation (CCH).

La réforme n’entrera cependant pas immédiatement en vigueur. Plusieurs décrets doivent être pris pour préciser les nouvelles dispositions introduites par l’ordonnance. Les nouvelles dispositions relatives aux attestations ne s’imposeront qu’à compter du 1er janvier 2024. Celles renforçant la police administrative n’entreront en vigueur qu’à une date fixée par décret en Conseil d’Etat et au plus tard au 1er janvier 2024 également.

Les points à retenir de cette ordonnance sont les suivants :

Attestations exigées au stade de la demande de permis de construire ou de l’achèvement des travaux

Au stade du dépôt du dossier de demande de permis de construire, les attestations suivantes devront être transmises à un service de l’Etat ou un organisme désigné par décret en Conseil d’Etat :

  • Les attestations de prise en compte des exigences énergétiques et environnementales ;

L’attestation de prise en compte des règles concernant l’accessibilité des bâtiments ;

  • L’attestation relative au respect de la règlementation acoustique concernant les bâtiment neufs ou sur des parties nouvelles de bâtiments existants soumis à permis de construire ;
  • L’attestation de réalisation d’une étude de conception d’une construction soumise aux risques définis par un plan de prévention des risques naturels prévisibles ou un plan de prévention des risques miniers, exigée au moment du dépôt de permis de construire mais uniquement par l’architecte auteur du projet architectural ;
  • L’attestation de prise en compte des risques sismiques, cycloniques, mais uniquement lorsque le projet porte sur une maison individuelle.

Ces attestations devront être rédigées, selon les cas, par un contrôleur technique, un bureau d’étude, un architecte, un expert, ou le maître d’ouvrage directement (construction d’une maison individuelle).

Au regard des enjeux très important liés à cette problématique dite de retrait-gonflement des argiles mouvements de terrain différentiels liés à la sécheresse et la réhydratation des sols argileux), l’ordonnance crée également une nouvelle attestation relative aux risques liés aux terrains argileux, dite « retrait gonflement des argiles » (RGA) qui sera exigée des constructions neuves ou des rénovations de bâtiments soumises à permis de construire lors de l’achèvement des travaux.

Au stade de l’achèvement des travaux, le maître d’ouvrage doit fournir un document attestant du respect des règles de construction en termes de performance énergétique et environnementale.

Contrôle administratif des constructions en cours ou achevées

Un nouveau titre relatif aux contrôles et aux sanctions des règles de construction est inséré dans le CCH. Il définit les conditions dans lesquelles s’exercent les contrôles des constructions en cours ou achevées, ainsi que les sanctions applicables en cas de manquement ou d’infraction.

Selon son rapport de présentation, l’ordonnance vise à compléter et élargir le champ de la police administrative : « cette police administrative pourra concerner tous les intervenants impliqués autour de l’acte de construire et visera à assurer le respect de la grande majorité des règles constructives définies dans le CCH ». 

Sont compétents pour exercer le contrôle administratif des constructions en cours ou achevées : les fonctionnaires et agents publics habilités ou commissionnés par l’autorité administrative de l’État compétente ou par le maire, le préfet ou l’établissement public de coopération intercommunale (EPCI) (C. urb : L. 422-1 et L. 422-3) ou leurs délégués. Ils doivent être assermentés.

Pour achever ce nouveau régime, des sanctions administratives (cf. articles L. 181-11 à L. 181-14 du CCH) et pénales (cf. articles L. 183-1, L. 183-4, L. 183-7 et L. 183-10 du CCH) sont prévues.

Le reversement, par une association, d’une partie de sa subvention publique à une autre association peut entraîner la suspension de cette subvention

La pratique de reversement d’une subvention par une association à une autre, dite de « subvention en cascade », est strictement interdite sur le fondement de l’article 15 du décret-loi en date du 2 mai 1938 et de l’article L. 1611-4 du Code général des collectivités territoriales qui dispose :

« Il est interdit à tout groupement ou à toute association, œuvre ou entreprise ayant reçu une subvention d’en employer tout ou partie en subventions à d’autres associations, œuvres ou entreprises, sauf lorsque cela est expressément prévu dans la convention conclue entre la collectivité territoriale et l’organisme subventionné ».

Le juge administratif a récemment eu l’occasion de réaffirmer ce principe. Dans un arrêt du 7 juin 2022, la Cour administrative d’appel de Toulouse a précisé les conditions d’une suspension de versement de subventions prévues contractuellement.

En l’espèce, une association qui gérait un établissement d’accueil de jeunes enfants avait conclu avec une commune une convention d’objectifs et de moyens prévoyant le versement, par la commune, d’une subvention annuelle d’aide au fonctionnement.

Deux ans plus tard, à la suite d’un contrôle par les services municipaux des documents comptables fournis par l’association, la commune a constaté que l’association avait reversé une grande partie des fonds à une autre association dont elle était membre. La commune a alors décidé de suspendre l’exécution de la convention et de ne pas verser le reliquat de la subvention, en raison de manquements de l’association à ses obligations contractuelles.

Estimant que la décision ne reposait sur aucun motif valable et que la commune avait méconnu les dispositions contractuelles relatives à la résiliation, l’association a alors saisi le juge administratif et demandé la condamnation de la commune à lui verser une somme de 400.000 euros en réparation du préjudice qu’elle estimait avoir subi du fait de la violation par la commune de ses obligations de lui verser les subventions contractuellement dues.

Le Tribunal administratif de Toulouse a rejeté la requête de l’association, ce qu’a confirmé la Cour administrative d’appel.

Dans son arrêt, la Cour a rappelé que l’attribution d’une subvention par une personne publique crée des droits au profit de son bénéficiaire et que ces droits ne sont ainsi créés que dans la mesure où le bénéficiaire de la subvention respecte les conditions posées pour son octroi (que ces conditions aient été fixées par la personne publique dans sa décision d’octroi, qu’elles aient fait l’objet d’une convention signée avec le bénéficiaire ou, encore, qu’elles découlent implicitement mais nécessairement de l’objet même de la subvention).

Or en l’espèce, la commune, après avoir relevé que ces versements avaient été en grande partie financés par la subvention accordée, a considéré, en l’absence d’une connaissance précise de la nature des actions ou missions menées par l’autre association, que l’utilisation faite de la subvention n’était pas conforme à l’objet de la convention d’objectifs et de moyens conclue.

En outre, quand bien même la commune n’aurait pas ignoré l’existence de versements au profit de l’autre association, la Cour relève qu’elle était fondée à contrôler annuellement la destination de la subvention qu’elle versait, en vertu de la convention d’objectifs et de moyens. Dans ces conditions et alors qu’il n’est pas contesté que les versements opérés ont été en partie financés par la subvention versée par la commune, c’est à bon droit que celle-ci a considéré, en l’absence de connaissance précise des actions de l’autre association, que l’association appelante n’avait pas respecté l’obligation d’utiliser la subvention conformément à son objet.

Si cette méconnaissance justifie la suspension du versement de la subvention, elle ne constitue toutefois ni une décision de retrait de subvention, dès lors qu’elle n’a impliqué aucune restitution de sommes déjà versées par la commune, ni une décision de résiliation de la convention, laquelle n’a simplement pas été renouvelée à son terme.

***

Toute association bénéficiant d’une subvention publique se voit imposer un certain nombre d’obligations dont le non-respect peut entraîner des conséquences sur le versement de la subvention.

Cette décision de la Cour administrative d’appel de Toulouse est donc l’occasion de rappeler qu’une collectivité publique peut suspendre le versement de la subvention dès lors que l’association bénéficiaire ne justifie pas d’une utilisation de ladite subvention conforme à son objet. Tel est le cas si l’association effectue des versements à une autre association, dont la collectivité ignore les actions et missions.

Cela se justifie par le fait que, si un tel reversement était possible, la subvention échapperait au contrôle de la collectivité publique et risquerait d’être détournée de son objet. Ce principe assure ainsi une plus grande transparence dans l’attribution de fonds publics à des organismes à but non lucratif.

Responsabilité décennale des constructeurs : des arbitrages techniques et des recherches d’économie par le maître d’ouvrage peuvent constituer une faute exonératoire

Cette décision est l’occasion de rappeler la jurisprudence constante aux termes de laquelle la faute du maître d’ouvrage à l’origine des désordres est de nature à exonérer en tout ou partie les constructeurs de la responsabilité encourue sur le fondement de la garantie décennale (voir. Conseil d’Etat, 7 octobre 1998, n°156653).

La Commune de Toulouse en a payé le lourd tribut à la suite de l’apparition de désordres sur son muséum d’histoire naturelle, consistant en un phénomène de condensation sur la paroi courbe vitrée de l’ouvrage, et des variations de température et d’hygrométrie dans les salles et les vitrines d’exposition, affectant le confort des visiteurs et la conservation des collections.

