Centres de santé et publicité

Cass. civ., 1ère, 9 juin 2017, n° 16.17-298

La Cour de cassation vient de se prononcer dans l’affaire de l’association Centre de soins dentaires Dentalvie qui avait été assignée à plusieurs reprises par le Conseil départemental de l’ordre des chirurgiens-dentistes des Pyrénées-Orientales dans le but d’obtenir le retrait sous astreinte de reportages et d’articles sur le site internet du centre ainsi que des dommages et intérêts.

En première instance, un jugement en date du 10 septembre 2013 a condamné l’association gestionnaire du centre de santé pour actes de concurrence déloyale au sens de l’article 1382 du Code civil tout en écartant l’application aux centres de santé du Code de déontologie des chirurgiens-dentistes dont les dispositions sont reprises au sein du Code de la santé publique aux articles R. 4127-201 et suivants.

Or, le Conseil de l’ordre s’est saisi de publications postérieures à ce jugement pour tenter de soumettre l’association au Code de déontologie des chirurgiens-dentistes.

Ce raisonnement n’a pas été retenu par la Cour de cassation qui considère « que ces dispositions ne régissent que ces professionnels et ne peuvent être opposées aux personnes morales qui les emploient ».

La Cour de cassation reprend ainsi mot pour mot son attendu de principe de l’arrêt du 26 avril 2017 (Cass. civ., 1ère, 26 avril 2017, n°16-14.036 et n°16-15.278) relatif à un autre centre de santé dentaire.

A noter qu’il apparaît à tout le moins paradoxal de la part de la Haute juridiction civile d’écarter l’application des règles déontologiques des professionnels de santé aux structures qui les emploient tout en reconnaissant que celles-ci commettent des actes pouvant être qualifiés de concurrence déloyale, alors même que les centres de santé obéissent à une réglementation spécifique prévue aux articles L. 6323-1 et suivants du Code de la santé publique.

 

Défaut de consentement de la personne publique, responsabilité quasi-contractuelle et faute du cocontractant de l’administration

La société Pointe-à-Pitre Distribution (ci-après, la « Société ») a livré à la commune de Goyave (ci-après, la « Commune ») diverses fournitures dans le cadre d’un marché public dont la conclusion n’avait pas été autorisée par le conseil municipal. La Commune n’ayant accepté de payer qu’une partie des factures, la Société a saisi le Tribunal administratif de Basse-Terre d’une requête tendant à ce que soit engagée la responsabilité contractuelle de la commune, ou, à défaut, sa responsabilité quasi-délictuelle. Le Tribunal administratif de Basse-Terre a rejeté les conclusions relatives à la responsabilité contractuelle de la Commune, mais l’a condamné à verser une somme à la Société sur le fondement des responsabilités quasi-contractuelle et quasi-délictuelle. La Commune a saisi la Cour administrative d’appel de Bordeaux qui a annulé ce jugement et rejeté l’ensemble des conclusions de la Société. Cette dernière s’est pourvue en cassation devant le Conseil d’Etat.

Tout d’abord, le Conseil d’Etat commence par rappeler que « lorsque les parties soumettent au Juge un litige relatif à l’exécution du contrat qui les lie, il incombe en principe à celui-ci, eu égard à l’exigence de loyauté des relations contractuelles, de faire application du contrat ; que, toutefois, dans le cas seulement où il constate une irrégularité invoquée par une partie ou relevée d’office par lui, tenant au caractère illicite du contrat ou à un vice d’une particulière gravité relatif notamment aux conditions dans lesquelles les parties ont donné leur consentement, il doit écarter le contrat et ne peut régler le litige sur le terrain contractuel ». En l’espèce, le Conseil d’Etat souligne que le maire de Goyave avait conclu le marché litigieux sans y avoir été autorisé par une délibération du conseil municipal. Il relève également l’absence de toute circonstance permettant d’estimer que le conseil municipal avait ensuite donné son accord à la conclusion du contrat pour en déduire que le consentement de la commune avait été affecté de manière substantielle faisant obstacle à ce que le litige soit réglé sur le terrain contractuel.

Le Conseil d’Etat se place donc sur le terrain de la responsabilité quasi-contractuelle pour régler le litige. Et il rappelle que « l’entrepreneur dont le contrat est écarté peut prétendre, sur un terrain quasi-contractuel, au remboursement de celles de ses dépenses qui ont été utiles à la collectivité envers laquelle il s’était engagé ; que les fautes éventuellement commises par l’intéressé antérieurement à la signature du contrat sont sans incidence sur son droit à indemnisation au titre de l’enrichissement sans cause de la collectivité, sauf si le contrat a été obtenu dans des conditions de nature à vicier le consentement de l’administration, ce qui fait obstacle à l’exercice d’une telle action ; que dans le cas où le contrat est écarté en raison d’une faute de l’administration, l’entrepreneur peut en outre, sous réserve du partage de responsabilités découlant le cas échéant de ses propres fautes, prétendre à la réparation du dommage imputable à la faute de l’administration ; qu’à ce titre il peut demander le paiement des sommes correspondant aux autres dépenses exposées par lui pour l’exécution du contrat et aux gains dont il a été effectivement privé du fait de sa non-application, notamment du bénéfice auquel il pouvait prétendre, si toutefois l’indemnité à laquelle il a droit sur un terrain quasi-contractuel ne lui assure pas déjà une rémunération supérieure à celle que l’exécution du contrat lui aurait procurée ».

En l’espèce, la Cour administrative d’appel de Bordeaux avait écarté la responsabilité de la Commune au motif, notamment, que la Société avait « commis une faute grave en se prêtant à la conclusion d’un marché, dont, compte-tenu de son expérience, [elle] ne pouvait ignorer l’illégalité ». Le Conseil d’Etat censure ce raisonnement en jugeant que cette circonstance n’était pas de nature à exonérer totalement la commune de Goyave de sa responsabilité quasi-délictuelle, en dépit de la faute que la Société avait commise. Le Conseil d’Etat annule donc l’arrêt de la Cour administrative d’appel de Bordeaux en tant qu’il a rejeté les conclusions de la société Pointe-à-Pitre Distribution présentées sur les terrains des responsabilités quasi-contractuelle et quasi-délictuelle de la commune de Goyave et renvoi l’affaire devant ladite Cour.

 

Pouvoir de contrôle du maître d’ouvrage sur les travaux réalisés par un sous-traitant dans un marché de travaux en cas de paiement direct

Dans une décision en date du 9 juin 2017, le Conseil d’Etat précise le pouvoir de contrôle de la personne publique, maître d’ouvrage, sur les travaux réalisés par un sous-traitant dans un marché de travaux en cas de paiement direct.

La commune de Montereau-Fault-Yonne (ci-après, la « Commune ») a attribué, en 2007, à la société Everwood un marché de conception-réalisation relatif à la construction d’un « village associatif », constitué d’un bâtiment en modules préfabriqués sur un plancher en béton. Par un acte spécial du 14 février 2008, la Commune a agréé, à hauteur de 77.033,07 euros, les conditions de paiement de la société Keller Fondations Spéciales (ci-après, la « Société KFS »), sous-traitante pour le lot « fondations » de la société Everwood. La Société KFS n’ayant pas obtenu de réponse à la demande de paiement adressée à la société Everwood, elle a sollicité de la Commune le paiement direct de ses prestations. La commune a refusé de s’acquitter de cette somme au motif que les prestations n’étaient pas conformes aux stipulations du contrat conclu avec l’entrepreneur. Le Tribunal administratif de Melun a fait droit à la demande de la Société KFS, par un jugement en date du 10 avril 2014, et condamné la commune à lui verser une somme de 77.032,95 euros en paiement de ses prestations. La Cour administrative d’appel de Paris ayant annulé ce jugement, la Société KFS s’est pourvue en cassation devant le Conseil d’Etat.

Dans un considérant de principe, le Conseil d’Etat énonce que « dans l’hypothèse d’une rémunération directe du sous-traitant par le maître d’ouvrage, ce dernier peut contrôler l’exécution effective des travaux sous-traités et le montant de la créance du sous-traitant ». Le Conseil d’Etat juge ensuite que la Cour administrative d’appel de Paris n’a commis aucune erreur de droit en jugeant que la Commune avait le pouvoir de s’assurer que la consistance des travaux réalisés par le sous-traitant correspondait à ce qui était prévu par le marché et qu’en l’espère, la Commune avait, à bon droit, refusé le paiement des prestations de la société KFS dès lors que les travaux réalisés par cette dernière ne correspondaient pas à ce que prévoyait le marché.

Par cette décision, le Conseil d’Etat renforce donc les pouvoirs de la personne publique, maître d’ouvrage, en confirmant son pouvoir de contrôle sur les travaux réalisés par le sous-traitant en cas de paiement direct. La personne publique peut, en effet, s’assurer que les prestations réalisées sont conformes aux règles de l’art et aux stipulations contractuelles du marché et, à défaut d’une telle conformité, refuser de procéder au paiement du sous-traitant.

