le 11/07/2018

Précisions sur la notion de publicité en matière d’outrages

Cass., Crim., 19 juin 2018, n° 17-84.153

La distinction entre les délits de presse de diffamation ou d’injure (publiques comme non publiques) et le délit d’outrage n’est pas toujours aisée et nécessite une étude régulière des jurisprudences récentes.
La Chambre criminelle de la Cour de cassation, dans un arrêt rendu le 19 juin 2018, vient confirmer sa position quant aux critères permettant de régler le conflit idéal de qualifications entre ces délits.

Précisons que ce conflit de qualifications n’interviendra qu’en présence d’un propos qui visera une personne dépositaire de l’autorité publique ou chargée d’une mission de service publique ou chargée d’un mandat public.

En l’espèce, à l’ouverture de la séance du conseil d’administration d’un lycée, une enseignante, accompagnée d’un groupe d’enseignants, avait pris la parole pour lire un texte dans lequel elle indiquait que les enseignants ne siégeraient pas au conseil d’administration en présence d’élus du Front National. Dans ce texte, le maire et son adjoint, présents en tant que représentants de la Ville, étaient qualifiés de « membres d’un parti raciste et xénophobe ».

Les élus citaient l’enseignante devant le Tribunal correctionnel, lequel la déclarait coupable du délit d’outrage et la condamnait à une peine de 1.500 € d’amende.

La Cour d’appel confirmait cette décision en retenant : «  qu’en présentant le parti politique auquel appartiennent les parties civiles comme raciste et xénophobe, puis en insistant sur leur qualité d’élus de ce parti et en manifestant le refus des enseignants de siéger à leurs côtés, les propos litigieux n’ont pu que rejaillir sur les intéressés eux-mêmes et les fonctions qu’ils incarnent ; […] que le fait de qualifier une personne de raciste ou xénophobe consistant à lui imputer une attitude idéologique ou un comportement discriminatoire, de tels termes destinés à un maire et à son adjoint, dans l’exercice de leurs fonctions, désignés par le conseil municipal de la commune pour siéger au conseil d’administration de l’établissement scolaire, portent une atteinte grave à leur autorité morale, à leur dignité et au respect dû à leur fonction, puisqu’ils sous-entendent que leurs administrés ne seront pas tous traités de façon égale en raison de l’idéologie censée les animer ».

L’enseignante se pourvoyait en cassation ; elle invoquait un motif de droit tenant au fait que, les propos ayant été tenus publiquement, par l’un des moyens de l’article 23 de la loi du 29 juillet 1881, ceux-ci devaient échapper à une répression du chef d’outrage pour relever des qualifications du droit de la presse.

La Cour de cassation rejetait le pourvoi en cassation en retenant que : « dès lors que la parole adressée à une personne chargée d’une mission de service public, dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de sa mission, et de nature à porter atteinte à sa dignité ou au respect dû à la fonction dont elle est investie, qualifiée d’outrage par l’article 433-5 du code précité, d’une part, entre, même quand elle a été prononcée publiquement, dans les prévisions de ce texte, dont les articles 31 et 33 de la loi du 29 juillet 1881 n’ont pas modifié la portée ni affecté l’application, d’autre part n’entre pas dans le champ de l’article 10, § 1, de la Convention européenne des droits de l’homme, la cour d’appel a caractérisé, en tous ses éléments matériel et intentionnel, le délit dont elle déclaré la prévenue coupable ».

La tendance jurisprudentielle adopte, pour trancher le conflit de qualifications, un critère organique qu’elle privilégie désormais au seul critère de publicité.

(1) Entre la diffamation/l’injure publique et l’outrage, le raisonnement semble le suivant :

–    Si l’auteur a utilisé, parmi les modes de publicité de l’article 23 de la loi du 29 juillet 1881, un mode de publicité non médiatique (profération sur la voie publique ou à l’occasion d’une réunion publique, ou par la diffusion d’une correspondance à des personnes non réunies dans une Communauté d’intérêts), le critère de publicité n’est plus suffisant.

Le critère organique permettra seul de régler le conflit : c’est l’hypothèse où l’auteur se sera « adressé directement à la victime » ou par le biais d’un « rapporteur nécessaire » (lorsque est assis par exemple un lien hiérarchique ou de collaboration entre la victime et chacun des destinataires) (Cass., Crim., 10 janvier 2017 n° 16-81558 : à propos d’un courriel adressé à des personnes non réunies dans une communauté d’intérêts) ; l’arrêt de la Chambre criminelle du 19 juin 2018 vient confirmer cette position.

Toutefois, l’action de s’adresser à la victime ou à son rapporteur nécessaire n’est pas présumée de manière irréfragable : l’autorité de poursuite qui soutient la qualification d’outrage, à l’exclusion d’une infraction de presse, doit ainsi en apporter la preuve (Cass., Crim.,  29 mars 2017, n° 16-82.884 : à propos d’une conférence publique).

–    Si l’auteur a utilisé, parmi les modes de publicité de l’article 23 de la loi du 29 juillet 1881, un mode de publicité médiatique (presse imprimée, Internet…) pour proférer ces accusations, il est présumé s’être adressé à un public indéterminé et non s’être adressé à la victime du propos ou à son rapporteur nécessaire – notions d’ailleurs bien antithétiques – (Cass., Crim., 1er mars 2016 n° 15-82824 : à propos d’une utilisation d’Internet).

La question demeure en suspens de savoir si cette présomption serait irréfragable : que faire ainsi du propos aux termes desquels – nonobstant l’utilisation d’un mode de publicité médiatique (tel qu’Internet par exemple) – l’auteur se sera adressé directement à la victime en l’apostrophant personnellement ?

(2) Rappelons que le conflit de qualification entre le délit d’outrage et la contravention de première classe de diffamation/injure non publique est réglé en faveur de l’outrage, lorsque les propos mettent en cause « l’honorabilité et la délicatesse » de la victime dans l’exercice de ses fonctions publiques, ou critiquent ses compétences professionnelles ou remettent en question son intégrité ou sa probité dans l’accomplissement de sa mission (Cass., Crim., 24 janvier 1991, n° 87-90.214 ; Cass., Crim., 14 décembre 2016 n° 15-85517).