Articulation entre construction illégale et refus de raccordement au réseau de distribution d’électricité

Le maire d’une commune peut-il s’opposer au raccordement définitif au réseau de distribution d’électricité d’une construction irrégulière ?

Par un jugement en date du 6 décembre 2022, le Tribunal administratif de Toulon a rejeté le recours dirigé contre le refus du Maire de la commune de La Garde de raccorder une parcelle sur laquelle était édifiée une construction illégale au réseau électrique.

Faisant une application littérale de l’article L. 111-12 du Code de l’urbanisme, et conforme à la jurisprudence du Conseil d’Etat, le Tribunal administratif de Toulon a jugé que le Maire pouvait sur ce fondement s’opposer au raccordement au réseau de distribution d’électricité d’une construction irrégulière.

Le maire exerce la police de l’urbanisme sur le territoire de sa commune. Outre la possibilité d’accorder ou de refuser des autorisations d’urbanisme, il peut également s’opposer au raccordement définitif au réseau de distribution d’électricité d’une construction lorsque celle-ci n’a pas été autorisée ou agréée. Aux termes de l’article L. 111-12 du Code de l’urbanisme en effet : « les bâtiments, locaux ou installations soumis aux dispositions des articles L. 421-1 à L. 421-4 ou L. 510-1, ne peuvent, nonobstant toutes clauses contractuelles contraires, être raccordés définitivement aux réseaux d’électricité, d’eau, de gaz ou de téléphone si leur construction ou leur transformation n’a pas été, selon le cas, autorisée ou agréée en vertu de ces dispositions ».

Le Tribunal administratif doit alors déterminer : « si la construction dont le raccordement aux réseaux est demandé peut être regardée, compte tenu de la date de son édification et des exigences applicables à cette date en matière d’autorisation de construire, comme ayant été régulièrement édifiée. » (TA Toulon, 6 décembre 2022, n° 2000138).

En l’espèce, la construction édifiée sur la parcelle ne correspondait ni à celle présentée dans le permis de construire obtenu le 28 juin 1967, ni à l’acte de vente ultérieur. Ces deux documents faisaient état respectivement d’un abri agricole et d’un cabanon. Or, les constatations de la commune, qui n’étaient pas remises en cause par le requérant, décrivaient un bâtiment à usage d’habitation. En outre, de multiples travaux (toiture, huisseries) avaient été réalisés sans autorisation.

La construction telle qu’elle apparaissait à la date de la demande de raccordement n’avait donc été ni autorisée, ni agréée par l’autorité compétente. Dès lors, ladite demande de raccordement pouvait être légalement refusée pour ce motif.

Le Tribunal rappelle toutefois que « l’autorité compétente ne tient d’aucun texte le pouvoir de refuser le raccordement au réseau d’électricité de tous les terrains non constructibles. » et relève l’illégalité de la décision initiale du maire fondée sur ce motif. Le maire avait en effet fondé sa décision de refus sur la localisation du terrain en zone non constructible. La juridiction fait cependant droit à la demande de substitution de motif de la commune justifiant la décision par l’irrégularité de la construction.

La solution retenue par ce jugement s’inscrit dans la droite ligne des décisions rendues par le Conseil d’Etat et les Cours administratives d’appel en la matière (voir en ce sens : CE, 13 janvier 2017, n° 392638 ; CAA Bordeaux 23 juin 2022, n° 21BX00262 ; CAA Douai 12 avril 2022, n° 20DA01972).

Dérogations espèces protégées : quand et comment sont-elles délivrées ?

CE, 28 décembre 2022, Fédération pour les espaces naturels et l’environnement des Pyrénées-Orientales et autre, n° 449658

Par un avis contentieux très attendu en date du 9 décembre 2022, le Conseil d’Etat a apporté d’utiles précisions sur les contours de l’obligation de solliciter une « dérogation espèces protégées » et sur les modalités de son octroi.

A titre préalable, on précisera qu’il ressort des textes que lorsque les nécessités de préservation du patrimoine naturel justifient la conservation d’espèces animales non domestiques, l’article L. 411-1 du Code de l’environnement interdit la destruction, la perturbation intentionnelle, la dégradation ou l’altération des espèces de flore et de faune sauvages protégées ou leur habitat. L’article L. 411-2, 4° du Code de l’environnement prévoit néanmoins que l’autorité administrative compétente peut délivrer des dérogations à ces interdictions, dans cinq hypothèses limitativement énumérées et notamment pour des « raisons impératives d’intérêt public majeur, y compris de nature sociale ou économique ». Cette dérogation ne peut toutefois être octroyée que s’il n’existe pas d’autre solution satisfaisante et si la dérogation ne nuit pas au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle.

L’avis contentieux ici présenté avait été sollicité par la Cour administrative d’appel de Douai dans le cadre d’un litige dirigé contre un arrêté préfectoral autorisant la construction et l’exploitation d’un parc éolien (CAA de Douai, 27 avril 2022, Association Sud Artois pour la protection de l’environnement, n° 20DA01392, voir notre article rédigé sur cette décision). L’association Sud Artois pour la protection de l’environnement reprochait alors notamment au pétitionnaire du projet de ne pas avoir sollicité, ni obtenu, de dérogation espèces protégées auprès de l’autorité administrative alors que l’étude d’impact de son projet révélait que plusieurs espèces protégées de chiroptères et d’oiseaux seraient affectées et que tout risque de destruction de ces spécimens ne serait pas exclu malgré les mesures d’identification et de protection des nids ainsi que de bridage de l’aérogénérateur prévues par le pétitionnaire.

La CAA de Douai a alors interrogé le Conseil d’Etat sur :

  • D’une part, le seuil de déclenchement de l’obligation de solliciter une dérogation espèces protégées et plus précisément sur le point de savoir s’il suffit, pour que cette obligation soit applicable, que le projet en cause soit susceptible d’affecter un seul spécimen d’une espèce protégée, ou s’il faut qu’une part significative de ces spécimens le soit, en tenant compte notamment de leur nombre et du régime de protection qui leur est applicable ;
  • D’autre part, sur la question de la prise en compte, pour apprécier ce seuil, par l’autorité administrative de la probabilité de réalisation du risque d’atteinte à ces espèces ou des effets prévisibles des mesures proposées par le pétitionnaire tendant à éviter, réduire ou compenser les incidences du projet.

Cette demande d’avis s’inscrit dans un contexte de contentieux accru sur la question des dérogations espèces protégées, le rapporteur public N. Agnoux soulignant à cet égard au sein de ses conclusions que cette évolution du nombre de ces contentieux pourrait être en lien avec l’attention croissante portée aux enjeux de biodiversité en raison des pressions plus importantes exercées sur la conservation des espèces (artificialisation des sols, pesticides, changements climatiques…), (conclusions du rapporteur public présentées sous l’avis contentieux examiné).

Le Conseil d’Etat s’est donc prononcé par un avis du 9 décembre 2022 sur les interrogations de la CAA de Douai, en précisant le seuil de déclenchement de l’obligation d’obtenir une dérogation espèces protégées (I). Dans cet avis, le Conseil d’Etat a également traité des conditions de délivrance de ces dérogations, celles-ci ayant en outre récemment connu d’autres évolutions jurisprudentielles et législatives (II).

I. Sur le seuil de déclenchement de l’obligation d’obtenir une dérogation espèces protégées

Le Conseil d’Etat définit deux niveaux de questionnements qui doivent être posés par le pétitionnaire pour déterminer s’il doit obtenir une dérogation espèces protégées.

Dans un premier temps, le Conseil d’Etat indique que le pétitionnaire doit se poser la question de la nécessité de solliciter ou non une dérogation espèces protégées dès lors que des spécimens de l’espèce concernée sont présents dans la zone du projet. Le Conseil d’Etat précise à cet égard que l’applicabilité du régime de protection ne dépend à ce stade ni du nombre de spécimens présents, ni de l’état de conservation des espèces protégées afférentes. Dit autrement, la question du dépôt d’une demande de dérogation espèces protégées doit être posée si au moins un spécimen d’une espèce protégée est présent sur la zone du projet.

Dans un second temps, et si un spécimen d’une espèce protégée est bien présent, l’obtention d’une dérogation n’est pas toujours indispensable, le Conseil d’Etat posant comme condition l’existence d’un risque suffisant sur les espèces protégées, causé par le projet en cause. Ainsi, l’obtention de cette dérogation n’est imposée que si le risque est « suffisamment caractérisé ». Cette condition est donc appréciée de manière casuistique et les mêmes critères objectifs ne pourraient être appliqués à tout projet et à toute espèce. Il appartient donc au pétitionnaire, sous le contrôle des services de l’Etat, de déterminer si son projet présente un risque suffisamment caractérisé pour l’espèce ou les espèces protégées présentes sur le site pour déterminer s’il doit solliciter une demande de dérogation.

Le Conseil d’Etat précise également les modalités d’appréciation de ce risque, et indique que doivent être prises en compte « les mesures d’évitement et de réduction des atteintes portées aux espèces protégées proposées par le pétitionnaire ». Ainsi, si ces mesures présentent des garanties d’effectivité suffisantes et permettent de réduire le risque porté par le projet sur les espèces protégées identifiées lors de l’étape précédente, de sorte que celui-ci ne serait, au final, pas « suffisamment caractérisé », la sollicitation d’une dérogation espèces protégées n’est pas nécessaire. On soulignera que le Conseil d’Etat ne mentionne pas à ce stade que les mesures de compensation doivent être prises en compte, mais seulement celles d’évitement et de réduction. En effet, comme l’indiquait le rapporteur public au sein de ses conclusions, par principe les mesures de compensation interviennent après qu’ait été affecté un spécimen ou un habitat et celles-ci ne peuvent donc dispenser le pétitionnaire d’obtenir une dérogation.

L’avis du Conseil d’Etat, en posant ces principes, s’écarte donc de la proposition faite par le rapporteur public de prendre en compte la finalité du projet pour déterminer la nécessité d’obtenir une dérogation.

Si ces précisions sur le seuil de déclenchement de l’obligation d’obtenir une dérogation espèces protégées sont les bienvenues, il ne fait pas de doute que l’examen de ces deux conditions suscitera de nouveaux débats dans le cadre des contentieux sur les dérogations espèces protégées, et particulièrement s’agissant de la seconde étape au regard de la marge d’appréciation qu’elle octroie à l’autorité administrative pour déterminer si un projet représente ou non un risque suffisamment caractérisé pour des espèces protégées.

Par ailleurs, on indiquera que plusieurs décisions de Cours administratives d’appel et Tribunaux administratifs ont déjà appliqué le considérant de principe de cet avis contentieux (voir notamment CAA Lyon, 20 décembre 2022, Association Chazelle-l’Écho Environnement et autres, n° 20LY00753 et CAA Lyon, 15 décembre 2022, Association pour la défense du patrimoine et du paysage de la vallée de la Vingeanne et autre, n° 21LY00407 pour des décisions considérant que l’octroi d’une dérogation n’est pas nécessaire, et CAA Bordeaux, 22 décembre 2022, Commune de Sainte-Livrade-sur-Lot, n° 20BX03058 et TA Grenoble, 20 décembre 2022, Confédération paysanne de Haute-Savoie et autre, n° 2002745 pour des décisions considérant que l’obligation d’obtenir une dérogation était applicable).

II. Sur les conditions d’octroi de la dérogation espèces protégées

Le Conseil d’Etat se prononce ensuite sur les conditions d’octroi de la dérogation espèces protégées par l’autorité administrative, bien que cette question n’ait pas été soulevée par la CAA de Douai dans sa saisine.