 

Précisions procédurales sur les compléments apportés à l’étude d’impact avant mise à enquête publique

CE, 28 juin 2017, Ministre du Logement et de l’Habitat Durable c/ SAC du Plo de Maorou, n° 400009

Par un arrêt en date du 28 juin 2017, le Conseil d’Etat a apporté une précision importante sur l’articulation entre l’élaboration d’une étude d’impact environnementale, la soumission pour avis de cette étude à l’autorité environnementale de l’Etat et la composition du dossier d’enquête publique.

Au cas particulier, un permis de construire portant sur l’édification d’une unité de production photovoltaïque a été octroyé par le préfet de l’Aude à la commune d’Escales.

Une société a demandé l’annulation de ce permis devant la juridiction administrative. Le Tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa demande en première instance, tandis que la Cour administrative d’appel de Marseille a annulé le jugement ainsi que l’arrêté préfectoral de permis de construire.

Le Ministre du logement a alors formé un pourvoi devant le Conseil d’Etat.

Si ce dernier, dans son arrêt, rejette ledit pourvoi, il remet en cause l’un des motifs d’annulation retenu par la Cour administrative d’appel, qui portait sur le fait que le maître d’ouvrage avait apporté un complément à l’étude d’impact, à la demande de l’autorité environnementale de l’Etat dans le cadre de l’avis qu’elle rend sur le projet (en vertu de l’article R. 122-13 du Code de l’environnement, alors en vigueur), sans toutefois soumettre ce complément à ladite autorité.

Le Conseil d’Etat a considéré que, ce faisant, la Cour administrative d’appel de Marseille a commis une erreur de droit, dans un considérant qu’il est nécessaire de reproduire in extenso :

« Considérant qu’il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, dans son avis du 13 juillet 2011, l’autorité environnementale a recommandé au maître d’ouvrage de compléter le dossier soumis à enquête publique par des expertises spécifiques destinées à mieux caractériser les enjeux du projet pour la faune et la flore, à présenter un zonage des contraintes portant notamment sur les espaces naturels et à préciser les mesures envisagées ; qu’un complément à l’étude d’impact a été transmis par le pétitionnaire et joint au dossier d’enquête publique, sans avoir été préalablement communiqué à cette autorité ; que, toutefois, les dispositions précitées alors en vigueur n’imposaient pas de soumettre à l’autorité compétente en matière d’environnement les éléments complémentaires que produit le pétitionnaire, à la suite d’un avis qu’elle a rendu, en vue d’assurer une meilleure information du public et de l’autorité chargée de statuer sur la demande d’autorisation ; qu’il n’en serait allé autrement que dans le cas où les éléments complémentaires produits par le pétitionnaire auraient été destinés à combler des lacunes de l’étude d’impact d’une importance telle que l’autorité environnementale n’aurait pu, en leur absence, rendre un avis sur la demande d’autorisation, en ce qui concerne ses effets sur l’environnement ; que, par suite, en jugeant, sans rechercher si le dossier sur lequel l’autorité environnementale s’était prononcée comportait de telles lacunes, que l’avis de cette autorité sur le projet d’unité de production photovoltaïque avait été irrégulièrement rendu, dès lors que le dossier sur lequel elle s’est prononcée était incomplet en l’absence des éléments complémentaires qu’elle avait sollicités, la cour a commis une erreur de droit ».

Le Conseil d’Etat estime donc que les compléments mineurs apportés à l’étude d’impact n’ont pas à être transmis pour avis à l’autorité environnementale de l’Etat.

En revanche, les ajouts à l’étude d’impact, ayant pour objet de remédier à des lacunes telles que l’autorité environnementale de l’Etat n’aurait pas pu rendre son avis, doivent être transmis pour avis à l’autorité environnementale de l’Etat.

Nul doute qu’en instituant une telle distinction, le Conseil d’Etat ouvre la voie à une nouvelle série de débats sur la nature des compléments apportés à une étude d’impact.

En revanche, on peut saluer le pragmatisme dont fait preuve la Haute juridiction administrative, dans la mesure où un tel arrêt pourra satisfaire les maîtres d’ouvrage, en évitant d’allonger davantage leurs calendriers opérationnels, déjà bien contraints par les procédures administratives.

Clarification sur la répartition des compétences juridictionnelles en matière de préemption illégale

Par un arrêt en date du 12 juin 2017, le Tribunal des conflits entend clarifier la compétence du Juge administratif en matière de rétrocession d’un bien illégalement préempté.

Pour rappel, reprenant les principes qui avaient été posés par la décision du Conseil d’Etat du 26 février 2003, M. et Mme Bour, la loi ALUR n° 2014-366 du 24 mars 2014 a entériné la compétence du Juge judiciaire pour statuer l’ensemble des actions en dommages et intérêts introduites contre l’autorité préemptrice laquelle se serait abstenue de proposer la rétrocession du bien à l’ancien propriétaire ou, en cas de renonciation de sa part, à l’acquéreur évincé (art. L.213-12 du C. urb.)

Pour autant, par cette décision, le Tribunal des conflits rappelle qu’il n’existe pas un bloc de compétence au profit du Juge judiciaire pour statuer sur les conséquences de la vente réalisée sur la base d’une décision de préemption illégale.

En l’espèce, à la suite du refus formulé par le titulaire du droit de préemption de proposer la rétrocession du bien à l’ancien propriétaire et, ensuite, dans l’hypothèse où ce dernier renonce à acquérir le bien, de le proposer à l’acquéreur évincé comme l’exigent les dispositions de l’article  L. 213-11-1 du Code de l’urbanisme, l’acquéreur évincé a saisi le Tribunal administratif d’un recours en annulation contre le rejet implicite de l’autorité préemptrice de faire ces deux propositions d’acquisition.

Cette dernière ayant soulevé l’incompétence de la juridiction administrative pour se prononcer sur une telle demande, le Tribunal administratif de Paris a saisi le Tribunal des conflits pour trancher ces questions de compétence.

Aux termes du considérant de principe, le Juge des conflits rappelle la compétence du Juge administratif qui « saisi de conclusions en ce sens par l’ancien propriétaire ou l’acquéreur évincé, d’exercer les pouvoirs qu’il tient des articles L. 911-1 et suivants du Code de justice administrative afin d’ordonner, le cas échéant sous astreinte, les mesures qu’implique l’annulation, par le Juge de l’excès de pouvoir, de la décision de préemption ».

Désormais, dans l’hypothèse où l’autorité préemptrice s’abstient de proposer la rétrocession du bien à l’ancien propriétaire et à l’acquéreur évincé, deux alternatives s’offrent à eux :

  • soit saisir le Juge judiciaire d’une action en nullité du contrat de vente ou d’une action indemnitaire dans l’hypothèse où ils ne souhaitent pas se voir rétrocéder le bien ;
  • soit saisir le Juge administratif d’une demande d’injonction afin d’enjoindre à l’autorité préemptrice de proposer la rétrocession du bien illégalement préempté.

Précisions sur l’intérêt à agir du propriétaire d’un terrain nu pour contester contre un permis de construire

Par cette nouvelle décision, le Juge administratif apporte des éléments supplémentaires à sa jurisprudence sur les conditions d’appréciation de l’intérêt à agir contre des permis de construire, d’aménager ou de démolir.

Depuis l’ordonnance n° 2013-638 du 18 juillet 2013 relative au contentieux de l’urbanisme, qui introduit un nouvel article L. 600-1-2 au sein du livre VI du Code de l’urbanisme, le Conseil d’Etat  a, par touches successives, précisé les conditions de l’intérêt à agir en catégorisant les requérants.

Pour le requérant voisin immédiat du projet, il existe en principe, une présomption d’intérêt à agir.

Pour cela, encore faut-il que ce dernier fasse état devant le Juge administratif d’éléments démontrant l’ampleur du projet de construction.

Egalement, il doit prouver que ce projet portera nécessairement atteinte à ses conditions d’occupation en apportant des éléments (preuve d’une pollution visuelle ou sonore, d’une perte d’ensoleillement, ou de difficultés de stationnement) qui permettront au Juge d’exercer un contrôle in concreto sur les pièces du dossier (CE, 13 avril 2016, n° 389798 ; CE, 20 juin 2016, n° 386932).

S’agissant des voisins éloignés du projet de construction, il n’existe aucune présomption d’intérêt à agir.

Dans cette hypothèse, le Juge administratif a précisé que « les écritures et les documents produits par l’auteur du recours doivent faire apparaître clairement en quoi les conditions d’occupation, d’utilisation ou de jouissance de son bien sont susceptibles d’être directement affectées par le projet litigieux » (CE, 10 février 2016, n° 387507).

Dès lors que le requérant ne justifie pas, par des « éléments probants et suffisant précis », que le projet en cause est susceptible d’affecter directement ses conditions d’occupation d’utilisation ou de jouissance de son bien, les juridictions de fond rejettent systématiquement les requêtes pour irrecevabilité manifeste (CAA Nantes, 31 mars 2016, n° 15NC02495).

