Droit pénal et de la presse
le 13/10/2022

Suppression de contenu illicite par la voie de la procédure accélérée au fond devant le Tribunal judiciaire contre l’hébergeur : diffamation (non) – mise en danger par communication de données (oui)

Suppression de contenu illicite par la voie de la procédure accélérée au fond devant le Tribunal judiciaire contre l’hébergeur : diffamation (non) – mise en danger par communication de données (oui)

Mis en cause sur le réseau social Instagram via un compte intitulé « violeurparis », un particulier assignait les sociétés Meta Platforms Ireland Ltd (anciennement Facebook Ireland) et Facebook France aux fins de suppression du contenu estimé illicite.

La voie de droit utilisée était celle de l’article 6-I 8 de la LCEN (Loi pour la confiance dans l’économie numérique) telle que modifiée par la loi du 24 août 2021 prévoyant la procédure accélérée au fond (article 481-1 du Code de procédure civile en vigueur depuis le 1er janvier 2020). Notons que la demande est ainsi portée par voie d’assignation à une audience tenue aux jour et heure prévus à cet effet ; de manière plus générale, elle remplace les procédures « en la forme des référés » (dit encore « référés au fond »).

Rappelons également qu’en application du nouvel article 6 I 8 précité, le président du Tribunal peut prescrire à « toute personne susceptible d’y contribuer toute mesure propre à prévenir un dommage ou à faire cesser un dommage occasionné par le contenu d’un service de communication au public en ligne ».

Il importe de noter que le demandeur faisait valoir une atteinte à son honneur et à sa considération résultant du caractère diffamatoire du message mis en ligne (loi du 29 juillet 1881) et une mise en danger résultant de la communication de ses données personnelles (article 223-1-1 du Code pénal).

Indiquons tout de suite que, comme à son habitude, le Tribunal met la société Facebook France hors de cause, n’étant pas démontré que celle-ci aurait une responsabilité directe ou indirecte dans l’exploitation du service Instagram.

En premier lieu, le Tribunal statue sur une demande de nullité présentée par le défendeur au motif que, l’action reposant sur les dispositions de la loi du 29 juillet 1881, les règles spécifiques de procédure devaient s’y appliquer à peine de nullité (article 53 de la loi de 1881) ; le tribunal rejette cet incident au motif que les actions fondées sur l’article 6-1, 8 de la LCEN et sur la loi du 29 juillet 1881 sont distinctes et autonomes en ce qu’elles visent des personnes différentes et poursuivent des finalités distinctes. Il est vrai que l’action n’opposait pas un diffamateur à sa victime diffamée, mais une victime diffamée à un prestataire technique d’Internet (hébergeur) – qu’importe que le dommage soit présenté dans l’assignation comme relevant du dommage de la loi du 29 juillet 1881 ; on remarque donc une évolution dans l’analyse du juge judiciaire qui passe du critère matériel (l’objet de la demande s’inscrit-il dans la sphère de la loi du 29 juillet 1881 ? – Cour d’appel de Paris, pôle 1 – ch. 8, arrêt du 22 mars 2019) à un critère organique (le litige oppose-t-il une victime à l’une des personnes saisies par la loi du 29 juillet 1881 – dont l’hébergeur est a priori exclu – et susceptible d’opposer les moyens habituels de défense en matière d’infraction de presse).

C’est ce même critère organique qui est utilisé par le juge pour rejeter la demande présentée à la visée de la loi du 29 juillet 1881 : le Tribunal souligne qu’à défaut d’opposer le diffamateur à sa victime, la contradiction n’était pas rendue possible – la défense n’étant pas en sa qualité d’hébergeur en mesure de faire valoir l’exception de bonne foi. Le tribunal conclut donc que le caractère diffamatoire des propos ne peut justifier leur retrait, car cette mesure ne serait pas proportionnée à l’atteinte à la liberté d’expression.

Le Tribunal se prononce enfin sur l’illicéité tirée de la mise en danger par communication de données personnelles (délit défini par l’article 223-1-1 du Code pénal). Selon lui, les informations contenues dans la publication en cause, en l’occurrence les prénom et nom du demandeur et l’insertion d’un lien permettant d’accéder directement à son compte Instagram dans lequel figure son identité, sa photographie, sa profession et l’établissement dans lequel il travaille, sont de nature à permettre son identification et sa localisation.

De surcroît, la teneur du message qui le présente comme un délinquant sexuel l’expose à un risque direct d’atteinte à sa personne ou à ses biens. Le Tribunal ordonne à l’hébergeur de supprimer la publication litigieuse, seule mesure de nature à prévenir ce dommage, l’atteinte à la liberté d’expression en résultant étant proportionnée à l’impératif de protection de la personne.

Il ressort de cette décision fort récente que l’article 6-I.8 de la LCEN tel que modifié par la loi du 24 août 2021 ne sera donc pas plus efficace que son prédécesseur ante réforme (une action en référé ou procédure d’ordonnance sur requête) lorsque la demande de suppression sera portée contre l’hébergeur d’un contenu diffamatoire ; néanmoins il est possible d’espérer que l’action continue d’être utile en matière d’injure publique (TGI, Paris, Réf., 11 juillet 2019).

En tout état de cause, lorsque l’illicéité du contenu repose sur des infractions de droit commun telle que la mise en danger par communication de données personnelles, l’article 6 I 8° nouvelle mouture pourra s’avérer utile – y compris à l’encontre d’un interlocuteur de droit étranger telle que la société de droit irlandais Meta Platforms Ireland Ltd.