En l’espèce, la Cour administrative d’appel retient en effet, comme les premiers juges avant elle, l’existence d’une faute exonératoire de la Commune à l’origine des désordres affectant la paroi vitrée, au motif de son importante implication dans le contrôle de la conception de l’ouvrage à chacune des phases de conception, et le choix délibéré de ne pas suivre les conseils du maître d’œuvre tendant à la mise en place d’un double vitrage en paroi extérieure et de stores, pourtant de nature à parer aux risques de condensation et de surchauffe. Le moyen tiré de l’absence de proposition chiffrée du maître d’œuvre sur les solutions proposées ne séduit pas la Cour qui retient que la gravité de la faute commise justifie que les constructeurs soient exonérés de leur responsabilité non pas à hauteur de 50 % mais de 80 %.

La sanction est encore dure s’agissant des désordres liés aux variations de température et d’hygrométrie dans les salles et vitrines d’exposition. La Cour retient en effet que la faute de la Commune, qui a refusé les solutions proposées par son assistant à maîtrise d’ouvrage permettant la climatisation des vitrines d’exposition pour des motifs vraisemblablement d’ordre exclusivement budgétaire, justifie là encore que les constructeurs soient exonérés de leur responsabilité à hauteur de 80 %.

Si la qualité du conseil délivré sur les conséquences des choix opérés par les maîtres d’ouvrage peut toujours être discutée en cas de survenance de désordres, on ne pourra que trop conseiller aux maîtres d’ouvrage de rester prudent sur les arbitrages effectués contre l’avis des constructeurs tant en phase conception qu’au cours de l’exécution des travaux, et susceptibles en particulier d’influencer l’exploitation des ouvrages. En cas de doute, il conviendra de préférer le recours aux moyens contractuels permettant d’assurer la maîtrise du budget de l’opération, ou de solliciter un conseil juridique sur l’influence des choix à opérer sur les responsabilités le cas échéant encourues.

Opération de sauvetage de PLUi manchots : un seul survivant, ou presque

Illégalité du PLUi du territoire de Saint-Hilaire-du-Harcouët et illégalité partielle du PLUi du territoire Avranches-Mont-Saint-Michel

La Cour administrative d’appel de Nantes s’est prononcée sur la légalité des PLUi du territoire de Saint-Hilaire-du-Harcouët et du territoire Avranches-Mont-Saint-Michel, dont la Communauté d’agglomération Mont-Saint-Michel-Normandie, en vertu des dispositions de l’article L. 153-9 du code de l’urbanisme, poursuivait la procédure d’élaboration.

En raison, notamment, du caractère insatisfaisant de l’analyse de la consommation des espaces naturels et agricoles à laquelle se sont livrés les deux rapports de présentation des PLUi, le Préfet de la Manche a déféré au Tribunal administratif de Caen les délibérations d’approbation.

Par jugements en date des 7 novembre 2019 et 10 juin 2021, le Tribunal administratif de Caen a respectivement annulé les délibérations d’approbation des deux PLUi. La Communauté d’agglomération Mont-Saint-Michel Normandie a interjeté appel de ces deux jugements.

Suivant deux arrêts lu le 22 juillet 2022, la Cour administrative d’appel de Nantes a confirmé l’annulation du PLUi de Saint-Hilaire-du-Harcouët (n° 21NT01107) et a décidé de surseoir à statuer, dans un délai de mois, dans l’attente de la régularisation des vices affectant le PLUi du territoire d’Avranches Mont-Saint-Michel (n° 21NT02275). On déplore ainsi un seul PLUi survivant.

Si, d’apparence ces deux arrêts correspondent à une illustration classique du contentieux des plans locaux d’urbanisme, ils livrent néanmoins quelques éclairages intéressants sur : l’examen par le juge du moyen tiré de l’insuffisance du rapport de présentation au regard de l’analyse de la consommation des espaces naturels, agricoles et forestiers, le régime des STECAL ou encore l’application de la loi littoral.

1. Arrêt relatif au PLUi du territoire de Saint-Hilaire-du-Harcouët (req. n° 21NT01107)

Les juges d’appel ont tout d’abord retenu l’insuffisance du rapport de présentation du PLUi au regard aux exigences de l’article L. 151-4 du Code de l’urbanisme.

Selon l’alinéa 4 de ce texte, le rapport de présentation « analyse la consommation d’espaces naturels, agricoles et forestiers au cours des dix années précédant l’approbation du plan ou depuis la dernière révision du document d’urbanisme et la capacité de densification et de mutation de l’ensemble des espaces bâtis, en tenant compte des formes urbaines et architecturale ». Or, en l’espèce, le rapport fournit des données chiffrées qui concernent des périodes antérieures à la période attendue, et se borne à évoquer la consommation des espaces naturels agricoles et foncier en extension sans prendre en compte les espaces consommés en densification.

Ensuite, les juges d’appel ont rappelé le caractère exceptionnel de la délimitation – en zones naturelles, agricoles et forestières – des secteurs de taille et de capacité d’accueil limitées (STECAL) définis par l’article L. 151-13 du Code de l’urbanisme.

Pour rappel, les STECAL correspondent à des secteurs délimités dans des zones, par principe, inconstructibles des PLU (zones A et N) et dans le périmètre desquels certaines constructions ou installations peuvent être édifiées de manière dérogatoire.

Le dernier alinéa de l’article L. 151-13 du Code de l’urbanisme, issu d’un amendement de la loi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique (dite loi ELAN), précise les critères permettant d’apprécier le caractère exceptionnel des STECAL dans un territoire donné :

« Leur caractère exceptionnel s’apprécie, entre autres critères, en fonction des caractéristiques du territoire, du type d’urbanisation du secteur, de la distance entre les constructions ou de la desserte par les réseaux ou par les équipements collectifs. »

Selon la commission des affaires économiques du Sénat, ces critères « devraient donner aux communes la possibilité de décliner ces outils de manière plus adaptée à la réalité de leur territoire, tout en assurant leur utilisation cohérente à l’échelle du pays ».

En l’espèce, 51 STECAL ont été délimités par le PLUi du territoire de Saint-Hilaire-du-Harcouët :

  • dans l’objectif de « prendre en compte le tissu local de petites et moyennes entreprises, de respecter la dynamique du monde rural et de permettre aux entreprises existantes de poursuivre leur activité sur leur site initial sous réserve de ne pas gêner l’activité agricole et la proximité éventuelle de l’habitat » ;
  • dont le périmètre se limite, pour chacun, « aux alentours des bâtiments existants».

Pourtant, « en dépit de la taille limitée de chaque STECAL », le moyen tiré de la méconnaissance de l’article L.151-13 du Code de l’urbanisme a été accueilli « en raison du nombre important de ces derniers et du risque de mitage ».

Le caractère exceptionnel du STECAL semblerait ainsi également s’entendre en termes de nombre.

Rien n’est moins sûr lorsqu’on poursuit l’analyse de l’arrêt. En effet, pour accueillir le moyen tiré de la méconnaissance par le règlement du PLUi des objectifs du projet du PADD au motif – notamment – que le seuil dédié aux activités économiques par le PADD était largement dépassé, les juges ont rappelé que les STECAL ne pouvaient être exclus de cette estimation puisqu’il ressort des pièces du dossier que « 27.62 ha des 36.31 ha de leur surface ne sont pas bâtis ».

Les juges rejettent enfin les conclusions de la Communauté d’agglomération tendant à la mise en œuvre des dispositions de l’article L. 600-9 du Code de l’urbanisme. En effet, ils considèrent qu’en l’espèce les illégalités retenues – à savoir, d’une part, que « les données du rapport de présentation ne permettent pas d’analyser de manière pertinente la consommation foncière au cours des dix années précédant l’approbation du PLUI » et ,d’autre part que « le règlement du PLUI relatif aux zones ZA, 1Aux, AUz et aux STECAL n’est pas en cohérence avec les objectifs du PADD tendant à limiter l’étalement urbain et le mitage » – sont de nature à changer les orientations définies par le PADD.

Une procédure de modification n’étant ainsi pas envisageable (cf article L. 153-31 du code de l’urbanisme), les juges confirment donc l’annulation du PLUi.

2. Arrêt relatif au PLUi du territoire d’Avranches-Mont-Saint-Michel (req. n° 21NT02275)

Contrairement au PLUi du territoire de Saint-Hilaire-du-Harcouët, le moyen tiré de la méconnaissance de l’article L. 151-4 du code de l’urbanisme n’a pas été retenu à hauteur d’appel, ce qui permet de contrer l’annulation totale du document d’urbanisme déféré.

La critique tenant à l’insuffisance du rapport de présentation pour surestimation insincère de la consommation passée n’est, selon les juges d’appel, pas établie au regard des pièces du dossier.

En outre, l’objectif démographique du rapport de présentation, bien que supérieur à celui du SCoT du Pays de la Baie du Mont-Saint-Michel ne conduit pas à un dépassement des objectifs de limitation de la consommation d’espace fixé par ce dernier. Il en va de même pour l’objectif du rapport de présentation tendant à maintenir le taux de logements vacants constatés, alors que le SCoT préconise de tendre vers une valeur moins élevée.