Par cette décision du  28 avril 2017, le Conseil d’Etat pose les conditions de l’intérêt à agir pour une nouvelle catégorie de requérants, celle de voisin propriétaire non occupant du terrain.

Précisément, en l’espèce, il était question du recours introduit contre un permis de construire pour la réalisation de trois maisons individuelles par un requérant, voisin des parcelles en litige, et propriétaire de terrains inconstructibles à vocation agricole.

Tout d’abord, le Conseil d’Etat reconnait l’intérêt à agir d’un voisin propriétaire de terrains inconstructibles.

Ensuite, la deuxième partie de la solution rendue s’inscrit dans sa lignée jurisprudentielle puisqu’il précise que le propriétaire ni exploitant ni occupant doit produire au dossier des éléments propres pour attester que la construction, ses caractéristiques et la configuration des lieux, est de nature à affecter directement les conditions de jouissance de son bien.

Toutefois, après avoir rappelé ces principes, le Conseil d’Etat reconnaît que « si les projets litigieux conduisaient à urbaniser un secteur naturel protégé, cette seule circonstance n’était pas nature à affecter les conditions d’occupation, d’utilisation ou de jouissance des terrains que M. F… possède à proximité dès lors qu’ils sont à vocation agricole et dépourvus de toute construction d’habitation ».

Ainsi, il a considéré que la Cour administrative d’appel de Nantes a commis une erreur de droit en ne recherchant pas « si, au vu des éléments versés au dossier, les constructions projetées étaient de nature à porter une atteinte directe aux conditions de jouissance de son bien ».

Reste à savoir comment s’apprécie « l’atteinte directe aux conditions de jouissance du bien » alors même que la parcelle du requérant est dépourvue de toute construction.

 

Régularité des notifications par voie administrative refusées par l’agent

Dans un arrêt en date du 10 mai 2017, le Conseil d’Etat a jugé que la notification en main propre d’une décision à un agent par son supérieur est régulière, même lorsque l’agent refuse de la recevoir et de la signer.

La Haute juridiction avait déjà jugé, dans un arrêt du 25 mars 2013 (n° 352586), que l’absence de signature ne privait pas une notification en main propre de sa régularité, dès lors que la mention « refus de signer la notification le 27 octobre 2006 » faisait foi jusqu’à preuve du contraire.

Dans l’arrêt en date du 10 mai 2017, l’agent avait non seulement refusé de signer le document, mais également refusé de le recevoir. Dans une telle hypothèse, l’on pouvait s’interroger sur la portée de la seule tentative échouée de notification quant aux dispositions de l’article R. 421-1 du Code de justice administrative, qui impose que la notification de la décision comporte mention des voies et délais de recours. L’agent n’ayant pas reçu la décision, il ne pouvait en avoir connaissance.

A cette question, le Conseil d’Etat offre une réponse pragmatique : dans une telle hypothèse, la notification doit être regardée comme ayant été régulièrement effectuée.

Une solution contraire aurait en effet ouvert la possibilité aux agents de retarder le délai de recours en refusant de recevoir une décision. Le Conseil d’Etat évite cet écueil, considérant  que lorsque l’administration a tout mis en œuvre pour notifier la décision à l’agent, elle n’a pas à être préjudiciée par la résistance de l’agent.

Une question reste néanmoins en suspens dans cette décision. Après avoir énoncé cette solution de principe, il a en effet annulé l’arrêt de la Cour administrative d’appel de Bordeaux, au motif qu’elle n’avait pas recherché si la notification ultérieure de la décision par voie postale n’avait pas induit en erreur l’agent. Cette seconde notification mentionnait en effet que l’agent disposait de deux mois pour contester la décision à compter de sa notification. Ceci avait pu effectivement l’induire en erreur sur le point de départ du délai, qui, en vertu du principe posé par le Conseil d’Etat, n’était pas le jour de la réception postale de la décision, mais celui de la tentative infructueuse de notification.

Le Conseil d’Etat n’a malheureusement pas statué sur ce point comme l’y autorisait l’article L. 821-2 du Code de justice administrative, et a renvoyé l’affaire à la Cour administrative d’appel de Bordeaux qui devra donc trancher cette question.

En l’absence de réponse de la juridiction sur ce point pour le moment et afin d’éviter toute ambigüité, il conviendra donc, en cas d’envoi postal d’une décision dont la notification par voie hiérarchique a échoué, de préciser clairement que le point de départ du délai de recours est celui du jour de la tentative infructueuse de notification.

Précisions sur l’exercice du droit de report pour les agents de l’Etat qui se sont trouvés dans l’impossibilité de prendre leurs congés annuels en raison d’un congé maladie

Le Conseil d’Etat avait déjà jugé dans sa jurisprudence Lliboutry (CE 26 octobre 2012, n° 346648) l’incompatibilité du décret du 26 octobre 1984 relatif aux congés annuels des fonctionnaires de l’Etat avec la directive 2003/88/CE du 4 novembre 2003 relative à certains aspects de l’aménagement du temps de travail.

Le décret litigieux prévoyait que « tout fonctionnaire de l’Etat en activité a droit […] pour une année de service accompli du 1er janvier au 31 décembre, à un congé annuel » et précise que le « congé dû ne peut se reporter sur l’année suivante, sauf autorisation exceptionnelle ».

Il ne prévoyait donc pas de droit à un report pour les agents qui ont été dans l’impossibilité de prendre leurs congés annuels en raison d’un congé maladie, droit pourtant consacré par la jurisprudence de la Cour de justice des Communautés européennes en application de la directive de 2003 (CJCE, arrêts C-350/06 et C-520/06 du 20 janvier 2009). Le Conseil d’Etat avait alors dû s’aligner sur le droit européen et reconnaitre ce droit, sans en fixer les conditions d’exercice.

Si  le droit européen a reconnu le droit de report pendant une durée substantiellement supérieure à la durée initiale de l’exercice du droit de congés, il ne s’est pas opposé à ce que des dispositions nationales viennent le restreindre temporellement afin d’éviter un droit de cumuler de manière illimitée des droits aux congés annuels (CJUE, arrêt C-21/10 du 22 novembre 2011).

C’est dans ce cadre que le Conseil d’Etat, ici saisi pour avis par la Cour administrative d’appel de Bordeaux, s’inspire du droit allemand et vient fixer le cadre d’exercice de ce droit de report en l’absence de dispositions législatives ou réglementaires.

Ainsi, le fonctionnaire d’Etat qui s’est trouvé dans l’impossibilité d’exercer son droit à congés annuels, en raison d’un congé maladie, pourra durant une période de quinze mois après l’année durant laquelle il aurait dû exercer son droit, reporter ses congés et ce, dans la limite de quatre semaines.

Si la limite temporelle est désormais déterminée par le Conseil d’Etat, elle demeure cependant susceptible d’être modifiée par intervention législative ou réglementaire, intervention au demeurant souhaitable puisque les textes en vigueur aujourd’hui ne tiennent pas compte de la jurisprudence européenne et nationale.

Renonciation à préemption après fixation judiciaire de prix : précisions sur la notion de décision juridictionnelle définitive

La Cour de Cassation a été amenée récemment à préciser les conditions de mise en œuvre de la renonciation au droit de préemption sur le fondement de l’article L. 213-7 du Code de l’urbanisme.

Pour rappel, cet article dispose en son alinéa 2 que dans le délai de deux mois suivants la décision juridictionnelle devenue définitive, la commune peut renoncer à exercer son droit de préemption.

Dans le cas d’espèce, l’autorité préemptrice avait renoncé à la préemption après avoir interjeté appel du jugement de première instance. Elle s’était alors désistée de l’instance pendante devant la Cour.

Pour la Cour d’appel de Paris, cette renonciation était tardive. Selon la juridiction, en présence d’un désistement en cours d’appel, la date de la décision juridictionnelle devenue définitive au sens de l’article L. 213-7 du Code de l’urbanisme est celle du jugement de première instance.

Dès lors, l’autorité préemptrice ayant renoncé à préempter plus de deux mois après le jugement, elle a commis une faute. Elle est donc condamnée à payer des dommages-intérêts.

La Cour de cassation annule et casse alors cet arrêt en jugeant :

« Qu’en statuant ainsi, alors qu’à la date à laquelle la communauté d’agglomération a renoncé à la préemption, l’instance d’appel était toujours en cours de sorte que le jugement n’était pas devenu définitif, la Cour d’appel a violé le texte susvisé ».

Pour la Haute juridiction, il convient ainsi de se placer à la date de la renonciation expresse au droit de préemption pour examiner si celle-ci a eu lieu dans le délai de deux mois de l’alinéa 2 de l’article L. 213-7 du Code de l’urbanisme.

Or, dans le cas d’espèce, après avoir interjeté appel du jugement de première instance, l’autorité préemptrice avait renoncé à exercer son droit de préemption expressément puis elle s’était désistée de son action.

