RTE rend son rapport « futurs énergétiques 2050 » et dresse une étude contrastée de plusieurs scénarios de mix de production pour atteindre la neutralité carbone à l’horizon 2050

La société RTE, gestionnaire du réseau de transport d’électricité, a publié le 25 octobre dernier les résultats de son rapport très attendu sur les futurs énergétiques pour 2050.

Pour mémoire, en 2019 RTE a lancé son étude relative à l’évolution du système électrique intitulée « Futurs énergétique 2050 ». L’étude vise à analyser les différents scénarios de production et de consommation d’électricité permettant d’atteindre la neutralité carbone d’ici 2050, telle que fixée par la Stratégie Nationale Bas-Carbone (ci-après, « SNBC ») introduite par la Loi de Transition Énergétique pour la Croissance Verte (ci-après, « LTECV »).

Au cours de cette étude, le rapport RTE – AIE (Agence Internationale de l’Energie) sur la faisabilité technique d’un système à haute proportion en énergie renouvelables a été publié le 27 janvier 2021 et une consultation publique sur les scénarios envisageables d’ici 2050 a été lancée à cette même date, permettant de récolter 4.000 réponses d’institutions, de collectifs et de particuliers.

Le rapport publié par RTE le 25 octobre 2021, ici commenté, vient présenter les résultats de l’étude et les principaux scénarios possibles d’un point de vue technique, économique, environnemental et sociétal.

Trois trajectoires sont ainsi présentées autour d’une thématique commune, la sortie des énergies fossiles d’ici 2050 :

  • La trajectoire « de référence » qui fixe une consommation d’énergie à 645 TWh/ an. Elle conserve en partie le cadre posé par la SNBC, et évalue les impacts du prolongement des modes de vie actuel des Français avec une électrification hausse de 35 % par rapport au niveau de la consommation d’électricité actuel afin de se substituer aux énergies fossiles. Cette trajectoire suppose un bon degré d’efficacité des politiques publiques ;
  • La trajectoire « sobriété » qui fixe une consommation d’énergie à 555 TWh/an et impacte davantage les habitudes de vie et les consommations ;
  • La trajectoire « réindustrialisation » qui fixe une consommation d’énergie de 752 TWh/an et se traduit par un investissement dans les secteurs technologiques de pointe et stratégiques.

La trajectoire privilégiée par RTE est celle « de référence » et en son sein, le gestionnaire présente six scénarios dont un prévoyant 100 % d’énergies renouvelables et aucun recours au nucléaire, deux prévoyant un mix composé de « nucléaire historique » et d’énergies renouvelables, puis trois autres scénarios avec un recours plus accru au « nucléaire nouveau » jusqu’à 50 % du mix énergétique.

Suite à l’analyse de ces six scénarios, RTE présente les dix-huit enseignements de l’étude.

Tout d’abord, en guise de constat commun aux différents scénarios envisagés, le gestionnaire de réseau de transport rappelle la nécessité de diminuer la consommation finale d’énergie, d’augmenter la part d’électricité et de renforcer la croissance des énergies renouvelables dans la production d’électricité.

En outre, il met l’accent sur la nécessaire transformation de l’économie et des modes de vie des Français.

Notamment, sur la consommation d’énergie, RTE indique que l’accélération de la réindustrialisation du pays augmentera la consommation d’électricité mais permettra de réduire l’empreinte carbone de la France. Le gestionnaire précise qu’une réindustrialisation profonde permettra d’éviter 900 millions de tonnes de CO2 en trente ans à condition que cela se fasse autour de solutions bas-carbone dès le prochain cycle d’investissements.

Sur la transformation du mix électrique, si RTE met l’accent sur la proportion des énergies renouvelables dans le mix énergétique, le gestionnaire de réseau précise qu’un scénario 100 % renouvelables semble difficilement tenable, notamment d’un point de vue économique.

Selon RTE, la construction de nouveaux réacteurs nucléaires coûterait en effet 10 milliards d’euros de moins qu’un scénario composé en grande partie d’énergies renouvelables, même s’il précise que les énergies renouvelables électriques sont devenues des solutions compétitives.

Aussi, RTE considère que la construction de nouveaux réacteurs nucléaires permettrait de conserver un parc d’une quarantaine de GW en 2050.

En outre, le développement des énergies renouvelables représente un enjeu en matière d’occupation de l’espace. RTE considère que ce développement peut tout à fait s’intensifier sans que l’artificialisation et l’imperméabilisation des sols n’augmente excessivement à condition que la préservation du cadre de vie reste un enjeu principal.

Finalement, RTE ne tranche pas réellement entre un scénario principalement axé sur le nucléaire ou sur les énergies renouvelables. Les projections finales de RTE restent contrastées sur la part de nucléaire et celle d’énergies renouvelables nécessaires dans le mix énergétique pour atteindre la neutralité carbone en 2050.

En tout état de cause, RTE rappelle que « Quel que soit le scénario choisi, il y a urgence à se mobiliser ».

Au premier trimestre 2022, devraient être publiées des analyses approfondies de l’étude « Futurs énergétiques 2050 » tel que l’indique RTE avant, d’éventuellement, prolonger l’étude sur certains thèmes clés pour le débat public.

L’Ademe lance son label Vertvolt afin d’aider les consommateurs à choisir leur offre d’électricité verte

Le 11 octobre 2021, date de la journée mondiale de l’énergie, l’ADEME a annoncé le lancement de son label Vertvolt.

Celui-ci, en permettant d’améliorer la lisibilité des « offres d’électricité vertes » qui se développent sur le marché pour le consommateur, a pour double objectif d’aider ces derniers à faire leur choix d’offre d’électricité verte et d’orienter les fournisseurs vers des offres vertes plus qualitatives.

Ainsi que l’indique l’ADEME dans son communiqué de presse, cinq fournisseurs ont d’ores et déjà des offres labellisées Vertvolt[1].

 

[1] Retrouvez la liste des offres labélisées et leurs caractéristiques ici.

Fonds de péréquation de l’électricité : publication des coefficients ainsi que des montants des dotations et contributions à appliquer à la formule pour l’année 2021

Pour rappel, le fond de péréquation de l’électricité (FPE) prévu par l’article L. 121-29 du Code de l’énergie a pour objet de répartir, entre les gestionnaires de réseaux publics de distribution d’électricité, les charges réelles qu’ils supportent en fonction des spécificités de leur zone de desserte, dès lors que ces charges ne sont pas prises en compte dans le calcul du Tarif d’Utilisation des Réseaux Publics d’Electricité (TURPE) facturé aux usagers.

Dans ce cadre, les valeurs des coefficients servant à la péréquation tarifaire ainsi que les montants des dotations et des contribution correspondants sont arrêtés annuellement par arrêté du Ministre de l’énergie conformément à l’article R. 121-58 du Code de l’énergie.

C’est ainsi que l’arrêté du 22 octobre 2020, commenté dans une de nos précédentes lettres d’actualité juridique Environnement Energie[1], fixait les coefficients de la formule du fonds de péréquation de l’électricité pour l’année 2020 et, d’autre part, les montants associés que doivent verser (contributions) ou recevoir (dotations) les gestionnaires de réseaux. 

Par l’arrêté du 7 octobre 2021, publié au JO du 14 octobre 2021, sont désormais établis les coefficients à appliquer, les contributions et les dotations au fonds de péréquation de l’électricité pour l’année 2021, à partir des déclarations portant sur l’année 2020.

 

 

[1] Pour plus d’information sur cet arrêté, nous vous invitons à consulter notre précédent article

Le contenu du dossier de demande de CEE est précisé par un nouvel arrêté

Dans le prolongement des derniers arrêtés récemment publiées révisant les opérations standardisées d’économie d’énergie donnant droit à des certificats d’économies d’énergie (CEE) et créant de nouveaux programmes éligibles à ceux-ci, commentés dans notre dernière Lettre d’actualité juridique Environnement Energie[1],  un nouvel arrêté a été publié, quant à lui relatif aux dossiers de demande de CEE.