La Cour administrative d’appel de Nantes ne va donc pas aussi loin que les premiers juges, mais retient néanmoins que certaines dispositions du PLUi sont illégales au regard, notamment, de l’article L. 121-8 du Code de l’urbanisme

Les secteurs concernés seront successivement examinés.

  • S’agissant du lieudit la Caserne, situé à l’embouchure du Couesnon, lieu de passage obligatoire pour les visiteurs de l’Abbaye du Mont-Saint-Michel, les juges considèrent que la création du hameau nouveau intégré à l’environnement au lieudit méconnaît les dispositions de l’article L. 121-8 à double titre.

Pour rappel, la loi ELAN a supprimé la notion de hameau nouveau intégré à l’environnement qui permettait de déroger au principe de l’extension de l’urbanisation en continuité avec les agglomérations et villages existants. Elle avait néanmoins organisé un régime transitoire au § V de son article 42.

Selon ce texte, une délimitation de hameau nouveau intégré à l’environnement reste possible sous réserve qu’il ne s’agisse pas d’une élaboration de PLU et que la procédure d’évolution du document d’urbanisme arrive à son terme avant le 31 décembre 2021.

En l’espèce, et à titre principal, les juges d’appel concluent à l’inapplicabilité de cette règle transitoire au PLUi du territoire d’Avranches-Mont-Saint-Michel puisque ce dernier « ne résulte pas d’une modification, d’une révision ou d’une mise en compatibilité d’un document préexistant ».

En outre et « au surplus », les juges considèrent que le secteur en cause ne peut pas être qualifié d’agglomération ou de village existant, puisqu’il « ne présente pas une densité significative de constructions et est coupé des bourgs de Pontorson et de Beauvoir par de vastes espaces naturels ».

Ainsi, alors qu’il correspond au « lieu de passage obligé pour les véhicules des visiteurs du Mont-Saint-Michel » et comporte « une quinzaine de constructions », le lieudit la Caserne voit ses possibilités d’urbanisation considérablement réduites.

  • S’agissant des zones urbaines à dominante d’activités économiques au sein des communes de Val-Saint-Pair et Marcey-les-Grèves, les juges retiennent que leur délimitation est incompatible avec les dispositions de l’article L. 121-8 du Code de l’urbanisme :

« […] ces deux zones, qui ne sont pas identifiées comme des agglomérations ou des villages dans le SCOT, correspondent à des zones d’activités existantes, d’une quinzaine de bâtiments pour l’une et d’une dizaine pour l’autre, mais ne sont pas situées en continuité d’un village ni d’une agglomération existante et ne constituent pas, par elles-mêmes, un secteur urbanisé faute d’un nombre et d’une densité significatifs de constructions ».

  • S’agissant de la création d’une zone Ne dans la commune des Genêts, dédiée au stationnement des véhicules pour les départs de traversée de la baie du Mont-Saint-Michel et où le PLUi litigieux autorise les constructions liées ou nécessaires aux équipements collectifs sur la commune de Genêts, la Cour considère qu’ « en dépit de la très faible superficie et de sa vocation » , cette création est incompatible avec l’article L. 121-8 du code de l’urbanisme puisque, d’une part, il résulte du règlement du PLUi que n’y sont pas uniquement autorisées les extensions de constructions existantes et d’autre part, la zone Ne « n’est pas située en continuité d’un secteur urbanisé » ;
  • Enfin, contrairement aux premiers juges, la Cour administrative d’appel considère que la zone urbaine à dominante d’habitat instituée sur le territoire de la Commune de Poiley doit être regardée comme un secteur déjà urbanisé :

«[…] la zone Uh de Poilley, qui n’est pas identifiée comme un village ou une agglomération dans le SCOT, comprend une trentaine de maisons, disposées en arc autour d’une zone d’activité qui la jouxte à l’ouest, laquelle est également en continuité d’une petite zone pavillonnaire. L’ensemble est structuré autour de deux routes et comporte au surplus un restaurant et une carrosserie. Ainsi, alors même que la zone Uh litigieuse, s’ouvre au nord, à l’est et au sud sur des parcelles non construites et se situe à 1,5 km du bourg de Poilley, elle doit être regardée comme se situant dans un secteur déjà urbanisé ».

Les illégalités affectant le PLUi en des parties identifiables et ne compromettant pas son économie générale, les juges d’appel décident de surseoir à statuer, en application des dispositions de l’article L. 600-9 du Code de l’urbanisme, jusqu’à l’expiration d’un délai de dix mois à compter de la notification de l’arrêt – afin que, dans ce délai, la Communauté d’agglomération Mont-Saint-Michel-Normandie procède à la régularisation des illégalités relevées au titre de la loi littoral.

Deux arrêts dont les effets complexifieront incontestablement l’instruction des autorisations d’urbanisme sur le territoire de la Communauté d’agglomération Mont-Saint-Michel-Normandie, et ce d’autant que certaines d’entre elles devront être délivrées avec avis conforme du Préfet, auteur des déférés semi gagnants.

 

Camille TREHEUX – Avocate Associée SEBAN ARMORIQUE

Le contrôleur technique : un intervenant indépendant !

Les opérations de construction soumises à un contrôle technique sont énumérées à l’article R. 111-38 du Code de la construction et de l’habitation.

Le contrôleur technique, lié contractuellement au maître de l’ouvrage, a pour mission de donner son avis afin de contribuer à la prévention des différents aléas techniques susceptibles de se réaliser pendant la réalisation d’un ouvrage.

Pour réaliser cette mission, le contrôleur technique (qui est une profession réglementée) doit nécessairement être indépendant des autres acteurs de l’opération de construction.

C’est cette règle que l’arrêt du 19 juillet 2022 est venue rappeler.

En effet, conformément à l’article L. 125-3 du même Code (ancien article L. 111-25) « l’activité de contrôle technique est soumise à agrément. Elle est incompatible avec l’exercice de toute activité de conception, d’exécution ou d’expertise d’un ouvrage. La décision d’agrément tient compte des qualifications professionnelles et de la moralité professionnelle ».

Dans notre arrêt, la Fédération patronale CINOV (regroupant les entreprises des métiers du conseil, de l’ingénierie et du numérique) a souhaité aller plus loin dans la garantie de neutralité du contrôleur technique.

Elle avait en effet demandé au Premier ministre, par courrier en date du 20 février 2020 resté sans réponse, la modification des anciens articles R. 111-29 et suivants du Code de la construction et de l’habitation alors en vigueur (nouveaux articles L. 125-1 et suivants) afin qu’il soit précisé que l’incompatibilité professionnelle énoncée à l’article 125-3 ci-dessus rappelée, ait un caractère général et absolu.

Cette précision permettait, selon la CINOV :

  • d’éviter que l’exigence d’indépendance du contrôleur technique ne soit appréciée « opération par opération» ;
  • et que cet acteur ne puisse ni contrôler une entreprise de conception, d’exécution ou d’expertise d’un ouvrage, ni être contrôlé par une telle entreprise ou sa société mère.

La Haute juridiction a rejeté la requête de la CINOV, estimant que « le législateur a entendu prohiber de manière générale toute participation, sous quelque forme que ce soit, à des activités de conception, d’exécution ou d’expertise d’ouvrage des personnes physiques ou morales agréées au titre du contrôle technique d’un ouvrage », et donc que l’exigence d’indépendance résultait déjà de la rédaction de l’article L. 125-3 du Code de la construction et de l’habitation.

Les contractuels de la fonction publique territoriale (FPT) : rémunération maintenue pendant la suspension

Le tout récent décret en date du 12 août dernier (n° 2022-1153) a enfin encadré la suspension des agents contractuels fonction publique territoriale (FPT), en la limitant à 4 mois à l’instar des fonctionnaires. Jusques là, quelques décisions seulement autorisaient une suspension sans rémunération et sans limitation dans le temps. Mais le nouvel article 36 A du décret 88-145 du 15 février 1988 sur ces contractuels indique dorénavant : « L’agent contractuel suspendu conserve sa rémunération et les prestations familiales obligatoires ».

Sa rémunération… toute sa rémunération ? Contrairement aux fonctionnaires, qui eux perdent leur régime indemnitaire – puisque lié à l’exercice effectif des fonctions – le contractuel, lui, pourrait ne pas exercer ses fonctions mais bénéficier de l’intégralité de son salaire ? Enième différence entre les anciennes dispositions et le Code général de la fonction publique (CGFP) (on reparlera de la codification « à droit constant »), la rémunération des fonctionnaires et des contractuels n’est plus du tout montée de la même manière, et surtout le CGFP adopte une vision restrictive de l’absence de service fait qui ne comprend pas la suspension.

Au final, la raison en est peut-être la diversité de rédaction des contrats : certains prévoient une rémunération forfaitaire, d’autres un fixe et le RIFSEEP… Afin d’assurer l’égalité de traitement entre les agents, il était nécessaire de les aligner par le haut. En réalité, cette rédaction était déjà celle applicable aux contractuels FPH et FPE, et il n’y a que très peu de décisions des juridictions administratives publiées à ce sujet ce qui, justement, va dans le sens du maintien de la rémunération.

