Confiscation du produit de l’infraction et absence d’exigence de proportionnalité

Par arrêt rendu le 3 mai 2018, la Cour de cassation a confirmé la condamnation d’une première société du chef d’abus de confiance et d’une seconde des chefs d’abus de confiance, faux et usage de faux en considérant que les juges d’appel avaient dûment justifié les peines de confiscation et d’amendes qu’ils avaient prononcées à leur encontre.

En l’espèce, les deux sociétés condamnées s’étaient pourvues en cassation contre cette décision au motif que la peine de confiscation en valeur – pour 500.000 euros d’un bien immobilier appartenant à l’une des deux sociétés – n’était pas proportionnée à l’infraction commise, et que les deux amendes prononcées de 5.000 et 10.000 euros chacune n’avaient pas été suffisamment motivées. 

Ainsi saisie, la Cour de cassation écartait successivement ces deux moyens, jugeant d’abord qu’il « ressort des énonciations de l’arrêt que la valeur de la part du bien confisqué n’excède pas le montant du produit des infractions dont la prévenue a été déclarée coupable », puis, que la cour d’appel avait justifié le montant des amendes prononcées dans la mesure où « les ressources et les charges des sociétés prévenues étaient constituées du produit des infractions poursuivies ».

Par cette décision, la Cour de cassation rappelle la distinction qu’elle opère entre la confiscation d’un bien qui est le produit ou l’objet des infractions dont le prévenu a été jugé coupable, d’une part, et la confiscation d’un bien ne présentant aucun lien avec celle-ci, d’autre part (par ex. Cass., Crim., 7 décembre 2016, n° 16-80.879). Une fois cette distinction établie, le raisonnement est simple : dans la première hypothèse, la Cour estime que les juges ne sont pas tenus de contrôler la proportionnalité de la mesure de confiscation au regard de la situation personnelle et du profil du prévenu et inversément, lorsque celui-ci prononce la confiscation d’un bien sans rapport avec l’infraction poursuivie.

Droit immobilier : le prix d’une vente immobilière peut être compensé avec une dette du vendeur à l’égard de l’acquéreur

Par acte authentique du 20 mars 2013, M. et Mme Y ont vendu à M. X une maison dont le prix a été payé par l’acquéreur par compensation avec une somme d’un même montant formant partie de la dette reconnue par les vendeurs envers l’acquéreur en vertu d’une garantie de passif incluses dans deux actes sous seing privé, aux termes desquels les vendeurs avaient cédé aux acquéreurs les actions et la part qu’ils détenaient dans deux sociétés de droit luxembourgeois.

L’une des sociétés ayant été mise en liquidation judiciaire, les vendeurs ont assigné l’acquéreur en nullité de la vente.

La Cour d’appel rappelle que l’acquéreur a payé le prix de la vente d’un commun accord avec le vendeur, conformément aux dispositions des articles 1289 et suivants du code civil relatifs à la compensation, alors applicables au litige.

Elle a toutefois considéré que ce n’était pas l’acquéreur qui était le créancier de la garantie de passif et que, par conséquent, la reconnaissance de dette des vendeurs à son profit était sans cause et qu’à défaut de prix, le vente devait être annulée (CA de Paris, pôle 4, chambre 1, 24 mars 2017, n° 15/12473).

La Cour de cassation a cassé l’arrêt d’appel au visa de l’article 1582 du code civil, dans les termes suivants :

« Qu’en statuant ainsi, alors qu’elle avait constaté que le prix de vente avait été déterminé dans l’acte et alors que l’existence de ce prix n’était pas affectée par une éventuelle impossibilité de le compenser avec une dette du vendeur à l’égard de l’acquéreur, la cour d’appel a violé le texte susvisé ».

La Cour de cassation rappelle ainsi que l’accord sur la chose et sur le prix doit s’apprécier au moment de l’acte de vente.

En l’espèce le prix de la vente était déterminé aussi bien dans sa nature que dans son montant par la reconnaissance de dette du vendeur et au sein même de l’acte de vente.

C’est la raison pour laquelle la Cour de cassation a considéré que l’existence du prix au moment de la vente ne pouvait être remise en cause.

Par conséquent, il importait peu que l’une des sociétés dont les actions et parts avaient été cédées ait été mise en liquidation judiciaire postérieurement à cette vente, dès lors qu’au moment de la signature de l’acte, les vendeurs étaient réellement débiteurs à l’égard de l’acquéreur, ce qui permettait la compensation.

Restitution des sommes versées en cas de nullité d’une rupture conventionnelle

Dans un arrêt du 30 mai 2018 (n° 16-15.273), la chambre sociale de la Cour de cassation a clarifié le régime de nullité d’une rupture conventionnelle.

Dans cette espèce, une salariée ayant signé une convention de rupture homologuée par l’administration a saisi la juridiction prud’homale de demandes tendant à la nullité de cette convention et au paiement de diverses sommes au titre de la rupture du contrat de travail.

Dans le cadre de son pourvoi, la salariée fait grief à l’arrêt rendu par la Cour d’appel de Versailles du 21 mai 2015 de la condamner au remboursement des sommes perçues dans le cadre de la rupture conventionnelle et de limiter à une certaine somme le montant de l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Toutefois, aux termes de son arrêt du 30 mai 2018 sus énoncé, la Cour de cassation considère que :

« Lorsque le contrat de travail est rompu en exécution d’une convention de rupture ensuite annulée, la rupture produit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

La nullité de la convention de rupture emporte obligation à restitution des sommes perçues en exécution de cette convention ;

Et ayant retenu que la rupture conventionnelle était nulle, la cour d’appel, qui a condamné la société au paiement d’une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse dont elle a évalué le montant, en a exactement déduit, sans méconnaître l’objet du litige ni être tenue de procéder à d’autre recherche, que la salariée devait restituer à l’employeur les sommes versées dans le cadre de cette convention ».

La Haute Cour rappelle donc dans premier temps que dans le cadre d’un contrat de travail rompu en exécution d’une convention de rupture ensuite annulée, la rupture produit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

En effet, la rupture conventionnelle déclarée nulle n’ouvre pas droit à réintégration du salarié mais produit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Elle précise ensuite que la nullité de la convention de rupture emporte obligation à restitution des sommes perçues en exécution de cette convention.

Enfin, elle juge qu’en conséquence de cette nullité, la salariée devait restituer à l’employeur les sommes versées dans le cadre de cette convention.

Selon la Cour, la salariée n’était donc pas fondée à conserver le bénéfice des indemnités versées dans le cadre de la rupture conventionnelle à titre de dommages et intérêts.

Cette décision est particulièrement intéressante dans la mesure où la Cour de cassation juge différemment en matière de requalification d’un contrat à durée déterminée en un contrat à durée indéterminée, situation lors de laquelle le salarié n’a pas à restituer l’indemnité de précarité (Cass. soc.,  30 mars 2005, n°03-42.667).

Conséquences d’une absence de BDES sur les délais de consultation du CE (ou du CSE) en matière d’orientations stratégiques de l’entreprise

La Cour de cassation s’est récemment prononcée sur les conséquences d’une absence de base de données économiques et sociales (BDES) sur les délais de consultation du CE en matière d’orientations stratégiques de l’entreprise (Cass. soc., 28 mars 2018, n° 17-13.081).

Pour rappel, l’employeur est tenu de consulter chaque année les membres de ces instances notamment sur les orientations stratégiques de l’entreprise et doit à cet effet, leur remettre des informations suffisantes pour leur permettre de rendre un avis motivé.

A défaut de se prononcer avant l’expiration du délai qui lui est imparti à cet effet, par la Loi, sauf dispositions conventionnelles particulières, le comité est réputé avoir rendu un avis négatif. Il peut toutefois, saisir en référé le président du tribunal de grande instance pour lui demander communication des éléments manquants, s’il estime ne pas disposer d’éléments suffisants pour rendre son avis avant l’expiration du délai de consultation (Cass. soc., 3 nov. 2016, n° 15-16.082).

Dans l’affaire commentée, réuni à plusieurs reprises, entre octobre 2014 et mars 2015 dans le cadre de sa consultation annuelle sur les orientations stratégiques de l’entreprise, le comité d’entreprise a saisi le président du tribunal de grande instance le 16 juin 2015 aux fins de voir constater que le délai de consultation n’avait pas couru et d’ordonner la production de documents complémentaires ainsi que la prorogation du délai de consultation.

Sur l’appel interjeté contre la décision de première instance, la Cour d’appel n’a pas fait droit à la demande du CE retenant que le comité avait agi après le terme du délai de consultation préfix prévu par la loi dans la mesure où il avait saisi le tribunal plus de quatre mois après la communication des informations.

La Cour de cassation censure la décision des juges du fond en considérant « qu’en statuant ainsi, alors que le comité d’entreprise soutenait que l’employeur n’avait pas mis à sa disposition la base de données économiques et sociales rendue obligatoire par l’article L. 2373-7-2 du code du travail dans sa rédaction alors applicable, ce dont il résultait que le délai de consultation n’avait pu courir, la cour d’appel a violé les textes susvisés [articles L. 2323-3, L. 2323-4, L. 2323-7-1 et L. 2323-7-2 du Code du travail dans leur rédaction alors applicable et article R. 2323-1 du Code du travail] ».

Ainsi, la Cour de cassation décide que l’absence de BDES fait obstacle au déclenchement du délai de consultation quel que soit la teneur des informations communiquées au CE par d’autres moyens.

Cette solution semble pouvoir s’étendre au cas dans lequel la BDES serait insuffisante ou incomplète, mais également aux consultations sur la politique sociale et sur la situation économique et financière de l’entreprise puisque les articles L.2323-13 et L.2323-17 précisent que les informations relatives à ces consultations sont mises « à la disposition du comité d’entreprise dans les conditions prévues à l’article L.2323-9 », c’est-à-dire dans la base de données économiques et sociales.