Il rappelle à cet égard sa jurisprudence existante, qui avait déjà identifié les trois conditions « distinctes et cumulatives » suivantes, déjà évoquées ci-avant (voir notamment CE, 25 mai 2018, Société PCE et autre, n° 413267 et CE, 24 juillet 2019, Société PCE et autre, n° 414353) :

  • Qu’il n’existe pas de solution alternative satisfaisante ;
  • Que la dérogation ne nuise pas au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle ;
  • Que la dérogation soit justifiée par l’un des cinq motifs limitativement énumérés par l’article L. 411-2, 4° du Code de l’environnement, ainsi définis :
  • l’intérêt de la protection de la faune et de la flore sauvages et de la conservation des habitats naturels ;
  • la prévention des dommages importants notamment aux cultures, à l’élevage, aux forêts, aux pêcheries, aux eaux et à d’autres formes de propriété ;
  • l’intérêt de la santé et de la sécurité publiques ou pour d’autres raisons impératives d’intérêt public majeur, y compris de nature sociale ou économique, et pour des motifs qui comporteraient des conséquences bénéfiques primordiales pour l’environnement ;
  • pour des fins de recherche et d’éducation, de repeuplement et de réintroduction de ces espèces et pour des opérations de reproduction nécessaires à ces fins, y compris la propagation artificielle des plantes ;
  • pour permettre, dans des conditions strictement contrôlées, d’une manière sélective et dans une mesure limitée, la prise ou la détention d’un nombre limité et spécifié de certains spécimens.

Le Conseil d’Etat précise enfin dans son avis ici examiné que l’autorité administrative doit apprécier l’ensemble de ces aspects, « parmi lesquels figurent les atteintes que le projet est susceptible de porter aux espèces protégées, compte tenu, notamment, des mesures d’évitement, réduction et compensation proposées par le pétitionnaire, et de l’état de conservation des espèces concernées ». Les mesures de compensation, si elles ne peuvent être prises en compte par le pétitionnaire pour déterminer s’il doit ou non solliciter la demande de dérogation, font en revanche partie des critères d’appréciation retenus par l’administration au stade de la délivrance de la dérogation.

Plusieurs autres éléments d’actualité doivent encore être évoqués s’agissant de ces trois conditions.

Tout d’abord, il est intéressant de relever que le considérant de principe issu de l’avis du 9 décembre 2022 a été repris in extenso dans un arrêt du Conseil d’Etat en date du 28 décembre 2022.

Dans cet arrêt, le juge a en outre ajouté que « pour apprécier si le projet ne nuit pas au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle, il appartient à l’autorité administrative, sous le contrôle du juge, de déterminer, dans un premier temps, l’état de conservation des populations des espèces concernées et, dans un deuxième temps, les impacts géographiques et démographiques que les dérogations envisagées sont susceptibles de produire sur celui-ci » (CE, 28 décembre 2022, Fédération pour les espaces naturels et l’environnement des Pyrénées-Orientales et autre, n° 449658). Ainsi, outre les règles issues de l’avis du Conseil d’Etat du 9 décembre 2022, de nouveaux principes semblent imposés par le juge à l’administration qui, pour apprécier le respect de la deuxième condition de mise en œuvre de la dérogation, doit :

  • en premier lieu déterminer l’état de conservation des espèces concernées par la dérogation ;
  • puis, en second lieu, déterminer les impacts géographiques et démographiques que les dérogations envisagées sont susceptibles de produire sur cet état de conservation.

En outre, s’agissant de la troisième condition et plus précisément de la caractérisation de l’existence d’une raison impérieuse d’intérêt public majeur pouvant justifier l’octroi d’une dérogation espèces protégées, une présomption légale d’existence d’une telle raison pourrait être prochainement instaurée pour certains projets. Ce point est en effet actuellement en discussion devant le Parlement dans le cadre de l’adoption du projet de loi relatif à l’accélération de la production d’énergies renouvelables, dont l’article 4 prévoit à ce stade (c’est-à-dire après le vote en première lecture de l’Assemblée nationale) d’introduire un article L. 211-2-1 au sein du Code de l’énergie, aux termes duquel :

« Les projets d’installations de production d’énergie renouvelable ou de stockage d’énergie, de gaz bascarbone, au sens de l’article L. 4471 ou d’hydrogène renouvelable ou bascarbones mentionnés à l’article L. 8111, y compris leurs ouvrages de raccordement aux réseaux de transport et de distribution d’énergie, sont réputés répondre à une raison impérative d’intérêt public majeur, au sens du c du 4° du I de l’article L. 4112 du code de l’environnement ».

L’instauration de cette présomption est toutefois critiquée et celle-ci avait été supprimée lors de son examen en commission par l’Assemblée nationale.

Une présomption est toutefois déjà reconnue, à titre temporaire et depuis peu, par l’article 3 du règlement (UE) 2022/2577 du Conseil du 22 décembre 2022 établissant un cadre en vue d’accélérer le déploiement des énergies renouvelables, qui indique que « la planification, la construction et l’exploitation d’installations de production d’énergie à partir de sources renouvelables, le raccordement de ces installations au réseau, le réseau connexe proprement dit, ainsi que les actifs de stockage, sont présumés relever de l’intérêt public supérieur et de l’intérêt de la santé et de la sécurité publiques lors de la mise en balance des intérêts juridiques » dans le cadre notamment de l’octroi d’une dérogation espèces protégées. Et s’il est également prévu que ces opérations « soient prioritaires lors de la mise en balance des intérêts juridiques dans chaque cas », cette priorisation n’est toutefois applicable pour les dérogations espèces protégées que « si et dans la mesure où des mesures appropriées de conservation des espèces contribuant au maintien ou au rétablissement des populations d’espèces dans un état de conservation favorable sont prises et des ressources financières suffisantes ainsi que des espaces sont mis à disposition à cette fin ». Ce règlement est toutefois temporaire, et ne sera ainsi applicable que durant 18 mois à compter du 30 décembre 2022.

 

Clémence du ROSTU et Julie CAZOU

Le nouveau dispositif de la présomption de démission en cas d’abandon de poste est jugé conforme à la Constitution par le Conseil constitutionnel

Le Conseil des sages a jugé par sa Décision n° 2022-844 DC en date du 15 décembre 2022 conforme au bloc de constitutionnalité les dispositions de la loi portant mesures d’urgence relatives au fonctionnement du marché du travail en vue du plein emploi (dite également loi « Marché du travail ») qui lui ont été déférées.[1]

Parmi ces dispositions, l’une des mesures phares de la loi portait sur la présomption de démission en cas d’abandon de poste, qui entrera prochainement en application, après l’adoption du décret afférent.

La décision du Conseil constitutionnel est l’occasion de présenter ce nouveau mode de rupture du contrat de travail.

I. Présentation de la « présomption de démission »

La présomption de démission est un dispositif que l’article 4 de la loi Marché du travail prévoit d’insérer en ces termes dans le Code du travail :

« Art. L. 1237‑1‑1. – Le salarié qui a abandonné volontairement son poste et ne reprend pas le travail après avoir été mis en demeure de justifier son absence et de reprendre son poste, par lettre recommandée ou par lettre remise en main propre contre décharge, dans le délai fixé par l’employeur, est présumé avoir démissionné à l’expiration de ce délai.

[…]

Le délai prévu au premier alinéa ne peut être inférieur à un minimum fixé par décret en Conseil d’État. Ce décret détermine les modalités d’application du présent article » .

Une exégèse rapide du texte permet de constater qu’une démission du salarié peut être présumée aux conditions cumulatives suivantes :

  • le salarié abandonne volontairement son poste de travail ;
  • le salarié est mis en demeure par l’employeur de justifier son absence et de reprendre son poste dans un délai minimum fixé par un décret à intervenir ;
  • la mise en demeure est formalisée par lettre recommandée ou par lettre remise en main propre contre décharge.

Ainsi, ce n’est qu’à l’expiration du délai d’une mise en demeure de reprendre son poste et de justifier son absence qu’un salarié ayant abandonné volontairement, son poste pourra être présumé démissionnaire par son employeur.

Il s’agira d’une présomption simple de démission, ce qui signifie qu’elle qui pourra donc être renversée par une preuve contraire.

Cette présomption ne sera applicable que pour les contrats à durée indéterminée et ne devrait pas s’appliquer aux cas où le salarié quitte légitimement son poste (droit de grève, droit de retrait, etc.).

De nombreuses critiques sont apparues à l’égard de ces dispositions en énonçant notamment, et à juste titre, que la Cour de cassation avait jugé, à plusieurs reprises que la démission ne pouvait résulter que d’une volonté claire et non équivoque du salarié.

Sur le plan juridique, la Haute Cour avait, ainsi, jugé que lorsque le salarié quittait son poste, le défaut de réponse à une demande de justification d’absence ne caractérisait pas une volonté non équivoque de démissionner.[2]

Cette jurisprudence ne sera donc plus d’actualité, ce qui n’est pas sans risque pour l’employeur qui disposera de deux options dans cette situation entre recourir à la présomption de démission ou licencier le salarié pour abandon de poste.

Rappelons, en effet, que la Cour de cassation permet à l’employeur de licencier, pour motif disciplinaire, un salarié qui a abandonné son poste après l’avoir mis en demeure de justifier son absence et de reprendre son travail… [3]

Le texte sur la présomption de démission poursuit en énonçant :

« Le salarié qui conteste la rupture de son contrat de travail sur le fondement de cette présomption peut saisir le conseil de prud’hommes. L’affaire est directement portée devant le bureau de jugement, qui se prononce sur la nature de la rupture et les conséquences associées. Il statue au fond dans un délai d’un mois à compter de sa saisine ».

Il ressort de ces termes que le salarié disposera d’une voie de recours devant le Conseil de Prud’hommes, qui devra statuer dans un délai d’un mois à compter de sa saisine.

Ce délai d’un mois correspond à celui dont dispose la juridiction pour statuer de la prise d’acte de la rupture du contrat de travail. Or, la prise d’acte permet à un salarié de quitter son emploi en raison de manquement qu’il pense pouvoir imputer à son employeur.

A la lecture du texte, on ne peut donc que constater des risques de confusion entre la simple volonté du salarié de saisir les juridictions pour prouver une absence de volonté de démissionner et la volonté de faire valoir des demandes au titre de la prise d’acte de la rupture de son contrat de travail.

Il reste, donc, à savoir comment sera traité cette source de contentieux potentielle par des juridictions déjà fortement encombrées …

Par ailleurs, l’option laissée à l’employeur entre les deux modes de ruptures revient à lui laisser le choix d’accorder ou de priver son salarié des éventuelles allocations chômages à la charge d’un tier : le Pôle Emploi.

Ce dessein plus de politique sociale que de gestion des ressources humaines aurait pû être reporté sur le Pôle Emploi au moment de son analyse de l’ouverture des droits au chômage du salarié. L’administration aurait ainsi pu déterminer si l’abandon de poste relève ou non d’une perte volontaire de l’emploi du salarié.

L’employeur pourrait décider de privilégier la procédure de licenciement pour faute grave lié à l’abandon de poste qui est privative des indemnités de licenciement et de préavis à sa charge sans être à l’origine de la privation des allocations chômages et ce, afin d’éviter un risque de contentieux accru.

II. La décision du Conseil constitutionnel

Dans le prolongement de l’adoption de la loi Marché du travail, le Conseil constitutionnel a été saisi par plus de 60 députés de questions relatives à la conformité de la présomption de démission au bloc de constitutionnalité.

Parmi les critiques formulés contre ce dispositif à cette occasion, les requérants faisaient valoir qu’en assimilant « l’abandon de poste à une démission, ces dispositions privaient du bénéfice du régime d’assurance chômage des personnes conduites à abandonner leur poste pour des motifs indépendants de leur volonté. Il en résultait, selon les requérants, une méconnaissance du onzième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 ».[4]

Le Conseil constitutionnel n’a pas suivi l’argumentation des requérants.

Il, a en effet constaté, que, certes, le dispositif de la présomption de démission pouvait porter atteinte au droit à l’allocation chômage, et, dans le prolongement, du droit d’obtenir un emploi prévu par l’alinéa 5 du préambule de la constitution de 1946 et contrevenir à l’alinéa 11 précité.