Pour l’essentiel, les modifications et précisions réglementaires apportées sont les suivantes :

  • extension au cas des tierces personnes constituant en tout ou partie un dossier de demande de CEE au nom d’un demandeur, l’exigence de transmission d’un exemplaire du mandat entre les parties pour les dossiers de demande de CEE déposés à compter du 1er avril 2022 (article 1.I) ;
  • précision du contenu d’un dossier de demande de CEE effectuée dans le cas d’un regroupement (article 1.II) ;
  • pour les opérations engagées à compter du 1er avril 2022, intégration au sein des dossiers de demande de CEE du montant du rôle actif et incitatif du demandeur dans la réalisation de l’opération [2] ainsi que des commentaires à destination du Pôle national des certificats d’économies d’énergie (PNCEE) (article 1.IV.2° , article 1. V. 2° et article 2) ;
  • possibilité, pour les bénéficiaires personnes physiques ou syndicats de copropriétaires et pour les opérations engagées à compter du 1er janvier 2021, que le « cadre contribution », document du dossier de demande de CEE figurant en annexe 8 de l’arrêté, puisse être signé au plus tard quatorze jours après l’engagement d’une opération, ce délai correspondant, dans la grande majorité des cas, au délai de rétractation prévu par le Code de la consommation (article 1.III) ;
  • précisions relatives à l’information fournie au bénéficiaire dans le « cadre contribution » susvisé (article 1.VI) ;
  • précisions sur l’indication de l’identité de l’organisme d’inspection dans le tableau récapitulatif des opérations lorsque l’opération fait l’objet d’un contrôle obligatoire effectif sur site (article 1.IV.1°) ;
  • adaptation du contenu de la charte Coup de pouce « Chauffage » pour tenir compte de la suppression des gestes relatifs aux chaudières au gaz et aux émetteurs électriques, pour les opérations engagées à compter du 1er juillet 2021 ou achevées à compter du 1er octobre 2021 (article 3.I et 3.II) ;
  • obligation de transmission au Ministre chargé de l’énergie et de mise à disposition du public, de la liste des partenaires des obligés assurant, pour le compte de ces derniers, le rôle actif et incitatif prévu à l’article R. 221-22 du Code de l’énergie (article 3.III).

 

 

[1] Pour plus d’information, , nous vous invitons à lire notre brève sur le sujet publiée dans notre lettre d’actualités juridique du mois d’octobre 2021.

[2] Pour rappel, en vertu de l’article R. 221-22 du Code de l’énergie : « de Le demandeur de certificats d’économies d’énergie doit, à l’appui de sa demande, justifier de son rôle actif et incitatif dans la réalisation de l’opération. Est considérée comme un rôle actif et incitatif toute contribution directe, quelle qu’en soit la nature, apportée, par le demandeur ou par l’intermédiaire d’une personne qui lui est liée contractuellement, à la personne bénéficiant de l’opération d’économies d’énergie et permettant la réalisation de cette dernière. Cette contribution intervient au plus tard à la date d’engagement de l’opération ».

Le Conseil d’Etat réforme une sanction du Ministre de l’énergie en matière de certificats d’économie d’énergie

Par une décision en date du 15 novembre 2019, le Ministre chargé de l’énergie a prononcé, sur le fondement de l’article L. 222-2 du Code de l’énergie, une sanction à l’encontre de la société Alpha Europe Energy, spécialisée dans les services relatifs aux certificats d’économie d’énergie (CEE) et ayant à ce titre réalisé plusieurs opérations ayant donné lieu à la délivrance de CEE, en :

  • annulant des CEE délivrés pour un volume de 6 975 568 kilowattheures cumulés actualisés (kWh cumac) dits « classiques » et de 56 914 615 kWh cumac dits « précarité » assortie d’une mise en demeure d’acquérir les CEE nécessaires à son application ;
  • la privant de la possibilité d’obtenir de nouveaux CEE pendant une durée de 18 mois ;
  • rejetant les demandes de CEE que la société avait déjà présentées.

Saisi par la société Alpha Europe Energy, le Conseil d’Etat annule cette sanction aux termes de la décision ici commentée.

Pour ce faire, le Conseil d’Etat commence par confirmer la régularité de la procédure de sanction en considérant que, contrairement à ce qu’invoque la société requérante qui a été informée de la procédure initiée à son encontre, de la possibilité de contester les manquements reprochés ainsi que de consulter son dossier en se faisant assister par la personne de son choix, cette décision de sanction n’a pas été adoptée en violation des droits de la défense et du caractère contradictoire de la procédure.

Le Conseil d’Etat s’attache ensuite à apprécier la matérialité des manquements reprochés à la société Alpha Europe Energy. A ce titre il estime que l’instruction révèle effectivement des discordances entre les documents fournis par la société requérante à l’appui de ses demandes de CEE et les documents correspondants détenus par les bénéficiaires de ces opérations, sans que les explications fournies par la requérante permettent de les écarter. Toutefois, il apparaît que le volume correspondant aux opérations non conformes n’a pas été correctement calculé par le Ministre, de sorte que le taux de conformité de l’échantillon s’élève à 47 % au lieu de 38 %.

Puis, sur l’appréciation des sanctions prononcées en elles-mêmes, le Conseil d’Etat considère que :

  • s’agissant de la sanction d’annulation de CEE, le Ministre ne pouvant légalement prononcer une sanction d’annulation de CEE dont ne dispose pas l’intéressé à la date de la décision et la société requérante ne disposant pas d’un solde de CEE suffisant permettant de prononcer à son encontre l’annulation de CEE correspondant au volume indiqué dans sa décision, le Ministre a entaché sur ce point sa décision d’un vice d’incompétence ;
  • s’agissant de la décision de rejet de demandes de CEE, dès lors que le délai de deux mois à l’issue duquel le silence gardé par le Ministre sur une demande de CEE fait naître une décision implicite d’acceptation est suspendu lorsqu’est notifié au requérant une mise en demeure, la société n’est pas fondée à soutenir qu’à la date de la sanction, les CEE concernés avaient déjà fait l’objet d’une décision implicite d’acceptation. Toutefois, pour l’une de ces demandes, le délai d’acceptation implicite de deux mois étant déjà achevé à la date de la décision de la suspension, celle-ci ne pouvait légalement être rejetée par la décision contestée.

Enfin et surtout, le Conseil d’Etat apprécie, au terme de cette analyse, la proportionnalité des sanctions prononcées par le Ministre.

C’est ainsi l’occasion pour le Conseil d’Etat de préciser les critères d’évaluation de la proportionnalité des sanctions prononcées, tenant à la nature et à la gravité des manquements, elles-mêmes appréciées au regard :

  • des règles méconnues ;
  • du caractère répété de ces manquements ;
  • de l’ampleur des non conformités révélées par l’échantillon contrôlé ;
  • de la durée des opérations de contrôle ;
  • de la situation financière de la société.

Dans ce cadre, le Conseil d’Etat réforme la sanction prise à l’encontre de la société Alpha Europe Energy en la ramenant :

  • à l’annulation des CEE détenus par la société pour un volume seulement (en comparaison avec la sanction annulée) de 45 342 kWh cumac dits « classiques » et de 35 875 kWh cumac dits « précarité » ;
  • au rejet de certaines seulement des demandes de CEE présentées ;
  • à la privation de la possibilité d’obtenir de nouveaux CEE durant une durée ramenée à 9 mois.

Cet arrêt illustre le contrôle opéré par le Conseil d’Etat sur les sanctions prononcées par le Ministre chargé de l’énergie en cas de manquement à la règlementation des CEE.

La difficile lutte contre l’augmentation des tarifs réglementés de gaz et d’électricité

Décret n° 2021-1380 du 23 octobre 2021 relatif aux tarifs réglementés de vente de gaz naturel fournis par Engie et faisant application du dernier alinéa de l’article R. 445-5 du code de l’énergie

 

Une hausse potentielle de 19,5 % TTC des Tarifs Réglementés de Vente (TRV) du gaz était prévue au 1er novembre 2021 et une autre d’ampleur similaire en décembre prochain. Et c’est sans compter la hausse attendue des TRV d’électricité début 2022.

C’est pour faire face à ce phénomène d’augmentation brutale du prix du gaz que deux projets de décrets ont été présentés à la Commission de Régulation de l’Énergie (CRE) par la Ministre de la transition énergétique le 5 octobre 2021. Suivant la délibération de la CRE du 14 octobre 2021 portant avis sur le projet de décret relatif aux tarifs réglementés de vente du gaz naturel modifiant l’article R. 445-5 du Code de l’énergie et sur le projet de décret relatif aux tarifs réglementés de vente de gaz naturel fournis par Engie et faisant application du dernier alinéa de l’article R. 445-5 du Code de l’énergie, le Gouvernement vient de publier le décret n° 2021-1380 du 23 octobre 2021 relatif aux tarifs réglementés de vente de gaz naturel fournis par Engie et faisant application du dernier alinéa de l’article R.445-5 du Code de l’énergie .

La publication de ce décret nous donne l’occasion d’expliquer que la hausse des TRV de gaz, comme prochainement d’électricité, est, en l’état du droit, inéluctable et qu’elle conduit à mettre en place des solutions nécessairement temporaires pour l’éviter, qui perturbent le fonctionnement normal du marché. De sorte que cette hausse devrait appeler à des réformes structurelles de la vente régulée des énergies.