Irrecevabilité de l’action du salarié qui a conclu une transaction ayant pour objet de régler les conséquences du licenciement rédigée en termes généraux et ne faisant pas mention du cas particulier de la retraite supplémentaire du salarié licencié

En l’espèce, après avoir été licencié pour une cause économique, un salarié conclut une transaction avec son employeur. Le salarié ayant pris sa retraite quelques années plus tard, il reprend contact avec son ancien employeur aux fins d’obtenir le versement d’une retraite supplémentaire, ce qui lui a été refusé.
Le salarié saisi alors la juridiction prud’homale.
La Cour d’appel déclare sa demande recevable et fait droit à sa demande au motif que la transaction avait pour objet de régler les conséquences du licenciement, qu’il n’est pas fait mention dans cet acte de la retraite supplémentaire du salarié licencié et qu’il n’existait aucun litige entre les parties concernant la retraite supplémentaire dont la mise en œuvre ne devait intervenir que plusieurs années plus tard.
C’est dans ces conditions que la Haute juridiction a eu à se demander si un salarié peut réclamer le versement d’une retraite supplémentaire postérieurement à la signature d’une transaction rédigée en termes généraux et ne faisant pas mention du cas particulier de la retraite supplémentaire du salarié licencié.
Elle répond par la négative et rappelle qu’une transaction rédigée en termes généraux interdit au salarié qui l’a signée de demander ensuite le versement d’une somme d’argent, au cas particulier une retraite supplémentaire.
Selon la chambre sociale de la Cour de cassation, la demande du salarié ne pouvait pas aboutir alors qu’aux termes de la transaction, ce dernier déclarait avoir reçu toutes les sommes auxquelles il pouvait ou pourrait éventuellement prétendre au titre de ses relations de droit ou de fait existant ou ayant existé avec la société. Il renonçait également à toute réclamation de quelque nature que ce soit, née ou à naître ainsi qu’à toute somme ou forme de rémunération ou d’indemnisation auxquelles il pourrait éventuellement prétendre à quelque titre et pour quelque cause que ce soit du fait notamment du droit commun, des dispositions de la convention collective, de son contrat de travail et/ou de ses avenants et/ou tout autre accord, ou promesse et/ou découlant de tout autre rapport de fait et de droit.
Cette formulation, très générale, confère à la transaction une portée très large et devrait rendre, à l’avenir, les salariés plus attentifs à la rédaction du projet d’accord transactionnel.

Rapprochements d’organismes de logement social et droit social : la préparation des opérations

Le projet de loi portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique (dit « ELAN »), adopté en première lecture par l’Assemblée Nationale le 12 juin 2018 devrait fortement accélérer les regroupements d’organismes.

Ces regroupements se traduiront au plan social par des transferts de personnel, caractérisés par le transfert d’une entité économique autonome au sens de l’article L.1224-1 du Code du travail.

Ces transferts de personnel doivent être anticipés, particulièrement lorsque le rapprochement est envisagé entre organismes de statut différents, ce qu’encourage fortement le projet de loi.

Aux fins de mener à bien socialement le projet, trois étapes majeures s’imposent :

–  Anticiper les conséquences sociales du projet en réalisant un comparatif des statuts des personnels concernés

Il sera ainsi nécessaire de comparer l’ensemble du statut collectif applicable dans chaque entité (conventions collectives, accords de branche, accords d’entreprise qui sont désormais publiés).

Ce bilan sera essentiel pour anticiper l’impact du projet sur la masse salariale, les salariés de l’entreprise cédée ayant droit, à défaut de conclusion d’un accord de substitution pendant le délai de survie des accords antérieurement conclus (12 mois augmenté du délai de préavis), au maintien de leurs avantages salariaux et bénéficiant pendant ce délai de survie des clauses les plus favorables de chaque statut.

Il est donc de la plus extrême importance d’identifier en amont du projet les thèmes de négociation qui devront être abordés aux fins d’harmoniser le statut collectif du personnel.

Pour rappel, ces thématiques peuvent être ouvertes à la négociation avant même que le projet soit mis en œuvre dans le cadre d’accords de transition applicables pour une durée de trois ans maximum aux salariés de l’entreprise cédée ou d’adaptation, applicables au personnel tant du cédant que du cessionnaire.

L’analyse comparée des statuts collectifs devra a minima porter sur la classification des emplois aux fins de faciliter l’intégration des salariés transférés, l’organisation de la durée du travail, les systèmes d’astreinte, les accords de prévoyance existants.

Informer et consulter le CSE avant que toute décision définitive ne soit prise

Le CSE (ou le comité d’entreprise, le CHSCT ou la DUP pour les transferts antérieurs à la mise en place du CSE) devra, préalablement à la consultation et afin d’initier utilement la procédure d’information/ consultation, être informé sur les motifs du projet, ses conséquences sociales et organisationnelles.

Il conviendra d’être particulièrement attentif à l’identification du moment adéquat pour lancer le processus de consultation des institutions représentatives du personnel.

Celui-ci ne devra pas intervenir trop tôt alors que l’entreprise n’est pas en mesure d’apporter aux élus des informations suffisamment précises sur le projet et particulièrement ses conséquences sociales.

En effet, les élus pourraient alors saisir le Tribunal de grande instance pour voir constater que la consultation n’a pu utilement commencer et/ ou solliciter la communication des pièces complémentaires.

–  Accompagner le transfert de personnel et harmoniser le statut du personnel au sein de l’entreprise d’accueil

Seul le strict respect de ces étapes permettra de mener à bien le projet sans conflit sociaux majeurs.

Les collectivités territoriales doivent-elles obligatoirement instaurer au sein du RIFSEEP le complément indemnitaire annuel ?

L’article 4 du décret n° 2014-513 du 20 mai 2014 portant création d’un régime indemnitaire tenant compte des fonctions, des sujétions, de l’expertise et de l’engagement professionnel dans la fonction publique de l’État, applicables également aux agents territoriaux prévoit que ces derniers « peuvent bénéficier » du complément indemnitaire annuel (CIA).

Des divergences sont apparues sur le caractère obligatoire d’instaurer le CIA dans les délibérations instaurant le RIFSEEP pour les Collectivités qui n’entendent pas le verser.

D’une part, la Direction générale des collectivités locales dans les réponses apportées à sa foire aux questions du 11 avril 2017 sur la « Mise en œuvre dans les collectivités territoriales du RIFSEEP » a affirmé que la rédaction nouvelle de l’article 88 de la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale ferait obligation de créer effectivement les deux parts, quitte à ce que le plafond du CIA soit particulièrement bas.

D’autre part, la doctrine administrative a considéré qu’eu égard au fait que le principe de parité n’impose en réalité que des plafonds, la mise en œuvre par les collectivités du CIA était fonction de la politique de gestion de la collectivité qui pouvait décider de « mettre en place le RIFSEEP dans sa globalité ou d’instaurer l’IFSE seule, sans le CIA » (Voir sur ce point le JurisClasseur Collectivités territoriales, Fasc. 807, Régimes indemnitaires, Anne Robert, Magistrat, § 87).

La juridiction administrative a été saisie de cette question.

Par une décision Commune de Ploudiry en date du 18 mai 2018 (req. n° 418726), le Conseil d’État vient de transmettre au Conseil constitutionnel une question prioritaire de constitutionnalité en vue d’examiner la conformité à la Constitution, plus particulièrement au principe de libre administration des collectivités locales, du premier alinéa de l’article 88 de la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 relative au statut de la fonction publique territoriale.

Son issue permettra de déterminer s’il est obligatoire ou non de prévoir un CIA.

Dans cette affaire, le Conseil municipal de Ploudiry a en effet, le 12 décembre 2016, adopté une délibération portant régime indemnitaire des agents de la commune, sans prévoir l’attribution du CIA.

La décision du Conseil Constitutionnel devrait intervenir très prochainement.

Pas d’obligation de reclassement en cas de licenciement d’un agent recruté sur un emploi fonctionnel au titre de l’article 47 de la loi du 26 janvier 1984

Une nouvelle fois, le Juge administratif vient affiner sa jurisprudence selon laquelle les agents contractuels recrutés sur des emplois fonctionnels en application de l’article 47 de la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 portant dispositions statutaires applicables à la fonction publique territoriale ne sont pas des agents contractuels comme les autres.

C’est ainsi notamment que le Conseil d’Etat a déjà jugé qu’un recrutement direct sur le fondement de l’article 47 permet la conclusion immédiate d’un CDI, sans qu’il soit besoin que l’agent compte une ancienneté de six ans (CE, 30 septembre 2015, Communauté d’agglomération Côte Basque Adour, n° 375730). Plus récemment encore, il a été jugé que, dans le cas où le recrutement d’un agent contractuel sur un tel emploi n’intervient pas dans le cadre de l’article 47 (et donc illégalement) il ne peut être décidé d’un licenciement sur le fondement de la perte de confiance, en tant qu’il s’agit d’une notion propre à ces emplois (CAA Bordeaux, 22 février 2018, Monsieur B. c/ Commune de Kourou, req. n° 17BX02310).

Mais cette distinction n’est pas toujours à l’avantage des requérants.

Ainsi, le Tribunal administratif de Clermont-Ferrand vient de juger que l’obligation de recherche d’un reclassement qui pèse normalement sur la collectivité dans le cadre du licenciement pour suppression d’emploi d’un agent contractuel recruté sur le fondement de l’article 3-3 de la loi du 26 janvier 1984 ne trouve pas à s’appliquer au cas du Directeur général adjoint recruté sur le fondement de l’article 47 dont l’emploi est supprimé, et ceci justement puisqu’il n’a pas été recruté sur ce fondement.

Il convient de noter en revanche que, malgré l’impossibilité pour l’agent de se prévaloir d’un reclassement, le Juge examine bien la réalité de la suppression d’emploi, qui avait en l’occurrence donné lieu à une redistribution des missions de l’agent entre deux nouveaux services qui ne nécessitait pas de recrutement.

Le fonctionnaire a droit au versement de son plein traitement en cas de retard de l’avis de la Commission de réforme

Par un arrêt Mme B. c/ Région Île-de-France (req. n° 396013) en date du 21 février 2018, le Conseil d’État a précisé que lorsqu’un fonctionnaire demande qu’une maladie soit reconnue imputable au service et que la commission de réforme n’a pas rendu d’avis dans un délai de deux ou trois mois selon les cas, l’administration doit, à l’expiration de l’un ou l’autre de ces délais, placer à titre conservatoire le fonctionnaire en position de congé de maladie à plein traitement.

Mais elle n’y est pas tenue si elle établit qu’elle se trouvait, pour des raisons indépendantes de sa volonté, dans l’impossibilité de recueillir l’avis de la commission de réforme.

Dans cette affaire, Mme B. avait saisi le juge administratif d’un recours tendant à l’annulation de six arrêtés ne l’ayant pas maintenue à plein traitement, méconnaissant ainsi, selon l’agent, l’imputabilité au service de la pathologie d’électrohypersensibilité dont elle soutenait être atteinte.

Déboutée de ses demandes tant en première instance qu’en appel, elle a formé un pourvoi devant le Conseil d’Etat. Les derniers juges ont jugé qu’une décision implicite de rejet de reconnaissance de sa maladie professionnelle était née dans un délai de deux mois après cette demande, alors que, dans les circonstances de l’espèce, l’administration aurait dû lui accorder, à titre provisoire et dans l’attente de cet avis, le bénéficie du maintien de son plein traitement.

Cela étant, si un fonctionnaire a droit, à titre conservatoire, au maintien de son plein traitement dans l’attente de l’avis de la Commission de réforme, l’administration reste en droit de récupérer in fine les sommes indûment perçues, au travers d’un titre de recette.

