Contrats publics
le 15/12/2022

Nouvelles précisions sur les personnes recevables à former un recours « Tarn-et-Garonne » contestant la validité d’un contrat public

CE, 2 décembre 2022, n° 454323

Par sa jurisprudence dite « Tarn-et-Garonne » en date du 4 avril 2014, le Conseil d’État a ouvert le recours en contestation de la validité d’un contrat public à « tout tiers à un contrat administratif susceptible d’être lésé dans ses intérêts de façon suffisamment directe et certaine par sa passation ou ses clauses », ainsi qu’aux membres de l’organe délibérant de la collectivité territoriale ou du groupement de collectivités territoriales concerné et au représentant de l’État dans le département dans l’exercice du contrôle de légalité (CE, 4 avril 2014, Département de Tarn-et-Garonne, req. n° 358994).

Depuis lors, le Conseil d’Etat a progressivement précisé les contours de la notion de « tiers susceptibles d’être lésés » et recevables, à ce titre, à former un recours Tarn-et-Garonne.

Dans un premier temps, il a semblé que cette notion devait s’entendre de manière large, dans la mesure où il a été jugé que les contribuables locaux sont recevables à former un tel recours dès lors qu’ils établissent « que la convention ou les clauses dont ils contestent la validité sont susceptibles d’emporter des conséquences significatives sur les finances ou le patrimoine de la collectivité » (CE, 27 mars 2020, req. n° 426291).

Mais, depuis lors, le Conseil d’Etat a, par souci de préserver la stabilité des relations contractuelles et les intérêts du cocontractant de l’administration, opéré un mouvement de resserrement de la notion de tiers susceptible d’être lésé, en déniant la recevabilité de recours tendant à l’annulation de contrats publics formés par des ordres professionnels qui se prévalaient des intérêts collectifs dont ils avaient la charge (CE 3 juin 2020, Département de la Loire-Atlantique, req. n° 426932 ; CE 20 juillet 2021, req. n° 443346).

Poursuivant ce travail d’identification des tiers susceptibles d’être lésés et donc recevables à former un recours Tarn-et-Garonne, le Conseil d’Etat a eu à se prononcer, par sa décision n° 454323 du 2 décembre 2022, sur le cas des membres du conseil d’administration d’un établissement public à caractère scientifique.

Cette décision a été rendue dans le cadre d’un litige portant sur la convention conclue entre l’Etat, l’Ecole normale supérieure (ENS) de Lyon et la communauté d’universités et établissements « Université de Lyon » par laquelle cette dernière s’est vue confier la souscription et la mise en œuvre d’un contrat de partenariat public-privé en vue de la réhabilitation, la restructuration et la mise aux normes du site Monod de l’ENS de Lyon. L’un des membres du conseil d’administration de l’ENS Lyon a saisi la juridiction administrative d’un recours tendant à l’annulation de cette convention, qui a toutefois été rejeté en première instance le 13 juin 2019 puis en appel le 6 mai 2021.

Saisi en cassation, le Conseil d’Etat commence par rappeler qu’outre le préfet, seuls peuvent engager une action contre un contrat même sans se prévaloir d’un intérêt lésé les membres de l’organe délibérant de la collectivité territoriale ou du groupement de collectivités territoriales concerné par le contrat. Il en déduit ensuite que le requérant ne dispose pas de cette faculté en tant que membre du conseil d’administration de l’ENS Lyon.

Par la suite, constatant que le requérant se bornait à invoquer ses qualités de membre du conseil d’administration de l’ENS et d’enseignant et ne justifiait donc d’aucun intérêt lésé par la passation ou les clauses du contrat attaqué, le Conseil d’Etat confirme l’arrêt attaqué et rejette le pourvoi.

Par cette décision, dont l’importance est marquée par sa mention aux tables du recueil Lebon, le Conseil d’Etat refuse d’étendre les frontières de la catégorie des « tiers privilégiés » pouvant former un recours Tarn-et-Garonne sans justifier d’un intérêt lésé. Il confirme ainsi que cette catégorie inclut uniquement le représentant de l’Etat dans le département et les membres de l’organe délibérant des collectivités territoriales et de leurs groupements, à l’exclusion de toute autre personne, y compris les administrateurs des établissements publics d’enseignement supérieur.

Le Conseil d’Etat s’en tient donc à la conception classique selon laquelle seuls les représentants de l’Etat et les élus des collectivités territoriales et de leurs groupements sont dépositaires de l’intérêt général et peuvent, de ce fait, contester la régularité d’un contrat public sans avoir à justifier, en sus, la lésion d’un intérêt qui leur soit propre.