I. La modification du cadre réglementaire des TRV pour contenir leur augmentation

Par un communiqué de presse du 27 septembre 2021, la CRE constatait une nouvelle hausse des prix de l’électricité et du gaz et annonçait par conséquent la hausse des TRV (voir notre brève à ce sujet : https://www.seban-associes.avocat.fr/communique-la-cre-constate-une-nouvelle-hausse-du-cout-du-gaz-naturel-importe-entrainant-une-hausse-des-trv-pour-le-mois-doctobre/?idlajee=106318).

Pour rappel, la proposition des offres en tarifs réglementés émane principalement d’EDF pour l’électricité et d’Engie pour le gaz naturel, puis des ELD (entreprises locales de distribution), chacun dans ses zones de desserte historique. Chaque année, le Gouvernement publie un arrêté, après avis de la CRE, qui fixe les barèmes et conditions d’évolution des TRV pour l’année à venir.

Les TRV du gaz et de l’électricité sont calculés comme suit :

  • Le montant des TRV du Gaz correspond à l’addition des coûts d’approvisionnement, des coûts d’infrastructure et de commercialisation ainsi que trois taxes (la TVA, la Taxe Intérieure sur la Consommation de Gaz Naturel (TICGN) et la Contribution Tarifaire d’Acheminement (CTA) pour le gaz.
  • Les tarifs réglementés de l’électricité couvrent quant à eux, les coûts d’utilisation des réseaux publics d’électricité (tarif appelé TURPE et fixé par la CRE) et les coûts de fourniture (coût de production, d’approvisionnement et de gestion commerciale). S’ajoutent à ces coûts, des taxes et contributions composées de la taxe sur la consommation finale de l’électricité (TCFE), la contribution tarifaire d’acheminement (CTA), la contribution pour le service public d’électricité (CSPE) et la TVA.

L’augmentation du prix de gros du gaz a donc influé la variable « coût d’approvisionnement » qui rentre dans le calcul du tarif réglementé du gaz, conduisant mécaniquement à l’augmentation des TRV. S’agissant de l’électricité, une partie de la production étant alimentée par le gaz, elle se voit aussi touchée dans sa variable « coût de production ». Il faut attendre prochainement l’évolution des autres coûts de production de l’électricité pour connaître l’augmentation finale prochaine de ces TRV d’électricité.

Or, l’article R.445-5 du Code de l’énergie rappelle que le fournisseur aux TRV « modifie selon une fréquence prévue par arrêté des ministres chargés de l’économie et de l’énergie et au maximum une fois par mois, jusqu’à l’intervention d’un nouvel arrêté tarifaire […] les barèmes de ses tarifs réglementés en y répercutant les variations des coûts d’approvisionnement en gaz naturel, telles qu’elles résultent de l’application de sa formule tarifaire ». Il précise encore : « La répercussion des variations des coûts d’approvisionnement en euros par mégawattheure se fait de manière uniforme sur les différents barèmes et s’applique sur la part variable, sauf disposition contraire prévue par l’arrêté mentionné à l’article R. 445-4 ».

Et ce même article R.445-5 prévoit les conditions dans lesquelles il est possible de s’opposer à cette hausse mécanique des TRV par suite de la hausse des coûts d’approvisionnement : « En cas d’augmentation exceptionnelle des prix des produits pétroliers ou des prix de marché du gaz naturel, sur le dernier mois ou sur une période cumulée de trois mois, le Premier ministre peut, avant l’expiration du délai [de 20 jours] et après avis de la Commission de régulation de l’énergie, s’opposer par décret à la proposition et fixer de nouveaux barèmes. Le décret précise les modalités et le calendrier, qui ne peut excéder un an à compter de son entrée en vigueur, de remise à niveau des tarifs par rapport à la formule tarifaire et de répercussion des montants non perçus durant la période considérée. Il précise les conditions dans lesquelles le fournisseur est autorisé à modifier ses tarifs réglementés jusqu’à l’intervention d’un nouvel arrêté tarifaire pris en application de l’article R. 445-4 ».

C’est sur ces bases que l’arrêté du 28 juin 2021 relatif aux TRV du gaz naturel fourni par Engie a fixé les TRV d’Engie au 1er juillet 2021 et la formule permettant d’estimer l’évolution de ses coûts d’approvisionnement entre le 1er juillet 2021 et le 30 juin 2022. La CRE a ensuite été saisie le 5 octobre 2021 par Engie du projet de barème des TRV gaz naturel d’Engie pour le 1er novembre 2021. Ces barèmes envisagent une hausse moyenne des tarifs hors taxe de vente de gaz naturel de 17,20 €/MWh au 1er novembre 2021, soit une augmentation de 21,2 % HT (soit + 19,5 % TTC) par rapport aux niveaux fixés au 1er octobre 2021.

C’est dans ce cadre que le décret du 23 octobre 2021 commenté gèle l’augmentation des TRV de gaz d’Engie pendant une période qu’il fixe à 8 mois à compter du 1er novembre 2021, soit jusqu’au 30 juin 2022. Ce gel comprend toutes les taxes comprises dans le calcul des TRV. S’ajoutent les modalités de rattrapage des montants non couverts.

Le décret du 23 octobre 2021 prévoit enfin les modalités d’évolution de la part variable des TRV de gaz d’Engie. Elles consistent en une formule d’indexation traduisant l’évolution de la TICGN et de la TVA.

Tous ces mécanismes visent à atténuer la hausse des TRV de gaz de manière transitoire et à lisser dans le temps le rattrapage des coûts non répercutés, qui ne peuvent être oubliés.

II. Un gel de l’augmentation des TRV de gaz naturel qui perturbe le fonctionnement normal du marché de l’énergie

L’intervention du gouvernement par décret sur le niveau des TRV de gaz vient à l’évidence perturber le cours normal du marché du gaz naturel.

S’agissant des TRV de gaz déjà, comme on vient de le rappeler, ceux-ci, censés refléter le cours du marché du gaz naturel tout en protégeant les petits consommateurs, sont désormais utilisés comme outil de protection des variations du cours. La conséquence d’une telle modification est la suppression de la compétitivité des offres de marché aux TRV pendant la période de gel décidée.

Pour s’en justifier, la CRE observe que l’objectif poursuivi par cette hausse limitée des TRV est proportionné (en d’autres termes, acceptable au regard des exigences européennes), et ce, pour plusieurs raisons.

D’une part, la mesure de gel mise en place par le décret est temporaire. Cela s’inscrit dans le choix de la Commission européenne, exprimé dans une communication sur le prix de l’énergie en date du 13 octobre dernier, de privilégier des réponses nationales de court terme à cette crise plutôt qu’une réponse harmonisée.

D’autre part, il convient de rappeler aux consommateurs qui souhaiteraient passer en offre de marché une fois que cette offre sera devenue plus intéressante que le TRV, qu’ils ne pourront plus ensuite revenir aux TRV. Cela a tout de même pour conséquence de ralentir considérablement la croissance commerciale des fournisseurs en offre de marché pendant la période de gel tarifaire et ce, même s’ils seront certainement plus attractifs pendant la période où les TRV rattraperont les sommes non perçues pendant le gel.

Enfin, il faut tout de même rappeler que les TRV du gaz sont voués à disparaître le 1er juillet 2023. Selon la CRE, les effets sur le bon fonctionnement du marché cesseront donc nécessairement à cette échéance.

Mais qu’en est-il des fournisseurs de gaz en offres de marché ? En effet, les fournisseurs en offre de marché indexés sur les TRV, qui fournissent 1,5 million de clients, vont eux-aussi subir un déficit considérable. La CRE, désireuse d’épargner aux fournisseurs en offre de marché les conséquences des décisions politiques et de faciliter le rattrapage tarifaire, recommandait deux mesures protectrices : d’une part, la baisse temporaire de la TICGN à compter du 1er janvier 2022 ; d’autre part, la mise en place d’un dispositif complémentaire d’aide aux fournisseurs qui se trouveraient en grave difficulté financière à cause du gel tarifaire.

Ces recommandations n’apparaissent pas dans le décret commenté. Mais un amendement gouvernemental au projet de loi de finances devrait permettre au gouvernement de donner un coup de pouce aux fournisseurs de gaz impactés par le gel des TRV, sous la forme d’une compensation par le budget de l’Etat au titre des charges de service public de l’énergie.