Les promesses de cession des biens du domaine public

Le sujet, bien connu des personnes publiques, renferme une contradiction apparente : un bien du domaine public ne peut pas être cédé puisqu’il est inaliénable, et il ne devrait donc pas être possible, pour une personne publique, de prendre une quelconque promesse en ce sens. Mais c’est naturellement plus compliqué que cela.
Lorsqu’une personne publique souhaite céder un bien mais qu’elle affecte en l’état à l’utilité publique – et dont elle souhaite/doit en l’état maintenir l’affectation – , elle réduit alors considérablement le champ des possibles parce que, bien souvent, les acquéreurs potentiels (promoteurs, investisseurs…) ont besoin de disposer d’un titre de propriété (ou d’être assurés de disposer de ce titre) immédiatement, avant que de quelconques travaux ou études ne soient engagés : ils doivent disposer d’une certitude sur le droit de propriété pour pouvoir engager des frais d’études et autres et/ou pour pouvoir solliciter une dette auprès d’établissements bancaires. Qu’on pense ainsi aux vastes opérations d’aménagement de quartiers ou de réhabilitation d’ensembles immobiliers, dans le cadre desquelles, bien souvent, un ou plusieurs terrains cédés au promoteur ou à l’aménageur renferment un équipement affecté à l’utilité publique, et qui doit encore le rester quelques mois, le temps de trouver une solution alternative. Qu’on pense aussi à une personne publique qui souhaite céder un bien dans lequel un service public est installé, précisément pour financer la construction, ailleurs, d’un nouvel ouvrage plus fonctionnel, et dans lequel elle installera ce service public une fois l’ouvrage réalisé.
Dans toutes ces opérations, puisqu’il n’est pas possible de céder un bien qui relève du domaine public à raison du principe d’inaliénabilité , les parties prenantes souhaitent souvent en pratique se tourner vers un dispositif bien connu du droit privé, la promesse de vente.
Le recours à cet outil à l’égard des dépendances du domaine public – qui pose une série de difficultés juridiques (I) – a été validé pour une part, par l’ordonnance du 19 avril 2017 (II) et, pour le reste, par le Conseil d’État dans une décision du 15 novembre 2017 (III).
I. – Avant que l’ordonnance et la décision précitées ne règlent le sujet, les promesses de cession des dépendances domaniales posaient une série de difficultés juridiques, qui conduisaient les praticiens et les auteurs à une réticence certaine à l’égard de ce dispositif.
Il est acquis, en effet, qu’aux termes de l’article L.3111-1 du code général de la propriété des personnes publiques, il n’est pas possible de céder les dépendances qui relèvent du domaine public, puisque « les biens des personnes publiques […] qui relèvent du domaine public, sont inaliénables et imprescriptibles ». Pour pouvoir être cédé, un bien du domaine public doit donc en sortir préalablement, et il faut à cet égard que le bien concerné soit désaffecté de fait puis déclassé .

Par ailleurs, dans la mesure où une promesse de vente vaut en principe vente , il n’est pas non plus possible de consentir des promesses de vente ayant pour objet des dépendances domaniales non encore désaffectées et déclassées. La jurisprudence est constante sur ce point et la doctrine est claire sur le sujet .
Pour contourner cette difficulté, les praticiens ont été tentés de conclure des promesses de vente assorties d’une condition suspensive tenant à la désaffectation et au déclassement préalable du bien : la personne publique s’engage à céder un bien sous la condition qu’il soit désaffecté et déclassé dans un délai déterminé, de sorte que le principe d’inaliénabilité n’est pas froissé puisqu’à la date du transfert de propriété du bien, il ne relève effectivement plus du domaine public.

La Cour administrative d’appel de Lyon avait eu l’occasion de connaître d’un dispositif de cette nature et a pu juger qu’il permettait de respecter le principe d’inaliénabilité du domaine public .
De même, le Tribunal administratif de Paris avait considéré que l’article L. 3111-1 du Code général des personnes publiques « ne fait pas obstacle à la conclusion d’une convention par laquelle une personne publique s’engage à céder à une personne privée une parcelle appartenant à son domaine public, même affectée à l’usage direct du public, sous une condition suspensive relative au déclassement préalable de cette parcelle, dès lors qu’une telle promesse de vente n’emporte pas, par elle-même, cession des droits réels immobiliers sur le domaine public » .
Toutefois, si la condition suspensive permet ainsi de contourner l’obstacle posé par le principe d’inaliénabilité du domaine public, elle pose une difficulté juridique, qui, pour beaucoup d’auteurs, conduisait à affecter la légalité des promesses de vente auxquelles une condition de cette nature pouvait être attachée.
En effet, si la liberté contractuelle permet aux parties de subordonner une vente à la réalisation d’une condition suspensive, cette condition suspensive ne doit cependant pas être potestative, c’est-à-dire que sa réalisation ne doit pas exclusivement dépendre de la volonté de l’une des parties (ancien article 1174 du Code civil, article 1304-2 du Code civil issu de la réforme du droit des contrats).
Or, beaucoup considéraient que tel pouvait être le cas d’une condition suspensive attachée à la désaffectation et au déclassement du bien par la personne publique, désaffectation et déclassement qui dépendent in fine du « bon vouloir » du promettant .
Par conséquent, comme le soulignait un auteur, « la légalité de la promesse de vente portant sur des dépendances domaniales et qui contiendrait une condition suspensive du déclassement dudit bien afin de permettre la réalisation de la cession envisagée, paraît, au minimum, douteuse » .
Un moyen de neutraliser cette difficulté consistait à considérer que la condition attachée à la désaffectation et au déclassement du bien n’est pas potestative, à tout le moins si la personne publique s’engage réellement à désaffecter et déclasser le bien dans un délai déterminé, et ce seulement à la condition qu’aucun évènement extérieur à sa volonté empêche cette désaffectation.

Mais l’on se heurtait alors à un autre principe, suivant lequel les personnes publiques ne peuvent pas s’engager à l’avance à prendre une décision dans un sens déterminé, ou plus généralement, ne peuvent pas contractualiser au sujet de l’exercice d’une compétence.

Le principe est incontestable. Il a été réaffirmé dans des termes clairs par Jean-Marc Sauvé, vice-président du Conseil d’État, dans l’éditorial du rapport public de 2008 du Conseil d’État, « les personnes publiques, ne peuvent pas disposer de leur compétence ni contracter dans des domaines où elles sont tenues d’agir par décision unilatérale comme en matière de police administrative. C’est ainsi et il convient de s’y tenir fermement » .

Et la doctrine convient également que « sont nulles, ou en tout cas sans effet, les conventions relatives à l’exercice d’un pouvoir de décision unilatérale », et cette interdiction de contracter au sujet d’un pouvoir de décision unilatérale a notamment pour conséquence « l’interdiction de prendre un engagement sur une décision à venir » .

Le fondement de l’interdiction se comprend sans peine : une personne publique ne peut pas s’engager sur l’exercice de son pouvoir de décision unilatérale parce que, au moment où elle fera usage de ce pouvoir, elle devra en faire usage en fonction de ce que l’intérêt général commandera de faire .

Partant, même si certains auteurs considéraient que, par la voie d’une interprétation constructive du principe de l’interdiction faite à une personne publique de contracter sur son pouvoir de décision unilatérale , les promesses de cession des dépendances domaniales pouvaient être légalement conclues, il demeurerait clairement un sujet .

II. – Et c’est précisément ce sujet – souligné par le rapport au Président de la République relatif à l’ordonnance n° 2017-562 du 19 avril 2017 – que l’ordonnance a en partie réglé.

Cette ordonnance a en effet introduit un nouvel article L. 3112-4 dans le Code général de la propriété des personnes publiques, qui dispose que « un bien relevant du domaine public peut faire l’objet d’une promesse de vente ou d’attribution d’un droit réel civil dès lors que la désaffectation du bien concerné est décidée par l’autorité administrative compétente et que les nécessités du service public ou de l’usage direct du public justifient que cette désaffectation permettant le déclassement ne prenne effet que dans un délai fixé par la promesse ».

Une personne publique peut donc désormais conclure une promesse de vente qui porte sur un bien qui relève de son domaine public, dès lors que la désaffectation du bien a été décidée pour l’avenir, mais ce alors sous la condition suspensive de la désaffectation effective du bien et de son déclassement.

Le texte impose toutefois aux personnes publiques d’introduire, dans la promesse, une ou plusieurs clauses précisant qu’en cas de survenance d’un événement impliquant le maintien de l’affectation du bien à l’utilité publique, le bien doit alors demeurer une dépendance du domaine public .

En pratique, l’introduction d’une clause résolutoire devrait permettre de respecter cette obligation. Et, pour protéger les personnes publiques lors de la réalisation d’un événement faisant obstacle à la désaffectation et au déclassement du bien, le texte précise qu’il n’est pas possible de prévoir que la résolution donne lieu à une indemnisation du bénéficiaire de la promesse au titre d’un éventuel manque à gagner : seules « les dépenses engagées par lui et profitant à la personne publique propriétaire » peuvent être remboursées au bénéficiaire de la promesse. Comme le relève un auteur, « l’objectif est ici d’éviter que la crainte des conséquences indemnitaires mène les gestionnaires domaniaux à se priver de leur liberté de gestion et de mutation du domaine public, au détriment de la continuité de l’affectation du domaine public au service public ou à l’usage direct du public ».

Si le principe est donc acquis aujourd’hui pour les promesses de vente conclues depuis l’entrée en vigueur de l’ordonnance du 19 avril 2017, « ce nouvel article n’a pas été rédigé pour rétroagir » , de sorte que la légalité des promesses de cessions des biens du domaine public conclues avant l’entrée en vigueur de cette ordonnance demeurait incertaine, en raison des principes évoqués plus haut.

III. – Par une décision Commune d’Aix-en-Provence, du 15 novembre 2017 , le Conseil d’État a définitivement tranché le sujet : « aucune disposition du Code général de la propriété publique ni aucun principe ne faisaient obstacle à ce que, antérieurement à l’entrée en vigueur de ces dispositions [ de l’article L. 3112-4 introduit dans le code général de la propriété des personnes publiques par l’ordonnance du 19 avril 2017], des biens relevant du domaine public fassent l’objet d’une promesse de vente sous condition suspensive de leur déclassement, sous réserve que le déclassement soit précédé de la désaffectation du bien et que la promesse contienne des clauses de nature à garantir le maintien du bien dans le domaine public si un motif, tiré notamment de la continuité du service public, l’exigeait ».
Ce faisant, le Conseil d’État « valide » les promesses de vente des dépendances domaniales signées avant l’entrée en vigueur de l’ordonnance du 19 avril 2017, à la double condition que ces promesses soient conclues sous la condition suspensive de la désaffectation et du déclassement du bien, et qu’elles comprennent une clause résolutoire dans le cas où un motif tiré notamment de la continuité du service public, exigerait le maintien du bien dans le domaine public.