Dès lors, à la date de la décision de renonciation, le jugement de première instance n’était pas devenu définitif puisque l’affaire était toujours pendante devant la Cour d’appel.

C’est donc à bon droit que la Cour de Cassation a censuré l’arrêt de la Cour d’appel.

A la lecture de cet arrêt, les autorités préemptrices doivent être particulièrement rigoureuses lorsqu’elles décident de renoncer à l’exercice du droit de préemption en cours d’appel. Il est nécessaire, tout d’abord, qu’elle renonce expressément à préempter le bien, puis procède au dépôt d’un mémoire de désistement devant la Cour d’appel.

Modalités de contestation du droit de préemption urbain : la clarification bienvenue du Conseil d’Etat

Par une décision en date du 10 mai 2017, le Conseil d’Etat a précisé les conditions de contestation du droit de préemption urbain et plus particulièrement de l’acte instituant le droit de préemption dans le cadre des recours contre les décisions individuelles de préemption :

« 3. L’illégalité d’un acte administratif, qu’il soit ou non réglementaire, ne peut être utilement invoquée par voie d’exception à l’appui de conclusions dirigées contre une décision administrative ultérieure que si cette dernière décision a pour base légale le premier acte ou été prise pour son application. En outre, s’agissant d’un acte non réglementaire, l’exception n’est recevable que si l’acte n’est pas devenu définitif à la date à laquelle elle est invoquée, sauf dans le cas où, l’acte et la décision ultérieure constituant les éléments d’une même opération complexe, l’illégalité dont l’acte serait entaché peut être invoquée en dépit du caractère définitif de cet acte.

4. L’illégalité de l’acte instituant un droit de préemption urbain peut être utilement invoquée par voie d’exception à l’appui de conclusions dirigées contre une décision de préemption. Toutefois, cet acte, qui se borne à rendre applicables dans la zone qu’il délimite les dispositions législatives et réglementaires régissant l’exercice de ce droit, sans comporter lui-même aucune disposition normative nouvelle, ne revêt pas un caractère réglementaire et ne forme pas avec les décisions individuelles de préemption prises dans la zone une opération administrative unique comportant un lien tel qu’un requérant serait encore recevable à invoquer par la voie de l’exception les illégalités qui l’affecteraient, alors qu’il aurait acquis un caractère définitif ».

Ainsi, selon le Conseil d’Etat, l’acte instituant le droit de préemption urbain ne constitue pas un acte réglementaire et ne forme pas une opération complexe avec les décisions individuelles de préemption.

Dès lors, l’illégalité de l’acte instituant le droit de préemption urbain ne peut plus être soulevée dès lors que celui-ci se borne à délimiter le périmètre du droit de préemption urbain conformément aux dispositions législatives et réglementaires applicables, et qu’il est devenu définitif.

Le Conseil d’Etat confirme ainsi la jurisprudence de la Cour administrative d’appel de Paris (CAA Paris, 8 juillet 2008, n° 05PA02723, mentionné aux Tables) et censure les positions récentes inverses de la Cour administrative de Marseille (voir notamment CAA Marseille, 15 mars 2012, n° 10MA01865).

Cette jurisprudence est ainsi favorable aux autorités préemptrices puisqu’elle limite les griefs pouvant être soulevés à l’occasion des recours contre les décisions individuelles de préemption.

Par ailleurs, le Conseil d’Etat profite de cette décision pour préciser les conditions de notification de la décision de préemption au propriétaire. Celle-ci peut être effectuée par lettre recommandée avec demande d’avis de réception ou par voie d’Huissier. En cas de lettre recommandée, la réception intervient à la date à laquelle le pli est présenté pour la première fois à l’adresse indiquée par la déclaration d’intention d’aliéner tandis qu’en cas de signification par voie d’Huissier, celle-ci doit être réputée effective dans les conditions prévues par l’article 656 du Code de procédure civile.

Définition des zones humides et spontanéité de la végétation

Dans le cadre d’une note technique datée du 16 juin 2017, le Ministre de la transition écologique et solidaire a précisé la notion de végétation inscrite à l’article L. 211-1 du Code de l’environnement à la suite de la lecture faite par le Conseil d’Etat des critères de caractérisation des zones humides dans sa décision en date du 22 février 2017.

Aux termes de l’article L. 211-1 §I/1° du Code de l’environnement, « on entend par zone humide les terrains, exploités ou non, habituellement inondés ou gorgés d’eau douce, salée ou saumâtre de façon permanente ou temporaire ; la végétation, quand elle existe, y est dominée par des plantes hygrophiles pendant au moins une partie de l’année ».

Un arrêté en date du 24 juin 2008 a précisé les critères de définition et de délimitation des zones humides. Il indique qu’une zone est considérée comme humide si elle présente l’un des critères « sol » ou « végétation » qu’il fixe par ailleurs.

Dans un arrêt en date du 22 février 2017, le Conseil d’Etat a considéré « qu’une zone humide ne peut être caractérisée, lorsque de la végétation y existe, que par la présence simultanée de sols habituellement inondés ou gorgés d’eau et, pendant au moins une partie de l’année, de plantes hygrophiles » (CE, 22 février 2017, n° 386325).

Contrairement à ce que retient l’arrêté du 24 juin 2008, le Conseil d’Etat considère ainsi que les critères pédologique et botanique sont cumulatifs.

La note du 16 juin 2017 vient donc préciser l’application et l’articulation des dispositions légales et réglementaires, jugées contradictoires par la Haute juridiction administrative.

Le Ministre d’Etat invite les services compétents à opérer une distinction selon le type de végétation présente sur la zone étudiée.

Ils examineront si la végétation est « spontanée », c’est-à-dire résultant naturellement des conditions du sol et exprimant les conditions écologiques du milieu malgré les aménagements et activités qu’elle a subit.

Elle ne saurait être qualifiée de végétation « spontanée » dès lors qu’elle résulterait d’une action anthropique (végétation présente sur des parcelles labourées, plantées, cultivées, etc.).

La décision du Conseil d’Etat (établissant le caractère cumulatif des critères susvisés) ne sera applicable qu’en présence de végétation spontanée.

En synthèse, en présence d’une végétation « spontanée », les critères sont cumulatifs. En présence d’une végétation « non spontanée », le seul critère pédologique est suffisant.

 Ces précisions ne sont pas négligeables en matière d’aménagement. Dès lors que les parcelles visées par un projet seraient susceptibles d’abriter une végétation « spontanée », le pétitionnaire d’une demande d’autorisation « Loi sur l’eau » devra donc s’attacher à fournir une étude botanique et une étude portant sur les sols.

Délégation de service public – égalité de traitement des candidats – examen partiel des offres

A travers sa décision en date du 9 juin 2017, le Conseil d’Etat vient rappeler l’obligation pour un délégant d’étudier dans leur entièreté les offres des candidats à une délégation de service public, sous peine de contrevenir aux grands principes de la commande publique.

En l’occurrence, une collectivité avait demandé aux candidats, dans le règlement de la consultation, de proposer leur offre finale selon deux scénarios.

Le choix de cette collectivité de n’examiner qu’un des deux scénarios l’a conduit à procéder à un examen partiel des offres finales.

Saisi par un candidat évincé, le Conseil d’Etat considère que cet examen partiel, sans que les candidats aient été prévenus au préalable, constitue un manquement « aux principes de liberté d’accès à la commande publique, d’égalité de traitement des candidats et de transparence des procédures » justifiant « l’annulation de la totalité de la procédure de passation ».

Ce faisant, la Haute juridiction rappelle aux autorités délégantes l’obligation de respecter, tout autant que les candidats, les prescriptions du règlement de la consultation.

Cette décision souligne la prudence avec laquelle les autorités délégantes doivent manier les notions d’option et de variante qui, rappelons-le, sont issues du droit des marchés publics (CE, 9 juin 2017, n° 408082)

Précisions du Juge sur le tarif d’achat de l’électricité produite à partir d’une installation photovoltaïque intégrée au bâti

Par un arrêt en date du 4 mai 2017 (CAA Bordeaux, Société Leclercq contre société Sorégies, n° 15BX01303), la Cour administrative d’appel de Bordeaux s’est prononcée sur la détermination du tarif d’achat d’électricité applicable à une société produisant de l’électricité à partir d’une installation utilisant l’énergie radiative du soleil.

Dans le contrat d’achat d’électricité proposé, en application des articles L. 314-1 et suivants du Code de l’énergie, par l’entreprise locale de distribution d’électricité (« ELD ») à la société productrice, le tarif d’achat était le tarif « T5 », moins élevé que le tarif « T4 » auquel cette dernière prétendait avoir droit.

Le producteur a alors formé un recours contre la décision de l’ELD par laquelle cette dernière refusait de lui faire bénéficier du tarif d’achat d’électricité T4. Le Tribunal administratif de Poitiers avait rejeté ce recours. Le producteur avait alors interjeté appel de ce jugement.

