Le fonctionnaire en campagne électorale : nouvelles jurisprudences (protection fonctionnelle, obligation de réserve)

Face aux échéances électorales approchant (européennes, municipales), il n’est pas inutile de revenir sur certains aspects encadrant l’exercice des fonctions des agents publics amenés à participer, individuellement, à des campagnes électorales.

La jurisprudence administrative est venue, en avril 2018, à la fois rappeler la protection potentiellement accordée aux agents en cette période et durcir, en parallèle, les obligations qui sont les leur.

La Cour administrative d’appel de Marseille a ainsi rappelé les contours de la protection fonctionnelle prévue par l’article 11 de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983, lesquels s’appliquent même en cas de participation par l’agent à une campagne électorale.

En plein cœur de la campagne des municipales, un des colistiers du président du Covaldem avait, au cours d’une conférence, émis des propos à la nature potentiellement diffamatoire à l’encontre d’un agent du Covaldem, par ailleurs candidat sur une liste opposée, propos relatifs à son emploi au sein de la structure.

L’agent avait sollicité de son employeur le remboursement des frais supportés pour engager une action en diffamation contre l’auteur des propos, demande refusée par l’établissement au motif du contexte de campagne électorale à laquelle participait l’agent.

La Cour administrative d’appel de Marseille a rejeté ce motif qui ne peut être retenu comme « un motif d’intérêt général permettant à l’administration de déroger à l’obligation de protection à laquelle elle est tenue envers son agent », et estimé que le seul envoi d’une lettre à l’auteur des propos lui intimant l’ordre de ne pas réitérer ceux-ci ne pouvait être regardé comme « une mesure appropriée de nature à assurer à l’intéressée la protection fonctionnelle prévue par l’article 11 de la loi du 13 juillet 1983. »

Parallèlement, la Cour administrative d’appel de Paris a rappelé, en les durcissant, les contours de l’obligation de réserve des agents publics en période électorale.

Les juges d’appel parisiens précisaient à nouveau que « si les agents publics ont, comme tout citoyen, le droit de participer aux élections et à la campagne qui les précède, sauf en ce qui concerne les employés municipaux, qui sont inéligibles au conseil municipal, ils sont tenus de le faire dans des conditions qui ne constituent pas une méconnaissance de leur part de l’obligation de réserve à laquelle ils restent tenus envers leur administration en-dehors de leur service. »

Si l’obligation de réserve est ainsi plus dure à l’égard des agents en période électorale, la Cour administrative d’appel de Paris a validé l’exclusion temporaire de fonctions de l’agent qui distribuait des tracts émanant de la liste d’opposition, mettant en cause en termes irrespectueux l’autorité territoriale, alors même, et c’est à notre sens nouveau, qu’il ne s’était pas prévalu de sa qualité d’agent public lors de cette distribution et que l’agent disposait d’un faible niveau de responsabilité au sein des services de la commune.

En somme, l’agent public en campagne électorale reste un agent à protéger dans tous les éléments relatifs à l’exercice de ses fonctions, mais doit veiller à redoubler de vigilance quant à ses obligations déontologiques.

CAA Paris, 10 avril 2018, M. E c/ Commune de Saint-Pathus, n° 17PA01586 

Droit à réparation du manque à gagner du fait de l’exclusion illégale du service d’astreinte

Pour les agents publics, l’accomplissement de service d’astreinte est bien souvent une source non négligeable de revenus complémentaire. Par conséquent, lorsque, pour des raisons de service, ils se trouvent exclus par leur hiérarchie de ce service d’astreinte, il n’est pas rare de les voir contester une telle décision, soit individuellement, soit dans le cadre de contentieux plus global, notamment en matière de harcèlement moral (v. par exemple, CAA Lyon, 12 avril 2010, Jebors, n° 08LY02601).

De telles contestations sont toutefois, la plupart du temps, vouées à l’échec, dès lors que, conformément à la règle applicable à tout élément du régime indemnitaire, l’agent n’a aucun droit à son maintien (CE, 27 mai 1992, Costes, n° 99702). Plusieurs juridictions du fond avaient notamment jugé, concernant des agents bénéficiant systématiquement d’indemnités rémunérant des heures supplémentaires effectuées chaque mois, qu’ils ne disposaient d’aucun droit au maintien d’une telle situation et de la rémunération qu’elle leur octroyait (CAA Bordeaux, 3 juillet 2017, M. A c/ Communauté d’agglomération du Grand Tarbes, n° 15BX03747 ; CAA Paris, 17 novembre 2015, M. C c/ ministre de la défense, n° 13PA04700 ; CAA Marseille, 3 novembre 2015, Mme A. c/ Lycée Rouvière, n° 14MA03411).

Il faut également préciser que la chambre sociale de la Cour de cassation a elle-même posé un principe similaire concernant les astreintes, rappelant que les salariés ne disposent d’aucun droit acquis à en effectuer (Cass. Soc., 10 octobre 2012, n° 11-10.454, n° 2132 FS-P+B).

Comme toujours dans de telles hypothèses où l’administration dispose d’un pouvoir quasiment discrétionnaire en l’absence de droit acquis de l’agent, il lui appartient de démontrer, devant le juge, que la décision a, à tout le moins, été motivée par l’intérêt du service (il en va ainsi, très classiquement, des mutations dans l’intérêt du service : CE, 5 avril 1991, Imbert-Quaretta, n° 96513, ou encore de la décision de ne pas renouveler un agent contractuel : CE, 4 juillet 1994, M. Arthur X., n° 118298).

C’est conformément à ces principes, en l’espèce, que le Tribunal administratif de Dijon avait annulé la décision par laquelle le requérant avait été exclu du service des astreintes, en l’absence de toute justification tirée de l’intérêt du service. 

Mais, saisis cette fois sur le plan indemnitaire, le même Tribunal, puis la Cour administrative d’appel de Lyon, avaient rejeté les demandes indemnitaires du requérant au motif que, si cette illégalité constituait bien une faute engageant la responsabilité de la collectivité employeur, le requérant ne pouvait prétendre à la réparation des pertes qu’il a subi du fait de l’exclusion du service d’astreinte, qui ne sont versées qu’en compensation d’un service effectivement accompli.

Le Conseil d’Etat censure cette motivation. Selon lui, si « l’exercice d’astreintes ne saurait constituer un droit, la cour n’a pu, sans erreur de droit, eu égard à la nature de l’illégalité constatée par le tribunal administratif et à l’autorité qui s’attachait à son jugement, exclure toute possibilité pour l’intéressé d’une indemnisation au titre du préjudice financier subi du fait des décisions fautives ». 

Le Conseil d’Etat reconnait ainsi l’exclusion illégale, car non motivée par l’intérêt du service, comme une faute susceptible d’obtenir à l’intéressé une indemnisation en réparation de la perte subie du fait de cette exclusion.

La question de l’importance d’une telle rémunération, et notamment du montant des indemnités d’astreinte non versées, reste en suspens, le Conseil d’Etat ayant renvoyé le jugement de cette question à la Cour administrative d’appel après censure du dispositif y afférent.

 

 

Un médecin du travail peut-il prendre parti dans un certificat sur l’existence d’un lien entre l’état de santé du salarié et ses conditions de travail ?

Le Conseil d’Etat aurait-il décidé, par cette décision publiée aux tables du recueil Lebon, de rappeler certaines de leurs obligations aux médecins du travail ?

Il a ainsi jugé, par cet arrêt du 6 juin 2018, que la sanction de l’avertissement pouvait être infligée au praticien qui, dans son certificat délivré à un salarié, avait pris parti sur le bien-fondé d’un « droit de retrait » exercé plus de huit mois plus tôt, laissé entendre que la société employeur ne respectait pas ses obligations en termes de protection de la santé des salariés, et enfin, reprochait notamment à cette société des « pratiques maltraitantes ».

Est-ce à dire qu’un médecin du travail, dont le rôle est essentiel notamment dans les litiges concernant les cas de harcèlement moral (cf. par exemple CAA Marseille, 4 avril 2014, M. et Mme A. c/ Commune de Béziers, req. 11MA01254), ne pourrait se prononcer sur les conditions de travail des salariés et ainsi déterminer un lien entre ces dernières et l’état de santé des salariés ?

La réponse est naturellement beaucoup plus nuancée, et résulte de l’application simple des textes du code de la santé publique.

Il résulte en effet des dispositions de l’article L. 4622-3 du Code du travail que le rôle du médecin du travail « consiste à éviter toute altération de la santé des travailleurs du fait de leur travail, notamment en surveillant leurs conditions d’hygiène au travail, les risques de contagion et leur état de santé […] » et qu’à cette fin, l’article R. 4624-3 du même Code lui confère le droit d’accéder librement aux lieux de travail et d’y réaliser toute visite à son initiative.

Le juge en tire comme conséquence que la circonstance qu’un certificat établi par un médecin du travail prenne parti sur un lien entre l’état de santé de ce salarié et ses conditions de vie et de travail dans l’entreprise, n’est pas, par elle-même, de nature à méconnaître les obligations déontologiques résultant des articles R. 4127-28 et R. 4127-76 du Code du travail.

Mais en revanche, il précise que le médecin du travail ne peut établir un tel certificat qu’en considération de constats personnellement opérés par lui, tant sur la personne du salarié que sur son milieu de travail.

Il ne peut donc se fonder sur les seuls propos du salarié, voire sur des attestations qu’il aurait recueillies : il doit se déplacer personnellement afin de constater les conditions de travail.

En l’espèce, le droit de retrait avait été exercé sur un site que le médecin du travail ne connaissait pas, il n’avait pas précisé les éléments qui l’avaient amené à considérer que la société ne respectait pas ses obligations en matière de protection de la santé ni exposé s’il avait pu les constater personnellement et, enfin, n’avait pas fait état des éléments qui justifiaient son affirmation selon laquelle elle aurait adopté des pratiques maltraitantes.

Dans ces conditions, le médecin du travail avait manqué à ses obligations déontologiques et c’est la raison pour laquelle la sanction de l’avertissement lui a été infligée par la chambre disciplinaire de première instance de l’Ordre des médecins, saisi par la société employeur.

L’importance pratique de cette décision n’est pas neutre pour les employeurs publics auxquels les agents peuvent parfois opposer des certificats médicaux mentionnant la situation de harcèlement moral dans laquelle ils se trouveraient, sans pour autant que le médecin ne se soit déplacé afin de vérifier les allégations formulées lors de la visite.

Cette obligation est pour autant à mettre en relation avec la baisse dramatique du nombre de médecins spécialisés en médecine du travail, les difficultés rencontrées notamment par les collectivités territoriales pour en recruter, ce qui peut expliquer – mais non justifier, naturellement – que certains ne respectent pas cette précaution pourtant élémentaire de constater personnellement les faits sur lesquels ils s’appuient dans leurs certificats.

Diffamation contre un Maire face à la liberté d’expression politique

Rendu en plein milieu de l’été, l’arrêt du 8 août 2018 de la Chambre criminelle de la Cour de cassation vient rappeler les fondamentaux du droit de la presse comme le réveil d’un devoir de vacances !

L’affaire opposait un Maire et son adjoint, aux directeur et co-directeur de la publication d’un quotidien national, pour des imputations de « fraude et de détournement d’argent public » au titre du financement d’une campagne électorale.

Les premiers juges et la Cour d’appel, après avoir retenu le caractère diffamatoire des propos, avaient toutefois renvoyé les prévenus des fins de la poursuite, en leur reconnaissant le bénéfice de la bonne foi.