La solution est opportune, mais elle n’est pas sans susciter quelques réflexions.

On peut en effet regretter que le Conseil d’État n’ait pas repris exactement les formules employées par le nouvel article L. 3112-4 précité, et ce par exemple pour indiquer l’autre cas dans lesquels le bien doit demeurer dans le domaine public à raison d’un évènement particulier qui intervient en cours d’exécution de la promesse. Il est vrai que l’emploi du terme « notamment » permet très certainement de couvrir le cas dans lequel des motifs tirés de la protection des libertés auxquelles le domaine est affecté imposent le maintien du bien dans le domaine public – mais faut-il comprendre qu’il permet, au-delà, que d’autres motifs, non visés par l’article L. 3112-4, permettraient aussi une résolution de la promesse ?

De même, on peut regretter que le Conseil d’État n’ait pas précisé si les promesses conclues par le passé sont légales alors même qu’elles prévoiraient une clause d’indemnisation qui, en cas de survenance d’un événement impliquant le maintien du bien dans le domaine public, couvrirait un préjudice du bénéficiaire bien supérieur aux seules dépenses qu’il a engagées et qui ont été utiles à la personne publique. On le disait plus haut, en effet, il y a une logique certaine à restreindre les indemnités dues dans ce cas de figure, au risque sinon de neutraliser le pouvoir de gestion du propriétaire du domaine public.

Et, de manière plus générale, on peut souligner, avec d’autres , qu’il est dommage que la décision et/ou les conclusions du Rapporteur public n’aient pas été l’occasion de régler également les débats évoqués plus haut, sur le caractère potestatif ou non d’une condition attachée au déclassement d’un bien, ou sur sa validité au regard de l’interdiction faite aux personne publiques de s’engager à prendre une décision unilatérale dans un sens déterminé.

Astrid Boullault – Avocat à la cour 

 

Article L.3111-1 du code général de la propriété des personnes publiques
CE, 15 novembre 2017, Commune d’Aix-en-Provence, req. n° 409728
article L. 2141-1 du code général de la propriété des personnes publiques ; CE, 13 février 2015, Commune de Forges-les-Eaux, req. n° 376864 ; CAA de Nantes, 12 décembre 2014, M. A. et autres, req. n° 13NT01632 ; Réponse ministérielle, 9 mars 2010, n° 54176
article 1589 du code civil
CE, 1er mars 1999, req. n°71140 ; CAA Nantes, 12 avril 1995, req. n° 94NT00843 ; CAA Lyon, 8 juillet 2004, req. n° 99LY00595 ; CAA Versailles, 23 mars 2006, req. n° 05VE00070
I. Omarjee, « Les avant-contrats et le domaine public », La semaine juridique – édition notariale et immobilière n°25, 19 juin 2009 ; Y. Gaudemet, « Droit administratif des biens » ; LGDJ, 14e édition, 2011, n°251 et suivants ; L. Aynès, E. Fatôme et M. Raunet « les promesses de vente de bien du domaine public sous condition suspensive de déclassement », AJDA 2014, p. 96

CAA de Lyon, 20 octobre 2011, req. n°10LY01089
TA de Paris, 19 décembre 2011, Association Accomplir, req. n° 1100847
Y. Gaudemet, Traité de droit administratif – Droit administratif des biens, Tome 2, LGDJ, Lextenso Éditions, 14e édition, 2011, p. 159109 congères des notaires de France, « Propriétés publiques, quels contrats pour quels projets », p. 436
I. Omarjee, « Une collectivité publique peut-elle consentir une promesse de vente sur une dépendance de son domaine public ? », Revue Lamy Collectivités territoriales, 2009 ; I. Omarjee, « Les avant-contrats et le domaine public », JCP N n° 25, 19 juin 2009
J-M. Sauvé, Éditorial du rapport public 2008 du Conseil d’État, « Le contrat, mode d’action publique et de production de normes », La documentation française, p. 9
L. Richer, « Droit des contrats administratifs » L.G.D.J, ed. 2012, p. 63
L. Aynès, E. Fatôme et M. Raunet « Les promesses de vente de bien du domaine public sous condition suspensive de déclassement », AJDA 2014, p. 961
. Aynès, E. Fatôme et M. Raunet « Les promesses de vente de bien du domaine public sous condition suspensive de déclassement », AJDA 2014, p. 961
109 congères des notaires de France, « Propriétés publiques, quels contrats pour quels projets », p. 436
« L’article 10 consacre la possibilité, pour les personnes publiques, de conclure des promesses de vente portant sur des biens du domaine public, sous condition suspensive de déclassement, avec un véritable engagement de désaffectation et de déclassement, possibilité jusqu’ici discutée par la doctrine et sur laquelle le juge n’a jamais été amené à se prononcer clairement. »
« A peine de nullité, la promesse doit comporter des clauses précisant que l’engagement de la personne publique propriétaire reste subordonné à l’absence, postérieurement à la formation de la promesse, d’un motif tiré de la continuité des services publics ou de la protection des libertés auxquels le domaine en cause est affecté qui imposerait le maintien du bien dans le domaine public ».
P. Hansen, « La réforme du Code général de la propriété des personnes publiques », La Semaine Juridique Administrations et Collectivités territoriales,m ai 2017, p. 2122
C. Chamard-Heim et F. Lichère, « Validité d’une promesse de vente de biens du domaine antérieure à l’ordonnance domaniale et modification illégale d’une concession », La Semaine Juridique Administrations et Collectivités territoriales, Décembre 2017, p. 2320
précitée
P. Cornille, « Déclassement et permis de construire – Une souplesse inspirée de la jurisprudence Comité d’intérêt de Quartier Vallon des Auffes Corniche (CE, 23 avr. 2003, n° 249.918) ? », Construction – Urbanisme, février 2018, étude 2 ; F. Lombard, « la licéité de la vente d’un bien public sous condition suspensive de déclassement », Recueil Dalloz 2018, p. 785 ; C. Chamard-Heim et F. Lichère, « Validité d’une promesse de vente de biens du domaine antérieure à l’ordonnance domaniale et modification illégale d’une concession », La Semaine Juridique Administrations et Collectivités territoriales, Décembre 2017, p. 2320
Conclusions de O. Henrard sur la décision précitée, publiée au Bulletin Juridique des Contrats Publics, 2018, p. 116

Tarifs réglementés de vente électricité : la décision du Conseil d’État du 18 mai 2018, et apres ?

Le 18 mai 2018, le Conseil d’État a rendu une décision très attendue en admettant la légalité des tarifs réglementés de vente (TRV) d’électricité tout en annulant les tarifs adoptés en 2017 selon. Un communiqué du Conseil d’Etat est venu expliciter cette décision.

Les TRV d’électricité aujourd’hui

Les TRV d’électricité ont été supprimés le 1er janvier 2016, en électricité, pour les sites disposant d’une puissance souscrite supérieure à 36 kVA (tarifs dits « jaune » et « vert » qui concernaient les consommateurs finals domestiques et non domestiques).

Il existe donc depuis cette date une seule catégorie de TRV, les tarifs dits « bleu » qui concernent les sites de puissance inférieure ou égale à 36 kVA. Sont concernés environ 26,5 millions de ménages français (consommateurs domestiques) ainsi que 3,3 millions de professionnels (consommateurs non domestiques parmi lesquels des acheteurs publics).

Ces TRV sont uniquement proposés par les fournisseurs historiques, c’est-à-dire la société EDF dans sa zone de desserte et les entreprises locales de distribution (ELD) chargées de la fourniture, à la différence des tarifs non réglementés (offres de marché), qui sont proposés par les fournisseurs historiques et les fournisseurs alternatifs. A cet égard, depuis le 1er juillet 2007, tous les consommateurs – quels que soient leur statut et leur puissance souscrite – sont éligibles aux offres de marché en vertu de l’article L. 331-1 du Code de l’énergie.

Ces TRV de l’électricité sont élaborés par la Commission de Régulation de l’Énergie (CRE) et approuvés par décision ministérielle, au moins une fois par an.

Les mêmes tarifs réglementés existent dans le secteur de la fourniture de gaz pour l’ensemble des sites non résidentiels ayant une consommation supérieure à 30 MWh par an. Ces tarifs sont quant eux fixés par un arrêté des ministres chargés de l’économie et de l’énergie pris après avis de la CRE approuve, au moins une fois par an pour chaque fournisseur.

Le recours formé par Engie et l’ANODE devant le Conseil d’Etat et la décision du 18 mai 2018

 

La société ENGIE et l’Association nationale des opérateurs détaillants en énergie (ANODE), qui regroupe plusieurs fournisseurs d’électricité alternatifs, avaient demandé au Conseil d’État d’annuler la décision du 27 juillet 2017 par laquelle l’État avait fixé les TRV de l’électricité à compter du 1er août 2017.

Les requérants faisaient valoir que l’existence même de TRV d’électricité constituait une entrave à la réalisation d’un marché concurrentiel contraire aux principes du droit européen.

Pour cela, les requérants s’appuyaient sur l’arrêt du 19 juillet 2017 par lequel le Conseil d’Etat avait – après décision de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE)[1] –  annulé le décret n° 2013-400 du 16 mai 2013 modifiant le décret n° 2009-1603 du 18 décembre 2009 relatif aux tarifs réglementés de vente de gaz naturel au motif que la réglementation du prix de la fourniture du gaz naturel constituait une entrave à la réalisation du marché du gaz concurrentiel, qui n’était pas justifiée par un motif d’intérêt économique général[2].

Lors de l’audience, la rapporteur public, Mme Emilie Bokdam-Tognetti, avait conclu que le dispositif général et national des TRV d’électricité constituait effectivement une entrave à la réalisation du marché concurrentiel de l’électricité quand bien même les TRV contribuaient, selon elle, à la stabilité du prix de vente de l’électricité pour le consommateur. Elle avait cependant conclu que le dispositif n’était pas proportionné aux objectifs d’intérêt économique général poursuivi et avait ainsi proposé l’annulation de la décision du 27 juillet 2017.

Fait assez rare, le Conseil d’État n’a pas intégralement suivi les conclusions de sa rapporteur public puisqu’il a jugé que l’objectif d’intérêt économique général de stabilité des prix pouvait justifier l’instauration de TRV d’électricité et qu’il n’existait pas de mesure étatique moins contraignante pour satisfaire cet objectif afin de permettre l’accès de tous à ce produit de première nécessité non substituable. En ce sens, le Conseil d’Etat a validé le principe même de l’existence de tarifs réglementés de vente en matière d’électricité.