La logique de la CRE restait par ailleurs celle d’imposer une logique de transparence dans les activités menées par Engie. Ainsi, à titre habituel, la CRE publie chaque mois une délibération vérifiant la bonne application par Engie de la formule d’évolution des TRV. Dans la continuité de cette logique, la CRE a recommandé d’ajouter l’obligation pour Engie durant cette période de gel tarifaire de communiquer à l’autorité de régulation chaque mois le barème qui aurait été appliqué en l’absence de gel afin qu’elle puisse le publier. Il s’agit là d’une garantie de transparence sur la visualisation du rattrapage des sommes non perçues pendant la période de gel. Cette recommandation a été accueillie et reprise à l’article 5 du décret.

On observera enfin que la période de rattrapage est certes théoriquement limitée au 30 juin 2022 selon le décret, mais il est d’ores et déjà prévu la possibilité qu’elle puisse s’étendre jusqu’au 30 juin 2023, date de fin des TRV de gaz.

En définitive donc, c’est par le biais de bien des contorsions que l’on tente de concilier protection des consommateurs et fonctionnement normal du marché de l’énergie, ce qui devrait appeler à des réformes structurelles.

III. De nécessaires réformes structurelles de la vente régulée des énergies

L’augmentation du prix du gaz naturel touche en effet l’ensemble du réseau interconnecté européen où s’établissent les prix du marché. 

Si la Commission européenne opte pour des réponses nationales à court terme, dans laquelle s’inscrit le gel tarifaire commenté, de grands débats sur le marché de l’énergie en Europe apparaissent.

Ces préoccupations ont conduit les 27 Ministres de l’Energie des Etats membres de l’Union européenne à se réunir à Luxembourg fin octobre dernier pour évoquer des solutions communes pour faire face à l’augmentation des prix de l’énergie. Cependant, cette réunion a illustré les discordances sur ce sujet entre les pays de l’Union. En effet, neuf Etats membres dont l’Allemagne, les Pays-Bas, l’Autriche, l’Irlande et le Danemark, ne se montrent pas favorables à interférer dans la structure des marchés énergétiques intérieurs, du moins de manière précipitée. En face, d’autres pays dont la France, l’Espagne, la Grèce, la Roumanie et la République tchèque, préconisent une refonte du marché du gaz passant par une meilleure coordination des approvisionnements. Enfin, d’autres pays comme la Pologne s’oppose au Pacte vert qui, selon eux, ne viendra que renchérir le prix de l’énergie. La Commissaire européenne de l’Energie Kadri Simson considère pour sa part qu’« il ne faut pas prendre de mesures précipitées » et qu’en attendant, « de nouveaux investissements dans les renouvelables, le renforcement des capacités de stockage et le verdissement de l’économie, en particulier la rénovation des bâtiments, contribueront à réduire la dépendance aux énergies fossiles et la vulnérabilité face à la volatilité de leurs prix ».

Au-delà de la question de la refonte du marché de l’énergie, d’autres débats sont abordés qui ne traduisent pas plus un consensus européen. La France souhaite que le nucléaire soit inscrit comme une source d’énergie décarbonnée et éligible pour les financements verts. Selon elle, le nucléaire permettrait d’accroître l’indépendance énergétique de l’Union européenne, position que ne partage pas l’Autriche et le Luxembourg. Cette géopolitique du nucléaire et les normes imposées par l’Union sur le nucléaire ont entraîné pour l’heure en France l’abandon du projet Hercule portant réforme du groupe EDF.

De même encore, la Russie souhaiterait accélérer l’entrée en fonctionnement du gazoduc Nord Stream 2 qui relie la Russie à l’Allemagne. Cependant, derrière cela, c’est la question de la dépendance extérieure de la production d’énergie qui est soulevée. La Commission semble plutôt parier sur l’électricité verte (à partir d’énergies renouvelables (énergie hydraulique, éolienne, solaire, géothermique, etc) ou par cogénération) pour éviter la dépendance aux marchés internationaux et les crises comme celle que nous vivons.

Enfin, les TRV ressortent finalement, compte tenu de leurs contraintes en termes de calcul de leurs coûts, comme peu adaptés pour protéger les consommateurs les plus fragiles. C’est donc l’effectivité même des TRV qui se trouve questionnée. On pourrait alors se réinterroger sur le service public lui-même de la fourniture de gaz, comme d’électricité, afin qu’il atteigne sa finalité de protection des consommateurs, a minima les plus fragiles.

Au total, il va falloir, dans les années qui viennent, concilier respect du fonctionnement du marché européen de l’énergie, autonomie énergétique, réduction des gaz à effet de serre, et protection des consommateurs, au moins les plus fragiles.

C’est là un débat qui dépasse la France qui tente aujourd’hui, avec les outils juridiques qui sont les siens, d’éviter la hausse des prix réglementés de l’énergie, il est vrai dans un contexte conjoncturel délicat à quelques mois des élections présidentielles.

 

 

Marie-Hélène PACHEN-LEFEVRE et Astrid DELESQUE

Paris – Collaborateur 3-5 ans d’expérience (H/F) – Droit de la construction – marchés

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Les missions seront notamment les suivantes :

  • suivi d’expertises judiciaires,
  • rédaction d’actes contentieux (assignation et conclusion),
  • rédaction de consultations juridiques,
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Rejoindre Seban & Associés sera pour vous l’occasion :

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Merci d’adresser votre CV à cabinet@seban-avocat.frggauch@seban-avocat.fr ou via le formulaire de candidature ci-dessous.

 

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Airbnb : Booking condamné pour défaut de communication des informations à la municipalité

Le dispositif de la déclaration préalable suppose pour toute personne souhaitant offrir à la location un meublé de tourisme de le déclarer au préalable en Mairie (art. L.324-1-1 du Code du tourisme).

Dans les communes ayant parallèlement adopté le régime de l’autorisation préalable, les obligations à la déclaration préalable sont renforcées, notamment auprès des plateformes de location (art. L.324-2-1 du code du tourisme).

Ces dernières sont en effet tenues de transmettre – dès lors qu’elles en ont connaissance – sous un mois à la commune qui en fait la demande, le nombre de jours au cours desquels le meublé de tourisme a fait l’objet d’une location par leur intermédiaire (art. L.324-2-1 II) sous peine d’amende pouvant aller jusqu’à 50.000 € (art. L.324-2-1 III al. 2 code du tourisme).

En l’espèce, la mairie de Paris avait sollicité de la société BOOKING des informations que la plateforme numérique de location a tardé à communiquer.

Elle a donc saisi selon la procédure accélérée au fond le Président du Tribunal judiciaire de Paris qui, suivant jugement du 18 octobre 2021, a condamné en raison de cette communication tardive la société BOOKING au paiement d’une amende civile de 400 € par annonce objet du manquement d’information, soit la somme totale de 1.234.000 € au profit de la ville de Paris.

Précédemment, la société AIRBNB avait été condamnée au paiement de la somme de 8.080.000 € (soit 8.000 € pour chacune des 1.010 annonces irrégulières) en ne publiant pas le numéro de déclaration sur l’annonce par le Président du Tribunal judiciaire par jugement du 1er juillet 2021 (RG n°19/54288) rendu sous l’ancienne procédure « en la forme des référés ».

Ainsi l’arsenal législatif promet une lutte sévère et efficace contre les locations de type « Airbnb » en visant également, comme en l’espèce les plateformes de location.

 

L’Arc de Triomphe, Wrapped

L’évènement suscité par l’Arc de Triomphe emballé permet de revenir sur la question de la protection offerte par le droit d’auteur aux monuments empaquetés par les artistes Christo et Jeanne-Claude.

En effet, en 1985 Christo avait déjà eu l’occasion d’emballer un monument parisien : le Pont Neuf. C’est donc ici que se situe le point de départ de la série jurisprudentielle autour des travaux de Christo et Jeanne-Claude.

La protection de l’œuvre identifiable et originale par le droit d’auteur

En 1985, un tiers avait commercialisé des cartes postales représentant la photographie du Pont Neuf « emballé ».

La Cour d’Appel de Paris avait conclu que le tout constituait une œuvre et bénéficiait à ce titre de la protection par le droit d’auteur : « l’idée de mettre en relief la pureté des lignes du Pont Neuf et de ses lampadaires au moyen d’une toile soyeuse tissée en polyamide, couleur de pierre de l’Ile-de-France, ornée de cordage en propylène de façon que soit mise en évidence, spécialement vu de loin, de jour comme de nuit, le relief lié à la pureté des lignes de ce pont constitue une œuvre originale susceptible de bénéficier à ce titre de la protection légale » (CA Paris, 4e ch., 13 mars 1986, Sygma c/ Christo, Gaz. Pal. 1986, 1, 238).

En l’espèce, il y avait donc protection car l’œuvre était identifiable et originale (choix des matériaux, des couleurs). Ce n’était pas l’idée en elle-même qui était protégée, mais sa matérialisation sur un monument individualisé.

