Urbanisme, aménagement et foncier
le 13/10/2022

Opération de sauvetage de PLUi manchots : un seul survivant, ou presque

Loi n° 86-2 du 3 janvier 1986 relative à l'aménagement, la protection et la mise en valeur du littoral (1)

Illégalité du PLUi du territoire de Saint-Hilaire-du-Harcouët et illégalité partielle du PLUi du territoire Avranches-Mont-Saint-Michel

La Cour administrative d’appel de Nantes s’est prononcée sur la légalité des PLUi du territoire de Saint-Hilaire-du-Harcouët et du territoire Avranches-Mont-Saint-Michel, dont la Communauté d’agglomération Mont-Saint-Michel-Normandie, en vertu des dispositions de l’article L. 153-9 du code de l’urbanisme, poursuivait la procédure d’élaboration.

En raison, notamment, du caractère insatisfaisant de l’analyse de la consommation des espaces naturels et agricoles à laquelle se sont livrés les deux rapports de présentation des PLUi, le Préfet de la Manche a déféré au Tribunal administratif de Caen les délibérations d’approbation.

Par jugements en date des 7 novembre 2019 et 10 juin 2021, le Tribunal administratif de Caen a respectivement annulé les délibérations d’approbation des deux PLUi. La Communauté d’agglomération Mont-Saint-Michel Normandie a interjeté appel de ces deux jugements.

Suivant deux arrêts lu le 22 juillet 2022, la Cour administrative d’appel de Nantes a confirmé l’annulation du PLUi de Saint-Hilaire-du-Harcouët (n° 21NT01107) et a décidé de surseoir à statuer, dans un délai de mois, dans l’attente de la régularisation des vices affectant le PLUi du territoire d’Avranches Mont-Saint-Michel (n° 21NT02275). On déplore ainsi un seul PLUi survivant.

Si, d’apparence ces deux arrêts correspondent à une illustration classique du contentieux des plans locaux d’urbanisme, ils livrent néanmoins quelques éclairages intéressants sur : l’examen par le juge du moyen tiré de l’insuffisance du rapport de présentation au regard de l’analyse de la consommation des espaces naturels, agricoles et forestiers, le régime des STECAL ou encore l’application de la loi littoral.

1. Arrêt relatif au PLUi du territoire de Saint-Hilaire-du-Harcouët (req. n° 21NT01107)

Les juges d’appel ont tout d’abord retenu l’insuffisance du rapport de présentation du PLUi au regard aux exigences de l’article L. 151-4 du Code de l’urbanisme.

Selon l’alinéa 4 de ce texte, le rapport de présentation « analyse la consommation d’espaces naturels, agricoles et forestiers au cours des dix années précédant l’approbation du plan ou depuis la dernière révision du document d’urbanisme et la capacité de densification et de mutation de l’ensemble des espaces bâtis, en tenant compte des formes urbaines et architecturale ». Or, en l’espèce, le rapport fournit des données chiffrées qui concernent des périodes antérieures à la période attendue, et se borne à évoquer la consommation des espaces naturels agricoles et foncier en extension sans prendre en compte les espaces consommés en densification.

Ensuite, les juges d’appel ont rappelé le caractère exceptionnel de la délimitation – en zones naturelles, agricoles et forestières – des secteurs de taille et de capacité d’accueil limitées (STECAL) définis par l’article L. 151-13 du Code de l’urbanisme.

Pour rappel, les STECAL correspondent à des secteurs délimités dans des zones, par principe, inconstructibles des PLU (zones A et N) et dans le périmètre desquels certaines constructions ou installations peuvent être édifiées de manière dérogatoire.

Le dernier alinéa de l’article L. 151-13 du Code de l’urbanisme, issu d’un amendement de la loi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique (dite loi ELAN), précise les critères permettant d’apprécier le caractère exceptionnel des STECAL dans un territoire donné :

« Leur caractère exceptionnel s’apprécie, entre autres critères, en fonction des caractéristiques du territoire, du type d’urbanisation du secteur, de la distance entre les constructions ou de la desserte par les réseaux ou par les équipements collectifs. »

Selon la commission des affaires économiques du Sénat, ces critères « devraient donner aux communes la possibilité de décliner ces outils de manière plus adaptée à la réalité de leur territoire, tout en assurant leur utilisation cohérente à l’échelle du pays ».