La Cour de cassation rejette le pourvoi, en considérant que « en l’état de ces énonciations, d’où il résulte que les propos incriminés s’inscrivaient dans une controverse politique relative au financement d’une campagne électorale menée par un parti adverse ainsi qu’aux modalités de rémunération de certains de ses membres, sujets par nature d’intérêt général, et que les imputations litigieuses, présentées comme déjà publiées dans d’autres organes de la presse nationale, reposaient sur une base factuelle suffisante, et dès lors qu’en pareil cas, il appartient aux juges d’apprécier moins strictement les critères ordinaires de la bonne foi, la cour d’appel a justifié sa décision sans encourir les griefs allégués ».

Sans être novateur, cet arrêt a pour essentielle utilité de rappeler le double raisonnement que les juges de presse se doivent de tenir pour de pareilles imputations, y compris dans un contexte de polémique politique :
– Rechercher la constitution de l’infraction de presse poursuivie, en l’espèce la caractérisation d’une diffamation et d’un élément de publicité (Crim., 19 juin 2018, n° 16-82602) ;
– Dans l’affirmative, rechercher si l’infraction ne devrait pas pour autant être écartée au titre des éléments habituels de défense, à savoir la bonne foi et/ou le droit à la liberté d’expression tel que garanti par l’article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales – moyens de défense distincts de la vérité des faits (Crim., 23 janvier 2018, n° 17-81373).

S’agissant de la bonne foi, elle se définit par référence aux quatre critères cumulatifs traditionnels, tirés du sérieux de l’enquête préalable, la prudence dans l’expression, la légitimité du but informationnel et l’absence d’animosité personnelle (Civ 1ère, 17 mars 2011 n° 10-11784). Et la Cour de cassation de rappeler que, dans le contexte d’une controverse ou polémique politique, le juge « apprécie moins strictement les critères ordinaires » précités.

S’agissant de l’article 10, il est constant qu’en présence d’un débat d’intérêt général, les prévenus peuvent opposer, au visa de ce texte conventionnel, des éléments de base factuelle suffisante ; mais encore faut-il, pour le prévenu, apporter une telle base à défaut de laquelle la condamnation sera prononcée (Crim., 11 juillet 2017, n° 16-84671 ; Crim., 23 janvier 2018, n° 16-85316) ; on notera que la polémique politique relative au financement d’une campagne électorale menée par un parti adverse, ainsi que les modalités de rémunération de certains de ses membres, sont considérés par la Cour de cassation comme des « sujets par nature d’intérêt général », au même titre que « les méthodes de gestion » d’une Commune (Crim., 7 juin 2016, n° 15-83746), l’état des finances des Collectivités locales (Crim., 23 janvier 2018, n° 17-81874), l’emploi de leurs fonds par les élus (Crim., 25 avril 2017, n° 15-86344), le comportement ou la probité d’un élu (Crim., 11 juillet 2017, n°  16-84671) ou encore le traitement d’une affaire judiciaire ayant eu un retentissement national (Crim., 26 mai 2010, n°09-87083).

À titre d’illustration, peuvent être contributifs d’une telle base factuelle suffisante :

–          Des publications antérieures, notamment de la presse nationale, sur le même sujet (arrêt commenté) ; mais ne constituent pas une telle base de précédents articles de la même publication (Crim., 2 novembre 2016, n°15-83864) ;
–  Le compte-rendu d’une séance du conseil municipal (Crim., 23 janvier 2018, n°17-81874) ;
–  De préalables témoignages recueillis par le diffamateur (Crim., 28 juin 2017, n°16-82163) ;
–  Les passages d’un rapport de la Chambre régionale des comptes (Crim., 25 avril 2017, n°15-86344) ;
–  De précédents interviews (Crim., 7 juin 2016, n°15-83746) ;
–  Un courrier en lien direct avec les imputations attentatoires à l’honneur (Crim., 18 octobre 2016, n°15-85966).

Dans ce cadre, seule la dénaturation par le prévenu des éléments par lui recueillis permet alors de démontrer à l’inverse l’absence de base factuelle suffisante ; la Cour d’appel, dans l’arrêt commenté, a cherché à en donner une juste définition : « si M. B… s’est basé, en les citant, sur des extraits qu’il a sélectionnés d’articles qui mettent en cause l’association (…) pour un montage frauduleux (…) et l’utilisation d’assistants parlementaires (…), il ne les a pas pour autant dénaturés, leur sens n’en ayant en rien été déformé, seul leur contenu ayant été réduit, en raison de la taille du communiqué ».

Pour les plus férus de droit de la presse, on constatera que la Chambre criminelle semble opérer une réelle dissociation entre ces deux moyens de défense, ce qui n’a pas toujours été le cas (Pour un exemple : Crim., 19 janvier 2010 n°09-84.408).

La marque de cette dissociation procède, avant tout, de l’effet palliatif qui serait accordé à l’article 10 de la CEDH : l’exception conventionnelle tirée de l’article 10 permet de couvrir l’absence de réunion de tous les critères cumulatifs de la bonne foi (Crim., 28 mars 2017, n° 15-84761 ; Crim., 27 avril 2011, n° 10-83771) ; à noter que, dans l’arrêt du 27 avril 2011, la Cour de Cassation ne paraît pas avoir sanctionné le raisonnement qui était tenu par la Cour d’appel au titre des éléments internes de la bonne foi, l’estimant ainsi fondé dans la constatation de la mauvaise foi, mais semble avoir corrigé les constations finales de condamnation de la Cour d’appel, laquelle aurait commis une erreur de droit en ne prenant pas en compte la notion de débat d’intérêt général issue de l’article 10 de la Convention européenne.

La seconde marque de cette dissociation procède ensuite de ce qu’une Cour d’appel, ayant pourtant accordé au prévenu le bénéfice de la bonne foi, n’en a pas moins trouvé son arrêt cassé pour ne s’être pas suffisamment expliquée sur les éléments de base factuelle suffisante (Crim., 14 mars 2017, n° 16-80353).

Mais l’ambigüité persiste, car l’on retrouve toujours dans la sémantique de la Haute Cour un rapport de complémentarité entre ces deux moyens de défense, la notion de débat d’intérêt général permettant en même temps de moduler les critères de la bonne foi : reposent « sur la base factuelle suffisante des témoignages recueillis par leur auteur et matérialisés dans plusieurs attestations, de sorte que le prévenu qui, n’étant pas un professionnel de l’information, n’avait pas à effectuer d’autres investigations, ne pouvait, compte tenu de ce contexte et de cette base factuelle, se voir reprocher d’avoir manqué de prudence dans l’expression dans des conditions de nature à le priver du bénéfice de la bonne foi » (Crim., 28 juin 2017, n° 16-82163).

La question reste en suspens : réelle dissociation des deux moyens de défense, ou double verrou interactif pour protéger la critique, même dans des termes virulents, de nos institutions et de l’action de leurs représentants ? C’est là que réside toute la subtilité d’un droit de source essentiellement prétorienne.

Projet de loi portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique (ELAN) : focus sur deux dispositions relatives aux Jeux Olympiques et Paralympiques de 2024

Le 25 juillet dernier, le Sénat a apporté des modifications au projet de loi ELAN adopté par l’Assemblée nationale en première lecture. La présente contribution se propose, à ce stade du projet de loi, de présenter brièvement deux dispositions intéressant directement les Jeux Olympiques et Paralympiques de 2024 (JOP 2024).

  1. En premier lieu, l’article 5 sexies du projet de loi apporte des précisions sur les conditions et les modalités de la substitution de la société de livraison des ouvrages olympiques (SOLIDEO) au maître d’ouvrage défaillant, prévue à l’article 53-II-3° alinéa 2 de la loi n° 2017‑257 du 28 février 2017 relative au statut de Paris et à l’aménagement métropolitain.

On rappellera que la SOLIDEO, établissement public national à caractère industriel et commercial (EPIC), est chargée de veiller à la livraison de l’ensemble des ouvrages et à la réalisation de l’ensemble des opérations d’aménagement nécessaires à l’organisation des JOP 2024. Un décret n° 2017-1764 du 27 décembre 2017 est venu fixer ses modalités d’organisation et de fonctionnement.

Parmi ses missions, l’article 53-II de la loi précitée liste : (i) le financement total ou partiel des ouvrages et des opérations d’aménagement nécessaires à l’organisation des JOP 2024 ; (ii) la coordination et le contrôle des différents maîtres d’ouvrage et maîtres d’ouvrage délégués concernés (via des conventions fixant le financement et le calendrier) ; (iii) la maîtrise d’ouvrage ou maîtrise d’ouvrage déléguée de certains des ouvrages ou de certaines opérations d’aménagement. Ce même article prévoit également que « La société peut se substituer au maître d’ouvrage, en cas de défaillance grave de celui-ci, de nature à conduire à un retard ou à l’interruption de la conception, de la réalisation ou de la construction de tout ou partie d’ouvrages ou d’aménagements nécessaires aux Jeux olympiques et paralympiques. ». Ce faisant, il n’énonce pas clairement ce qui est entendu par « défaillance grave ».

C’est l’objet principal de l’article 5 sexies du projet de loi ELAN. Celui-ci propose en effet une réécriture du second alinéa du 3 du II de l’article 53 de la loi précitée qui disposerait ainsi que : « La société peut se substituer au maître d’ouvrage, en cas de défaillance de celui-ci caractérisée par au moins l’un des manquements suivants : 1° La méconnaissance du calendrier de livraison ou de réalisation des ouvrages ; 2° Le dépassement des budgets prévisionnels ; 3° Le non-respect du programme ; 4° Tout autre élément conduisant à un retard ou à l’interruption de la conception, de la réalisation ou de la construction de tout ou partie des ouvrages ou des aménagements nécessaires aux jeux Olympiques et Paralympiques de 2024. ». Cette rédaction reprend, tout en la précisant, la définition de « défaillance grave » formulée par l’article 15-4° du décret n° 2017-1764 du 27 décembre 2017 relatif à l’établissement public Société de livraison des ouvrages olympiques.

Au-delà de certaines indications concernant la procédure de substitution, l’article du projet de loi précise surtout que celle-ci emporte : (i) à la demande de la SOLIDEO, transfert en pleine propriété et à titre gratuit des biens immeubles appartenant au maître d’ouvrage défaillant et nécessaires à la réalisation des ouvrages et opérations, ceci sans aucune contrepartie ; et, (ii) substitution de la SOLIDEO au maître d’ouvrage défaillant dans l’ensemble des droits, notamment financiers, et obligations nécessaires à la réalisation de ces ouvrages ou liés aux biens transférés. Le maître d’ouvrage substitué devra de plus transmettre à la société les pièces nécessaires à l’exercice de la maîtrise d’ouvrage et l’ensemble des contrats et des études réalisées. Par ailleurs, l’article prévoit que, sous un délai maximal de dix-huit mois après l’achèvement des JOP 2024, l’ouvrage achevé sera remis à la société substituée, ainsi que tous les droits et obligations afférents.

  1. En second lieu, l’article 5 septies du projet de loi vise à faciliter le recours aux marchés publics de conception-réalisation pour les opérations de construction ou de réhabilitation portant sur les ouvrages nécessaires à l’organisation des JOP 2024.

Pour mémoire, le recours aux marchés publics de conception-réalisation – qui sont des marchés publics de travaux permettant à l’acheteur de confier à un opérateur économique une mission portant à la fois sur l’établissement des études et l’exécution des travaux – est conditionné, pour les seuls acheteurs soumis à la loi MOP, par l’existence de l’une des deux circonstances suivantes, qui doit rendre nécessaire l’association de l’entrepreneur aux études de l’ouvrage : (i) des motifs d’ordre technique ou (ii) un engagement contractuel sur un niveau d’amélioration de l’efficacité énergétique.