Cependant, le Conseil a constaté que ce dispositif ne s’appliquerait pas dans les hypothèses de droit de retrait, de prise d’acte ou de grève dont dispose le salarié ou, encore, dans l’hypothèse du refus d’exécuter une instruction contraire à la règlementation ou du refus d’accepter une modification unilatérale de son contrat de travail…

Il a également relevé que le salarié ne pourra être réputé démissionnaire qu’après avoir été mis en demeure par l’employeur de justifier de son absence et de reprendre son poste dans un délai minimum fixé par décret et qu’il disposait d’un recours juridictionnel et pouvait renverser cette présomption simple démission.

Compte tenu de ces garanties, le Conseil constitutionnel a jugé le dispositif sur la présomption de démission conforme à la constitution et a précisé, au demeurant, que les dispositions contestées n’instituaient par elles-mêmes aucune différence de traitement ni ne méconnaissent pas le principe d’égalité devant la loi.

 

[1] https://www.conseil-constitutionnel.fr/decision/2022/2022844DC.htm

[2] Cass. Soc., 17 mars 1994, no 90-42.045

[3] Cass. Soc., 13 janv. 2004, no 01-46.592

[4] L’alinéa 11 du préambule de la constitution de 1946 énonce notamment : Tout être humain qui, en raison de son âge, de son état physique ou mental, de la situation économique, se trouve dans l’incapacité de travailler a le droit d’obtenir de la collectivité des moyens convenables d’existence. 

Vente immobilière : l’appréciation du devoir de mise en garde de l’établissement bancaire prêteur

Dans le cadre d’un achat immobilier, l’établissement bancaire prêteur de deniers peut voir sa responsabilité engagée au titre de son devoir de mise en garde lorsque l’emprunteur devient défaillant.

Un tel manquement est retenu si :

  • L’emprunteur est non averti et de bonne foi ;
  • Le prêt n’est pas adapté aux capacités financières de l’emprunteur.

La question se pose alors de savoir comment sont appréciées lesdites capacités financières. Dans un arrêt en date du 9 novembre 2022, la Cour de cassation a précisément statué sur la question de savoir si l’immeuble financé par le prêt litigieux devait être pris en compte pour évaluer les capacités financières de l’emprunteur et le risque d’endettement. (Cass. Civ., 1ère, 9 novembre 2022, n° 21-16.846).

Dans cette affaire, un emprunt avait été consenti par une banque à une personne physique en vue de l’acquisition d’un bien immobilier destiné à devenir sa résidence principale. L’emprunteur étant défaillant, l’établissement bancaire a prononcé la déchéance du terme. Puis assignant l’emprunteur, elle demande sa condamnation en paiement, ce dernier en profite pour engager la responsabilité de l’établissement bancaire pour violation du devoir de mise en garde.

La Cour d’appel condamne la banque, estimant que la valeur du bien immobilier financée par le prêt ne devait pas être prise en compte pour apprécier les capacités financières de l’emprunteur. Pour ce faire elle relève que cet immeuble était destiné à devenir la résidence principale de l’emprunteur et qu’il ne s’agissait pas d’un immeuble de rapport.  Elle indique « il n’y a pas lieu de tenir compte de la valeur de la résidence principale faisant l’objet du prêt, dès lors que le financement accordé était destiné à lui permettre d’accéder à la propriété de façon pérenne, et non d’investir avec le projet de revendre l’immeuble et de rembourser le prêt par anticipation ».

L’établissement bancaire saisit la Cour de cassation. Il reproche à l’arrêt de faire une distinction selon la destination de l’immeuble en violation de l’article 1147 du Code civil (le contrat étant antérieur à l’application de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016.

La Cour de cassation va également dans le sens de l’unification et n’opère aucune distinction selon l’usage pour lequel l’immeuble est acquis. Elle casse annule et renvoi au motif que « en statuant ainsi, sans prendre en compte la valeur du bien immobilier financé par l’emprunt, sous déduction du montant de la dette au jour de la conclusion du contrat, la cour d’appel a violé le texte susvisé ».

En conséquence on retiendra que la Cour de cassation rappelle que l’immeuble financé grâce au prêt entre dans le calcul des capacités financières de l’emprunteur. Le défaut de mise en garde du prêteur de deniers, devra donc être invoqué avec prudence, les capacités financières de l’emprunteur étant nécessairement accrues du fait de cette acquisition, même si le bien n’est pas encore entré dans son patrimoine.

La Cour précise toutefois « sous déduction de la dette au jour de la conclusion du prêt ». La proportion de la somme empruntée par rapport à la valeur du bien, revêt donc une grande importance qui nuance la première partie de cette motivation.

La règle du non-cumul de responsabilité mise à rude épreuve dans une affaire de contrefaçon de logiciel

C’est sans remettre en question la règle de non-cumul des responsabilités contractuelle et délictuelle que la Cour de cassation a jugé qu’un titulaire de droits d’auteur pouvait engager une action en contrefaçon lorsqu’il ne bénéficiait pas des garanties liées à la responsabilité contractuelle.

I. Faits et procédure

Le 5 octobre dernier, la Cour de cassation s’est finalement positionnée sur la recevabilité à agir en matière de contrefaçon en cas de violation de droits d’auteur d’un logiciel, et par la même occasion, sur la règle du non-cumul de responsabilité.

En l’espèce, la société Entr’Ouvert a conçu un logiciel dénommé « Lasso » permettant la mise en place d’un système d’authentification unique permettant à l’internaute de ne s’identifier qu’une seule fois pour accéder à plusieurs services et sites en ligne. Ce logiciel était diffusé à la fois sous licence libre et payante.

Dans le cadre de l’appel d’offre pour la réalisation du portail « Mon Service Public » de l’Etat, la société Orange a fourni une solution informatique intégrant le logiciel conçu par la société Entr’Ouvert.

Considérant que l’intégration de son logiciel violait les clauses du contrat de sa licence libre, la société Entr’Ouvert a assigné la société Orange en contrefaçon de droits d’auteur et parasitisme.

Les juges de première instance, dans un arrêt rendu le 21 juin 2019, a déclaré la société EntrOuvert irrecevable à agir sur le fondement délictuel de la contrefaçon, rejetant également sa demande au titre du parasitisme.

Par un arrêt en date du 19 mars 2021, la Cour d’appel a confirmé le jugement de première instance en ce qu’il a débouté la société demanderesse de sa demande en matière de contrefaçon.

En effet, elle a considéré que dès lors que le fait générateur de l’atteinte aux droits d’auteur résultait d’un manquement contractuel, seule l’action en responsabilité contractuelle était recevable par application du principe de non-cumul des responsabilités.

Cependant, elle a infirmé le jugement de première instance en ce qu’il n’a pas retenu le parasitisme, considérant que le logiciel Lasso modifié par la société Orange lui a bien procuré l’avantage de pouvoir répondre à l’appel d’offre de l’Etat en respectant les prérequis demandés, qui a de ce fait été condamnée à payer 500.000 euros au titre du parasitisme.

II. Décision et raisonnement de la Cour de cassation

Le 5 octobre dernier, la Cour de cassation a adopté une analyse différente de la Cour d’appel par rapport à la jurisprudence européenne, aux termes de laquelle le titulaire devait pouvoir bénéficier des garanties prévues par les directives européennes relatives au droit d’auteur, et ce indépendamment du régime de responsabilité applicable selon le droit national[1].

Si la Cour d’appel en a déduit que la Cour de Justice de l’Union européenne ne remettait pas en cause le principe du non-cumul des responsabilité délictuelle et contractuelle, et que par conséquent seule une action en responsabilité contractuelle était recevable en l’espèce, la Cour de cassation a adopté une analyse bien plus favorable aux auteurs de logiciels :

Ainsi, et sans que la règle du non-cumul de responsabilité ne soit affectée, la Cour de cassation a cassé la décision et considéré que dans le cadre d’une atteinte portée à ses droits d’auteur, le titulaire, lorsqu’il ne bénéficie pas de la protection nécessaire sur le fondement de la responsabilité contractuelle, peut agir en contrefaçon sur le terrain délictuel.

La jurisprudence qui considérait traditionnellement que la contrefaçon ressortait de la responsabilité délictuelle, vient ici élargir le champ de l’action en contrefaçon, à un cas cette fois de violation d’un contrat de licence de logiciel.

 

[1] CJUE, arrêt du 18 décembre 2019, C-666/18

L’artiste anonyme malgré tout protégé par le droit d’auteur

L’artiste BANKSY, artiste notoirement connu pour ses œuvres de street art, aujourd’hui présentes dans le monde entier et dont l’identité est pourtant toujours secrète, a récemment accusé sur les réseaux sociaux la marque de vêtements de prêt à porter « GUESS » d’avoir utilisé certaines de ses œuvres sans son accord, en les reproduisant sur leurs vêtements et ses vitrines. A été notamment été constaté en vitrine de l’une des boutiques londoniennes de la marque GUESS située sur Regent Street, une affiche de la célèbre œuvre de BANSKY « Love is in the Air (Flower Thrower) » créée il y a presque 20 ans dans les rues de Jérusalem.

En l’espèce, BANKSY est un artiste qui se prévaut de certaines valeurs, s’opposant notamment au merchandising et dénonçant la société de consommation à travers certaines de ses œuvres.

La protection par le droit d’auteur pour les œuvres anonymes s’étend à 70 ans à compter du 1er janvier de l’année suivant celle de publication de l’œuvre (article L123-3 du Code de propriété intellectuelle).

Ainsi, même si son identité est restée anonyme, l’artiste bénéficie de droits d’auteur sur ses œuvres et peut engager une action en contrefaçon lorsqu’elles sont reproduites sans son autorisation, et ce à travers un représentant pour conserver son anonymat, sauf à ce qu’il ait cédé ses droits d’auteur sur les œuvres reproduites.

Des dommages et intérêts peuvent être octroyés en faveur de l’auteur à la fois pour atteinte à ses droits patrimoniaux qui permettent d’exploiter l’œuvre, et pour atteinte au droit moral de l’auteur qui permet de protéger l’intégrité de l’œuvre.

En cas de reproduction d’une œuvre sur n’importe quel support que ce soit, il convient ainsi de s’assurer de disposer de l’accord de l’auteur, ou bien d’être en possession des droits d’auteur à travers une cession qui ne peut être implicite. En effet, le droit français impose un formalisme strict, et les droits d’auteur cédés doivent être détaillés.

A ce titre, la jurisprudence a déjà reconnu le bien-fondé d’une action en contrefaçon de droits d’auteur d’un artiste, qui n’avait pas donné son autorisation écrite pour l’utilisation de ses dessins reproduits par une société de textile sur divers produits (rideaux et sous-vêtements)[1].

 

[1] Tribunal de grande instance de Paris, 3e ch, 26 mai 1988

Sur la nature du préjudice subi par les victimes de loteries publicitaires

La loi n° 31-08, édictant des mesures de protection du consommateur, y compris la protection du consommateur en ligne, définit la loterie publicitaire comme étant « toute opération proposée au public par le fournisseur, sous quelque dénomination que ce soit, qui tend à faire naître l’espérance d’un gain par le consommateur, quelles que soient les modalités de tirage au sort ».

Un tel comportement, constitutif d’une pratique commercial trompeuse, est prohibé conformément à l’article L.121-20 du Code de la consommation.

En l’espèce, plusieurs consommateurs ont déposé plainte, s’estimant trompés par une société qui leur avait fait « miroiter des gains de loterie inexistants dans le cadre de publipostages ».

La société et sa présidente étaient déclarées coupables de pratiques commerciales trompeuses, et ont été condamnées à payer solidairement des sommes à quatre parties civiles, en réparation de leurs préjudices matériels ou moraux.

Les prévenues relevaient appel de cette décision, et la Cour d’appel confirmait le jugement rendu en première instance en ses dispositions civiles.

Dans ces conditions, la société et sa présidence formaient un pourvoi en cassation, considérant qu’en les condamnant à payer aux parties civiles, au titre de leur préjudice matériel, le montant des gains promis par les jeux dont elles avaient été destinataires, «  la cour d’appel, qui s’est placée sur le terrain quasi-contractuel pour fixer le montant de l’indemnisation, a méconnu la nature délictuelle de l’action civile, et a violé les articles 2,3 du code de procédure pénale et 1240 du code civil ».