L’absence de protection de l’idée par le droit d’auteur

A la même période, une campagne publicitaire avait été lancée, mettant en scène des arbres empaquetés à l’image de Christo et Jeanne-Claude.

Cette fois ci, le Tribunal de grande instance de Paris a estimé que le droit d’auteur ne protégeait « que des créations d’objets déterminés, individualisés et parfaitement identifiables, et non pas un genre ou un famille de formes qui ne présentent entre elles des caractères communs que parce qu’elles correspondent toutes à un style ou à un procédé découlant d’une idée » (TGI Paris, 10e ch. corr., 26 mai 1987, D. 1988. somm. 201).

Par conséquent, Christo ne pouvait pas s’opposer à cette campagne. Une telle solution répond au célèbre adage selon lequel, « les idées sont de libre parcours ». En effet, la seule idée d’empaqueter un monument ou un objet n’est pas protégée par le droit d’auteur.

Il serait possible cependant de se demander si une telle position serait retenue aujourd’hui, au regard de l’évolution de l’art et notamment de l’avènement de « l’art conceptuel ». En effet, ce type d’expression artistique fait prévaloir le concept sur la forme et par conséquent, fait perdre au droit d’auteur tous ses repères.

Possibilité pour un magistrat administratif de siéger au sein d’un comité consultatif de déontologie

Par un avis du 20 septembre 2021 (avis n° 2021/2), le Collège de déontologie de la juridiction administrative s’est positionné en faveur de la possibilité pour un magistrat administratif de siéger au sein d’un comité consultatif de déontologie et de transparence créé par la commune, siège de la juridiction au sein duquel il exerce ses fonctions.

Cette instance particulière du Conseil d’Etat a, en effet, considéré que ce comité avait été créé pour définir des bonnes pratiques et organiser, de façon ponctuelle des opérations de sensibilisation et de formation.

Il a, par suite, relevé que ce comité n’avait pas vocation à se prononcer sur des questions individuelles et/ou à disposer de pouvoir d’instruction.

Ce faisant, il a considéré que la participation à ce comité n’avait pas pour effet de faire participer ledit magistrat à la gestion des affaires de la commune.

Dès lors, il a conclu non seulement à l’absence d’obstacle d’ordre déontologique s’opposant à ce qu’un magistrat administratif siège dans ce type de comité mais, au-delà, à l’absence d’une obligation d’abstention de principe, sur la participation au jugement d’une affaire à laquelle la commune serait partie.

Le Collège précise, de façon toutefois cohérente, qu’une telle abstention serait néanmoins requise si une prise de position de ce comité était invoquée.

Sauf comportement ou propos excédant l’exercice normal du pouvoir hiérarchique, un entretien d’évaluation ne peut constituer un accident de service

Par un arrêt du 27 septembre 2021, le Conseil d’Etat vient de juger qu’un comportement ou un propos n’excédant pas l’exercice normal du pouvoir hiérarchique ne pouvait être regardé comme constitutif d’un accident de service, quels que soient les effets qu’il a pu produire sur l’agent.

Ce faisant, le Conseil d’Etat apporte enfin une solution à un problème récurrent auquel étaient confrontées les administrations dans leurs relations avec certains agents.

Rappelons en effet que, de jurisprudence constante, puis plus récemment en application de l’article 21 bis de loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, la survenance d’un accident dans le temps et le lieu du service établissait une présomption d’imputabilité au service de cet accident et, partant, des éventuels arrêts de travail qui en découlent.

Régulièrement, ce principe avait trouvé application devant les juridictions du fond en matière de pathologie psychologique résultant d’évènements intervenus sur le lieu de travail. Certains agents, confrontés à leur hiérarchie dans le cadre d’un entretien d’évaluation, de recadrage, voire disciplinaire, alléguaient subir à cette occasion un choc psychologique important, donnant lieu à leur placement en arrêt de travail. Les médecins experts, constataient alors très régulièrement, sur la base du récit de l’agent, un lien direct entre le placement en arrêt de travail et l’évènement ponctuel que constituait l’entretien, quelle que soit par ailleurs la teneur dudit entretien. L’imputabilité au service impliquant un maintien du plein traitement jusqu’à la reprise des fonctions de l’agent, cette circonstance pouvait s’avérer financièrement lourde à assumer pour l’Administration.

En pratique, l’Administration se trouvait donc assujettie à l’aléa de la sensibilité avec laquelle certains agents étaient susceptibles d’appréhender la confrontation à leur hiérarchie, faisant ainsi « supporter aux administrations les conséquences de décisions relevant de l’exercice normal du pouvoir hiérarchique », selon les termes du rapporteur public Laurent Cytermann sur un arrêt du 13 mars 2019 (n° 407795).

Tel était le cas de la situation jugée dans l’arrêt ici commenté : reçu en entretien lors duquel il lui était ordonné de cesser de tenir sur son lieu de travail des propos à caractère xénophobes et plus généralement des « observations sur les sujets sociétaux », l’agent avait, dès le lendemain, produit un arrêt de travail, et avait obtenu d’un expert psychiatre le constat « état de choc » faisant suite « au contenu d’un entretien d’évaluation ». La Cour administrative d’appel en avait alors déduit l’existence d’un accident de service imputable à l’employeur.

Le Conseil d’Etat, saisi d’un pourvoi contre cet arrêt valide la décision de l’administration refusant de reconnaître l’imputabilité au service des arrêts de travail, en posant le principe selon lequel « sauf à ce qu’il soit établi qu’il aurait donné lieu à un comportement ou à des propos excédant l’exercice normal du pouvoir hiérarchique, lequel peut conduire le supérieur hiérarchique à adresser aux agents des recommandations, remarques, reproches ou à prendre à leur encontre des mesures disciplinaires, un entretien, notamment d’évaluation, entre un agent et son supérieur hiérarchique, ne saurait être regardé comme un événement soudain et violent susceptible d’être qualifié d’accident de service, quels que soient les effets qu’il a pu produire sur l’agent ».

Autrement dit, l’agent qui rechercherait désormais la reconnaissance de l’imputabilité au service d’un arrêt de travail causé par un entretien avec sa hiérarchie, devra justifier du fait que celle-ci aurait adopté « un comportement ou des propos excédant l’exercice normal du pouvoir hiérarchique », c’est-à-dire ayant été effectivement de nature à générer une pathologie psychologique.

Reste à attendre les applications que recevra ce principe pour en déterminer la portée exacte, et notamment les cas dans lesquels l’existence d’un comportement « excédant l’exercice normal du pouvoir hiérarchique » sera retenue par le juge administratif.

La suspension de fonctions prévue par la loi relative à la gestion de la crise sanitaire n’est pas soumise au respect des garanties de la procédure disciplinaire

L’article 12 de la loi n° 2021-1040 du 5 août 2021 relative à la gestion de la crise sanitaire a posé une obligation de vaccination contre la covid-19 pour un certain nombre d’agents publics. L’article 14 de cette même loi précise qu’à compter « du 15 septembre 2021, les personnes mentionnées au I de l’article 12 ne peuvent plus exercer leur activité » qu’à condition de présenter un des justificatifs prévus au I. de l’article 13 ou au II. de l’article 12, soit : un certificat de vaccination complète ou en cours, ou l’injection au minimum d’une première dose, ou un justificatif de contre-indication vaccinale, ou d’un résultat d’examen valide de dépistage virologique de la covid-19, appelé certificat de rétablissement.

A défaut, l’agent est suspendu de ses fonctions.

Saisi d’une requête en référé liberté dirigée contre une décision de suspension de fonctions prise sur le fondement des dispositions précitées et infligée à un adjoint des cadres hospitaliers, le Juge des référés du Tribunal administratif de Bordeaux est venu préciser la nature juridique de cette suspension.

Après avoir rappelé que la décision contestée était bien applicable à la situation du requérant, qui relevait bien des personnels soumis à l’obligation vaccinale, le juge des référés a relevé que l’employeur public était tenu de suspendre le requérant dès lors que celui-ci ne satisfaisait pas à l’obligation vaccinale, et qu’ainsi, une telle mesure n’entrait pas au nombre des sanctions disciplinaires prévues par l’article 81 de la loi du 9 janvier 1986 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique hospitalière, dont la liste est limitativement énumérée.

Ce faisant, le Juge des référés en déduit, logiquement, que le requérant n’était pas non plus fondé à invoquer une méconnaissance des garanties procédurales dont bénéficient les fonctionnaires lors du déroulement de la procédure disciplinaire.