Or, l’article 5 septies du projet de loi introduit un nouvel article 17-1 au sein de la loi n° 2018-202 du 26 mars 2018 relative à l’organisation des jeux Olympiques et Paralympiques de 2024 qui permettrait ainsi aux acheteurs soumis à la loi MOP de recourir aux marchés publics de conception-réalisation sans condition pour les opérations de construction ou de réhabilitation portant sur les ouvrages nécessaires à l’organisation des JOP 2024 : « Les conditions mentionnées au second alinéa du I de l’article 33 de l’ordonnance n° 2015-899 du 23 juillet 2015 relative aux marchés publics ne sont pas applicables aux marchés publics de conception-réalisation conclus par les acheteurs soumis à la loi n° 85-704 du 12 juillet 1985 relative à la maîtrise d’ouvrage publique et à ses rapports avec la maîtrise d’œuvre privée et qui sont relatifs aux opérations de construction ou de réhabilitation portant sur les ouvrages nécessaires à l’organisation des jeux Olympiques et Paralympiques de 2024. ».

 

Société Anonyme de Coordination (SAC) : des clauses types prévues attendues

Le projet de loi pour l’évolution du logement, de l’aménagement et du numérique (ci-après « ELAN ») adopté par le Sénat le 25 juillet dernier sera examiné en commission mixte paritaire le 12 septembre 2018.

L’article 25 du projet de loi prévoit que le futur alinéa 1er de l’article L. 423-1-2 du Code de la Construction et de l’Habitation (ci-après « CCH »), serait rédigé ainsi :

« La société de coordination est une société anonyme agréée en application de l’article L. 422-5 du présent code, […] ».

Or, l’article L. 422-5 du CCH prévoit que :

« Les sociétés d’habitations à loyer modéré doivent être agréées par décisions administratives.

Leurs statuts contiennent des clauses conformes aux clauses types approuvées par décret en Conseil d’Etat ».

Ainsi, la rédaction de l’article L. 423-1-2 du CCH soumet les futurs statuts de la SAC à la présence de clauses obligatoires qui devront être édictées par décret.

Si on se réfère au décret relatif aux clauses types des statuts des actuelles sociétés anonymes de coordination d’organismes d’habitations à loyer modéré, pourraient donc porter notamment sur les points suivants :

  • La forme de la société (SA ou SA coopérative) ;
  • La dénomination sociale ;
  • Son objet social reprenant les prescriptions de l’article L. 423-1-2 du CCH ;
  • La composition du capital social ;
  • Les modalités de cession d’actions ;
  • La gouvernance (Conseil d’administration ou Conseil de surveillance avec un directoire) ;
  • L’année sociale ;
  • L’attribution de l’actif ;
  • L’obligation de transmission des statuts au préfet.

Pourraient également être précisées les modalités de la représentation à l’assemblée générale et au conseil d’administration ou au conseil de surveillance de la SAC des établissements publics de coopération intercommunale compétents en matière d’habitat, la commune de Paris, les établissements publics territoriaux de la métropole du Grand Paris, la métropole de Lyon, la métropole d’Aix-Marseille-Provence, les départements, les régions et les communes, sur le territoire desquels les organismes actionnaires possèdent des logements.

Dématérialisation et open data dans la commande publique : les mesures à prévoir pour le 1er octobre 2018

La dématérialisation de la passation des contrats de la commande publique, jusqu’à présent mise en œuvre sur la base d’une simple faculté prévue par la règlementation de la commande publique, constituera une obligation pesant sur tous les acheteurs à compter du 1er octobre 2018 (I). Cette date fixe également l’entrée en vigueur des obligations en matière d’ouverture des données essentielles, ou d’open data, des contrats de la commande publique (II).

I – Les mesures de dématérialisation des contrats de la commande publique

La dématérialisation, qui est un des enjeux majeurs de la réforme européenne de la commande publique transposée par l’ordonnance n° 2015-899 du 23 juillet 2015 et le décret n° 2016-360 du 25 mars 2016 relatifs aux marchés publics et par l’ordonnance n° 2016-65 du 29 janvier 2016 et le décret n° 2016-86 du 1er février 2016 relatifs aux contrats de concession, s’impose essentiellement au stade de la passation, avec la mise à disposition électronique des documents de la consultation (1) et des communications et échanges d’informations (2) qui reposent sur l’utilisation d’un profil d’acheteur (3), mais aussi au stade de la signature électronique (4) et de l’exécution, par la mise en place de la facturation électronique (5).

  1. La mise à disposition dématérialisée des documents de la consultation

A compter du 1er octobre 2018, un accès dématérialisé aux documents de la consultation devra être offert aux opérateurs économiques pour les consultations relatives aux marchés publics, dans les conditions prévues par les articles 38 et 39 du décret précité du 25 mars 2016.

En effet, pour les consultations qui seront engagées à compter du 1er octobre 2018, ces documents devront, par principe, être mis à disposition des opérateurs économiques de manière dématérialisée et gratuite – ce qui existe déjà pour les contrats de concession (article 5 du décret du 1er février 2016) –, l’article 39 du décret du 25 mars 2016 imposant leur publication sur un profil d’acheteur (cf infra). A cet égard, les acheteurs devront se référer à l’arrêté du 27 juillet 2018 fixant les modalités de mise à disposition des documents de la consultation et de la copie de sauvegarde.

Les acheteurs pourront cependant déroger à cette mise à disposition dématérialisée pour certains documents, notamment dans les hypothèses prévues par le II de l’article 41 du décret relatif aux marchés publics (cf infra) mais aussi lorsque, par exemple, des exigences auront été prévues visant à protéger la confidentialité de certaines informations qui, de ce fait, ne pourront pas être publiées sur le profil d’acheteur (article 39 du décret du 25 mars 2016 et article 5 du décret du 1er février 2016). En pareil cas, l’acheteur devra indiquer, notamment dans l’appel à la concurrence ou dans les documents de la consultation, les mesures qu’il impose en vue de protéger la confidentialité des informations ainsi que les modalités d’accès aux documents concernés.

  1. La dématérialisation des communications et des échanges d’informations

Les acheteurs et les opérateurs économiques devront également communiquer et échanger leurs informations par voie électronique. En effet, si l’article 40 du décret du 25 mars 2016 – reprenant l’article 56 du Code des marchés publics – prévoit aujourd’hui non pas une obligation mais une simple faculté d’effectuer par voie électronique les communications et les échanges d’informations nécessaires à la passation d’un marché public, cet article ne sera plus applicable à compter du 1er octobre 2018.

A cette date, « toutes les communications et tous les échanges d’informations sont effectués par des moyens de communication électronique », lesquels sont définis par l’article 41 comme « un équipement électronique de traitement, y compris la compression numérique, et de stockage de données diffusées, acheminées et reçues par fils, par radio, par moyens optiques ou par d’autres moyens électromagnétiques ».

S’ils devront donc transmettre leur offre par voie électronique en vertu de ce texte, les candidats et soumissionnaires auront tout de même le droit d’adresser à l’acheteur une copie de sauvegarde des documents de leur offre sur support papier ou sur support physique électronique dans les conditions définies par un arrêté du 27 juillet 2018 (NOR: ECOM1817537A). 

Précisons que, pour répondre à une consultation, les opérateurs économiques pourront recourir au document unique de marché européen, autrement dénommé DUME. Ce formulaire (au format XML) permet aux opérateurs économiques, d’une part, de prouver de manière simple qu’ils remplissent les critères de sélection d’une offre et n’entrent pas dans un cas prévu par les interdictions de soumissionner et, d’autre part, de ne plus avoir à fournir un document lorsque celui-ci aura déjà été transmis à une administration conformément au programme « Dites-le nous une fois ».

Et, à compter du 1er octobre 2018, mais uniquement pour les procédures formalisées et même si cela n’aura pas été expressément prévu par l’acheteur dans les documents de la consultation, les candidats auront le droit, en vertu de l’article 53 du même décret, de ne pas fournir les documents justificatifs et moyens de preuve qu’ils auront déjà transmis au service acheteur lors d’une précédente consultation à condition que ces documents demeurent valables.

Toutefois, les acheteurs pourront déroger à cette obligation de dématérialisation des communications et échanges mais aussi de mise à disposition des documents de la consultation dans les cas visés au II de l’article 41. A titre d’exemples, cette dérogation pourra être mise en œuvre:
–   pour les marchés publics mentionnés à l’article 30 soit les marchés négociés sans publicité ni mise en concurrence et répondant à un besoin dont la valeur estimée est inférieure aux seuils de procédure formalisée ainsi que pour les marchés publics de services sociaux et autres services spécifiques mentionnés à l’article 28 du même décret
  lorsque, « en raison de la nature particulière du marché public », l’utilisation de moyens de communication électroniques nécessiterait des outils, des dispositifs ou des formats de fichiers particuliers qui ne sont pas communément disponibles ou pris en charge par des applications communément disponibles ;
–  
ou encore « lorsque les documents de la consultation exigent la présentation de maquettes, de modèles réduits, de prototypes ou d’échantillons qui ne peuvent être transmis par voie électronique ».

En revanche, la dématérialisation des communications et des échanges est une simple faculté pour les contrats de concession pour lesquels l’article 17 du décret du 1er février 2016 dispose que « les moyens de communication utilisés ne peuvent avoir pour effet de restreindre l’accès des opérateurs économiques à la procédure de passation du contrat de concession » et que « les transmissions, les échanges et le stockage d’informations sont effectués de manière à assurer l’intégrité des données et la confidentialité des candidatures et des offres ». Cet article précisant ainsi que « dans l’hypothèse où l’autorité concédante utilise des moyens électroniques, elle assure la confidentialité et la sécurité des transactions sur un réseau informatique accessible de façon non discriminatoire, selon des modalités fixées par arrêté du ministre chargé de l’économie ».

  1. Le profil d’acheteur support de la dématérialisation

Afin d’assurer la dématérialisation de la passation de leurs contrats de la commande publique, les acheteurs et les autorités concédantes devront utiliser un profil d’acheteur.

En effet, le recours à un profil d’acheteur, qui était obligatoire pour les achats de fournitures, de services et de travaux d’un montant supérieur à 90 000 euros HT sous l’empire de l’article 41 du Code des marchés publics, est désormais imposé de manière générale par l’article 39 du décret du 25 mars 2016 pour procéder à la mise à disposition des documents de la consultation. Ajoutons que les autorités concédantes doivent elles aussi utiliser un profil d’acheteur pour la passation de leurs contrats de concession en vertu de l’article 5 du décret n° 2016-86 du 1er février 2016.

Le profil d’acheteur est désormais défini par l’article 31 du décret du 25 mars 2016 comme étant : « Une plateforme de dématérialisation permettant notamment aux acheteurs de mettre les documents de la consultation à disposition des opérateurs économiques par voie électronique et de réceptionner par voie électronique les documents transmis par les candidats et les soumissionnaires ».

Et, précisons que les fonctionnalités et les exigences minimales des profils d’acheteurs sont définis par un arrêté du 1er avril 2017 (NOR: ECFM1637253A) mais aussi par une fiche pratique élaborée et publiée par la Direction des affaires juridiques du Ministère de l’économie. 

A ce titre, l’article 1 liste les fonctionnalités que cette plateforme doit offrir à l’acheteur. Et l’article 2 de l’arrêté précise quant à lui les exigences techniques, de sécurité et d’accessibilité auxquelles doivent répondre les fonctionnalités du profil d’acheteur (accepter les fichiers communément disponibles et notamment les fichiers aux formats.XML et.JSON, assurer un horodatage conformément aux dispositions du règlement n° 910/2014 du Parlement européen et du Conseil du 23 juillet 2014 etc.).