Les demanderesses au pourvoi soulignaient par ailleurs que la réparation du préjudice causé par une infraction ne devait apporter à la victime ni perte ni profit.

Ainsi, en les condamnant au versement de la somme de 52.895,24 euros, en réparation du préjudice matériel d’un consommateur, correspondant au montant des gains promis et des commandes passés par lui, la Cour d’appel n’aurait pas fait une juste application des articles 2,3 du Code de procédure pénale, et de l’article 1240 du Code civil.

Sur le premier moyen soulevé, la Cour de cassation est venue adopter l’argumentation des demandeurs, en rejetant l’analyse de la Cour d’appel, qui avait jugé que les loteries publicitaires devaient être assimilées à des quasi-contrats.

En effet, la Chambre criminelle a considéré que « l’absence de perception des gains promis n’est de nature à constituer par la déception qu’elle engendre, sur le fondement de la responsabilité délictuelle, qu’un préjudice moral ».

Sur le second moyen, la Cour de cassation cassait l’arrêt rendu par la Cour d’appel de Paris, au motif que les juges du fond n’avaient pas suffisamment caractérisé l’intérêt patrimonial auquel les comportements sanctionnés avaient porté atteinte.

Par cet arrêt, la Chambre criminelle se détache de l’analyse de la Chambre civile, qui qualifie les loteries publicitaires de quasi-contrat, obligeant dès lors l’organisateur de la loterie publicitaire à la délivrance du gain annoncé.

Cette différence d’appréciation s’explique par la nature délictuelle de l’action civile.

Copropriété : un administrateur provisoire peut en cacher un autre…

Article 29-1 de la Loi n° 65-557 du 10 juillet 1965 fixant le statut de la copropriété des immeubles bâtis

 

La loi du 10 juillet 1965 et le décret du 17 mars 1967 contiennent un certain nombre de dispositions particulières relatives aux copropriétés confrontées à des difficultés financières ou de gestion. Aussi, l’article 29-1 de la loi du 10 juillet 1965 et l’article 47 du décret du 17 mars 1967 sont relatives à la désignation d’un administrateur provisoire pour la copropriété, lorsque la gestion courante par le syndic se révèle inefficace ou inexistante.

Il convient donc de distinguer le domaine propre de l’article 47 du décret du 17 mars 1967 de celui de l’article 29-1 de la loi du 10 juillet 1965.

 

I. La désignation d’un administrateur provisoire lorsque le syndicat des copropriétaires est dépourvu de syndic :

A. Les conditions d’application :

Lorsque la copropriété se trouve dépourvue de syndic et donc de représentant, il est possible d’obtenir la désignation d’un administrateur provisoire.

L’article 47 du décret du 17 mars 1967 prévoit ainsi que lorsque le syndicat est dépourvu de syndic, le président du Tribunal judiciaire désigne un administrateur provisoire de la copropriété qui est notamment chargé de convoquer l’assemblée en vue de la désignation d’un syndic.

Dans le cadre de cette procédure, il n’est pas nécessaire de rapporter la preuve de difficultés financières ou de gestion. Il faut et il suffit, de justifier qu’il n’existe pas de mandat donné à un syndic en exercice.

L’absence de syndic peut se rencontrer à différents moments. A la naissance de la copropriété, lorsqu’un syndic provisoire a été nommé dans le règlement de copropriété mais que la première assemblée constitutive du syndicat des copropriétaires n’a désigné aucun syndic ou qu’une assemblée générale ne s’est tenue ; mais également au cours de la vie en copropriété, lorsque le mandat du syndic a pris fin et qu’aucune assemblée générale des copropriétaires ne s’est tenue ou n’a été convoquée à l’effet de désigner le syndic ou renouveler le mandat du syndic en exercice.

B. La procédure :

La demande aux fins de désignation peut être diligentée, tout intéressé, par voie de requête devant le Tribunal judiciaire. Dans le cadre de cette procédure, une requête sera déposée, sans délivrance d’une assignation, en effet la délivrance d’une assignation se révèle impossible au regard de l’absence de représentant de la copropriété en capacité de recevoir l’acte.

Cette requête peut être déposée par tout intéressé, qu’il s’agisse d’un copropriété ou d’un tiers qui justifie d’un intérêt à agir pour solliciter la désignation d’un représentant de la copropriété.

Aussi, il peut s’agir notamment d’un créancier du syndicat des copropriétaires, qui souhaite recouvrer sa créance et introduire une procédure contre la copropriété.

C. Les missions de l’administrateur provisoire 

L’administrateur provisoire sera, notamment, chargé de se faire remettre les références des comptes bancaires du syndic, les coordonnées de la banque, l’ensemble des documents et archives. Il devra convoquer l’assignation en vue de la désignation du syndic.

L’article 47 indique l’adverbe « notamment » ce qui suppose que la mission de l’administrateur provisoire peut être complétée

Si la désignation du syndic se révèle impossible, au regard notamment des graves difficultés rencontrées par la copropriété, l’administrateur provisoire pourra sur le fondement de l’article 29-1 solliciter par voie de requête, solliciter l’extension de sa mission, et ce afin d’assurer le redressement financier du syndicat des copropriétaires.

 

II. La désignation d’un administrateur provisoire en cas de difficulté financières ou d’impossibilité de pourvoir à la conservation de l’immeuble :

A. Les conditions d’application :

En application de l’article 29-1 de la loi du 10 juillet 1965, un administrateur provisoire peut être désigné si l’équilibre financier du syndicat des copropriétaires est gravement compromis ou si le syndicat est dans l’impossibilité de pourvoir à la conservation de l’immeuble. Il s’agit de conditions alternatives et non cumulatives.

Lorsque l’équilibre financier du syndicat des copropriétaires est gravement compromis, cela suppose que les fonds et la trésorerie du syndicat des copropriétaires ne permettent pas de faire face aux charges et aux frais.

Dans le cadre de cette procédure, il est indispensable de caractériser la gravité de la situation financière.

A titre d’exemple, cela est le cas lorsque le comptes de plusieurs exercices successifs présentent un solde négatif et qu’un prestataire prend la décision de suspendre le contrat pour défaut de paiement de ses factures.

Cette procédure a également vocation à s’appliquer lorsque le syndicat des copropriétaires se trouve dans l’impossibilité de pourvoir à la conservation de l’immeuble, et ce alors qu’il incombe au syndicat des copropriétaires d’assurer la conservation et l’amélioration de l’immeuble. L’inaptitude du syndicat à préserver l’immeuble peut trouver son origine aussi bien dans des difficultés économiques que de problématiques de gestion et de gouvernance. En effet, il peut s’avérer que certains travaux urgents de conservation ne puissent être adoptés en assemblée générale compte tenu de l’opposition ou le blocage des copropriétaires.

B. La procédure

L’article 29-1 dresse une liste exhaustive des personnes ayant qualité pour saisir le président du Tribunal d’une demande aux fins de désignation d’un administrateur provisoire, contrairement à la procédure développée ci-avant.

Le président du Tribunal ne pourra pas être saisi par tout intéressé, mais seulement par les copropriétaires représentant au moins 15 % des voix du syndicat, le syndic en exercice, le maire de la commune ou le président de l’EPCI compétent en matière d’habitation du lieu de situation de l’immeuble, le préfet ou le procureur de la République.

Concernant les modalités de saisine, l’article 62-2 du décret du 17 mars 1967 prévoit que lorsque la demande émane du syndic ou de l’administrateur provisoire, le président du tribunal est saisi par voie de requête, dans les autres cas, la saisine s’effectue par voie d’assignation délivrée au syndicat représenté par le syndic.

Ainsi, la délivrance d’une assignation au syndicat des copropriétaires suppose l’existence d’un syndic en exercice dûment mandaté.

Ainsi, et contrairement à la procédure prévue par l’article 47, la délivrance d’une assignation est indispensable, de sorte que la copropriété doit nécessairement être représentée par un syndic en exercice.

Cette procédure est inapplicable dans l’hypothèse où la copropriété est dépourvue de syndic.

C. Les missions de l’administrateur provisoire

L’administrateur désigné aura pour mission de prendre les mesures nécessaires au rétablissement du fonctionnement normal de la copropriété. Il disposera des pouvoirs du syndic, dont le mandat du syndic en exercice cessera de plein droit et éventuellement de tout ou partie des pouvoirs de l’assemblée générale des copropriétaires.

A ce titre, l’administrateur provisoire pourra approuver les comptes des exercices clos et fixer le budget prévisionnel de la copropriété. Aux termes d’un arrêt récent (Cass. Civ., 3ème, 13 avril 2022 / n° 21-15.923), la Cour de cassation a eu l’occasion de préciser que les copropriétaires ne pouvaient remettre en cause les décisions prises par l’administrateur provisoire qui a reçu les pouvoirs normalement dévolus à l’assemblée générale des copropriétaires et notamment celles approuvant les comptes et les budgets prévisionnels, qui deviennent donc définitives et exécutoires de plein droit dès lors qu’elles sont prises par l’administrateur provisoire.

 

Myriam DAHMANE et Claire-Marie DUBOUS-SPAENLE

Attribution de droits sur le domaine privé : la liberté retrouvée ?

Par un arrêt en date du 2 décembre dernier, le Conseil d’État a jugé que la mise à disposition de dépendances du domaine privé n’était pas soumise à des mesures de publicité et de sélection préalables, contrairement à ce qu’il advient de l’attribution de droits sur les dépendances du domaine public qui accueillent une activité économique. Par un énoncé clair et apparemment sans nuance, mais malheureusement très théorique et peut-être pas adapté à la réalité européenne des affaires (II), la décision du Conseil d’État entend donc mettre un terme à un débat qui a fait couler beaucoup d’encre jusqu’ici (I).

 

1. Les termes du débat

La décision du Conseil d’État peut ne pas surprendre d’un certain point de vue. Il est entendu en effet que les textes nationaux ne posent aucune obligation de publicité et de sélection préalable lorsqu’il s’agit de mettre à la disposition d’un opérateur économique des dépendances du domaine privé, via des baux civils, des baux à construction, des baux commerciaux ou autres. L’obligation de publicité et de sélection préalable introduite par l’ordonnance du 19 avril 2017 ne concerne en effet que les seules autorisations d’occupation du domaine public[1] : l’article L. 2122-1-1 du Code général de la propriété des personnes publiques indique : « sauf dispositions législatives contraires, lorsque le titre mentionné à l’article L. 2122-1 permet à son titulaire d’occuper ou d’utiliser le domaine public en vue d’une exploitation économique, l’autorité compétente organise librement une procédure de sélection préalable présentant toutes les garanties d’impartialité et de transparence, et comportant des mesures de publicité permettant aux candidats potentiels de se manifester ».

Il n’est donc pas de sujet en droit national. Mais le droit national est en grande partie le fruit du droit européen. Or, sur le terrain du droit européen, le sujet est nettement moins clair. On sait que la Cour de justice de l’Union européenne a jugé, au titre de la directive Services 2006/123 en date du 12 décembre 2006, que les conventions qui ont pour objet de permettre à un opérateur économique d’occuper un bien public peuvent « être qualifiées d’autorisations, au sens des dispositions de la directive 2006/123, en ce qu’elles constituent des actes formels, quelle que soit leur qualification en droit national, devant être obtenus par les prestataires, auprès des autorités nationales, afin de pouvoir exercer leur activité économique ». En conséquence, « l’octroi d’autorisations, lorsque leur nombre est limité en raison de la rareté des ressources naturelles, doit être soumis à une procédure de sélection entre les candidats potentiels, laquelle doit répondre à toutes les garanties d’impartialité et de transparence, notamment de publicité adéquate »[2].