Enfin, le Juge des référés a fait application des dispositions de l’article L. 522-3 du Code de justice administrative qui permet de rejeter la requête notamment sans audience « lorsque la demande ne présente pas un caractère d’urgence ou lorsqu’il apparaît manifeste, au vu de la demande, que celle-ci ne relève pas de la compétence de la juridiction administrative, qu’elle est irrecevable ou qu’elle est mal fondée », sans préciser pour autant dans son ordonnance si le recours à ces dispositions était justifié par le défaut d’urgence ou par le caractère manifestement mal fondé de la requête, ce qui devait cependant être le cas.

L’ordonnance confirme donc que la suspension pour non-respect de l’obligation vaccinale peut être mise en œuvre sans délai et notamment sans invitation à consulter son dossier ou à se faire assister par un ou plusieurs défenseurs de son choix, tel que le prévoit l’article 1er du décret n° 89-822 du 7 novembre 1989 relatif à la procédure disciplinaire applicable aux fonctionnaires relevant de la fonction publique hospitalière.

Expropriation des immeubles en état d’abandon manifeste : les litiges relatifs à la consignation de l’indemnité provisionnelle sont de la compétence du juge administratif

Par un arrêt en date du 28 septembre 2021, la Cour administrative d’appel de Nantes tranche une question de compétence entre l’ordre judiciaire et l’ordre administratif en matière d’expropriation des immeubles ayant fait l’objet d’une déclaration d’état d’abandon manifeste.

En effet, au visa des dispositions de l’article L. 2243-4 du Code général des collectivités territoriales, il est posé que cette expropriation dérogatoire du Code de l’expropriation constitue une procédure administrative dans la mesure où le Préfet de département déclare d’utilité publique le projet d’acquisition et détermine la liste des biens concernés, déclare cessibles ces immeubles, indique la collectivité publique bénéficiaire de l’opération, fixe le montant de l’indemnité provisionnelle allouée aux propriétaires, qui ne peut être inférieure à l’évaluation effectuée par le service chargé des domaines, et fixe la date à laquelle il pourra être pris possession du bien après paiement ou, en cas d’obstacle au paiement, après consignation de l’indemnité provisionnelle.

Dans la mesure où cette procédure ne prévoit pas l’intervention du Juge judiciaire, ni pour fixer l’indemnité provisionnelle due aux propriétaires, ni pour en déterminer les modalités de versement, la consignation de l’indemnité provisionnelle allouée par le Préfet ne se rattache aucune phase judiciaire de l’expropriation et revêt ainsi un caractère administratif. Elle est donc susceptible de faire l’objet d’un recours devant le Juge administratif.

Cet arrêt apporte donc une précision nouvelle qui n’était pas acquise dès lors que, dans le cadre d’une procédure d’expropriation de droit commun, il est constant que le litige relatif à la consignation ressort de la compétence du Juge judiciaire et, plus précisément, du Juge de l’expropriation (Tribunal des Conflits, 30 juin 2008, C3635).

Le même arrêté de cessibilité doit faire figurer l’ensemble des parcelles appartenant au même propriétaire

Par un arrêt en date du 29 septembre 2021, la Cour administrative d’appel de Versailles rappelle que l’autorité administrative compétente pour déclarer cessibles les parcelles ou les droits réels immobiliers dont l’expropriation est nécessaire à la réalisation de l’opération d’utilité publique doit faire figurer dans un même arrêté de cessibilité l’ensemble des parcelles appartenant à un même propriétaire, dont l’expropriation est poursuivie.

Cette règle s’impose par la garantie attachée au droit de propriété et à la nécessité de prémunir un propriétaire contre une transmission tardive du dossier au Juge de l’expropriation, chargée de prononcer le transfert de propriété au profit du bénéficiaire de la déclaration d’utilité publique.

Par application de ce principe, pris aux visas des articles L. 132-1 et R. 221-1 du Code de l’expropriation, le Juge administratif juge irrégulière les procédures mises en œuvre pour obtenir plusieurs arrêtés de cessibilité concernant un seul et même propriétaire.

En l’espèce, une première enquête parcellaire concernant une parcelle cadastrée section H n°99 et une partie de la parcelle cadastrée section H n°101 a donné lieu à un arrêté de cessibilité en date du 21 février 2017. Une seconde enquête parcellaire concernant une autre partie de la parcelle cadastrée section H n°101 appartenant au même propriétaire a donné lieu à un arrêté de cessibilité du 04 septembre 2017.

Le Juge administratif considère que cette circonstance nouvelle d’une seconde enquête visant le même propriétaire justifiait qu’il soit procédé à une nouvelle enquête parcellaire portant sur l’ensemble des parcelles du même propriétaire à exproprier.

Faute d’y avoir procédé, le premier arrêté de cessibilité est entaché d’irrégularité et, par voie de conséquence, entache d’irrégularité le second arrêté de cessibilité.

En conséquence, pour s’éviter une annulation en cascade de deux arrêtés de cessibilité, face au même propriétaire, il est préférable de reprendre l’enquête parcellaire pour obtenir un seul et même arrêté de cessibilité.

Nouvelles précisions sur les conditions de recevabilité d’une réclamation au sens du CCAG Travaux

Par sa décision en date du 27 septembre 2021, le Conseil d’Etat apporte de nouvelles précisions sur les conditions de recevabilité d’une réclamation, au regard des stipulations du Cahier des clauses générales administratives (CCAG) applicable aux marchés de travaux.

Cette décision a été rendue à l’occasion d’un litige portant sur le décompte général d’un marché de réalisation de réseaux scénographiques, que la Commune de Bobigny avait confié à la Société Amica dans le cadre de la restructuration de la maison de la culture MC 93. La Commune n’ayant pas fait suite à sa demande de rémunération complémentaire, la Société Amica a saisi le Tribunal administratif de Montreuil, lequel a rejeté sa requête par un jugement du 31 octobre 2019. Ce jugement ayant été confirmé par la Cour administrative d’appel de Versailles le 15 juin 2020, la Société Amica s’est pourvue en cassation.

Sur le fondement des stipulations de l’article 50.1 du CCAG applicable aux marchés de travaux, dans sa version datant du 8 septembre 2009, le Conseil d’Etat commence par rappeler, de manière classique, qu’un mémoire du titulaire du marché ne peut être regardé comme une réclamation au sens des stipulations précitées que s’il comporte l’énoncé d’un différend et expose, de façon précise et détaillée, les chefs de la contestation en indiquant, d’une part, les montants des sommes dont le paiement est demandé et, d’autre part, les motifs de ces demandes, notamment les bases de calcul des sommes réclamées. On relèvera que le contenu de ces stipulations est repris dans le nouveau CCAG Travaux datant du 30 mars 2021 (cf. article 55.1).

A cet égard, il convient d’insister sur le fait que le titulaire d’un marché faisant application du CCAG Travaux doit être très vigilant quant au contenu de son mémoire en réclamation pour au moins deux raisons : d’une part, un mémoire en réclamation irrégulier n’interrompra pas le délai de contestation au terme duquel le titulaire est réputé avoir accepté le décompte général ; d’autre part, en cas de contentieux, il ne pourra présenter au Juge administratif aucun autre grief ou demande que ceux qu’il aura exposé dans son mémoire en réclamation.

Ensuite, et c’est là l’apport de cette décision, le Conseil d’Etat ajoute « si que ces éléments ainsi que les justifications nécessaires peuvent figurer dans un document joint au mémoire, celui-ci ne peut pas être regardé comme une réclamation lorsque le titulaire se borne à se référer à un document antérieurement transmis au représentant du pouvoir adjudicateur ou au maître d’œuvre sans le joindre à son mémoire ».

On relèvera ainsi la différence établie entre, d’une part, le titulaire d’un marché, qui doit donc joindre à son mémoire en réclamation l’ensemble de ses pièces justificatives, sans pouvoir se référer à des documents précédemment adressés au pouvoir adjudicateur et, d’autre part, l’Administration qui, elle, peut émettre à l’encontre de son cocontractant un titre de recettes dont les bases de liquidation peuvent être indiquées soit dans le titre lui-même, soit par référence précise à un document joint au titre ou précédemment adressé au titulaire.

Faisant application de ce principe au cas d’espèce, le Conseil d’Etat constate que la lettre du 18 août 2017 de la Société Amica exposant l’un des motifs de sa contestation par référence à un courrier antérieur qui n’était pas joint à son envoi, ne pouvait être regardée, sur ce point, comme remplissant les exigences énoncées à l’article 50.1.1 du CCAG Travaux.

Par suite et après avoir constaté par ailleurs que le courrier du 18 août 2017 de la Société Amica n’exposait aucun des chefs de sa contestation avec une précision suffisante, le Conseil d’Etat rejette le pourvoi.