Les organisations syndicales vont-elles aller sur le terrain d’une égalité de traitement entre les fonctionnaires et les contractuels et en faire un sujet de revendication ? Nous verrons bien, il y a peut-être d’autres sujets plus prioritaires. En attendant, si jamais vous suspendez un contractuel FPT, vous devez lui verser la totalité de sa rémunération, à défaut non seulement vous lui ouvrez la voie du référé (la condition d’urgence sera remplie), mais encore la décision sera irrégulière.

Un grand changement, donc !

Faute disciplinaire : des propos tenus sur un groupe WhatsApp peuvent justifier une sanction disciplinaire

CE, 7 mars 2022, n° 451731

CAA Nancy, 22 septembre 2016, n° 15NC00771 

CAA Bordeaux, 4 mai 2022, n° 19BX02151

A la fin de l’année 2021, la découverte d’un groupe WhatsApp où des policiers avaient pour habitude d’échanger des messages à caractère raciste par l’un de leurs collègues visés par ces messages a connu un retentissement médiatique important.

Les cinq policiers poursuivis ont fait l’objet d’une amende pénale pour injures non publique à caractère raciste, et ceux qui étaient titulaires ont été révoqués pour ces mêmes faits.

Si le fait de tenir des propos à caractère raciste ou discriminatoire est évidemment fautif (CE, 7 mars 2022, n° 451371), la circonstance que ces propos aient été tenus sur une messagerie à caractère privé rendait la possibilité de prononcer une sanction disciplinaire, a fortiori la sanction de la révocation, loin d’être évidente.

Rappelons en effet que depuis quelques années, le juge administratif a eu l’occasion d’apprécier le caractère fautif de propos pouvant être tenus sur les réseaux sociaux, dès lors que les messages en cause étaient publics ou accessibles au public (CAA Nancy, 22 septembre 2016, n° 15NC00771 ; CAA Bordeaux, 4 mai 2022, n° 19BX02151).

En l’espèce, le Tribunal administratif de Rouen a considéré que « la circonstance que les commentaires de M. A., fondement de la sanction en litige, ont été tenus via l’application Whatsapp, fussent-ils protégés par le secret de la vie privée, n’est pas de nature à priver de base légale la sanction prise à son encontre dès lors qu’un comportement dans la vie privée peut être de nature à justifier une sanction disciplinaire lorsqu’il est incompatible avec la qualité d’agent public, qu’il a pour effet de perturber le bon déroulement du service ou de jeter le discrédit sur l’administration ».

Le Tribunal a ainsi écarté les moyens de défense tendant au secret de la vie privée et a relevé au contraire que des propos tenus dans un groupe de discussion, malgré le caractère privé de tels échanges, peuvent justifier une sanction disciplinaire puisqu’un comportement, même dans la vie privée, peut être de nature à fonder une sanction lorsqu’il est incompatible avec la qualité d’agent public.

En l’occurrence, eu égard au caractère raciste et injurieux des messages, de leur nombre très élevé, du discrédit jeté sur l’administration notamment du fait de la médiatisation de cette affaire (et ce, quand bien même les agents sanctionnés n’en auraient pas été à l’origine), du fait que ces messages pouvaient être accessibles à des tiers présents sur ce groupe, le Ministre de l’Intérieur n’a pas commis d’erreur d’appréciation ni pris une sanction disproportionnée en révoquant les deux policiers.

Ce jugement marque une avancée supplémentaire quant à l’appréciation du caractère fautif de propos échangés sur les réseaux sociaux ou les applications de messagerie en incluant les échanges à caractère privé qui ne résistent pas à la possibilité pour l’administration dans certains cas de tenir compte de faits qui n’ont pas toujours eu lieu dans le cadre de l’exercice des fonctions.

Publication du décret relatif aux procédures de recueil et de traitement des signalements émis par les lanceurs d’alerte

L’article 8 de la loi n° 2016-1691 en date du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique avait défini un nouveau système de protection des lanceurs d’alerte, lequel avait été renforcé récemment par la loi n° 2020-401 du 21 mars 2022 en élargissant la définition des lanceurs d’alerte et autorise ces derniers à émettre un signalement externe, auprès d’autorité tierces, et notamment le défenseur des droits (voir sur ce point la publication d’Agathe Delescluse)

Ces dispositions ont mis à la charge de nombres d’entités publiques et privées la charge de définir une procédure de recueil de signalement émis par les lanceurs d’alerte, notamment lorsque ceux-ci sont des membres de leur personnel.

Tel est le cas, notamment, des administrations de l’Etat, et d’une façon générale les personnes publiques employant plus de cinquante agents, à l’exception des communes de moins de 10.000 habitants, des établissements publics qui leur sont rattachés et des établissements publics de coopération intercommunale qui ne comprennent parmi leurs membres aucune commune excédant ce seuil de population.

Une première procédure avait été définie par un décret n° 2017-564 en date du 19 avril 2017. Celui-ci est désormais abrogé par le décret du 3 octobre 2022, qui met à jour la procédure pour tenir compte notamment des évolutions définies par la loi du 21 mars 2022.

La nouvelle procédure ne s’appuie plus sur un simple signalement à l’autorité hiérarchique ou au référent désigné, mais impose l’instauration d’un véritable canal de réception des signalements défini. La procédure doit définir les modalités de recueil et de traitement du signalement reçu par ce canal. Une mise à jour importante des procédures de recueil et de traitement des signalements va donc s’imposer.

Rappelons néanmoins que les collectivités territoriales et leurs établissements peuvent, en application de l’article 8 de la loi en date du 9 décembre 2016, déléguer cette mission aux centres de gestion de la fonction publiques territoriales. C’est donc à ces derniers que va essentiellement incomber le travail de mise à jour. Seules les collectivités qui ont fait le choix d’un dispositif propre devront donc préparer, au plus vite, la mise à jour et la publication de la nouvelle procédure.

Application de la responsabilité du fait des bâtiments dans le cadre d’une occupation sans droit ni titre

Dans un arrêt en date du 15 septembre 2022, la Cour de cassation a condamné le propriétaire d’un logement à en indemniser l’occupante sans droit ni titre, avec laquelle il avait précédemment conclu un bail dont elle avait été déchue par décision de justice, blessée en raison du manque d’entretien dudit logement.

Mme S, qui occupait l’appartement propriété des consorts C après avoir été déchue de son bail, a chuté au sol depuis la fenêtre de la cuisine du bien occupé, à la suite de la rupture du garde-corps.

Elle a alors assigné ses anciens bailleurs en responsabilité sur le fondement de l’article 1244 du Code civil, qui dispose que « le propriétaire d’un bâtiment est responsable du dommage causé par sa ruine, lorsqu’elle est arrivée par une suite de défaut d’entretien ou par le vice de sa construction ».

Les propriétaires estimaient qu’en se maintenant dans les lieux après avoir été déchue de tout titre d’occupation, la victime avait commis une faute de nature à les exonérer de leur responsabilité.

La Cour d’appel n’a pas suivi ce raisonnement, affirmant que les propriétaires avaient fait preuve de « tolérance » à l’égard de l’occupation de leur bien, dans la mesure où aucune procédure d’expulsion n’avait été engagée.

Puisque l’accident a été causé par un défaut de l’entretien de l’immeuble, la Cour d’appel a donc retenu la responsabilité des propriétaires, dont ils ne pouvaient prétendre être exonérés, faute pour eux d’avoir engagé les procédures visant à l’expulsion de l’occupante.

La Cour de cassation, dans son arrêt en date du 15 septembre 2022, valide le raisonnement de la Cour d’appel, et retient la responsabilité des propriétaires, au motif que « l’occupation sans droit ni titre d’un bien immobilier par la victime ne peut constituer une faute de nature à exonérer le propriétaire du bâtiment au titre de sa responsabilité, lorsqu’il est établi que l’accident subi par cette dernière résulte du défaut d’entretien de l’immeuble ».

Mise en œuvre d’une clause résolutoire : il n’appartient pas au juge d’apprécier la gravité du manquement contractuel

L’article 1134 du Code civil dispose que « les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites. Elles ne peuvent être révoquées que de leur consentement mutuel, ou pour les causes que la loi autorise ».

En application de cet article, la Cour de cassation a affirmé, dans un arrêt en date du 28 septembre 2022 (n° 21-17.269), qu’il n’appartient pas au juge d’apprécier la gravité d’un manquement justifiant la mise en œuvre d’une clause résolutoire de plein droit.

En l’espèce, la société A et la société B ont conclu un contrat de distribution exclusive d’abris de piscine. Ce contrat contenait une clause prévoyant la résiliation automatique du contrat, un mois après une mise en demeure restée sans effet, en cas de violation de l’un des engagements pris par les parties.

Invoquant un manquement du cocontractant à l’interdiction qui lui avait été faite de vendre des abris d’une autre marque, la société A adresse à la société B une lettre valant mise en demeure de se conformer aux stipulations contractuelles, sous peine de résiliation du contrat.