En l’espèce, 51 STECAL ont été délimités par le PLUi du territoire de Saint-Hilaire-du-Harcouët :

  • dans l’objectif de « prendre en compte le tissu local de petites et moyennes entreprises, de respecter la dynamique du monde rural et de permettre aux entreprises existantes de poursuivre leur activité sur leur site initial sous réserve de ne pas gêner l’activité agricole et la proximité éventuelle de l’habitat » ;
  • dont le périmètre se limite, pour chacun, « aux alentours des bâtiments existants».

Pourtant, « en dépit de la taille limitée de chaque STECAL », le moyen tiré de la méconnaissance de l’article L.151-13 du Code de l’urbanisme a été accueilli « en raison du nombre important de ces derniers et du risque de mitage ».

Le caractère exceptionnel du STECAL semblerait ainsi également s’entendre en termes de nombre.

Rien n’est moins sûr lorsqu’on poursuit l’analyse de l’arrêt. En effet, pour accueillir le moyen tiré de la méconnaissance par le règlement du PLUi des objectifs du projet du PADD au motif – notamment – que le seuil dédié aux activités économiques par le PADD était largement dépassé, les juges ont rappelé que les STECAL ne pouvaient être exclus de cette estimation puisqu’il ressort des pièces du dossier que « 27.62 ha des 36.31 ha de leur surface ne sont pas bâtis ».

Les juges rejettent enfin les conclusions de la Communauté d’agglomération tendant à la mise en œuvre des dispositions de l’article L. 600-9 du Code de l’urbanisme. En effet, ils considèrent qu’en l’espèce les illégalités retenues – à savoir, d’une part, que « les données du rapport de présentation ne permettent pas d’analyser de manière pertinente la consommation foncière au cours des dix années précédant l’approbation du PLUI » et ,d’autre part que « le règlement du PLUI relatif aux zones ZA, 1Aux, AUz et aux STECAL n’est pas en cohérence avec les objectifs du PADD tendant à limiter l’étalement urbain et le mitage » – sont de nature à changer les orientations définies par le PADD.

Une procédure de modification n’étant ainsi pas envisageable (cf article L. 153-31 du code de l’urbanisme), les juges confirment donc l’annulation du PLUi.

2. Arrêt relatif au PLUi du territoire d’Avranches-Mont-Saint-Michel (req. n° 21NT02275)

Contrairement au PLUi du territoire de Saint-Hilaire-du-Harcouët, le moyen tiré de la méconnaissance de l’article L. 151-4 du code de l’urbanisme n’a pas été retenu à hauteur d’appel, ce qui permet de contrer l’annulation totale du document d’urbanisme déféré.

La critique tenant à l’insuffisance du rapport de présentation pour surestimation insincère de la consommation passée n’est, selon les juges d’appel, pas établie au regard des pièces du dossier.

En outre, l’objectif démographique du rapport de présentation, bien que supérieur à celui du SCoT du Pays de la Baie du Mont-Saint-Michel ne conduit pas à un dépassement des objectifs de limitation de la consommation d’espace fixé par ce dernier. Il en va de même pour l’objectif du rapport de présentation tendant à maintenir le taux de logements vacants constatés, alors que le SCoT préconise de tendre vers une valeur moins élevée.

La Cour administrative d’appel de Nantes ne va donc pas aussi loin que les premiers juges, mais retient néanmoins que certaines dispositions du PLUi sont illégales au regard, notamment, de l’article L. 121-8 du Code de l’urbanisme

Les secteurs concernés seront successivement examinés.

  • S’agissant du lieudit la Caserne, situé à l’embouchure du Couesnon, lieu de passage obligatoire pour les visiteurs de l’Abbaye du Mont-Saint-Michel, les juges considèrent que la création du hameau nouveau intégré à l’environnement au lieudit méconnaît les dispositions de l’article L. 121-8 à double titre.

Pour rappel, la loi ELAN a supprimé la notion de hameau nouveau intégré à l’environnement qui permettait de déroger au principe de l’extension de l’urbanisation en continuité avec les agglomérations et villages existants. Elle avait néanmoins organisé un régime transitoire au § V de son article 42.