  1. La signature électronique

La dématérialisation de la passation des marchés se retrouve également au stade de la signature du marché, qui demeure pour l’instant une simple faculté puisque l’article 102 du décret du 25 mars 2016 dispose que « le marché public peut être signé électroniquement ».

Nous rappellerons que les conditions de la signature électronique ne sont plus définies par l’arrêté du 15 juin 2012 mais par l’arrêté du 12 avril 2018 relatif à la signature électronique dans la commande publique (NOR: ECOM1800780A).

  1. La facturation électronique

Applicable à l’Etat depuis le 1er janvier 2012, l’obligation d’accepter les factures électroniques a été élargie aux collectivités territoriales et à tous les établissements publics depuis le 1er janvier 2017.

A ce titre, la dématérialisation de la facturation devrait permettre des gains mutuels pour les entreprises et les administrations grâce notamment à une réduction des coûts (papier, impression, envoi postal, …), une diminution de l’empreinte carbone ainsi qu’une  suppression des manipulations de documents « papier », diminution des temps de traitement, garantie de remise des documents, fluidité des échanges. Et, pour la Direction des affaires juridiques du Ministère de l’économie, « la démarche de dématérialisation des factures peut aussi  constituer un avantage concurrentiel (clause de dématérialisation de plus en plus présente dans les marchés publics), ainsi qu’un élément de communication à ne pas négliger (exemplarité, image et notoriété) ».

Précisons tout de même que la facturation dématérialisée doit devenir obligatoire de manière progressive puisque l’ordonnance n° 2014-697 du 26 juin 2014 a prévu à son article 3 le calendrier suivant :

–          depuis le 1er janvier 2017 : obligation pour les grandes entreprises (plus de 5 000 salariés) et les personnes publiques et depuis le 1er janvier 2018 : obligation pour les entreprises de taille intermédiaire (250 à 5 000 salariés) ;

–          à compter du 1er janvier 2019 : obligation pour les petites et moyennes entreprises (10 à 250 salariés) ;

–          et à compter du 1er janvier 2020 : obligation pour les très petites entreprises (moins de 10 salariés).

Ajoutons brièvement que la facturation électronique est encadrée dans sa mise en œuvre notamment par le décret n° 2016-1478 du 2 novembre 2016 qui est complété par un arrêté du 9 décembre 2016 (NOR: ECFM1627978A) et par un arrêté du 22 mars 2017 (NOR: ECFE1705189A) fixant les modalités de numérisation des factures papier en application de l’article L. 102 B du livre des procédures fiscales.

II – L’open data : ouverture des données essentielles des contrats de la commande publique

Si elle n’est pas nouvelle puisque certains marchés publics et certains contrats de concession pouvaient faire l’objet d’un avis d’attribution sous l’empire des anciens textes et que les acheteurs devaient publier une liste des marchés conclus, l’ouverture des données essentielles des marchés est nettement renforcée par la nouvelle règlementation applicable aux marchés publics et aux contrats de concession qui en a fait une obligation dont l’entrée en vigueur est également fixée au 1er octobre 2018.

  1. L’intérêt de l’open data

L’ouverture des données peut certes apparaître comme une charge supplémentaire pesant sur les acheteurs et les autorités concédantes. Mais cette nouvelle obligation répond à des enjeux majeurs :

–          renforcer le droit à l’information dont bénéficient les citoyens mais aussi les opérateurs économiques qui n’auront donc plus nécessairement à recourir à la procédure de demande de documents administratifs pour obtenir des informations relatives aux contrats de la commande publique ;

–          renforcer la transparence des procédures – principe essentiel de la commande publique –, la publication des données étant de nature à contribuer à une meilleure gestion des deniers publics en ce que les acheteurs seront soumis à un droit de regard de leurs administrés et des opérateurs économiques ;

–          permettre aux opérateurs économiques de se saisir de ces données pour développer des nouveaux services, pour mieux répondre aux besoins des acheteurs et des autorités concédantes voire même pour découvrir de nouvelles opportunités.

  1. Les contrats concernés par l’open data

L’ouverture des données essentielle est applicable :

–          aux marchés publics d’un montant supérieur à 25.000 euros en vertu de l’article 56 de l’ordonnance du 23 juillet 2015, qui dispose que « les acheteurs rendent public le choix de l’offre retenue et, sauf pour les marchés de défense ou de sécurité, rendent accessibles sous un format ouvert et librement réutilisable les données essentielles du marché public », et qui est complété par les articles 107 et 108 du décret du 25 mars 2016 ainsi que par l’article 94 du décret n° 2016-361 du 25 mars 2016 relatif aux marchés publics de défense ;

–          et aux contrats de concession en application de l’article 53 de l’ordonnance n° 2016-65 du 29 janvier 2016 – équivalent de l’article 56 précité –, lequel est complété par l’article 34 du décret n° 2016-86 du 1er février 2016.

  1. Les données concernées par l’open data

Si l’ouverture des données essentielles – qui doit être faite sur le profil d’acheteur en vertu de l’arrêté du 17 avril 2017 – est légitimement limitée pour les marchés publics de défense pour lesquels seuls doivent être communiqués le numéro d’identification unique attribué au marché, l’identification de l’acheteur, la nature et l’objet du marché et la procédure de passation, celle-ci est plus large pour les marchés publics et les contrats de concessions pour lesquels les acheteurs doivent communiquer, en plus des données précitées :

–    le lieu principal d’exécution des prestations objet du marché/contrat ;
–    la durée, le montant et les principales conditions financières du marché/contrat 
–    ainsi que l’identification du co-contractant et la date de signature du contrat et celle de notification du marché.

Les acheteurs et les autorités concédantes devront également publier sur leur profil d’acheteur les données relatives à chaque modification apportée au marché/contrat – au plus tard deux mois à compter de la date de notification pour les marchés publics (article 107-2° du décret du 25 mars 2016 –, ces données correspondant à :

–     l’objet de la modification ;
–     les incidences de la modification sur la durée ou le montant du marché public – sur la valeur du contrat concession ainsi que sur les tarifs à la charge des usagers ;
–     la date de la modification du contrat de concession et celle de la notification par l’acheteur de la modification pour les marchés publics.

Et, de manière spécifique aux contrats de concession, les autorités concédantes devront publier, chaque année, les données relatives à l’exécution du contrat de concession soit, d’une part, les dépenses d’investissement réalisées par le concessionnaire et, d’autre part, les principaux tarifs à la charge des usagers et leur évolution par rapport à l’année précédente.

Enfin, précisons qu’en vertu de l’article 7 de l’arrêté du 17 avril 2017 – lequel arrêté précise d’ailleurs les conditions de publication des données essentielles –, ces données devront être conservées sur le profil d’acheteur pendant une durée minimale de 5 ans après la fin de l’exécution du marché public ou du contrat de concession.

  1. Les précautions en matière d’open data

Une attention particulière devra néanmoins être portée à la gestion de l’open data des contrats de la commande publique afin de ne pas divulguer des informations qui auraient un caractère confidentiel, conformément aux dispositions de l’article 56 de l’ordonnance n° 2015-899 du 23 juillet 2015 et de l’article 53 de l’ordonnance n° 2016-65 du 29 janvier 2016. Ainsi, les acheteurs et les autorités concédantes devront veiller à s’assurer que la publication des données essentielles :

–     ne méconnaisse pas les exigences d’ordre public (ne pas divulguer d’informations couvertes par exemple par le secret de la défense nationale ou de documents administratifs dont la diffusion porterait atteinte aux secrets protégés par la loi, etc.) ;
–    ne conduise pas à divulguer des données présentant des risques pour la protection du potentiel scientifique et technique de la nation ;
–    ne cause pas une atteinte au secret industriel et commercial, qui comprend le secret des procédés, le secret des informations économiques et financières (santé financière du co-contractant par exemple), ainsi que le secret des stratégies commerciales du co-contractant ;
–   n’emporte pas communication de données à caractère personnel dont la protection incombe aux acheteurs et aux autorités concédantes, en leur qualité de responsable de traitement, en vertu du Règlement (UE) 2016/679 général sur la protection des données la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés.

Et, les acheteurs devront mettre en œuvre les moyens nécessaires leur permettant de s’assurer que les données publiées sur leur profil d’acheteur soient régulièrement mises à jour, d’autant que l’article 7 de l’arrêté du 17 avril 2017 dispose bien que les données essentielles sont publiées pendant « une durée minimale de cinq ans après la fin de l’exécution du marché public ou du contrat de concession à l’exception des données essentielles dont la divulgation serait devenue contraire aux intérêts en matière de défense ou de sécurité ou à l’ordre public ».

En conclusion, si la nouvelle règlementation applicable aux contrats de la commande publique a indiscutablement simplifié les conditions de passation des marchés (facilitation du recours à la négociation pour les marchés publics et  possibilité de régulariser des offres irrégulières voire inappropriées notamment), cette réforme a néanmoins mis en place de nouvelles obligations en matière de dématérialisation mais aussi d’ouverture des données essentielles qui imposent aux acheteurs de se doter de moyens techniques et informatiques adéquats, ce qui pourra pour certains acheteurs se faire par le biais de marchés publics de services informatiques nécessaires par exemple au développement du profil d’acheteur.

Yvonnick Le Fustec – Avocat

 

 

Le médiateur du crédit aux candidats et aux partis politiques a été nommé le 3 août dernier

Par un décret du 3 août 2018, signé par le Président de la république, Monsieur Jean-Raphaël Alventosa a été nommé « Médiateur du crédit aux candidats et aux partis politiques »pour une durée de 6 ans.
Cette fonction a été créée par la Loi du 15 septembre 2017 pour la confiance dans la vie politique, dont le décret du 27 mars 2018 a précisé les modalités d’application.
Le médiateur sera chargé de faciliter le dialogue entre les candidats ou partis politiques et les banques.
Le médiateur disposera, selon le décret du 27 mars 2018, « des moyens nécessaires à l’exercice de ses missions ».
Si l’article 2 du décret du 27 mars 2018 précise à cet égard, que ces moyens lui sont fournis par le ministère de l’intérieur et qu’il peut faire appel aux services du ministère de l’économie et des finances, la loi ne lui octroie, cependant, aucun outil particulier pour contraindre les banques à prêter de l’argent.
La loi sur la confiance dans la vie publique avait également rendu possible, par ordonnances, la création d’une « banque de la démocratie » pour un financement public des campagnes électorales.
Le délai dans lequel le gouvernement était susceptible d’intervenir a, toutefois, expiré sans qu’aucune ordonnance relative à la création de cette banque ne soit adoptée. Le projet a été abandonné.
La tentative de le réintroduire, sous la forme d’un amendement, à l’occasion de l’examen par l’Assemblée nationale, le 16 juillet 2018, du projet de loi constitutionnelle pour une démocratie plus représentative, responsable et efficace, a échoué.

La nouvelle protection du secret des affaires

La loi n°  2018-670 du 30 juillet 2018 relative à la protection du secret des affaires prise dans le cadre de la transposition de la Directive (UE) 2016/943 du Parlement européen et du Conseil du 8 juin 2016 sur la protection des savoir-faire et des informations commerciales non divulgués (secrets d’affaires) contre l’obtention, l’utilisation et la divulgation illicite, crée de nouveaux articles du Code commerce en vue définir et protéger les secrets des affaires qui sont entrés en vigueur le 31 juillet 2018.