En revanche, le Conseil d’Etat a estimé que la réglementation française ne satisfaisait pas à l’exigence de proportionnalité telle que posée par la CJUE dans sa décision précitée dès lors, d’une part, qu’elle présentait un caractère permanent (alors que la CJUE impose, a minima, « un réexamen périodique de la nécessité de l’intervention étatique sur les prix de vente au détail ») et, d’autre part, qu’elle était applicable à tous les consommateurs finals, domestiques et non domestiques, pour leurs sites souscrivant une puissance inférieure ou égale à 36 kilovoltampères.

Sur ce dernier point, le Conseil d’État a ainsi jugé que l’absence de distinction entre les professionnels ayant une faible consommation d’électricité, tels que les artisans, commerçants et professions libérales, et les sites non résidentiels appartenant à des grandes entreprises, va au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre l’objectif d’intérêt économique général poursuivi.

En conclusion, le Conseil d’État a admis dans son principe l’existence de tarifs réglementés de vente de l’électricité, mais a annulé la décision attaquée en tant qu’elle est applicable à tous les consommateurs finals, domestiques et non domestiques, sans distinction et sans limitation de durée, pour leurs sites souscrivant une puissance inférieure ou égale à 36 kilovoltampères.

Les suites aux niveaux français et européen 

En l’état, par sa décision le Conseil d’Etat n’a donc pas fait disparaître les TRV d’électricité tel qu’appliqués à ce jour aux consommateurs finals, domestiques et non domestiques, pour leurs sites souscrivant une puissance inférieure ou égale à 36 kilovoltampères.  On précisera en effet que les TRV d’électricité aujourd’hui en vigueur résultent de la décision du 31 janvier 2018 fixant les TRV à compter du 1er février 2018[3], qui n’a pas été attaquée mais qui porte en germe les mêmes griefs que la décision annulée.

Cette annulation de la seule décision du 27 juillet 2017 est ainsi « platonique » comme l’indiquait d’ailleurs la rapporteur public dans ses conclusions. Elle appelle néanmoins à une modification des textes législatifs et réglementaires relatifs aux TRV d’électricité afin que ces derniers distinguent parmi les consommateurs professionnels ceux qui relèvent ou non de grandes entreprises et qui pour lesquels les TRV devront faire l’objet d’un réexamen périodique.

Le Législateur devra donc se saisir de la question des conditions d’application des TRV d’électricité à l’avenir.

Par un communiqué de presse publié le 18 mai 2018, l’ANODE a pris acte de la décision du Conseil d’Etat tout en contestant formellement le fait que les TRV d’électricité permettraient une plus grande stabilité des prix. Elle a fait savoir qu’elle maintenait sa demande de suppression des TRV électricité et demandait au Gouvernement français de synchroniser cette suppression avec celle des TRV en gaz.

L’ANODE reste donc déterminée à voir supprimer les TRV d’électricité, d’autant que son recours fait suite à un livre blanc, rédigé par des experts indépendants, dont Philippe de Ladoucette, ancien président de la Commission de Régulation de l’Energie (CRE), qui démontrait  la nécessité de supprimer les TRV, au même titre que ceux du gaz, pour des raisons tant économiques (obstacles à la concurrence, plus grande compétitivité des prix) que juridiques (incompatibles avec le droit de l’union européenne), cette suppression n’empêchant pas le maintien de dispositifs de protection des consommateurs (péréquation, chèque énergie).

Enfin, l’ANODE en a appelé à la Commission européenne afin qu’elle protège les intérêts des consommateurs en mettant fin définitivement aux TRV d’électricité dans le Paquet Énergie Propre actuellement en discussion au niveau européen. Inscrite en filigrane dans les directives d’ouverture à la concurrence du secteur énergétique en Europe, la fin des TRV d’électricité comme pour le gaz est aujourd’hui une recommandation explicite de la Commission européenne. Des textes donc fortement attendus pour préfigurer les TRV d’électricité de demain.

En tout état de cause, il résultera de ces textes au futur proche des impacts forts pour les collectivités acheteurs (on peut penser qu’elles ne seront plus des catégories de consommateurs visées par les TRV d’électricité) ainsi que pour les collectivités qui sont autorités organisatrices de la distribution d’électricité (dont une part importante de leur mission de service public et de leur contrat de concession disparaîtra ou à tout le moins sera très fortement réduit). Une réforme des TRV d’électricité attendue donc, pour en anticiper les conséquences.

Marie-Hélène PACHEN-LEFEVRE

Aurélie CROS

[1] Arrêt de la CJUE du 7 septembre 2016, Association nationale des opérateurs détaillants en énergie c. Premier ministre e.a. (aff. C-121/15)

[2] CE, Ass., 19 juillet 2017, Association nationale des opérateurs détaillants d’énergie, n°370321 : Cf. LAJEE n°31 – septembre 2017

[3] Cf. LAJEE n°36 – février 2018

Rapport d’activité 2017 du Médiateur National de l’Énergie

Le Médiateur National de l’Energie (ci-après, le « MNE ») a publié, le 29 mai 2018, son rapport d’activité pour l’année 2017. A cette occasion, le MNE dresse un bilan mitigé du fonctionnement du marché de l’énergie de l’année 2017.

En effet, si le rapport d’activité ne manque pas de souligner un dynamisme jamais égalé du marché de l’énergie en raison de l’ouverture à la concurrence du marché de l’électricité et du gaz, il relève également une forte hausse des contentieux ainsi qu’une recrudescence de « mauvaises » pratiques de la part de certains fournisseurs.

S’agissant des contentieux portés devant lui, le MNE relève qu’après trois années de baisses consécutives, le nombre de litiges reçus (14.548) est reparti à la hausse en 2017 avec une augmentation de 19 % par rapport à l’année 2016. La très grande majorité de ces litiges (90 %) concerne des consommateurs particuliers et l’essentiel des contentieux (52% des litiges) a trait à des niveaux de consommation jugés trop élevés par les consommateurs.

Le rapport fait également état d’une recrudescence de « mauvaises » pratiques de la part de certains fournisseurs. Ainsi, le MNE rappelle qu’au cours de l’année 2017, certains fournisseurs ont été sanctionnés par les autorités compétentes pour leurs pratiques commerciales douteuses. De son côté, le MNE indique qu’il a enregistré 1.519 litiges relatifs à des contestations de souscription ou à des pratiques de démarchage trompeuses ou déloyales (contre 1.140 en 2016). Une partie non négligeable du contentieux (23 %) est relative à des litiges liés à l’établissement de la facturation et à son paiement.

A cet égard, le MNE pointe du doigt des insuffisances de fournisseurs, pourtant majeurs et anciens, quant à la maîtrise de leur facturation et de leur relation client. En effet, le rapport souligne que « savoir facturer, traiter efficacement les réclamations, et rembourser rapidement en cas d’erreur ou de trop perçu, constitue un savoir-faire minimum et attendu d’un fournisseur d’énergie ».

Au regard de certaines pratiques défectueuses liées à la facturation, le MNE estime nécessaire de poursuivre son travail de pédagogie au profit des consommateurs puisqu’il relève que « dix ans après la libéralisation totale du marché de l’énergie, les Français se montrent encore réservés pour faire jouer la concurrence. Alors que les pratiques commerciales abusives de certains fournisseurs ne faiblissent pas et que la suppression des tarifs réglementés de vente de gaz naturel est annoncée, le médiateur poursuit ses efforts pour apporter aux consommateurs une information de qualité ».

Enfin, on relèvera que le rapport traite du problème de la rénovation des colonnes montantes électriques dans les immeubles en résumant l’état du droit le plus récent, amplement commenté dans nos lettres d’actualité juridique énergie & environnement.

Annulation d’une prestation annexe réalisée à titre exclusif par les gestionnaires des réseaux de distribution électricité

Par cette décision, le Conseil d’Etat a annulé le point 4.14 de la délibération du 3 mars 2016 et le point 3.4.12 de la délibération du 16 novembre 2016 toutes deux portant décision sur la tarification des prestations annexes réalisées à titre exclusif par les gestionnaires de réseaux de distribution d’électricité. Par ces délibérations, la Commission de régulation de l’énergie (CRE) a défini une nouvelle prestation annexe intitulée  » pré-étude de raccordement ou reprise d’étude « .

Pour mémoire, les prestations annexes sont réalisées par les GRD en complément de la prestation d’acheminement de l’électricité, à la demande principalement des fournisseurs et des consommateurs finals. Elles sont rassemblées, pour chaque GRD d’électricité, dans un catalogue de prestations qui est public après fixation par la CRE de leurs tarifs.

En 2016, par deux délibérations successives, la CRE a modifié le périmètre des prestations annexes que les GRD peuvent réaliser à titre exclusif, autrement dit dans le champ ainsi étendu de leur monopole légal. Parmi ces prestations, figurait une prestation annexe intitulée  » pré-étude de raccordement ou reprise d’étude « .

La pré-étude consiste, à la demande d’un utilisateur, en l’étude d’une solution de raccordement, hors contexte d’une procédure de raccordement elle-même ou de modification de la puissance souscrite. La prestation de reprise d’étude a pour objet, quant à elle,juin  la réalisation d’une nouvelle étude lorsqu’un utilisateur, disposant d’une étude de raccordement dans le cadre d’une procédure de demande de raccordement ou de modification de la puissance souscrite, souhaite modifier les caractéristiques de sa demande. Là encore, cette reprise d’étude se situe en amont d’une demande de raccordement ou de modification de la puissance souscrite.

La prestation est constituée de deux options, selon que le demandeur a un ou plusieurs points à raccorder au réseau public de distribution d’électricité. L’option multi-raccordement consiste, avant l’obtention du permis de construire et en plus des précédents éléments, en l’évaluation des évolutions et des adaptations du réseau nécessaires aux raccordements demandés, l’établissement d’un planning prévisionnel tenant compte des contraintes identifiées sur le réseau et l’étude de l’emplacement optimal du raccordement et du poste de distribution sur le réseau pour minimiser les coûts de raccordement du demandeur.

En l’espèce, un bureau d’études techniques avait formé un recours pour excès de pouvoir à l’encontre de ces deux délibérations en tant qu’elles prévoyaient une prestation annexe intitulée  » pré-étude de raccordement ou reprise d’étude  » pouvant être uniquement réalisée par les GRD à titre exclusif, ce qui portait atteinte à la liberté d’entreprendre et à la liberté du commerce et de l’industrie.

Le Conseil d’Etat a fait droit à cette requête après avoir posé le principe selon lequel des opérateurs de marché peuvent, après avoir obtenu les informations techniques utiles de la part de la part de leurs clients et devant être mises à disposition par le gestionnaire du réseau de distribution, réaliser une prestation d’évaluation des conditions de raccordement d’une installation et notamment une estimation du coût et du délai de cette opération, préalablement à la délivrance d’un permis de construire. 