Un mois plus tard, la société A rompt unilatéralement le contrat aux torts de la société B, et l’assigne en indemnisation du préjudice subi.

La Cour d’appel rejette la demande de la société A, au motif que la société B n’a « proposé à la vente que deux abris de marque concurrente », et que « cet acte isolé ne pouvait, à lui seul, justifier la résiliation du contrat ».

La Cour de cassation casse cet arrêt, au visa de l’article 1134 du Code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016.

La Cour affirme : « à défaut de stipulation en ce sens, il n’appartient pas au juge d’apprécier la gravité du manquement justifiant la mise en œuvre d’une clause prévoyant la résolution de plein droit du contrat en cas d’inexécution par l’une des parties de l’une quelconque de ses obligations ».

Que prévoit le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2023 afin de renforcer la politique de soutien à l’autonomie ?

Le projet de loi de finances de la sécurité sociale (PLFSS) 2023 a été présenté par le Gouvernement le 26 septembre dernier. Présenté comme un texte d’engagement et d’investissement pour notre système de santé, mais également comme un texte de solidarité et de citoyenneté, l’une des priorités du PLFSS est de renforcer la politique de soutien à l’autonomie.  Dans cette perspective, plusieurs mesures tendent à renforcer la prise en charge des personnes âgées et en situation de handicap.

Tout d’abord, le PLFSS prévoit une forte progression du financement des politiques de soutien à l’autonomie. Cette branche récente de la sécurité sociale semble ainsi évoluer en faveur d’une plus grande égalité de traitement envers les personnes vulnérables sur le territoire puisque l’objectif global des dépenses pour leur prise en charge doit atteindre, en 2023, 30 millions d’euros. De fait, c’est près d’un million et demi d’euros de financements supplémentaires qui seront consacrés au secteur médico-social pour l’année.

Ensuite, s’agissant des personnes âgées en perte d’autonomie ou en situation de dépendance, plusieurs mesures peuvent être soulignées :

  • D’une part, afin de faire face au défi du vieillissement de la population française et construire la société du « bien vieillir chez soi», l’article 33 du PLFSS prévoit que la réforme du mode de tarification des soins à domicile réalisés par les services de soins infirmiers à domicile (SSIAD) mise en place par la LFSS 2022 doit se poursuivre en lui allouant 240 millions d’euros supplémentaires d’ici 2030. Cette réforme avait notamment créé une dotation globale partiellement modulée en fonction des caractéristiques des personnes accompagnées en vue d’assurer un meilleur financement des SSIAD ;
  • D’autre part, toujours afin de faire face à l’enjeu du vieillissement de la population et notamment pour lutter contre l’isolement des personnes âgées en perte d’autonomie, l’article 34 du PLFSS 2023 prévoit la possibilité, pour l’équipe médico‑sociale du département chargée de l’évaluation des besoins, d’ajouter jusqu’à deux heures d’accompagnement et de lien social par semaine dans les plans d’aide à la perte d’autonomie. Cette mesure, définie selon les besoins de la personne, contribuera ainsi à prévenir la perte d’autonomie des personnes âgées accompagnées. En sus, elle vise également à redonner aux professionnels de l’aide à domicile davantage de sens à leur métier et à améliorer leurs conditions de travail en leur garantissant un temps de travail suffisant.

Dans cette perspective et en l’état du projet de loi, les présidents des conseils départementaux réévalueront l’ensemble des plans d’aide à la perte d’autonomie à la date de l’entrée en vigueur de cette réforme, prévue au 1er janvier 2024, afin que l’équipe médico‑sociale propose aux bénéficiaires de l’allocation personnalisée d’autonomie, le cas échéant, ce temps dédié.

Par ailleurs, l’article 32 témoigne de la volonté du Gouvernement de faire des EHPAD des lieux de vie plus sûrs. Après l’affaire ORPEA qui a marqué l’année 2022 en mettant en lumière les dysfonctionnements dans l’accompagnement des personnes en situation de dépendance, est apparue la nécessité de mieux contrôler les EHPAD sur le plan comptable et financier, mais également de mieux contrôler ces structures d’accueil. A cette fin, un plan de contrôle des 7500 établissements a été initié dès le printemps. Dans la continuité de ces engagements, le PLFSS 2023 vient compléter les exigences de transparence et de régulation financière des établissements et services médico-sociaux, en organisant « les modalités de la récupération des financements publics détournés de leurs fins et à garantir la mise en œuvre effective de sanctions financières à l’encontre de pratiques illégales des organismes gestionnaires ». A cette fin, les pouvoirs de contrôle, de sanctions et de recouvrement des agences administratives se verront élargies.

En outre, le PLFSS tend également à faire de ces établissements des lieux davantage médicalisés. Pour y répondre, le recrutement de 50.000 personnels soignants est annoncé.

Enfin, s’agissant des personnes en situation de handicap, le PLFSS 2023 prévoit de poursuivre et d’amplifier son engagement en faveur d’une société plus inclusive, notamment dans le domaine de la scolarisation des enfants et adolescents en situation de handicap. Enfin, il prévoit également de transformer les services d’accompagnement et les établissements médico-sociaux pour offrir un soutien adapté à chaque personne en situation de handicap.

Si ce PLFSS peut être considéré comme un projet ambitieux au regard de la période post-covid, il semble s’inscrire également dans le prolongement des mesures initiées en 2022.

Jurisprudence : L’importance de délivrer un congé par voie d’huissier en matière de bail d’habitation

Par un arrêt récent en date du 21 septembre 2022, la 3ème chambre civile de la Cour de cassation (Cass. Civ., 3e, 21 sept.2022, FS-B, n°21-17.691) est venue rappeler l’importance de délivrer un congé par voie d’huissier en matière de bail d’habitation afin d’éviter toute difficulté quant à son efficacité.

En l’espèce, le locataire avait donné congé à son bailleur par lettre recommandée avec accusé de réception (LRAR) qui lui était revenue avec la mention « pli avisé et non réclamé ».

A ce titre, le locataire estimait avoir régulièrement donné congé quand bien même la lettre recommandée avec accusé de réception lui était revenue avec ladite mention.

La Cour d’appel d’Amiens avait ainsi donné raison au locataire et jugé que le congé avait été régulièrement donné par ce dernier. Néanmoins, et sans surprise, la Cour de cassation a cassé l’arrêt d’appel au visa de l’article 15 de la loi du 6 juillet 1989.

Cet article dispose en effet que le « congé doit être notifié par lettre recommandée avec demande d’avis de réception, signifié par acte d’huissier ou remis en main propre contre récépissé ou émargement. Ce délai court à compter de la réception de la lettre recommandée, de la signification de l’acte d’huissier ou de la remise en main propre ».

Ainsi, la Cour de cassation a rappelé au visa de cet article qu’« en statuant ainsi, tout en constatant que la lettre recommandée leur notifiant congé n’avait pas été reçue par les bailleresses, la Cour d’appel a violé le texte susvisé ».

 

Cet arrêt est dans la lignée de la jurisprudence de la troisième chambre civile de la Cour de cassation qui s’était par exemple fondée sur l’article 670 du Code d e procédure civile dans un arrêt en date du 13 juillet 2011 (Cass.civ., 3ème , 13 juillet 2011, n°10-20.478) et qui dispose que « la notification est réputée faite à personne lorsque l’avis de réception est signé par son destinataire ».

Dès lors, cet arrêt est une piqure de rappel à tous les praticiens du droit et également de manière plus générale aux bailleurs et aux locataires, de l’importance de signifier par voie d’huissier les congés afin d’éviter ces difficultés ultérieures de réception et de validité devant le juge et ce même lorsqu’il ne s’agit pas d’un bail d’habitation soumis à la loi du 6 juillet 1989.

Licenciement disciplinaire : la faute grave impliquerait une « éviction immédiate »

Par un arrêt rendu le 21 septembre 2022, la chambre sociale de la Cour de cassation est venue confirmer une nuance importante sur la caractérisation de la faute grave.

La Cour de cassation a, également, rappelé que la chose jugée actant la culpabilité d’un salarié sur le plan pénal s’oppose à ce que celui-ci puisse se placer sur le terrain civil pour discuter la licéité de la preuve admise en matière répressive.[1]

L’arrêt ci-commenté est l’occasion de revenir sur la notion de faute grave.

 

Faits de l’espèce

En l’espèce, un salarié a été mis à pied à titre conservatoire, puis licencié pour faute grave, à la suite d’une altercation physique avec un tiers s’étant déroulée hors de l’entreprise.

Les protagonistes ont été filmés à leur insu, puis condamnés par le Tribunal de police, notamment sur le fondement de ladite vidéo.

Le salarié en question avait, en parallèle de la procédure pénale, saisi la juridiction prud’homale pour contester son licenciement pour faute grave.

A hauteur d’appel, la Chambre sociale de la Cour d’appel a requalifié le licenciement pour faute grave en licenciement pour cause réelle et sérieuse.

