Droit du travail et de la sécurité sociale
le 13/10/2022

Licenciement disciplinaire : la faute grave impliquerait une « éviction immédiate »

Cass. Soc., 21 septembre 2022, pourvoi n° 20-16.841

Par un arrêt rendu le 21 septembre 2022, la chambre sociale de la Cour de cassation est venue confirmer une nuance importante sur la caractérisation de la faute grave.

La Cour de cassation a, également, rappelé que la chose jugée actant la culpabilité d’un salarié sur le plan pénal s’oppose à ce que celui-ci puisse se placer sur le terrain civil pour discuter la licéité de la preuve admise en matière répressive.[1]

L’arrêt ci-commenté est l’occasion de revenir sur la notion de faute grave.

 

Faits de l’espèce

En l’espèce, un salarié a été mis à pied à titre conservatoire, puis licencié pour faute grave, à la suite d’une altercation physique avec un tiers s’étant déroulée hors de l’entreprise.

Les protagonistes ont été filmés à leur insu, puis condamnés par le Tribunal de police, notamment sur le fondement de ladite vidéo.

Le salarié en question avait, en parallèle de la procédure pénale, saisi la juridiction prud’homale pour contester son licenciement pour faute grave.

A hauteur d’appel, la Chambre sociale de la Cour d’appel a requalifié le licenciement pour faute grave en licenciement pour cause réelle et sérieuse.

Le salarié (auteur du pouvoir principal) et l’employeur (auteur d’un pourvoi incident) ont contesté l’arrêt de la Cour d’appel devant la Cour de cassation.

 

Les arguments des parties

Au soutien de son pourvoi, le salarié expliquait que la Cour d’appel aurait dû vérifier si la vidéo réalisée à son insu, sur laquelle reposait son licenciement, était un mode de preuve licite sur le plan prud’homal. Il souhaitait, ainsi, que son licenciement soit reconnu comme étant sans cause réelle et sérieuse.

De son côté, l’employeur tentait de soutenir que l’arrêt de la Cour d’appel encourrait la cassation, en invoquant que les juges du fond auraient omis de rechercher si, outre l’altercation, le seul fait d’être descendu du camion en zone SEVESO, au mépris des instructions de l’employeur, constituait une faute grave.

La Cour de cassation a donné tort à l’employeur et au salarié, en rejetant leurs pourvois.

 

La portée de l’arrêt

La faute grave implique l’éviction immédiate du salarié

De manière assez discrète, la Cour de cassation a rejeté le pourvoi incident de l’employeur, qui contestait la requalification du licenciement pour faute grave en licenciement pour cause réelle et sérieuse par la Cour d’appel.

L’enjeu était important puisque, pour rappel, le licenciement pour faute grave permet à l’employeur de ne pas payer d’indemnité de licenciement et d’indemnité de préavis au salarié.

La Cour de cassation a, tout d’abord, rejeté le moyen de l’employeur de manière assez classique, étant rappelé que la gravité de la faute est une notion qui relève d’un contrôle restreint de la Haute juridiction.

En effet, la Cour de cassation ne contrôle pas le fond de la motivation des juges du fond, dès lors qu’ils ne commettent pas une « erreur manifeste d’appréciation » en rejetant des faits constituant indiscutablement une faute grave pour invalider ou amoindrir la qualification retenue pour le licenciement.

Néanmoins, là où la décision de la Cour de cassation est remarquable, c’est qu’elle précise en ces termes, le principe sur lequel les juges du fond doivent se fonder pour apprécier la gravité d’une faute :

La faute grave est celle qui rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise et implique son éviction immédiate

Il était jusqu’alors établi que le licenciement pour faute grave était celui rendant impossible le maintien du salarié dans l’entreprise, l’employeur devant agir rapidement pour le licencier.

Avant 2007, la Cour de cassation précisait même que la faute grave était celle qui rendait impossible le maintien du salarié dans l’entreprise, y compris durant l’exécution de son préavis.