Pour fonder sa décision, le Conseil d’Etat a conclu que « les gestionnaires de réseaux de distribution d’électricité ne sont pas seuls en mesure de proposer les prestations visées par la prestation annexe intitulée  » pré-étude de raccordement ou reprise d’étude « . Dès lors, la CRE, en les incluant globalement dans le champ des prestations réalisées à titre exclusif par les gestionnaires de ces réseaux, a porté une atteinte illégale à la liberté d’entreprendre ainsi qu’à la liberté du commerce et de l’industrie ».

A cette occasion, le Conseil d’Etat a utilement rappelé, en se fondant sur une délibération de la CRE de 2013[1], que les gestionnaires des réseaux de distribution d’électricité étaient tenus de fournir aux utilisateurs des réseaux les informations nécessaires à un accès efficace aux réseaux (notamment les informations relatives aux capacités d’accueil des réseaux, tenant compte des projets faisant l’objet d’une demande de raccordement en cours d’instruction), sous réserve des informations protégées par des dispositions législatives ou réglementaires.

Cette décision pose ainsi une nouvelle fois les limites du champ des prestations annexes qui peuvent être réalisées à titre exclusif par les gestionnaires de réseaux de distribution d’électricité afin d’éviter que le monopole dévolu à ces opérateurs ne soit étendu à des activités qui sont déjà proposées sur le marché concurrentiel. On rappellera que le Conseil d’Etat avait déjà eu à se prononcer sur le périmètre des prestations annexes dans une décision rendue le 25 septembre 2015 (n°386077), commentée dans notre Lettre d’actualité n°10.

On signalera enfin que par une délibération n°2018-096 du 3 mai 2018 portant décision sur l’évolution annuelle des tarifs des prestations réalisées à titre exclusif par les gestionnaires de réseaux de distribution d’électricité, la CRE a fait évoluer les tarifs des prestations au 1er août 2018.

A cette occasion, la CRE a pris acte de la décision rendue par le Conseil d’Etat le 26 avril 2018 en indiquant que : « A la suite de la décision du Conseil d’Etat du 26 avril 2018, la CRE rappelle que la prestation « pré-étude de raccordement ou reprise d’étude » a été annulée. Cette prestation ne fait donc plus partie des prestations annexes réalisées à titre exclusif par les GRD d’électricité, et n’est donc pas susceptible d’évolution tarifaire ».

 

 

Précisions de la CRE sur le contenu du futur TURPE 5 HTA et BT Bis

La Commission de Régulation de l’Energie (CRE) a mis en ligne le 24 mai dernier une note de cadrage relative aux tarifs d’utilisation des réseaux publics d’électricité (TURPE) dans les domaines de tension HTA et BT. Cette consultation des acteurs du marché s’inscrit dans le cadre de l’article L. 341-3 du Code de l’énergie qui impose à la CRE de consulter lesdits acteurs préalablement à l’adoption d’une nouvelle délibération tarifaire. A la suite de cette publication, une table ronde s’est tenue le 31 mai dernier au sein de la CRE.

Surtout, cette consultation fait suite à l’annulation partielle par le Conseil d’Etat, dans sa décision du 9 mars 2018 (CE, 9 mars 2018, Société EDF, Société ENEDIS, Ministre de l’Environnement, de l’Énergie et de la Mer, Fédération CFE-CGC Énergies, req. n°407516, 407547, 408809, 409065), des tarifs adoptés pour la 5ème période tarifaire courant de 2017 à 2020, par la CRE dans sa délibération du 17 novembre 2016 (voir notre brève dans la lettre d’actualité énergie et environnement de décembre 2016).

Pour mémoire, dans cette décision, le Conseil d’Etat avait fait droit à l’un des moyens soulevés par la société Enedis, tiré de ce que la rémunération des charges de capital dans le TURPE 5 n’avait, à tort, pas pris en compte les provisions pour renouvellement constituées sur les ouvrages concédés, ni le passif correspondant à la remise d’ouvrages aux concédants et qui avaient été constitués sur la période tarifaire courant de 2006 à 2008 et qui n’avaient pas été déduits du TURPE 2 alors applicable. Le Conseil d’Etat avait donc annulé la délibération de la CRE instituant le TURPE 5 en tant qu’elle n’avait pas appliqué, dans le calcul du capital investi par la société Enedis, en plus d’une « prime de risque », un taux « sans risque » à ces deux catégories d’actifs sur la période 2006-2008. Il incombait dès lors à la CRE de prendre une nouvelle délibération pour appliquer ces règles à partir de documents comptables que devait lui fournir Enedis.

C’est le travail qui a été réalisé par la CRE et qui est présenté dans la note de cadrage soumise à la consultation des acteurs du marché. On précisera que la rapidité du calendrier entre la publication de la note de cadrage (le 24 mai) et l’organisation de la table ronde (le 31 mai) s’explique par le délai bref laissé par le Conseil d’Etat à la CRE pour fixer de nouveaux tarifs. En effet, l’annulation prononcée par le Conseil d’Etat entrant en vigueur le 1er août 2018, il est nécessaire que de nouveaux tarifs soient fixés avant cette date.

Dans cette note de cadrage, après avoir exposé les implications comptables de la décision du Conseil d’Etat (point 2.1), la CRE détaille la demande présentée par Enedis à la suite de la décision susmentionnée (point 2.2), l’analyse en exposant en quoi cette demande est, à ses yeux, partiellement contraire à la décision du Conseil d’Etat (point 2.3), puis formule sa propre proposition de réévaluation du TURPE 5 (point 2.4).

A cet égard, la CRE précise que, dès lors que le Conseil d’Etat ne censure la délibération initiale que sur l’un des éléments entrant dans la construction du TURPE 5, « la méthodologie d’élaboration des tarifs et leurs principes d’évolution issus de la délibération TURPE 5 » ne sont, quant à eux, pas altérés. En outre, du fait de cette annulation partielle, et au regard du délai accordé par le Conseil d’Etat ainsi que de la complexité des analyses permettant de déterminer les paramètres du TURPE HTA-BT, la CRE, qui indique également ne pas être en capacité de mettre en œuvre un processus tarifaire complet (audit des charges nettes d’exploitation, analyses financières, etc.), propose de maintenir les hypothèses retenues pour fixer le TURPE 5 HTA-BT pour leur grande majorité.

La proposition de réévaluation réalisée par la CRE, dont le détail du calcul est fourni (point 2.4), a pour effet d’intégrer au 1er janvier 2018 un montant de l’ordre de 1,6 Md€ aux « capitaux propres régulés » correspondant aux capitaux propres du gestionnaire de réseau réellement investis dans l’activité, et qui entrent dans la détermination du TURPE. Et, au global, pour la période 2018-2020, la CRE estime que la décision du Conseil d’Etat conduirait à augmenter la rémunération d’Enedis respectivement de 64, 63 et 61 millions d’euros en 2018, en 2019 et 2020.

Pour autant, la CRE précise que la délibération qu’elle adoptera et qui entrera en vigueur au 1er août 2018, devra « se conformer à l’état actuel du droit à la date de son adoption ». A ce titre, la CRE estime donc que sa délibération devra prendre en compte les effets de l’évolution du taux d’imposition sur les sociétés résultant de la loi n° 2017-1837 du 30 décembre 2017 de finances pour 2018 qui a pour effet de réduire le taux d’imposition d’Enedis sur la période 2018-2020.

Or, ainsi que la note de cadrage l’expose (point 3.2), l’impact de la révision du taux d’imposition sur les sociétés telle qu’elle est envisagée par la CRE conduit, sur la période 2018-2020, à diminuer « les taux de rémunération d’Enedis de 0,1 % par rapport aux taux en vigueur dans le tarif TURPE 5 HTA-BT, conduisant à une baisse du revenu autorisé prévisionnel de l’ordre de – 58 M€ par an en moyenne sur la période 2018-2020 ».

Cette modification du taux d’imposition semble donc de nature à neutraliser, au moins en partie, les effets de la décision du Conseil d’Etat, dont on peut penser qu’elle aurait sinon conduit à une hausse tarifaire.

Une stabilité du TURPE 5 bis, par rapport au TURPE 5 partiellement annulé est donc vraisemblablement à attendre.

Publication du décret relatif aux réseaux intérieurs des bâtiments

Par ce décret du 29 mai 2018, le Gouvernement achève de définir le régime applicable aux réseaux intérieurs des bâtiments.

Cette notion de « réseau intérieur » avait été introduite par l’article 16 de la loi n° 2017-1839 du 30 décembre 2017 mettant fin à la recherche ainsi qu’à l’exploitation des hydrocarbures et portant diverses dispositions relatives à l’énergie et à l’environnement qui avait créé les articles L. 345-1 à L. 345-8 au sein du Code de l’énergie (voir notre commentaire dans notre lettre d’actualité n° 35 du mois de janvier 2018). Il s’agissait alors de prévoir un dispositif législatif autorisant les raccordements indirects de consommateurs qui avaient été censurés par la jurisprudence judiciaire (voir CA Paris 12 janvier 2017, Société Valsophia SARL n°2015/15157, cf. nos Lettre d’actualités juridiques Energie et Environnement n°26 de mars 2017 et n° 32 d’octobre 2017 sur ces sujets).

Aux termes des articles L. 345-1 et L. 345-2 du Code de l’énergie, ces réseaux intérieurs des bâtiments sont définis comme « les installations intérieures d’électricité à haute ou basse tension » situées « dans les immeubles à usage principal de bureaux qui appartiennent à un propriétaire unique ». Ils constituent donc une catégorie de réseaux électriques introduite par ladite disposition législative qui se distingue des réseaux publics de distribution d’électricité au sens de l’article L. 2224-31 du Code général des collectivités territoriales, ainsi que des réseaux fermés de distribution d’électricité au sens de l’article L. 344-1 du Code de l’énergie.

Le décret du 29 mai 2018 introduit, au sein de la partie réglementaire du Code de l’énergie, les articles D. 345-1 à D. 345-4, lesquels apportent des précisions complémentaires sur la notion et le régime applicable aux réseaux intérieurs des bâtiments.

Tout d’abord, le décret complète la définition des réseaux intérieurs – dont on a vu qu’ils ne pouvaient exister qu’à l’intérieur d’immeubles à usage principal de bureau appartenant à un propriétaire unique  – puisqu’il précise que constituent des immeubles à usage principal de bureau au sens de l’article L. 345-2 du Code de l’énergie « les immeubles dont au moins 90 % de la surface hors œuvre nette est consacrée aux sous-destinations « locaux et bureaux accueillant du public des administrations publiques et assimilés » et « bureau » telles que mentionnées aux 4° et 5° de l’article R. 151-28 du code de l’urbanisme. » (art. D. 345-1 du Code de l’énergie). La définition s’appuie donc sur les destinations des constructions prévues par le Code de l’urbanisme et fixe un ratio précis de surface hors œuvre nette devant être affectée à ces activités.