L‘article L. 151-1 dispose désormais qu’est protégée au titre du secret des affaires toute information répondant aux trois critères suivants : elle ne doit pas être généralement connue ou aisément accessible pour les personnes familières de ce type d’informations en raison de leur secteur d’activité ; elle doit revêtir une valeur commerciale du fait de son caractère secret ; elle doit faire l’objet de la part de son détenteur légitime de mesures de protection raisonnables pour en protéger le secret.

L’obtention, l’utilisation ou la divulgation sans le consentement de son détenteur d’un de ces secrets des affaires qui résulte d’un accès non autorisé ou d’un comportement déloyal en matière commerciale est illicite. Il en est de même pour la personne qui ne pouvait ignorer que ce secret avait été obtenu par une autre personne de façon illicite (art. 151-2 à 151-6 nouveaux).

L’article L. 151-8 définit certaines des exceptions à la protection du secret des affaires. Il prévoit qu’à l’occasion d’une instance relative à une atteinte au secret des affaires, ce dernier n’est pas opposable lorsque son obtention, son utilisation ou sa divulgation est intervenue pour l’exercice de l’une des finalités mentionnées à ses 1° à 3°. Le 1° garantit l’exercice de la liberté d’expression et de communication, y compris le respect de la liberté de la presse, ainsi que l’exercice de la liberté d’information. Le 2° vise le fait de révéler, dans le but de protéger l’intérêt général et de bonne foi, une activité illégale, une faute ou un comportement répréhensible. Le 3° porte sur la protection d’un intérêt légitime reconnu par le droit de l’Union européenne ou le droit national.

L’article L. 151-9 prévoit que, à l’occasion d’une instance relative à une atteinte au secret des affaires mettant en cause des salariés ou leurs représentants, ce secret n’est pas opposable dans deux cas, définis aux 1° et 2° de cet article. Le premier est celui d’un secret obtenu dans le cadre de l’exercice du droit à l’information et à la consultation des salariés ou de leurs représentants. Le second est celui d’un secret divulgué par des salariés à leurs représentants, dans le cadre de l’exercice légitime par ces derniers de leurs fonctions, pour autant que cette divulgation ait été nécessaire à cet exercice.

Une section est consacrée aux mesures prises pour prévenir et faire cesser une atteinte au secret des affaires. Ainsi la juridiction peut, sans préjudice de l’octroi de dommages et intérêts, prescrire, y compris sous astreinte, toute mesure proportionnée de nature à empêcher ou à faire cesser une telle atteinte. (Art. L. 152-3, L. 152-4 et L. 152-5 nouveaux). Le législateur a néanmoins prévu de sanctionner toute personne qui userait de ces nouvelles dispositions dans un but de procédure dilatoire ou abusive (art. L 152-8 nouveau).

Enfin, les L. 153-1  et L 153-2 traitent de certaines mesures de protection de la confidentialité des échanges relatifs au secret des affaires lorsqu’un contentieux est porté devant les juridictions civiles ou commerciales.  L’office du juge est élargi car il pourra s’il estime que  la protection de ce secret ne peut être assurée autrement et sans préjudice de l’exercice des droits de la défense : « 1° Prendre connaissance seul de cette pièce et, s’il l’estime nécessaire, ordonner une expertise et solliciter l’avis, pour chacune des parties, d’une personne habilitée à l’assister ou la représenter, afin de décider s’il y a lieu d’appliquer des mesures de protection prévues au présent article ; « 2° Décider de limiter la communication ou la production de cette pièce à certains de ses éléments, en ordonner la communication ou la production sous une forme de résumé ou en restreindre l’accès, pour chacune des parties, au plus à une personne physique et une personne habilitée à l’assister ou la représenter ; « 3° Décider que les débats auront lieu et que la décision sera prononcée en chambre du conseil ; « 4° Adapter la motivation de sa décision et les modalités de la publication de celle-ci aux nécessités de la protection du secret des affaires.

Et durant la procédure et à son issue toute personne ayant accès à une pièce ou au contenu d’une pièce considérée par le juge comme étant couverte ou susceptible d’être couverte par le secret des affaires est tenue à une obligation de confidentialité lui interdisant toute utilisation ou divulgation des informations qu’elle contient.

Les conditions d’application de ces textes seront fixées par décret en Conseil d’Etat.

Les règles de fixation du prix d’un bien faisant l’objet d’une préemption sont conformes à l’article 1er du premier protocole additionnel à la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales

Par un arrêt en date du 5 juillet 2018, la 3ème chambre civile de la Cour de cassation énonce que les règles de fixation du prix du bien sur lequel s’exerce le droit de préemption traduisent le souci de la bonne utilisation des deniers publics et permettent la poursuite de l’objectif d’un intérêt public. Ainsi, le propriétaire du bien préempté ne peut valablement soutenir que ces règles porteraient une atteinte disproportionnée à son droit de propriété, en violation des dispositions de l’article 1er du premier protocole additionnel à la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.

En effet, la Cour de cassation précise que ce propriétaire peut produire au débat judiciaire les termes de référence pertinents permettant de justifier le prix qu’il escompte et, qu’au demeurant, il reste libre, si la valeur fixée par le juge ne lui convient pas, de renoncer à la transaction envisagée et de conserver son bien.

Non prise en compte de l’indemnité au titre de l’emplacement publicitaire pour le calcul de l’indemnité de remploi

L’indemnité de remploi est calculée compte tenu des frais de tous ordres normalement exposés pour l’acquisition d’un bien de même nature.

Au cas présent, les expropriés demandaient que l’indemnisation qui leur avait été allouée au titre des frais d’emplacement publicitaire soit comprise dans le calcul de l’indemnité de remploi.

Logiquement, la Cour de cassation considère que l’indemnité de remploi s’établit à partir de l’indemnité principale et exclut donc la prise en compte de l’indemnité au titre de l’emplacement publicitaire.

L’administration précise comment doit s’analyser la situation d’un syndicat intercommunal vis à vis de l’impôt sur les sociétés

D’une façon générale et en vertu du 1 de l’article 206 du code général des impôts (CGI) et de l’article 1654 du CGI, l’impôt sur les sociétés s’applique à l’ensemble des personnes morales de droit privé ou de droit public se livrant à une exploitation ou à des opérations de caractère lucratif.

Cependant, le 6° du 1 de l’article 207 du CGI exonère d’impôt sur les sociétés les régions et les ententes interrégionales, les départements et les ententes interdépartementales, les communes, les établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre, les syndicats mixtes constitués exclusivement de collectivités territoriales et les syndicats de communes ainsi que leurs régies de services publics.

Interrogé à plusieurs reprises par des parlementaires sur le point de savoir si un syndicat intercommunal était de plein droit exonéré de l’impôt sur les sociétés ou si l’administration pouvait remettre en cause cette exonération compte tenu des activités exercées par celui-ci, le ministre a récemment indiqué (Rép. Masson : Sén. 17-5-2018 n° 1592 BF 8-9/18 inf. 716) que le régime fiscal applicable en matière d’IS à un syndicat intercommunal résultait de l’examen de la nature des activités qu’il exerçait et de leur mode d’exploitation.

Le ministre a en effet rappelé que le régime fiscal applicable aux collectivités territoriales en matière d’IS ne résulte pas de leur statut juridique mais de la nature des activités qu’elles exercent.

Ainsi, conformément aux dispositions combinées de l’article 206, 1 et de l’article 1654 du CGI, ainsi que de l’article 165 de l’annexe IV au CGI, sont passibles de l’IS les organismes des collectivités territoriales jouissant de l’autonomie financière lorsqu’ils exercent des activités lucratives.

S’agissant de l’autonomie financière, en application de l’article L 1412-1 du Code général des collectivités territoriales, les établissements publics de coopération intercommunale ou les syndicats mixtes doivent constituer une régie soumise aux dispositions du chapitre 1er du titre II du livre II de la deuxième partie de ce même Code pour l’exploitation directe d’un service industriel et commercial relevant de leur compétence.

Le caractère lucratif d’une activité exercée par les collectivités territoriales s’apprécie, selon les critères de lucrativité dégagés par le Conseil d’État et repris par la doctrine administrative (sous réserve de la condition tenant au caractère désintéressé de leur gestion, qui est présumée remplie à leur égard), en analysant le produit proposé, le public visé, les prix pratiqués ainsi que la publicité réalisée (méthode dite des « 4P ») afin de déterminer si l’activité est exercée dans des conditions similaires à celles d’une entreprise du secteur lucratif.

Par ailleurs, les dispositions de l’article 207, 1-6° du CGI prévoient que les régions et les ententes interrégionales, les départements et les ententes interdépartementales, les communes, les établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre, les syndicats de communes et les syndicats mixtes constitués exclusivement de collectivités territoriales ou de groupements de ces collectivités sont exonérés d’IS.

S’agissant des régies de services publics de ces entités, l’administration a rappelé la jurisprudence du Conseil d’État, selon laquelle cette exonération d’IS ne s’applique qu’au titre de l’exécution d’un service public indispensable à la satisfaction des besoins collectifs de la population.

Rappelons à cet égard que les conditions permettant de définir si une régie d’une collectivité locale, qu’elle soit ou non dotée de la personnalité morale, exerce une activité lucrative passible de l’impôt sur les sociétés, dans les conditions prévues au 1 de l’article 206 et de l’article 1654 du CGI, ont été précisées par le Conseil d’Etat dans la décision Commune de La Ciotat (CE, 20 juin 2012, no 341410 : RJF 10/12 no 92, avec chronique E. Bokdam-Tognetti p. 795, concl. V. Daumas BDCF 10/12 no 110).

Selon la haute juridiction, une telle régie « n’est pas passible de l’impôt sur les sociétés si le service qu’elle gère ne relève pas, eu égard à son objet ou aux conditions particulières dans lesquelles il est géré, d’une exploitation à caractère lucratif. La lucrativité de l’exploitation d’une régie s’apprécie eu égard à l’objet du service qu’elle gère et aux conditions particulières dans lesquelles il est géré, et non pas eu égard à l’affectation des recettes ».

L’administration a ainsi consacré le fait que le régime fiscal applicable en matière d’IS à un syndicat intercommunal résultait de l’examen de la nature des activités qu’il exerçait ainsi que de leur mode d’exploitation.

 

 

 

Précisions sur l’appréciation des offres anormalement basse et la bonne information des candidats évincés

L’office public de l’habitat Partenord Habitat (ci-après, l’ « OPH ») avait engagé une procédure d’appel d’offres ouvert, portant sur plusieurs lots, pour la passation d’un accord cadre à bons de commande portant sur la réalisation de prestations de services relatives à l’entretien des réseaux et appareils d’eau, d’électricité et de chaleur. A l’issue de cette procédure de passation, l’OPH a notifié à la société Services Thermi Sanit (ci-après, la « Société STS »), candidate à l’attribution des lots 3 et 4 du marché, le rejet de son offre et l’a informée que ces lots avaient été attribués à la société Proxiserve. Par une ordonnance du 3 janvier 2018, le juge du référé précontractuel du Tribunal administratif de Lille a, sur la demande de la Société STS, annulé la procédure de passation des lots 3 et 4 du marché litigieux au double motif, d’une part, que la notation du critère du prix par l’OPH n’avait pas pris en compte une partie des prestations et, d’autre part, que l’OPH aurait dû solliciter des explications à la société Proxiserve dont l’offre était susceptible d’être regardée comme anormalement basse. L’OPH a exercé un pourvoi en cassation contre cette ordonnance et le Conseil d’État a statué le 18 juillet 2018 dans cette affaire.