En conséquence de cette décision, pour bon nombre d’auteurs, il fallait en conclure que « les dispositions de la directive Services imposent donc bien une procédure d’attribution transparente lorsque l’autorisation domaniale est nécessaire à l’exercice d’une activité économique ». En clair, « cela signifie en pratique que les collectivités publiques ne peuvent plus délivrer de titres d’occupation domaniale – que ce soit par voie contractuelle ou par voie unilatérale – sans, lorsqu’il s’agit d’autoriser l’exercice d’une activité économique sur le domaine, mettre en œuvre une procédure transparente supposant, au minimum, une publicité préalable »[3]. Et un auteur soulignait que la solution devrait valoir aussi bien pour le domaine public que pour le domaine privé tant « le droit de l’Union européenne se moque des qualifications nationales » et tant « la solution consacrée par l’arrêt de la Cour de justice n’est pas réservée à l’occupation du domaine public »[4].

La doctrine administrative était moins nuancée encore : « il résulte de cette jurisprudence Promoimpresa que la délivrance de titres sur le domaine privé doit garantir dans les mêmes termes le respect des principes d’impartialité, de transparence et d’égalité de traitement des candidats. Ainsi, les autorités gestionnaires du domaine privé doivent donc mettre en œuvre des procédures similaires à celles qui prévalent pour le domaine public et qui sont précisées par les articles L. 2122-1-1 et suivants du code général de la propriété des personnes publiques »[5]. Et elle précisait un peu plus tard : « il demeure que cette jurisprudence ne fait aucune distinction entre l’occupation du domaine public ou du domaine privé pourvu que l’autorisation administrative qui est sollicitée permette l’exercice d’une activité économique dans un secteur concurrentiel. C’est pourquoi la réponse ministérielle n° 12868 du 9 janvier 2019 précise que si l’ordonnance n’a pas expressément modifié, en droit interne, les règles régissant l’attribution des titres d’occupation sur le domaine privé des personnes publiques, il apparaît que, sous réserve de l’appréciation souveraine du juge, le respect des principes d’impartialité, de transparence et d’égalité de traitement des candidats doit être garanti par les autorités gestionnaires dans des conditions équivalentes à celles qui prévalent pour le domaine public et qui sont précisées par les articles L. 2122-1-1 et suivants du code général de la propriété des personnes publiques »[6].

Les juridictions administratives[7] et judiciaires[8] du fond ont du reste elles-mêmes parfois emprunté ce chemin, en acceptant de faire application de la directive Services et d’apprécier si la dépendance du domaine privé concernée devait ou non être considérée comme un « bien rare ».

Le sujet demeurait toutefois très partagé en doctrine, plusieurs auteurs considérant que la jurisprudence Promoimpresa ne trouvait pas à s’appliquer au domaine privé, et ce au motif – schématiquement – que l’attribution de droits sur le domaine privé demeurait une opération de pur droit commun, une opération que les propriétaires publics ne pratiquaient pas autrement que des bailleurs classiques[9].

 

2. La portée et le fondement de la décision du Conseil d’Etat

C’est cette autre façon de voir que la Cour administrative d’appel de Bordeaux avait récemment retenue : elle avait considéré que la conclusion d’un bail emphytéotique de droit commun sur l’hôtel du palais, qui appartenait au domaine privé de la ville de Biarritz, ne pouvait pas être analysée comme une « autorisation » au sens de la directive Services, telle qu’interprétée par la décision Promoimpresa, et n’était donc pas soumise à des obligations de publicité et de mise en concurrence préalables[10]. Et c’est sur le pourvoi en cassation introduit contre cette décision, que le Conseil d’État a trouvé l’occasion de trancher le sujet. Il a jugé qu’il « ne résulte ni des termes de cette directive ni de la jurisprudence de la Cour de justice que de telles obligations s’appliqueraient aux personnes publiques préalablement à la conclusion de baux portant sur des biens appartenant à leur domaine privé, qui ne constituent pas une autorisation pour l’accès à une activité de service ou à son exercice au sens du 6) de l’article 4 de cette même directive ». La portée de l’énoncé est claire. Son fondement l’est également. Mais il suscite toutefois bien des réserves en l’état.

Le fondement de cette distinction entre domaine public et domaine privé se comprend à la lecture d’une décision rendue le même jour par le Conseil d’État, mais cette fois à propos du domaine public (les courts de tennis du jardin du Luxembourg à Paris). Il a jugé que « en autorisant l’occupation d’une partie du jardin du Luxembourg, qui appartient au domaine public, le Sénat doit être regardé comme exerçant un rôle de contrôle ou de réglementation, et donc comme constituant une autorité compétente au sens de cette directive », si bien que « le titre d’occupation en litige, qui constitue un acte formel relatif à l’accès à une activité de service ou à son exercice, délivré à la suite d’une démarche auprès d’une autorité compétente, constitue donc une autorisation au sens de la même directive »[11].

Les conclusions de la rapporteure publique éclairent plus encore le raisonnement retenu. Elles envisagent tout d’abord deux interprétations possibles de la directive Services. L’une est extensive : un bail de droit privé ou autre contrat de mise à disposition du domaine privé est fatalement une « autorisation » au sens de la directive Services, parce que le contrat est un préalable nécessaire à l’activité économique ; pour l’hôtel du palais à Biarritz, il faut comprendre que « le bail serait nécessaire pour permettre au locataire d’exploiter l’hôtel et donc pour exercer l’activité économique correspondante », si bien que celui-ci constituerait une « autorisation » au sens de la directive, qui lui serait alors applicable.

Une autre approche repose cette fois sur une interprétation stricte de la notion d’« autorisation » au sens du droit européen et s’articule autour d’un critère : « il s’agit en effet d’analyser si la personne publique agit comme une personne privée, comme un propriétaire ordinaire dans les conditions de droit commun […] ou si elle se comporte comme une administration qui délivrerait une autorisation d’exercer une activité économique ». Selon la rapporteure publique, cette voie, plus étroite, serait plus conforme à la lettre même de la directive Services, parce que son article 4 définit l’« autorité compétente » en charge de délivrer l’« autorisation » comme étant plus précisément « tout organe ou toute instance ayant, dans un État membre, un rôle de contrôle ou de réglementation des activités de services… ». Partant, « n’est pas une autorité compétente délivrant une autorisation au sens de la directive une administration qui se comporte comme un opérateur ou bailleur privé, gérant son domaine privé sans prérogative particulière ». Et elle en conclut que, dans la pratique, « ce critère recoupera très largement la distinction entre domaine public et domaine privé ». Pourquoi ? Apparemment, parce que « un titre d’occupation du domaine public sera toujours une autorisation au sens de la directive », et ce parce que le domaine public ne peut, « par essence, pas faire l’objet d’une occupation ou d’une utilisation privative sans titre par une personne privée » [12].

Si le fondement est clairement identifié, il suscite toutefois la réflexion. Certains relèveront que l’occupation du domaine privé par un opérateur privé n’est pas non plus possible autrement que par l’attribution d’un titre. Il est vrai que la nature du titre n’est pas le même : les titres d’occupation du domaine public sont des actes et/ou des contrats de droit public, contrairement aux baux emphytéotiques de droit commun ou autres baux commerciaux. Il reste que la distinction (régime exorbitant de droit public et régime de droit commun) n’est pas toujours attachée à la nature du domaine : un bail emphytéotique administratif sera toujours un acte soumis à un régime exorbitant, alors même qu’il peut porter sur le domaine privé[13]. Au-delà, la distinction est un produit fabriqué par le droit national, qui demeure étranger au droit européen et qui ne devrait donc pas emporter d’incidence sur le champ d’application de la directive Services. Il est vrai aussi, et peut-être surtout, que les biens du domaine public se distingue des biens du domaine privé par la circonstance qu’ils sont affectés à une utilité publique[14] : ils sont affectés « à l’usage direct du public » ou « à un service public pourvu qu’en ce cas il fasse l’objet d’un aménagement indispensable à l’exécution des missions de ce service public », si bien qu’ils doivent en conséquence être soustraits d’un régime de droit commun à tous. Mais il reste qu’il existe bon nombre de dépendances qui ne sont absolument plus affectées à une utilité publique, et qui demeurent pourtant dans le domaine public, faute de déclassement formel[15].

Sans doute discutable dans son fondement, les décisions du Conseil d’État du 2 décembre dernier emportent en tout état de cause des conséquences qu’on peine à justifier sur le terrain économique, et donc au titre du jeu de la concurrence, que la directive Services a pourtant pour objet de garantir. Comme le relève un auteur, « le raisonnement tenu dans le second arrêt aurait pourtant fort bien pu être développé dans le premier, sauf à attacher à la distinction entre domaine public et domaine privé des conséquences qui ne lui sont absolument pas reconnues par le droit de l’Union européenne ». Et il ajoute : « on ne peut au surplus que s’interroger sur les prémisses d’un raisonnement aboutissant à imposer une mise en concurrence pour l’exploitation de six courts de tennis pendant quinze ans et l’excluant pour celle d’un palace pendant soixante-quinze ans »[16].

Les quelques lignes qui précèdent n’épuisent évidemment pas le sujet ; elles entament à peine un sujet décidément « croustillant », sur lequel il faudra très prochainement revenir plus en détail.

Astrid BOULLAULT, Victoria GOACHET, Gaëlle COLLIN, Louis MALBETE et Alexandre VANDEPOORTER.

 

[1] C. Maugüé et P. Terneyre, « Ordonnance domaniale, un bel effort pour la modernisation du CGPPP », AJDA 2017, p. 1606

[2] CJUE, 14 juillet 2016, Promoimpresa, C-458/14

[3] R. Noguellou, « L’attribution des autorisations domaniales : feu l’arrêt Jean-Bouin… », AJDA 2016, p. 2176 ; G. Clamour, « Une nouvelle donne pour l’occupation domaniale », Revue Contrats et marchés publics, mai 2017 ; C. Maugüé et P. Terneyre, « Ordonnance domaniale, un bel effort pour la modernisation du CGPPP », AJDA 2017, p. 1606 ; N. Foulquier, « Une habilitation pour une réforme peut-être importante des titres domaniaux », RDI 2017. 96

[4] R. Noguellou, « L’attribution des autorisations domaniales : feu l’arrêt Jean-Bouin… », AJDA 2016, p. 2176

[5] Réponse ministérielle du 29 janvier 2019 publiée au Journal Officiel de l’Assemblée nationale, p.861 en réponse à la question n° 12868 du 2 octobre publiée au Journal Officiel de l’Assemblée nationale, p. 8657

[6] Réponse ministérielle du 10 septembre 2020, publiée au Journal Officiel du Sénat, p. 4096, en réponse à la question n° 16130 du 21 mai publiée au Journal Officiel du Sénat, p. 2298

[7] CAA Lyon, 22 octobre 2020, req. n°018LY04739 

[8] TJ, Le Mans, 19 août 2021, req. n°20/00813

[9] C. Emery, « Domaine privé et mise en concurrence : quand le ministre se trompe », JCP A, 2019, n°2081 ; N. Foulquier, « Pas de procédure de sélection pour la location du domaine privé », RDI, 2022, p. 171

[10] CAA Bordeaux, 2 novembre 2021, req. n°19BX03590

[11] CE, 2 décembre 2022, req. n°455033

[12] Conclusions de Mme Cécile Raquin, sous les arrêts, CE, 23 décembre 2022, req. n°460100, req. n°450033

[13] Article L. 1311-2 du Code général des collectivités territoriales

[14] Article L. 2111-1 du Code général de la propriété des personnes publiques

[15] Article L. 2141-1 du Code général de la propriété des personnes publiques

[16] F. Melleray, « Retour à Biarritz », AJDA, 2022, p. 2369

Nouvelles précisions sur les personnes recevables à former un recours « Tarn-et-Garonne » contestant la validité d’un contrat public

Par sa jurisprudence dite « Tarn-et-Garonne » en date du 4 avril 2014, le Conseil d’État a ouvert le recours en contestation de la validité d’un contrat public à « tout tiers à un contrat administratif susceptible d’être lésé dans ses intérêts de façon suffisamment directe et certaine par sa passation ou ses clauses », ainsi qu’aux membres de l’organe délibérant de la collectivité territoriale ou du groupement de collectivités territoriales concerné et au représentant de l’État dans le département dans l’exercice du contrôle de légalité (CE, 4 avril 2014, Département de Tarn-et-Garonne, req. n° 358994).