Le salarié (auteur du pouvoir principal) et l’employeur (auteur d’un pourvoi incident) ont contesté l’arrêt de la Cour d’appel devant la Cour de cassation.

 

Les arguments des parties

Au soutien de son pourvoi, le salarié expliquait que la Cour d’appel aurait dû vérifier si la vidéo réalisée à son insu, sur laquelle reposait son licenciement, était un mode de preuve licite sur le plan prud’homal. Il souhaitait, ainsi, que son licenciement soit reconnu comme étant sans cause réelle et sérieuse.

De son côté, l’employeur tentait de soutenir que l’arrêt de la Cour d’appel encourrait la cassation, en invoquant que les juges du fond auraient omis de rechercher si, outre l’altercation, le seul fait d’être descendu du camion en zone SEVESO, au mépris des instructions de l’employeur, constituait une faute grave.

La Cour de cassation a donné tort à l’employeur et au salarié, en rejetant leurs pourvois.

 

La portée de l’arrêt

La faute grave implique l’éviction immédiate du salarié

De manière assez discrète, la Cour de cassation a rejeté le pourvoi incident de l’employeur, qui contestait la requalification du licenciement pour faute grave en licenciement pour cause réelle et sérieuse par la Cour d’appel.

L’enjeu était important puisque, pour rappel, le licenciement pour faute grave permet à l’employeur de ne pas payer d’indemnité de licenciement et d’indemnité de préavis au salarié.

La Cour de cassation a, tout d’abord, rejeté le moyen de l’employeur de manière assez classique, étant rappelé que la gravité de la faute est une notion qui relève d’un contrôle restreint de la Haute juridiction.

En effet, la Cour de cassation ne contrôle pas le fond de la motivation des juges du fond, dès lors qu’ils ne commettent pas une « erreur manifeste d’appréciation » en rejetant des faits constituant indiscutablement une faute grave pour invalider ou amoindrir la qualification retenue pour le licenciement.

Néanmoins, là où la décision de la Cour de cassation est remarquable, c’est qu’elle précise en ces termes, le principe sur lequel les juges du fond doivent se fonder pour apprécier la gravité d’une faute :

La faute grave est celle qui rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise et implique son éviction immédiate

Il était jusqu’alors établi que le licenciement pour faute grave était celui rendant impossible le maintien du salarié dans l’entreprise, l’employeur devant agir rapidement pour le licencier.

Avant 2007, la Cour de cassation précisait même que la faute grave était celle qui rendait impossible le maintien du salarié dans l’entreprise, y compris durant l’exécution de son préavis.

En 2007, la Cour de cassation a légèrement recentré la définition de la faute grave, sans conséquence pratique particulière, en indiquant que celle-ci était celle qui rendait impossible le maintien du salarié dans l’entreprise, sans faire référence au préavis (néanmoins, la condition relative à l’impossible de maintien du salarié durant le préavis n’a jamais été évincée dans les faits).[2]

Il était donc acquis que l’employeur devait réagir rapidement pour engager la procédure disciplinaire à l’encontre du salarié, sans attendre l’expiration du délai de 2 mois prévu par le Code du travail pour engager les poursuites en la matière.[3]

Cependant, les juridictions admettaient un temps de latence pour que l’employeur puisse réagir de manière adéquate après sa connaissance des faits fautifs, sans préciser nécessairement si le salarié devait être immédiatement mis à pied.

La Cour de cassation avait alors admis la possibilité d’engager la procédure dans « un délai restreint ».[4]

Par l’arrêt ci-commenté, la Cour souligne davantage la nécessité pour l’employeur de réagir immédiatement pour évincer le salarié de l’entreprise par une mise à pied conservatoire, dès qu’il a connaissance des faits.

En pratique, une difficulté peut survenir lorsqu’il est reproché au salarié des faits nécessitant une enquête interne, situation qui peut parfois rendre l’employeur hésitant à mettre à pied le salarié concerné.

A cet égard, la jurisprudence a eu l’occasion de préciser que le déclenchement tardif de la procédure de licenciement n’a pas pour effet de lui ôter son caractère de gravité, dès lors que le délai écoulé était nécessaire pour apprécier l’étendue des faits. [5]

Ainsi, en la matière, ce qui compte est la réaction immédiate de l’employeur à compter la connaissance des résultats de l’enquête. [6]

Pour éviter les risques de discussion sur ce terrain, il est cependant recommandé, pour l’employeur, de mettre le salarié à pied dès le début de l’enquête.

Au reste, la Cour de cassation a admis que la faute grave pouvait être retenue si le contrat de travail du salarié était suspendu après la connaissance des faits fautifs, et ce même si l’employeur avait mis près d’un mois pour engager la procédure de licenciement à compter de sa connaissance des griefs reprochés.[7]

En effet, le contrat de travail du salarié étant suspendu, celui-ci n’était pas dans l’entreprise et il ne pouvait pas être reproché à l’employeur de ne pas avoir immédiatement évincé le salarié.

Ainsi, s’il est acquis que la faute grave est celle qui rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise, il convient de souligner que son éviction immédiate de l’entreprise semble, également, plus que jamais, être un critère important de la caractérisation de celle-ci.

Les faits constatés au pénal s’imposent, malgré l’illicéité virtuelle du mode de preuve sur le plan civil

Par ailleurs, la Cour de cassation a rappelé la portée des décisions pénales sur le plan prud’homal.

Sur le plan prud’homal, les parties sont tenues à un principe de loyauté et de légalité de la preuve, qui s’oppose à ce qu’un requérant puisse se prévaloir d’une preuve tirée d’un procédé mis en place à l’insu de la partie à laquelle elle l’oppose.

Cependant, ce principe connaît une atténuation sur le plan pénal, pour les parties privées (i.e. n’étant pas enquêtrice ou agent public)

Par ailleurs, les décisions pénales s’imposent aux juridictions civiles (notamment au conseil de ‘prud’hommes).

La Cour de cassation rappelle, ainsi, dans l’arrêt ci-commenté, que la culpabilité pénale reconnue sur le fondement d’une preuve admise en matière répressive est pleinement opposable devant le conseil de prud’hommes, et ce même si la preuve aurait été irrecevable dans le cadre d’un litige exclusivement exercé sur le plan civil.

Un employeur peut, ainsi, par ce moyen, se prévaloir d’un enregistrement vidéo clandestin pour licencier un salarié.

 

Benoît ROSEIRO et Karim DE MEDEIROS

[1]Cass. soc., 21 septembre 2022, pourvoi n° 20-16.841 : Décision – Pourvoi n°20-16.841 | Cour de cassation

[2] Cass. soc., 27 septembre 2007, n° 06-43.867

[3] Art. L. 1332-2 du Code du travail

[4] Cass. soc., 24 novembre 2010, n° 09-40.928

[5] Cass. soc., 9 novembre-2004, n° 02-45.628

[6] Cass. Soc., 9 novembre 2004, n° 02-45.628

[7] Cass., soc., 9 mars 2022, n° 20-20.872

Intérêt à agir contre un permis de construire : l’environnement du projet s’apprécie également à la date l’affichage en mairie de la demande d’autorisation d’urbanisme

Par une décision en date 9 septembre dernier, le Conseil d’Etat a précisé la manière d’apprécier l’intérêt à agir contre un permis de construire, de démolir ou d’aménager à la date d’affichage en mairie de la demande du pétitionnaire.

Dans cette affaire, la société requérante a demandé au Juge des référés du Tribunal administratif de Saint-Barthélemy d’ordonner, sur le fondement des dispositions de l’article L. 521-1 du Code de justice administrative, la suspension de l’exécution de la délibération en date du 29 juin 2021 par laquelle le conseil exécutif de la collectivité de Saint-Barthélemy a délivré un permis de démolir une construction existante et un permis de construire pour la construction d’un restaurant de plage comprenant une boutique, une cave à vin et un bar, ainsi qu’un parc de stationnement semi-enterré, ensemble la décision implicite de rejet de son recours gracieux.

Par une ordonnance du 20 janvier 2022, le Juge des référés du Tribunal administratif de Saint-Barthélemy a rejeté cette demande comme irrecevable pour défaut d’intérêt à agir en se fondant sur la densification du bâti dans le secteur d’implantation du projet en raison de la construction en cours d’une résidence de tourisme de cinq logements sur un terrain adjacent à la parcelle d’assiette du projet et situé à deux parcelles du terrain de la société requérante. Le Tribunal a ainsi considéré que la distance séparant les résidences exploitées par la requérante et le projet, la densification du bâti, la configuration et la nature du projet, sa desserte et le caractère particulièrement animé de cette partie de l’île ne permettaient pas de le regarder comme de nature à affecter directement les conditions d’occupation, d’utilisation ou de jouissance des propriétés de la société requérante.

La société requérante s’est alors pourvue en cassation contre l’ordonnance du Juge des référés du 20 janvier 2022.

Dans ce contexte le Conseil d’État a été amené à préciser la manière d’apprécier l’intérêt à agir contre un permis de construire, de démolir ou d’aménager à la date d’affichage en mairie de la demande du pétitionnaire.