En premier lieu, la Cour administrative d’appel ainsi saisie a jugé que le Tribunal administratif avait, à tort, réglé le litige sur le terrain contractuel en considérant qu’un accord des parties sur la chose et sur le prix était intervenu, alors même que le contrat d’achat avait été signé uniquement par l’ELD. La Cour a rappelé à cet effet que les contrats d’achat d’électricité sont expressément qualifiés par l’article L. 314-7 du Code de l’énergie, issu de la loi n° 2000-108 du 10 février 2000 relative à la modernisation et au développement du service public de l’électricité, de« contrats administratifs qui ne sont conclus et qui n’engagent les parties qu’à compter de leur signature ». Ainsi, en l’absence de signature du contrat d’achat par le producteur, les parties n’étaient pas engagées par le tarif qui y était stipulé.

En second lieu, la Cour a indiqué que les conditions d’achat de l’électricité produite par l’installation de la société requérante sont fixées par l’article 2 3° du décret n° 2000-1196 du 6 décembre 2000, désormais codifié, et par l’arrêté tarifaire du 4 mars 2011 pris pour son application. Cet arrêté détermine précisément les tarifs auxquels un producteur est éligible au vu des caractéristiques données par ce dernier dans sa demande de raccordement. Ces caractéristiques sont notamment la nature de l’installation, sa puissance crête totale et la nature de l’exploitation.

Et, la Cour a estimé qu’au vu des caractéristiques indiquées par le pétitionnaire dans sa demande (« installation photovoltaïque d’une « puissance installée en intégration au bâti (autre usage) de 16kWc » »), et comme l’avait déjà constaté la Direction générale de l’énergie et du climat dans une note en date du 28 mars 2011, l’installation du requérant était éligible aux tarifs T4 et T5, au choix du demandeur.

En outre, selon la Cour, le refus de l’ELD d’accorder le tarif T4 à la société productrice ne pouvait être fondé sur le fait que cette dernière aurait seulement sollicité, à la date d’envoi de sa demande de raccordement, l’application du tarif T5.

Par conséquent, la Cour a annulé la décision de refus  de l’ELD d’appliquer le tarif T4, et a enjoint à cette dernière de conclure avec le pétitionnaire un contrat d’achat d’électricité au tarif T4 en vigueur à la date de la demande complète de raccordement formulée par ce dernier.

Validation par le Juge administratif d’un règlement de voirie imposant aux sociétés concessionnaires de réseaux de détecter la présence d’amiante préalablement à la réalisation de leurs travaux

CAA de Nantes, 16 juin 2017, Société GRDF et société ENEDIS, n°s 16NT01065 et 16NT01066

Dans le passé, des produits aujourd’hui considérés comme dangereux ont pu être utilisés dans les enrobés de la voirie routière, à savoir l’amiante et certains hydrocarbures aromatiques polycycliques (ci-après « HAP »).

S’agissant en particulier de l’amiante, son utilisation est interdite depuis l’entrée en vigueur, le 1er janvier 1997, du décret n° 96-1133 du 24 décembre 1996 relatif à l’interdiction de l’amiante. Plus précisément, l’article 1er de ce décret interdit :

  • au titre de la protection des travailleurs, la fabrication, la transformation, la vente, l’importation, la mise sur le marché national et la cession à quelque titre que ce soit de toutes variétés de fibres d’amiante, que ces substances soient ou non incorporées dans des matériaux, produits ou dispositifs ;
  • au titre de la protection des consommateurs, la fabrication, l’importation, la mise sur le marché national, l’exportation, la détention en vue de la vente, l’offre, la vente et la cession à quelque titre que ce soit de toutes variétés de fibres d’amiante et de tout produit en contenant.

Au vu de ce texte, aucune fibre d’amiante ne devrait entrer dans la composition des enrobés de voirie réalisés postérieurement au 1er janvier 1997.

Mais se pose la question de la présence d’amiante dans les enrobés de voirie réalisés avant cette interdiction, en particulier entre les années 1970 et 1990, et que l’on retrouve à l’occasion de travaux.

En effet, c’est en creusant et en retournant la voirie que l’on peut excaver des produits nocifs, au contact desquels la santé des travailleurs sur les chantiers est susceptible d’être mise en danger.

Mieux vaut alors anticiper ces découvertes en recherchant, en amont, la présence de ces produits sur la partie de la voirie où seront effectués les futurs travaux.

C’est ainsi qu’un département a prévu, dans son règlement de voirie, de mettre à la charge du donneur d’ordre de travaux effectués sur sa voirie les opérations de recherche d’amiante et d’HAP avant la réalisation desdits travaux, dans l’hypothèse où cette information n’est pas déjà connue par le gestionnaire de la voirie. Le règlement de voirie considéré précise que le donneur d’ordre est le maître d’ouvrage des travaux, c’est-à-dire, selon les cas, les concessionnaires ou propriétaires de réseaux publics ou privés, ou bien le département lui-même.

Deux concessionnaires de réseaux, à savoir les principaux concessionnaires respectivement du réseau public de distribution d’électricité (la société ENEDIS) et du réseau public de distribution de gaz (la société Gaz Réseau Distribution France, « GRDF »), ont chacun formé un recours pour excès de pouvoir contre l’article du règlement de voirie prévoyant cette obligation.

Le Tribunal administratif d’Orléans ayant rejeté ces requêtes par un jugement en date du 27 janvier 2016 (n° 1404619 et 1404620), les concessionnaires requérants ont interjeté appel de ce jugement devant la Cour administrative d’appel de Nantes, qui s’est prononcée par un arrêt en date du 16 juin 2017 (n°s 16NT01065 et 16NT01066).

La Cour administrative d’appel de Nantes (ci-après « la Cour ») a rejeté les deux requêtes, validant ainsi la mise à la charge du maître d’ouvrage de la recherche de la présence d’amiante et d’HAP dans la voirie sur laquelle il effectue des travaux.

Elle a rejeté le moyen tenant à la violation du Code du travail, en considérant que l’article litigieux du règlement de voirie ne faisait que rappeler la réglementation applicable en matière d’évaluation des risques pour la santé au travail, tant au contact de l’amiante qu’au contact d’autres agents chimiques dangereux tels que les HAP.

La Cour a également rejeté le moyen tiré de la violation de l’interdiction de céder l’amiante, et celui tiré de l’engagement de la responsabilité des maîtres d’ouvrages qui auraient réalisé des travaux avec des matériaux amiantés postérieurement au 1er janvier 1997. En effet, l’article attaqué n’organise pas de cession d’amiante, et le décret du 24 décembre 1996 précité ne prévoit pas un tel régime de responsabilité.

Par ailleurs, la Cour a rejeté le moyen relatif à la violation du principe d’égalité devant les charges publiques entre les occupants du domaine public, en jugeant que les concessionnaires et propriétaires de réseaux de distribution d’énergie ne sont pas placés dans une situation identique à celle des autres occupants de la voirie.

Enfin, on commentera plus la validation de l’article contesté du règlement de voirie au regard du droit des concessionnaires d’occuper le domaine public (I.) et du principe « pollueur-payeur » (II.).

I. Validation du règlement de voirie au regard du droit des concessionnaires de réseaux d’occuper la voirie routière

L’encadrement jurisprudentiel du droit des concessionnaires de réseaux d’occuper la voirie routière

En application de l’article L.113-3 du Code de la voirie routière, les exploitants notamment des réseaux de transport et de distribution d’électricité et de gaz « peuvent occuper le domaine public routier en y installant des ouvrages, dans la mesure où cette occupation n’est pas incompatible avec son affectation à la circulation terrestre ».

Ce droit d’occupation du domaine public s’accompagne, en application de l’article L. 433-3 du Code de l’énergie, du droit d’exécuter « tous travaux nécessaires à l’établissement et à l’entretien des ouvrages », sous réserve toutefois que les concessionnaires se conforment « aux conditions du cahier des charges de la concession et des règlements de voirie ».

Et s’agissant du contenu de ces règlements de voirie, la jurisprudence a de longue date consacré le principe selon lequel « les autorités compétentes pour édicter ces règlements peuvent subordonner l’exercice du droit dont il s’agit aux conditions qui se révèlent indispensables pour assurer la protection du domaine public routier dont elles ont la charge et en garantir un usage répondant à sa destination » (Conseil d’Etat, 13 mars 1985, Ministre des transports, n° 42630).

Ainsi, un règlement de voirie peut contenir une disposition encadrant l’exercice du droit d’occuper le domaine public et d’y réaliser des travaux, à la condition que les modalités dudit encadrement se révèlent indispensables pour (i) assurer la protection du domaine public routier et (ii) garantir un usage de ce domaine répondant à sa destination.

Mais il reste qu’il appartient à chaque Juge saisi d’apprécier, au cas par cas, si ces deux conditions sont remplies dans l’espèce qui lui est soumise, et s’il n’est pas in fine porté une atteinte excessive au droit permanent des concessionnaires d’occuper le domaine public.