Ensuite, le nouvel article D. 345-2 du Code de l’énergie impose au titulaire du point de livraison auquel le réseau intérieur d’un bâtiment est raccordé l’obligation de tenir à disposition des utilisateurs raccordés à ce réseau intérieur « les informations sur les frais d’acheminement dont il s’acquitte au titre de ce point de livraison en lien avec les consommations desdits utilisateurs ».

En outre, le nouvel article D. 345-3 du Code de l’énergie précise que pour respecter la liberté des usagers de choisir leur fournisseur d’électricité ainsi que le droit des producteurs d’électricité à bénéficier des mécanismes d’obligation d’achat, de complément de rémunération et autres dispositifs analogues, le réseau intérieur doit permettre l’installation de compteurs en décompte par le gestionnaire du réseau public de distribution d’électricité. Et c’est au propriétaire du réseau qu’il revient de mettre en œuvre, le cas échéant, à ses frais, les modifications nécessaires dudit réseau pour permettre l’installation de compteurs en décompte.

Enfin, le nouvel article D. 345-4 du Code de l’énergie organise la procédure qui permet à un propriétaire de réseau intérieur de céder ses droits sur ledit réseau à l’Autorité Organisatrice de la Distribution publique d’Electricité (AODE) afin qu’il soit incorporé dans le réseau public de distribution.

Pour mémoire l’article L. 345-7 du Code de l’énergie consacrait d’ores et déjà cette faculté d’abandon en la soumettant, pour ce cas bien particulier, à une remise en état préalable destinée à satisfaire aux conditions techniques et de sécurité applicables, réalisée aux frais du propriétaire.

Publication de la CRE d’une étude sur les perspectives stratégiques de l’énergie de demain

Par un communiqué du 30 mai 2018, la Commission de régulation de l’énergie (ci-après la « CRE ») a publié les résultats d’une étude sur les perspectives de l’énergie liées à la transition énergétique et à la transformation numérique commandée dans le cadre des futurs travaux du Comité de prospective de la CRE.

Créé à l’initiative du président de la CRE en octobre 2017, le Comité de prospective est un espace d’échanges et d’analyse réunissant les acteurs principaux du secteur de l’énergie afin d’apporter leur expertise au collège de la CRE, au Gouvernement et au Parlement, comme à tous les acteurs du secteur énergétique.

Le Comité a pour objet d’« anticiper, identifier et comprendre les tendances à moyen et long terme » dont « les transformations industrielles et technologiques à venir »[1], tant en France qu’à l’international, avec trois thématiques : (i) le consommateur d’énergie et les enjeux de la société (par un groupe de travail « GT consommateur et société »), (ii) les choix énergétiques à moyen et long terme (par un « GT Mix énergétique »), (iii) l’avenir des réseaux avec l’arrivée massive du numérique et des technologies qui en découlent dans un contexte de transition énergétique (par un « GT Réseaux et systèmes énergétiques »).

Dans ce cadre, la CRE a commandé une en vue d’analyser neuf enjeux majeurs aux horizons 2030 et 2050 sous forme de monographies : la compétitivité des moyens de production renouvelables et les conséquences sur le système électrique, le stockage d’électricité, les réseaux électriques, les métiers de la fourniture et des services, la demande d’énergie finale, les infrastructures gazières, le couplage des systèmes électrique et gazier et le consommateur dans la transition énergétique.

L’étude finale publiée par la CRE contient, outre les monographies des neuf enjeux susvisés, la présentation de dix thèses[2] reposant sur ces monographies et confrontées à l’opinion de 80 experts français et internationaux – consultés dans le cadre d’une démarche appelée Sounding Board – et de deux missions d’études en Chine et en Californie. En conclusion, il en découle douze pistes que le régulateur de l’énergie national ou européen pourrait envisager de mettre en œuvre à l’égard des enjeux identifiés.

Selon le communiqué de presse de la CRE, cette étude est une « source d’information ouverte à tous sur les innovations en cours et leurs conséquences sur le plan économique, environnemental, industriel et sociétal (…) destinée à éclairer le chemin des décideurs, chacun dans son domaine de compétence respectif », ainsi que de venir en « appui des travaux du Comité de prospective » de la CRE qui se réunira le 5 juillet prochain pour présenter ses conclusions.

[1] Cf. communiqué de presse de la CRE du 19 octobre 2017 et Note de fonctionnement du comité.

[2] Qui regroupent les thèmes suivants : demande d’énergie finale, systèmes électriques fortement décarbonés, market design du secteur électrique, stockage d’électricité, impact de la transition énergétique sur les réseaux électriques, impact de la transition énergétique sur l’équilibrage des réseaux, microgrids, systèmes gaziers, l’hydrogène et, enfin, les consommateurs et les fournisseurs.

 

 

La collectivité territoriale acceptant de prendre à sa charge une partie des coûts de raccordement au réseau de distribution d’électricité d’une ZAC n’est pas un « utilisateur du réseau » pour le CoRDIS.

La collectivité territoriale acceptant de prendre à sa charge une partie des coûts de raccordement au réseau de distribution d’électricité d’une ZAC n’est pas un « utilisateur du réseau » pour le CoRDIS.

Par une décision du 16 mars 2018 publiée le 19 avril 2018 au Journal Officiel de la République française, le Comité de règlement des différends (ci-après le « CoRDIS ») de la Commission de régulation de l’énergie (CRE) donne une définition très restrictive de la notion d’utilisateur de réseaux au sens de l’article L. 134-19 du Code de l’énergie en écartant de son champ d’application les collectivités territoriales prenant à leur charge une partie des coûts du raccordement d’une ZAC.

En charge du projet de zone d’aménagement concerté (ci-après la « ZAC ») de la Porte des Pyrénées sur le territoire de la commune de Lons, la société d’équipement des Pays de l’Adour (la « SEPA ») avait formulé en novembre 2009 une demande de raccordement de la ZAC au réseau public de distribution d’électricité auprès de la société Enedis, qu’elle avait ensuite complété le 11 mai 2011 à la demande du gestionnaire du réseau.

Au cours d’une réunion entre les parties prenantes du projet de la ZAC, la société Enedis a présenté comme nécessaire la création d’un nouveau transformateur au poste source de « Pau Nord » pour un montant de 2,5 millions d’euros. Après plusieurs échanges et réunions entre 2011 et 2013, une convention relative aux travaux à réaliser sur le poste source de Pau Nord a été conclue le 18 décembre 2013 entre la communauté d’agglomération Pau Pyrénées (ci-après la « CAPP »), la communauté de communes des Luys en Béarn (ci-après la « CCLB »), le Syndicat d’Energie des Pyrénées Atlantiques (ci-après le « SDEPA ») et la société Enedis.

Cette convention prévoyait que le CCLB et la CAPP prennent à leur charge 60 % du coût des travaux relatifs au poste source de « Pau Nord », dont la création d’un nouveau poste de transformation, avec une répartition de 70 % du coût des travaux à la CAPP, et 30 % à la CCLB.

A la suite de cette signature et au cours de plusieurs autres échanges, Enedis a adressé, le 12 juin 2015, à la CAPP et à la CCLB une facture d’un montant de 928.746 euros et de 398.034 euros respectivement.

Par un courrier du 20 juillet 2015, la CAPP et la CCLB ont contesté cette facture au visa de nombreuses réserves émises en juin 2011 et février 2014 tenant, d’une part, à ce que l’ajout du nouveau transformateur ne pouvait être considéré comme la seule opération de raccordement de référence envisageable et, d’autre part, que « la conclusion des conventions relatives aux contributions financières avait été guidée par la nécessité de ne pas bloquer les projets de développement », dès lors que la société Enedis aurait soutenu que ces projets « n’auraient pas pu être raccordés en l’absence de ces contributions financières signées ».

Le 28 juillet 2015, estimant que les conditions techniques et financières de leurs contributions financières aux travaux d’extension n’étaient pas satisfaisantes, la CAPP et la CCLB ont saisi le CoRDIS afin de solliciter le règlement du différend les opposant à la société Enedis dans le cadre exposé ci-avant.

Toutefois, en se déclarant incompétent pour connaître de la demande de la CAPP et la CCLB, le CoRDIS n’aborde pas, dans la décision commentée, le fond de l’affaire.

En effet, après avoir rappelé les dispositions de la directive n°2009/72/CE du Parlement européen et du Conseil du 13 juillet 2009 concernant des règles communes pour le marché intérieur de l’électricité et celles de l’article L. 134-19 du Code de l’énergie, le CoRDIS estime dans la décision commentée que « (…) dans le cas où un différend (…) porte sur le raccordement au réseau en vue de l’accès d’un utilisateur à ce réseau, le comité ne peut être saisi que par le gestionnaire du réseau ou la personne qui a demandé le raccordement ».

Et, toujours dans la décision commentée du CoRDIS, l’aménageur « peut être regardé comme un utilisateur du réseau, recevable à saisir le comité de règlement des différends et des sanctions, dès lors qu’il a fait une demande de raccordement » mais « la circonstance qu’une collectivité publique accepte de prendre à sa charge tout ou partie des coûts exposés pour l’extension du réseau public dans le cadre du raccordement d’une zone d’aménagement concertée ne peut conférer à cette collectivité la qualité d’utilisateur du réseau ».

En l’espèce, la SEPA (l’aménageur) était à l’origine de la demande de raccordement au réseau de la ZAC de la Porte des Pyrénées et elle seule dispose, à ce titre, de la qualité d’utilisateur de réseau.

En revanche, le CoRDIS n’admet pas cette qualité à la CAPP et à la CCLB qui contribuent au financement du raccordement de la ZAC, alors même que celles-ci se sont « substituées » à la SEPA dans ses relations avec la société Enedis en acceptant de prendre en charge une partie du financement du raccordement de la ZAC au réseau public de distribution d’électricité.

En conséquence, le CoRDIS rejette les demandes de règlement de différends de la CAPP et de la CCLB au motif de son incompétence pour connaître du différend les opposant à la société Enedis dans le cadre de l’aménagement de la ZAC de la Porte des Pyrénées.

Cette lecture restrictive est préjudiciable aux collectivités publiques qui se trouvent dans la situation de soutenir financièrement un projet. Une telle situation s’impose également aux collectivités territoriales en charge de l’urbanisme qui sont appelées à supporter de droit une contribution en vue du raccordement d’un utilisateur au réseau public de distribution d’électricité. Dans ces deux cas, c’est donc vers la juridiction administrative qu’il y a lieu de se tourner pour contester le chiffrage opéré de ces financements, si telle est l’intérêt de la collectivité contributrice.