Depuis lors, le Conseil d’Etat a progressivement précisé les contours de la notion de « tiers susceptibles d’être lésés » et recevables, à ce titre, à former un recours Tarn-et-Garonne.

Dans un premier temps, il a semblé que cette notion devait s’entendre de manière large, dans la mesure où il a été jugé que les contribuables locaux sont recevables à former un tel recours dès lors qu’ils établissent « que la convention ou les clauses dont ils contestent la validité sont susceptibles d’emporter des conséquences significatives sur les finances ou le patrimoine de la collectivité » (CE, 27 mars 2020, req. n° 426291).

Mais, depuis lors, le Conseil d’Etat a, par souci de préserver la stabilité des relations contractuelles et les intérêts du cocontractant de l’administration, opéré un mouvement de resserrement de la notion de tiers susceptible d’être lésé, en déniant la recevabilité de recours tendant à l’annulation de contrats publics formés par des ordres professionnels qui se prévalaient des intérêts collectifs dont ils avaient la charge (CE 3 juin 2020, Département de la Loire-Atlantique, req. n° 426932 ; CE 20 juillet 2021, req. n° 443346).

Poursuivant ce travail d’identification des tiers susceptibles d’être lésés et donc recevables à former un recours Tarn-et-Garonne, le Conseil d’Etat a eu à se prononcer, par sa décision n° 454323 du 2 décembre 2022, sur le cas des membres du conseil d’administration d’un établissement public à caractère scientifique.

Cette décision a été rendue dans le cadre d’un litige portant sur la convention conclue entre l’Etat, l’Ecole normale supérieure (ENS) de Lyon et la communauté d’universités et établissements « Université de Lyon » par laquelle cette dernière s’est vue confier la souscription et la mise en œuvre d’un contrat de partenariat public-privé en vue de la réhabilitation, la restructuration et la mise aux normes du site Monod de l’ENS de Lyon. L’un des membres du conseil d’administration de l’ENS Lyon a saisi la juridiction administrative d’un recours tendant à l’annulation de cette convention, qui a toutefois été rejeté en première instance le 13 juin 2019 puis en appel le 6 mai 2021.

Saisi en cassation, le Conseil d’Etat commence par rappeler qu’outre le préfet, seuls peuvent engager une action contre un contrat même sans se prévaloir d’un intérêt lésé les membres de l’organe délibérant de la collectivité territoriale ou du groupement de collectivités territoriales concerné par le contrat. Il en déduit ensuite que le requérant ne dispose pas de cette faculté en tant que membre du conseil d’administration de l’ENS Lyon.

Par la suite, constatant que le requérant se bornait à invoquer ses qualités de membre du conseil d’administration de l’ENS et d’enseignant et ne justifiait donc d’aucun intérêt lésé par la passation ou les clauses du contrat attaqué, le Conseil d’Etat confirme l’arrêt attaqué et rejette le pourvoi.

Par cette décision, dont l’importance est marquée par sa mention aux tables du recueil Lebon, le Conseil d’Etat refuse d’étendre les frontières de la catégorie des « tiers privilégiés » pouvant former un recours Tarn-et-Garonne sans justifier d’un intérêt lésé. Il confirme ainsi que cette catégorie inclut uniquement le représentant de l’Etat dans le département et les membres de l’organe délibérant des collectivités territoriales et de leurs groupements, à l’exclusion de toute autre personne, y compris les administrateurs des établissements publics d’enseignement supérieur.

Le Conseil d’Etat s’en tient donc à la conception classique selon laquelle seuls les représentants de l’Etat et les élus des collectivités territoriales et de leurs groupements sont dépositaires de l’intérêt général et peuvent, de ce fait, contester la régularité d’un contrat public sans avoir à justifier, en sus, la lésion d’un intérêt qui leur soit propre.

Favoritisme : vers une extension de l’imputabilité du délit aux influenceurs ?

Par un arrêt en date du 7 septembre 2022, la Chambre criminelle semble avoir étendu l’imputabilité du délit de favoritisme en retenant l’infraction à l’encontre d’un agent municipal qui n’était intervenu, ni en fait, ni en droit, dans la procédure de la commande publique.

En l’espèce, une employée municipale avait été renvoyée devant le tribunal correctionnel du chef de favoritisme dans le cadre de l’attribution d’une délégation de service public en matière de restauration scolaire à une société – poursuivie du chef de recel.

L’association en charge de ce service public mais évincée dans le cadre du renouvellement du contrat, avait déposé une plainte visant notamment l’intervention de l’agent municipal qui aurait travaillé avec la société attributaire, dans le cadre de l’exécution de précédentes délégations de service public, en assurant la distribution des repas fournis par celle-ci.

L’enquête préliminaire ouverte par le Parquet de la République aurait révélé l’existence d’une fourniture d’informations privilégiées par l’agent municipal à la société lors de la passation du contrat.

La Cour d’appel – dont le raisonnement a sur ce point été validé par la Cour de cassation – a considéré que l’agent municipal « disposait du pouvoir d’intervenir dans la procédure d’attribution de la délégation de service public au regard des multiples missions qu’elle assumait, de sa connaissance profonde du fonctionnement de la restauration scolaire, du rôle qu’elle jouait tant au sein de la mairie que du groupement en charge de la délégation de service public pour la mise en œuvre de la politique municipale de restauration scolaire et de l’expertise qu’elle apportait en la matière aux élus ».

La Cour de cassation prenant soin de préciser que le délit de favoritisme n’exige pas que la personne poursuivie soit intervenue en fait ou en droit dans la procédure d’attribution d’une commande publique, a considéré qu’en raison de ses connaissances techniques et de son savoir-faire, l’agent de restauration disposait de compétences et d’informations privilégiées de nature à procurer à la société candidate, un avantage injustifié au sens de l’article 432-14 du Code pénal.

Par cette décision, la Chambre criminelle semble donc élargir le champ de l’imputabilité de l’infraction de favoritisme en retenant la culpabilité des influenceurs et pas seulement des décideurs dans le cadre des procédures de la commande publique.

Directeurs généraux des offices publics de l’habitat : nouveaux plafonds de rémunération

Le 26 avril 2022, un décret ici commenté permettait de penser qu’interviendrait rapidement une revalorisation du plafond de rémunération des directeurs généraux des offices publics de l’habitat qui, pour mémoire, étaient de longue date soumis aux mêmes maximas de rémunération, fixés en 2009 et revalorisés uniquement en 2010, il y a plus de 12 ans donc.

Il aura fallu quelques mois supplémentaires aux deux ministres compétents, en charge des comptes publics et du logement, pour édicter l’arrêté désormais prévu à l’article R. 421-20 du CCH.

Paru au JO du 7 décembre, il prévoit plusieurs formules de calcul du plafond de la part forfaitaire, qui évoluent en fonction du nombre de logements locatifs gérés par l’OPH.

Ne s’agissant que de plafonds et non de planchers, les avenants qui pourraient en résulter restent à la discrétion des Conseils d’administration qui, pour mémoire, sont seuls compétents pour autoriser leur Président à signer tant le contrat du Directeur général que ses avenants.

La vente est parfaite dès que les parties sont convenues de la chose et du prix

L’article 1583 du Code civil énonce que la vente « est parfaite entre les parties, et la propriété est acquise de droit à l’acheteur à l’égard du vendeur, dès qu’on est convenu de la chose et du prix, quoique la chose n’ait pas encore été livrée ni le prix payé ».

Dans un arrêt en date du 30 novembre 2022, la Cour de cassation est venue rappeler l’interprétation stricte qu’elle fait de ces dispositions, en cassant un arrêt de la Cour d’appel de Paris du 15 octobre 2021.

En l’espèce, les consorts L., propriétaires de deux lots de copropriété, ont conclu deux mandats de vente portant sur ces lots avec une agence immobilière, d’abord au prix de 198 000 euros net vendeur, puis le 16 novembre 2017 au prix de 110 000 euros net vendeur.

Le 16 novembre 2017, Madame O. fait une offre d’achat au prix de 110.000 euros, contresignée par les propriétaires avec la mention « bon pour accord, bon pour vente au prix de 110 000 euros », sans indication de date, et sans indication de l’adresse du bien.

Par la suite, alors que les propriétaires refusent de signer la promesse de vente, Madame O. les assigne en vente parfaite.

La Cour d’appel de Paris, dans son arrêt du 15 octobre 2021, déboute Madame O. de ses demandes au motif que les parties n’en étaient qu’au stade des pourparlers : « l’absence de précision de [l’offre d’achat] quant aux conditions de la vente et aux formalités de réalisation de celle-ci suffit à établir que les parties n’en étaient qu’au stade des pourparlers, la seule mention « bon pour vente au prix de 110 000 euros » apposée par les consorts L. ne suffisant pas à fixer les conditions de la vente immobilière qui est une opération complexe nécessitant que les vendeurs soient informés à minima des conditions de financement de la vente ».

Dans son arrêt en date du 30 novembre 2022, la Cour de cassation casse cet arrêt et considère que la vente est parfaite. Elle retient : « l’offre d’achat formulée par Mme O., portant sur les biens mis en vente par les consorts L., avait été contresignée par eux avec la mention ʺbon pour venteʺ au prix proposé, ce dont il résultait, d’une part, que l’offre comprenait les éléments essentiels du contrat envisagé et exprimait la volonté de son auteur d’être lié en cas d’acceptation, d’autre part, que la vente était parfaite ».

La Cour de cassation renouvelle ici l’application stricte qu’elle fait des dispositions de l’article 1583 du Code civil : l’accord des parties sur la chose et le prix suffit à rendre la vente parfaite.

La majoration des droits à construire ne peut se faire que dans la limite fixée en valeur absolue par le règlement du plan local d’urbanisme

Par une décision en date 12 septembre dernier, le Conseil d’Etat a précisé que la majoration des droits à construire, sur le fondement de l’article L. 151-28 du Code de l’urbanisme, qui autorise le règlement du plan local d’urbanisme à prévoir un bonus maximum de 50 % du volume constructible tel qu’il résulte des règles relatives au gabarit, à la hauteur et à l’emprise au sol dans des secteurs à l’intérieur desquels la réalisation de programmes de logements comporte des logements locatifs sociaux, ne pouvait dépasser la limite fixée en valeur absolue par le règlement du plan local d’urbanisme.

Dans cette affaire, le Maire de la commune de Neuilly-sur-Seine a délivré, le 16 janvier 2018, un permis de construire pour la réalisation de 12 logements comprenant un tiers de logements sociaux.

Saisi en première instance, le Tribunal administratif de Cergy-Pontoise a, par un jugement du 4 février 2020, rejeté la requête déposée par Madame D. et Monsieur et Madame A. tendant à l’annulation de ce permis de construire en considérant notamment que, pour définir la distance d’implantation minimale de la construction projetée par rapport aux limites séparatives, il convenait de retenir non pas la hauteur effective de la construction mais la hauteur maximale théorique autorisée par le règlement du plan local d’urbanisme.

Saisi en cassation, le Conseil d’État a été amené à préciser la manière d’apprécier la mise en œuvre du bonus de constructibilité prévu par les dispositions de l’article L. 151-28 du Code de l’urbanisme.

Ces dispositions autorisent le règlement des PLU à :

« […] délimiter des secteurs à l’intérieur desquels la réalisation de programmes de logements comportant des logements locatifs sociaux au sens de l’article L. 302-5 du code de la construction et de l’habitation bénéficie d’une majoration du volume constructible tel qu’il résulte des règles relatives au gabarit, à la hauteur et à l’emprise au sol. Cette majoration, fixée pour chaque secteur, ne peut excéder 50 % […] ».

Ainsi, s’agissant de l’application de ces règles, le Conseil d’Etat rappelle que, s’agissant des règles de gabarit, le règlement permet, pour une distance à la limite séparative donnée, d’augmenter d’un coefficient de 1,3 la hauteur du bâtiment autorisée par la règle de distance aux limites séparatives ou, pour une hauteur donnée, de réduire la distance aux limites séparatives exigée par l’article UD 7 d’un coefficient de 1,3.