C’est ce qu’a fait la Cour administrative d’appel de Nantes dans l’arrêt commenté.

Application du principe jurisprudentiel à un règlement de voirie mettant à la charge du maître d’ouvrage la détection de l’amiante et des HAP

La Cour a jugé que l’article du règlement de voirie attaqué ne porte pas une atteinte excessive au droit des sociétés requérantes d’occuper le domaine public routier, au motif que :

  • les dispositions de cet article se limitent à mettre à la charge des concessionnaires ou propriétaires de réseaux de distribution d’énergie, lorsque ces derniers effectuent des travaux d’intervention sur les réseaux qu’ils gèrent et que ces travaux affectent la voirie, la réalisation d’un diagnostic de détection de présence d’amiante et d’HAP dans les enrobés devant être déposés puis remplacés au cours de travaux ;
  • et qu’une telle exigence, qui répond à la nécessité de garantir que le domaine public routier est utilisé pour un usage répondant à sa destination, ne méconnait pas la portée des règles régissant le domaine public routier départemental.

En revanche, l’article attaqué du règlement de voirie ne peut, selon la Cour, être interprété comme mettant à la charge de ces concessionnaires et propriétaires la réalisation d’un diagnostic de détection de présence d’amiante et d’HAP lorsque le département est maître d’ouvrage, lui-même, de travaux sur la voirie.

La Cour a également écarté le moyen relatif à la méconnaissance, par l’article litigieux du règlement de voirie, du principe « pollueur-payeur » soulevé par les sociétés concessionnaires requérantes.

II. Validation du règlement de voirie au regard du principe « pollueur-payeur »

Absence de violation du principe « pollueur-payeur »

Aux termes de l’article L. 541-2 du Code de l’environnement, qui fonde le principe « pollueur-payeur »,«[t]out producteur ou détenteur de déchets est tenu d’en assurer ou d’en faire assurer la gestion, conformément aux dispositions du présent chapitre. Tout producteur ou détenteur de déchets est responsable de la gestion de ces déchets jusqu’à leur élimination ou valorisation finale, même lorsque le déchet est transféré à des fins de traitement à un tiers. Tout producteur ou détenteur de déchets s’assure que la personne à qui il les remet est autorisée à les prendre en charge ».

Cet article dispose donc en particulier que tout producteur ou détenteur de déchets est tenu d’en assurer ou d’en faire assurer la gestion, laquelle est définie comme la collecte, le transport, la valorisation et l’élimination des déchets et, plus largement, toute activité participant de l’organisation de la prise en charge des déchets depuis leur production jusqu’à leur traitement final.

Selon la Cour, l’article du règlement de voirie attaqué ne méconnait pas ces dispositions dès lors qu’il ne met pas à la charge des propriétaires et concessionnaires de réseaux une obligation de gestion des déchets amiantés, mais seulement une obligation de détecter la présence d’amiante et d’HAP dans la voirie.

Il est vrai que l’article attaqué, intitulé « Détection présence d’amiante et teneur en HAP », ne désigne expressément que le débiteur de l’obligation de recherche de la présence de ces produits.

En outre, en pratique, il semble que dans le cas où des enrobés de voirie contiendraient de l’amiante et/ou des HAP, la pollution qui résulterait de cette présence ne pourrait être effectivement générée qu’au moment de la réalisation de travaux sur la voirie, puisque ces produits, s’ils existent, sont enfermés dans les enrobés.

Il restera donc par la suite à déterminer qui a la charge, le cas échéant, du traitement de l’amiante et des HAP qui auraient été détectés dans la voirie.

De la détection de l’amiante à son traitement

A cet égard, un jugement du Tribunal administratif de Lyon ouvre une réflexion sur la possibilité d’insérer une obligation de traitement des déchets issus du sol dans un règlement de voirie.

Saisi de la légalité d’un règlement de voirie qui mettait à la charge de l’intervenant sur la voirie la gestion des déblais issus de l’excavation du sol, lorsqu’à l’occasion d’une fouille réalisée sous sa maîtrise d’ouvrage, cet intervenant découvrait des sols pollués chimiquement ou biologiquement, le Juge a qualifié cet intervenant de « créateur de déchets » (Tribunal administratif de Lyon, 26 avril 2016, Société Orange, n° 1207771).

Et le Juge d’en conclure que la disposition du règlement de voirie prévoyant que cet intervenant  supporte les frais de dépollution des déblais qui constituent des déchets ne méconnait pas le principe « pollueur-payeur », dès lors que c’est bien, finalement, le pollueur qui a la charge de la dépollution.

 

S’agissant en tout état de cause de la « simple » mise à la charge des occupants de la voirie routière, en leur qualité de maîtres d’ouvrages de travaux, de la réalisation d’un diagnostic de détection d’amiante et d’HAP, la Cour administrative d’appel de Nantes a, pour la première fois à notre connaissance, validé par un arrêt classé « C+ » ici commenté, l’insertion d’une telle obligation dans un règlement de voirie départemental. 

Marie-Hélène Pachen-Lefèvre
Astrid Layrisse

 

 

Plans de prévention des risques inondation (PPRI) : l’EPCI compétent en matière de SCOT doit être associé à la procédure d’élaboration

Il résulte de l’article L. 562-3 du Code de l’environnement que « sont associés à l’élaboration [du plan de prévention des risques naturels prévisibles] les collectivités territoriales et les établissements publics de coopération intercommunale concernés ». Plus précisément, doivent être consultés sur ce projet les « maires des communes ainsi [que les] présidents des collectivités territoriales et des établissements publics de coopération intercommunale compétents pour l’élaboration des documents d’urbanisme dont le territoire est inclus, en tout ou partie, dans le périmètre du projet de plan ».

Sur ce fondement, le Conseil d’Etat (CE, 5 décembre 2016, Préfet du Loiret, n° 395499) a confirmé l’annulation de l’arrêté du Préfet du Loiret qui avait prescrit l’élaboration du PPRI aux motifs « que les communautés de communes de Château-Renard et de Châtillon-Coligny étaient à la date de l’arrêté prescrivant l’élaboration du plan de prévention des risques d’inondation compétentes en matière d’élaboration du schéma de cohérence territorial ; qu’en jugeant qu’elles devaient dès lors être regardées comme des établissements publics de coopération intercommunale compétents pour l’élaboration des documents d’urbanisme et qu’elles relevaient à ce titre du champ d’application des dispositions précitées des articles L. 562-2 et R. 562-2 du code de l’environnement qui imposaient leur association à l’élaboration du projet de plan de prévention des risques d’inondation, la cour administrative d’appel n’a pas commis d’erreur de droit ».

La taxe générale sur les activités polluantes (TGAP) : application aux déchets verts

Le 1er mars 2017, la Cour de cassation a rendu un arrêt relatif à l’application de la taxe générale sur les activités polluante (TGAP) à un exploitant d’une installation de stockage de déchets et de compostage de déchets verts (Cass. com. 1er mars 2017, n°15-16179, Société Soval).

Dans cette espèce, l’exploitant était autorisé à exploiter, sur le même site, deux types d’exploitation : une activité de stockage de déchets ménagers et assimilés, d’une part, et une activité relative au compostage de déchets verts, d’autre part. L’exploitant a alors utilisé les déchets verts compostés sur son site pour recouvrir un casier de son installation de stockage qui était plein, et procéder ainsi à sa végétalisation. Contrôlé par les services des douanes, l’exploitant s’est vu soumis à l’obligation de s’acquitter de la TGAP au titre de ces déchets verts réceptionnés sur le site d’installation de stockage de déchets.

La Cour d’appel a, en premier lieu, confirmé cette obligation. Toutefois, elle n’a pas été suivie par la Cour de cassation qui est venu préciser que « les déchets verts ne sont taxables au même titre que les déchets ménagers et assimilés que lorsqu’ils sont traités comme le sont les déchets ménagers, éliminés par dépôt sur le sol ou enfouissement dans des cavités artificielles ou naturelles, que tel n’est pas le cas lorsque les déchets verts réceptionnés sont destinés à être valorisés au sein d’un même site, par une installation autorisée dont l’activité n’entre pas dans le champ d’application de la TGAP, et ce, même si les déchets verts broyés ou le compost produit par cette installation est ensuite utilisé pour couvrir les alvéoles du centre d’enfouissement technique ; Qu’en statuant ainsi, alors que l’article 266 septies du code des douanes dispose que le fait générateur de la TGAP est constitué par la réception des déchets par l’exploitant d’une installation de déchets ménagers et assimilés, sans faire de distinction selon la nature ou la provenance des déchets, la cour d’appel, qui n’a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, a violé les textes susvisés ».