Troubles anormaux et spéciaux subis par des riverains à raison de la proximité d’une chaufferie : détermination des règles de responsabilité entre l’exploitant et l’autorité délégante

Des particuliers avait acquis un immeuble d’habitation à quelques dizaines de mètres d’un équipement de production de chauffage urbain soumis à la législation sur les installations classées pour la protection de l’environnement. Cet ouvrage était constitué d’une chaufferie à gaz et d’une centrale de cogénération dont la gestion avait été déléguée par délégation de service public sous forme d’affermage à la Société Omnitherm.

Le couple propriétaire considérait qu’il subissait une gêne quotidienne à raison de fonctionnement des ouvrages et des nuisances sonores que ceux-ci occasionnaient, et avaient saisi le Tribunal administratif d’un recours indemnitaire. Malgré la désignation d’un expert qui avait constaté les nuisances anormales et spéciales, le Tribunal avait rejeté leur demande au motif qu’ils ne pouvaient ignorer ces nuisances lorsqu’ils avaient acquis l’immeuble.

Les époux avaient alors interjeté appel du jugement.

Pour la Cour, « si le propriétaire d’une maison d’habitation ne peut ignorer, à la date de l’acquisition de l’immeuble, les inconvénients résultant de la proximité d’un ouvrage public préexistant et ne peut dès lors prétendre obtenir une indemnisation des préjudices subis à ce titre, il en va toutefois différemment d’un dommage résultant pour lui du non-respect des prescriptions légales ou réglementaires régissant le fonctionnement de l’ouvrage public, dans le cas où il ne pouvait en avoir connaissance lors de l’acquisition de son habitation ou qu’il ne pouvait raisonnablement le prévoir, et dès lors que ce dommage présente un caractère grave et spécial ».

Au cas présent, la Cour constate que le rapport d’expertise avait conclu, après des mesures acoustiques, au non-respect de la réglementation relative aux niveaux sonores en période nocturne et à la non-conformité nocturne de chaque composant de la chaufferie. Elle relève également que les époux n’avaient pas connaissance de cette réglementation et qu’ils ne pouvaient prévoir lors de l’acquisition de leur habitation un éventuel dépassement.

Par conséquent, le préjudice invoqué devait être indemnisé.

La question se posait également toutefois de savoir qui, de l’autorité délégante ou du délégataire, devait être tenu responsable. C’est sur ce point que cette décision apporte d’intéressantes précisions.

En effet, la Cour pose le principe selon lequel « en cas de délégation limitée à la seule exploitation de l’ouvrage, comme c’est le cas en matière d’affermage, si la responsabilité des dommages imputables à son fonctionnement relève du délégataire, sauf stipulations contractuelles contraires, celle résultant de dommages imputables à son existence, à sa nature et à son dimensionnement, appartient à la personne publique délégante ; que ce n’est qu’en cas de concession d’un ouvrage public, c’est-à-dire d’une délégation de sa construction et de son fonctionnement, que peut être recherchée par des tiers la seule responsabilité du concessionnaire, sauf insolvabilité de ce dernier, en cas de dommages imputables à l’existence ou au fonctionnement de cet ouvrage ».

En l’espèce, la Cour considère que dans le cadre de ce contrat d’affermage, les nuisances sonores ne sont pas imputables à l’existence, à la nature ou au dimensionnement de la centrale de chauffage, mais trouvent leur origine dans le fonctionnement même de l’ouvrage.

C’est donc au délégataire qu’il appartient d’indemniser les requérants.

Dès lors qu’un projet est soumis à étude d’impact, le dossier de permis de construire relatif à ce projet doit comprendre ladite étude et ce, alors même qu’elle ne serait pas exigée au titre du permis de construire

Le Conseil d’Etat a précisé les hypothèses dans lesquelles le dossier de permis de construire doit comprendre une étude d’impact en application des nouvelles dispositions de l’article R. 431-16 du Code de l’urbanisme aux termes desquelles :

« Le dossier joint à la demande de permis de construire comprend en outre, selon les cas : / a) L’étude d’impact ou la décision de l’autorité environnementale dispensant le projet d’évaluation environnementale lorsque le projet relève du tableau annexé à l’article R. 122-2 du code de l’environnement. L’autorité compétente pour délivrer l’autorisation d’urbanisme vérifie que le projet qui lui est soumis est conforme aux mesures et caractéristiques qui ont justifié la décision de l’autorité environnementale de ne pas le soumettre à évaluation environnementale (…) ».

Confirmant l’analyse du juge des référés du Tribunal administratif de Rennes, le Conseil d’Etat considère que « en vertu des dispositions nouvelles de l’article R. 431-16 du Code de l’urbanisme citées au point précédent (…), l’obligation de joindre au dossier de demande de permis de construire l’étude d’impact ou la décision de l’autorité environnementale en dispensant le projet concernait désormais tous les projets relevant du tableau annexé à l’article R. 122-2 du code de l’environnement ».

Ainsi, dès lors qu’un projet est soumis à étude d’impact, le dossier de permis de construire relatif à ce projet doit comprendre ladite étude et ce, même si la soumission du projet à étude d’impact relève d’une législation autre que celle de l’urbanisme.

Le Conseil d’Etat prend ici en compte la nouvelle rédaction de l’article R. 431-16 qui vise désormais de manière indistincte les projets relevant du tableau annexé à l’article R. 122-2 du Code de l’environnement (rédaction issue du décret n° 2016-1110 du 11 août 2016) et non plus seulement les projets soumis à étude d’impact lorsque ladite étude est exigée « au titre du permis de construire » ( interprétation précédemment retenue par le Conseil d’Etat : CE CAMY 25 février 2015, req. n° 367335 ).

Sur la constitutionnalité du champ restrictif d’application de la procédure d’expropriation pour risques naturels majeurs

Par une décision du 6 avril 2018, le Conseil Constitutionnel a déclaré que l’article L. 561-1 du Code de l’environnement dans sa rédaction résultant de la loi n° 2010-788 du 12 juillet 2010 portant engagement national pour l’environnement est conforme à la Constitution.e

Il convient de rappeler que l’alinéa 1er de l’article L. 561-1 du Code de l’environnement dispose que :

« Sans préjudice des dispositions prévues au 5° de l’article L. 2212-2 et à l’article L. 2212-4 du code général des collectivités territoriales, lorsqu’un risque prévisible de mouvements de terrain, ou d’affaissements de terrain dus à une cavité souterraine ou à une marnière, d’avalanches, de crues torrentielles ou à montée rapide ou de submersion marine menace gravement des vies humaines, l’État peut déclarer d’utilité publique l’expropriation par lui-même, les communes ou leurs groupements, des biens exposés à ce risque, dans les conditions prévues par le code de l’expropriation pour cause d’utilité publique et sous réserve que les moyens de sauvegarde et de protection des populations s’avèrent plus coûteux que les indemnités d’expropriation ».

Par la loi n° 2010-788 du 12 juillet 2010 portant engagement national pour l’environnement, le législateur a souhaité étendre le champ d’application de la procédure d’expropriation pour risques naturels majeurs à la suite des dommages causés par la tempête Xynthia ayant fortement impacté les côtes charentaises et vendéennes dans la nuit du 27 au 28 février 2010.

En l’espèce, un syndicat des copropriétaires d’un immeuble situé en Gironde, face à la mer, a indiqué que son immeuble se situant initialement à 200 mètres du rivage se trouvait désormais à 10 mètres environ dudit rivage par l’effet de l’érosion dunaire.

Compte tenu de cette circonstance, il a demandé au Préfet d’être exproprié sur le fondement de l’article L. 561-1 du Code de l’environnement en raison du risque d’effondrement de cet immeuble lié au  risque naturel que constitue le phénomène d’érosion dunaire (encore appelé « érosion côtière »).

Le Préfet a refusé de faire droit à cette demande.

Le syndicat des copropriétaires a donc déposé une question prioritaire de constitutionnalité en soutenant que les dispositions de l’article L. 561-1 du Code de l’environnement méconnaissait, à son sens :

–          1°) Le principe d’égalité devant la loi dans la mesure où elles créeraient une différence de traitement injustifiée entre le propriétaire d’un bien situé sur un terrain exposé au risque d’érosion côtière et le propriétaire d’un bien menacé par l’un des risques mentionnés à l’article L. 561-1 du Code de l’environnement et, plus particulièrement, le risque de mouvements de terrain lié à une cavité souterraine ou à une marnière. En définitive, le syndicat des copropriétaires reproche au dispositif législatif prévu à l’article L. 561-1 du Code de l’environnement d’avoir un champ d’application trop restrictif.  

–          2°) Le droit de propriété dès lors que, faute de pouvoir bénéficier des dispositions précitées, le propriétaire d’un bien immobilier évacué par mesure de police en raison du risque d’érosion côtière se trouverait exproprié sans indemnisation.

Dans sa décision du 6 avril 2018, le Conseil Constitutionnel juge les dispositions de l’article L. 561-1, al. 1 du Code de l’environnement conformes à la Constitution.

1°) Sur le principe d’égalité devant la loi :

  • Le Conseil constitutionnel retient que, en droit, le principe d’égalité ne s’oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu’il déroge à l’égalité pour des raisons d’intérêt général, pourvu que, dans l’un et l’autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l’objet de la loi qui l’établit.
  • Faisant application de cette règle de droit, le Conseil constitutionnel juge, en l’espèce, que :
  • Le législateur a créé cette procédure d’expropriation pour risque naturel aux fins de protéger les vie des personnes habitant dans les logements exposés à certains risques naturels. En ce sens, le législateur n’a pas entendu instituer un dispositif de solidarité pour tous les propriétaires d’un bien exposé à un risque naturel mais uniquement à permettre l’expropriation des biens exposés à certains risques naturels limitativement énumérés.
  • Le législateur peut étendre cette procédure à d’autres risques naturels mais peut donc également traiter différemment le propriétaire d’un bien exposé à un risque d’érosion côtière et celui exposé à l’un des risques visés à l’article L. 561-1, al.1 du Code de l’environnement, car ces personnes sont placées dans des situations différentes.

Ainsi, le principe d’égalité devant la loi n’a pas été méconnu par les dispositions de l’article L. 561-1, al. 1 du Code de l’environnement.

2°) Sur le droit de propriété :  

Le Conseil constitutionnel énonce que :

  • L’objet principal de la procédure d’expropriation est de priver le propriétaire de son bien. Ainsi, le refus d’engager une procédure d’expropriation à l’encontre d’une personne ne peut être regardé comme une atteinte au droit de propriété.
  • Si le maire dispose de la possibilité de prescrire l’exécution de mesures de sûreté dans le cadre de son pouvoir de police pour prévenir les accidents naturels, en ce compris l’érosion côtière, le Conseil constitutionnel n’est pas saisi des dispositions l’habilitant à agir sur ce fondement.

Ainsi, par sa décision, le Conseil constitutionnel énonce que les dispositions de l’article L. 561-1, al. 1 du Code de l’environnement sont conformes aux droits et libertés que la Constitution garantit.