Toutefois et cela constitue l’apport de la décision, le Conseil d’Etat a précisé que « cette hauteur ou cette distance ainsi calculée ne saurait, toutefois, être augmentée ou réduite au-delà ou en-deçà de la limite fixée en valeur absolue par le règlement du plan local d’urbanisme ».

L’affaire a été renvoyée devant le Tribunal administratif de Cergy-Pontoise.

Période d’astreinte et risque de requalification en temps de travail effectif lorsque le salarié a une liberté d’action réduite

Par un arrêt rendu le 26 octobre 2022 (pourvoi n° 21-14.178)[1], la Chambre sociale de la Cour de cassation a apporté des précisions sur les situations où les périodes d’astreintes sont susceptibles d’être qualifiées de temps de travail effectif.

Pour rappel, en droit du travail, le dispositif des astreintes consiste en une période pendant laquelle le salarié, sans être sur son lieu de travail et sans être à la disposition permanente et immédiate de l’employeur, doit être en mesure d’intervenir pour accomplir un travail au service de l’entreprise.[2]

La période d’astreinte, en elle-même, se distingue, ainsi, de la période d’intervention. En effet, seule la période d’intervention constitue du temps de travail effectif.  La période d’astreinte, en revanche, ne répond pas à la définition du temps de travail effectif prévue par l’article L. 3121-1 du Code du travail, car elle implique :

  • de ne pas être à la disposition permanente et immédiate de l’employeur ;
  • et pouvoir vaquer à ses occupation personnelles sans avoir à se conformer à ses directives.

La période d’astreinte, qui n’est pas du temps de travail effectif, doit, cependant, faire l’objet d’une contrepartie.  Cette contrepartie peut être de nature exclusivement financière ou prendre la forme d’un repos.

Aussi, la mise en place et la mise en œuvre des astreintes en entreprise sont particulièrement délicates. Elles nécessitent de porter une attention particulière aux temps de repos quotidiens et hebdomadaires des salariés, aux durées maximales de travail, voire au travail de nuit.

L’arrêt ci-commenté est une occasion de mettre en perspective les difficultés susceptibles d’être rencontrées à cette occasion et permet de dégager des critères sur le fondement desquels, exceptionnellement, une période d’astreinte peut constituer du temps de travail effectif.Présentation du cas particulier

Présentation du cas particulier

Le cas particulier de l’arrêt précité concerne une société qui exerce une activité de dépannage de véhicule.

Dans le cadre de cette activité, la société organisait des « permanences » en dehors des jours et heures d’ouverture des locaux de l’entreprise. Pour assurer ces permanences, des équipes de 3 ou 4 salariés devaient se tenir à proximité des locaux de l’entreprise pour répondre sans délai à toute demande de dépannage. A cette fin, les salariés étaient équipés de téléphones et intervenaient à la demande d’un dispatcheur, dont la mission était de réceptionner les appels d’urgence.

Estimant, notamment, avoir réalisé des heures supplémentaires non rémunérées dans ce cadre, un salarié a saisi les juridictions. Devant la chambre sociale de la Cour de cassation, le salarié, demandeur au pourvoi, faisait valoir que la Cour d’appel a eu tort de le débouter de sa demande de rappel d’heures supplémentaires au titre des périodes d’astreinte effectuées, car elle aurait dû rechercher et apprécier, ainsi qu’elle y était invitée :

« Si, au regard des sujétions auxquelles le salarié était effectivement soumis au cours des périodes litigieuses, ce dernier n’était pas en permanence à la disposition de son employeur et s’il pouvait ou non vaquer librement à ses occupations personnelles ».

Estimant le moyen du salarié pertinent, la Cour de cassation a censuré le raisonnement des juges du fond.

Solution et portée de l’arrêt

La Cour de cassation a, en effet, estimé que puisque le demandeur invoquait qu’il lui était imparti un court délai d’intervention pour se rendre sur place après l’appel de l’usager, les juges du fond auraient dû, pour statuer conformément au droit, vérifier :

« Si le salarié avait été soumis, au cours de ses périodes d’astreinte, à des contraintes d’une intensité telle qu’elles avaient affecté, objectivement et très significativement, sa faculté de gérer librement, au cours de ces périodes, le temps pendant lequel ses services professionnels n’étaient pas sollicités et de vaquer à des occupations personnelles ».

Ainsi, pour la Cour de cassation, des périodes d’astreinte peuvent être qualifiées de temps de travail effectif si :

  • le salarié est soumis à des contraintes d’une particulière intensité ;
  • qui ont pour conséquence que sa faculté de gérer librement son temps a été significativement et objectivement affectée.

En statuant ainsi, la Haute juridiction reprend le raisonnement qui a été tenu à l’occasion de deux arrêts rendus le 9 mars 2021 par la Cour de justice de l’Union européenne.[3] En d’autres termes, même lorsque le salarié ne se trouve pas en période d’intervention, la période d’astreinte peut être requalifiée en temps de travail effectif, lorsque les critères précités sont réunis. Sur le plan pratique, cela entraînera des conséquences :

  • Sur l’appréciation des durées de repos quotidien et hebdomadaire ;
  • Le décompte du temps de travail ;
  • L’obligation de sécurité de l’employeur ;
  • Le paiement éventuel d’heures supplémentaires.

L’employeur devra, ainsi, être vigilant aux sujétions qu’il impose au salarié d’astreinte, comme par exemple, un salarié gardien d’immeuble d’astreinte dans un logement de fonction ou un salarié d’une entreprise de télécommunication amené à résoudre des problématiques à distance en étant d’astreinte à son domicile.

Ainsi, outre le suivi des temps d’intervention à l’occasion de la mise en œuvre des astreintes, il pourrait être judicieux pour l’employeur de mettre en place un système de suivi de la fréquence des interventions.

La mise en place d’un tel système est d’autant plus pertinente que la Cour de cassation a récemment énoncé que le dépassement de la durée maximale de travail causait un préjudice automatique au salarié (i.e. que ce dernier n’a donc pas besoin de prouver), ce qui lui permet de solliciter une indemnisation à cet égard devant les juridictions.[4]

 

[1]https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000046510365?init=true&page=1&query=2114.178&searchField=ALL&tab_selection=all

[2] Art. L 3121-9 du code du travail

[3]  CJUE, 9 mars 2021, aff. C-344/19 et C-580/19

[4] Cass., soc., 26 janvier 2022, n° 20-21.636

L’agent public n’a pas d’intérêt à agir contre la décision mettant fin à la procédure d’alerte qu’il a initiée sur la situation d’un autre agent

Par un jugement en date du 8 novembre 2022 (n° 1908225) le Tribunal administratif de Nantes a rejeté pour irrecevabilité des conclusions à fin d’annulation soulevées par un agent public à l’encontre d’une décision portant clôture d’une alerte concernant la situation d’un autre agent public, faute pour le requérant de justifier selon le Tribunal d’un intérêt à agir.

En l’espèce, un Maître de conférences titulaire contestait un courrier adressé par le Président de l’Université de Nantes dans lequel ce dernier l’avait informé de l’absence de suite donnée à son alerte. Alors que l’intéressé avait dans le cadre de son « alerte » signalé au Président une situation de cumul irrégulier de fonctions d’un autre agent de l’Université, qui selon lui était de nature à constituer une faute disciplinaire, le Président lui avait alors indiqué par courrier, après instruction, que l’agent mis en cause avait régularisé sa situation avant sa prise de poste.

Après avoir rappelé les dispositions alors en vigueur des articles 6 et 8 de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 (dite Loi Sapin 2) relatives au lanceur d’alerte, le Tribunal a, par un moyen soulevé d’office (MOP), estimé que cette décision en tant qu’elle informait de l’absence de suites données à l’alerte signalée, concernait un tiers, et ne portait pas atteinte aux droits statutaires ni aux prérogatives du requérant ni à ses perspectives de carrière. Il en a donc logiquement déduit que le requérant, bien qu’étant à l’origine du signalement, ne justifiait pas d’un intérêt lui donnant qualité à agir pour contester cette décision et qu’il était par suite irrecevable à en demander l’annulation.

Il convient ainsi d’analyser la solution retenue par le Tribunal administratif de Nantes de la manière suivante : dès lors qu’une alerte porte sur la situation d’un autre agent et qu’elle n’emporte aucune atteinte sur les droits statutaires, prérogatives ou perspectives de carrière de l’agent à l’origine de l’alerte, ce dernier n’est pas recevable à solliciter l’annulation de la décision clôturant la procédure d’alerte.

Ce jugement est également intéressant en tant qu’il s’est prononcé sur le refus implicite du Président de l’Université de faire droit à la demande du requérant tendant à l’octroi du bénéfice des protections dues aux lanceurs d’alerte ayant procédé à un signalement d’alerte. A cet égard, le Tribunal administratif de Nantes a considéré que ce refus ne méconnaissait pas les dispositions de l’article 6 de la loi du 9 décembre 2016 définissant le lanceur d’alerte dès lors que l’agent ayant procédé au signalement d’alerte ne répondait pas aux conditions prévues par la loi.

Aux termes de l’article 6 susmentionné, le lanceur d’alerte est en effet défini comme « une personne physique qui révèle ou signale, de manière désintéressée et de bonne foi, un crime ou un délit, une violation grave et manifeste […] de la loi ou du règlement, ou une menace ou un préjudice graves pour l’intérêt général, dont elle a eu personnellement connaissance ».

Or en l’espèce, le Tribunal administratif de Nantes a considéré que compte tenu tant de la nature des faits dénoncés (cumul d’activités), que du litige qui opposait le Maître de conférences à l’agent mis en cause (lequel avait témoigné contre le requérant dans le cadre d’une procédure disciplinaire engagée contre ce dernier), le requérant ne pouvait être considéré, au sens de ces dispositions comme un lanceur d’alerte ayant agi de manière désintéressée pour révéler une menace ou un préjudice graves pour l’intérêt général.

On relèvera enfin la rigueur, pour ne pas dire la relative sévérité, adoptée par les juges du Tribunal administratif de Nantes quant à la formulation des conclusions qui leur étaient soumises. Alors que le requérant, qui se représentait seul, sollicitait que l’Université « soit déclarée coupable » de diverses fautes, les premiers juges ont regardé ces conclusions comme ne relevant pas de l’office du juge administratif, et par suite irrecevables, dès lors qu’elles ne tendaient ni à l’annulation d’une décision ni à la condamnation de l’administration.

La prise en charge financière de l’accompagnant d’élève en situation de handicap (AESH) sur le temps de restauration scolaire

Récemment, un jeune écolier lyonnais scolarisé au sein d’une unité localisée pour l’inclusion scolaire (ULIS) s’est vu exclure de la cantine à la suite d’une crise liée à ses troubles autistiques. Il a ainsi été privé de restauration scolaire pendant plusieurs jours pour la troisième fois en un an et contraint de déjeuner devant l’école[1]. Selon l’établissement scolaire, cette exclusion faisait suite au manque de personnel qualifié sur ce temps périscolaire pour accompagner cet élève en situation de handicap.

Si une solution a finalement été trouvée par la ville de Lyon grâce au recrutement d’un AESH permettant au jeune garçon de regagner la cantine, cette affaire ravive la problématique liée à la prise en charge financière de cette aide humaine sur le temps périscolaire : revient-elle à l’Etat ou à la collectivité territoriale qui organise le temps périscolaire ?

Pour rappel, selon l’article L. 131-13 du Code de l’éducation « l’inscription à la cantine des écoles primaires, lorsque ce service existe, est un droit pour tous les enfants scolarisés. Il ne peut être établi aucune discrimination selon leur situation ou celle de leur famille ». Ainsi, une collectivité territoriale ne peut légalement refuser l’accès à un élève, hormis le cas où la capacité maximale d’accueil de ce service serait atteinte. En dehors de ce cas, une discrimination fondée sur le handicap serait constituée.