En premier lieu, le Conseil d’État commence par relever que le premier motif de l’ordonnance attaquée, tiré de ce que le rapport d’analyse des offres de l’OPH révélait une absence de prise en compte, pour l’évaluation du sous-critère « remplacement », de prestations pourtant prévues par le règlement de consultation, avait été soulevé d’office par le juge des référés sans que les parties en aient été préalablement informées. L’OPH est donc fondé à soutenir que l’ordonnance est, dans cette mesure, entachée d’irrégularité.

En second lieu, le Conseil d’État rappelle que le juge administratif ne saurait uniquement se fonder sur le seul écart de prix existant entre les offres concurrentes à un marché pour juger que l’une d’entre elles est anormalement basse et qu’il lui appartient de rechercher si « le prix en cause [est] en lui-même manifestement sous-évalué et, ainsi, susceptible de compromettre la bonne exécution du marché ». En l’espèce, le Conseil d’État relève que le second motif de l’ordonnance attaquée, tiré de ce que les offres de la société Proxiserve étaient susceptibles d’être regardées comme anormalement basses, se fonde exclusivement sur l’écart de prix de certaines prestations avec le prix proposé par la Société STS. Il en conclut que l’OPH est fondé à soutenir que ce motif est entaché d’erreur de droit. 

Au regard de cette double irrégularité, le Conseil d’État annule l’ordonnance litigieuse et juge l’affaire au fond en application des dispositions de l’article L. 821-2 du Code de justice administrative.

Répondant au moyen de la Société STS selon lequel l’OPH aurait méconnu l’obligation de motiver le rejet des offres qui résulte de l’article 99 du décret n° 2016-360 du 25 mars 2016 relatif aux marchés publics, le Conseil d’État rappelle qu’il faut et qu’il suffit, pour satisfaire l’obligation de motiver le rejet des offres, que l’acheteur précise au candidat évincé les notes qui lui ont été attribuées pour chacun des critères de jugement de l’offre ainsi que son classement, et de lui indiquer les caractéristiques et les avantages de l’offre de la société attributaire. En l’espèce, le Conseil d’État relève que l’OPH a satisfait à ces exigences par trois courriers en date des 30 novembre et 15 décembre 2017. En conséquence il rejette le moyen soulevé.

Appréciant ensuite le moyen relatif au caractère anormalement bas de l’offre de l’attributaire, le Conseil d’État juge « qu’il ne résulte pas de l’instruction que le montant des offres de la société Proxiserve, au demeurant très proche de celui des offres de la société STS, ait été manifestement sous-évalué » et rejette donc également ce moyen.

Au regard de ce qui précède, le Conseil d’État conclut que la Société STS n’est pas fondée à demander l’annulation de la procédure engagée par l’OPH en vue de la passation du marché litigieux.

Contrôle du juge du référé précontractuel sur le caractère adapté du délai de remise des offres

Par un arrêt en date du 11 juillet 2017, le Conseil d’État a précisé qu’il incombe au juge des référés de vérifier si le délai de consultation, quand bien même il serait supérieur au délai minimal fixé par les textes applicables, n’est néanmoins pas manifestement inadapté à la présentation d’une offre au regard de la complexité du marché public et du temps nécessaire aux opérateurs économiques pour préparer leurs candidatures et leurs offres.

Pour rappel, la communauté d’agglomération du Nord Grande-Terre (ci-après, « la Communauté ») a engagé un appel d’offres le 13 octobre 2017 pour l’attribution d’un marché public de transport scolaire. Saisi par la société Transports du Centre et par la Compagnie Guadeloupéenne de Transports Scolaires d’un référé précontractuel tendant à l’annulation de la procédure de plusieurs lots, le juge des référés précontractuels du Tribunal administratif de la Guadeloupe, par deux ordonnances du 25 janvier 2018, a annulé la procédure de passation de neuf lots et a enjoint à la Communauté, si elle entendait conclure un marché ayant le même objet, de reprendre la procédure de passation dès le stade de la publication de l’avis d’appel public à concurrence.

Pour ce faire, le juge du référé du Tribunal administratif de la Guadeloupe a retenu que, même s’il était supérieur au délai minimal prévu par l’article 67 du décret n° 2016-360 du 25 mars 2016, le délai de la consultation de trente jours était insuffisant pour permettre aux candidats de passer une commande de véhicules avec une date de livraison ferme en Guadeloupe après avoir obtenu le financement de ces véhicules, et que « cette insuffisance était de nature à empêcher certains candidats d’obtenir la note maximale sur le critère de l’âge des véhicules dont ils disposaient ».

Or, saisi d’un pourvoi de la Communauté, le Conseil d’Etat a annulé l’arrêt car le juge des référés avait commis une erreur de droit en annulant la procédure pour le motif précédemment rappelé.

En effet, le Conseil d’Etat a considéré qu’il incombait uniquement au juge des référés « de vérifier si le délai de consultation, bien que supérieur au délai minimal fixé par les textes applicables, n’était néanmoins pas manifestement inadapté à la présentation d’une offre compte tenu de la complexité du marché public et du temps nécessaire aux opérateurs économiques pour préparer leurs candidatures et leurs offres »

Il ressort donc de cette décision, qui a été mentionnée dans les tables du recueil Lebon sur ce point, que le juge des référés doit exercer un contrôle restreint sur le caractère adapté du délai de remise des offres lorsqu’il est supérieur au délai minimal fixé par les textes applicables à la procédure.

Protection des données : la confirmation, par le Conseil d’Etat, d’une sanction prononcée par la CNIL contre l’éditeur d’un site internet

Dans un arrêt en date du 6 juin 2018, le Conseil d’Etat a confirmé une décision de la CNIL, qui avait prononcé une sanction pécuniaire à l’endroit d’un éditeur de site internet. Il était notamment reproché à ce dernier de ne pas avoir respecté l’obligation d’information aux personnes dont les données sont collectées et de ne pas avoir défini de durée de conservation des données.
C’est à l’occasion d’une mission de contrôle auprès de la société éditrice du site internet d’un journal en ligne que la CNIL a constaté des manquements aux règles en vigueur. Il s’agissait notamment d’un défaut d’information sur les finalités du traitement des cookies installés sur le site et de l’absence de définition d’une durée de conservation des données. La présidente de la CNIL avait alors mis en demeure la société de procéder aux mises aux normes prescrites dans un délai de trois mois. Ce délai écoulé et sans changement constaté, la CNIL a prononcé une sanction, qui était contestée devant le Conseil d’Etat.
Le Conseil d’Etat a alors estimé que les dispositions de la loi informatique et libertés instituent une obligation d’information claire et complète des utilisateurs d’internet sur le dépôt de témoins de connexion (« cookies ») sur les ordinateurs à l’occasion de la visite d’un site internet. Il en découle que les utilisateurs doivent être parfaitement informés sur la finalité de ces cookies et sur les moyens dont ils disposent pour s’opposer à leur dépôt. En outre, le recueil du consentement des utilisateurs est obligatoire avant tout dépôt de cookies sur un ordinateur, exception faite des cookies essentiels au fonctionnement technique du site.
En outre, la CNIL avait mis en demeure l’éditeur de définir et faire respecter une durée de conservation des données proportionnée à la finalité du traitement et, présentement, qui ne soit pas supérieure à treize mois pour les cookies déposés à l’occasion de la visite du site. Ayant constaté que l’éditeur n’avait pu apporter la preuve qu’il avait effectué les démarches auprès de ses partenaires pour qu’ils respectent cette obligation, la formation restreinte de la CNIL avait décidé de sanctionner l’éditeur sur ce fondement.
Cet arrêt, certes relatif à des manquements antérieurs à l’entrée en vigueur du RGPD, vient ainsi rappeler la rigueur avec laquelle le Conseil d’Etat entend appliquer les règles relatives au traitement des données personnelles et sanctionner les manquements. Il est à noter que le passage à la logique « accountability », qui prévaut dans le nouveau cadre juridique, induira nécessairement une rigueur supplémentaire dans l’application des règles par les autorités de contrôle et les juridictions, de sorte que les responsables de traitements doivent renforcer leur vigilance.
Plus encore, il apporte une illustration supplémentaire de la volonté de la formation restreinte de la CNIL et du Conseil d’Etat d’avoir une approche stricte de la notion de durée de conservation proportionnée à la finalité du traitement.
En conséquent, le présent arrêt du Conseil d’Etat constitue une piqure de rappel utile aux responsables de traitement, qui doivent rester particulièrement vigilants quant à l’application des nouvelles règles.

Le point sur la jurisprudence et la position administrative afférentes à l’application de la TVA sur marge aux opérations immobilières portant sur des terrains à bâtir

Les livraisons d’immeubles sont comprises dans le champ d’application de droit commun de la TVA dès lors qu’elles sont réalisées à titre onéreux par un assujetti agissant en tant que tel (art. 257-I-2° du Code général des impôts).
Conformément à l’article 256 A du CGI, sont considérées comme assujetties les personnes qui effectuent de manière indépendante une des activités économiques mentionnées au cinquième alinéa de cet article, quels que soient leur statut juridique, leur situation au regard des autres impôts et la forme ou la nature de leur intervention (cf. BOI-TVA-CHAMP-10-10-20).
A cet égard, les livraisons d’immeubles réalisées à titre onéreux par les opérateurs publics, et notamment les collectivités territoriales, entrent en concurrence avec celles des opérateurs privés lorsqu’elles s’inscrivent dans une démarche économique d’aménagement de l’espace ou de maîtrise d’ouvrage.

Sont donc imposables, quand bien même le cédant les aurait réalisées en tant qu’autorité publique à raison des procédures mises en œuvre, les cessions de terrains à bâtir ou de constructions résultant de l’aménagement d’emprises acquises à cette fin, voire d’origine domaniale non établie, dès lors que le cadre administratif (notamment la motivation des actes en cause) fait apparaître une telle volonté de valoriser son activité et de répondre aux besoins des acquéreurs comme pourrait le faire un intervenant privé (BOI-TVA-IMM-10-10-10-10).

En revanche, peuvent constituer des opérations réalisées hors du cadre économique les cessions de terrains à bâtir ou de bâtiments qu’une personne morale de droit public détient dans son patrimoine sans les avoir acquis ou aménagés en vue de les revendre (BOI-TVA-IMM-10-10-10 n° 140).

Ainsi, la personne publique sera fondée à ne pas soumettre à la TVA les livraisons d’immeubles de cette nature lorsque la délibération par laquelle il est décidé de procéder à l’aliénation fait apparaître que celle-ci relève du seul exercice de la propriété, sans autre motivation que celle de réemployer autrement au service de ses missions la valeur de son actif.

A cet égard, il y a lieu de souligner que selon la Cour de justice de l’Union Européenne, le nombre de cessions réalisées par un opérateur n’est pas en soit déterminant pour l’appréciation de la qualité d’assujetti dudit opérateur (CJUE 15 septembre 2011 aff. 180/10 et 181/10, 2e ch., Jarosław Słaby et Emilian Kuć).
Ainsi les cessions immobilières réalisées par les collectivités territoriales entrent dans le champ d’application de la TVA notamment lorsqu’elles sont réalisées dans le cadre d’une opération d’aménagement.
Bien qu’elles entrent dans le champ d’application de la TVA, sont exonérées de cette taxe, les cessions de terrains non à bâtir et d’immeubles achevés depuis plus de cinq ans, l’assujetti cédant pouvant cependant opter pour le paiement de la taxe (art. 261-5 du CGI).
Il en résulte que les ventes de terrain à bâtir par un assujetti agissant en tant que tel sont soumises à la TVA de plein droit.
En principe, conformément aux dispositions des article 266 et 267 du CGI, la base d’imposition des livraisons d’immeubles est constituée par toutes les sommes, valeurs, biens ou services reçus ou à recevoir par le vendeur en contrepartie de ces opérations de la part de l’acheteur, à l’exclusion de la TVA elle-même.
Par dérogation, s’agissant de la cession d’un terrain à bâtir (ou de la livraison d’immeuble bâti achevé depuis plus de cinq ans lorsqu’elle a fait l’objet de l’option prévue au 5° bis de l’article 260), la base d’imposition est constituée de la marge s’il est établi que l’acquisition par le cédant n’a pas ouvert droit à déduction (art. 268 du CGI).
Outre cette condition qui est considérée comme remplie notamment lorsque l’acte d’acquisition ne mentionne pas de TVA ou lorsque l’immeuble a été acquis pour les besoins d’une activité hors du champ de la TVA, l’administration fiscale a dans sa doctrine posé une condition d’identité entre le bien acquis initialement et le bien revendu.
En application de cette seconde condition et dans le cadre de contentieux concernant des opérations de marchands de biens portant sur des détachements de parcelles, des services vérificateurs ont considéré que la condition d’identité n’était pas remplie au motif que la division cadastrale avait été opérée postérieurement à l’acquisition. La TVA sur marge était donc contestée et la TVA sur le prix total exigée.