Pour ce faire, le Conseil d’Etat a rappelé que les dispositions de l’article L. 600-1-2 duCcode de l’urbanisme, applicables à Saint Barthélémy, prévoient que :

« Une personne autre que l’Etat, les collectivités territoriales ou leurs groupements ou une association n’est recevable à former un recours pour excès de pouvoir contre une décision relative à l’occupation ou à l’utilisation du sol régie par le présent code que si la construction, l’aménagement ou le projet autorisé sont de nature à affecter directement les conditions d’occupation, d’utilisation ou de jouissance du bien qu’elle détient ou occupe régulièrement ou pour lequel elle bénéficie d’une promesse de vente, de bail, ou d’un contrat préliminaire mentionné à l’article L. 261-15 du code de la construction et de l’habitation ».

Il a, ensuite, rappelé que les dispositions de l’article L. 600-1-3 du Code de l’urbanisme, également applicable à Saint-Barthélemy, prévoient que :

« Sauf pour le requérant à justifier de circonstances particulières, l’intérêt pour agir contre un permis de construire, de démolir ou d’aménager s’apprécie à la date d’affichage en mairie de la demande du pétitionnaire ».

Ainsi, le Conseil d’Etat a précisé qu’au regard des dispositions de l’article L. 600-1-3 du Code de l’urbanisme, « sauf circonstances particulières, l’intérêt pour agir d’un requérant contre un permis de construire s’apprécie au vu des circonstances de droit et de fait à la date d’affichage en mairie de la demande du pétitionnaire, sans qu’il y ait lieu de tenir compte de circonstances postérieures, qu’elles aient pour effet de créer, d’augmenter, de réduire ou de supprimer les incidences de la construction, de l’aménagement ou du projet autorisé sur les conditions d’occupation, d’utilisation ou de jouissance mentionnées à l’article L. 600-1-2. A ce titre, il y a lieu de procéder à cette appréciation au vu des constructions environnantes dans leur état à cette date ».

Ce considérant s’inscrit dans la continuité des préconisations de Monsieur Laurent Domingo, Rapporteur public, qui indique « qu’il faut demeurer très réaliste dans l’appréciation de l’intérêt à agir, il convient de prendre en considération non pas des projets, mais des constructions en l’état où elles se trouvent. Il n’y a donc pas lieu de retenir les constructions dont la demande d’autorisation est en cours d’instruction, ni même les constructions qui sont autorisées, car l’on sait très bien qu’une demande de permis, même en apparence avec un dossier très bien pensé et présenté, peut donner lieu à une décision de refus, comme l’on sait qu’un permis de construire accordé peut, pour diverses raisons, ne pas être mis en œuvre. Il n’y a lieu de retenir que les constructions effectivement réalisées, et en l’état où elles sont réalisées, car l’on sait aussi qu’un chantier, pour divers motifs, peut être interrompu, et le cas échéant ne jamais reprendre » (Conclusions de Monsieur Laurent Domingo, Rapporteur public, sur l’arrêt CE 22 septembre 2022, req. n° 461113).

Dans ces conditions, le Conseil d’Etat a jugé qu’en se fondant sur des motifs, tels que la densification du bâti dans le secteur d’implantation, alors que la résidence de tourisme n’avait pas été construite à la date d’affichage de la demande de permis de construire de la société bénéficiaire, le Juge des référés du Tribunal administratif de Saint-Barthélemy a commis une erreur de droit.

En outre, le Conseil d’Etat a rappelé qu’en se fondant sur ce que le terrain de la société requérante était desservi par une voie indépendante pour rejeter son intérêt à agir, alors que cette circonstance ne fait pas par elle-même obstacle à ce que ce projet, par son incidence sur la circulation sur cette route, soit de nature à affecter directement les conditions d’occupation, d’utilisation ou de jouissance de sa propriété, le Juge des référés du Tribunal administratif de Saint-Barthélemy a commis une seconde erreur de droit.

Par suite, le Conseil d’Etat a annulé l’ordonnance du Juge des référés du Tribunal administratif de Saint-Barthélemy du 20 janvier 2022.

Suppression de contenu illicite par la voie de la procédure accélérée au fond devant le Tribunal judiciaire contre l’hébergeur : diffamation (non) – mise en danger par communication de données (oui)

Mis en cause sur le réseau social Instagram via un compte intitulé « violeurparis », un particulier assignait les sociétés Meta Platforms Ireland Ltd (anciennement Facebook Ireland) et Facebook France aux fins de suppression du contenu estimé illicite.

La voie de droit utilisée était celle de l’article 6-I 8 de la LCEN (Loi pour la confiance dans l’économie numérique) telle que modifiée par la loi du 24 août 2021 prévoyant la procédure accélérée au fond (article 481-1 du Code de procédure civile en vigueur depuis le 1er janvier 2020). Notons que la demande est ainsi portée par voie d’assignation à une audience tenue aux jour et heure prévus à cet effet ; de manière plus générale, elle remplace les procédures « en la forme des référés » (dit encore « référés au fond »).

Rappelons également qu’en application du nouvel article 6 I 8 précité, le président du Tribunal peut prescrire à « toute personne susceptible d’y contribuer toute mesure propre à prévenir un dommage ou à faire cesser un dommage occasionné par le contenu d’un service de communication au public en ligne ».

Il importe de noter que le demandeur faisait valoir une atteinte à son honneur et à sa considération résultant du caractère diffamatoire du message mis en ligne (loi du 29 juillet 1881) et une mise en danger résultant de la communication de ses données personnelles (article 223-1-1 du Code pénal).

Indiquons tout de suite que, comme à son habitude, le Tribunal met la société Facebook France hors de cause, n’étant pas démontré que celle-ci aurait une responsabilité directe ou indirecte dans l’exploitation du service Instagram.

En premier lieu, le Tribunal statue sur une demande de nullité présentée par le défendeur au motif que, l’action reposant sur les dispositions de la loi du 29 juillet 1881, les règles spécifiques de procédure devaient s’y appliquer à peine de nullité (article 53 de la loi de 1881) ; le tribunal rejette cet incident au motif que les actions fondées sur l’article 6-1, 8 de la LCEN et sur la loi du 29 juillet 1881 sont distinctes et autonomes en ce qu’elles visent des personnes différentes et poursuivent des finalités distinctes. Il est vrai que l’action n’opposait pas un diffamateur à sa victime diffamée, mais une victime diffamée à un prestataire technique d’Internet (hébergeur) – qu’importe que le dommage soit présenté dans l’assignation comme relevant du dommage de la loi du 29 juillet 1881 ; on remarque donc une évolution dans l’analyse du juge judiciaire qui passe du critère matériel (l’objet de la demande s’inscrit-il dans la sphère de la loi du 29 juillet 1881 ? – Cour d’appel de Paris, pôle 1 – ch. 8, arrêt du 22 mars 2019) à un critère organique (le litige oppose-t-il une victime à l’une des personnes saisies par la loi du 29 juillet 1881 – dont l’hébergeur est a priori exclu – et susceptible d’opposer les moyens habituels de défense en matière d’infraction de presse).

C’est ce même critère organique qui est utilisé par le juge pour rejeter la demande présentée à la visée de la loi du 29 juillet 1881 : le Tribunal souligne qu’à défaut d’opposer le diffamateur à sa victime, la contradiction n’était pas rendue possible – la défense n’étant pas en sa qualité d’hébergeur en mesure de faire valoir l’exception de bonne foi. Le tribunal conclut donc que le caractère diffamatoire des propos ne peut justifier leur retrait, car cette mesure ne serait pas proportionnée à l’atteinte à la liberté d’expression.

Le Tribunal se prononce enfin sur l’illicéité tirée de la mise en danger par communication de données personnelles (délit défini par l’article 223-1-1 du Code pénal). Selon lui, les informations contenues dans la publication en cause, en l’occurrence les prénom et nom du demandeur et l’insertion d’un lien permettant d’accéder directement à son compte Instagram dans lequel figure son identité, sa photographie, sa profession et l’établissement dans lequel il travaille, sont de nature à permettre son identification et sa localisation.

De surcroît, la teneur du message qui le présente comme un délinquant sexuel l’expose à un risque direct d’atteinte à sa personne ou à ses biens. Le Tribunal ordonne à l’hébergeur de supprimer la publication litigieuse, seule mesure de nature à prévenir ce dommage, l’atteinte à la liberté d’expression en résultant étant proportionnée à l’impératif de protection de la personne.

Il ressort de cette décision fort récente que l’article 6-I.8 de la LCEN tel que modifié par la loi du 24 août 2021 ne sera donc pas plus efficace que son prédécesseur ante réforme (une action en référé ou procédure d’ordonnance sur requête) lorsque la demande de suppression sera portée contre l’hébergeur d’un contenu diffamatoire ; néanmoins il est possible d’espérer que l’action continue d’être utile en matière d’injure publique (TGI, Paris, Réf., 11 juillet 2019).