Régulièrement saisi de contentieux relatifs à l’application de la TGAP, dans un contexte de contrôle fréquent des services douaniers, le Juge, on le constate, censure à de rares occasions les titres de recettes émis à l’encontre des exploitants et notamment des exploitants d’usine d’incinération de déchets. Une évolution des règles applicables semble encore à envisager mais pas nécessairement dans un sens très favorable aux exploitants, à lire le communiqué de l’Association AMORCE (association qui regroupe de très nombreux acteurs du secteur des déchets), sur son site internet, qui annonce qu’ « un projet d’arrêté potentiellement très contraignant », portant sur les tarifs de la TGAP, a été mis en consultation restreinte.

Définition par la CRE des critères d’octroi des dérogations aux exigences techniques de raccordement fixées par le règlement (UE) 2016/1388 de la Commission du 17 août 2016 établissant code de réseau sur le raccordement des réseaux de distribution et des installations de consommation

Faisant suite à une consultation publique qui s’est déroulée du 13 avril au 12 mai 2017, la Commission de régulation de l’énergie (ci-après la « CRE ») a publié une délibération en date du 1er juin 2017 qui détermine les critères permettant de bénéficier d’une procédure de dérogation à une ou plusieurs dispositions du règlement (UE) 2016/1388 de la Commission du 17 août 2016 établissant un code de réseau sur le raccordement des réseaux de distribution et des installations de consommation (ci-après « Règlement DCC »).

Le Règlement DCC a pour objet de fixer des exigences techniques minimales dans chacun des Etats membres pour le raccordement de toute nouvelle installation de consommation ou de tout nouveau réseau de distribution au réseau de transport d’électricité. Les dispositions du titre V du Règlement DCC prévoit, toutefois, une procédure de dérogation à l’application de ces exigences selon des critères déterminés par chacune des autorités nationales de régulation et à la suite d’un examen par ces autorités de chaque demande de dérogation au regard de ces critères. Dans ces conditions, la CRE avait jusqu’au 7 juin 2017 pour déterminer les critères applicables en France.

Les principaux critères d’octroi fixés par la délibération de la CRE commentée sont :

  1. « les difficultés justifiées par des éléments technico-économiques pour le propriétaire d’une installation de consommation ou le gestionnaire d’un réseau de distribution (y compris d’un réseau fermé de distribution), à être conforme à une ou plusieurs disposition(s) du règlement DCC ;
  1. l’impossibilité pour le propriétaire d’une installation de consommation ou le gestionnaire d’un réseau de distribution (y compris d’un réseau fermé de distribution) de répondre à une ou plusieurs disposition(s) du règlement DCC à sa date d’entrée en application, car les constructeurs ne proposent pas encore d’équipements conformes sur le marché ;
  1. le potentiel effet néfaste de l’application stricte d’une ou plusieurs disposition(s) du règlement DCC sur l’exploitation et la stabilité du système électrique à l’échelle locale ou nationale selon le gestionnaire de réseau compétent ».

La CRE ajoute également des conditions supplémentaires à l’octroi d’une dérogation à l’application des dispositions du Règlement DCC. Ainsi, une telle dérogation ne saurait être accordée si elle risque :

  1. « d’introduire un risque non assumable pour la sécurité du système électrique ;
  1. de créer une discrimination vis-à-vis d’une installation ou d’un réseau se trouvant dans une même situation (par exemple : si un propriétaire d’installation existante a déjà démontré qu’il est possible d’être conforme à une disposition du code, un nouveau propriétaire possédant une installation aux caractéristiques techniques similaires et se trouvant dans un environnement similaire ne pourra se voir accorder une dérogation pour cette même disposition) ;
  1. d’être, de manière plus générale, contradictoire aux objectifs du code de réseau tels que cités au considérant (3) du règlement (UE) 2016/1388 (faciliter les échanges d’électricité dans toute l’Union, garantir la sûreté du réseau, faciliter l’intégration des sources d’électricité renouvelables, renforcer la concurrence et permettre une utilisation plus efficiente du réseau et des ressources, pour le bénéfice des consommateurs) ».

Il ressort de cette délibération de la CRE que les critères, comme les conditions supplémentaires, d’octroi d’une procédure de dérogation à une ou plusieurs dispositions du Règlement DCC, sont susceptibles de couvrir de nombreuses hypothèses  – notamment pour les points 3 ou 6 visés ci-dessus – qui ne pourront être précisées que lorsque la CRE se prononcera sur des demandes de dérogation aux exigences fixées par le Règlement DCC.

 


 

Qualification par le CoRDiS des coffrets de branchement comme ouvrages concédés relevant du réseau public de distribution ne pouvant faire l’objet d’un usage exclusif

Saisi dans le cadre de sa compétence en matière de règlement des différends entre les gestionnaires et les utilisateurs des réseaux publics de distribution d’électricité (prévue aux articles L. 134-19 et suivants du Code de l’énergie), le Comité de règlement des différends et des sanctions de la Commission de régulation de l’énergie (ci-après le « CoRDiS ») a rendu, le 2 juin 2017, une décision portant notamment sur la qualification des « coffrets de branchement » au regard du Code de l’énergie et du cahier des charges de concession pour le service public de la distribution d’énergie électrique.

Dans cette affaire, Monsieur G. avait obtenu un permis de construire afin de pouvoir réaliser deux logements sur une parcelle d’un lotissement qui était déjà raccordé au réseau public de distribution d’électricité par deux coffrets de branchement (le second étant raccordé en dérivation au premier). 

Dans ces conditions, M. G. a demandé à la société EDF, en sa qualité de distributeur d’électricité à La Réunion par convention de concession avec le Syndicat intercommunal d’électricité du département de La Réunion, de procéder à un raccordement supplémentaire à l’un des deux coffrets de raccordement. Or, Madame B., propriétaire d’une seconde parcelle raccordée au coffret de raccordement litigieux, a contesté auprès d’EDF la demande de raccordement de M. G. en estimant qu’elle disposait de « l’usage exclusif » de ce coffret. A la suite du refus opposé par la société EDF à cette demande et d’une ordonnance du juge des référés portant injonction à Madame B. de laisser libre accès à la société EDF pour intervenir sur ledit coffret, le différend a été porté devant le CoRDiS.

Si le litige en cause soulève par ailleurs des questions liées à la qualité de l’alimentation électrique d’une installation raccordée au réseau de distribution publique d’électricité par plusieurs coffrets en dérivation, c’est surtout sur le terrain de la qualification juridique de « coffret de branchement » que la position du CoRDiS est instructive.

Après avoir écarté l’application au cas précis des dispositions en vigueur de l’article L. 332-15 du Code de l’urbanisme (dans la mesure où l’autorisation de lotir et le permis de construire litigieux ont été délivrés antérieurement à leur entrée en vigueur), le CoRDis estime que les « coffrets constituent des systèmes de dérivation ou de raccordement » au sens de l’article 2 intitulé « ouvrages concédés » et de l’article 15 intitulé « branchements » du cahier des charges de la convention de concession applicable et décide que « dès lors, ces installations constituent des ouvrages concédés relevant du réseau public de distribution d’électricité » et « ne peuvent relever de l’usage exclusif de Mme B ».

Ainsi, il résulte de la décision du CoRDIS que (i) les coffrets de branchement constituent des ouvrages de raccordement relevant des réseaux publics de distribution d’électricité et que (ii) la participation financière d’un particulier à l’installation par EDF d’un coffret de branchement pour le raccordement d’un terrain au réseau de distribution d’électricité ne permet de créer à son profit, ni un droit d’usage exclusif de ce coffret, ni un droit d’opposition au raccordement supplémentaire d’un tiers sur le même coffret de branchement.

Rapport du comité d’études relatif aux données dont disposent les gestionnaires de réseaux et d’infrastructures d’énergie

La Commission de régulation de l’énergie (ci-après, la « CRE ») est partie du constat simple de la multiplication des données dans le monde actuel et la circonstance que le domaine de l’énergie n’est pas épargné par ce « déluge de données » (pour reprendre l’expression du rapporteur du comité d’études relatif aux données dont disposent les gestionnaires de réseaux et d’infrastructures d’énergie).

Ce contexte peut être tout à la fois source de risques et d’innovations dès lors qu’il emporte de profondes conséquences sur les activités des opérateurs régulés de l’énergie, et où les textes législatifs et réglementaires récents consacrés à la mise à disposition de données de l’énergie (article 179 de la loi n° 2015-992 du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte ; dispositions sur la loi n° 2016-1321 du 7 octobre 2016 pour une République numérique, etc.) ont considérablement complété le droit applicable.

La CRE a donc décidé de s’emparer de cette problématique et de créer un comité d’études pour dresser un état des lieux de la situation existante tant sur le plan juridique que technique en vue de formuler diverses recommandations pour que la prolifération de données deviennent un levier d’efficacité du domaine énergétique.

Aux termes de cette étude, la CRE publie son rapport, dans lequel elle formule quinze recommandations, ci-dessous décrites.

S’agissant de l’impératif de cohérence, de qualité et d’interopérabilité des données, face au progressif développement du corpus législatif et réglementaire applicable et surtout à sa complexification, la CRE estime nécessaire d’en réaliser un inventaire exhaustif et de réfléchir à sa cohérence et son évolution pour éviter la formation d’un « mille-feuille » juridique (recommandation n° 1).