Afin de justifier ces redressements, plusieurs réponses ministérielles sont venues au cours de l’année 2016 préciser les modalités d’appréciation de la condition d’identité celle-ci étant considérée comme remplie uniquement lorsque le bien revendu était identique au bien acquis « quant à ses caractéristiques physiques et sa qualification juridique ». (R.M. Bussereau n° 96679 et Savary n° 94538 du 20/09/2016 et R.M. JOAN La Raudière n° 94061 et Carré n° 91143 du 30/08/2016).

Par deux décisions de Tribunaux administratifs (TA Grenoble 14 novembre 2016 n° 14033397 et TA Montpellier 04 décembre 2017 n° 1602770) les juges se sont opposées à cette doctrine et ont pu décider que :

– l’application de la TVA sur la marge en matière de livraison de terrain à bâtir était conditionné au seul fait que l’acquisition par le cédant n’a pas ouvert droit à déduction

– il ne ressortait pas des dispositions de l’article 268 du CGI que les terrains revendus comme terrains à bâtir devraient nécessairement avoir été acquis comme terrains n’ayant pas le caractère d’immeubles bâtis pour que leur cession soit soumise à la TVA sur la marge.

Tirant en partie les conséquences de cette décision, le gouvernement est revenu sur sa doctrine antérieure et vient d’admettre que dans le cas de l’acquisition d’un terrain qui n’a pas ouvert droit à déduction par un lotisseur ou un aménageur qui procède ensuite à sa division en vue de la revente de plusieurs lots, que ces ventes puissent bénéficier du régime de la marge dès lors que seule la condition d’identité juridique est respectée.

Cet assouplissement qui rend caduque la nécessité de division parcellaire antérieure à l’acquisition par le cédant concerne également les opérations en cours (RM Jean-Pierre VOGEL, JO Sénat du 17 mai 2018 n° 04171).

L’administration fiscale persiste donc à ce jour à exiger pour l’application de la TVA sur la marge que les terrains à bâtir aient été acquis en tant que tel.

Il conviendra donc de suivre les évolutions jurisprudentielles prochaines pour déterminer si la condition d’identité juridique doit ou non être respectée pour pouvoir soumettre les cessions de terrains à bâtir à la TVA sur la marge.

 

Action en exécution d’une convention tripartite adossée à un contrat de partenariat : compétence du juge administratif

Le Tribunal des conflits, par une décision du 14 mai 2018, reconnait à la juridiction administrative la compétence pour connaitre des litiges relatifs à l’exécution d’un crédit-bail et d’une convention tripartite conclus pour financer les opérations de restructuration d’un musée, dans le cadre d’un contrat de partenariat.

L’affaire qui lui a donné l’occasion de statuer sur le sujet est somme toute classique : à la suite de la résiliation du contrat de partenariat par la commune de Nogent-sur-Seine, le prêteur avait saisi le Tribunal administratif pour obtenir la condamnation de la commune au paiement, à titre de provision, des sommes dues par application des stipulations du contrat de crédit-bail et de la convention tripartite. Par une ordonnance du 19 octobre 2017, le Tribunal a rejeté sa demande comme portée devant une juridiction incompétente, considérant que le contrat de crédit-bail et la convention tripartite étaient des actes de droit privé. Saisi d’un pourvoi contre cette ordonnance, le Conseil d’Etat a, par une décision n° 415425 du 5 février 2018, renvoyé l’affaire au Tribunal des conflits afin que soit tranchée la question de la compétence juridictionnelle.

L’enjeu du sujet est entendu : est-ce que des actes de financement qui sont attachés à un contrat administratif (le contrat de partenariat) et qui sont nécessaires à son exécution sont également des contrats administratifs ou, à tout le moins, relèvent aussi des juridictions administratives ? Les juridictions ont déjà eu, pour partie, l’occasion de se prononcer sur le sujet.

On sait que le Tribunal administratif de Bordeaux (TA Bordeaux, 19 décembre 2012, M. Rouveyre, req. n° 1104924) puis la cour administrative d’appel de Bordeaux (CAA Bordeaux, 17 juin 2014, M. Rouveyre, req. n° 13BX00564) avaient analysé comme étant « accessoire » à un contrat administratif un « accord autonome », à savoir l’accord qui est conclu en parallèle d’un contrat de partenariat ou d’une concession et qui a pour objet de garantir la continuité du financement du projet en cas de recours des tiers contre le contrat de partenariat. Le Conseil d’Etat a validé cette analyse, mais de façon elliptique (CE, 11 mai 2016, M. Rouveyre, req. n° 383768).

La jurisprudence s’est également prononcée sur les contrats de crédit-bail attachés à des contrats publics d’affaires. Mais il n’est guère aisé de dégager des certitudes sur ce point. En effet, le contrat de crédit-bail, qui a pour objet de prévoir les modalités de financement des opérations objet d’un contrat de droit public, a jusqu’ici toujours été considéré comme ayant la nature d’un contrat de droit privé (CAA Versailles, 14 septembre 2006, Société Unifergie, req. n° 04VE03502 ; Cass., Civ., 28 mai 2008, Commune de Draveil, req. n° 07-17.648). Mais, sans affecter cette conclusion, le Tribunal des conflits a toutefois eu l’occasion de juger que l’action du crédit-bailleur dirigée contre la personne publique et tendant au paiement de sa créance relève en revanche de la juridiction administrative (T. confl., 18 octobre 1999, Société Cussenot Matériaux, req. n° 03130). Et, dans la présente décision, il a sans surprise confirmé cette analyse, jugeant que « la nature de la créance que le titulaire détient sur la personne en exécution de ce contrat n’est pas modifiée par la cession dont elle peut être l’objet ».

Les conventions tripartites, ou encore appelés « accords directs », avaient également été étudiées par les juridictions. On sait que l’accord direct présente des caractéristiques communes à celles de l’accord autonome : il s’agit là aussi d’un accord qui se veut indépendant du contrat de partenariat et qui a également pour objet de sécuriser les prêteurs. Mais, à la différence de l’accord autonome, il sécurise les prêteurs non pas dans l’hypothèse où le contrat est annulé à la suite du recours d’un tiers mais en cas de résiliation du contrat de partenariat par l’acheteur public. La jurisprudence demeure toutefois, ici aussi, peu claire. La Cour de cassation a en effet analysé la convention tripartite comme un contrat de droit privé, notamment à raison de son caractère accessoire au contrat de crédit-bail, à raison de son objet purement financier, à raison de l’absence de clause exorbitante du droit commun et à raison de l’absence de participation du crédit-bailleur à l’exécution du service public (Cass., Civ., 28 mai 2008, Commune de Draveil, précitée). Mais, la motivation demeurait toutefois très discutable. Et cette nouvelle décision du Tribunal des conflits ne permet malheureusement pas d’y voir réellement plus clair. Certes, le Tribunal indique que l’action en exécution de la convention tripartite relève des juridictions administratives, mais sans se prononcer sur la nature de ces accords directs. Il fait en effet uniquement une application au cas d’espèce, considérant que « la convention tripartite prévoyait notamment, afin de préciser les conséquences à tirer d’une résiliation du contrat de partenariat, l’acquisition par la commune des ouvrages financés par le crédit bailleur contre versement de l’indemnité irrévocable prévue par ce contrat ». Le sujet demeure donc toujours quelque peu ouvert.

Marché public de fournitures et action en garantie des vices cachés

Un contentieux opposant le syndicat mixte des transports pour le Rhône et l’agglomération lyonnaise (ci-après, le « SYTRAL ») aux constructeurs des moteurs de ses bus a donné l’occasion au Conseil d’Etat de préciser sa jurisprudence sur les conditions d’application de la garantie des vices cachés dans le cadre de marchés publics.
Plus précisément, constatant des départs d’incendies sur les moteurs de ses bus, SYSTRAL avait demandé au Tribunal administratif de Lyon la désignation d’un expert judiciaire.
Mis dans la cause en cours de procédure, les fabricants des moteurs – soit les sociétés Iveco France, d’une part, et les sociétés FPT Powertrain Technologies France et FPT Industrial Spa, contestaient l’utilité de cette mesure.
Les moyens qu’ils soulevaient ayant été rejeté en première instance et en appel, ils se sont pourvus en cassation.
Le SYTRAL fondait sa demande sur l’action en garantie des vices cachés.
Les sociétés requérantes soutenaient, notamment, qu’une telle action serait irrecevable car prescrite.
En effet, selon elles, en application de l’article L 110-4 du Code de commerce, une action en garantie des vices cachés ne pouvait être introduite que dans un délai de cinq ans.
Après avoir rappelé que l’action en garantie des vices cachés est applicable aux marchés publics de fournitures, le Conseil d’Etat rejette ce moyen et précise que « la prescription prévue par l’article L. 110-4 du Code de commerce n’est pas applicable aux obligations nées à l’occasion de marchés publics ».
Et, sur le fond, le Conseil d’État constate que les mesures demandées par le SYTRAL répondent aux conditions prévues par l’article R. 532-1 du Code de justice administrative. Il rejette donc le pourvoi formé par les Sociétés requérantes.

La saisine pour avis des juridictions suprêmes

La procédure de saisine pour avis devant le Conseil d’Etat ou la Cour de cassation permet de fixer rapidement la jurisprudence sur une question de droit nouvelle qui se pose à l’occasion de nombreux litiges devant les juridictions du fond.
 
Depuis ses deux premiers avis rendus en 1989, le Conseil d’Etat est ainsi régulièrement saisi d’une dizaine à une trentaine de questions par année (25 demandes en 2016). De son côté, la Cour de cassation rend une dizaine d’avis par an. Plus précisément, le rapport annuel pour 2015 indique que : « La moyenne sur la période 2005 à 2015 est de 11,1 demandes d’avis par an ».
Il semble que cette procédure soit plus utilisée par le juge administratif que par le juge judiciaire, ce qui est dommage car elle présente l’avantage d’éclaircir par avance des questions de droit complexes et ainsi de contribuer à la lisibilité de la règle de droit et à la réduction des contentieux. La Cour de cassation souligne toutefois sur son site que : « Cette procédure, qui se révèle particulièrement utile lorsque les tribunaux et cours d’appel doivent appliquer de nouveaux textes de loi, contribue, en amont de la chaîne juridictionnelle, à l’harmonisation de la jurisprudence ».
 
Si le régime juridique de ces procédures est sensiblement identique devant les deux juridictions, le traitement qu’elles en font, lui, diffère, ainsi que le montrera l’analyse à suivre.
 