En tout état de cause, lorsque l’illicéité du contenu repose sur des infractions de droit commun telle que la mise en danger par communication de données personnelles, l’article 6 I 8° nouvelle mouture pourra s’avérer utile – y compris à l’encontre d’un interlocuteur de droit étranger telle que la société de droit irlandais Meta Platforms Ireland Ltd.

Vers une limitation de l’engrillagement des espaces naturels

Le 6 octobre 2022 et après une adoption en première lecture par le Sénat le 10 janvier dernier, l’Assemblée nationale a adopté en première lecture la proposition de loi modifiée visant à limiter l’engrillagement des espaces naturels et à protéger la propriété privée.

Ainsi, dans l’objectif affiché de préserver les continuités écologiques, il est prévu d’intégrer un nouveau chapitre « Dispositions propres aux clôtures » au sein du Code de l’environnement comprenant un unique article L. 372-1.

La proposition de loi prévoit que, dans les zones naturelles ou forestières délimitées par le règlement du plan local d’urbanisme en application de l’article L. 151‑9 du Code de l’urbanisme ou, à défaut dudit règlement, dans les espaces naturels, les clôtures doivent permettent en tout temps la libre circulation des animaux sauvages. Ainsi, « elles sont posées 30 centimètres audessus de la surface du sol, leur hauteur est limitée à 1,20 mètre et elles ne peuvent ni être vulnérantes ni constituer des pièges pour la faune ».

Il est prévu de soumettre la pose de nouvelles clôtures dans lesdites zones à déclaration et de rendre applicable ces dispositions aux clôtures implantées jusqu’à trente ans avant la publication de la loi avec une obligation de mise en conformité.

A noter que ces dispositions ne s’appliqueraient pas :

« 1° A Aux clôtures des parcs d’entraînements, de concours ou d’épreuves de chiens de chasse ;

1° B Aux clôtures des élevages équins ;

1° Aux clôtures érigées dans un cadre scientifique ;

2° Aux clôtures revêtant un caractère historique et patrimonial ;

3° Aux domaines nationaux définis à l’article L. 621-34 du code du patrimoine ;

4° Aux clôtures posées autour des parcelles sur lesquelles est exercée une activité agricole définie à l’article L. 311-1 du code rural et de la pêche maritime ;

5° Aux clôtures nécessaires au déclenchement et à la protection des régénérations forestières ;

6° Aux clôtures posées autour des jardins ouverts au public ;

7° Aux clôtures nécessaires à la défense nationale, à la sécurité publique ou à tout autre intérêt public ».

Par ailleurs, les habitations et les sièges d’exploitation d’activités agricoles ou forestières situés en milieu naturel pourraient toujours être entourés d’une clôture étanche, édifiée à moins de 150 mètres des limites de l’habitation ou du siège de l’exploitation.

Cette proposition de loi modifiée a été transmise en seconde lecture au Sénat.

Le jugement constatant l’acquisition par voie de prescription est déclaratif et non constitutif de droits

En matière immobilière, il est possible d’acquérir la propriété du bien par voie de prescription acquisitive, s’il est justifié d’une possession utile pendant trente ans.

Aux termes de cet arrêt, un possesseur s’estimant propriétaire a assigné une société civile d’exploitation viticole en revendication de la propriété de deux parcelles de vignes, sur le fondement de la prescription acquisitive. Aux termes de ces prétentions, il sollicite également son expulsion des parcelles.

La Cour d’appel déboute le possesseur de ses demandes en revendication des parcelles et aux fins d’expulsion, en retenant qu’il entend prescrire de manière acquisitive les parcelles pour se voir reconnaître la qualité de propriétaire, ce qu’il n’est pas encore.

Les juges du fond considèrent ainsi que le demandeur n’a donc pas encore la qualité de propriétaire des parcelles et qu’il ne peut donc obtenir l’expulsion de l’occupant sur le fondement de la prescription acquisitive.

La Cour de cassation censure la Cour d’appel aux visas des articles n° 2229 et 2258 du Code civil, en rappelant que la prescription acquisitive est acquise lorsque le dernier jour du terme est accompli et que la prescription acquisitive rétroagit à la date à laquelle la possession a commencé à courir.

La Cour de cassation précise ainsi qu’en matière de possession, le jugement constatant l’acquisition de la prescription est déclaratif et non pas constitutif de droit ; de sorte que la prescription est acquise lorsque le dernier jour du terme est accompli, et non pas, lorsque le jugement constatant l’acquisition par voie de prescription est rendu.

Association syndicales libres : L’absence de plan parcellaire annexé aux statuts lors de la mise en conformité à l’ordonnance du 1er juillet 2004 ne prive pas l’ASL de sa capacité à ester en justice

Lorsqu’une association syndicale libre (ASL) n’a pas publié ses statuts constitutifs, elle ne dispose pas de la personnalité juridique, de sorte qu’elle n’a pas la capacité d’ester en justice.

Aussi, lorsqu’une ASL a publié ses statuts, mais qu’ils n’ont pas été mis conformité avec les dispositions de l’ordonnance en date du 1er juillet 2004, l’ASL est également privé de sa capacité à agir en justice et l’acte de saisine est entaché d’une irrégularité de fond.

En l’espèce, la Cour de cassation vient apporter une précision sur l’étendue de la mise en conformité des statuts nécessaire pour que l’ASL retrouve sa pleine capacité à agir.

Alors qu’initialement, il était exigé que la mise en conformité porte sur la totalité des statuts et, en conséquence, sur la nécessité d’annexer le plan parcellaire et les déclarations d’adhésion des propriétaires dont l’immeuble relève du périmètre de l’association, la Cour de cassation tend à tempérer progressivement sa position.

En l’espèce, l’ASL a assigné un syndicat des copropriétaires membre en paiement de cotisations impayées, reconventionnellement, le syndicat a sollicité l’annulation de l’assemblée générale ordinaire et extraordinaire, considérant que faute d’annexer aux statuts mis en conformité avec l’ordonnance du 1er juillet 2004, le plan parcellaire et une déclaration de chaque adhérent spécifiant les désignations cadastrales ainsi que la contenance des immeubles pour lesquels il s’engage, l’ASL est privée de capacité à agir en justice.

La Cour d’appel rejette la demande reconventionnelle du syndicat des copropriétaires, ce qui est confirmé par la Cour de cassation.

La Cour de cassation considère que les ASL ne sont pas dispensées de respecter les formalités qui s’imposent lorsqu’elles mettent leurs statuts en conformité avec l’ordonnance du 1er juillet 2014 et le décret du 3 mai 2006.

Toutefois, en l’espèce, en dépit de l’absence d’énumération des pièces annexées aux statuts à la déclaration de publication faite à la préfecture, le Préfet a accusé réception et a fait procéder à la publication au Journal Officiel d’un extrait des statuts.

La Cour de cassation précise ainsi que l’annexion du plan aux statuts modifiés n’est requise qu’au moment de la constitution de l’ASL, de sorte que si cette dernière justifie de la délivrance du récépissé et de la publication des nouveaux statuts mis à jour au Journal Officiel, elle justifie avoir accompli les formalités de publicité des statuts et retrouve sa capacité à ester en justice, peu important l’absence d’annexion du plan parcelle aux statuts mis à jour.

Temps de travail des internes et praticiens hospitaliers : le Conseil d’Etat refixe le cadre

Trois syndicats de praticiens hospitaliers et d’internes ont contesté devant la Haute Juridiction la compatibilité des dispositions du Code de la santé publique, relatives à leur temps de travail, avec celle de la directive CE 2003/88 en date du 4 novembre 2003.

Ils estimaient, en effet, que leurs obligations de service, comptabilisées en demi-journées, ne permettaient pas d’assurer le respect du plafond de 48 heures par semaine, calculé sur quatre mois.

Au cœur de la crise que traverse l’hôpital public, la situation des internes en médecine était devenue préoccupante, les obligations de service des internes les contraignant à effectuer de très nombreuses heures de travail, pour une rémunération sans correspondance avec leur niveau de qualification.

Dans sa décision en date du 22 juin 2022 (CE, 5ème et 6ème chambres réunies, n° 446944, Intersyndicale nationale des internes), le Conseil d’Etat a jugé que les obligations de service des internes, définies dans les établissements publics de santé en demi-journées, n’ont pas à être converties en heures pour assurer le respect du plafond de 48 heures par semaine, en moyenne sur quatre mois. Les heures effectuées, par demi-journées de travail, de jour comme de nuit, doivent donc impérativement respecter le plafond de 48 heures de travail hebdomadaire, ce qui dans les faits avait considérablement dérivé.

Et pour rendre opérationnelle et effective sa décision, la Haute Juridiction a rappelé solennellement qu’il est de la responsabilité des établissements de santé de se doter d’un dispositif « fiable, objectif et accessible » de décompte des heures de travail des praticiens hospitaliers et des internes.

Avec cette décision, le Conseil d’Etat a apporté une clarification nécessaire et attendue sur l’obligation qui pèse sur les établissements de santé de garantir le respect de la durée hebdomadaire de travail. Une bouffée d’air pour de nombreux soignants.