Maîtrise d’ouvrage publique / Retards / Responsabilité quasi-délictuelle des intervenants à une opération de travaux publics

Il est de jurisprudence constante que, lorsqu’un maître d’ouvrage public méconnait ses obligations contractuelles, il commet une faute de nature à engager sa responsabilité contractuelle à l’égard du titulaire. A ce titre, le Conseil d’Etat a, par un arrêt en date du 6 janvier 2016, précisé synthétiquement les types de fautes reprochables à un maître d’ouvrage public dans l’exécution d’un marché public de travaux (CE, 6 janvier 2016, Sté Eiffage construction Alsace Franche Comté, n° 383245) :

« Que les difficultés rencontrées dans l’exécution d’un marché à forfait ne peuvent ouvrir droit à indemnité au profit de l’entreprise titulaire du marché que dans la mesure où celle-ci justifie soit que ces difficultés trouvent leur origine dans des sujétions imprévues ayant eu pour effet de bouleverser l’économie du contrat soit qu’elles sont imputables à une faute de la personne publique commise notamment dans l’exercice de ses pouvoirs de contrôle et de direction du marché, dans l’estimation de ses besoins, dans la conception même du marché ou dans sa mise en œuvre, en particulier dans le cas où plusieurs cocontractants participent à la réalisation de travaux publics  ».

Toutefois, la jurisprudence administrative a précisé en 2013 que la responsabilité contractuelle du maître d’ouvrage public ne peut être retenue pour des fautes exclusivement commises par d’autres intervenants (CE, 5 juin 2013, Région Haute-Normandie, n° 352917) :

« Considérant que les difficultés rencontrées dans l’exécution d’un marché […] imputables à une faute de la personne publique ; que, dès lors, en jugeant que la responsabilité de la région Haute-Normandie était susceptible d’être engagée du seul fait de fautes commises par les autres intervenants à l’opération de restructuration du lycée, la cour administrative d’appel de Douai a commis une erreur de droit ; que, par suite, la région Haute-Normandie est fondée à demander l’annulation de l’arrêt attaqué, sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens du pourvoi  ».

Dans le même sens, le Conseil d’Etat avait considéré en 2016 (CE, 6 janvier 2016, Société Eiffage construction Alsace Franche Comté, n° 383245) :

« Qu’en jugeant que l’hôpital Nord Franche-Comté, maître d’ouvrage, ne pouvait être tenu pour responsable des préjudices dont les sociétés requérantes lui demandaient réparation du fait de l’allongement de la durée d’exécution du marché de travaux résultant de manquements à leurs obligations d’un autre entrepreneur ou de la maîtrise d’œuvre, la cour administrative d’appel de Nancy n’a pas commis d’erreur de droit  ».

La question se posait donc de savoir quel type d’action le titulaire d’un marché public de travaux ayant subi des préjudices du fait du titulaire d’un autre marché public pouvait engager à son encontre. On pensait naturellement à la responsabilité quasi-délictuelle de l’intervenant en cause. C’est ce confirme le Conseil d’Etat dans son arrêt CMEG du 11 octobre 2021, en précisant que le titulaire préjudicié peut s’appuyer non seulement sur les manquements de l’intervenant en cause aux règles de l’art ou aux dispositions législatives et réglementaires mais aussi du marché public que ledit intervenant a conclu avec le maître d’ouvrage de l’opération :

« Dans le cadre d’un litige né de l’exécution de travaux publics, le titulaire du marché peut rechercher la responsabilité quasi-délictuelle des autres participants à la même opération de construction avec lesquels il n’est lié par aucun contrat, notamment s’ils ont commis des fautes qui ont contribué à l’inexécution de ses obligations contractuelles à l’égard du maître d’ouvrage, sans devoir se limiter à cet égard à la violation des règles de l’art ou à la méconnaissance de dispositions législatives et réglementaires. Il peut en particulier rechercher leur responsabilité du fait d’un manquement aux stipulations des contrats qu’ils ont conclus avec le maître d’ouvrage».

De la légalité du maintien en suspension du fonctionnaire après condamnation par le Juge pénal

Aux termes de l’article 30 de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, la suspension conservatoire d’un agent au-delà de quatre mois est en principe soumise à ce que celui-ci fasse l’objet de poursuites pénales.

C’est dans ce cadre que le juge des référés avait été saisi par un agent d’une demande de provision liée à la réduction de rémunération engendrée par son maintien en suspension dans le contexte suivant : condamné par le Tribunal correctionnel, l’agent avait fait appel de la décision dudit Tribunal le condamnant pour des faits d’agression sexuelle pour mineur et vu, suivant ce jugement, sa suspension prolongée.

Se posait alors au juge des référés la question du caractère sérieux de la créance objet de la demande de provision au travers de celle de la légalité de la prolongation de la suspension.

Appelé à se prononcer sur cette question, le Conseil d’Etat a jugé le 12 octobre dernier cette affaire suivant les trois étapes de raisonnement suivantes.

Premièrement, un fonctionnaire est, pour l’application de l’article 30, regardé comme faisant l’objet de poursuites pénales lorsque l’action publique a été mise en mouvement à son encontre et ne s’est pas éteinte.

Deuxièmement, aux termes du premier alinéa de l’article 6 du Code de procédure pénale, l’action publique pour l’application de la peine s’éteint par la mort du prévenu, la prescription, l’amnistie, l’abrogation de la loi pénale et la chose jugée, qui n’est pas acquise lorsqu’un jugement pénal est frappé d’appel.

Troisièmement, et en conclusion, le fonctionnaire ayant interjeté appel d’un jugement pénal, il n’a pas permis l’extinction de l’action publique le concernant et ne peut se prévaloir d’une illégalité de son maintien en suspension et, de ce fait, du mal fondé de la retenue sur traitement opérée à son égard et objet de sa demande de provision.

Contentieux de PLU : absence d’incidence du caractère non exécutoire de la délibération de prescription sur la délibération d’approbation et opposabilité d’une ZPPAUP

Par une décision en date du 24 septembre dernier, le Conseil d’Etat a apporté des précisions sur l’invocabilité, à l’appui du recours dirigé contre un PLU, du moyen tiré du défaut d’accomplissement des modalités de publicité de la délibération ayant prescrit l’élaboration du document d’urbanisme et du moyen tiré de la méconnaissance d’une zone de protection du patrimoine architectural, urbain et paysager (ZPPAUP) par le PLU.

La commune de Pertuis a adopté son nouveau PLU par une délibération du 15 décembre 2015 après avoir prescrit sa révision générale par une délibération du 10 février 2010. Dans le cadre d’un premier pourvoi, la 10ème chambre jugeant seule a annulé l’arrêt du 17 juillet 2020 de la Cour administrative d’appel de Marseille, qui avait annulé ce PLU en tant qu’il classait en zone agricole des parcelles utilisées par une entreprise de travaux publics (CE, 4 mars 2021, n° 44508). L’arrêt de la Cour administrative d’appel de Marseille a, ensuite, fait l’objet d’un second pourvoi en tant qu’il rejette le surplus des conclusions d’annulation du PLU. Ce pourvoi a alors été porté devant la formation de chambres réunies du Conseil d’Etat.

Dans sa décision du 24 septembre 2021 (n° 444673), le Conseil d’Etat s’est ainsi prononcé, d’une part, sur l’incidence du caractère non exécutoire de la délibération prescrivant le PLU et d’autre part, sur l’invocabilité d’une méconnaissance d’une ZPPAUP par les autres documents du PLU.

  1. Le caractère inopérant du moyen tiré du défaut d’accomplissement des formalités de publicité de la délibération prescrivant l’élaboration, à l’appui d’un recours dirigé contre le PLU

Dans cette affaire, les requérants invoquaient l’inopposabilité de la délibération prescrivant le PLU et fixant les objectifs de la révision et les modalités de la concertation. Ils soutenaient, à ce titre, que la décision n’était pas exécutoire, faute d’avoir fait l’objet des mesures de publicité et d’information édictées à l’article R. 123-25 du Code de l’urbanisme alors applicable.