En 2007, la Cour de cassation a légèrement recentré la définition de la faute grave, sans conséquence pratique particulière, en indiquant que celle-ci était celle qui rendait impossible le maintien du salarié dans l’entreprise, sans faire référence au préavis (néanmoins, la condition relative à l’impossible de maintien du salarié durant le préavis n’a jamais été évincée dans les faits).[2]

Il était donc acquis que l’employeur devait réagir rapidement pour engager la procédure disciplinaire à l’encontre du salarié, sans attendre l’expiration du délai de 2 mois prévu par le Code du travail pour engager les poursuites en la matière.[3]

Cependant, les juridictions admettaient un temps de latence pour que l’employeur puisse réagir de manière adéquate après sa connaissance des faits fautifs, sans préciser nécessairement si le salarié devait être immédiatement mis à pied.

La Cour de cassation avait alors admis la possibilité d’engager la procédure dans « un délai restreint ».[4]

Par l’arrêt ci-commenté, la Cour souligne davantage la nécessité pour l’employeur de réagir immédiatement pour évincer le salarié de l’entreprise par une mise à pied conservatoire, dès qu’il a connaissance des faits.

En pratique, une difficulté peut survenir lorsqu’il est reproché au salarié des faits nécessitant une enquête interne, situation qui peut parfois rendre l’employeur hésitant à mettre à pied le salarié concerné.

A cet égard, la jurisprudence a eu l’occasion de préciser que le déclenchement tardif de la procédure de licenciement n’a pas pour effet de lui ôter son caractère de gravité, dès lors que le délai écoulé était nécessaire pour apprécier l’étendue des faits. [5]

Ainsi, en la matière, ce qui compte est la réaction immédiate de l’employeur à compter la connaissance des résultats de l’enquête. [6]

Pour éviter les risques de discussion sur ce terrain, il est cependant recommandé, pour l’employeur, de mettre le salarié à pied dès le début de l’enquête.

Au reste, la Cour de cassation a admis que la faute grave pouvait être retenue si le contrat de travail du salarié était suspendu après la connaissance des faits fautifs, et ce même si l’employeur avait mis près d’un mois pour engager la procédure de licenciement à compter de sa connaissance des griefs reprochés.[7]

En effet, le contrat de travail du salarié étant suspendu, celui-ci n’était pas dans l’entreprise et il ne pouvait pas être reproché à l’employeur de ne pas avoir immédiatement évincé le salarié.

Ainsi, s’il est acquis que la faute grave est celle qui rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise, il convient de souligner que son éviction immédiate de l’entreprise semble, également, plus que jamais, être un critère important de la caractérisation de celle-ci.

Les faits constatés au pénal s’imposent, malgré l’illicéité virtuelle du mode de preuve sur le plan civil

Par ailleurs, la Cour de cassation a rappelé la portée des décisions pénales sur le plan prud’homal.

Sur le plan prud’homal, les parties sont tenues à un principe de loyauté et de légalité de la preuve, qui s’oppose à ce qu’un requérant puisse se prévaloir d’une preuve tirée d’un procédé mis en place à l’insu de la partie à laquelle elle l’oppose.

Cependant, ce principe connaît une atténuation sur le plan pénal, pour les parties privées (i.e. n’étant pas enquêtrice ou agent public)

Par ailleurs, les décisions pénales s’imposent aux juridictions civiles (notamment au conseil de ‘prud’hommes).

La Cour de cassation rappelle, ainsi, dans l’arrêt ci-commenté, que la culpabilité pénale reconnue sur le fondement d’une preuve admise en matière répressive est pleinement opposable devant le conseil de prud’hommes, et ce même si la preuve aurait été irrecevable dans le cadre d’un litige exclusivement exercé sur le plan civil.

Un employeur peut, ainsi, par ce moyen, se prévaloir d’un enregistrement vidéo clandestin pour licencier un salarié.

 

Benoît ROSEIRO et Karim DE MEDEIROS

[1]Cass. soc., 21 septembre 2022, pourvoi n° 20-16.841 : Décision – Pourvoi n°20-16.841 | Cour de cassation

[2] Cass. soc., 27 septembre 2007, n° 06-43.867

[3] Art. L. 1332-2 du Code du travail

[4] Cass. soc., 24 novembre 2010, n° 09-40.928

[5] Cass. soc., 9 novembre-2004, n° 02-45.628

[6] Cass. Soc., 9 novembre 2004, n° 02-45.628

[7] Cass., soc., 9 mars 2022, n° 20-20.872