Urbanisme, aménagement et foncier
le 15/12/2022

Instruction des autorisations d’urbanisme – Coup d’arrêt (jurisprudentiel) à la pratique de la demande de pièces complémentaires excessive en cours d’instruction

CE, 9 décembre 2022, n° 454521

Par une décision en date du 9 décembre dernier, le Conseil d’Etat a jugé que le délai d’instruction n’est ni interrompu, ni modifié par une demande, illégale, tendant à compléter le dossier par une pièce qui n’est pas exigée par le Code de l’urbanisme.

Les juges précisent – et il s’agit là du principal apport de l’arrêt -, qu’« une décision de non-opposition à déclaration préalable ou un permis tacite naît à l’expiration du délai d’instruction, sans qu’une telle demande puisse y faire obstacle » .

Le Conseil d’Etat confirme ainsi que :

  • l’autorité compétente ne peut pas suspendre un délai d’instruction à la faveur d’une demande de pièce excessive ;
  • une telle demande ne fera pas obstacle à la naissance d’une autorisation d’urbanisme à l’issue du délai d’instruction.

Jusqu’à présent, il était jugé que si l’illégalité d’une demande tendant à la production d’une pièce qui ne peut être requise, était de nature à entacher d’illégalité le refus d’accorder l’autorisation demandée, elle ne pouvait en revanche « avoir pour effet de rendre le pétitionnaire titulaire d’une décision implicite de non-opposition » (CE, 9 décembre 2015, Commune d’Asnières-sur-Nouère, req. n° 390273).

Cette position « un peu trop favorable à l’administration » s’expliquait néanmoins en ce que la jurisprudence « répugne à la naissance accidentelle de décisions tacites d’acceptation, pour des raisons tenant au souci d’éviter que se cristallisent de façon imprévue des décisions créatrices de droits qui heurteraient des règles de fond » (Xavier Domino, concl. sous CE, n° 390273, précité).

Certes « la solution […] n’est pas parfaite », mais comme poursuit Monsieur le Rapporteur Public, « les inconvénients de la solution inverse seraient encore supérieurs à ceux de la jurisprudence actuelle ».

La décision en date du 9 décembre 2022 opère donc bien un revirement de jurisprudence. Toutefois, la solution n’est pas nouvelle puisque cette règle est consacrée par l’article R. 423-41 du Code de l’urbanisme dans sa version issue du décret d’application de la loi ELAN (décret n° 2019-481 du 21 mai 2019), lequel dispose :

« Une demande de production de pièce manquante notifiée après la fin du délai d’un mois prévu à l’article R.423-38 ou ne portant pas sur l’une des pièces énumérées par le présent code n’a pas pour effet de modifier les délais d’instruction définis aux articles R.423-23 à R.423-37-1 et notifiés dans les conditions prévues par les articles R.423-42 à R.423-49 ».

Cet article constituait l’aboutissement du mouvement initié par la loi ELAN qui visait à combattre les pratiques dilatoires de certains services instructeurs (dont l’article 578 avait modifié l’article L. 423-1 du Code de l’urbanisme en ajoutant ce deuxième alinéa :

« Le dossier joint à ces demandes et déclarations ne peut comprendre que les pièces nécessaires à la vérification du respect du droit de l’Union européenne, des règles relatives à l’utilisation des sols et à l’implantation, à la destination, à la nature, à l’architecture, aux dimensions et à l’assainissement des constructions et à l’aménagement de leurs abords ainsi que des dispositions relatives à la salubrité ou à la sécurité publique ou relevant d’une autre législation dans les cas prévus au chapitre V du présent titre »).

Le juge parachève ainsi cette évolution. Les inconvénients liés à la naissance d’une décision tacite illégale seraient désormais inférieurs à ceux liés à la jurisprudence antérieure.

Cette décision ne doit ainsi pas uniquement être appréhendée comme fustigeant la pratique des services instructeurs.

Outre que la règle de l’article R. 423-41 du Code de l’urbanisme guide désormais l’instruction des autorisations d’urbanisme, il est utile de préciser que la pratique de demande de pièces complémentaires permettait aussi, en raison de l’allongement de délai induit, d’instaurer un dialogue avec les porteurs de projet pour précisément satisfaire aux prescriptions du PLU et élever la qualité des projets.

Cette décision présente d’importantes répercussions pratiques sur l’instruction des autorisations d’urbanisme.

La vigilance est désormais de mise pour les services instructeurs sollicitant des pièces complémentaires, notamment dans l’hypothèse d’édiction ultérieure d’un arrêté de refus puisque, le cas échéant, ce dernier emporterait retrait d’une décision créatrice de droit (du PC tacitement acquis), retrait pour rappel :

  • subordonné à l’illégalité de l’arrêté ;
  • enfermé dans un délai de 3 mois ;
  • devant être précédé d’une procédure contradictoire.

La tentation va aussi être grande pour les pétitionnaires de ne solliciter le certificat d’autorisation tacite qu’à l’issue du délai de retrait de l’article L. 424-5 du Code de l’urbanisme. 

En définitive, cette solution pourrait inciter l’autorité administrative à opposer directement un refus aux demandes d’autorisation d’urbanisme, plutôt que de prendre le risque de formuler une demande de pièces qui serait jugée excessive.

Et ce, d’autant que, contrairement à l’hypothèse de retrait de la décision emportant elle-même retrait de l’autorisation tacite (hypothèse de retrait du retrait), le retrait d’un refus impose à l’administration – sous réserve d’une injonction de délivrance prononcée par le juge – de reprendre l’instruction suite à la confirmation de sa demande par le pétitionnaire.

Camille TREHEUX, avocate associée SEBAN Armorique