La CRE demande à tous les gestionnaires de réseaux de distribution de s’engager fortement dans une démarche de convergence de leurs systèmes d’information qui leur permettra d’homogénéiser les échanges informatiques qu’ils peuvent avoir avec les fournisseurs (recommandation n° 2).

La CRE souhaite que le cadre de régulation incitative de la qualité de service des opérateurs régulés de l’énergie prenne également en compte, d’une manière quantifiable et objective, la gestion des données (recommandation n° 3).

La CRE recommande encore aux fournisseurs d’énergie de mettre à disposition, via la sortie locale des systèmes de comptage évolués d’électricité, des informations de prix standardisées (recommandation n° 4).

Au regard des obligations de mise à disposition de données, la CRE demande aux opérateurs régulés de fournir la liste des principaux processus pour lesquels il serait nécessaire de revoir la fréquence et le délai de mise à disposition des données (recommandation n° 5).

S’agissant de la clarification du rôle des acteurs, la CRE constate qu’une connaissance et un partage des données des différents acteurs évoluant dans le domaine de l’énergie permettraient une meilleure connaissance des flux de production et de consommation d’énergie.

Elle souhaite donc engager une réflexion avec l’ensemble des parties prenantes pour déterminer comment exploiter ces données en commun et préserver les solidarités entre les acteurs (recommandation n° 6).

La CRE considère que les frontières qui délimitent les attributions respectives des gestionnaires de réseaux de distribution et les fournisseurs d’énergie, sont parfois difficiles à appréhender, voire font l’objet d’incohérences ou de doublons.

Elle veillera à préciser la limite des attributions des gestionnaires de réseaux vis-à-vis des acteurs du secteur concurrentiel, notamment par la définition des prestations annexes concernant les mises à disposition de données et leur champ d’intervention (recommandation n° 7). Elle recommande en outre que, dès lors qu’un opérateur régulé de l’énergie envisage de proposer des services comparables à ceux commercialisés par les acteurs du secteur concurrentiel, celui-ci s’appuie sur les mêmes données que celles accessibles aux fournisseurs d’énergie et de services et que le cadre légal doit permettre de distinguer ces données de celles relevant des missions de service public (recommandation n° 8).

La CRE considère également nécessaire d’adapter le cadre législatif aux zones interconnectées au réseau métropolitain continental pour tenir compte du rôle particulier des acteurs dans ces zones (recommandation n° 9). L’une des principales recommandations que le comité d’études souhaite proposer à travers son rapport concerne les modèles de gouvernance de la mise à disposition de données et notamment l’opportunité de charger une entité de mettre à disposition certaines des données des opérateurs régulés de l’énergie (recommandation n° 10).

S’agissant de la consolidation de la confiance des consommateurs dans la gestion de leurs données, la CRE préconise de renforcer cette confiance en octroyant aux gestionnaires de réseaux les pouvoirs de s’assurer du contrôle de l’existence du consentement des consommateurs lorsque ces derniers communiquent des données personnelles (recommandation n° 11).

La CRE appelle à des efforts de pédagogie auprès du consommateur pour qu’il comprenne les bénéfices liés à l’exploitation des données à caractère personnel qui le concernent, notamment en matière de système de comptage (recommandation n° 12).

La CRE souhaite enfin voir se développer une initiative existant aux Etats-Unis qui permet à chaque consommateur de récupérer et de partager les données énergétiques qui le concernent (recommandation n° 13).

Enfin, s’agissant de la lisibilité des critères d’analyse du régulateur, la CRE souhaite obtenir un document d’orientation stratégique en matière de données de l’énergie de la part du pouvoir exécutif ou législatif (recommandation n° 14). Convaincue de la complexité et de l’importance des sujets liés aux données de l’énergie soulevés par les autres régulateurs dans le cadre du comité d’études, la CRE souhaite se doter d’une démarche définissant d’une manière plus pérenne et organisée les échanges qu’elle compte avoir avec d’autres régulateurs et autorités publiques sectoriels et transversaux.

Par ailleurs, afin de maîtriser la sensibilité industrielle des nouveaux jeux de données de l’énergie mis à disposition en open data, la CRE appelle à la création d’une gouvernance en la matière.

Il appartient au Gouvernement de mettre en place cette gouvernance, à laquelle elle pourrait participer. Celle-ci pourrait être placée sous l’égide des pouvoirs publics et regrouperait l’ensemble des acteurs compétents (recommandation n° 15).

La Commission de Régulation de l’Energie publie ses observations sur le Paquet « Energie Propre pour tous les Européens» de la Commission Européenne

La Commission de Régulation de l’Energie (CRE) publie un mémorandum de 13 fiches thématiques recensant ses observations relatives aux propositions de la Commission figurant dans son paquet législatif intitulé « Une énergie propre pour tous les Européens  », publié le 30 novembre 2016, et contenant ses propositions d’amendements de règlements et directives dans le domaine de l’énergie, et en particulier pour l’électricité.

De manière générale, s’agissant de la production d’énergie renouvelable, la CRE indique qu’« elle juge globalement positives les propositions de la Commission européenne visant à adapter les règles du marché et de l’exploitation du réseau à cette nouvelle production, plus variable et décentralisée, qui exige une plus grande flexibilité. Elles participent en outre à la vision très positive d’une Europe de l’énergie ». Elle formule néanmoins dans le cadre de ces 13 fiches certaines observations ou critiques sur les propositions européennes.

Parmi ces observations, figurent notamment :

  • une fiche n° 4 consacrée à la proposition de la Commission européenne de procéder à une harmonisation des tarifs d’utilisation des réseaux, le but poursuivi par la Commission poursuivant l’objectif de supprimer les distorsions transfrontalières qui pourraient, selon la Commission, avoir des impacts sur le bon développement de la production et du stockage. Cependant, la CRE fait part de son désaccord sur cette proposition qui serait, selon elle, inutile et inopportune ;
  • une fiche n° 5 consacrée à la proposition de la Commission d’interdire aux gestionnaires de réseaux d’être exploitants de moyens de stockage, sauf exception tenant à la défaillance du marché du stockage. La CRE indique partager le point de vue de la Commission selon lequel l’équilibre entre les acteurs du système électrique repose sur le principe de neutralité des gestionnaires de réseaux, et qu’en principe, ceux-ci ne doivent pas être exploitants d’un moyen de stockage. Elle indique cependant que selon, elle «une interdiction totale pour les gestionnaires de réseaux d’être exploitants de moyens de stockage ne serait pas compréhensible dans un secteur dont le modèle économique n’est pas stabilisé » ;
  • dans une fiche n° 12, la CRE indique ne pas partager la position de la Commission Européenne consistant à faire de la neutralité technologique des appels d’offres le principe, et de l’appel d’offres technologiquement spécifique, l’exception. La CRE indique ainsi être « attachée à la possibilité de recourir à des appels d’offres technologiquement spécifiques afin de pouvoir atteindre les objectifs différenciés par technologie que la France s’est fixée» dès lors qu’ « à contrario, les appels d’offres technologiquement neutres favorisent par principe les filières les plus compétitives en termes de coûts de production (ce qui exclut les moyens commandables comme la biomasse et l’hydraulique, qui contribuent pourtant à la sécurité du système) et ne permettent pas d’optimiser l’intégration des renouvelables au système électrique (gestion de l’intermittence par exemple). Ils sont en outre susceptibles d’affecter négativement le développement industriel des filières ».

La CRE formule également, au travers de ses fiches n° 1 et n° 2, certaines observations sur les modifications proposées par la Commission concernant le cadre institutionnel du droit de l’énergie.

La CRE formule ainsi certaines remarques relatives aux modifications des règles de fonctionnement de l’Agence de coopération des régulateurs de l’énergie, ces modifications accompagnant une extension de ses compétences et de ses missions (fiche n° 1).

La CRE formule en outre des observations sur la création, proposée par la Commission européenne, de centres de conduite régionaux (« Regional operational centers » – ROC), chargés d’assurer la coordination des gestionnaires de réseau de transport (GRT) au niveau régional. Leurs missions complèteraient celles des GRT sur les sujets ayant une dimension régionale (élaboration de modèles de réseau, analyses de sécurité opérationnelle, calcul des capacités aux interconnexions, études d’adéquation offre-demande, etc.). Ces centres de régulation formuleraient des recommandations aux GRT sur les sujets qui relèvent de leur compétence, mais auraient également compétence pour prendre des décisions contraignantes. Sur cette question, la CRE émet « de très fortes réserves sur cette proposition telle qu’elle est rédigée à ce jour », au regard notamment du caractère redondant de cette structure par rapport aux « Regional Security Coordinators » ou « RSC » déjà organisés par les GRT afin d’organiser leur coopération régionale.

La CRE indique avoir obtenu le soutien des autorités françaises qui devraient donc porter ces observations au Conseil et auprès des parlementaires européens.