Bien que le Conseil d’Etat ait précisé en avril 2011[2] que la prise en charge financière par l’État des « AESH en milieu ordinaire n’est pas limitée aux interventions pendant le temps scolaire », la question de son financement dans le cadre périscolaire est à l’origine de certaines crispations entre les acteurs communaux, départementaux, régionaux et l’Etat, menant parfois à la non-exécution des décisions rendues par la maison départementale des personnes handicapées (MDPH) concernant l’accompagnement humain dans ce cadre[3].

Compte tenu de plusieurs contentieux relatifs au financement de cette aide humaine sur le temps périscolaire[4], la section du contentieux du Conseil d’Etat a été amenée à se prononcer sur le sujet par un arrêt en date du 20 novembre 2020[5]. Dans cette affaire, le Conseil d’Etat a, tout d’abord, rappelé que ces accompagnants peuvent intervenir en dehors du temps scolaire tel que le prévoit la législation en vigueur. À cette fin, il a précisé que ces accompagnants peuvent être mis à la disposition de la collectivité territoriale sur le fondement d’une convention conclue entre la collectivité intéressée et l’employeur, ajoutant qu’il revient à la collectivité territoriale d’assurer cette prise en charge financière. Ensuite, la haute juridiction a indiqué que ces accompagnants peuvent également directement être employés par la collectivité territoriale pour les heures accomplies sur le temps périscolaire. Enfin, à titre d’ultime hypothèse, le Conseil d’Etat a indiqué que désormais ces accompagnants peuvent être recrutés conjointement par l’État et par la collectivité territoriale.

C’est ainsi que de manière subtile, la Haute juridiction administrative a, par ce revirement de jurisprudence, invité les deux acteurs à s’entendre sur cette question et a écarté toute obligation de prise en charge unilatérale par l’Etat.

Dans un arrêt ultérieur[6], le Conseil d’Etat est venu étendre et clarifier la portée de la décision rendue en novembre 2020, en précisant que cette dernière visait également la restauration scolaire. Ces deux arrêts confirment donc la volonté que soient partagées les responsabilités s’agissant du financement de l’accompagnement humain entre les collectivités territoriales et l’Etat.

Récemment, la Cour administrative d’appel de Nantes, dans un arrêt de février 2022[7], a confirmé la nécessaire cohésion des acteurs : « lorsque l’Etat, […], recrute une personne pour accompagner un enfant en situation de handicap durant le temps scolaire et qu’en outre, cet enfant participe au service de restauration scolaire ou à tout ou partie des activités complémentaires ou périscolaires organisées dans l’établissement scolaire, il appartient à l’Etat de déterminer avec la collectivité́ territoriale qui organise ce service et ces activités si et, le cas échéant, comment cette même personne peut intervenir auprès de l’enfant durant ce service et ces activités, de façon à assurer, dans l’intérêt de l’enfant, la continuité́ de l’aide qui lui est apportée ».

Si la question du financement sur les temps périscolaires a été clarifiée par ces décisions successives, la mise en œuvre demeure encore relativement complexe.

 

[1] « La mobilisation a payé, nous sommes soulagés », le jeune Olivier, 10 ans, atteint d’autisme, réintègre la cantine de son école, France 3 Auvergne Rhône-Alpes, 5 décembre 2022

[2] Conseil d’Etat, 20 avril 2011, ministre de l’Éducation nationale, n° 345434 et n° 345442

[3] Selon la circulaire n° 2017-084 du 3 mai 2017, « lors des activités périscolaires et des temps de restauration, l’accompagnement spécifique de l’enfant en situation de handicap n’est pas systématique. La CDAPH notifie le besoin d’accompagnement au regard de la situation personnelle de l’enfant en situation de handicap […] ».

[4] Voir notamment un arrêt de la Cour administrative d’appel de Nantes, 15 mai 2018, n° 16NT02951

[5] Conseil d’Etat, 20 novembre 2020, Ministre de l’Education nationale, n° 422248

[6] Conseil d’Etat, 4ème chambre, 30 décembre 2020, n° 423549.

[7] CAA Nantes, 1ère chambre, 15 février 2022, n° 20NT03661.

Les nouvelles modalités de l’information à apporter aux acquéreurs et locataires en matière de risques et de pollution des sols

Le décret n° 2022-1289 en date du 1er octobre 2022 (JO en date du 5 octobre 2022) pris en application de la loi Climat et résilience modifie entièrement les articles R. 125-23 à R. 125-27 du Code de l’environnement, lesquels concernent l’information due aux acquéreurs et aux locataires de biens immobiliers situés dans des zones comportant des risques naturels et technologiques majeurs, des risques miniers et une pollution des sols.

Ce texte entrera en vigueur le 1er janvier 2023.

Quels sont les changements majeurs ?

  • L’article R. 125-23 énumère des zones concernées et prévoit une nouvelle catégorie : Il s’agit des « Zones exposées au recul du trait de côte délimitées en application des articles L. 121-22-2 ou L. 121-22-6 du code de l’urbanisme par un plan local d’urbanisme, un document tenant lieu ou de carte, ou déterminées par une carte de préfiguration adoptée en application des articles L. 121-22-3 ou L. 121-22-7 du même code ».
  • L’article R. 125-24 précise les informations que doit contenir l’état des risques porté à la connaissance du futur acquéreur ou locataire et notamment :
    • La date de son élaboration ;
    • Le numéro de la ou des parcelles concernées et les zones ou périmètres cités à l’article R. 125-23 dans lesquels se situe le bien ;
    • Le renvoi à aux fiches d’information présentent sur le site Géorisques.
  • L’article R. 125-25 prévoit une information bien plus précoce que celle prévue par les dispositions en vigueur à ce jour.
    • En effet à partir du 1er janvier 2023, L’état des risques sera porté à la connaissance des acquéreurs ou locataires dès l’annonce de la vente ou de la location quel que soit le support de diffusion et doit comporter la mention : « les informations sur les risques auxquels ce bien est exposé sont disponibles sur le site Géorisques : www.georisques.gouv.fr » ;
    • L’état des risques établi depuis moins de six mois, sera remis à la première visite de l’immeuble au potentiel acquéreur ou locataire ;
    • Si les informations ne sont plus exactes lors de la signature de la promesse de vente, du contrat préliminaire en cas de vente en l’état d’achèvement, de l’acte authentique ou du contrat de bail, l’état des risques devra être actualisé.
  • Les articles R. 125-26 et R. 125-27 concernent la pollution des sols.

L’article R. 125-27 prévoit que le document d’information est annexé à la promesse de vente ou au contrat préliminaire en cas de vente en l’état futur d’achèvement, à l’acte authentique ou au contrat de location.

On notera donc une nouvelle extension de l’obligation d’information, chère au législateur depuis la réforme du droit des contrats.

Instruction des autorisations d’urbanisme – Coup d’arrêt (jurisprudentiel) à la pratique de la demande de pièces complémentaires excessive en cours d’instruction

Par une décision en date du 9 décembre dernier, le Conseil d’Etat a jugé que le délai d’instruction n’est ni interrompu, ni modifié par une demande, illégale, tendant à compléter le dossier par une pièce qui n’est pas exigée par le Code de l’urbanisme.

Les juges précisent – et il s’agit là du principal apport de l’arrêt -, qu’« une décision de non-opposition à déclaration préalable ou un permis tacite naît à l’expiration du délai d’instruction, sans qu’une telle demande puisse y faire obstacle » .

Le Conseil d’Etat confirme ainsi que :

  • l’autorité compétente ne peut pas suspendre un délai d’instruction à la faveur d’une demande de pièce excessive ;
  • une telle demande ne fera pas obstacle à la naissance d’une autorisation d’urbanisme à l’issue du délai d’instruction.

Jusqu’à présent, il était jugé que si l’illégalité d’une demande tendant à la production d’une pièce qui ne peut être requise, était de nature à entacher d’illégalité le refus d’accorder l’autorisation demandée, elle ne pouvait en revanche « avoir pour effet de rendre le pétitionnaire titulaire d’une décision implicite de non-opposition » (CE, 9 décembre 2015, Commune d’Asnières-sur-Nouère, req. n° 390273).

Cette position « un peu trop favorable à l’administration » s’expliquait néanmoins en ce que la jurisprudence « répugne à la naissance accidentelle de décisions tacites d’acceptation, pour des raisons tenant au souci d’éviter que se cristallisent de façon imprévue des décisions créatrices de droits qui heurteraient des règles de fond » (Xavier Domino, concl. sous CE, n° 390273, précité).

Certes « la solution […] n’est pas parfaite », mais comme poursuit Monsieur le Rapporteur Public, « les inconvénients de la solution inverse seraient encore supérieurs à ceux de la jurisprudence actuelle ».

La décision en date du 9 décembre 2022 opère donc bien un revirement de jurisprudence. Toutefois, la solution n’est pas nouvelle puisque cette règle est consacrée par l’article R. 423-41 du Code de l’urbanisme dans sa version issue du décret d’application de la loi ELAN (décret n° 2019-481 du 21 mai 2019), lequel dispose :

« Une demande de production de pièce manquante notifiée après la fin du délai d’un mois prévu à l’article R.423-38 ou ne portant pas sur l’une des pièces énumérées par le présent code n’a pas pour effet de modifier les délais d’instruction définis aux articles R.423-23 à R.423-37-1 et notifiés dans les conditions prévues par les articles R.423-42 à R.423-49 ».

Cet article constituait l’aboutissement du mouvement initié par la loi ELAN qui visait à combattre les pratiques dilatoires de certains services instructeurs (dont l’article 578 avait modifié l’article L. 423-1 du Code de l’urbanisme en ajoutant ce deuxième alinéa :

« Le dossier joint à ces demandes et déclarations ne peut comprendre que les pièces nécessaires à la vérification du respect du droit de l’Union européenne, des règles relatives à l’utilisation des sols et à l’implantation, à la destination, à la nature, à l’architecture, aux dimensions et à l’assainissement des constructions et à l’aménagement de leurs abords ainsi que des dispositions relatives à la salubrité ou à la sécurité publique ou relevant d’une autre législation dans les cas prévus au chapitre V du présent titre »).

Le juge parachève ainsi cette évolution. Les inconvénients liés à la naissance d’une décision tacite illégale seraient désormais inférieurs à ceux liés à la jurisprudence antérieure.

Cette décision ne doit ainsi pas uniquement être appréhendée comme fustigeant la pratique des services instructeurs.

Outre que la règle de l’article R. 423-41 du Code de l’urbanisme guide désormais l’instruction des autorisations d’urbanisme, il est utile de préciser que la pratique de demande de pièces complémentaires permettait aussi, en raison de l’allongement de délai induit, d’instaurer un dialogue avec les porteurs de projet pour précisément satisfaire aux prescriptions du PLU et élever la qualité des projets.

Cette décision présente d’importantes répercussions pratiques sur l’instruction des autorisations d’urbanisme.

La vigilance est désormais de mise pour les services instructeurs sollicitant des pièces complémentaires, notamment dans l’hypothèse d’édiction ultérieure d’un arrêté de refus puisque, le cas échéant, ce dernier emporterait retrait d’une décision créatrice de droit (du PC tacitement acquis), retrait pour rappel :

  • subordonné à l’illégalité de l’arrêté ;
  • enfermé dans un délai de 3 mois ;
  • devant être précédé d’une procédure contradictoire.

La tentation va aussi être grande pour les pétitionnaires de ne solliciter le certificat d’autorisation tacite qu’à l’issue du délai de retrait de l’article L. 424-5 du Code de l’urbanisme. 

En définitive, cette solution pourrait inciter l’autorité administrative à opposer directement un refus aux demandes d’autorisation d’urbanisme, plutôt que de prendre le risque de formuler une demande de pièces qui serait jugée excessive.

Et ce, d’autant que, contrairement à l’hypothèse de retrait de la décision emportant elle-même retrait de l’autorisation tacite (hypothèse de retrait du retrait), le retrait d’un refus impose à l’administration – sous réserve d’une injonction de délivrance prononcée par le juge – de reprendre l’instruction suite à la confirmation de sa demande par le pétitionnaire.

Camille TREHEUX, avocate associée SEBAN Armorique