Rappelons que la saisine pour avis de la Cour de cassation est une procédure qui a été créée par la loi n°91-491 du 15 mai 1991 aux fins de lutter contre l’encombrement croissant de la haute juridiction et d’harmoniser la jurisprudence.
Cette procédure est régie par les articles L 441-1 et suivants et R 441-1 et suivants du Code de l’organisation judiciaire, les articles 1031-1 et suivants du Code de procédure civile et les articles 706-64 et suivants du Code de procédure pénale.
L’article L 441-1 alinéa 1er dispose ainsi : « Avant de statuer sur une question de droit nouvelle, présentant une difficulté sérieuse et se posant dans de nombreux litiges, les juridictions de l’ordre judiciaire peuvent, par une décision non susceptible de recours, solliciter l’avis de la Cour de cassation ».
La loi n°2015-990 du 6 août 2015 (dite Macron) a étendu la demande d’avis devant la Cour de cassation aux questions portant sur l’interprétation d’une convention ou d’un accord collectif.
S’agissant du Conseil d’Etat, l’article 12 de la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 portant réforme du contentieux administratif a introduit, au sein de l’ordre juridictionnel administratif, cette procédure de « renvoi » visant à permettre aux juges du fond, confrontés à une difficulté juridique, de solliciter pour avis le Conseil d’Etat sur une question relative au droit applicable avant de statuer sur une requête.
Ces dispositions sont aujourd’hui codifiées à l’article L. 113-1 du Code de justice administrative (CJA) qui prévoit que « avant de statuer sur une requête soulevant une question de droit nouvelle, présentant une difficulté sérieuse et se posant dans de nombreux litiges, le tribunal administratif ou la cour administrative d’appel peut, par une décision qui n’est susceptible d’aucun recours, transmettre le dossier de l’affaire au Conseil d’Etat, qui examine dans un délai de trois mois la question soulevée. Il est sursis à toute décision au fond jusqu’à un avis du Conseil d’Etat ou, à défaut, jusqu’à l’expiration de ce délai. »
En toute rigueur, ce mécanisme se distingue de la procédure de question préjudicielle dès lors que la juridiction qui saisit pour avis le Conseil d’Etat n’est pas incompétente pour se prononcer elle-même sur la question.

I – Les conditions de saisine pour avis
 

  • Qui peut saisir les juridictions suprêmes pour avis ?

La saisine de la Cour de cassation ne peut émaner que d’un juge (Avis de la Cour de cassation, 16 novembre 1998, n°09-80.010, Bull, 1998, avis, n°12). Cette décision de saisine est insusceptible de recours (art 1031-1 du CPC).
En conséquence, les parties ne peuvent saisir directement la Cour de cassation d’une demande d’avis. Cependant, elles peuvent demander au juge d’utiliser cette procédure en justifiant de ce que les conditions en sont remplies.
Il en est de même devant le Conseil d’Etat. 
Même si, en pratique, les parties au litige peuvent invitent les juridictions du fond à mettre en œuvre cette faculté, celles-ci peuvent de leur propre initiative solliciter le renvoi pour avais par une décision motivée insusceptible de recours en ce qu’elle constitue, en réalité, une mesure d’administration de la justice (de ce fait, une telle demande n’est pas « au nombre de celles sur lesquelles il appartient au juge de statuer » : CE, 21 février 1992, M. X., n° 120876, mentionné aux Tables).

  • Conditions de recevabilité des demandes d’avis

Les demandes d’avis sont soumises à plusieurs conditions de recevabilité.

  • En premier lieu, la demande d’avis doit porter sur une question de droit. Par conséquent une question mélangée de fait et de droit est exclue de la procédure de saisine (Avis de la Cour de cassation, 12 décembre 2011, n°11-00.007, Bull., 2011, avis, n°9).
  • En deuxième lieu, la question de droit doit être nouvelle, à cet égard, la doctrine et la jurisprudence s’accordent à considérer qu’il doit s’agir d’une question liée à un texte nouveau (Morgan de Rivery-Guillaud, n°200, JCP 1992, I. 3576, n°13 ; Avis de la Cour de cassation, 14 juin 1993, n°09-30.006, Bull, 1993, avis, n° 5). Le renvoi pour avis ne peut donc être utilisé pour provoquer un revirement de jurisprudence sur une question déjà jugée (Avis de la Cour de cassation, 27 avril 2000, n°02-00.004, Bull, 2000, avis, n° 2) ou trancher un conflit de jurisprudence au sein de la Cour de cassation. Devant le Conseil d’Etat, la recevabilité est aussi admise lorsque la question doit être regardée comme nouvelle eu égard à l’évolution de la jurisprudence (voir les conclusions de J. Arrighi de Casanova sur CE, Sect., Avis, 5 avril 1996, Houdmond, n° 176611, Droit fiscal 1996, n° 25, comm. 765 : « En l’état actuel de la jurisprudence, ces deux questions appellent des réponses négatives. Pour autant, il ne fait aucun doute que ces questions sont sérieuses et nouvelles, au sens de l’article 12. Comme nous allons le voir, l’évolution de la jurisprudence dans le sens d’une application du droit répressif aux sanctions fiscales a renouvelé les termes du débat »).
  • En troisième lieu, cette demande d’avis doit porter sur une question présentant une difficulté sérieuse. Cette condition est remplie dès lors que la question peut raisonnablement donner lieu à des solutions divergentes de la part des juridictions de fond (Rapport du Conseiller Matet sous l’avis n°15006 du 18 mars 2013).
  • En quatrième lieu, cette question doit se poser dans de nombreux litiges. Cette condition restreint l’ouverture de la procédure de saisine, en ce qu’elle exige selon certains auteurs, l’existence d’un « vaste mouvement de contentieux » (Zénati, n°200, D.1992, chron, n°249).

 Il est à noter que la Cour de cassation, dit n’y avoir lieu à avis lorsque « la Cour de cassation [est]  saisie d’un pourvoi qui [pose] la même question » (Avis de la Cour de cassation, 22 octobre 2012, n°12-00.012, Bull,.2012,  avis, n°9).

  • Appréciation de la recevabilité

L’appréciation de la recevabilité semble être plus sévère du côté de la Cour de cassation que du Conseil d’Etat.
Preuve du libéralisme adopté par le Conseil d’Etat est sa propension à redéfinir la question dont il est saisi afin de conférer une portée utile à la procédure ainsi engagée (voir pour exemple CE, Ass., Avis, 7 juillet 1989, Cale, n° 106902, au Recueil, dans lequel le Conseil d’Etat, constatant que la disposition sur laquelle portait la question n’était pas applicable à la situation de la requérante, a redirigé la question sur la disposition applicable à l’espèce). Par ailleurs, il est intéressant de relever que le désistement d’une partie ne fait pas obstacle à ce que le Conseil d’Etat rende un avis sur la question de droit qui lui est soumise tant que la juridiction n’a pas donné acte de ce désistement (CE, 26 mars 2001, Ministre de l’économie, des finances et de l’industrie, n° 227921, mentionné aux Tables ; CE, 26 mars 2001, Société marseillaise du tunnel Prado-Carenage, n° 251816, mentionné aux Tables).
Les deux juridictions semblent considérer avec souplesse la condition que la question soit posée dans de nombreux litiges, estimant qu’il suffit qu’elle soit susceptible de se poser dans de nombreux litiges. Et il est vrai que ni le demandeur à l’avis, ni le juge qui s’en saisit, ne sont très bien placés pour avoir une vue précise du nombre de litiges concernés par la question.

II – Le traitement de la demande d’avis

Lorsque le juge envisage, de son propre chef, de solliciter l’avis de la Cour de cassation, il en avise les parties et le ministère public. Il recueille leurs observations écrites éventuelles dans le délai qu’il fixe, à moins qu’ils n’aient déjà conclu sur ce point.
Le non-respect de cette formalité est sanctionné par l’irrecevabilité de la demande d’avis (Avis de la Cour de cassation, 8 octobre 2007, n°07-00.012, Bull, avis, n°8 ; Avis de la Cour de cassation, 2 avril 2012, n°12-00.001, Bull, 2012, avis, n°3 ; Avis de la Cour de cassation, 14 janvier 2013, n°12-00.014, Bull, 2013, avis, n°1).
Ces observations sont ensuite transmises à la Cour de cassation devant laquelle les parties peuvent à nouveau conclure. L’article 1031-4 du Code de procédure civile prévoit à cet égard « dans les matières où la représentation est obligatoire, que les observations éventuelles des parties doivent être signées, par un avocat au Conseil d’Etat ou à la Cour de cassation ».
S’agissant de la composition de la formation de la Cour de cassation, appelée à donner l’avis, initialement, il s’agissait d’une formation spécifique de la Cour de cassation, présidée, en principe, par le Premier président et privilégiant la chambre spécialement concernée.
La loi de modernisation de la justice du XXIe siècle du 18 novembre 2016, a supprimé cette spécificité. C’est désormais la chambre compétente qui traite la demande d’avis, sauf renvoi à une formation mixte pour avis lorsqu’elle relève normalement des attributions de plusieurs chambres ou en formation plénière « lorsque la demande pose une question de principe » ( L 441-2 du COJ).
La Cour de cassation dispose d’un délai de trois mois pour se prononcer, délai qui court à partir de la réception du dossier (art 1031-3 du cpc).
S’agissant de la publicité de l’avis, celui-ci est publié au bulletin des arrêts de la Cour de cassation (art R 433-4 du COJ), il peut également être publié au journal officiel de la République (art 1031-6 du CPC), enfin il est adressé à la juridiction qui l’a demandé et éventuellement à la cour d’appel dont elle dépend et il est notifié aux parties par le greffe de la Cour de cassation (art 1031-7 du CPC).
 
Devant le Conseil d’Etat, ces avis sont rendus dans les formes prévues pour la procédure contentieuse et dans un délai de 3 mois, lequel n’est cependant pas prescrit à peine de nullité de la procédure ou de dessaisissement.
Toutefois, dans la mesure où ils n’ont pas le caractère de décision, ces avis ne sont pas rendus « au nom du peuple français » et sont insusceptibles de recours (CE, 17 novembre 1997, Mme X., n° 188163, au Recueil).
 
III – L’autorité de l’avis
 
L’avis rendu par la Cour de cassation ou le Conseil d’Etat a une portée paradoxale car même si cet avis est dénué de portée juridique au regard de l’autorité de la chose jugée, son autorité doctrinale est importante, en raison de la formation éminente dont il émane.
De plus, même si l’avis donné par les juridictions suprêmes ne les lie pas, lorsqu’elles se prononcent au contentieux, elles sont tenues d’avoir une jurisprudence cohérence et dotée d’un minimum de stabilité.
Dès lors, bien que ne s’imposant pas aux juridictions qui les ont sollicités, ces avis contentieux – selon l’expression consacrée par la doctrine – sont, en réalité, pratiquement toujours suivis.
En outre, dès lors qu’ils sont rendus par les formations contentieuses, il est permis de voir ces avis comme l’expression du droit au sens de la juridiction suprême. Leur autorité se trouve également renforcée par leur publication fréquente au Journal officiel de la République française.
Il ressort de tout ce qui précède que cette procédure de demande d’avis a trouvé un certain écho depuis sa création mais mériterait de se développer davantage. Si l’on peut comprendre que les juges du fond puissent hésiter à renoncer ainsi à leur pouvoir de jurisprudence, les avocats peuvent, par leur demande de renvoi, les inciter fortement à user de cette procédure dont l’utilité n’est pas douteuse.

Denis Garreau, Margaux N’Guyen, Sonia Merad (Stagiaires)