Selon ce texte, une délimitation de hameau nouveau intégré à l’environnement reste possible sous réserve qu’il ne s’agisse pas d’une élaboration de PLU et que la procédure d’évolution du document d’urbanisme arrive à son terme avant le 31 décembre 2021.

En l’espèce, et à titre principal, les juges d’appel concluent à l’inapplicabilité de cette règle transitoire au PLUi du territoire d’Avranches-Mont-Saint-Michel puisque ce dernier « ne résulte pas d’une modification, d’une révision ou d’une mise en compatibilité d’un document préexistant ».

En outre et « au surplus », les juges considèrent que le secteur en cause ne peut pas être qualifié d’agglomération ou de village existant, puisqu’il « ne présente pas une densité significative de constructions et est coupé des bourgs de Pontorson et de Beauvoir par de vastes espaces naturels ».

Ainsi, alors qu’il correspond au « lieu de passage obligé pour les véhicules des visiteurs du Mont-Saint-Michel » et comporte « une quinzaine de constructions », le lieudit la Caserne voit ses possibilités d’urbanisation considérablement réduites.

  • S’agissant des zones urbaines à dominante d’activités économiques au sein des communes de Val-Saint-Pair et Marcey-les-Grèves, les juges retiennent que leur délimitation est incompatible avec les dispositions de l’article L. 121-8 du Code de l’urbanisme :

« […] ces deux zones, qui ne sont pas identifiées comme des agglomérations ou des villages dans le SCOT, correspondent à des zones d’activités existantes, d’une quinzaine de bâtiments pour l’une et d’une dizaine pour l’autre, mais ne sont pas situées en continuité d’un village ni d’une agglomération existante et ne constituent pas, par elles-mêmes, un secteur urbanisé faute d’un nombre et d’une densité significatifs de constructions ».

  • S’agissant de la création d’une zone Ne dans la commune des Genêts, dédiée au stationnement des véhicules pour les départs de traversée de la baie du Mont-Saint-Michel et où le PLUi litigieux autorise les constructions liées ou nécessaires aux équipements collectifs sur la commune de Genêts, la Cour considère qu’ « en dépit de la très faible superficie et de sa vocation » , cette création est incompatible avec l’article L. 121-8 du code de l’urbanisme puisque, d’une part, il résulte du règlement du PLUi que n’y sont pas uniquement autorisées les extensions de constructions existantes et d’autre part, la zone Ne « n’est pas située en continuité d’un secteur urbanisé » ;
  • Enfin, contrairement aux premiers juges, la Cour administrative d’appel considère que la zone urbaine à dominante d’habitat instituée sur le territoire de la Commune de Poiley doit être regardée comme un secteur déjà urbanisé :

«[…] la zone Uh de Poilley, qui n’est pas identifiée comme un village ou une agglomération dans le SCOT, comprend une trentaine de maisons, disposées en arc autour d’une zone d’activité qui la jouxte à l’ouest, laquelle est également en continuité d’une petite zone pavillonnaire. L’ensemble est structuré autour de deux routes et comporte au surplus un restaurant et une carrosserie. Ainsi, alors même que la zone Uh litigieuse, s’ouvre au nord, à l’est et au sud sur des parcelles non construites et se situe à 1,5 km du bourg de Poilley, elle doit être regardée comme se situant dans un secteur déjà urbanisé ».

Les illégalités affectant le PLUi en des parties identifiables et ne compromettant pas son économie générale, les juges d’appel décident de surseoir à statuer, en application des dispositions de l’article L. 600-9 du Code de l’urbanisme, jusqu’à l’expiration d’un délai de dix mois à compter de la notification de l’arrêt – afin que, dans ce délai, la Communauté d’agglomération Mont-Saint-Michel-Normandie procède à la régularisation des illégalités relevées au titre de la loi littoral.

Deux arrêts dont les effets complexifieront incontestablement l’instruction des autorisations d’urbanisme sur le territoire de la Communauté d’agglomération Mont-Saint-Michel-Normandie, et ce d’autant que certaines d’entre elles devront être délivrées avec avis conforme du Préfet, auteur des déférés semi gagnants.

 

Camille TREHEUX – Avocate Associée SEBAN ARMORIQUE