Statuant sur ce moyen, le Conseil d’Etat a jugé que, compte-tenu de l’objet et de la portée de la délibération prescrivant l’élaboration ou la révision du PLU et définissant les modalités de la concertation, l’accomplissement des formalités de publicité ne peut être utilement contesté à l’appui du recours pour excès de pouvoir formé contre la délibération approuvant ce PLU :

« […] Ainsi que le prévoit l’article L. 300-2 du Code de l’urbanisme, les irrégularités ayant affecté le déroulement de la concertation au regard des modalités définies par la délibération prescrivant l’élaboration ou la révision du document d’urbanisme sont invocables à l’occasion d’un recours contre le plan local d’urbanisme approuvé. Eu égard toutefois à l’objet et à la portée de la délibération prescrivant l’élaboration ou la révision du plan local d’urbanisme et définissant les modalités de la concertation, l’accomplissement des formalités de publicité conditionnant son entrée en vigueur ne peut être utilement contesté à l’appui du recours pour excès de pouvoir formé contre la délibération approuvant le plan local d’urbanisme. Par suite, la cour administrative d’appel n’a pas commis d’erreur de droit en jugeant que le moyen tiré de ce que, faute qu’il soit établi que les formalités de publicité requises aient été dûment accomplies, la délibération du 10 février 2010 prescrivant l’élaboration du plan local d’urbanisme de Pertuis n’aurait pas été exécutoire ne pouvait être utilement invoqué à l’encontre de la délibération du 15 décembre 2015 qui a approuvé le plan » (CE, 24 septembre 2021, n° 444673)

Cette jurisprudence s’inscrit dans la continuité de la décision du 5 mai 2017, Commune de Saint-Bon-Tarentaise (n° 388902), dans laquelle le Conseil d’Etat avait jugé que l’illégalité de cette délibération ne pouvait être utilement invoquée contre la délibération approuvant le PLU, tout en rappelant en revanche les irrégularités ayant affecté le déroulement de la concertation au regard des modalités définies par la délibération prescrivant la révision du document d’urbanisme demeuraient invocables. 

  1. Sur l’invocabilité de la méconnaissance d’une ZPPAUP par le PLU

Dans le cadre de leur pourvoi, les requérants reprochaient à la Cour administrative d’appel de Marseille, d’avoir jugé qu’ils ne pouvaient utilement se prévaloir de la méconnaissance des prescriptions de la ZPPAUP de Pertuis, alors qu’ils critiquaient la création des secteurs Ng (aménagements, travaux, ouvrages et installations liés au transport ferroviaire) et Nl (aménagement d’une zone de loisirs destinée à l’accueil des enfants dans un cadre scolaire et associatif).

Au soutien de leur moyen, les requérants faisaient valoir, d’une part, des mentions du diagnostic du schéma de cohérence territoriale (SCoT) du pays d’Aix-en-Provence, signalant l’utilité et la vulnérabilité des terres agricoles et des espaces boisés.

Sur ce point, le Conseil d’Etat a rappelé que les mentions du diagnostic sont dépourvues de portée prescriptive et que la compatibilité du PLU ne s’appréciait qu’au regard du document d’orientations et d’objectifs du SCoT.

D’autre part, les requérants reprochaient à la Cour de ne pas s’être prononcée sur la légalité de la délibération approuvant le PLU, au regard des dispositions de la ZPPAUP. Ils soutenaient, en effet, que les prescriptions des ZPPAUP s’imposaient aux documents d’urbanisme dans un rapport hiérarchique de légalité.

Sur ce point, après avoir rappelé que les ZPPAUP étaient annexées aux PLU comme servitudes d’utilité publique affectant l’utilisation du sol et étaient, par conséquent, opposables aux autorisations d’urbanisme, le Conseil d’Etat a jugé qu’elles n’étaient en revanche pas opposables aux PLU :

« 19. Si les requérants soutiennent que la Cour administrative d’appel aurait dû se prononcer sur la légalité de la délibération en litige au regard des dispositions de la zone de protection du patrimoine architectural, urbain et paysager, il ne résulte toutefois ni des dispositions rappelées au point 18, ni d’aucun autre texte ou principe, que les dispositions régissant une telle zone de protection seraient au nombre des règles au regard desquelles doit être appréciée la légalité du plan local d’urbanisme. Par suite, en jugeant que le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de la zone de protection ne pouvait pas être utilement soulevé à l’encontre de la délibération approuvant le plan local d’urbanisme, tout en rappelant que ces dispositions demeurent opposables aux autorisations d’urbanisme qui seront délivrées, la cour administrative d’appel n’a pas commis d’erreur de droit » (CE, 24 septembre 2021, n° 444673).

Tout contrôle n’est cependant pas exclu. En effet, dans ses conclusions, Monsieur Laurent Domingo, rapporteur public, rappelle qu’il convient de procéder à un contrôle des classements :

« D’une part, vous procédez, pour l’un et l’autre des classements, à un contrôle distinct de l’erreur manifeste d’appréciation et, pris isolément, le PLU peut être annulé parce qu’il prévoit un classement entaché d’une telle erreur au regard du caractère patrimonial des lieux. D’autre part, vous procédez aussi à un contrôle de la cohérence des classements, en vérifiant l’absence de contradiction entre deux classements (29 octobre 2013, M. Jeannin, n° 348682, aux Tables, pour un classement simultané en zone ND et espace boisé et en emplacement réservé pour la réalisation d’une aire de stationnement).  Vous ne vous placez alors pas dans un rapport de type « vertical », où le PLU serait soumis à un autre classement, ou l’inverse, vous raisonnez dans une optique « horizontale » en confrontant les deux classements pour rechercher s’ils se contredisent à tel point qu’ils sont inconciliables ». 

« Le Baiser » de Constantin Brancusi, monument historique au cimetière du Montparnasse

Faits : En 1910, les parents d’une jeune fille russe décédée dans des conditions tragiques, décident de placer sur sa tombe la sculpture funéraire « le Baiser » de Constantin Brancusi, inconnu à l’époque.

C’est près d’un siècle plus tard que les ayants-droits entreprennent d’exporter et de vendre la sculpture placée sur la tombe.

L’Etat a alors érigé l’ensemble de la tombe et de la sculpture intégrée au rang de trésor national et de monument historique sans l’accord des ayants-droits, conférant à l’ensemble une protection toute particulière.

C’est sur cette base que l’Etat s’est ainsi opposé à l’exportation de la sculpture.

Principe : Le Conseil d’Etat a confirmé que la sculpture funéraire, scellée sur la tombe, faisait partie intégrante des monuments historiques du pays.

Sur la qualification d’immeuble par nature :

« Un monument funéraire érigé sur un caveau servant de fondation, fût-il construit par un autre que le propriétaire du sol, doit être regardé globalement, avec tous les éléments qui lui ont été incorporés et qui composent l’édifice, comme un bâtiment, au sens et pour l’application de l’article 518 du Code civil ».

L’ensemble indivisible incluant la sculpture est donc considéré comme un immeuble par nature, ne nécessitant pas l’accord des ayants-droits pour l’ériger au rang de monument historique.

Il est intéressant de constater que le Conseil d’Etat retient l’intention d’incorporation au sens large, qu’elle existe au moment de la création de l’œuvre ou postérieurement, au moment de son implantation sur la tombe.

Sur la qualification de monument historique :

La tombe formant un tout indivisible avec la sculpture, l’intérêt historique et patrimonial de la sculpture seule justifie cette qualification pour son ensemble.

L’exercice du droit de propriété privée se voit ainsi limité par l’objectif d’intérêt général de conservation du patrimoine national.

Contrefaçon en matière de dessin et modèle : les contours précisés de la notion d’impression visuelle d’ensemble

Faits : La célèbre maison Lalique, commercialise depuis 2012 une gamme de verres à pied dénommée « 100 points », sur laquelle elle revendique des droits d’auteur.

Elle détient également un modèle pour ces verres.

C’est en constatant que la société Habitat commercialisait de son côté des verres aux ressemblances frappantes, que la société Lalique l’a assignée en contrefaçon de droits d’auteur et de modèle, et en concurrence déloyale.

Afin de retenir la contrefaçon, la Cour d’appel a considéré que la tige du verre commercialisé par la société Habitat reprenait les caractéristiques essentielles de celle composant le verre Lalique.

Principe : La Cour de cassation est venue censurer cette analyse en considérant qu’il n’était pas suffisant de constater les ressemblances des tiges :

 « Le juge doit rechercher si le modèle incriminé produit sur l’observateur ou utilisateur averti une impression visuelle globale différente ».

Il importait donc peu que les verres présentent en partie (pour le gobelet et le socle) une forme usuelle. Il convenait d’analyser l’impression visuelle globale des verres dans leur globalité.

Apport : Cet arrêt vient notamment détailler la portée des articles 10 du règlement n° 6/2002 du 12 décembre 2001 et L. 513-5 du Code de la propriété intellectuelle, sur la protection conférée par l’enregistrement d’un dessin ou modèle.

L’impression visuelle d’ensemble doit ainsi être appréciée face au modèle enregistré dans son ensemble, même si certaines parties peuvent être considérées comme usuelles.